Travailler à Westminster
Intelligence non requise
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Préface
Ceci est mon journal personnel, bien que finalement
l’ensemble forme un tout suffisamment consistant pour avoir un titre et former
un livre. Il n’est pas exclu que ce livre soit publié un jour, mais pour
l’instant il n’y a aucun projet en ce sens, j’ai plusieurs autres livres à
considérer avant (ils sont tous en version intégrale sur mon site). Seule mon
indécision et mon manque de temps prévient la publication de mon septième livre,
mon éditeur attend mon prochain depuis longtemps.
Inutile de me faire des commentaires (en particulier Sakkat), c'est un juste un
journal. Je le mets ici parce que je dois le relire au moins une fois avant de
le mettre en ligne sur mon site. Le mettre en ligne ainsi au jour le jour, au
fur et à mesure, est ce dont j’ai besoin pour me motiver à le corriger. Notez
aussi qu’après quelques commentaires négatifs, je vais tout simplement le faire
disparaître de ce forum. Je n’ai pas besoin de critiques négatives, non plus de
positives, j’écris d’abord pour moi sauf si j’écris de la fiction. Et je veux
aussi encourager les autres à mettre leur blog en ligne ici.
Notez que ceci sera mon dernier livre écrit en français. Après onze ans à
Londres, et six mois à Los Angeles, j’ai décidé de n’écrire que ce qui vient
naturellement, l’anglais. À part ce livre, il y en a juste un autre francophone
qui n’est pas en ligne sur mon site : « Un Québécois à Hollywood ».
Mais celui-là me demanderait trop de temps à corriger, alors c’est pas pour
demain.
Anyway, être un écrivain Québécois reconnu seulement en France, ne m’a pas
tellement aidé. On me regarde encore comme une sorte de phénomène bizarre. Un
handicapé de la langue française (pourtant, oui, oui, j’ai étudié à
Si mon blog anonyme anglophone actuel vous
intéresse, « Mycroft Holmes in Los Angeles » ou « Corporate
America, If there ever was a hell on earth, this is it », il est en ligne
ici : myholmes.blogspot.com
C’est la suite de ce que vous lirez ici en français. Je
n’ai aucun visiteur sur ce site, je n’ai jamais dit à personne qu’il existait.
Si mes employeurs lisaient ça, je serais mis à la porte immédiatement et je
devrais quitter Los Angeles pour retourner à Londres. Encore une fois, c’est
juste une motivation pour moi de corriger au fur et à mesure mon blog. Ce n’est
peut-être pas de la grande littérature, mais c’est un besoin pour moi d’écrire les
événements importants de mon existence. Vous n’êtes pas obligés de lire ça,
j’ai autre chose plus intéressant à lire sur mes quatre autres sites Internet,
en deux langues.
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19 octobre 2004
Mon deuxième jour
au travail. Je tente d'écrire avec mon iPaq Compaq Pocket PC et un clavier
portatif, mais je pense que le train bouge trop et que tout le monde va me
regarder, une fois qu'ils entreront durant les stations prochaines. Je devrai
trouver des endroits où écrire, je pense que je ne serai pas trop capable d'écrire
un livre comme j'espérais.
Je sais à peu près
à quoi ressemblera ma deuxième journée au travail, j'ai décidé de tout prendre
au jour le jour, seule façon de ne pas capoter. Bon, j'arrête d'écrire.
22 octobre 2004
Eh bien, finalement cette dernière réunion
n'avait rien de bien effrayant. Semblerait qu'il y a beaucoup de confusion à
propos de ce que fait l'organisation, ce que fait notre département et ce que
les employés eux-mêmes font. Bref, je n'ai pas à m'inquiéter à savoir ce qui se
passe dans l'organisation, personne ne sait. Cependant, écrire des conférences
sur les 30 sujets potentiels identifiés jusqu'à maintenant ne sera pas de
En plus, je crois avoir identifié deux autres
gais et ils semblent intéressés à me parler, bien que franchement je n'ai rien
d'attirant en ce moment, et en plus c'est pas évident que je suis gai, je ne
l'ai dit à personne. Le premier est un Libanais avec un style pas mal
impressionnant et d'une intelligence hors pair. Cependant il est un peu
fatigant et pense tout savoir (bien qu'il soit fort possible qu'il sache tout).
Il est aussi possible qu'il ne soit pas gai et que son enthousiasme ne soit que,
finalement, il est écœuré de produire des conférences et je pense qu'on lui a
dit que je prendrais cette responsabilité.
Aujourd'hui il se lamentait
qu'il lui fallait un assistant au plus vite et qu'il serait temps que l'on
explique aux nouveaux employés ce que l'on attend d'eux. J'ignore s'il parlait
de moi, en tout cas je lui ai expliqué hier qu'en ce moment je faisais une
analyse de toutes les conférences actuelles, passées et à venir, et que j'élaborais
un plan d'action. Il voulait me rencontrer aujourd’hui, sans doute pour me
balancer par la tête toutes ses conférences, mais je lui ai dit que je devais
d'abord rencontrer les directeurs au milieu de la semaine prochaine et ensuite
les subordonnés (dont il est). Je pense
qu'il ne comprend pas que je suis responsable de toutes les conférences, tel un
consultant, et non comme un producteur en tant que tel.
Juste à regarder à
l'ensemble des conférences, il y en a au moins 200 par an réparties entre les
16 facultés et 6 forums. À moi seul je peux en produire environ 7 par an,
lesquelles alors ? Certainement pas les siennes, les évaluations (de propriétés
je suppose) ne sont pas un sujet qui m'intéresse tout particulièrement,
d'autant plus que je n'ai aucune idée de ce que c'est. Je pense qu'il sera plus
probable que l'on engagera plusieurs producteurs de conférences et que ce sera
mon rôle de leur montrer comment faire et de superviser le tout. J'aimerais
bien cela, d'autant plus que si le profit n'est pas ce qui compte, alors je ne
serai jamais sous pression de produire des succès. Tout le monde s'en fout si
le tout échoue, et je puis également blâmer notre base de données qui ne
contient que des membres de l'organisation, et aucun nom de nos délégués passés
qui n'étaient pas membres.
Je dois également ajouter que j'ai bien aimé
ma première semaine, et je ressens une sorte de buzz à travailler à Westminster
où la famille royale habite depuis des milliers d'années en des châteaux tout
le tour de St. James’s Park où je vais tous les jours sur l'heure du dîner. Si
je ne perds pas trop de temps, si je suis capable d'impressionner le patron,
mon futur dans cette association est assuré pour des années, et j'aimerais bien
cet emploi sur plusieurs années.
Ah oui, à propos du deuxième gai, cela est
encore plus évident et positif. Il est un peu queeny, et il n'a pas de bague au
doigt. En plus, tenez-vous bien, il est le deuxième en charge et il était le
grand patron pendant plusieurs mois jusqu'à ce qu'ils trouvent le remplaçant du
patron précédent. Si je réussis à m'approcher de lui, je n'aurai plus rien à
craindre, je monterai vite dans
Je parle comme si j'étais un vrai capitaliste
endurci et ambitieux, prêt à marcher sur la tête des autres pour arriver à mes
fins. Bien entendu il est clair que je suis tout le contraire et que tous ces
jeux me dépriment. Cependant je joue un peu ce jeu maintenant pour m'encourager
et me motiver un peu. Sinon, le tout est si triste, que je penserais certes à
me tirer une balle dans
Je dois également parler
d'un homme qui travaille là, il est aveugle et ressemble étrangement au Prince
Charles. Lors de mon entrevue il parlait avec un membre de l'organisation (il
est membre lui-même) et après que la rencontre fut terminée, il s'est carrément
frappé dans un panneau, pensant que c'était
22 oct 04 partie 3
Mon patron devait bien savoir lorsqu’il m’a
engagé que j’écrirais un livre sur lui et l'organisation dont il a héritée.
Sinon, il est plus imbécile que je ne le pensais. Je lui ai montré mes livres
en entrevue, je lui ai clairement dit que quelques-uns étaient des livres autobiographiques qui
racontaient ma vie alors que je suis arrivé à Paris, à New York, à Londres.
Peut-il vraiment croire que je n’allais pas décrire tout ce qui passe
ici ? Peut-être souhaitait-il être immortalisé ? Dans le décor du
Parliament Square… Oh dear, certains ont une psyché incompréhensible. Je pense
qu’il était trop con pour imaginer que j’allais écrire un livre complet sur lui
et ses échecs. Inutile de penser que je pourrais parler de ses succès, seul
l’enfer mérite d’être dit, dénoncé, construit en littérature anarchiste contre
le capitalisme éhonté. Bah… bah. Je baillerai sans doute entre deux réunions,
et oublierai de mentionner ses short-comings.
Encore faudrait-il que ses erreurs
m’atteignent, car ils ont bien expliqué aujourd’hui qu’ils pratiquent une sorte
de communication interne basée sur un style de cascade. C’est-à-dire que le
grand patron radote à ses directeurs, les directeurs radotent à leurs
subordonnés, mais seulement ce qu’ils jugent nécessaire d’être dit, et les
subordonnés placotent avec le reste de la compagnie, et le tout devient une
sorte de jeu de téléphone chinois où tout m’arrive avec distorsion. Mais
n’oublions pas que j’ai des réunions avec le monstre à la tête de
l’organisation, j’entends donc les rumeurs de première main. Je suis dans le
secret des dieux, je peux moi aussi partir des rumeurs sur les événements à
venir. Non pas que cela m’intéresse, mais je suis toujours prêt pour un bon
gossip juteux. They better be juteux, or else I won’t have a book to write.
Pendant ce temps, sur mes heures de lunch, je
marche autour du St. James’s Park. Là où tout autour la famille royale actuelle
habite, y compris le jeune prince Harry. Harry est officiellement hétérosexuel,
et cela est vraiment ordinaire. Il sort tout le temps, french des filles à
moitié nues stupides, frappe des photographes, bref, rien d’intéressant.
Pourtant il fait la une des journaux chaque fois qu’il sort en ville, et tout
le monde lit ses déboires, même moi. Je dois me sentir bien près de la mort
pour lire des articles sur le jeune prince sans avenir et ses déboires. Il ne
me faudrait pas le rencontrer dans St. James’s Park, alors qu’il ferait marcher
le chien, car je te le déviergerais pour vrai et lui ferais comprendre les
vraies réalités de
Lundi 25 octobre
2004
Je m'en vais au
travail, encore une fois, pour ma deuxième semaine. J'ai travaillé toute la journée
du dimanche à chercher des fichiers de mes anciens emplois dans les conférences
pour m'aider dans mon emploi actuel, mais je n'ai pas trouvé grand-chose, et
finalement je devrai écrire moi-même ce manuel pour aider à produire des conférences.
Ma peur la plus grande est que mon patron veuille me rencontrer et que je n'aie
pas grand-chose à lui montrer. Il me faut donc bouger vite et travailler fort.
La première
semaine a été perdue à mon avis, même pas à apprendre ce que font ces facultés,
mais juste à établir la liste des conférences actuelles. Une semaine ça m'a
pris, sans compter que le tout était déjà dans une base de données sur le réseau
et que je n'avais qu’à extraire l'info dans une feuille Excel. Voila comment on
arrive à perdre son temps radicalement, même lorsque l'on désire être
productif.
Je pense que je
vais accélérer le mouvement et tenter de rencontrer les directeurs des facultés
et forums aujourd'hui et demain, car on dirait que j'ai peur de me lancer et je
retarde ces réunions le plus possible, de peur de ne pas être trop au courant
de leurs histoires et d'oublier de poser les bonnes questions. Puisque, en fin
de compte, je ne sais toujours pas ce que je fais là, dans cette association. Mon
patron n'a pas été très clair et je pense que c'est parce que dans le fond il
ne sait pas trop quoi faire avec moi. Ce qu'il avait besoin était plutôt un
consultant en conférences, mais alors cela lui aurait coûté trois fois le salaire
qu'il me paie pour sans doute pas beaucoup plus de résultats, ou alors je me
trompe et ces consultants valent vraiment le prix qu'on les paie, et alors il a
mal choisi en m'engageant. Je m'en balance complètement.
Ce week-end je
n'ai pas travaillé sur la traduction du scénario du film, et je ne prévoie pas
pouvoir y travailler avant le week-end prochain, à moins d'un miracle, tel un
acte terroriste à Westminster, qui me permettrait de demeurer à la maison pour
travailler sur mes projets. Je n'ai pas non plus remis à jour mon site Internet
depuis la parution de mon dernier livre, et mon éditeur insiste maintenant tous
les jours pour que je modifie le tout. Cependant j'ai passé tout samedi à faire
fonctionner le TomTom Go de Stephen, un navigateur électronique pour la route,
et à entrer tous les bureaux de Mercedes dans la mémoire afin qu'il puisse s'y
rendre, et j'ai également programmé d'autres points d'intérêts dont
l'installation de listes de cameras en Grande-Bretagne pour qu'il sache à
l'avance lorsqu'il en rencontrera une. Il ne lui reste que trois points à
perdre avant que la cours ne le bannisse de la route pour un an, alors qu'il
est un conducteur.
J'ai aussi perdu
le reste de la journée, de même vendredi soir, à tenter d'établir un réseau entre
mon ordi et mon portable en utilisant deux onglets Bluetooth. J'ai
partiellement réussi, mais il faut que les fichiers soient dans un dossier spécifique,
alors je commence un peu à regretter ne pas avoir acheté du Wireless LAN, mais
alors mon téléphone n'aurait pas pu communiquer avec mes ordis. Dans le fond
j'aurais peut-être dû aller vers l'infrarouge. Windows ne semble pas connaître
ou reconnaître Bluetooth. Ne suis-je pas devenu un vrai geek avec le temps ?
Considérant que je suis celui qui, le premier dans le monde, a produit des conférences
sur Wireless LAN et Bluetooth, ça m'a pris des jours à figurer comment installer
le tout. C'est qu'à l'époque où je faisais mes conférences, la technologie
n'existait que sur papier ou presque. Et ça a pris des années pour finalement
devenir un standard et d'être installé dans tous les produits sur le marché. Et
le pire, c’est qu'il me semble que tout cela n'est pas très nouveau. Même quand
j'étais bébé dans les années 70, il me semble qu'il existait bien des technologies
sans fil, et pas seulement l'ultrason ou l'infrarouge. Ils ont réinventé la
roue avec Bluetooth et Wireless LAN. Et je suppose qu'ils la réinventeront
encore, en autant que cela leur fasse de l’argent.
Je n'ai dormi que
trois heures la nuit dernière, et j'ai passé la journée à écouter Stargate et
Stargate-Atlantis à
Je suis maintenant
dans le train du retour. Je suis fort découragé parce que mon patron s'imagine
que je puis tout faire ce qu'il m'a demandé d'ici vendredi, alors que
finalement je n'aurais pas suffisamment des trois semaines allouées
initialement pour accomplir ce miracle. Je lui ai rappelé que l'on avait dit
trois semaines, et j'ai tout simplement ajouté que je lui montrerai ce que j'ai
vendredi, voilà tout. Je ne puis tout de même pas faire plus que ce que je
fais, j'y travaille même à la maison les week-ends et les soirs de semaine. Je
sens que cet emploi sera fort stressant et je pense que je vais continuer à
chercher du travail ailleurs, avant que je ne prenne mon élan et que j'aie 12 conférences
à produire en 2 semaines, puisqu'il semble que ce sera la mentalité dans cette
association de malheur. Je devrai les décevoir, mais bon, que voulez-vous. Mon
seul problème est : comment irais-je aux entrevues? Et à quels emplois
devrais-je postuler? Cette fois il me faut vraiment ce que je veux, mais on
dirait que j'ignore ce que je veux faire. Tenter de trouver un emploi comme écrivain,
et qui paie, est impossible, alors ce n'est pas une option.
Stephen a commencé son emploi comme
conducteur de voitures à temps plein pour Mercedes aujourd'hui. Il a passé
l'avant-midi dans le train à lire ce qu'il voulait, puis l'après-midi dans une
Mercedes sport luxueuse. Il me dit que ce n'est pas toujours rose, qu'en fait
c'est l'enfer, parce qu'on lui téléphone toutes les 5 minutes pour lui cracher
dessus et lui demander où il est, mais il me semble que ce doit être dix fois
mieux que d'avoir un livre à écrire sur le comment produire une conférence, et
une étude de marché complète à faire sur les conférences relatives aux propriétés,
tout cela en 4 jours. Serait-ce humainement possible de toute manière ? Ce
que je donnerais pour recouvrer ma liberté ! Serait-ce trop demander qu'un
miracle survienne pour que j'arrête de travailler ici le plus rapidement
possible, genre, demain matin ? Une grande manne d'argent qui tomberait du
ciel, ou un autre emploi dans n'importe quoi... c'est toujours possible. Si
l'homme n'avait pas menti aussi, je produirais en ce moment ma première conférence,
lentement. Au contraire, je fais du 100 milles à l'heure et je n'arrive pas à
arriver à bon port.
Mardi 26 octobre
04
Je voyage à
Bref, dans mon
compartiment de train ce soir, j'ai la représentation exacte des gens avec qui
je travaille tous les jours et que je ne puis plus endurer, cela après
seulement quelques jours. Vraiment, je ne vois pas ce que la société perdrait
si une bombe d'Al Qu’ada ferait disparaître tout ce petit monde. En tout cas ça
les ferait revenir sur terre et leur enlèverait cet air sérieux qu'ils se
donnent. Pour qui se prennent-ils ? Ils font de nous des esclaves pour
faire des millions à des gens qu'ils ne connaissent même pas et qu'ils ne
rencontreront jamais. Ils rendent notre vie misérable juste pour pouvoir se
prouver à eux-mêmes qu'ils sont capables de remporter un certain profit plus
élevé que l'année d'avant, alors qu'un autre imbécile jugé incompétent
s'occupait du département. Ces gens-là apprendraient tellement à aller vivre en
Iraq pour même quelques jours, ou en Afghanistan. Là où le peuple ne travaille que
pour se nourrir, se loger et se vêtir, et non pour des concepts dont personne
ne comprend
Ma perfect bitch
est en train de se maquiller maintenant, comme si tout son avenir en dépendait,
comme si elle avait été invitée ce soir à souper avec le Managing Director. Et
l'homme d'affaires à côté de moi est en train de lire ce que j'écris et semble
me le reprocher, comme si j'étais devenu par extension un de ses employés qui
n'a le droit de rien faire sauf travailler à son ordinateur toute la journée.
Mon jeune monsieur qui a de la classe lit son journal, j'ai envie de le
frapper. Ma lesbienne a arrêté de lire, elle regarde par la fenêtre. Ma Marketing
Manager semble retourner dans sa tête les événements de sa journée de travail,
ses interminables réunions où rien d'important ne se dit et où rien de concret
n'en ressort, pourtant nous n'avons jamais suffisamment de réunions selon eux,
il en faudrait toujours davantage, juste au cas où un mot nous aurait échappé.
Il faut dire que ces patrons n'ont pas grand-chose à faire de leur journée, ils
ne font que déléguer le travail, demander des dossiers, des rapports, des
programmes, des plans et des objectifs. Leur boulot est de nous tenir occupés,
nous assommer avec ces réunions et ces rapports à écrire qui ne seront lus par
personne.
Merde, j'ai un
livre complet à écrire en deux jours, j'y travaille jour et nuit. Aujourd'hui
ils demandaient l'impossible d'un autre employé, lui aussi a un livre à écrire
d'ici vendredi. Ils lui ont demandé si ça l'aiderait s'ils lui donnaient
jusqu'à lundi, autrement dit, ils veulent qu'il travaille tout le week-end
là-dessus et je suis convaincu que tout cela est inutile. Il avait l'air dégoûté
en affirmant qu'il travaillerait à la vitesse de la lumière pour faire tout ce
qu'ils lui demandaient d’écrire. Et je sais maintenant pourquoi tous ces gens
quittent, ce n'est pas tant le changement, le fait qu'ils avaient la vie facile
et qu'on leur demande maintenant de travailler un peu, mais bien parce que le
patron est en effet un tyran et qu'il veut tous nous achever à la tâche.
Pourtant il me semble
être un gentil père de famille, et je me demande pourquoi il a ainsi décidé de
sacrifier sa famille et ses enfants pour devenir notre chef de prison à double
plein temps. Et tu te dis que dans la tête de ces gens-là, ça ne tourne pas
rond et il souffre d'un problème psychologique profond, alors que du point de
vue du monde des affaires, il est un modèle à suivre, un succès de notre
civilisation moderne. Tout ça me fait vomir.
Je n'ai pas envie
d'embarquer dans leurs petits jeux, de me stresser pour rien alors que ce
qu'ils veulent peut très bien attendre une semaine de plus. Je ne veux pas devenir
un névrosé à leur image. Ces gens-là ont vraiment besoin de découvrir qu'il
existe quelque chose à l'extérieur de leur petit univers, et malheureusement
les événements du 11 septembre au World Trade Center de New York sont déjà tous
oubliés dans la mémoire collective.
29 octobre 2004
Vendredi, dernière
journée de ma deuxième semaine. Je ne croyais pas que j’allais être payé si
vite, mais j'ai reçu
Heureusement je ne
suis pas seul dans ma situation, le patron aime les rapports et il continue à
en demander à tout le monde, et tout le bureau est en panique absolue car ils
n'ont jamais eu à faire cela. Heureusement l'écriture me vient assez
facilement, et surtout l'imagination. Aucun doute, pour écrire un rapport, il
faut surtout avoir quelque chose à dire, et comme le tout doit venir de notre
tête, il faut savoir inventer et bullshiter notre way through. J'ai donc une
longueur d'avance sur tout le monde, et pour la première fois dans ma vie, je
pense que lorsque le patron a vu tous les livres que j'ai écrits, il s'est dit,
that's it, il me faut cet homme, il va m'écrire des briques assez facilement.
D'un autre côté cette idée ne m'enchante pas, car ce sera certes fort difficile
d'écrire des rapports de 20 pages en un temps record. Une semaine, celui-ci. Et
ce n'est pas encore terminé, je souhaite le finir aujourd'hui entre deux
réunions.
Stephen a passé une journée infernale hier et
il m'a fait subir son stress toute la soirée et ce matin. Il n'est point
capable de gérer son stress, et je vois maintenant que toutes ses crises
précédentes n'avaient rien à voir avec le fait que je ne travaillais pas. Il
est comme avant, même si maintenant il n'a plus cette pression de l'argent qui flotte
sur nos têtes. Même lorsque je travaille comme un malade, et que je fais encore
à manger, la vaisselle, le lavage, le repassage, m'occuper de l'eau et de la
bouffe des 5 chats, il n'est toujours pas content. La seule job qu'il lui reste
est de nourrir les deux serpents.
Il y a énormément de policiers en ce moment à
Londres. Lorsque l'on se tient quelque part, on en voit toujours au moins entre
2 à 6, toujours. J'ai compris hier que c'était dû sans doute aux élections
américaines qui ont lieu dans quelques jours. Ils pensent que les terroristes
vont attaquer. Je visionnais un programme sur l'Algérie, l'Égypte et l'Afghanistan
voilà quelques jours... et vraiment, je ne souhaiterais pas un tel état terroriste
ici à Londres, ou nulle part ailleurs dans le monde. Et je me suis rendu compte
qu'avec un site Internet qui s'appelle
Alors pourquoi
j'affirme des choses comme il serait temps qu'une bombe explose à Parliament
Square, pour que les employés avec qui je travaille se prennent moins au
sérieux et cessent de jouer leur petit jeu de la hiérarchie sociale (je suis le
directeur, nah, et toi tu n'es rien, alors fait ce que je te dis, nah!). C'est
simple, c'est de l'ironie, je m'amuse, du cynisme aussi peut-être, mais je ne
pense pas ce que je dis, c'est certain (même si ce n'est pas évident). Il y a
aussi que de travailler toute la journée au centre de Londres avec tout ce que
cela implique me déprime tellement que je passe mon temps à repasser en mes
idées les moyens à ma disposition pour me suicider. Malheureusement, je puis
dire maintenant qu'aucune des solutions à ma disposition n'est adéquate, je
n'oserais passer à l'acte. Alors j'ai certes ce désir de mourir indirectement
par des raisons externes, tel un acte terroriste. Mais bon, ça pourrait être
autre chose, mais ce n'est pas aussi romantique, grandiose, scandalisant,
effrayant, tel un opéra de Wagner.
Hier je réfléchissais à cette volonté de
mourir et je me disais qu'alors cela faisait de moi quelqu'un que l'on devrait
envoyer en Iraq, par exemple comme journaliste, car je n'ai certes pas peur de
mourir, je ne regretterais pas que l'on me fusille. Cependant aller en Iraq
serait un tel changement radical que je risque d'aimer cela et de ne plus
vouloir mourir, et alors je recommencerais à avoir peur de
Hier je lisais à propos des élections
américaines, et des systèmes de votes électroniques, et comment il pourrait y
avoir fraude. Et en plus, toutes les irrégularités des élections américaines
depuis plusieurs années, pratiquement toutes à l'avantage des républicains et
Bush, père et fils. Et soudainement j'ai perdu complète confiance en la
démocratie, je sais que Bush va encore gagner ses élections et qu'il n'y a plus
de différence entre le système politique américain et ceux que l'on retrouve en
Afrique. Ils ont juste trouvé un meilleur moyen pour cacher leur jeu et ne
semblent pas du tout s'inquiéter que l'on sache la vérité, en autant que l'on
ne puisse pas prouver qu'ils peuvent faire disparaître 14,000 votes d'un coup aussi
simplement que cela, en utilisant ces applications en partie financées par le
parti républicain.
