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Erik Rémès à l’émission de Christiane Charrette
Article sur la venue au Québec de l'auteur français controversé Erik Rémès




Erik Rémès à l’émission de Christiane Charrette


Il fut un temps où au Québec, on respectait un peu mieux les artistes et les intellectuels de passage chez nous. L’accueil qui a été réservé à l’écrivain, peintre, journaliste, Erik Rémès, dimanche 27 avril, sur les ondes de Radio-Canada dans le cadre de l’émission Christiane Charrette en direct, n’était pas digne des participants réunis sur le plateau.

Dès les premières minutes, Christiane Charrette, qui s’est définie elle-même comme « une pauvre hétéro coincée », avait décidé d’illustrer clairement son étroitesse d’esprit et les limites de sa capacité de compréhension du monde. Alors que Erik Rémès parlait de son amant en disant « mon mari », celle-ci lui a rétorqué : « Vous avez un mari ? Vous êtes sa femme ! » D’emblée, ça partait mal. Méprisante envers toute la communauté gaie, Christiane Charrette avait donné le ton et on voyait bien que le respect ne serait pas au rendez-vous.

Et malheureusement, parmi tous les invités, c’est le comédien gai Yves Jacques qui s’est montré le plus désobligeant et le plus grossier. Ses interventions étaient tout à fait déplacées et décevantes. On ne se serait jamais cru en 2003. Comment peut-on en arriver là ? Que sont devenus le droit à la différence, les qualité d’écoute et de respect qu’on revendique pourtant si énergiquement ici ?



Quand Yves Jacques nous fait honte


En effet, Yves Jacques est intervenu dès le début du débat en lançant toute une série d’inepties. Il a d’abord prétendu que « Ici, il n’y a pas de backroom. » Avant d’ajouter que les backrooms sont « la pire chose au monde » ce qui est une affirmation bien moralisatrice que tout le monde ne partage pas. Désolé de faire de la peine à monsieur Jacques, mais les backrooms existent à Montréal. Elles sont différentes de par le passé et dans des endroits différents, mais elles existent.

Par ailleurs, ce n’est pas tant la question des backrooms qu’il faut considérer, mais celle du type de rencontres qui y sont associées. Et tout le monde sait que ce type de rencontre s’est beaucoup transféré sur Internet grâce aux sites, aux chats et aux services de petites annonces. Au Québec comme ailleurs. Le marché du sexe sans préservatif y est fleurissant. Les saunas, les lieux de rencontres anonymes et les partys privés prennent ensuite la relève des rendez-vous qui sont organisés sur le web.

Yves Jacques est un ignorant et ça se voit. S’il se tenait un peu plus au courant de ce qui se passe dans sa communauté, il saurait que tout ce qu’a raconté Erik Rémès est vrai, que cela se passe aujourd’hui même et ici aussi. Et il l’aurait soutenu au lieu de l’agresser. Il suffit d’ouvrir les yeux au lieu de faire sa vierge offensée. On peut ne pas être d’accord avec tout ça, ne pas vouloir en faire la promotion, mais dire que ça n’existe pas, c’est mentir et c’est grave.

Le comédien a prétendu qu’Erik Rémès avait une « image dépassée de l’homosexualité » alors que c’est visiblement Yves Jacques qui est dépassé. Quand on est coupé du monde au point d’ignorer ce qui existe sous nos yeux, mieux vaut ne pas essayer de témoigner à la place des autres et mieux vaut se taire plutôt que de raconter n’importe quoi.

Erik Rémès est un artiste, un écrivain et un penseur. C’est Radio-Canada qui l’a invité, ce n’est pas lui qui a demandé à venir. La moindre des choses est de respecter un minimum sa démarche artistique et de l’écouter jusqu’au bout. Il y a beaucoup à apprendre de son expérience. Grâce à lui, on pourrait revoir certaines approches de la prévention et éviter peut-être de nouvelles contaminations.

Mais personne n’a su se saisir de cette chance. Sans compter que si on ne voulait pas l’entendre, pourquoi être allé le chercher en France et avoir dépensé autant d’argent pour ça ? Radio-Canada lui a payé son voyage, tous ses frais, pour qu’il puisse venir s’exprimer ici et présenter ses idées. Et à quoi a-t-il eu droit ? Des insultes, du mépris, des doutes. Personne ne l’a laissé parler. Quel était le but dans tout ça ? Se défouler sur un intellectuel étranger parce qu’on n’ose le faire sur personne entre nous ? Ce n’est pas une façon d’agir.

Le moment le plus horrible de cette pitoyable bouffonnerie a très certainement été celui où Yves Jacques a coupé la parole à Erik Rémès pour lui balancer « Retournez chez vous ! » devant tout le monde, en direct, en plein studio. Quel accueil, vraiment ! Si un artiste québécois se faisait dire la même chose sur un plateau de télévision en France, imaginez le tollé que ce serait !