C'est simple, je ne fais même plus confiance
aux sondages, il me semble dérisoire que Bush puisse avoir un pourcent de plus
que Kerry du parti démocrate, après tout ce qui s'est passé. Évidemment, si les
sondages disaient que Kerry est en avance, nous ne croirions pas les résultats
des élections. Et en ce moment les journalistes dénoncent le fait que tous les
derniers sondages indépendants disent que Kerry va gagner avec entre 1 %
et 5 %. Alors qui croire dans tout
cela ?
Je suis en ce moment au Hilton à Mayfair.
Commencé au Trader Vics avec des Tikka Pukka Pukka, et fini au Windows of The
World au 29ième étage avec Stephen. Je vais raconter cette soirée infernale
dans le train, à mon retour au travail demain.
Westminster, 8-9 nov
2004
Je dois être fatigué pour vrai ce soir, trois
personnes parlent dans mon compartiment, et bien qu'elles parlent l’anglais, je
ne comprends rien. On dirait du chinois, mais sans doute c'est de l'irlandais
ou scottish fort prononcé.
Bon, où en suis-je au travail? Rien de
nouveau, vraiment, bien que j'entame ma quatrième semaine. Enfin je suis prêt
pour ma réunion avec mon patron où l'on décidera sur quoi je travaillerai dans
les prochains mois, et alors mon vrai emploi commencera.
Je n'ai plus tellement envie de raconter ma
soirée de l'autre jour, ça fait une semaine maintenant et j'ai peine à me
souvenir de tout ce qui est survenu. Sauf que je n'ai pas dormi de la nuit et
que le lendemain j'étais malade comme un chien pendant 5 jours, et que j'ai
manqué 3 jours de travail (après deux semaines seulement, je pensais qu'ils
allaient me mettre à la porte).
Nous sommes sortis à Popstarz à King's Cross,
là où je sortais tous les vendredis soirs voilà 10 ans. À l'époque j'avais
beaucoup d'admirateurs, mais cette fois je n'en avais aucun. Il faut dire que
j'ai 32 ans, ils doivent avoir en moyenne 18 ans ceux qui sortent là
aujourd'hui, et je comprends maintenant pourquoi je ne sors plus. Bref, j'ai
vraiment eu l'impression que j'étais trop vieux et que je n'avais pas le droit
d'être à Popstarz. Je suppose que tout le monde avec qui je sortais alors ne
sort plus non plus, ou alors ils vont ailleurs et j'ignore où. Peu importe,
j'ai passé l'âge de vouloir sortir toutes les semaines.
Mais ce sont les personnes que nous avons
rencontrées avant Popstarz qui m'ont donné le plus grand mal de tête le lendemain,
lors de ma fièvre virulente. J'avais tellement honte de moi-même, saouls que
nous étions, Stephen et moi.
D'abord j'ai rencontré Stephen au Québec, un
pub gai à Marble Arch à Londres un peu sleazy et vieux. Jusque là, à part tous
ces vieux qui nous dévisageaient, rien de bien embarrassant ne s'est produit.
Puis nous avons pris un taxi jusqu'au Trader Vics.
J'ai eu une longue discussion avec l'homme dans
les toilettes qui vient des Philippines. Il m'a raconté sa vie en long et en
large, pendant que j'étais complètement saoul. Avec un salaire misérable de
Assis à côté de nous, au début de la soirée,
étaient deux femmes qui nous ont parlé l'instant d'un moment, pour savoir ce
que nous buvions : des Tikka Pukka Pukka, un drink bizarre fait avec
plusieurs sortes de rhum. Stephen était découragé de moi car je leur ai offert
d'y goûter, et selon lui, c’est comme si je leur avais dit des obscénités.
Comment pouvais-je savoir que d'offrir à un inconnu d'essayer notre drink était
une chose obscène au Trader Vics ? Stephen me disait que c'était justement
parce que nous étions au Trader Vics, un endroit où les gens ont de la classe
et là où il faut péter plus haut que le trou. Ouais. Ces deux femmes étaient
des délégués à une certaine conférence, et franchement cette idée ne
m'enchantait pas. Elles étaient américaines et réservées, elles ont vite quitté
et disaient qu'elles reviendraient plus tard pour essayer les Tikka Pukka
Pukka.
Alors deux autres femmes se sont assises à
côté de nous. Une Française qui, dans les premières 30 secondes, nous a lancé
qu'elle était propriétaire de sa propre entreprise. Well, well, elle a quelque
chose à prouver celle-là. En face d'elle se tenait une petite grosse Britannique
fatigante qui, lorsque la serveuse est venue prendre leur commande, a eu le
malheur de demander ce que c'était que nous buvions. Après un certain échange
qui a fini par nous mêler à la conversation (et où j'ai encore une fois proposé
à la grosse d’essayer mon Tikka Pukka Pukka (au grand désarroi de Stephen)),
j'ai lancé comme ça : vous devez être en Marketing ! Et avec un large
sourire elle ont dit oui. Ce type de personne, je connais trop bien. J'en ai
rencontré tout plein dans ma vie, le mot Marketing lui ressort par tous les
pores de la peau. Ces deux là ont radoté pendant une heure à discuter l'incompétence
des nouveaux employés qu’elles ont engagés. Pour la première fois j'ai compris
que le haut management devait s'amuser des heures et des heures à tous nous
juger, nous ridiculiser, et puis quoi encore, dans notre dos et en privé.
Quand
Mais c'est à ce moment qu’est entrée au
Trader Vics ce qui semblait être une princesse merveilleuse, accompagnée de
deux gros et gras hommes noirs, immanquablement ces gardes du corps. Je brûlais
de savoir qui elle était, mais je savais bien qu'au Trader Vics, tu dois agir
comme si les célébrités n'existaient pas, c'est implicite. Sinon, on risque de
te mettre à
Comme si ma soirée n'était pas déjà trop
remplie, nous avons rencontré un drôle de couple comme il y en a beaucoup à
Londres. Ils étaient trois assis dans le coin, deux femmes et un homme, nous
étions par la fenêtre juste à côté d'eux. Cette fois, ce n'est pas moi qui ai
fait les premiers pas, ils nous ont littéralement invités dans leur cercle.
C'est qu'il y avait un débat qui faisait rage, lequel des deux amants avait
raison. La femme a longtemps été la secrétaire du monsieur, ils sont tombés en
amour et l'homme a laissé sa femme et ses deux enfants pour elle. Mais voilà,
maintenant qu'il a fait ce sacrifice (peut-être un peu tard, je ne sais pas),
elle n'est plus amoureuse de lui, elle l'a laissé. Tout cela s'est passé voilà
environ dix ans, et semblerait qu'à l'occasion ils se revoient au centre ville
de Londres pour se convaincre qu'ils n'ont pas fait une erreur en se laissant définitivement.
Et alors, pourquoi ne pas demander l'avis de parfaits étrangers ? Nous
sommes incapables de nous comprendre, peut-être seront-ils en mesure de nous
aider ? Eh bien, Stephen et moi avons attentivement écouté les deux
versions, et à vrai dire l'homme en question, malgré son âge, est assez beau.
Considérant en plus le sacrifice qu'il a fait pour sa secrétaire, c'est
pratiquement criminel qu'elle l'ait laissé tomber, et nous lui avons dit.
Cependant, nous ne savons pas toute l'histoire, et semblerait que les deux
enfants et l'agissement de l'homme en question ont beaucoup joué dans sa
décision de le laisser. Une fois il l'a cachée dans le coffre de l'auto, si on
peut la croire.
Comme elle ne voulait pas être seule avec
lui, elle a emporté sa bonne amie avec elle qui vient de Glasgow. Elle était
une parfaite mais ferme blonde, policière en plus, qui travaille avec les
animaux. Elle ressemblait en tous points à une de ces poufiasses que l'on voit
à la télé dans ces émissions pour la rescousse d'animaux. La femme immaculée,
prête à arrêter n'importe qui alors même qu'elle est en vacances à Londres.
Cette sorte de personne qui n'est en fait jamais en vacances, et qui pense
qu'elle a l'autorité de faire respecter toutes les lois, peu importe où elle est
sur
Après cela, j'ai parlé avec deux avocates qui
semblaient être en manque d'amis et qui se sont montrées très intéressées à moi,
même si je me suis imposé. J’aurais certes pu faire l’amour à l’une d’entre
elles si j’avais voulu, si j’avais eu un quelconque intérêt, et belles, elles
l’étaient. Mais bien sûr, cela ne m’intéressait pas. Et j'ai parlé avec un gros
Américain con qui disait vouloir voter pour Bush, et qui en plus semblait venir
du Texas. Si j'avais pu, je l'aurais balancé par la fenêtre. Malheureusement
les fenêtres ne s’ouvrent pas au Windows of the World de Londres (celles de New
York n’existent plus, le Windows of the World du World Trade Center n’est plus,
et j’y étais, au 101ième étage, en voyage d’affaires, six mois avant sa
destruction absolue).
Enfin, on
rencontre toute sorte de monde lorsque l'on sort à Londres dans ces endroits
chics. J'ai parlé à bien plus de gens que lorsque je sortais dans les clubs
voilà dix ans. Je devrais peut-être sortir plus souvent, mais finalement c'est
d'un intérêt limité. Tout le monde se ressemble et ont pratiquement la même
histoire à raconter, et c'est une histoire plate à mourir.
10 nov 2004
La routine qui tue. Comment pourrais-je ne
pas en parler ce soir, lorsque deux jours en ligne j'ai fait exactement la même
chose de A jusqu'à Z, à la minute près. Sauf peut-être ce que j'écris ici.
Pourtant je l'écris dans un compartiment de train où exactement les mêmes
personnes qu'hier sont assises. Je n'ai même plus la gêne d'ouvrir mon clavier
et mon Compaq iPaq, ils me connaissent maintenant, ils sont habitués. Je sais
même à quelles stations ils arrêtent. Mon vieux bonhomme arrête à Brentford,
mon gros constructeur bâti arrête à Isleworth comme la plupart des autres, et
une des filles sort à Putney.
Sur l'heure du midi je suis allé chez
McDonald de l'autre côté du pont du Parlement, près de
De toute manière
je n'ai plus d'honneur ou de fierté, je m'en balance pas mal que l'on pense et
sache que je n'ai pas un sou et que je compte mes cents, ou plutôt mes pennies.
Mais bref, je n'ai pas du tout aimé cette sensation de répéter la même chose
qu'hier jusque dans les moindres détails. Ça me tue, pourtant ce n'est que deux
jours en ligne. C'est déjà trop, c'est inacceptable, sans compter la peur que
cette journée soit répétée à l'infinie pendant des semaines, des mois, voire
des années. Ça m'avait pris bien plus de temps, lors de mon dernier emploi dans
les conférences, avant de me rendre compte que j'étais entré dans une routine
et qu'il me fallait trouver des portes de sortie. Cette fois, ça m’a pris moins
d'un mois, et je trouve cela très souffrant. Je ne comprends pas comment les
autres arrivent à survivre, à répéter la même journée pendant des années.
Ça me donne juste envie de faire comme cet
autre homme gai cuisinier qui a décidé de se stationner sur une ligne de train
rapide entre Paddington et Reading, mourant sur le coup. Les gens l'ont blâmé
parce que le train a déraillé et que six autres personnes sont mortes, alors
que j'aurais cru que personne d'autre ne mourrait. Je pense que le suicidé
ignorait lui aussi quelles auraient pu être les vraies conséquences de son acte
désespéré, mais en ce moment les médias disent que non seulement il voulait se
suicider, mais en plus il voulait tuer d'autres personnes. Bref, quelle bonne
idée que de placer son auto sur la voie ferrée, plus facile me semble-t-il que
de se lancer sur les rails. Malheureusement, je sais maintenant que ça risque
de tuer des innocents, alors cette façon de se suicider est à oublier. Tout
cela pour dire que je ne supporte pas la routine et que je ne sais pas quoi
faire pour m'en sortir. J'ai passé près de visiter l'aquarium de Londres
aujourd'hui plutôt que d'aller chez McDonald, juste pour faire différent, et je
pense que vendredi je le ferai.
Je serais également prêt à accepter cette
routine telle une sentence de prison, si le soir durant la semaine j'avais la
liberté de faire des choses différentes afin de ne pas avoir l'impression que
je répète sans cesse les mêmes choses, mais malheureusement je n'ai pas le
temps de faire autre chose que de me préparer pour le lendemain, répondre à mes
quelques e-mails avant d'aller me coucher. Ainsi il n'y a pas moyen de m'en
sortir, seuls mes week-ends seront différents, et ça ne me laisse pas beaucoup
de temps à moi ou mes projets. C'est vraiment décourageant.
11 nov 2004
J'arrive d'une célébration sur
J'ai finalement eu ma première grosse réunion
avec mon patron depuis la rencontre initiale où j'ai manqué faire une crise
cardiaque parce qu'il m'a demandé mer et monde. Et voilà, aujourd'hui c'était
comme la fin de toutes ces choses que je devais faire, la fin de ma lune de
miel. Il va lire cela ce soir, tous mes rapports. Dort-il, arrête-t-il de
travailler de temps en temps ? Je ne crois pas. Et demain nous allons
discuter les conférences sur lesquelles je vais travailler. Je dois dire qu'il
m'impressionne par sa capacité de tout garder en tête et de recracher des comptes-rendus
et résumés forts concis de l'ensemble de nos conversations. Bref, il a une
grande capacité à évaluer tout le travail et de faire une synthèse.
Ça m'a pris un mois à figurer ce qui se passe
dans l'organisation, à rencontrer tout le monde et à établir la liste des
projets et objectifs à atteindre pour les 6 prochains mois. Eh bien,
aujourd'hui il savait déjà sur quoi j'allais travailler, il a lui-même réussit
à faire la même chose que moi en parallèle des 1001 choses dont il est
responsable. En fin de compte, tout ce que j'ai fait depuis que j'ai commencé,
semble-t-il, n'était que pour lui prouver que je n'étais pas incompétent, que
j'arriverais aux mêmes conclusions que lui, et aussi que je savais comment
produire une conférence (ce rapport de 26 pages que j'ai écrit et que personne
ne lira). Je dois donc admettre que l'homme sait ce qu'il fait, qu'il a le
cerveau pour diriger la baraque, et qu’il va produire des résultats assez tôt
et tout chambarder pour le mieux (je l'espère du moins, bof, en fait je m'en
contrefous complètement).
Des nouvelles aujourd'hui, à propos du
deuxième au pouvoir, j'ai osé demander à Anita si Watson était gai. Je n'avais
rien à perdre, demain est sa dernière journée pour un bout de temps. Elle m'a
confirmé qu'implicitement tout le monde sait qu'il est gai, même s'il ne l'a
pas ouvertement annoncé à tout le monde. Il parle de son partenaire, jamais de
sa femme ou de sa blonde. Cependant, je sais maintenant qu'il a un partenaire,
ainsi je n'ai plus rien à espérer avec lui, et sans doute cela est une bonne
chose. De toute manière, à la première occasion je vais lui avouer que je suis
gai, on verra bien les résultats. C'est pas comme s'il allait le dire à tout le
monde, dans la situation où il est. C'est clair que si personne ne le sait
officiellement, si je lui demandais directement, il se désisterait et me dirait
que c'est personnel. Ainsi je devrai lui dire que je le suis avant de lui
demander, et encore, il pourrait choisir de ne rien me dire, car il juge que
son avenir dans l'organisation dépend de son silence.
Comme il était le grand directeur pendant
plusieurs mois, il a certes toutes les raisons de croire qu'il sera un jour
grand directeur, sauf si soudainement tout le monde sait qu'il est gai. Mais
tout cela est fort ridicule, car tout le monde sait qu'il est gai, c'est écrit
sur son front. Pendant ce temps, tout le monde pense que je suis hétéro, et
qu'en plus je cours après l'assistante du grand directeur, la fille du Brésil.
C'est que je ne suis pas discret avec mes compliments, mais je pense ce que je
dis. Ce sont eux les pervers, s'ils lisent à travers mes compliments que je
voudrais lui faire l'amour. De toute manière, elle ne manque jamais une
occasion de nous parler de son mari merveilleux et riche qui l'emporte dans les
meilleurs restaurants de la ville.
Triste que je parlerais enfin en toute
honnêteté de mon homosexualité avec Watson, le jour où je changerai de bureau
et que je ne le verrai plus. Triste aussi que cette fois-ci, j'avais
l'intention d'annoncer à tout le monde au travail que j'étais gai, mais que
finalement je n'ai jamais trouvé le courage, et on dirait qu'en ce moment il
est trop tard. Pourtant Anita me disait que trois autres au moins sont gais et
ils sortent souvent ensemble pour manger sur l'heure du dîner. Je pense que je
sais de qui elle parle, et ils semblent être de vraies bitches. Je n'ai pas
l'impression que je serais le bienvenu dans leur cercle, et à vrai dire je n'ai
même pas envie de tenter de m'y intégrer.
Nous sommes allés au restaurant ce midi, une pizzeria
dégueulasse à Victoria pour célébrer le départ d'Anita. J'ignorais que cela me
coûterait
Voilà, je suis arrivé à Isleworth, mon bébé
sera là avec son auto pour me prendre. Il arrive d'Hammersmith pour un travail,
le pauvre.
12 novembre 2004
Quel
misérable jour, aujourd'hui. D'habitude j'aime la pluie, mais ce matin je
voulais tellement demeurer à
J'écoutais
Bridget Jones's Diary ce matin, le premier film, car le deuxième vient de
sortir au cinéma et les critiques disent que c'est pourri. Je n'en crois rien,
comment le deuxième pourrait être merdique alors que le premier est si parfait?
En tout cas, ils ont certes encapsulé mon existence à Londres en milieu de
travail, ça m'encourage à quelque part qu'ils aient identifié tous les problèmes
reliés à l'emploi à Londres, bien qu'ils n'en parlent pas, ils nous le
montrent. Dans le fond, je ne vois que les acteurs, que j'aime bien.
Encore
la routine ce matin, un autre jour de
C'est comme ce rêve que j'ai fait dernièrement,
où soudainement je décidais de briser la boucle, commençant à comprendre que
les événements de ma vie recommençaient sans cesse, bien que quelque peu
différent chaque fois, et que mes déjà-vu soudainement me faisaient comprendre
que j'étais prisonnier d'une réalité amère où la destinée semblait s'amusait
avec moi. J’en ai écrit un scénario de film complet, et plusieurs maisons de
production sont intéressées à le produire. Je ne voulais plus jouer ce jeu, je
cherchais des portes de sorties de cette bulle artificielle. J'ai sauté sur un
escalier roulant, puis un autre qui allait dans l'autre direction, et j'ai vu
des portes de verre que je n'avais jamais remarquées auparavant. De l'autre
côté se tenait ma liberté, la brisure de ce jeu grotesque qu'est cette
existence. Où j'apprenais que tout le monde dans ma vie n'était que des acteurs
préprogrammés par un ordinateur, et qu'ils tentaient de me faire oublier par
tous les moyens qu'il existe autre chose que cette futile existence. Et je le
crois, nous sommes complètement aveuglés par les problèmes quotidiens, nos
émotions, nos tracas, la nécessité de développer ces relations humaines et de
se battre pour notre survie. Ainsi, s'il existe une simple porte qui nous
ouvrirait à un tout nouvel univers, loin de cette réalité actuelle, on ne la
verrait pas, même si elle était cachée en pleine lumière, directement en face
de nous. Est-ce que ce sont les films de
Comment
faire pour que ma journée d'aujourd’hui soit moins routinière, sans pour autant
que je me lance dans la tamise en marchant au-dessus du Westminster Bridge? Premièrement
c'est vendredi, et je n'ai pas ce stupide costume de clown sur le dos (habit et
cravate). Je vais arriver à 9h40 plutôt que 9h10, car j'ai pris le deuxième
train, et c'est ok, je vais juste finir à 17h30 au lieu de 17h. Au moins il y a
flexibilité dans ma prison et ma sentence. Joie. À part cela j'ai l'intention
de ne rien faire aujourd'hui au travail, car je voulais demeurer à la maison
pour ma santé mentale, et je ne l'ai pas fait. Alors je vais tenter par tous
les moyens de faire passer le temps rapidement sans travailler sur ces
conférences. Sauf bien sûr lors de ma réunion avec le patron.
J'ai emporté mon avant-dernier livre publié
qui mentionne en arrière que je suis gai, je vais le montrer à Watson si j'ai
La
journée est enfin terminée. Et quelle journée ! Je pense que je devrai
dormir longtemps et profondément afin de comprendre exactement comment et
combien j'ai été humilié ce soir. Sans compter, qu'encore une fois, j'ai honte
de moi-même, mais je suis suffisamment saoul pour ne pas avoir honte et,
plutôt, exprimer de la colère contre autrui.
Aurais-je envie de me suicider après tant
d'humiliation? Oui. Le ferais-je? Non. Parce que je connais trop bien cette
planète maintenant, elle est remplie de gens coincés. Et j'ai rencontré les
deux plus coincés de la planète ce soir. Mon directeur et un idiot au rétro
bar. Le tout lundi prochain.
13 novembre 2004
Je
n’arrive pas à comprendre ce qui s’est produit hier, non plus à tenter
d’expliquer à quels niveaux il faut comprendre le tout. J’ai également peur de
faire des parallèles entre ce qui s’est produit au bureau et au Rétro Bar après
coup, près de Charring Cross. Finalement, je risque fort de faire une grande
généralisation hâtive pour en arriver à décrire l’humanité au complet, et
comment pourri le tout est devenu sur cette planète. Et certes, tout dépend du
point de vue, du si vous avez 18 ans et tout le monde veut vous parler, ou 32
ans et plus personne ne peut même supporter votre vue, encore moins répondre à
des questions personnelles impertinentes que seules les célébrités et les
jeunes beautés semblent avoir le droit de poser.
Eh
bien, je n’ai pas changé en 15 ans, même si le peuple semble avoir changé
d’attitude à mon endroit. Ainsi, au lieu de raconter ce que j’apprends de mes
relations avec autrui, je vais maintenant radoter à propos du comment le monde
est devenu impatient et rude. Il est impossible de soutirer quoi que ce soit de
qui que ce soit, mais alors on apprend sur les relations humaines qui ont pris
le bord.
Bref,
une longue introduction pour une petite histoire qui m’a fait me retourner bien
des fois cette nuit, où ma culpabilité a pris le dessus. Dommage que le seul
moyen pour moi d’apprendre des autres aujourd’hui, est de courir le risque de
me faire rejeter royalement et de regretter le lendemain tout ce que j’ai dit, ainsi
que mon audace. Il semble qu’avec la perte de la jeunesse et de la beauté, plus
personne ne veut te parler, ou même avouer que tu existes, et j’en arrive à
comprendre qu’en milieu de travail c’est la même chose. Mais comme ces gens
sont justement tes collègues, ils doivent faire un effort inouïe pour demeurer
polis, alors que bien franchement ils auraient juste l’envie de t’envoyer chier
aussi férocement que ce con de Britannique que j’ai rencontré au Rétro Bar. Un
autre endroit où je n’irai plus jamais, car c’est la deuxième fois je crois que
je doive quitter les lieux parce que je semble poser les mauvaises questions
aux mauvaises personnes.
Bon,
j’avoue qu’il est vrai que je parle bien trop, surtout une fois saoul, et que
je suis incapable de me contrôler. J’identifie immédiatement tous les problèmes
embarrassants de tout le monde, ceux qu’ils n’osent même s’avouer, et alors le
tout tourne au vinaigre. Enfin, par où commencer?
Un
vendredi routinier comme les autres, semblerait que ma peur du jour de la
marmotte a pris un tournant pour le pire. Ainsi, j’ai comme décidé
inconsciemment de tout bousiller, sortir de mon arbre et d’embarrasser le bon
peuple londonien rempli de problèmes inavouables, au point où la bonne
hypocrisie anglaise n’existe plus. Il aurait fallu leur dire que j’arrivais en
ville voilà 10 ans, un petit resserrement dans les lois de l’immigration
m’aurait fait retourner au Canada depuis longtemps. Malheureusement pour eux,
ils ne l’ont pas fait, au contraire, ils ont changé les lois sur l’immigration
des gais et leurs partenaires, et je suis encore ici à les insulter
quotidiennement, et je le regrette amèrement, un peu.
Deuxième
tentative. Un vendredi routinier comme les autres, mais au lieu de retourner à
la maison le plus vite possible comme d’habitude à 17h, je suis demeuré jusqu’à
18h30, en attendant d’aller prendre une bière avec mes collègues dans le pub de
l'organisation au deuxième étage. Bon, ça n’a pas été complètement peine
perdue, mon patron à la dernière minute m’a demandé de venir dans son bureau,
il voulait un mot. D’habitude cela est synonyme de problème, mais au contraire
il voulait me complimenter sur mon travail. Il m’a affirmé que ce que j’avais
fait depuis un mois était tout simplement impressionnant, à tel point qu’il va
avoir une réunion générale lundi avec tous les directeurs, où il va leur faire
une morale insupportable en leur montrant tout ce que j’ai fait, tel un exemple
à suivre de ce qu’ils doivent faire dans leurs groupes. Il m’a cependant mis en
garde, qu’ils vont maintenant tous me détester, un peu parce que je vais ainsi
devenir le Teacher’s Pet, le chouchou de
Ainsi,
comme si soudainement j’avais réussi à avoir un peu de respect et à être
reconnu pour mon potentiel, mon cerveau s’est comme dit : il est temps de
tout bousiller. Ou alors mon cerveau se disait, nous sommes en sécurité
maintenant, prenons quelques risques, de très grands risques, pour que justement
le jeu devienne plus intéressant, pour que je ne m’endorme pas pour toujours,
parce que ma vie est trop plate.
Alors
j’ai montré mon livre Un Québécois à Paris à mon cher Watson, le gai coincé qui
n’ose pas l’avouer de peur que ses chances de monter dans la hiérarchie meurent
avant même qu’il n’ait eu la chance d’apprécier être le directeur remplaçant de
la compagnie pour six mois. Alors il a compris que j’étais gai, comme lui. Mais
il n’a rien dit. Je ne m’attendais pas à ce qu’il m’avoue le tout sur le champ.
Voilà pourquoi j’ai dû aller ensuite à cette drinking session, pour célébrer
les six employés qui quittent cette semaine (ou était-ce dix ? Ils
quittent en série en ce moment). Et rendu là, une petite conversation avec ma
Brésilienne a tourné au drame d’horreur. Elle disait avoir une théorie sur moi,
mais n’osait pas me
J’ai
pris d’attaque notre pauvre Watson, et comme je l’avais prévu, il n’a rien dit
à propos de sa vie privée. Cependant, il était également incapable de mentir,
et me disait alors que c’était personnel. Quand j’ai suggéré assez directement
qu’il avait un partenaire, il m’a corrigé pour me dire qu’il n’avait rien dit
de la sorte. À partir de ce moment, j’étais déjà très amoché. Une pinte de
bière et trois grands verres de vin rouge, et une autre pinte je crois, je ne
me souviens plus. Le mélange était assez explosif. Et c’est comme si mes
expériences passées où j’étais complètement saoul, et où j’ai insulté toute la
compagnie, n’avaient jamais existées (on apprend très lentement dans cette
existence). Mais voilà, si Watson n’osait rien m’avouer, tous ses autres petits
amis gais de l'organisation lui tournaient autour, c’était assez évident. Et je
n’ai eu à l’avouer qu’à l’un d’entre eux avant que tous les autres le sachent.
Quand j’ai quitté, une tapette du Marketing, ou ressources humaines, m’a suivi
en dehors de la salle et m’a dit : you are leaving? J’étais fort surpris
qu’il sache mon nom, il a passé son temps à m’ignorer complètement depuis un
mois, et j’ignore encore son nom.
Donc
lundi je commence une nouvelle semaine, où la perception que les gens ont de
moi va changer du tout au tout. Un, je suis gai, deux, je suis le chouchou du
grand directeur que tout le monde déteste. Ils vont finir par me jeter du
troisième étage, aucun doute. S’ils ont réussi à ignorer mon existence
jusqu’ici, je serai le gossip numéro un de toute l’organisation ce lundi
prochain. Seul moi suis capable de me mettre dans un tel pétrin. Je ne
changerai jamais. J’espère juste que je n’ai pas dit des choses que je n’aurais
pas dû dire, et que je ne suis pas plus enfoncé encore que je ne le sais pour
l’instant.
Comme
si je n’en avais pas suffisamment fait dans l'organisation, voilà que je devais
continuer mes déboires au Rétro Bar. Eh bien, la musique était peut-être bonne,
mais les gens qui y vont font vraiment chier. Pourtant le tout avait bien
commencé. J’ai osé identifier immédiatement la fille la plus intéressante du
bar, et je suis allé lui parler. Elle était bizarre, elle ressemblait à
Virginia Wolfe, elle aurait été mieux dans ce film que Nicole Kidman. En plus
elle était à moitié Française. Je lui ai montré mon livre, et elle m’a demandé
si elle pouvait le garder. Sur le coup j’ai dit non, c’était mon dernier
exemplaire. Mais je ne pouvais pas lui refuser cela, elle parle français en
plus. Et après je ne regrettais pas, parce qu’elle travaille pour le journal
The Observer. Non pas que je pense que cela changera quoi que ce soit, mais
enfin bon, on ne sait jamais.
Elle
était l’amie d’une lesbienne qui m’a semblée également fort intéressante, et
nous avons beaucoup parlé. Mais avec eux il y avait un autre couple, et un gai
vraiment con. Il était évident que le gai était en amour avec le mari de
l’autre fille, et comme je suis assez incontinent, je l’ai pratiquement crié
tout haut. Peu après le gai en question m’a rudement dit qu’il ne savait pas
qui j’étais et qu’il ne voulait pas me connaître. Il m’a carrément dit de
sacrer le camp, et je l’ai fait, car j’ai encore de l’orgueil. Ça m’a bien
ébranlé, mais aujourd’hui j’arrive à voir clair, ce n’était pas un acte gratuit
de pure méchanceté de la part d’autrui, j’ai dû sans le savoir le blesser. Bon,
si je suis responsable de sa crise, en tout cas j’ai dû lui ouvrir les yeux.
Sinon, tant pis, je m’en fous. Ils peuvent tous crever tant qu’à moi.
Sur le
coup j’ai soudainement compris pourquoi certains rejetés de la société décident
de prendre un fusil pour en exterminer plusieurs. Il faut comprendre combien
certaines personnes sont toujours repoussées et rejetées au point où il leur
devient impossible de ne pas penser à tuer tout le monde. Leur vision de ce
qu’est l’humanité est noire, et non moins valide que l’idée qu’un optimiste
s’en fait.
Aujourd’hui
je voulais disparaître dans un trou, déménager loin de toute population. Si je
voyais une seule personne, c’était déjà trop. Je suis moins extrémiste
aujourd’hui, mais j’aimerais certes ne plus avoir à faire avec autrui. Leur
regard, leur jugement, même lorsque je monte ou descend les escaliers roulants
de ces stations comme Westminster. Le tout devient insupportable, au point où
maintenant j’évite de regarder autrui, et ainsi j’espère les faire disparaître
de ma vie. Mais cela est un rêve trop beau pour devenir réalité.
Oh,
pendant que j’y pense, Stephen qui m’a attendu tout le vendredi soir
patiemment, et que j’aime plus depuis les derniers événements (ainsi que nos
cinq chats), pense maintenant que son grand patron, qui l’apprécie grandement, veuille
le nommer Sales Manager chez Mercedes. Et ainsi il deviendrait le superviseur de
tous ces imbéciles qui lui ont mené la vie dure ces derniers mois. Si c’est
vraiment le cas, ce serait une de ces ironies de l’existence dont je me ferais
un plaisir de raconter ici. La semaine prochaine devrait être intéressante, peu
importe nos succès et nos déboires.
Westminster, 16 nov 2004
Les
nouveaux développements au travail. Rien de bien particulier. Je n'ai pas vu de
changement dans le comportement des directeurs, j'ignore si le grand patron a
vanté mes mérites ou non à cette réunion hier. Pour ce qui est de Watson, il ne
me parle pratiquement plus ni ne me regarde, je ne sais pas si c'est un signe
de complicité (faisons semblant de ne pas se connaître pour ne pas éveiller les
soupçons) ou plutôt un désintéressement absolu. C'est peut-être aussi qu'il a
peur de me parler, de peur que l'on sache qu'il est gai. Bref, je l'oublie
complètement, je n'ai pas de temps à perdre avec ces enfantillages, il me
parlera lorsqu'il sera prêt et non traumatisé.
Hier
j'ai assisté à ma première réunion à propos d'une conférence que je suis
supposé reprendre, alors qu'elle est pratiquement terminée et que je n'ai
aucune idée de ce que c'est. J'avais l'air d'un con dans cette réunion, car
j'ignorais ce que je faisais là, et en plus, ça a fini vers 19h (ces gens-là
sont incapables d'avoir des réunions durant la journée sur les heures de
bureau?).
En
plus mon patron voulait une réunion rapide après coup pour savoir ce que j'en
pensais. Merde, je n'en pensais rien, je n'ai rien compris à ce qui se passait.
Et comme il m'a interdit de rencontrer le département de conférences, je n'ai
encore aucune idée du comment ils font leurs conférences. Bref, comment
pourrais-je les juger ou dire comment améliorer le tout?
Peu
importe, la nuit dernière mon cerveau s'est mis en fonction, et ce matin j'ai
écrit 4 pages de radotages sur ce que je pensais de cette misérable conférence
et comment améliorer le tout. J'espère que je ne suis pas tout à fait à côté de
la voie, et qu'il appréciera tout autant mon zèle. Si je puis lui prouver que
je suis indispensable à tous les niveaux, et que je devrais faire partie de la
direction, avec un peu de chance, la femme en charge des conférences partira et
je prendrai sa place. Et j'espère qu'elle emportera avec elle tous ses
fainéants et que je serai en charge de trouver de nouveaux employés que je
pourrai contrôler au doigt et à l'oeil. N’est-ce pas là la leçon que nous avons
toujours apprise à travers nos divers emplois dans ces compagnies capitalistes
qui n'ont jamais suffisamment de millions ? À mon tour maintenant de jouer
ce jeu, d'écrire quelques petits rapports innocents qui seront utilisés pour
anéantir des années de travail acharnées dans l'organisation, et qui certes
feront déguerpir tout le monde que je le veuille ou non, car il est impossible
pour quelqu'un qui a eu la vie facile pendant autant de temps, de soudainement
se compliquer l'existence au point où je le demande dans mon manuel de
procédures. Alors je passe pour le monstre, mais pourtant, je ne suis qu'un
simple outil de mon patron qui semble avoir une vendetta contre l'organisation
au complet. Alors je dois jouer son jeu, tout en prétendant ne pas le jouer.
Car je vois bien que mon petit Watson semble être à la tête de la résistance,
où tout ce monde qui déteste le patron se recueille ensemble pour lui cracher
dessus et comploter dans son dos. Et Watson en ce moment doit être convaincu
que je suis le chien de garde du patron, alors qu'au contraire, je suis
quelqu'un qui voudrait obéir à la loi du moindre effort.
Au
diable mon manuel du comment faire la conférence parfaite, je suis le premier à
ne rien respecter de ce que j'ai écrit. De toute manière, ce n'est même pas moi
qui l'ai écrit, c'est composé d'un paquet de fichiers que j'ai recueillis dans
mes emplois précédents. J'ai rencontré un de mes anciens collègues aujourd'hui,
et il me disait que ça s'appelait l'expérience. Ainsi j'ai compris que c'est
exactement ce que fait la direction, elle trouve l'info appropriée dans
certains livres, et semble briller en rapportant tout cela comme s'ils avaient
écrit le tout.
Une
drôle de coïncidence que d'avoir rencontré Leigh aujourd'hui à Westminster. Il
a été mis dehors avec les autres producteurs, juste après que j'aie quitté mon
emploi voilà quelques années. Il travaille maintenant dans les ventes à
Hampshire et se rend souvent à des conférences au Parliament Square. Ainsi je
le reverrai sans doute, il a parfois des conférences dans mon bâtiment. C'est
un monde très petit, faut croire. Il pense que notre rencontre n'est pas une
coïncidence, mais pour l'instant je ne vois pas ce que cette rencontre va
changer à ma vie, bien qu'il me disait que de m'avoir rencontré allait
influencer ses décisions futures à propos de savoir s'il devrait abandonner le
monde merveilleux des ventes pour continuer à écrire de la musique
professionnellement. Je lui ai donc souhaité bonne chance. Nous planifierons
peut-être des retrouvailles, avec les différents collègues avec qui nous avons
travaillé à l'époque.
Je
suis dans le train, en route vers
Lundi 22 novembre 2004
Lundi
matin, je ne sais plus où j'en suis, combien de semaines je travaille dans
cette organisation. Tout ce que je sais, est que soudainement je
me suis levé stressé à mort avec l'idée fixe d'arriver au travail avant 9h,
tout ça parce que mon patron disait vendredi qu'il voulait que l'on arrive au
travail à 9h, encore mieux 8h30, et idéalement à 8h. C'est que j'ai eu le
malheur d'aller prendre une bière avec
Il a fait toutes sortes de commentaires, comme
quoi nous n'avions pas le droit de porter de jeans même si c'est le dress down
policy le vendredi, et que tout le monde malheureusement quittait en trombe dès
qu'il est 17h. Il aime répéter que lors de son premier jour, lorsque 17h a
sonné au Big Ben, il pensait qu'il y avait une alerte à la bombe, car tout le monde
sortait du bâtiment. Quel enfer cela devait être lorsqu'il était Managing
Director, et le top Directeur Commercial et du Développement de toutes ces
grandes organisations. Un peu de sa psychologie de patron, et voilà, une armée
d'employés n'a plus de vie sociale. Ils arrivent à 8h le matin et quittent à 21h
le soir. Et ça marche tellement bien ! Le stress ce matin pour que
j'arrive à l'heure, ça m'a mis d'une humeur désastreuse. Il faut dire qu'il n'y
avait plus d'eau chaude (l'Angleterre et son système de chauffage d'eau manuel
merdique) et quoi encore, tout allait mal. Je n'arrive pas à comprendre
pourquoi j'embarque dans son jeu mesquin de patron pourri jusqu'à l'os.
Peut-être que je ne veux pas qu'il pense qu'il a fait une erreur en m'engageant ?
Je devais être le blue eye boy, l'exemple parfait pour les autres. Celui qui
vient du monde commercial et qui travaille du matin jusqu'au soir, et même la
nuit, et qui performe comme jamais on n'a vu ça. Je devais leur prouver que mes
conférences sont dix fois meilleures, qu'elles allaient rapporter 400 % de
profit sur le retour en investissement. Bref, je suis celui dont il a vanté
tous les mérites devant tous les directeurs : voici comment vous devez
être, regardez tout ce que ce jeune homme a réussi à faire en moins d'un mois.
Cependant il a parlé trop vite, et il semblait dire cela vendredi soir. Je suis
un être humain comme les autres, et je suis à deux doigts de crier, comme mon
autre patronne Rachelle : j'arrive tôt le matin pour pouvoir quitter le
soir à l'heure, et non pour avoir une réunion à 17h30 et quitter à 20h !
Que je l'admire pour ainsi crier ce qu'elle pense, et agir en conséquence.
Cependant elle travaille là depuis quelques années, et elle n'a plus à faire
ses preuves. Moi j'ai tout à prouver, la première des choses, que Sherlock n'a
pas fait d'erreur en m'engageant. Malheureusement je pense qu'il a fait
l'erreur du siècle, je suis un véritable petit anarchiste et je veux en faire
le moins possible. En plus, je n'ai aucun respect pour l'autorité, et ses
petits jeux d'esprit ne trouveront pas preneur chez moi. Je ne ferai pas plus
de stress que durant mon premier mois, j'arriverai au travail à l'heure où
j'arriverai, je partirai à l'heure, sans faire d'heures supplémentaires. Sinon
je suis foutu. Je devrai travailler comme un malade jusqu'à la fin de mes
jours.
Ce qui
est intéressant est que
Quoi
d'autres Sherlock a dit ce vendredi qui embarrassait tout le monde, surtout
Jackie sa PA. Nous avons parlé des drogues, d'Amsterdam où les lois sont plus
relaxes (c'est lui qui tentait de convaincre le peuple que le système des
Pays-Bas fonctionnait mieux que celui de l'Angleterre), et quoi d’autres aussi?
Rien de bien important. Sauf que j'ai dit suffisamment de conneries que le
lendemain j'en étais encore rouge de honte, alors que vraiment je devrais m'en
foutre complètement.
Qu'est-ce
que ça change à ma vie que mon patron comprenne que je ne suis pas parfait ?
Que je suis comme les autres, un fainéant qui ne veut absolument rien faire ?
Est-ce mon problème s'il en vient à constater que mes conférences sont
royalement en retard et qu'il a fait une erreur en m'engageant ? J'ai
encore une certaine fierté, un honneur. Je ne puis tout simplement ne rien
faire. Je vais donc travailler fort, mais je n'embarquerai pas dans ses jeux.
C'est de l'enfantillage pur et simple. Mais voilà, les patrons n'ont que cela à
faire, jouer des petits jeux d'esprit afin de créer du stress.
22 nov 04 Partie 2
Il est
16h13, j’t’écoeuré comme c’est pas possible. Ce que je donnerais pour décrisser
tout de suite. Quand bien même je me serais enflé la tête après le discours de
mon patron vendredi dernier, et que j’avais décidé de prendre toute une série
de nouvelles résolutions, comme d’arriver à 8h le matin et de partir à 20h le
soir, en pratique je vois bien que je n’aurais rien respecté de tout cela. Il
me reste encore une heure et j’ignore quoi faire de ma peau, voilà pourquoi
j’écris mon livre à la place de travailler. Pourtant j’ai une conférence de
trois jours à produire en moins de 30 jours, il me faudra un miracle pour
accomplir ça. Je m’en contrefous éperdument.
J’ai
un grand besoin de m’évader loin de cette réalité. Vendredi, je suis allé
acheter un jeu PC sur Sherlock Holmes, malheureusement j’ai passé au travers ce
week-end et je ne sais plus comment m’évader les soirs de cette semaine. En
tout cas je vais aller télécharger les histoires de Sherlock Holmes sur
l’Internet, et je vais placer ces fichiers sur mon Compaq iPaq. Je suis en
crise de lire du Sir Arthur Conan Doyle en ce moment, c’est la seule chose qui
me maintienne encore en vie.
J’ignore
pourquoi je suis en crise permanente, surtout que je sais maintenant sur quoi
je dois travailler. Mais le sujet est tellement vague et infini, et j’ignore
tellement par où commencer, que je ne commence pas, tout simplement. Il faudra
bien que je m’y mette, éventuellement. Notre petit Watson vient de nous
signifier carrément que nous parlions trop dans ce bureau et qu’il ne pouvait
pas travailler. Monsieur doit écrire un rapport et a besoin de concentration.
Je connais
Je ne
puis plus supporter la vue de ce Watson, le regarder me donne de l’urticaire.
Que j’aie pu penser même un instant qu’il serait peut-être intéressant pour
moi, même comme allié, est incompréhensible. Heureusement nous changeons de
bureau ce week-end et je ne le reverrai plus. Je serai avec Sherlock (qui est
toujours en réunion de toute manière), ainsi qu’avec Rachelle et Jackie.
Rachelle parle tout le temps, nous ne ferons absolument rien, c’est officiel, elle
semble avoir beaucoup de temps à perdre. Jackie semble avoir plus de travail à
faire et il est difficile pour elle de parler toute
23 nov 2004
Je
dois écrire ceci, comme ce que j’ai écrit hier, entre les lignes du fichier sur
lequel je travaille au bureau. Non seulement cela, nous n’avons pas
d’ordinateur, juste une sorte de station virtuelle sans possibilité
d’enregistrer sur un floppy disk ce que nous faisons. Ainsi je dois m’envoyer
par e-mail ce fichier modifié, caché à travers d’autres fichiers, dans l’espoir
que Big Brother n’y verra que du feu.
Il est clair que tous nos messages sont
filtrés, si je n’écris pas partout le nom de l'organisation dans mes messages,
d’habitude je ne reçois pas ce message à la maison, ou vice versa. Si un seul
fichier dans mes dossiers ne semble pas faire partie de mon travail à
l’association, il est effacé par les gens du département technique qui font
régulièrement le tour de notre espace virtuelle. Enfin, inutile de risquer
d’installer un programme quelconque ou même une mise à jour d’Internet
Explorer, le tout serait immédiatement repéré et enlevé.
Bref, plus d’ordi au travail, plus de liberté
ou de vie privée non plus. Je cours un très grand risque en écrivant ainsi au
travail et en m’envoyant ces fichiers par e-mail, mais je n’ai pas le choix, et
de toute manière c’est en français. Je pense que je suis le seul dans tout le
bâtiment, ou même à Westminster, qui parle cette langue bizarre, une chance.
Aujourd’hui
c’est le jour où
Je
suis encore sous le choc de cette simple petite conversation de mon patron
vendredi passé. Je comprends maintenant, personne ne lui a dit que je suis allé
chez le docteur jeudi pour un vaccin contre
Et je pense que ça a marché pour Watson, il
reste très tard au travail chaque jour, mais je vois qu’il cherche déjà les
portes de sortie, prenant des jours de congé pour travailler à la maison, et
aussi hier où il disait qu’il voulait partir tôt pour enfin travailler
tranquille à la maison sur ce fameux rapport. Donc comme tout le monde, il veut
sacrer le camp, mais doit utiliser ces prétextes comme quoi il va continuer à
travailler à partir de
J’aime bien mieux ce que je lui ai lancé
lorsqu’il nous a suggéré d’arriver à 8h le matin et que ma réponse cinglante a
été : on va essayer d’arriver pour 9h. J’ai regretté toute la soirée
d’avoir osé dire une telle chose, et le lendemain aussi, mais aujourd’hui je
m’admire pour cet affront. C’est comme si je lui avais dit : va chier, on
va travailler exactement ce que notre contrat et la loi prescrit, au diable tes
combines pour faire de nous des esclaves. Inutile de se justifier, vaut mieux
agir comme on veut et subir les petits discours moralistes de temps en temps,
et alors continuer à n’en faire qu’à notre tête. C’est beaucoup plus
professionnel et on peut garder la tête haute. Ces petites humiliations
d’employés que l’on rappelle à l’ordre aussitôt une petite déviation, c’est
mesquin, et il ne faut pas répondre par l’embarras et les justifications, mais
plutôt par le mépris, la confiance en ce que nous faisons, ainsi que l’innocence
et l’ignorance. Ça devrait leur boucher un trou, à ces patrons, qui n’ont
jamais vu d’employés développés une petite psychologie de contre attaque à leur
petite psychologie de bas niveau reliée à la hiérarchie sociale.
J’ai
finalement installé le programme MobiPocket sur mon Pocket PC, et soudainement
toutes mes histoires de Sherlock Holmes et d’Arthur Conan Doyle sont
accessibles ce matin. Je n’ai eu le temps que de commencer la lecture de
Scandale en Bohémia, mais ça m’a revigoré complètement. Je me suis couché tard
cependant, comme la nuit d’avant, cette fois parce que je répondais à un prof
de grec et latin qui s’intéresse à mes deux derniers livres. Il faut dire que
j’ai également fait l’épicerie hier, et je me suis ruiné complètement. Au moins
10 paiements ne passeront pas d’ici lundi, je vais être terriblement dans le
rouge et ça va me coûter un bras. Je dois regarder à mon compte de banque ce
soir, mais je n’ose plus. Ça me fait trop peur.
Il est
presque midi, je vais bientôt aller me promener dehors. Ça devrait être
intéressant, il y a plein de parades partout, une légion de policiers qui me
regardent tous comme si j’étais un criminel, et même que l’armée vient de
débarquer. Vraiment, le discours de
Je
reviens de marcher autour de Westminster, voir les préparatifs de
Je
regardais ces imposants bâtiments qui font partie du gouvernement, deux vieux
sont sortis de l’un d’eux, avec des papiers, et il m’a semblé voir là deux
spécimens qui n’ont rien à faire d’autre toute la journée que d’inventer de
nouvelles lois, tout régulariser jusqu’à ce que l’on meurt tous étouffés sous
la bureaucratie et les tribunaux. Il m’est soudainement venu un dégoût marqué
pour eux et je me suis retenu de leur marcher dedans, prétendant ne pas voir où
je m’en allais.
Et je suis allé marcher sur le pont à la fin
de Millbank, regarder une vue superbe du Parlement. Encore plus beau qu’un
château, c’est assez impressionnant, comme la plupart de l’architecture du
coin. Au moins ils ont construit de belles choses durables. Et je me disais,
tiens, si cela devait être détruit aujourd’hui par une organisation terroriste
quelconque, le moment serait bien choisi, car j’avais la plus belle vue
possible. Finalement rien ne s’est produit, mais j’aurai vu le tout une
dernière fois si aujourd’hui est le dernier jour où le Big Ben se tiendra
debout.
À mon
retour j’ai marché dans les petites rues en arrière de Millbank, il y a un
drôle de bâtiment dans le Smith Square, assez bien, et j’ai vu la maison où
T.E. Lawrence habitait sur la rue Barton, mieux connu sous le nom de Laurence
d’Arabie. Et moi qui croyais qu’il était un personnage de film fictif. Bref. Il
devait être quelqu’un qui a causé beaucoup de morts, créé des guerres et tout,
et aujourd’hui il est un héros. Un peu comme Bush deviendra avec le temps,
malheureusement.