Et comme si ce n’était pas assez, Yves Jacques a bombardé Erik Rémès d’une pluie d’injures du plus mauvais goût. « Vous êtes ridicule ! Vous êtes une espèce de ringard franchouillard. » Et tout ça sans s’excuser le moins du monde. Au nom de quoi ? De quel droit ? Comment monsieur Yves Jacques peut-il s’autoriser à jeter cela à la face d’un intellectuel reconnu et d’un véritable artiste dont il n’a même pas lu les livres ? On est retourné bien loin en arrière.

Cette attitude est d’autant plus décevante qu’on était vraiment en droit de s’attendre à autre chose de la part du comédien. Alors qu’il aurait pu aider l’assistance à mieux comprendre le message d’Erik Rémès, alors qu’il aurait pu jouer le rôle de modérateur et sensibiliser le public au problème du bareback, il a fait tout le contraire. J’avais honte pour lui. Honte de son attitude. Et de celle de tous les autres qui étaient là, rassurés dans leur modèle de pensée, ces soi-disant « artistes » et « penseurs » qui assistaient à ça sans rien dire.

Mais ce n’est pas tout, au cours de cette merveilleuse et débilitante émission, Yves Jacques a eu le culot de déclarer que ce qui pourrait arriver de mieux, c’est « qu’on ne fasse plus de gay pride ». Là encore quel bel exemple d’intelligence et de soutien à la communauté. Est-ce que c’est la vision qu’il prône de l’homosexualité… un retour au placard et à une homosexualité inavouée ?

Ces déclarations sont d’autant plus graves que le comédien est porte-parole officiel de l’organisme communautaire Gaie écoute. Comment peut-il se balader en voiture en envoyant des tatas lors de la Parade de la Fierté gaie et aller déclarer ensuite sur les ondes de Radio-Canada qu’il n’est pas en faveur de ce genre de manifestations ? Décidément, après les bourdes de Daniel Pinard, on peut dire que Gaie écoute choisit bien mal ses porte-parole…

Personnellement, je suis très choqué par l’attitude d’Yves Jacques, son manque de respect, sa vulgarité, son homophobie et sa xénophobie affichée. Plusieurs personnes autour de moi, même hétéros, se sont senties très mal à l’aise aussi. Je suis scandalisé qu’une personnalité gaie tienne de tels propos, qu’elle adopte un discours de droite aussi strict et intransigeant, sans souci de la diversité qui règne à l’intérieur de notre communauté.

En coupant ainsi la parole de façon grossière et insistante, Yves Jacques espérait nous inciter au boycott de la pensée d’Erik Rémès, mais en bout de ligne, c’est peut-être le comédien lui-même qui risque de se faire boycotter.

Erik Rémès, le héros

Il faudrait remercier Erik Rémès pour son courage et l’opportunité qu’il nous donne. Il est avec Guillaume Dustan le premier et le seul observateur de la réalité du bareback. En écrivain scrupuleux et témoin de son temps, il rend compte de ce qu’il voit dans ses livres. Il nous informe. Il nous avise. Car ce qu’il dit n’est pas de la fiction. Le bareback existe. Il est partout. Chez les gais comme chez les hétéros. Aux États-Unis, en France, au Québec. Ce n’est pas un hasard si le taux de contamination par le vih a augmenté de 8% aux États-Unis dans les dernières années. Chez nous aussi, la tendance est à la hausse. Alors quoi ? On continue de se fermer les yeux entre bourgeois bien pensant et on fait comme si ça n’existait pas ?

Et ce n’est pas que dans la communauté gaie que ça se passe, loin de là ! En effet, selon les plus récentes données, la majorité des nouveaux cas de contamination se situe dans le groupe des jeunes femmes hétérosexuelles.

Les organismes sida du Québec ne sont pas aussi audacieux qu’Act Up. Ils commencent à peine à parler du relapse - qui est un relâchement occasionnel de la prévention - et ne considèrent toujours pas l’existence du bareback qui est un abandon volontaire du préservatif. Le nouveau et très contesté directeur d’Action Séro Zéro est allé déclarer au Journal de Montréal que le bareback « reste un phénomène très marginal et underground ». Comment peut-on refuser de voir la réalité en face à ce point ?

Au lieu de tirer le signal d’alarme à l’unisson avec Rémès, ce monsieur préfère la langue de bois et pelleter dans la cour du voisin. Il devrait pourtant savoir que bien des phénomènes qui commencent de façon « marginale et underground », comme il dit, finissent un beau jour par devenir énorme et par nous péter en pleine face. N’est-ce pas d’ailleurs le propre du sida ? On le croyait réservé à quelques « marginaux underground » autrefois, et regardons où on en est rendu aujourd’hui. Qu’est-ce qu’attend Action Séro Zéro pour réagir et dire la vérité aux médias et à la population ? C’est assez de n’employer que des mots timides et prudents, comme si tout le monde avait toujours peur de choquer tout le monde.

Combien d’années faudra-t-il encore ? Combien de personnes séropositives nouvellement infectées dans des circonstances troubles avant de parler sérieusement du bareback ? Pourquoi ne pas profiter de gens comme monsieur Rémès pour le faire ? Faut-il toujours tout sacrifier au politiquement correct ?