Merde,
je suis en train de lutter pour ne pas m’endormir, c’est toujours la même
chose. Ce soir il faut vraiment que je me couche. Je repasse mes chemises, je
regarde mes e-mails pour voir si la bonne nouvelle qui me permettra de quitter
mon emploi demain matin est arrivée jusqu’à mon inbox (dans mes rêves), et je
vais dormir. Sinon, demain je ne survivrai pas, c’est certain. En tout cas, mon
patron et sa PA déménagent aujourd’hui, ils s’en vont au troisième. Rachelle et
moi les suivrons ce week-end. Cela me laissera quelques jours de répit, sans
mon patron sur mon dos. J’arriverai en retard et je partirai tôt pour les trois
prochains jours. Il veut être obsédé, d’accord, moi aussi je serai obsédé, à
faire tout le contraire de ce que monsieur désire le plus au monde.
J’ai
écouté le CD de Rachelle hier, pas pourri, aucun doute elle sait chanter, mais ce
n’est pas mon style de musique. Comme c’est triste, qu’elle aime chanter, que
j’aime écrire, mais que nous soyons tous les deux coincés à Parliament Square,
comme deux misérables. Au moins moi j’en trouve l’inspiration pour écrire ces
lignes, j’espère qu’elle a écrit certaines chansons en conséquence. Sinon,
quelle perte de temps, d’énergie et de talent. Au diable les Arts, ils ont été
engouffrés par le capitalisme et le Corporate London.
De ma
fenêtre, je vois exactement, comme dans un cadre, la tour qui termine
Westminster Abbey. Et le ciel autour est toujours menaçant, noir et gris, avec
des nuages effrayants. On dirait un film d’horreur permanent. Il est vrai que
l’hiver à Londres est assez misérable, bien qu’il n’y ait pas de neige. Il est
14h, pourtant il fait noir et nous avons besoin de lumière pour travailler.
Ah, ce
que la journée passe lentement ! Je ne sais plus quoi faire de ma peau,
encore deux heures avant que je ne puisse partir d’ici. Au moins si j’avais pu
trouver le moyen d’avoir des histoires de Sherlock Holmes sur mon ordi, je les
lirais en ce moment, je pourrais même les imprimer sur papier, ça ne paraîtrait
pas que je ne travaille pas. Mon problème est que je me suis couché trop tard
les deux derniers jours, et en ce moment je suis tellement fatigué, que l’idée
de travailler est dérisoire. Même lire des histoires que j’aime risque de
m’endormir. Je devrais aller marcher dehors un peu, cela me réveillerait. Mais
je quitte bien trop le bureau, ils vont commencer à se demander où je vais sans
cesse. C’est trop souffrant d’être assis à ma chaise et de devoir travailler 8
heures en ligne pendant 5 jours, sans avoir la chance de dormir ou d’écrire les
soirs de semaine. Je suis à bout. Bon, je sors de ce bureau, je vais dehors. Je
reviendrai dans 15 minutes. Ils sont dans une réunion, ils ne se rendront
peut-être pas compte que je ne suis plus là. Espérons-le…
Voilà,
je suis de retour, absent 20 minutes. Personne ne semble s’être aperçu de ma
disparition. J’aurais pu être en réunion moi aussi, avec les fantômes des
employés passés. Il doit y en avoir un moyen paquet, le bâtiment doit avoir au
moins 300 ans. Si ça se trouve, il y a une centaine de personnes de plus qui
travaillent dans le même espace que nous, vibrants à une fréquence différente
ou tout simplement dans un monde parallèle. En tout cas, ils n’utilisent certes
pas d’ordinateurs, comme la vie devait être facile alors. On ne pouvait certes
pas trop espérer ou en demander de gens sans ordinateurs, les outils étant
assez limités. Il devait y avoir davantage de secrétaires, utilisant ces
machines à écrire pour retaper les mêmes pages, page après page. Mon père a
connu ça, les emplois sans ordinateur, et encore, ils utilisaient ces
ordinateurs primitifs qui utilisaient des cartes à trous. Comme je n’ai jamais
vu à quoi ressemblent ces ordinateurs, je ne sais pas trop exactement ce qu’ils
faisaient avec, si cela les aidait ou non. Je ne comprends pas le principe de
ces cartes à trous, il n’y avait certes pas de traitement de texte, alors
était-ce pour faire des calcules? Aucune idée. Ce qui me rappelle que j’ai vu
au centre de science de Manchester le premier ordinateur construit (à
l’Université de Manchester). Quand je pense que toute cette histoire a commencé
là, c’est assez impressionnant. Et que si cet ordinateur n’avait pas été
inventé, Dieu seul sait quels avancements nous n’aurions pas fait. Et ça me
fait réfléchir, quoi d’autres on n’a pas inventé qui aurait pu nous aider à
sortir de ce stupide système solaire, parce qu’un génie devait aller travailler
inutilement pour une organisation inutile à Parliament Square au lieu de
réfléchir et de créer ses nouvelles inventions ?
23 nov 04 - partie 2
À la
fin de la journée, il ne restait plus que moi et Watson dans le bureau. Je
pense qu'il m'a comme invité à aller à la conférence sur les Évaluations demain,
qui est juste à côté d'où je travaille, le Queen Elizabeth II Conference
Centre, et comme il était tout bizarre (comme d'habitude), j'étais assez
embarrassé. Mais je le suis un peu moins depuis que je le vois geler ben raide
tout le monde avec qui il parle, en particulier toutes les femelles qu'il a
interviewées cet après-midi pour les différents postes d'assistants que nous
offrons. Je dis femelles, parce que ce n'étaient ni des hommes (bizarre), ni
des femmes ou des jeunes filles. C'était des femelles, à défaut de dire des
bitches ou des sans cervelle. Elles iront très bien avec le décor de l'organisation,
je n'ai aucun doute qu'il va tous les engager. Bien, demain j'irai donc à cette
conférence, et cela me permettra de lire plusieurs nouvelles de Sherlock Holmes
plutôt que d'être assis à mon bureau, et aussi également sonder le petit
Watson, savoir enfin s'il va m'avouer des choses sur sa vie personnelle,
peut-être même me courtisera-t-il? Je ne le crois pas une seconde, il est bien
trop coincé, et nous sommes bien à deux jours de ne plus jamais se voir dans le
bâtiment, car je déménage en haut. Trop tard, il a manqué sa chance, on ne se
reverra plus et c'est sans doute une bonne chose, car il est vraiment téteux et
souffre d'un manque de personnalité flagrant. Faut l'écouter lorsqu'il parle au
téléphone, il n'a jamais rien d'intéressant ou d'intelligent à dire, quand je
pense qu'il pourrait bien se retrouver à la tête de tout le département lorsque
Sherlock quittera, et qu'il était responsable de tout ça pendant des mois. Il
est peut-être gai, mais c'est à peu près tout ce que nous avons en commun. Il
est vrai que je parle par frustration, un peu. Ça m'a fait chier qu'il n'ose
m'avouer qu'il était gai et qu'il m'ait ignoré pendant des jours au travail,
prétendant que je n'existais pas. Et là je vois qu'il m'invite à cette
conférence et cela m'agace, car je ne veux pas m'imaginer des choses, d'autant
plus que je sais très bien qu'il n'y a rien à imaginer. C'est clair qu'il n'a
aucunement l'intention de me parler davantage. Tout est professionnel, et de
toute façon, pourquoi cela devrait-il être différent ? Pourquoi deux gais
en milieu de travail devraient-ils être solidaires, devenir amis ? Aucune
raison, nous sommes des étrangers, nous sommes des collègues, par définition
nous devons nous détester, demeurer froid. Se dire bonjour avec embarras tôt le
matin lorsque l'on se croise, et ce, même si nous partageons plus de temps
ensemble chaque jour que j'en partage avec celui que j'aime.
Je ne
sais pas ce qui va se passer demain, nous verrons. Je vais lui dire clairement
le matin s'il veut que j'y aille par moi-même ou s'il veut que je vienne avec
lui. Il me semble que ce sera là un message clair. Mais il dit qu'il ne va
rester que 30 minutes, et sans doute il a des réunions et tout. Alors il ne
faudra pas trop que je lise la signification de ses réponses.
24 nov 04
Je
suis à deux doigts de leur dire qu’il y a un dégât d’eau à la maison et que je
doive partir maintenant. Mais ça ne vaut plus la peine, car
Watson
me sourit maintenant au travail, mais il est un peu tard car dans trois jours
je déménage en haut, dans un bureau où on étouffe et où je ne pourrai pas voir
dehors par la fenêtre, car le bocal à poisson où mon grand patron sera, me
bloquera la vue. Et en plus, il y aura deux fois plus de monde en haut et moins
d’espace. Encore une fois, tout le monde pourra voir mon écran d’ordinateur. Je
déteste cela, je ne peux alors que travailler, sinon c’est évident que je ne
fous rien. Misère. Et moi qui ai pris ce boulot surtout parce que je me disais
que le bureau où je travaillerais ne semblait pas si mal. Et l’emploi que j’ai
refusé à Kensal Green, nous allions déménager dans une vieille église rénovée,
et cela aurait sans doute été mieux. C’est toujours comme ça, je commence un
emploi dans un bureau où on respire et où c’est paisible, et soudainement,
souvent moins de deux mois après, on déménage où tout le monde est assis un
par-dessus l’autre, sans fenêtre, sans la chance de respirer, et aussi là où on
passera la journée à parler plutôt que de travailler. Pas d’autre choix lorsque
nous sommes dix à partager le même deux mètres carré. Apparemment ceux en haut
ne sont pas trop heureux que le patron partage maintenant leur territoire. Ils
se sentent observés et jugés… bref, j’espère qu’ils ne foutent rien, ainsi
Sherlock comprendra que je ne suis pas si mal comparé aux autres, je travaille
bien plus que la plupart du peuple dans ce bureau, même si je ne sais plus quoi
inventer pour sacrer le camp et faire autre chose que cette conférence.
J’ai
remarqué quelque chose aujourd’hui et hier, en marchant autour de Westminster.
La plupart des gens sont vieux, laids et ils ont l’air assez inintelligents. Et
je me demandais pourquoi, alors que partout ailleurs où j’ai travaillé à
Londres, les gens sont jeunes, beaux et brillants. Et soudainement j’ai
compris. Dans le domaine privé, les gens qui sont laids, vieux ou handicapés
mentaux souffrent de discrimination, ils ne sont jamais engagés, et si oui (par
erreur), ils sont mis dehors assez rapidement. Alors où donc vont travailler
tous ces mongols, ces erreurs de la nature ? Dans les gouvernements et les
associations, là où il n’y a pas de discrimination et où l’intelligence importe
peu, car on n’a de compte à rendre à personne. On peut facilement souffrir un
déficit annuel gigantesque, et même si on ne fout rien de la journée, c’est
acceptable. Ainsi tout le monde à Westminster est con, ce sont ceux qui ne
pourraient jamais vraiment travailler et réussir dans le monde stressant et
commercial de la ville.
Il y a
plusieurs choses que je veux maintenant visiter parce que je suis à Westminster
tous les jours. Le musée de la guerre où Churchill a planifié la destruction de
l’Allemagne, l’aquarium, le Parlement, Westminster Abbey,
C’est
drôle comment on peut juger les gens, mais se tromper. Et c’est très rare
d’habitude que je suis complètement à côté de la voie, je pense être bon juge
de caractère. Mais cette fois-ci je me suis trompé sur deux personnes avec qui
je travaille assez près. La première fois que j’ai vu
Et
l’autre personne dont je me suis trompé sur sa personnalité, c’est Rachelle.
Elle m’a semblé très sérieuse, et une pimbêche pincée lorsque je suis venu à
l’entrevue. Je lui ai dit bonjour de la tête, car je savais qu’elle deviendrait
importante dans ma vie, étant assise juste à côté du bocal à poisson du patron.
Eh bien, elle est jeune d’esprit (même si elle perd ses cheveux), un peu
fo-folle, et n’hésite pas à crier tout haut ce qu’elle pense. Elle est
chanteuse de Western et veut déménager à Nashville aux États-Unis. Elle est la
première à sortir le soir lorsque c’est l’heure de partir, même que ce soir
elle veut quitter une demi-heure avant l’heure parce que le patron n’est pas
dans le bureau, et je me demande comment je pourrais faire de même. Le problème
est que j’arrive à 9h, elle arrive à 8h. Elle aurait donc le droit en théorie
de quitter à 16h, et moi à 17h. Donc rien ne l’empêche de décrisser, et si elle
ne décrisse pas d’habitude, c’est parce que le patron a dû réussir à la
convaincre de travailler un plus grand nombre d’heures. Voilà, elle part, j’en
ai encore pour 30 minutes. Que vais-je faire, tout ce temps seul dans ce bureau ?
Je crois que je vais lire une nouvelle de Sherlock Holmes. Et espérer que
personne n’entrera et regardera mon écran.
25 nov 04
Je
n’ai pas fait grand-chose aujourd’hui. D’abord je suis allé à cette conférence
sur les IFRS, Dieu seul sait ce que ça mange en hiver. J’ai assisté aux deux
premières présentations, et j’ai dû lutter comme jamais pour ne pas m’endormir.
Pourtant je me suis couché tôt hier, justement pour pouvoir survivre l’heure où
je serais dans cette salle de conférence. Il n’y a rien à faire, moi les
conférences, ça m’assomme complètement, il n’y a rien de plus plates sur toute
En tout
cas, jamais vu une bande de péteux plus haut que le trou que ces délégués
aujourd’hui. J’ignore pourquoi ils sont aussi prétentieux, mais ils ont tous
des habits cravates, et aucun d’eux n’a enlevé son côte d’habit. Ils se
prennent pour
Après,
tant bien que mal, d’avoir tenté de survivre la première heure de la
conférence, j’ai quitté immédiatement, et en sortant j’ai lâché un grand soupir
de soulagement. Je me disais que je déteste tant aller aux conférences que je
changerais la date de ma conférence actuelle de Mars à Juin, dans l’espoir
qu’en juin prochain je ne travaillerai plus ici ou je serai déjà mort quelque
part dans un fossé.
Je
suis allé à la banque, pour tenter de sortir de l’argent de mes cartes de
crédit pour le mettre dans mon compte, et j’ai dû marcher jusqu’à Victoria pour
ça. Si je ne l’avais pas fait, 5 paiements n’auraient pas passé d’ici à lundi
prochain et ma banque m’aurait chargé 5 fois
J’ai
appris bien des choses aujourd’hui. De
J’ai
particulièrement aimé entendre
Dans
la rue, les travailleurs de la construction arrêtent de travailler pour
regarder
Il est
17h, mais je n’ose pas partir, tout le monde est encore là dans le bureau et ça
ferait bizarre que je parte maintenant. Je pense que je vais rester 30 minutes
de plus. D’autant plus que je suis en train de boire du vin avec d’autres
collègues. C’est rien, on m’a versé un verre de whisky imbuvable. Je suis à peu
près certain que nous ne boirions pas si le directeur était encore sur notre
étage.
Il y a
de ces jours où partir du bureau n’est pas facile. Et demain je pense que je
vais arriver à 21h30, car les chances seront grandes que je ne pourrai pas
sacrer le camp à 17h comme je l’espère.
25 nov 2004 - partie 2
Mon
Dieu que j'ai entendu des choses politiquement incorrectes dans les derniers 30
minutes. Rachelle disant: Sherlock et homme dans la même phrase ?
Affirmant ainsi qu'elle ne pensait pas qu'il était très masculin, pourtant il a
trois enfants. Mais Sinéad a répété ce que lui-même, Sherlock, disait à propos
de Watson, qu'il était so girlish, autrement dit tapette. Je pense qu'elle se
trompe, en fait il disait que Watson avait une sonnerie sur son téléphone
mobile un peu girlish, mais je ne crois pas qu'il ait dit que Watson était
girlish. Encore que, je me trompe peut-être.
Drôle
que c'est tout à fait acceptable que Michelle dise de Sherlock qu'il n'est pas
un homme, mais qu'il est tout à fait inacceptable pour Sherlock de dire que
Watson est comme une femme. C'est qu'il est l'autorité incarnée, il vient
directement après Dieu le père, il demande la perfection de tout et chacun, il
doit donc être parfait lui-même. Et s'il ne l'est pas, hourra !, nous les mécréants
pouvons le dénoncer, l'attaquer, bref, s'en débarrasser. Et sinon, alors, nous
n'avons pas besoin d'être si parfaits, si monsieur lui-même n'est point
parfait.
26 Novembre 2004
26
novembre, je ne pensais pas que j’atteindrais cette date. Je serai payé un
salaire complet ce lundi, et c’est la fin du mois. Si je suis encore ici, c’est
que je vais y rester. Bien que ce matin il m’est passé à travers le cerveau
toutes ces idées du comment m’en sortir, quelles étaient les solutions à mon
problème. Et il ne me semble plus que ce soit le retour au Canada ou de
déménager ailleurs. Ce qu’il me faut vraiment, et c’est ce que font par
milliers les professionnels de Londres qui ont des salaires faramineux, c’est
de tout laisser tomber et d’aller vivre à la campagne. Le problème est que
j’ignore comment ces milliers de personnes réussissent, un, à trouver l’argent
pour déménager à la campagne, et deux, que font-ils pour survivre ensuite ?
Trouvent-ils des emplois à la campagne avant de planifier leur déménagement ?
Ce serait logique. Ainsi il me faudrait chercher de l’emploi à l’extérieur de
la ville, mais là c’est Stephen, lui aussi doit vouloir partir, trouver de
l’emploi dans le même coin et vendre ou sous-louer son appartement. Tout ça, ce
sont de grands obstacles. Trop grands peut-être, pour l’instant de toute
manière. C’est lorsque tous les deux n’avions pas d’emplois qu’il fallait y
songer, je l’ai mentionné à Stephen alors, plusieurs fois, mais il était devenu
sourd, dû à sa panique existentielle de ne pas avoir d’emploi et d’argent, et
de perdre son appartement, etc.
Ce matin, tout ce qui aurait pu mal aller, a tourné
au vinaigre. Je pense que c’est peut-être dû, en partie, au fait que je me suis
levé 10 minutes plus tard que d’habitude. À partir de cet instant, ma vie est
devenue comme un château de cartes qui s’écroulait, et j’ai passé très près de
franchir cette frontière entre être sain d’esprit et devenir complètement
cinglé.
Tout me poussait à bout. Rien n’était repassé
à 5 minutes avant que mon train n’arrive, je n’avais pas assez d’argent et j’ai
demandé 2 livres à Stephen, j’avais versé de l’eau dans la cafetière hier mais
j’ai oublié de mettre le café, et je ne sais pas quoi d’autre, mais il y avait
plusieurs autres petites choses. Ainsi Stephen m’a reconduit à Richmond afin
que je puisse prendre le train et arriver au travail pour 9h, mais voilà, j’ai
manqué le train par 30 secondes, et le prochain en était un qui arrêtait à
toutes les stations, et qui en plus était en retard. C’est à ce moment que
Stephen m’a téléphoné pour m’annoncer qu’il avait oublié de me donner 2 livres.
J’ai dû faire un détour rendu au travail pour aller sortir 10 livres de mon
compte de banque, et comme je sais que certains de mes paiements risquent de ne
pas passer, je ne voulais pas faire ça. 70 livres que ce deux livres risque de
me coûter maintenant. Et là commencent les annonces : « Mesdames et
messieurs, votre train est en retard, il n’arrivera jamais à
Richmond-upon-Thames, et le jour où il arrivera, il arrêtera partout et
n’atteindra jamais Waterloo, sa destination finale ». Et rendu dans le
train, à Clapham Junction, voilà qu’encore une fois je tombe sur un conducteur
de train zélé, qui décide de nous aliéner complètement en répétant au moins 12
fois dans une langue pratiquement inconnue que le train n’arrêtera pas à
Queenstown Road et que les gens qui veulent aller à Queenstown Road doivent
sortir du train et se rendre à la plate-forme 14. Si je transcrivais ici
exactement tout ce que cet homme a dit à tue-tête dans le train ce matin, au
moins 12 fois en ligne, je perdrais tous mes lecteurs. À la fin je n’en pouvais
tellement plus que j’ai claqué mon livre, je l’ai jeté dans mon sac, je l’ai
zippé, et j’étais comme une soupape sous pression prête à exploser. N’importe
quel passager à ce point, qui aurait osé me parler, en aurait souffert les
conséquences. Morsures, brûlures, violence verbale et physique, j’étais
vraiment à bout et prêt à n’importe quoi. C’est dans ces moments-là que les
voleurs devraient tenter leur chance, avec toute cette haine intérieure qui ne paraît
même pas, ils auraient affaire à un cas déterminé.
Rendu finalement à Waterloo, je suis devenu
comme une sorte de robot. Je ne sentais plus mon corps, je regardais en face de
moi au loin à l’horizon, alors qu’il n’y avait rien à regarder. Je suis devenu
un automate, je n’avais plus besoin de réfléchir pour me rendre au travail le
matin, aussi bien se déconnecter complètement du corps. Et c’est ce qui s’est
produit aujourd’hui, je n’étais définitivement plus là, bien que mon corps
marchait machinalement vers l’Underground pour se rendre à Westminster. Et
c’est seulement lorsque je me suis rendu compte de ce fait, que je suis revenu
sur terre. De comprendre que je n’étais plus là, dans cette sorte de transe,
comme si la réalité m’était devenue si insupportable que j’en étais au point où
j’allais perdre connaissance. Trop de souffrance, alors la conscience décide de
partir. Après avoir pris les 10 livres que je n’ai pas au guichet automatique à
Westminster, je continuais à marcher avec mon air absent, jusqu’à ce que
j’entende cette musique intolérable de ces musiciens dans le métro, et il m’est
venu soudainement l’envie de prendre un élan et de sacrer un bon coup de pied à
la tête de ce musicien. Et c’est par un miracle, et une fraction de seconde,
que j’ai su me contrôler. Il était à la fin de ce voyage infernal et il allait
payer pour tout ce que j’avais enduré. Et pourtant, un autre jour, tout cet
enfer m’aurait semblé tolérable et sans problème, mais voyez comment quelques
petits détails peuvent emmener des gens complètement normaux au bord du gouffre
de la folie furieuse. Et le pire est que nous ne savons jamais quand nous
allons rencontrer quelqu’un qui en est à ce point, il y a de la destinée là
dessous.
7
décembre 2004
Ça fait
un petit bout de temps que je n’ai rien écrit ici, depuis en fait cette
critique négative d’un de mes livres dans un magazine français. Depuis, je n’ai
plus tellement la motivation d’écrire, surtout en français. Ainsi j’ai décidé
de laisser tomber les écrits à propos de tout et de rien, et de ne raconter que
les événements importants, ou lorsque j’en aurai gros sur le cœur. Ainsi, je
suppose, ce livre ne sera jamais terminé ou n’aura jamais suffisamment de pages
pour un livre, et donc éventuellement tout ceci sera oublié. Enfin… parlons des
derniers événements.
Aujourd’hui j’ai raconté à Rachelle que
j’étais gai. Comme elle est ma patronne, je n’avais pas envie de commencer à
lui mentir. Mais voilà, bien que je lui aie dit de ne le dire à personne, moins
de 30 secondes plus tard elle courait déjà à travers le bâtiment pour le
raconter à toutes ses amies. Encore une erreur, je ne sais pas. On verra bien.
Noël approche. C’est inutile, je n’ai à dire
qui me semble valoir la peine, et cette critique négative m’a vraiment démotivé.
Il ne me faudrait écrire que lorsque j’ai quelque chose à dire, mais
semble-t-il, c’est en écrivant que l’on trouve des choses à dire. Bon, bon, ce
livre va commencer, pas d’inquiétudes. Rien de banal à partir de maintenant. I’m going to move into a higher
gear, so watch out!
Je
viens de parler avec la plus vieille employée de la compagnie. Je parlais
français avec une collègue de l’Afrique, et est elle est venue nous dire :
alors, vous apprenez les différences entre vos accents coloniaux ? Nous
sommes tous les deux restés surpris et béats d’un tel commentaire, c’était dit
comme s’il était normal de parler de l’Afrique et du Canada comme des colonies,
et que nous avions des accents coloniaux. Je suppose que ce type de langage
était acceptable voilà encore quelques décennies, mais aujourd’hui c’est
presque ahurissant d’entendre une telle chose. Pauvre elle, elle est demeurée
toute mal à l’aise, comprenant qu’elle avait dit quelque chose qu’elle n’aurait
pas dû. J’ai hâte de découvrir d’autres mots de son vocabulaire qui trahissent
l’histoire de l’Angleterre et son empire colonial.
13
décembre 2004
Samedi matin je me suis réveillé avec un
grand mal de tête. C’était le lendemain de la veille, le party de noël au
bureau. Je savais que j’allais me lever avec de graves problèmes de conscience,
d’avoir insulté des gens, d’avoir fait des erreurs, de toutes les stupidités
que j’allais dire, cependant j’ignorais que ça atteindrait 9 sur l’échelle de
Richter. Comme une sorte de grand tremblement de terre, ma vie a été retournée
encore une fois et je voulais m’enfoncer dans les entrailles de la terre où
personne jamais n’allait me retrouver. Et pourtant, c’est à peine si j’ai
insulté qui que ce soit, en fait, jamais dans ma vie suis-je allé dans un party
aussi saoul en ayant tout de même un bon comportement.
Oh bien sûr, j’ai rencontré des gens du
département des conférences, qui sont en crise en ce moment parce qu’ils ont
peur de ce que je représente, car je suis dans les conférences, mais pas dans
leur groupe. Et en plus, le patron m’a interdit d’aller les rencontrer. Alors
ils imaginent le pire. Sans doute pensent-ils à tort que leur patronne va être
mise dehors et que je vais prendre sa place.
Je les ai tous insultés, premièrement en ne
les reconnaissant pas, pourtant je les ai rencontrés voilà 2 semaines à une
conférence au Queen Elizabeth II Conference Centre. Et je leur ai demandé à
nouveau s’ils étaient des managers ou non, et bien sûr, ils ne sont que des
assistants, et cette question les offusque, et je leur avais déjà posé cette
question voilà deux semaines. Ce qu’ils ont dû penser de moi. Et à un moment
donné la fille a explosé, elle me criait par la tête que je devais rencontrer la
femme responsable des conférences le plus rapidement possible, que je devais
lui dire ce qu’il en était, ce que je fais ici, etc. Mais voilà, je ne le sais
pas moi-même, le rôle que je rempli, dans cette organisation. Que m’en irais-je
lui dire ? La rassurer, et comment ? Je paris qu’elle aussi samedi
matin s’est levée en panique, de m’avoir parlé ainsi (elle était saoule
apparemment, quelle surprise). En tout cas, si j’étais le patron, me rendre à
ces soirées serait une priorité, une fois que les gens sont complètement fêlés
de la tête à cause de l’alcool, la vérité sort de partout.
Autres choses stupides que j’ai faites,
vouloir reconduire à la maison Sinéad et
Une discussion avec l’autre Irlandais m’a
fait littéralement perdre la tête et devenir parano. Je n’arrive même plus à me
souvenir de ce qu’il m’a dit, mais ça résonnait dans ma tête de saoul
comme : « Moi et Mohammed sommes pro-islamistes, nous sommes pro-Bin
Laden, nous trois (avec un autre que je n’ai pas compris), nous sommes toute l'organisation,
nous la contrôlons, et nous allons faire exploser Parliament Square, et toute
l’Angleterre, et toute la planète ! » Pourtant, je pense que tout ce qu’il
m’a dit est qu’il était pour
Je me
tracassais tellement samedi, toute la journée, avec ma conscience, qu’à un
moment donné j’ai dû me dire que j’étais en train de devenir fou et qu’il
fallait que je passe à autre chose, que j’oublie le tout. Je me parlais
constamment à moi-même à voix haute, me reprochant ce que j’avais dit, et
souffrant plusieurs attaques à chaque cinq minutes. J’ai compris que c’était là
les premiers stages de la folie, et c’est alors que je me suis senti mieux et
que j’ai compris la futilité de tout ça. Somme toute, peu importe ce que
j’avais dit la veille, cela ne valait pas la peine de sombrer dans la névrose.
Et cela
me prouve que la frontière entre être sain d’esprit et la folie furieuse, est
assez mince. J’étais heureux cependant d’entendre Sinéad ce matin me dire
qu’elle aussi avait souffert des moments de panique samedi matin. Elle aussi
croyait en avoir trop dit, en particulier, je suppose, ce qu’elle m’a raconté à
propos du directeur de son département, qui est selon elle un imbécile qui joue
un jeu. Tout ce qu’il fait est artificiel, qu’elle me disait. Et moi j’y ai été
de plus belle, lui affirmant que c’était vrai, qu’il était prétentieux, et
qu’il ne lisait le Financial Times en face de tout le monde au bureau que pour
prouver quelque chose, et non pas parce que ça l’intéresse ou qu’il apprend
là-dedans quoi que ce soit. C’est pour l’image, mais le pauvre ne se rend pas
compte que tout le monde le sait que c’est de la frime et qu’en fait il n’a pas
de cerveau. Cependant, certains directeurs plus haut que lui semblent être
aveugles, car ils viennent de lui donner une promotion et il est maintenant
dans un autre département. Ce qui a soulagé tout le monde, au moins on s’en est
débarrassé.
En tout
cas, de savoir que Sinéad s’était elle aussi inquiétée, m’indiquait que je
n’étais pas complètement cinglé, qu’il est normal de s’inquiéter le lendemain
d’un party de noël alors que nous étions saoul et que le lendemain on a des
trous de mémoire. Pourtant, d’autres au travail ne semblent pas du tout s’être
inquiété le lendemain, je pense qu’ils ont peut-être dit pire que moi et
Sinéad, et malgré tout, ils n’ont même pas réfléchi à tout cela. Et bien que je
les admire à un certain niveau pour être capable ainsi de s’en foutre, je dois
tout de même dire que je préfère être capable le lendemain d’apprendre de mes
erreurs et de ne pas les répéter dans l’avenir, justement vendredi prochain où
nous aurons une autre soirée de Noël, mais cette fois-ci de notre département.
Même s’il me faut risquer la folie lors de mon mea culpa le jour d’après.
Il me ne reste que cinq jours au travail
avant que Stephen et moi soyons en vacances jusqu’au 4 janvier, 18 jours en
tout. Je dois avouer que je n’arrive pas à le croire, 18 jours de congé payés,
c’est ça les emplois au gouvernement ou les institutions similaires. Tous mes
emplois précédent à Londres, et même au Canada, je travaillais jusqu’au 24
décembre et les 26, 27, 28 et 29 (je crois), et je recommençais le 2 janvier.
En tout cas, on travaille toutes les heures possibles, et seulement lorsqu’il
faudrait que l’employeur paie double, nous ne travaillons pas. Mais ces jours
sont des jours de congé obligatoires que la compagnie nous oblige à prendre à
Noël. Même que lorsque je travaillais à la cafétéria de l’Université d’Ottawa,
j’ai travaillé deux ans en ligne toutes les heures et les jours du temps des
fêtes, et ils ont oublié de me payer mes heures supplémentaires et le temps
double. Ces gens-là sont très avares, même si en fait cet argent qui nous
revient par la loi, ne sort aucunement de leurs propres poches. Qu’est-ce que
ça change à leur existence que l’on me paie ce qui me revient au lieu d’aliéner
tous les employés et provoquer leur fuite ou l’assaut des bureaux du
syndicat ?
Bref, où je suis en ce moment, je n’ai 18
jours que parce que j’avais trois jours et demi à prendre de vacances et qu’en
plus je vais manquer une journée sans être payé. Et trois jours entre Noël et
le jour de l’an sont des congés obligatoires, et par conséquent, j’ai bien
moins de journées de vacances que la normale, parce que c’est trois jours sont
déjà enlevés du nombre que je puis prendre. Je n’ai que 22 jours de vacances
par an, alors qu’avant j’en avais 28. Alors les institutions, c’est pas si
terrible, bien que ma collègue en face de moi m’affirme qu’elle aura 45 jours
de congé l’an prochain, en tout. 1 mois et demi ! Mais elle a ajouté les
jours fériés et 5 jours de plus qu’elle n’a pas pris cette année et qui seront
transférés à l’an prochain.
En ce qui concerne où nous irons en vacances,
Stephen n’en peut plus, il doit sacrer son camp du pays le plus rapidement
possible, un seul problème, il ignore où. Il semblerait que la perte prochaine
de son permis de conduire ne l’affecte plus autant qu’avant, car maintenant il
est le Manager du Site où il travaille, sous les yeux jaloux de ses collègues
qui l’ont tous traités comme de la merde. Il ne croit plus perdre son emploi
même s’il n’a pas le droit de conduire. Sauf qu’il ne veut pas partir plus de 7
jours, car il ne peut manquer cet appel en cour de justice, pour défendre son
point de vue. Il est vrai qu’il va perdre son permis de conduire pour des
niaiseries, dont 6 points de perdus sur 12 juste pour avoir deux fois été par
erreur dans une rue miniature à sens unique. À croire qu’ils l’ont déclaré sens
unique juste pour placer une caméra et collecter l’argent. Sauf que de perdre 3
points sur ton permis, alors que tu es conducteur sur la route, ça te fait
perdre ton permis assez rapidement, alors qu’en fait tu n’es pas du tout un
danger de la route. Mais voilà, l’Angleterre, comme ailleurs j’imagine, l’État du
Big Brother est bien présent. Il y a maintenant des caméras dans toutes les
rues et dans tous les bâtiments. Et cet argument est suffisant pour convaincre
bien des gens de quitter les grands centres. Si j’en avais la possibilité, je
le ferais aussi. Mais c’est impossible, pas d’argent, pas d’emploi garantis pour
Stephen et moi, etc. En tout cas, pour l’instant Stephen fera plus d’argent
qu’avant. Alors nous survivrons.
Questions écriture de scénarios de films, je
dois avouer avoir refusé deux chances dernièrement, mais je ne regrette pas,
car vendredi j’ai reçu un nouveau projet d’un dessinateur 3D avec une équipe,
qui veut que j’écrive un scénario de 30 minutes dont le sujet n’est pas trop
pire. Science Fiction, alors j’en avais beaucoup à raconter. J’espère que ça
débouchera sur quelque chose et que les idées que je lui ai données hier seront
acceptées. En ce moment l’histoire souffre un peu. Enfin, on verra.
Je dois dire que je ne me plais pas trop au
travail depuis que nous avons déménagés un étage plus haut. J’ai perdu ma belle
vue par la fenêtre de l’Abbaye de Westminster, j’ai perdu tout l’espace que
j’avais autour de moi, et j’ai perdu Sinéad. Bref, le matin maintenant je n’ai
pas trop la motivation de me rendre au travail pour aller voir Rachelle et Jaz
qui ne semblent pas du tout m’aimer, sans compter l’autre qui ne vient que
trois jours par semaine de Coventry, mais qui ne semble pas du tout être
capable de m’endurer non plus. C’est pire maintenant, tous les cinq sommes pratiquement
assis l’un sur l’autre. Ma personnalité ressort trop et elles ne le digèrent
pas. Serais-je trop flamboyant, comme justement Stephen a été accusé la semaine
dernière de l’être au travail ? Semblerait que nous sommes gais, cela est
indéniable, au travail nous prenons beaucoup de place, notre personnalité
déborde de partout. D’autres m’aiment beaucoup, entre autres
En tout cas, il semble que Jaz commence à
m’apprécier, mais j’ai dû faire un effort. L’écouter pendant quelques jours et
la flatter. Elle aime bien entendre qu’elle est le mouton noir de toute
l’organisation, qu’elle a raison dans sa marginalité, du moins elle se pense
différente parce qu’elle est de la gauche et qu’elle aime Clinton. Je suis
assez certain que la majeure partie des gens au travail préfèrent Clinton à
Bush, mais elle dit que la plupart sont d’extrême droite. Je n’ai pas encore eu
la chance de faire la rencontre de ces monstres, mais il semble que plus on
approche du Parlement de Londres, plus l’extrême droite se fait sentir.
J’ignore pourquoi. Ailleurs dans
Peut-on vraiment soudainement commencer à
aimer quelqu’un parce que l’on a trouvé qu’ils écoutaient nos problèmes ?
Il me semble que c’est impossible. Quand je déteste quelqu’un, je le déteste,
je ne changerai pas d’opinion avec le temps. Impossible. Sans doute parce qu’il
est très rare qu’une personne change d’attitude à mi-chemin. Et que si
soudainement ils semblent plus agréables, parce que justement soi-même avons
fait tous les efforts en ce sens, alors c’est qu’ils n’ont tout de même pas changé
leur nature et doive encore avoir en tête ce sentiment pour soi. Sans nous
connaître vraiment, c’est avec l’instinct qu’ils nous jugent fatigants ou
gênants. On verra bien.
Là je voudrais bien partir une demi-heure à
l’avance, mais deux bitches qui étaient déjà là lorsque je suis arrivé
sauraient que je pars 30 minutes avant l’heure. Sinon, ce ne serait pas un
problème, personne d’autre ne sait à quelle heure je suis arrivé ici, 9h ou
9h35, quelle différence pour eux? Mais voilà, ces super-women arrivent ici à 8h
le matin, elles pourraient partir à 16h, mais à 17h30 elles sont encore ici,
elles semblent partir à 18h. Inutile d’indiquer ici qu’aucune d’elles n’ont de
vie sociale ou d’homme qui les attend à la maison. Et la manière dont elles me
regarderaient, si je partais 30 minutes à l’avance, est un début d’explication
pourquoi ces folles ne partagent pas leur vie avec quelqu’un. Enfin, encore
cinq minutes et je puis enfin décrisser d’icitte. Hourra ! Enfin ma
liberté…
19 décembre 2004
Deux jours après le commencement de mes
fameuses vacances de noël, je suis à l'hôpital. Pas n'importe quel hôpital, le
pire de toute l'Angleterre, tel que jugé par toutes les statistiques dans les
journaux depuis 10 ans : West Middlesex Hospital à Isleworth. Les gens ici
meurent pour des raisons qui n'ont rien à voir avec le pourquoi ils sont venus
ici en premier lieu. Apparemment la saleté à elle seule est responsable pour
bien des morts, et
Enfin, pourquoi suis-je à l'hôpital, vous
vous demandez bien. Encore un de ces virus, le deuxième que j'attrape en 2
mois, et comme mon asthme est assez marqué, pour moi c'est plusieurs jours à ne
point être capable de dormir ou respirer. C'est la troisième fois en un an que
je souffre ainsi, mais la première fois que je viens aux urgences, car mon
docteur est fermé le week-end. Eh bien, après plusieurs injections et prises de
sang, ils avaient l'air convaincu que j'allais mourir bientôt. Pas assez
d'oxygène dans le sang, et quoi d'autres, « chest infection ». Bref,
sans avoir trop bien compris les conséquences de venir aux urgences, voilà que
je suis prisonnier de mon lit, et que si je veux aller aux toilettes, je dois
emmener mon poteau avec le sac de liquide blanc. Et la petite Chinoise panique
parce que je ne respire pas son gaz. C'est donc une véritable prison, d'autant
plus que je ne puis utiliser mon téléphone mobile, et donc je n'ai plus de
communication avec l'extérieur. Bref, si Stephen n'était pas venu avec moi,
personne ne saurait que je suis ici.
Enfin, ils ont un petit ordinateur
sophistiqué qui te permet d'aller sur l'Internet, faire un appel, envoyer un
message SMS, écouter la radio, la télé et les films, merveilleux, me direz vous !
Eh bien, il faut une carte, et aucune des machines sur les trois étages n'est
capable de nous en vendre une. Ainsi, sans mon Pocket PC, j'étais foutu.
Les quatre premières
heures, je les ai passées à regarder la vieille en face de moi en train de mourir.
Elle tousse, elle crache, elle chante, elle est vieille, et elle porte cette
petite robe laide que nous portons tous et qui sont les signes de notre
humiliation. Quand j'ai demandé à l'infirmière si je pouvais remettre mon
t-shirt, elle m'a demandé pourquoi, m'affirmant que ces chemises ouvertes qui montrent
ton dos et ton cul à tout le monde sont bien plus confortables. Je lui ai dit :
tu blagues, là ? C'est à ce moment je pense qu'elle pensait à appeler la
police, comprenant que je serais un cas difficile. Je lui posais trop de
questions aussi, j'aime comprendre ce qui se passe, mais elle est habituée à
des gens qui ne posent pas de questions, et elle a évité de me donner les
réponses. Ainsi j'ignore encore pourquoi je suis ici.
Typique de Stephen, ça lui a pris trois
heures pour aller chercher mon stock, m'acheter un Macdonald et me trouver.
Pendant une heure, il se promenait dans tout l'hôpital plutôt que de retourner
là où nous étions pour que la femme lui dise où j'étais. Ainsi il est arrivé
avec un Macdonald froid immangeable, sans compter qu'il a acheté un veggie
burger dégueul, au lieu d'un Quorn Burger, et bref, je ne pouvais pas manger ça.
Et la bouffe de l'hôpital, je ne pouvais pas la manger non plus. Apparemment
ils n'ont jamais entendu parler de végétariens ici, c'est comme si je leur
avais dit que j'étais un extra-terrestre.
Donc je n'étais pas de bonne humeur, et je me
suis lamenté quand Stephen est arrivé, et là je regrette un peu, mais il faut
avouer que
Stephen a été très gentil, je dois avouer,
pendant que je me lamentais à propos de tout. Je me sens un peu coupable. Ce
que je n'ai pas aimé, est que personne ne sache en haut si on m'a donné mes
antibiotiques en bas. Ainsi ils ne m'ont rien donné jusqu'à 22h, de peur que je
fasse une surdose. Je lui ai demandé si ce ne serait pas indiqué dans mon
dossier qui fait maintenant 50 pages. Elle me dit que non. Et je comprends,
trois docteurs sinon quatre, et autant d'infirmières, s'occupaient de moi en
bas aux urgences. C'était un après-midi tranquille, paraît-il, et à tour de
rôle ils venaient me prendre du sang, m'injecter des choses, me faire respirer
des liquides bizarres. Et semblerait que pendant tout ce temps-là, aucun d'eux
ne prenait en note ce qu'ils me donnaient. Et maintenant je comprends pourquoi
les statistiques sont élevées en rapport aux empoisonnements dû aux mauvais
médicaments donnés aux patients et les surdoses.
Quand
20 décembre 2004
Est-il normal que la veille ils me donnent
des injections et des pilules jaunes, et le lendemain d'autres injections sans
pilules jaunes, et lorsque je demande à propos de ces autres pilules,
soudainement ils me les donnent ? Et puis cet après-midi, quelque chose de
tout à fait nouveau : des antibiotiques au compte goutte sur mon poteau.
Ils ne semblent jamais me donner la même chose, j'ai eu de nouvelles pilules
aussi, aujourd'hui. J'ai l'impression d’être un cobaye et qu'ils essaient
toutes leurs drogues sur moi, sans trop écrire quelque part tout ce qu'ils
m'ont donné. Et je ne me sens pas mieux du tout, au contraire, après tous ces
médicaments je me sens pire. Alors c'est certain que je serai ici une journée
de plus, et nul doute ils me donneront encore plein de nouveaux médicaments.
Aujourd'hui j'ai gardé mes rideaux fermés
pour la plupart de la journée, car je ne pouvais plus supporter la vue de la
vieille vache en face de moi. Ça a 85 ans, ça a l'air innocent, ça en a pour 3
semaines à vivre, et ça trouve le moyen de me faire chier toute la nuit comme
c'est pas possible. Chaque fois que je toussais, elle toussait aussi tout en
disant quelque chose en même temps. La seule fois où j'ai pu distinguer ce
qu'elle disait, c’était : shut up ! Ce qui est assez violent pour une
vieille à l'article de la mort. Ce matin je l'ai presque confrontée, je voulais
lui demander si c'était elle qui pensait pouvoir nous insulter en nous chantant
des bêtises toute la nuit. Mais elle aurait nié le tout, et comme ce qu'elle
fait semble fort innocent, elle n'aurait eu qu'à me dénoncer à l'infirmière
pour comportement menaçant. Comme elle est une vieille de 85 ans, qui
croirait-on ? La vieille autruche. Il n'y a pas d'âge pour les agresseurs
psychologiques (les bully), on les trouve même sur leur lit de mort.
Ici il y a trop de docteurs et trop
d'infirmières différentes qui s'occupent de tout le monde. D'un shift à l'autre
ils ne reviennent pas, nous en avons de nouveaux. La communication se perd, ils
sont incapables de garder par écrit tout ce qui se passe, c'est comme le jeu du
téléphone chinois. Quand tu entres, tu as une infection et une crise d'asthme,
trois jours plus tard tu as le cancer et tu as une tumeur au cerveau. Ce matin,
à 8h précise, il devait bien y avoir 40 docteurs et infirmières à côté, qui
tous parlaient en même temps et même criaient, pendant que les patients et moi
dormaient encore. Je me souviens m'être dit que jamais nulle part où j'ai
travaillé dans le passé le niveau de décibels n’a dû ainsi dépasser la limite
permise par le gouvernement local. C'est comme s'ils se foutaient des patients.
Encore à toute heure de la nuit leur téléphone sonne pendant 15 minutes à
pleine capacité, ils parlent très fort, bref, j'ai l'impression qu'ils pensent
que puisque l'on ne paie pas directement (mais l’on paie beaucoup via nos
taxes), ils nous rendent un service et nous ne pouvons nous plaindre.
Je dois avouer que de ce côté je suis fort
impressionné, bien que ce soit la même chose au Canada, mais tout est gratuit.
Le lit, la bouffe, et le 200 livres de drogues qu'ils m'ont injectés depuis
deux jours. On dirait un hôtel gratuit. Si tu es un mendiant dans la rue,
fais-toi admettre à l'hôpital pendant plusieurs jours. D'après ce que je peux
comprendre, sortir d'ici est bien difficile, il faut pratiquement leur prouver
que nous sommes guéris, ou alors, comme à l'hôpital des fous, leur prouver que
nous ne sommes plus fous (et comment prouver ça ?).
21 déc 2004
Après trois jours dans cet hôpital, je suis
convaincu que je suis en prison et j'ai peur qu'ils ne me laissent jamais
partir. Tous les jours j'espère qu'ils vont me dire que je puis sacrer le camp,
mais chaque fois c'est non, car je fais encore de la température. Merde, trois
jours dans un hôpital bourrés de médicaments à longueur de journée, comment
puis-je me sentir plus malade chaque nouveau jour, et comment puis-je encore
avoir cette fièvre ? C'est simple, leurs médicaments ne fonctionnent pas, c'est
trop et pas la bonne chose. Ma condition empire, c'est clair. Mais ils sont
incapables de voir ça, de l'admettre.
Là je vais
commencer à refuser certains traitements, car je pense qu'ils exagèrent. Leur
nébuleuse, ou je ne sais pas comment ils appellent ça, ce sont deux petits
flacons de Ventolin dans un masque que tu respires pendant cinq minutes, je
n'en peux plus. C'est trop et trop souvent, je m'inquiète vraiment de l'impact
de tout ceci sur ma santé. Ils sont tout simplement devenus fous dans les
hôpitaux, ils te bourrent de médicaments sans raison, ils sont malades dans la
tête.
Je dois trouver le moyen de partir demain,
d'une manière ou d'une autre. Je ne resterai pas ici jusqu'au 26 décembre,
comme ils le planifient sans vouloir me le dire. Encore cinq jours de ce régime
et je mourrai, c'est certain. En tout cas, j'ai appris une leçon
essentielle : ne va aux urgences qui si vraiment tu sais qu'ils ne vont
pas te garder, car alors s'en sortir est impossible. Ils ont tout à fait le
contrôle sur ton existence. Me laisseraient-ils partir si j'avais acheté des
billets d'avion pour le Canada ? Voudront-ils voir les billets ?
Quelle autre raison pourra faire l'affaire ?
La vieille femme à côté de moi veut partir
depuis deux jours, apparemment elle est tombée en face de son appartement, et
finalement c'était plus de peur que de mal. Mais voilà, ils l'ont gardé ici
contre son gré pendant des jours, ils l'ont bourré de médicaments qui ont fait
monter sa pression dans le sang, alors ils pensaient qu’elle était malade, mais
en fait ils l'ont rendu malade. Une autre raison pourquoi ils ne voulaient pas
la laisser partir est que plusieurs travailleurs sociaux sont venus la voir, et
maintenant ils s'imposent dans sa vie sans qu'elle ne le veuille. Elle tentait
de dire que ce n'était pas nécessaire, deux personnes viennent déjà la voir
chaque jour, mais ils ne voulaient rien entendre. Maintenant elle va recevoir
la visite d'un travailleur social le matin et le soir, pendant trente minutes
chaque session. Pauvre femme. Elle aussi regrette sans doute sa petite chute.
Et que dire des infirmières. Ok, elles sont
gentilles, mais franchement, elles sont négligentes. Des bulles d'air dans mes
veines, des caillots de sang remontés dans le tube qui sont retournés dans mes
veines, et plein d'autres choses qu'il me serait trop long à expliquer. En tout
cas, moi qui déteste les aiguilles, par cinq fois on a dû me réinsérer cette
maudite aiguille gigantesque par laquelle leur liquide entre. Et je vois
qu'encore une fois c'est en train de sortir du trou, et qu'une sixième fois
sera nécessaire, car l'infirmière est incapable de la faire tenir en place.
D'ailleurs, cette technologie du tube pour le liquide, c'est la pire
technologie que j'aie vue dans ma vie. Premièrement il n'y a aucun moyen de se
déconnecter vite fait de cette machine du diable, et tu dois traîner tout ça avec
toi peu importe où tu vas. Tu ne peux pas mettre non plus un chandail, parce
que ce maudit tuyau te sort par le bras. Ça sonne à toutes les 20 minutes,
surtout la nuit, pour toutes sortes de raisons, réveillant tout le monde sur
l'étage. Ou bien le tube est bouché ou le sac est vide. En plus, elle est
grosse cette machine et fait un bruit infernal. Bref, à elle seule elle est
responsable de bien des maux et me rend complètement malade.