Erik Rémès n’est pas la pour faire la promotion d’un genre de vie, pour prendre position contre ceci ou pour cela. Il raconte, c’est tout. Et il dit qu’il est bien placé pour parler puisqu’il vit lui-même de telles choses. Il ne dit à personne de faire comme lui. Il dit que ça existe. Grâce à lui, nous sommes avisés d’une nouvelle réalité. Si nous savons en tenir compte nous pourrons prendre des mesures pour corriger cette situation ou parer ses conséquences. Mais si nous faisons la sourde oreille, la situation va perdurer en silence et cette pratique ne manquera pas de se généraliser puisqu’elle n’est jamais évoquée, nulle part.

Depuis la découverte du vih dans les années 80, tout a évolué dans le domaine du sida : le virus, les traitements, les discours, les soins, les effets secondaires, les mentalités…. Tout ! La seule chose qui n’a pas évolué, c’est le discours sur la prévention. Pas évolué d’un pouce. On en est toujours aux mêmes vieilles peurs, aux mêmes vieux réflexes et aux mêmes vieux raisonnements. Ça ne se peut pas ! Les chiffres de la recrudescence des contaminations nous montrent que cette sorte de prévention est usée, qu’elle ne marche plus. Si tout a évolué dans le milieu du sida, il faut que la prévention évolue au même rythme.

Mais que peut vouloir dire « évoluer » quand il est question de prévention de la contamination par le vih ?

Eh bien, tout simplement, peut-être serait-il temps d’arrêter de dire qu’on meurt encore du sida puisque ce n’est plus tout à fait exact ? Peut-être aussi serait-il temps d’arrêter d’associer la séropositivité à la « transmission de la mort » car ça ce n’est pas vrai non plus et les 16 000 personnes vivant avec le vih au Québec en sont la preuve vivante depuis des années ! Et je ne crois pas que ces gens-là se considèrent avant tout comme des morts en puissance…

Et puis, « évoluer », en termes de prévention du sida, c’est peut-être commencer à comprendre qu’après 20 ans d’épidémie, il y a des gens qui sont tannés du préservatif et qui ne sont tout simplement plus disposés à en mettre. Il faut comprendre que malgré les beaux discours qui prétendent le contraire et qui essaient de banaliser le condom, la majorité des hommes qui doivent en porter éprouvent une perte du plaisir et de l’érection ce qui poussent certains à renoncer aux pratiques sécuritaires.

Il y a tant d’autres aspects que la prévention devrait aborder et qu’elle garde pourtant tabou, comme le goût du risque, les attitudes suicidaires, la quête du sens de la vie. Enfin, je suis persuadé que certaines personnes, au tournant des 40 ou 50 ans, font un calcul simple. Ils se disent que même s’ils deviennent séropositifs, la science leur permettra de finir leur vie normalement jusqu’à 70 ou 80 ans. La tendance au relâchement se fait alors plus forte. Pourquoi aucune mesure de prévention n’est-elle mise en place pour s’adresser particulièrement à ces gens-là et les encourager à rester safe ?

Personnellement, je ne pratique pas le bareback et je n’ai aucune envie d’en faire la promotion. Mais je peux comprendre ceux qui en sont arrivés là, je peux m’imaginer facilement leurs raisons et je ne suis pas prêt à les lyncher sur la place publique. Je crois que si nous ne manifestons pas un peu plus d’ouverture, nous n’aurons jamais la force de nous observer tels que nous sommes en tant que société et nous ne pourrons jamais progresser.

Erik Rémès doit être considéré comme un véritable héros pour avoir brisé la loi du silence et avoir accepté de s’offrir ainsi en permanence en pâture au verdict public. Quel dommage que personne ici n’ait eu l’audace de prendre le relais de son discours. Ce n’est pas un criminel, il verbalise une réalité qui nous touche tous directement et dont personne n’ose parler ouvertement, une réalité qui choque et qui dérange.

Avec talent et diplomatie, Erik Rémès nous prouve qu’on peut aborder la question autrement, qu’il existe d’autres pistes de réflexion et que l’heure est à la renégociation de la protection dans les relations sexuelles. Au lieu de tout rejeter en bloc et de juger les autres, comme le font certains, mieux vaut regarder les choses en face, essayer de comprendre et de s’adapter. Si cela ne se fait pas dans un débat collectif, conscient, ouvert et à voix haute, cela se fera de toute façon en privé, dans l’anarchie et dans le noir des backrooms.

Pierre Salducci

Pierre Salducci est écrivain, co-fondateur de l’Union des écrivains gais (UDEG) avec Sir Robert Gray, membre du conseil d’administration du Comité des personnes atteintes par le vih (CPAVIH) et webmaster du site www3.sympatico.ca/salducci

On peut retrouver ma position sur Serial Fucker de Erik Rémès à cette adresse www3.sympatico.ca/salducci/remes.htm#haut

Les propos exprimés dans cet article et sur mon site n’engagent que moi et ne représentent aucun des organismes ci-dessus mentionnés ou le site du Marginal.


Pierre Salducci

www3.sympatico.ca/salducci

9 Mai 2003






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