Le plus difficile la nuit est de m'endormir,
et lorsque je dors je suis ok. Quand je me réveille, je tousse, je crache, j'ai
mal à la tête, je suis incapable de respirer. Comme on me réveille à chaque
heure, vous imaginez l'enfer dans lequel je suis. Et quand je tousse, je
réveille tout le monde et c'est la panique absolue. Hier un vieux bonhomme
m'insultait à voix haute en faisant semblant de parler dans son sommeil, il
ronflait en même temps. Je n'ai rien compris, car en ce moment je suis
tellement paqueté de drogues et de gaz, que je n'entends plus rien, ni ne vois
plus rien. Mais j'ai entendu quelque chose comme « Fucking French ».
Et vous savez qui a pris ma défense ? La bully d'hier, qui semble avoir
développé une soudaine sympathie pour moi. Elle lui a dit de se fermer la
gueule (shut up !). Et pas en même temps qu'elle toussait, assez clairement.
L'infirmier au comptoir capotait, il se demandait ce qui se passait.
Stephen pense que l'idée des billets d'avion
est une mauvaise idée. Sans doute ils se pensent les dieux tout puissants qui
ont le droit de te faire manquer ton vol pour ta propre santé. Il faudra
trouver mieux. L'idée de bouffer encore ici ce soir me lève le coeur, ces
légumes décongelés et ce pouding dégueulasse, je n'en puis plus.
Maintenant ils
veulent analyser mon mucus, je dois leur cracher ça de mes entrailles dans un
bocal. Que vont-ils apprendre de cette matière verte visqueuse ? Et je ne
sais pas comment en faire sortir dans un bocal. Pourquoi je suis autant malade
est bien ce mucus, et la seule raison du pourquoi j'ai autant de mucus c'est
qu'ici c'est sec et chaud. À la maison je n'aurais pas ce problème.
Les deux vieilles assises l'une en face de
l'autre depuis trois jours, qui se regardent en chien de faïence sans se dire
un mot, viennent finalement d'échanger un mot. Une des vieilles se demandait si
elle allait un jour partir d'ici, ils lui ont dit qu'à 14h30 elle partirait. Il
est 16h21. Mais ils lui ont dit la même chose hier.
Pas une seule infirmière ou infirmier dans cet
hôpital semble être de nationalité britannique. Je ne savais pas que c'était un
emploi comme nettoyeurs de bâtiments ou ramassage des poubelles, autrement ces
infirmiers et ces infirmières seraient certes britanniques. Plusieurs docteurs
sont de nationalités bizarres, mais il y a encore des Brits. Ils se promènent
en troupeau d'une pièce à l'autre et discutent très fort tous les problèmes des
patients. C'est sans doute à ce moment qu'ils perdent la tête et crient :
donnons-lui ces pilules, on ne sait pas trop à quoi elles servent, voilà notre
chance de savoir. Injectons-lui tous ces liquides, et voyons les résultats. Ou
alors ils n'arrivent pas à s'entendre sur ce qu'ils veulent nous administrer,
se contredisent tous, et comme les infirmiers ne parlent pas l'anglais, ils
comprennent que tout ce qui est mentionné doit nous être administré.
Stephen vient de partir, c'est un vrai
supplice pour lui d'être ici. Il a vu deux de ses amis proches mourir dans cet
hôpital, et ça lui rappelle aussi de mauvais souvenir parce que, souvent il
s'est retrouvé à l'hôpital. Mais il a dit qu'il viendrait à tous les jours.
Cependant il prend son temps, il trouve des raisons pour arriver très tard et
il ne sait plus quoi inventer pour sacrer le camp au plus vite. N'empêche, il
doit m'aimer pour vrai, et en plus, il croyait que j'aurais pu mourir. Mon
docteur aussi, il me disait que beaucoup de monde même à 25 ans peuvent mourir
d'une crise d'asthme comme celle que j'ai souffert ces deux derniers mois. Et
je le crois. Mais je lui ai fait relaxer les médicaments quand même. Maintenant
ils ne me les donneront qu'aux moments clés (les nébuleuses). Encore, voyez
comment la communication ne fonctionne pas : l'infirmière arrive et me dit
qu'ils ont arrêté mes antibiotiques. Franchement ! La logique elle-même
sait que l’on n’arrête jamais des antibiotiques, surtout quand on voit que le
patient est encore malade. Heureusement je ne suis pas suffisamment vieux ou
gaga pour prendre tout ce qu'elle me dit pour de l’argent comptant, et je lui
ai dit que cela était impossible. Elle a vérifié, et en effet, ça n'avait pas
été cancellé.
Mon docteur, que je vois assis au comptoir
depuis trois jours mais qui ne m'a jamais parlé ou ausculté (des dizaines
d'autres l'ont fait cependant), m'a ausculté et parlé ce soir pour la première
fois. Son accent ne me revenait pas, il parle très bien l'anglais, ce n'était
donc pas facile de deviner. Il est Français. Alors nous avons parlé français.
Je lui ai demandé ce qu'il pensait du système de santé britannique. Il me
disait qu'ici tout le monde pensait qu'en France c'était luxurieux et efficace,
mais il me disait que c'était sans doute la même chose qu'ici. Ainsi les
journaux de Londres nous font peur inutilement en criant partout qu'en France
et en Allemagne leur système de santé est merveilleux, tandis qu'en Angleterre
il est en décrépitude. Mais il a bien dit qu'ici il y avait beaucoup
d’administrateurs, qui n'avaient pas grand-chose à faire d’autre que de tourner
en rond et prendre des décisions qui prennent le dessus sur les décisions des
docteurs, qui eux, agissent dans l'intérêt de leurs patients. Surtout ils ont
un Bed Manager qui semble tout à fait inutile, selon lui. Enfin, il ne me
confirmait que ce que j'avais remarqué. Tous ces gens qui marchent partout et
crient le matin à 6h maintenant, ce sont tous des administrateurs qui n'ont
rien à faire. Et personne ne comprend pourquoi il y en a tant et leur utilité.
C'est simple, il y en a plus que des infirmières et des docteurs. Eh bien, ils
sauront où couper lorsque ce sera le temps de se serrer la ceinture, mais
malheureusement, j'ai comme l'impression qu'ils couperaient sur les docteurs et
les infirmières avant de couper les patrons, ce sont eux finalement qui
prennent les décisions.
Ma bonne femme d'en face soudainement me fait
bien pitié. Toute sa visite est enfin partie, elle a reçu quelque chose comme
une centaine de personnes de 2h de l'après-midi jusqu'à 8h le soir, c'est juste
si je n’ai pas vu le pape à la fin. Il y avait une telle racaille juste en face
de moi, heureusement j'ai pu fermer mes rideaux et dormir malgré le poulailler.
Mais elle est une femme joviale, elle semble intelligente quand elle a de la
visite (elle n'arrête pas de répéter à tout le monde que son fils est revenu
d'Iceland pour la voir), mais en arrière de tout ça c'était la panique absolue.
Enfin les visites sont terminées (Dieu merci !), et apparemment elle a
vomi partout dans les toilettes. Quand l'infirmière est venue lui demander si
elle avait dégueulé partout, elle a dit oui, plusieurs fois, et elle s'est mise
à pleurer. Elle racontait tout fort que c'était horrible, que ça venait de ses
poumons pour ressortir par la bouche, couleur effrayante, goût insupportable,
etc. Sa crise semblait indiquer que soudainement elle avait peur de la mort. Ou
alors que son expérience est tellement déplaisante qu'elle est insoutenable.
Bref, elle m'a fait pitié. Et quand l'infirmière lui a demandé quand le tout
avait commencé, elle a affirmé que c'était survenu à partir du moment où elle
recevait sa visite la plus importante, pendant qu'elle tentait d'être Posh.
Elle a donc une certaine humilité. Cependant de mon point de vue, c'est encore
une bitch. Ses écouteurs sont disparus, sans doute parce qu'elle écoutait de la
musique full blast toutes les nuits, et les infirmières lui ont confisqués sans
lui dire. Hier soir, sans preuve ou même une idée de ce qui était survenu à ses
écouteurs, elle a accusé Stephen de les avoir volés. Faut pas une salope pour
ainsi juger les autres sans savoir ? C'est clair qu'elle me déteste, et qu'hier,
loin de me défendre contre ce vieux dans le coin qui parlait, elle voulait
juste qu'il se taise. Lui aussi jouait son jeu, parler fort en une sorte de
délire où nous sommes supposés comprendre ce qu'ils veulent nous dire. Arrêter
de tousser peut-être ? Et comment arrête-t-on de tousser lorsque nous
avons une crise d'asthme, je vous demande ? Voilà pourquoi j'ai passé plus
de deux heures dans les toilettes la nuit dernière, pour qu'ils puissent
dormir. Mais aller aux toilettes, je crois, les réveille. Vaut mieux ça de
toute manière que je tousse comme un malade jusqu'à ce qu'ils soient tous
aliénés.
Il y a un gai qui travaille ici, fort jeune,
qui en plus est d'une beauté assez hors du commun, même pour les bars gais de
Londres. Il est d'une perfection à tout casser, mais bien sûr je ne suis pas du
tout intéressé. Je suis malade, j'ai l'air d'un zombi (les hôpitaux sont
excellents pour transformer leurs patients en zombi, et on m'a dit que ça me
prendrait une semaine pour me remettre de l'expérience traumatisante d'être à
l'hôpital). Bref, il est bien trop jeune et beau pour moi, je n'aurais aucune
chance. Cependant je suis le seul jeune patient de toute mon aile (ce qui fait
me demander ce que je fais ici, vraiment), et les autres travailleurs qui sont
des hommes, sont ou vieux ou ils viennent du Zaïre (il y en a un qui est pas mal
zélé qui vient du Zaïre, qui est fier de son pays qu'il a sans doute dû quitter
à la première opportunité, et le problème est qu'il chante tout le temps
pendant que l'on tente de dormir). Rien de bien intéressant pour
Ils viennent d'allumer les lumières à 5,000
Watts qui sont juste au-dessus de nos têtes. C'est simple, avec un tel
éclairage ils pourraient opérer dans n'importe quel compartiment. Et c'était
peut-être le but à l'origine, et donc ces lumières ne devraient pas être
allumées, jamais, sauf en cas d'urgence. C'est tellement éblouissant, que moi
et Stephen, hier, la tête nous en tournait. J’ai demandé à l’infirmière de les
fermer, elle s'est exécutée, mais deux minutes après un autre con qui passait
par là a décidé de les rouvrir (sans doute un administrateur), et nous avons dû
souffrir cela toute l'après-midi, et toute la soirée jusqu'à 22h. Il y a qu’avec
un tel éclairage, il est impossible de dormir entre 20h et 22h, ainsi c'est
peut-être un moyen d'être certain que nous tomberons tous endormis dès 22h. On
n'a pas le choix, sinon on ne dormirait pas. Les lumières se rallument à 6h
exactement. 8h pile de sommeil, et moi qui croyais que justement les malades
devaient dormir beaucoup pour reprendre des forces. Mais je comprends qu'au
rythme auquel ils nous forcent à avaler ces médicaments, ils ont besoin
d'exactement 16h par jour, puisque 8h sans pilules ou injections, c'est un peu
trop pour eux à mon avis.
22 décembre 2004
Ma nuit d'hier n'était pas mieux que les
précédentes, bien que ma fièvre soit enfin partie. Et aujourd'hui je ne peux
m'empêcher de tousser à longueur de journée, ce qui n'aide pas mes plans
d'évasions. J'ai déjà dit à l'infirmière que j'aimerais bien quitter
aujourd'hui, mais il me faut encore le dire au docteur français qui va tenter
de me convaincre de rester un autre quatre jours. Je suis prêt à me déconnecter
de ma machine et de partir en courant, s'ils n'agissent pas trop vite. Je sais
bien qu'ils devront me donner une prescription ou autre avant que je ne parte,
et ils pourraient traîner jusqu'à 21h ce soir.
Ma détermination de partir ce matin a été
amplifiée par une infirmière du diable qui m'est tombée de nulle part, que je
n'ai jamais vu en quatre jours, et qui me dit que les rideaux doivent être
ouverts, que nous n'avons pas le droit au plus simple droit de l'intimité.
Tellement bête, je me suis dit chanceux de n'avoir eu que des infirmières
gentilles depuis le début, même la première était tout de même correcte.
Si ce n'était que ça. Mais ma batch de vieux,
qui sont peu à peu disparus (soient ils sont retournés à la maison, ils sont
ailleurs dans l'hôpital ou ils sont morts), a été remplacé par des jeunes, tard
la nuit dernière, qui m'ont beaucoup inquiétés. Le problème des jeunes qui se
ramassent à l'urgence, c'est que souvent ils y sont pour avoir été saoul et
avoir assommé ou poignardé quelqu'un. Un était déjà parti à mon réveil, mais le
deuxième est juste à côté de moi. Il ne parle pas du tout l'anglais, je n'ai
aucune idée de sa nationalité, bien qu'il ne soit ni noir ni blanc. Il louchait
vers mes affaires un peu trop. Tout de suite j'ai compris qu'il me volerait
peut-être tout, et depuis je ne suis plus tranquille, je ne puis même plus
aller aux toilettes.
Bon, quand je dis qu'il ne parle pas
l'anglais, je pense qu'il prétend ne pas le parler. Il semble être capable de
communiquer avec le balayeur et l'homme du café, mais aucun des autres employés
de l'hôpital. Je pense qu'il a été poignardé, quoi que ce soit difficile de
savoir exactement. Ce doit être assez sérieux, ils avaient bien des grosses
machines dans son compartiment ce matin.
Bien entendu, ce matin notre troupeau de
directeurs et de docteurs s’est retrouvé juste à côté de mon rideau pour
discuter en long et en large le nouveau patient qui vient d'arriver. Ils
étaient un nombre record d'au moins 25 personnes. Puis soudainement ils ont
tous marchés vers notre homme perdu, à moitié nu, qui tentait de dormir. Pauvre
lui, je comprends alors qu'il ait pu prétendre ne pas parler l'anglais, dans
l'espoir qu'ils partent. Et finalement ça a marché, ils sont partis. Le dernier
étant un gros aristocrate riche anglais qui parle à
Ils viennent de me faire une prise de sang,
je pense que d'habitude ça prend entre une heure trente et deux heures à avoir
des résultats. Donc je dois encore un peu attendre.
Découragé par la bitch infirmière, j'ai
décidé de parler au balayeur de plancher du Zaïre. Bien entendu il parle
français, et en plus son frère habite au Québec. Well, si c'était ma décision,
tous les francophones du Zaïre pourraient déménager au Québec, ainsi la langue
française serait sauvée pour quelques années encore. Cependant il me disait
qu'il y avait beaucoup de Canadiens au Zaïre. Et cela m'a beaucoup inquiété. Qui
sont-ils ? Que font-ils ? Des missionnaires ? Alors que nous
sommes dans le nouveau millénaire ? J'aurais cru qu'ils étaient tous
morts. Ces pauvres Africains se font encore laver le cerveau par nos propres
religieux qui ne sont plus qu'une minorité dans notre propre pays, parce que ça
fait longtemps en christ que l'on a compris leur jeu, leur manipulation, et
leurs intérêts mesquins qui n'ont rien à voir avec la religion. Plutôt des desseins
floues de contrôle de l'humanité, partout dans le monde, le pouvoir, et aussi
l'asservissement des individus. Quand un Africain me parle de Dieu, et comment
c'est merveilleux, et que je vois que rien d'autre dans sa vie n’existe sauf sa
religion catholique romaine, je comprends qu'il est non seulement lavé du
cerveau, mais également qu'il est maintenant comme un automate. Au moins il ne
sera pas un danger pour son prochain, sans doute parce qu'il n'a plus trop la
faculté de penser. On devrait arrêter ces missionnaires d'aller en Afrique, et
surtout par leur donner le droit de salir le nom de notre pays.
Enfin, je pars d’ici !
6 Janvier 2005
Je
suis tellement découragé en ce moment, je suis au bureau mais c’est comme si je
n’y étais pas. Tout provient du fait que ce matin, lorsque je suis arrivé, la
jeune de 20 ans et ma patronne me faisaient la gueule et n’ont pas vraiment
répondu à mon bonjour. Je me suis comme souvenu des deux journées précédentes
et tout ce que Rachelle a dit à propos de tout ce que j’ai dit, et vraiment je
constate qu’elle ne m’aime pas du tout. Elle me trouve fatigant et c’est à
peine si elle peut me supporter. En plus elle ne le cache même pas, sa
personnalité ne lui permet pas cette hypocrisie. Elle vient de se faire jeter
par son copain et maintenant elle est partie en guerre contre les hommes (pas
dans le sens d’humanité). Elle déteste ouvertement les hommes et crie souvent
qu’ils sont tous des salauds (wankers, bastards, etc.). Elle sait que je suis
gai, mais cela ne semble pas aider ma situation. Je suis toujours un homme, et
en plus je suis fatigant.
Il est également possible qu’elle me déteste
parce que certains rapports que j’ai écrits ont comme détruit le travail de ces
petites amies, en particulier la grosse torche du département d’en bas que je
ne puis plus sentir. Deux fois elle est venue ici ce matin pour parler pendant
20 minutes avec Rachelle, alors que ce midi elles sont allées manger ensemble
pour plus de deux heures, où sans doute elles s’amusent à critiquer tout le
monde et à faire du commérage. Ainsi je ne l’aurai jamais de mon côté, c’est
peine perdu, les dommages sont faits.
Elle
est supposée devenir ma patronne, bien qu’elle ne le soit pas encore tout à
fait. Pour l’instant je réponds encore directement à Sherlock, et heureusement.
Elle me fait trop chier et je suis à la veille de lui demander c’est quoi son
problème et pourquoi elle me déteste autant. Ce pourrait encore être de la
paranoïa à ce stage, il est vrai que je suis un être assez sensible qui appuie
sur le bouton de panique assez rapidement, mais je me trompe rarement. Et puis
c’est assez clair. Je me souviens qu’avant les fêtes elle disait que j’étais
fort curieux, et que justement c’est pourquoi elle ne m’avait rien dit de sa
vie privée. C’est un peu con de sa part lorsque l’on considère qu’elle est la
plus grande radoteuse de l’organisation et que personne n’a de secrets qui
valent la peine d’être gardés. Elle les raconte à tout le monde, et tous ses
problèmes aussi. Alors on s’en fous-tu qu’elle me raconte son cancer, son
copain qui l’a jetée à la rue, son alcoolisme marqué qu’elle ne semble pas
cacher non plus, et sa non-satisfaction au travail parce que Sherlock ne l’aime
pas trop et qu’il cherche à s’en débarrasser ? J’espère maintenant qu’il
réussira, car ça devient de plus en plus difficile de venir au travail le matin
et de faire mon boulot. Au contraire, je n’ai que l’envie de crisser le camp.
Je me cherche déjà des raisons pour ne pas venir demain, et j’ai déjà mentionné
que nous n’avons pas d’eau chaude en ce moment, ce qui est vrai de toute
manière.
Peut-être
aussi que la semaine a été difficile parce que c’est le retour après les
vacances. Et que nous sommes allés en Belgique, Hollande, Allemagne, Autriche,
Suisse et France. Après ça, retomber dans le moule de la routine est tuant. Ce
midi, le chanteur habituel de la station Westminster chantait encore Losing My
Religion, et j’ai passé près d’y dire de changer de chanson parce que ça
commençait à me déprimer de ne plus être capable de distinguer à chaque fois
que je passe si oui ou non une autre journée s’est déroulée depuis la dernière
fois que j’ai entendu cette chanson. Je me disais que peut-être j’ai rêvé le
reste de la journée d’hier, et le matin même, et que finalement chaque jour
était la même journée.
Patrice
est venu du Canada avec Caroline de Paris. Nous sommes sortis avant hier après
ma journée de travail, et j’ai revu tous mes amis d’antan, de lorsque nous
étions tous à Londres et heureux dans des vies plus simples. Le Bébésito était
là, avec son nouveau copain, un comptable qui se prenait pour le nombril du
monde. Je n’ai rencontré que deux comptables dans ma vie, les deux étaient
gais, travaillaient dans
Celui
d’avant-hier était tout un spécimen de prétention. Je me croyais prétentieux,
mais au moins j’ai encore les deux pieds sur terre. Lui il est parti depuis
longtemps. C’est un frustré de la vie qui chie plus haut que le trou parce
qu’il est comptable, non mais. Il m’a raconté en détails comment il était le
seul responsable de presqu’un million de livres et comment tous ses collègues
au travail devaient venir mendier pour avoir de cet argent, et qu’il n’avait
toujours qu’une seule réponse : non. Il m’a d’abord fait pitié, mais le
lendemain mon sentiment était plutôt l’écœurement. En plus il m’a raconté
comment il avait attrapé la malaria voilà quelques temps en Afrique, et que son
corps était toujours un demi degré au-dessus de la normale. Peut-être était-il
saoul, en tout cas je l’espère. Il a tout du détestable et je ne comprends pas
ce que le Bébésito fait avec lui. Ils sortent ensemble depuis 6 mois, à mon
avis ça va durer un autre mois et ce sera fini.
14 Janvier 2005
Aujourd'hui c'est vendredi. Deuxième semaine
depuis le retour des vacances. J'ai travaillé cinq jours complets cette fois,
malgré que j'étais malade comme un chien (encore !) pendant au moins deux
jours. Mais je ne pouvais plus manquer le travail parce que vendredi dernier il
n'y avait plus d'eau chaude et j'ai dû demeurer à la maison pour attendre le
plombier. Ce n'était pas tout à fait nécessaire, car le père de Stephen était
là de toute manière, mais nous pouvons travailler à partir de la maison, et
dans mon cas, seulement si j'ai une bonne raison, comme vendredi dernier.
Stephen a également été malade cette semaine
et il n'a pu prendre qu'une seule journée de congé, car ils l'ont obligé à
retourner au travail le lendemain alors qu'il était réellement mourant. Ce qui
n'a pas aidé son humeur et son comportement. Depuis quelques jours il est
littéralement hystérique, et je ne pouvais pas sortir de la maison assez
rapidement ce matin pour l'éviter (car le stupide contrôleur d'eau chaude n'a
pas fonctionné, encore une fois, et l'eau était froide ce matin). Il a explosé
au travail hier, et même avec son patron qu'il a insulté complètement alors que
tous les problèmes qu'il a subis hier provenaient d'un conducteur qui a menti à
tout le monde pour que certaines tâches se fassent. Ce qui a provoqué une
explosion de problèmes qui a mis Stephen dans la merde (n'est-ce pas toujours
le cas ?).
Mes contacts en France à propos de cette
série télévisée sur laquelle j'aurais dû travailler, mais j'ai à peine réussi à
traduire quelques lignes en deux semaines, doivent commencer à perdre patience.
À mon avis, à moins que je ne travaille comme un malade tout le week-end, ils
vont me remercier pour mes services et m'envoyer promener. En plus, les
Québécois qui travaillent sur un autre de mes scénarios m'annoncent que le
projet n'a pas reçu d'argent du gouvernement, mais qu'il y a encore espoir si
nous réécrivons le tout en entier. Où ai-je déjà entendu ça ? Ah oui,
lorsque j'ai envoyé mes pièces de théâtre à cette association de directeurs au
Québec voilà bien 15 ans. Là encore on me demandait de tout réécrire, et en
plus, de tout réécrire en joual québécois. Ainsi au Québec, si on n'écrit pas
en français, pas de subvention, et si on n'écrit pas dans le jargon des pionniers,
faut pas rêver en couleur, pas de subvention. L'ironie est qu'avant Michel
Tremblay et ses Belles-sœurs en... quelle année déjà ? 1939 je crois, ou
peut-être 1979... avant cette pièce de théâtre, personne n'écrivait dans la
langue parlée du peuple. Maintenant, grâce à lui, on n'a plus le choix.
Pourquoi donc faut-il que tout dans cette
société fonctionne par les extrêmes ? Sans doute parce que nous sommes
tous des extrémistes dans le fond de nos coeurs. Ou alors nous n'avons aucune
intelligence. Bref, je dois tout réécrire, mon personnage principal leur a
semblé trop diabolique, cynique, ironique, psychologique et impénétrable.
Tient, il me semble là me reconnaître tout à fait dans tous les livres que j'ai
écrits.
Heureusement que je n'ai jamais attendu après
les subventions gouvernementales pour écrire. Premièrement je n'aurais jamais
reçu de bourse, ils m'auraient demandé de tout réécrire au moins 100 fois, un
peu comme un gouvernement communiste et socialiste. Et même après avoir tout réécrit
et avoir détruit l'oeuvre, cela n'aurait pas suffit. Ainsi il n'y a pas de
portes de sortie. Il faut avoir un bon emploi dans les conférences dans une
bonne société capitaliste, et se tuer à la tâche pour écrire la littérature que
nous désirons écrire la nuit, alors que nous travaillons le lendemain. Ou
alors, comme je fais en ce moment, j'écris dans le train qui m'emporte à
Westminster. Tout ce livre a été écrit dans ce train, sauf lorsque j'étais
mourant à l'hôpital, sans doute d'une grippe attrapée dans le train. Lorsque
nous sommes une centaine par wagon qui sommes assis un par-dessus l'autre à se
respirer chacun le trou du cul, comment ne pas attraper toutes leurs maladies ?
Depuis octobre je suis malade en permanence. J'ai dû arrêter de fumer, de
boire, d'écrire et de vivre. Pas pour rien que je suis maintenant incapable de
respirer, dans le sens littéral et symbolique. Cette société m'étouffe, elle me
tue, et je n'en peux plus.
Encore hier au travail,
Je discutais hier avec Sinéad l'Irlandaise,
que plusieurs personnes avaient besoin de discipline, d'une hiérarchie sociale,
d'une autorité toute puissante et d'une routine réglée au quart de tour. Sinon,
leur vie prend le bord, ils perdent la tête, ils prennent un fusil et
commencent à tirer dans toutes les directions (encore la mort, disons plutôt
qu'ils entrent en dépression et vont chez le médecin pour être bourrés de
pilules, ah ces pilules miraculeuses). Et je lui disais, vraiment, il existe
des gens qui ne peuvent vivre sans ces choses, qui justement m'exaspèrent
tellement que je refuse de vivre dans une société Big Brother ainsi régimentaire.
Il semblerait qu'avec le temps et le simple outil de sensibilisation de par les
médias, on finit par convaincre le peuple qu'il faut des caméras partout, il
faut des figures d'autorité partout, il faut 100,000 policiers dans les rues de
Londres, et 300,000 personnes en charge de donner des tickets de stationnements.
Il faut également que dans chaque train et sur chaque plateforme, une voix
d'ordinateur nous disent toutes les lois de la sécurité, ce que nous n'avons
pas le droit de faire, où nous sommes, ce que nous devons faire, etc., tout
cela répété deux secondes après par un humain qui lui aussi s’imagine que nous
n'avons rien compris et que le lavage de cerveau n'est pas tout à fait complet,
à moins que l'on nous dise au moins 10 fois qu'il est interdit de fumer, qu'il
existe une section où les téléphones mobiles ne peuvent pas être utilisés, que
nous n'avons pas le droit de mettre nos pieds sur les bancs, qu'il existe un
espace entre le train et le quai et que nous devons faire attention de ne pas
tomber dans le trou, et quoi d'autres vont-ils inventer pour nous rendre
cinglés ? Christ, pensent-ils que nous ne savons pas depuis le temps qu'il
est interdit de fumer partout sur cette planète ? Et dites-moi, qui donc
dernièrement est tombé entre le train et le quai, ou a mis ses pieds sur un
banc ? Personne. Pourtant, comme si nous étions des enfants, ils nous répètent
ça sans cesse, et là, je dois être certain de ne pas oublier mon sac, qu'ils
viennent de dire, nous sommes enfin arrivés à Waterloo.
Lundi 17 Janvier
2005
Aujourd'hui a été une journée éreintante. Je
ne crois pas avoir utilisé ce mot auparavant, et si je l'utilise aujourd'hui,
c'est que cette journée n'a pas été infernale ou fort stressante, juste
éreintante. Pourquoi ? C'est Rachelle. Sans vraiment m'attaquer de front,
elle a un couteau et elle m'en donne de petits coups toute la journée. Alors à
la longue ça devient stressant, et c'est rendu au soir que l'on se rend compte
de l'impact de ces jeux innocents, lorsque soudainement l'idée de retourner au
travail le lendemain devient insupportable, où on pense à chercher un autre
emploi, etc.
J'ignore pourquoi, mais Rachelle tout
simplement me déteste. Il n'y a rien que je puis faire à ce sujet, elle est
assise à côté de moi et ça je ne l'ai pas choisi. C'était sa décision, comme
elle doit le regretter maintenant. Son problème est qu'elle est incapable de
cacher son mauvais caractère, encore moins de prétendre être indifférente à un
employé lorsque cet employé l'énerve. Et aujourd'hui nous avons eu plusieurs
différends sur bien des sujets, aucunement reliés au travail.
Alors la solution à ce problème délicat, je
n'ai qu'à me fermer la gueule et faire mon travail. Mais voilà, ce n'est pas
une vie, c'est déprimant, ça te donne juste l'envie de trouver un autre boulot.
Et je vais m'y mettre, lorsque j'aurai terminé tous les projets sur lesquels je
travaille en ce moment, mais comme ces projets me prendront une éternité...
Semblerait que toute la journée nous avons eu
la chance unique de se prouver combien toutes nos opinions diffèrent de A
jusqu'à Z. Assez extraordinaire, elle est comme mon opposée absolue. En plus
elle déteste ouvertement tous les hommes, cela n'est pas nouveau. Et certes, en
premier lieu, elle ne peut pas sentir Sherlock, elle ne l'a jamais caché, même
en face de lui. Elle s'imagine sans doute que ni moi, ni Sherlock, n’avons une
quelconque intelligence, puisque nous sommes incapables de partager au moins
une de ses idées. Bref, elle est maintenant enragée contre moi, alors que je
n'ai pratiquement rien fait et que nous n'avons pas, à proprement parler, de
lien commun au travail.
Mais voilà, elle va devenir ma patronne
bientôt, c'est avec elle que je devrai avoir toutes mes réunions, de qui je
recevrai mes ordres. Et bien que je serais heureux de ne plus avoir à répondre
à Sherlock, je commence à m'inquiéter de ce que cette bitch pourra faire pour
me détruire dans mon dos aux yeux du patron. Et déjà aujourd'hui, puisque cela
était évident qu'elle m'a craché dessus toute la journée, j'ai discuté avec les
deux autres filles avec qui je partage notre petit deux mètres carré (la
troisième fille n'étant pas là cette semaine). Je leur ai demandé pourquoi
Rachelle ne m'aimait pas, qu'il était clair qu'il y a avait de la tension, etc.
La fille des finances a bien admit qu'il y avait une divergence d'opinion, un
clash de personnalités, car nous avions tous les deux de fortes opinions
opposées.
Et tout cela était fort important que je le
dise, car si je vais annoncer à Sherlock que je ne travaillerai pas avec
Rachelle à cause d'une divergence d'opinion, et qu'aussi, tout simplement, elle
ne puis pas me sentir, il me faudra au moins pouvoir affirmer qu'il y a des
témoins à tout cela et que le tout n'est pas juste dans ma tête. Il est bien
certain que Rachelle n'avouera jamais ses sentiments et sa conduite, ce n'est
d'ailleurs pas son style. Elle est une de ces personnes complètement
imprévisibles qui ont une opinion arrêtée sur tout et qui vont lutter contre le
monde entier pour faire accepter ces opinions, et qui sont incapables
d'accepter que les autres puissent avoir des opinions contraires. Et ça c'est
assez nouveau pour moi dans mes relations avec les Londoniens. Si je me suis
déjà battu avec des gens similaires, alors ils étaient un peu moins extrémistes
qu'elle, et tout simplement me détestaient et m'ont poignardé dans le dos à
maintes reprises sans même que je le sache, ou alors il n'y a pas eu trop
d'échanges entre nous. Mais cette fois c'est fort, c'est puissant, c'est une
haine pratiquement ouvertement déclarée. Et ce n'est pas parce que je suis gai,
non plus parce que je suis Canadien-Français (quoique que d'être un peu
imbécile parce que je ne comprends pas tout n'a certainement pas dû aider, je
lui tombe alors encore plus sur le système), et ce n'est pas non plus parce que
je suis une menace à son intelligence ou son emploi. C'est clairement parce qu’elle
est une personne à principes et que moi sans doute je n'ai aucun principe. Elle
est morale et moraliste, et moi je n'ai aucune morale. Elle pleure encore sur
les morts des tours de New York, je m'en contrefous éperdument, ça fait des
années cette histoire. Finalement elle est rangée et croit en l'autorité, je
suis un véritable anarchiste.
Cependant je pense que justement elle n'est
pas complètement folle. Elle a su voir ce que les autres ne peuvent pas voir,
car ils finissent tous par succomber à mon charme innocent. Oh que oui, je
réussis toujours à charmer les plus endurcis, mais malheureusement jamais tous.
Il y en a toujours un ou une qui résiste encore à l'envahisseur. Cette fois, je
crois que c'est parce qu'elle a su voir clair, ce qu'est vraiment ma personnalité.
Alors que tous les autres passent par-dessus mes commentaires quotidiens, comme
si je n'avais rien dit, elle, elle bloque à chaque fois, scandalisée.
Je ne crois pas que nous puissions nous accorder
sur une même opinion, pas une seule. Il existe ainsi des gens sur la planète
qui sont nos opposés absolus, et voilà, elle et moi c'est le jour et la nuit.
Comment alors survivre ? Comment travailler ensemble à des objectifs communs ?
Impossible. Ça va tourner au vinaigre, surtout lorsque finalement elle sera
responsable de moi, et j'espère juste qu'au dernier moment cela ne surviendra
pas. Et quelle erreur ce serait de toute manière, que connaît-elle au monde des
conférences ? Absolument rien. Si elle ne demande pas de ne pas être
responsable de moi, je le demanderai.
Mais il s'agit peut-être également d’un début
d'explication au pourquoi elle m'a dans le collimateur. Elle aurait dû être
responsable de moi dès le départ, mais ne l'a jamais été. Elle devait reprendre
les rênes, juste après le Jour de l'an, mais voilà, cela ne s'est pas
concrétisé. En plus, tout cela est venu symboliser le fait que Sherlock lui a
enlevé plusieurs responsabilités, une après l'autre, et je couronne cet échec
lamentable de sa carrière qui s'en va chez le diable.
Tout cela serait bien suffisant à justifier
pourquoi elle me déteste autant, même si je lui donne le crédit que peut-être
c'est à cause de nos divergences d'opinions. Dieu seul sait ce qui se passe
dans la tête de Rachelle. Et j'ai tout fait, et je fais encore des efforts,
pour qu'elle m'aime, pour qu'elle aussi succombe à mon charme, comme les deux
autres en face de moi qui me détestaient mais qui maintenant me disent qu'elles
aiment venir au travail à cause de moi. Mais tout cela est peine perdue.
18 Janvier 2005,
Putney
Je m'en vais au travail, encore une fois. Je
me sens bien mal ce matin, après m'être saoulé hier et avoir relu ma vieille
poésie (et fumé un paquet complet de cigarettes !). En tout cas ça remet
les idées en place, ça aide à tout remettre dans son contexte. Je regrette ma
petite crise d'hier, même si elle est nécessaire à la solution de mes problèmes
futurs avec Rachelle. J'ai eu l'air d'un pleurnichard, d'un homme cassé qui
s'apitoyait sur son sort : « je ne suis tellement pas chanceux, il y
a toujours une bitch ou un con pour me détester et me causer du trouble ! »,
que je semblais crier.
Pourtant Rachelle est la moins pire de toutes
les bitches et les malades qui m'ont fait chier dans mes emplois antérieurs. Je
dois admettre que même les réunions avec le grand patron ne sont pas si
effrayantes, même si le stress peu parfois me bouffer tout cru lorsque je suis
en retard ou que je n'ai rien fait depuis quelques jours. C'est pratiquement
l'emploi de rêve, même s'il s'agit tout de même d'un vrai emploi qui ne me
laisse plus le temps de rien faire, surtout pas de dormir (et comme j'aimerais
dormir ce matin !). Donc, je ne puis pas trop me lamenter, personne n'est
vraiment méchant, même si la plupart ne sont pas des cerveaux ambulants, à
première vue. Pourquoi alors se lamenter ?
Bof, ce n'est pas vraiment que je me lamente,
mais plutôt que je fais juste raconter mes journées lorsqu'un événement
survient, car en ce moment la routine est tout ce qui existe. Alors une petite
crise, même toute petite, vaut bien que j'en fasse tout un plat. Espérons aussi
que tout cela n'est pas un exercice inutile, je vois déjà mes critiques me
dire, après avoir lu ce livre, comment ils se sont emmerdés à mourir. Eh bien,
à ce que je sache, je ne vous ai pas demandé de lire ces lignes, alors arrêtez
dès maintenant et oubliez d'écrire votre critique.
Ce qui est intéressant et différent de mes
emplois antérieurs, est que je doive utiliser le mot éreintant plutôt
qu'infernal. Une journée un peu stressante plutôt que la pire journée de ma
vie. Une femme qui semble avoir une divergence d'opinion d'avec moi, plutôt
qu'une bitch qui vient de me poignarder dans le dos et qui m'a pratiquement
fait perdre mon job. Enfin, on voit la différence d'avec le monde commercial,
où les gens se coupent la gorge à longueur de journée.
Après avoir survécu à tout cela, je dois dire
qu'une semaine à Westminster, loin du vrai monde des affaires, est une partie
de plaisir. Et leurs petites simagrées me font bien rire. Rachelle ne mérite
même pas que je m'arrête un instant pour considérer la menace qu'elle
représente et que j'élabore un plan d'action pour que son attaque soit
renversée et qu'elle soit blâmée à ma place. Elle ne me semble pas très
dangereuse, comparée à ce que j'ai confronté dans le passé. Mais ne
sous-estimons pas nos adversaires, il est clair que je ne suis pas encore sous
son aile, et là les problèmes risquent de commencer. Elle pourrait s'avérer
être une adversaire redoutable, et aux grands maux, les grands moyens. Il me
faudra la détruire aux yeux de tous, et surtout aux yeux de Sherlock. Et ce ne
sera pas très difficile, elle le déteste autant qu'elle me déteste. Avec un peu
de chance, je la remplacerai en tant que Directeur des Opérations.
Elle ne semble pas faire grand-chose de toute
manière, aussitôt que je sors de la pièce, elle parle sur son téléphone mobile
ou elle visite des sites Internet non reliés au travail. Mais je constate
qu'elle ne me fait pas trop confiance, car aussitôt que j'entre, elle arrête et
prétend travailler. Amusant, alors que c'est moi l'employé, et donc moi qui
devrait cacher le fait que je ne fous rien de la journée. Mais en ce moment, je
travaille comme un malade.
27 jan 2005
J'arrive
à la fin de cette damnée première conférence, cela m'aura pris en tout plus de
trois mois, un nouveau record de longueur, puisque d'habitude il faut en
produire une en 30 jours. Bon, il est vrai que j'ai fait des rapports, des
analyses de marchés, d'autres projets, et que ça a pris bien du temps avant que
le département de Construction finisse par me donner le feu vert, et qu'à mis
chemin ils ont changé mon programme au complet, et puis quoi encore.
L'important est que je puisse justifier pourquoi ça m'a pris une éternité et
que, malgré tout, mon patron pense que je suis un travailleur miracle, même si,
il faut bien se rendre à l'évidence, ce que j'ai fait jusqu'à maintenant est
fort médiocre. Never mind, nous sommes à Westminster. Comparé à tous les autres
qui travaillent ici, je puis vous affirmer que ma médiocrité brille
d'intelligence. Voilà pourquoi je suis encore le « blue eye boy » aux
yeux de Sherlock, alors que mes yeux sont noirs, comme ceux du diable.
Hier
une fille est revenue pour une troisième entrevue, pour la position dans les ventes,
c'est-à-dire publicité et exposition. Ça commençait à être le temps, hier j'ai
passé la journée à négocier un contrat de publicité de moins de 9000 livres, et
déjà cela était trop. Ils veulent payer la moitié de ça, pour quelque chose qui
leur aurait coûté 20,000 chez notre compétiteur, alors même qu'ils sont les
publicitaires principaux sur les conférences de ce compétiteur. Alors je me
fais jouer ici, pas assez d'expérience dans les pubs. Je dois leur extirper le
plus d'argent possible, et je sais qu'ils peuvent payer.
Cette
fille commence lundi ou mardi prochain, et comme les autres qui travaillent ici,
avant que je ne commence, je m'imagine qu'elle va reprendre toutes ces
négociations et me débarrasser de ce rôle de vendeur que je ne veux absolument
pas. Mais je me trompe grandement. Je vois déjà comment le tout se produira.
Elle prendra au moins un mois pour juste apprendre ce qu'est l'organisation, et
puis un peu d'analyse pour comprendre où nous pouvons faire de l'argent. Et
comme elle est aussi en charge de vendre de l'espace dans nos magazines et
autres publications, alors voilà, elle ne travaillera jamais avec moi sur mes
conférences. Donc je ne dois pas trop rêver et croire qu'elle va changer ma
vie, on ne peut compter que sur soi-même dans ce monde. Ces conférences ne
feront d'argent que si je deviens un vendeur, alors même que j'ai toujours dit
que si mon emploi devenait un emploi de merde, je quitte. Pour l'instant c'est
ok.
Mais vendeur, à Westminster ? Vous voulez rire ?
Il n'y a aucun vendeur dans un rayon d'un mille autour du Parliament Square. Il
y a juste des bureaux gouvernementaux remplis de vieilles laides au nez crochu
(à peu près comme Margaret Thatcher) et qui sans doute sont faites en plastique
et se pensent meilleures et plus importantes que
Hier
au travail, il y avait un peu trop de familiarité. À un moment donné tous
riaient de moi (avec moi comme ils aiment dire), et je me rends compte que je
suis devenu le clown du département. Cela est fort dangereux et je devrais
faire attention. Lorsque le respect disparaît, nous sommes foutus. Et tout ce
travail que j'ai fait pour demeurer plus sérieux au travail ces dernières
semaines, tout est à l'eau. Il semblerait que garder la tête basse à
Westminster soit impossible dans mon cas. Je suis bien trop extroverti. Et
maintenant je vais en payer le prix. Heureusement Sherlock est toujours dans
son bocal à poisson, et pour lui ce monde parallèle où je suis frivole et le
clown de l'organisation, il ne connaît pas. Pour lui je suis encore l'employé
modèle qui va faire de l'argent. Misère.
Westminster, 28 Janvier 2005
Extraordinaire
comment une journée et une carrière peuvent être détruites en moins de 30
secondes, et tout à fait de façon inattendue. Il est vrai que je n’ai pas
respecté le fait que je doive me fermer la gueule au travail, prétendre ne pas
entendre ce que les pies radotent à toute heure de la journée, tout simplement
faire mon boulot, m’enfermer dans ma bulle, prétendre ne pas exister. Mais ce
matin elles parlaient du fait que plusieurs personnes, dont tout le département
du marketing, portent des jeans, alors qu’elles n’en ont pas le droit. Au lieu
d’encourager ce mouvement pour qu’elles puissent aussi porter des jeans, au
contraire, elles font tout pour arrêter les autres d’en porter, car elles
jugent cela comme étant injuste. Comme je commençais à parler, Rachelle m’a
confronté avec ses opinions tout à fait contraires aux miennes (comme d’habitude).
Pourtant j’ai bien eu une attaque précédente pour me signifier l’alerte rouge,
et que je devais être sur mes gardes. Mais je n’ai pas écouté tout ça. Parce
que c’est vendredi et que le vendredi nous sommes remplis d’énergie, parce que
nous savons que c’est la fin de la semaine. Alors nous sommes en air, prêts à
danser, chanter, se saouler et mourir crucifié à l’autel à la fin d’une journée
de party qui n’a plus de fin. Je suis vite revenu à la réalité cependant. Et
l’envie de célébrer s’est évaporée dans la nature.
Lorsque
le petit différend amusant a commencé entre moi et la fille du Brésil, et que
Rachelle s’en est mêlée pour me « blaster », j’ai mis ma main devant
elle comme pour l’arrêter, et je me suis retourné pour signifier que je ne lui
parlais pas. Comme elle a continué de plus belle, j’ai dû me lever et partir de
la pièce en affirmant que je n’avais pas l’intention d’argumenter aujourd’hui.
Je
suis alors allé dans les toilettes et j’ai compris à ce moment l’étendue de ma
bévue. Que pouvais-je alors faire ? Une démonstration aussi claire que je
ne puis plus la supporter, qu’il existe un problème réel et que nous ne
pourrons jamais travailler ensemble ? Qu’allais-je ensuite faire,
retourner à ma place dans l’espoir que personne ne s’en rendrait compte, que
personne n’aurait vu quoi que ce soit, ou aurait miraculeusement tout oublié ?
J’étais dans la merde, il n’y avait pas de porte de sortie. Je voulais alors
repartir à la maison pour travailler, mais comment allais-je justifier ça, sans
rendre la situation encore pire qu’elle ne l’était ? Impossible. Je dois
demeurer à ma place, sans parler de la journée, prétendre que tout va bien.
Mais tout le monde sait que quelque chose s’est produit, que ça ne va pas, et
que je suis d’une humeur massacrante.
Après
cet orage, voilà qu’elle me pose une question à propos de mon emploi, me
demandant si je voulais des procédures établies à propos de mon emploi. Une
question si compliquée, que je ne la comprends toujours pas. Elle me pose cela
alors que je suis prêt à retourner à la maison pour la journée, ou même ne plus
jamais revenir à Westminster. Avais-je vraiment envie de lui répondre ? Et
pourtant la seule chose qui me venait à l’esprit était : pourquoi me demande-t-elle
ça, maintenant ? Elle qui ne me parle jamais de choses reliées au bureau ?
Était-ce parce qu’elle voulait savoir si j’allais répondre sans exploser et
quitter les lieux ? Comme pour me tester ? Ou alors elle se sentait
coupable d’avoir sauté dans notre conversation et d’avoir commencé à argumenter
avec moi alors que je ne le voulais pas ? Elle revenait donc à des sujets
plus terre à terre, le travail. Mais voilà, en me demandant ça, c’est comme si
elle réaffirmait qu’elle serait bientôt ma patronne, et alors je n’aurai pas le
choix de transiger avec elle. Mais je pense qu’elle tente d’être gentille. Elle
m’a donné une sorte de support spongieux pour mettre devant mon clavier
d’ordinateur, mais je n’en voulais pas de toute manière.
Elle a
tout intérêt à être gentille, elle s’est déjà bataillée avec plusieurs employés
dans les dernières semaines. Depuis deux semaines elle est tout simplement
hystérique dans ce bureau. Plus rien ne va l’arrêter dans son élan, elle est
devenue incontrôlable. Et ce n’est pas Sherlock qui va l’arrêter, elle l’envoie
promener aller-retour et il demeure impuissant. Le pauvre, je suppose que c’est
la même chose à la maison, sa femme doit le faire mettre à genou et il doit lui
obéir au doigt et à l’heure. Voilà sans doute pourquoi il demeure au travail en
permanence. Il semble arriver à 6 heures le matin et il semble partir à 20h.
Comme il habite très loin en banlieue, et que fort souvent il a des réunions en
dehors du bureau le soir, il ne doit jamais voir sa femme ou ses enfants.
Heureusement au travail il peut s’enfermer dans son bocal et il n’a pas à
supporter le monstre. Moi je n’ai pas le choix.
1er
Février 2005
Je n’arrive pas à croire que ce soit déjà le
mois de février. Les filles non plus au travail. C’est bizarre, lorsque le
temps passe vite pour moi, le temps leur semble également aller rapidement. Et
lorsqu’il me semble que je vais mourir d’ennuie avant la fin de la journée,
elles aussi ne sont que des zombies endormies qui n’en peuvent plus d’attendre
que le Big Ben sonne les cloches de 17h.
Peut-être que tout
cela est connecté à la température et la pression dans le bureau, et donc notre
humeur générale, mais je pense plutôt que le tout a plus à voir avec
Bref, depuis octobre dernier, il me semble
que le temps a passé très vite, bien que franchement je n’aie même pas eu le
temps de terminer une première conférence. J’ai beau me dire que tant que je
puis justifier ce retard, il n’y a rien à craindre, mais sans doute faut-il que
je me rende à l’évidence. Je ne pourrai sans doute pas le justifier et ça
commence à mal paraître. Un directeur aujourd’hui s’est exclamé : tu
travailles encore là-dessus ? Et il avait crissement
raison, bien que ça m’ait insulté ben raide et que je souhaitais lui dire qu’il
se mêle de ses affaires.
Une bonne nouvelle
aujourd’hui, cependant, un grand changement a été annoncé à propos du
département de conférences. C’est officiel depuis un mois, bien qu’on ne le
savait pas, on n’a plus besoin d’utiliser ce département très bien organisé
pour s’occuper de nos conférences. La raison est bien simple, ils demandent
65 % des profits. Alors maintenant on va aller à l’extérieur, et donc
donner nos profits à une organisation externe. C’est un peu stupide, il me
semble que ce qu’il faut faire est plutôt de s’arranger pour un partage du
profit un peu plus raisonnable et ainsi garder tous les profits à l’intérieur
de notre association. Sinon, il faudra se reconstruire une toute nouvelle
structure de conférence, sauf qu’ils ne sont pas prêts à engager qui que ce
soit. Et je pense que Sherlock ne se rend pas compte que d’engager une
compagnie externe nous coûtera un bras. Je n’ai pas le choix cependant de
trouver ces compagnies externes et demander des estimés. Et alors je dois
retourner vers le département des conférences et leur dire : voici combien
vous devez me charger au lieu de votre 65 %. Et s’ils refusent, alors
oublions-les. Ils fermeront bien assez tôt et alors je serai le seul
responsable des conférences à l’intérieur de notre département.
Tout le monde doit
maintenant faire leurs conférences comme je le fais, trouver les conférenciers
et écrire les programmes. Ils pensent que tout cela se fait automatiquement et
en moins d’une semaine, parce qu’ils savent déjà qui ils veulent inviter. Ce
sont des imbéciles qui n’y comprennent rien, un mois n’est pas suffisant pour
produire une conférence de deux jours avec 25 conférenciers. Et le tout va mal
tourner, je le sens, lorsque tous les assistants seront prisonniers de
conférences interminables qui ne vont nulle part, et qu’ils ne pourront rien
faire d’autre. De l’organisation sera nécessaire alors, et je pense que je
jouerai un rôle dans tout ça. Mais quand ? Et est-ce que mon salaire va
changer ? Et surtout, mon ordre du temps. C’est-à-dire, vais-je devoir
continuer à produire des conférences, ou plutôt superviser toutes les
conférences ? Nous verrons. Mais il faut que quelque chose survienne,
sinon je vais recommencer à postuler à d’autres emplois dans les médias. Je ne
détesterais pas travailler pour
9 fév 05
Je suis tellement fatigué, j’arrive de Clapham
South. Je me suis absenté pendant deux heures cet après-midi. Ça a fait plaisir
à Rachelle, je me demande bien pourquoi. À mon retour, lorsque j’ai annoncé que
je partirais plus tard pour compenser, elle a dit de ne pas m’en faire, de
partir à l’heure. Je me demande si elle cherche à être gentille, encore une
fois, ou si au contraire ce soir, à la grande soirée des Directeurs des
Facultés et Forums elle ne va pas me poignarder dans le dos en racontant à tout
le monde que j’ai passé l’après-midi à Clapham South, puis revenu au bureau
pour passer des coups de fil et envoyé un fax. Le problème est que c’est la
première fois que cela m’arrive d’exagérer ainsi, et sans doute la dernière
fois pour un bon bout de temps. Cependant, pour elle, c’est inespéré, surtout
si elle cherche à me discréditer. Bien sûr, que je parte à 18h au lieu de 17h
pour compenser détruirait sa belle histoire. J’aime croire qu’elle tente d’être
gentille, mais je ne saurais dire.
10 fév 2005
Hier a
été une journée non pas éreintante, mais fort stressante. Lorsque je suis
revenu à l’appartement j’étais d’une humeur massacrante, ça m’a pris deux
heures pour décompresser. Je n’avais pas l’argent non plus pour acheter de la
bière, alors j’ai bu une petite bouteille de vin de framboise laissée par mon
oncle la dernière fois qu’il était à Londres. Cette petite bouteille était
inespérée.
Le
pire de toute cette histoire est que le tout est une histoire d’avocat. Ma
première demi-heure au travail a été rendue fort compliquée à cause de cette
histoire de visa pour que je puisse demeurer en Angleterre. Oui, un avocat
génial, qui a tout réglé mes problèmes voilà deux ans et qui nous a coûté
₤ 1,300. Cette année, pour un autre visa qui, semble-t-il est le
dernier que j’aurai à demander (sauf que l’an prochain je devrai encore payer
pour avoir ma citoyenneté), il me faut encore payer ₤ 1,400, et je ne
sais pas où les trouver. Les histoires d’immigration c’est de l’arnaque, un
moyen pour un pays de faire de l’argent et engraisser ses avocats.
Je viens d’acheter un ordinateur, Stephen me
disait que c’était ok, mais là ce n’est plus le cas. Il comptait sur sa mère
pour payer l’avocat, mais comme il a manqué certains paiements de remboursement
de dettes à sa mère, il est bien convaincu qu’elle va dire un non catégorique.
Et Stephen, comme toujours, a trouvé le moyen de me blâmer pour toute cette
histoire. J’ai acheté l’ordinateur, et je ne lui ai pas rappelé qu’il fallait
qu’il paie sa mère. Ainsi la solution qu’il me reste en ce moment est de vendre
cet ordinateur sur eBay à pure perte. Je vais attendre quelques jours encore
avant de lui offrir cette possibilité, car j’aimerais certes garder cet
ordinateur qui me rend la vie bien plus facile.
Le
deuxième avocat est une histoire d’horreur. Toute la journée je me suis débattu
avec cette histoire, mais ça date déjà depuis cinq mois. Ce foutu camion qui a
détruit tout le côté de ma Renault 5 et qui a fait au-dessus de ₤ 2,000
de dommages. Bien que je ne demande que ₤ 300 à cause de la valeur
de la voiture, ces compagnies d’assurance se sont engagés des avocats. et cette
tempête inutile pour 300 misérables livres dure depuis septembre dernier. Ils
ont certes déjà dépensé plus de ₤ 30,000 en tout pour éviter de
payer ₤ 300. Il y a tous les gens qui travaillent là-dessus aux
compagnies d’assurance et dans les deux bureaux d’avocats, au moins trois
assesseurs ont fait le tour de mon auto pour figurer l’état de destruction, et
alors que tout est évident et qu’il n’y a même pas à discuter cette histoire,
l’autre parti proclame qu’il n’y a jamais eu d’accident. Depuis cinq mois et je
ne voyais plus la fin du tunnel. Ça allait se rendre en cours de justice, ça
allait nous coûter ₤ 50,000 sinon ₤ 100,000 pour nous battre
contre eux. Ils auraient sans doute dépensé le double de tout ça, et sans doute
les compagnies d’assurance aussi. Les seuls qui auraient profité dans toute
cette histoire sont bien les avocats qui, j’en suis certain, sont à la source
de cette escalade de problèmes et ce manque de diplomatie marqué qui fait que
l’on est prêt à poursuivre le monde entier en justice juste par principe,
oubliant que toute cette histoire au départ n’était que pour un misérable
₤ 300. Et ce misérable ₤ 300, je ne le l’obtiens pas
immédiatement, j’ai au moins 10 paiements qui ne passeront pas d’ici à ce que
je sois payé, et le tout va me coûter ₤ 600 en frais de toute sorte.
Alors
hier j’ai pris mes petits pieds, j’ai dû oublier toute la journée mes
responsabilités au travail, et je suis parti pour Clapham South pour faire ma
propre enquête à
Je constate que la plupart des gens que je
rencontre individuellement sont des gens honnêtes. Et je pense que le
conducteur du camion l’était aussi, puisqu’il a pris le temps d’aller dans le
bureau du site de construction pour donner tous les détails à propos de
l’accident. C’est aussitôt que les avocats sont tombés là-dedans que le tout a
commencé à prendre une éternité et que les coûts ont commencé à monter de façon
vertigineuse. Ils en sortiront tout à fait gagnants, peu importe l’issue du
conflit.
14 février 2005
C’est
J’ai
passé la journée entière hier à chercher tous les papiers nécessaires à ma
demande de visa. Tabarnack que je suis écoeuré de faire ça, de payer une
fortune, d’espérer encore une fois que je ne serai pas expulsé par un escadron
le lendemain de ma demande, etc. Stephen a trouvé l’argent finalement, emprunt
chez sa mère. Quand il s’est assis pour me faire la morale du siècle, comme
quoi je lui coûtais cher et que j’étais irresponsable, je lui ai proposé de
vendre mon ordinateur à la place. Soudainement ça l’a comme bloqué dans sa
morale, et il m’a affirmé que ce ne serait pas nécessaire. Tant mieux.
Maintenant si je pouvais juste recevoir ce ₤ 300 de cette compagnie
d’assurance, ça règlerait tous mes problèmes ce mois-ci. À partir
d’aujourd’hui, tous les paiements dans mon compte jusqu’à ce que je sois payé
dans deux semaines ne passeront pas et je n’ai même pas l’argent pour manger le
midi. Tout ça à cause de ce damné ordinateur, mais heureusement je suis en
train de m’en servir pour écrire en ce moment, alors il faut au moins que je
reconnaisse que, peu importe les conséquences, ça en valait la peine.
Lundi
encore une fois, le train est plein à craquer, comme d’habitude. Avoir ajouté
deux trains par heure ne semble pas avoir changé le fait que les trains sont
toujours trop pleins de monde. Je m’en vais au bureau au Parliament Square, et
cette idée ne m’enchante pas, bien que ce retour au travail soit moins pire que
la semaine dernière où je revenais d’un quatre jours de congé.
Je souhaiterais que quelque chose
d’exceptionnel survienne, comme une inondation, une tempête de neige
effroyable, que mon patron ou Rachelle fasse une crise cardiaque spectaculaire,
peu importe. Mes journées sont tellement longues et inintéressantes, que même
des événements moins extrêmes me satisferaient, tels que mon patron ou Rachelle
malade pour un jour ou deux, et je suis incapable d’imaginer quoi d’autre. En
fait, Rachelle travaille à partir de la maison aujourd’hui, et dans son cas,
c’est clair qu’elle ne va rien foutre de la journée. Ça doit être évident même
pour Sherlock, pourtant il n’a pas dit non lorsqu’elle l’a demandé. Je ne crois
pas que l’absence de Rachelle aujourd’hui soit suffisante pour me rendre
heureux, ou même faire de ma journée quelque chose de tolérable. La plupart du
temps elle est toujours en réunion de toute manière.
Je dois avouer que ça m’a fait un choc
d’apprendre qu’elle soit plus jeune que moi d’un an. Soudainement j’ai perdu
beaucoup de respect pour elle, il ne me semble pas justifié qu’elle soit ma
patronne. Je me rends compte aujourd’hui, que jamais je n’ai eu un patron plus
jeune que moi. Mais tout cela c’est dérisoire, qu’importe son âge ? Ces
sont des préjugés, c’est psychologique, ce n’est pas justifié. Cependant ça m’a
drôlement soulagé. Soudainement, cette grande et grosse figure autoritaire,
pour ne pas dire totalitaire, n’est qu’une enfant plus jeune que moi. Sans
doute remplie de doutes sur ses capacités à être en charge. Encore des
préjugés, mais je suis incapable de les arrêter. Je dois bien m’accrocher à ce
que je peux pour survivre dans ce bureau. Et tout cela est bien de la jalousie
pure et simple. Je suis jaloux que quelqu’un de plus jeune que moi puisse être
mon patron, parce que cela m’indique que moi je ne suis pas encore patron alors
que j’ai passé cet âge, et que j’ai dû prendre un mauvais tournant à quelque
part, sinon je serais là où elle est. Ça c’était ma première pensée, mais j’ai
tout de suite compris également qu’il est facile pour moi de me justifier
pourquoi je ne suis pas encore Président-directeur général de la compagnie,
j’ai toujours su lâcher mes boulots pour écrire un certain temps avant de
devoir recommencer à travailler. Alors je dois bien accepter des gens qui
pourraient être bien plus jeunes que moi me donner des ordres. Au moins elle a
un air d’autorité et donne l’impression de savoir ce qu’elle fait. Ça pourrait
être pire. Je pourrais recevoir des ordres d’un enfant de 18 ans qui n’y
connaît rien mais qui pense tout connaître. Ça ferait sans doute un bon roman.
Je
suis presque à Waterloo. J’ai une folle à côté de moi qui semble lire ces
lignes et comprendre le français. Je déteste ça quand on lit au-dessus de mon
épaule, surtout lorsque l’on lit ce que j’écris et que je me sens jugé au fil
de l’écriture.
Je
suis dans un café à Embankment maintenant, à cause de la connexion Wireless
LAN. J’ignore pourquoi je suis tombé dans le piège de payer ₤ 5 de
plus par mois pour pouvoir me connecter à l’Internet dans plusieurs cafés. Sans
doute parce que passer par BT, au lieu de payer ₤ 5 par mois pour 8
heures d’Internet, ce serait ₤ 5 par heure. Mais voilà, je dépense
une fortune en panini, shortbreads et cafés chaque fois que je veux me
connecter à l’Internet. En plus, je n’ai pas besoin de me connecter durant la
journée, tout peut attendre le soir à la maison. Peut-être vais-je canceller le
mois prochain. Parfois c’est bien, si j’attends un message important, mais
c’est rare. Bref, j’ai eu le temps d’écrire un paragraphe, télécharger mes
e-mails prend bien trop de temps. Je dois retourner au bureau, une journée
lente et plate.
15 février 2005
Je
suis dans une sorte de panique en ce moment. Je viens d’expérimenter en une
seule journée tout ce que le livre The Dilbert Principle de Thomas Scott tente
d’exprimer. Je viens de me rendre compte que l’homme à la tête du département
de marketing est un imbécile pur qui n’y connaît rien et est incapable de faire
une campagne de marketing. En plus, il m’a bêtement dit que le département de
marketing ne s’occupe pas de la promotion des conférences. Il n’y a pas tant de
produits et services que nous offrons, et je dirais qu’avec 200 conférences par
année, voilà certes quelque chose qui mériterait son propre département de
marketing. Malheureusement notre département de marketing ne semble pas vouloir
faire son boulot, et je suis bien mal pris en ce moment, car j’ignore qui
s’occupera du marketing. Sans marketing, c’est clair que cette conférence
tombera à l’eau. Bien sûr, si notre département de conférences s’occupe de mes
conférences (et j’ai hâte que cela soit enfin déterminé), ils s’occuperont du
marketing, cependant tout ce qu’ils font est de poster la brochure à nos
membres des facultés concernées. Je pourrais faire cela moi-même en cinq
minutes. Ils ne font pas de plan de marketing, ils ne contactent pas les autres
associations susceptibles d’avoir des membres intéressés à venir à la
conférence, ils n’entrent aucunement en contact avec d’autres compagnies
susceptibles d’avoir des listes qui pourraient nous apporter une trentaine de
délégués. Bref, avec un budget de ₤ 12,000, mon problème sera de
figurer comment le dépenser. Mais un autre problème immédiat est qu’il semble
que je devrais également faire le marketing de mes conférences. Cela devient
ridicule, je suis même responsable des publicitaires (et surtout des ventes),
mais en plus, en ce moment, c’est mon nom et mon numéro de téléphone qui sont
sur les brochures pour que les délégués s’enregistrent. Ainsi je vais devenir
une centrale téléphonique et travailler 24 heures sur 24. Dans cette baraque,
ils s’imaginent que l’on peut faire un plan de marketing en un après-midi. J’ai
vu des marketing administrateurs qui travaillaient sur trois conférences
seulement pendant des mois. Je me rends compte que tout simplement personne ne
cherche à m’aider, aucune structure n’existe, personne ne veut travailler
davantage et perdre de son budget. Et voilà en plus que le plouk à la tête du
marketing, après m’avoir envoyé chier, envoie des e-mails à toute la compagnie
comme quoi ils peuvent venir chercher de l’argent sur le budget de ma
conférence pour un kiosque d’exposition à une conférence quelconque. Non mais,
pour qui se prend-t-il ? ₤ 500 de mon ₤ 12,000,
c’est 4.2 % de mon budget. Et cela ne paraît peut-être pas si grave, mais
voilà, tout est en l’air en ce moment et j’ignore combien me coûtera ma
campagne de marketing, car j’ignore encore qui fera le marketing. Je pourrais
bien me retrouver à payer une compagnie plus de la moitié de ce ₤ 12,000
juste pour faire mon marketing. Et maintenant c’est ₤ 500, demain ce
sera un autre ₤ 1,000, et voilà, cette conférence sera un flop. Le
culot de cet imbécile qui ne veut rien savoir de moi et qui prend ainsi la
décision de couper mon budget. Demain je vais écrire à mon Directeur pour
mettre un frein à ce con. Chose certaine, pour moi nous n’avons tout simplement
pas de département de marketing, alors cet idiot n’a certainement aucun pouvoir
sur mes conférences et surtout sur le budget. Il pense que ça vient du
département de Construction, mais ce n’est pas du tout le cas, ça viens de tous
les départements. Alors je ne vais pas commencer à donner mon budget à droite
et à gauche par plaisir, qu’il aille se faire foutre. Il me faudrait ₤ 18,000
de budget pour faire de cette conférence un succès, pas ₤ 12,000.
Misère.
Je devrais commencer à préparer ma porte de
sortie. Je pense que de m’engager était une mauvaise idée et que je ne suis pas
suffisamment payé pour cumuler tous les titres d’un bureau de conférence et de
mettre en place toutes les structures d’un nouveau département. Je n’ai aucun
pouvoir décisionnel, je ne peux rien faire avancer, car tout le monde dort dans
cette association, pourtant j’ai des échéances infernales impossibles à
respecter. Mon Dieu, que vais-je faire ?
17 février 2005
Hier
je me suis battu toute la journée pour que le département de marketing ne
prenne pas ₤ 500 de mon budget, et je pense avoir réussi ça. Mon
patron m’a dit : apprends ta leçon, un rapport financier ne doit jamais
être montré à personne, pour éviter que tout le monde vienne te voler ton budget.
Merde, et moi qui pensais que j’avais toute l’expérience du monde, je ne savais
même pas cette règle de base.
Ainsi, tu fais le rapport financier de ton
projet, et ensuite tu l’enfermes dans les tiroirs fermés à clé de la
secrétaire, et ainsi tu t’éviteras bien des ennuis. On pourrait alors se
demander pourquoi devrais-je perdre mon temps à faire quelque chose que
personne ne lira. Malheureusement il faut encore que mon patron le lise, ou que
ce soit à portée de main lorsqu’il en a besoin.
Autre
fait bizarre, Sherlock ne comprenait pas pourquoi j’agissais comme si le
département de marketing n’existait pas. Selon lui, ils allaient encore faire
les campagnes de mes projets. Je lui ai montré les deux messages du directeur
du marketing, et bien que Rachelle et moi le lisons comme s’il m’envoyait
promener (et assez radicalement), Sherlock lui y lit une invitation à partager
le lit du marketing. Bref, nous sommes revenus au même point. Il doit contacter
le directeur du marketing, à nouveau, et comme il va oublier, je dois à nouveau
lui rappeler de communiquer avec le marketing en début de semaine prochaine. Il
a laissé un message au directeur du marketing de rappeler, mais c’est ça le
secret de ces grands directeurs, ils refusent de faire le boulot, ne retournent
pas tes appels, et alors tu dois comprendre que tu dois faire faire ton
marketing par une organisation externe, qui te chargera trois fois plus que son
ton propre département de marketing l’aurait fait.
Ce qui
m’apporte un autre problème impossible à régler. J’ai contacté une quinzaine de
compagnies de management de conférences, leur demandant simplement des devis,
et j’en arrive à comprendre, par leur silence, qu’eux aussi doivent avoir un
directeur de marketing qui ne veut pas faire son job et qui ignore mes appels
et mes messages. Lorsque tu imagines l’impact que pourrait avoir le management
de peut-être 60 et potentiellement 200 conférences par année, il me semble que
je laisserais tout tomber pour préparer un devis. Le problème est que tout cela
est tellement vague… par exemple le management des délégués peut signifier bien
des choses et pourrait coûter de ₤ 20 à ₤ 100 chacun. Ou
alors une campagne de marketing, ça pourrait coûter entre ₤ 3,000 et
₤ 150,000. Ainsi mes questions sont impossibles à répondre, et je
constate aussi qu’ils ne savent pas ce qu’ils disent, car aucun d’eux ne
réussit à s’entendre sur combien telle ou telle chose va coûter. Leurs prix
fluctuent tellement, je pense que ceux qui m’ont envoyé des devis, ont tout
simplement écrit n’importe quoi, et que l’addition finale sera au moins trois
fois plus grande. Bref, si j’avais leurs compagnies, je pense qu’il serait
temps que je fouette mes employés, car ils m’auraient fait perdre beaucoup
d’argent. Il me semble qu’ils devraient savoir combien ça coûte pour eux de
faire le management d’une conférence ? C’est ce qu’ils font tous les
jours. Je commence à me demander s’ils ont de l’expérience ou non. Ou alors
c’est que leurs prix sont fort relatifs, et changent en fonction du client. Si
c’est Microsoft ou Mercedes, la facture atteindra ₤ 150,000. Si
c’est une petite association du trou du cul, 110,000 membres ou non, on veut
rien savoir. À ₤ 150,000 la conférence, comme une des femmes me
disait hier que ça me coûterait, que font-ils exactement ? Ils font sauter
une bombe nucléaire à la fin de l’événement ? Acheter une bombe nucléaire
sur le marché noir coûte environ ₤ 20,000 maintenant, moins cher que
le marketing d’une de mes conférences. Je lui ai dit qu’à ce prix je
m’attendais à perdre connaissance à la fin, et elle m’a affirmé que je verrais
la différence. Eh bien, dans la semaine des quatre jeudi peut-être.
23 février 2005
Autant
je parlais de conférences et de contrats lors de ma dernière digression, autant
je me sens loin de tout cet univers aujourd’hui, alors que je reviens au
travail après une absence de cinq jours, dont trois où j’aurais dû me rendre au
travail. J’ai été malade encore une fois, mais rien d’aussi grave qu’au mois de
novembre ou juste avant noël. Cependant, c’est la troisième fois en mois de six
mois et ça commençait à m’inquiéter. Je suis allé chez le docteur hier et je
l’ai bombardé de questions. Finalement je vais aller dans un centre spécialisé
pour l’étude des maladies pulmonaires et on va savoir exactement comment avancé
mon cancer des poumons est. Je blague bien sûr, c’est peut-être moins grave, je
suis peut-être juste séropositif, et alors c’est le système immunitaire qui
fait défaut, et non mon asthme. Dans mon cas le VIH serait mieux que le cancer,
car si ce sont les poumons, à mon avis je n’en ai plus que pour six mois à
vivre. Je blague encore. En fait, elle m’a dit que j’étais alarmiste et que
plusieurs de ses patients ont été malades trois fois cet hiver. Et je me
souviens qu’au Canada en hiver, toute la population est malade tout l’hiver.
N’empêche, je vais aller à ce grand centre Bromley, ou quelque chose du genre,
où apparemment toute la famille royale va, qu’elle m’a dit, ainsi je n’ai pas à
m’inquiéter, c’est le meilleur centre pulmonaire au monde. Ça devrait être une
bonne expérience à raconter. Et faut-il toujours ajouter ensuite que
Comment
je me sens ce matin, retourner au travail après trois jours de congé, commencé
un vendredi ? Bien mal à l’aise. On se demande toujours si on a encore
notre emploi, si tout notre travail ne s’est pas écroulé de lui-même en notre
absence, si un opportuniste ne nous a pas poignardé dans le dos. Bref, on se
retrouve dans une situation entre la vie et la mort, encore pire que la
maladie. Je n’ai pas hâte de confronter mon patron, ou de répondre aux gens à
propos du comment je vais, comment malade j’ai été, quelle couleur était mon
vomi, etc. J’ai l’intention d’être assez économique dans mes dires, de toute
manière personne ne serait suffisamment malade dans la tête pour prendre trois
jours de congé de maladie s’il n’était pas malade, non ? Même moi n’aurait
pas ce culot.
Je
n’ai pas l’intention non plus de commencer à paniquer parce que soudainement
mon patron, qui n’a pas eu de feedback depuis des lustres, viendra sans doute
me voir ce matin pour lui demander un compte rendu de ce que je fais, alors que
je reviens d’un congé maladie. C’est son style. Devoir aller dans une réunion
pour dire que nous n’avons rien fait et que nous ne savons plus où nous en
sommes, parce que logiquement, nous n’étions pas au bureau. Mais les patrons ne
comprennent pas ces choses, ils n’ont jamais lu The Dilbert Principle de Thomas
Scott, ils sont convaincus de ce qu’ils font et s’entêtent à nous casser les
pieds. J’espère qu’il me donnera au moins une journée, le temps que je ponde
quelques pages pour mon rapport.
Peut-être
que quelque chose a changé au travail. Souvent, et je ne me l’explique pas,
nous travaillons quelque part pendant des mois et rien ne change. On s’absente
quelques temps et soudainement, à notre retour, tout a changé. Comme si nos
collègues et nos patrons n’attendaient que ça, que nous tombions malade ou
allions à une conférence pendant une semaine, pour se décider à tout changer. À
prendre de grandes décisions, à nous causer une crise cardiaque à notre retour.
Souvent c’est négatif, mais dans mon cas n’importe quel changement ne peut être
que positif.
Ah
oui, il neige depuis trois jours à Londres, et moi qui disais tout le temps
qu’à Londres il ne neigeait qu’une fois par année, et seulement pendant cinq
minutes. Cette neige tente de rester au sol, mais ça semble bien difficile,
elle fond rapidement. En tout cas j’adore. Les Anglais n’ont pas l’air trop
impressionnés par cette couverture blanche sur le sol, et ces merveilleux
flocons de neige qui tombent du ciel, tel un miracle du créateur tout puissant.
Pourtant, ils n’en voient jamais, j’aurais cru qu’ils ouvriraient le Champagne.
Stephen vient de me téléphoner, il m’a dit qu’aujourd’hui Londres va avoir sa
pire tempête de neige depuis 100 ans. Je ne puis plus me contenir.
Hier
j’ai appris que j’ai finalement obtenu mon dernier visa, celui avec lequel je
peux demeurer en Angleterre indéfiniment, pour travailler, et sans condition.
Enfin, je pense. Je vais aller chercher mon passeport aujourd’hui chez
l’avocat, il est situé près de la station de métro Mansion House sur
23 feb 2005 – partie 2
Je suis au bureau en ce moment, et je ne
comprends pas pourquoi, mais je suis en panique absolue. Est-ce parce que le
premier mot que
Le gros congrès sur les jeux olympiques, que
j’ai détruit avec mon rapport, je viens de trouver la brochure en bas. Le
problème est qu’ils ne m’ont pas tenu au courant du tout, et qu’ils ont été de
l’avant même si tout pointait vers un échec marqué. Je ne sais plus quoi
penser, peut-être que ce sera un succès, et alors de façon éclatante on verra
que je suis complètement incompétent ? Et vraiment, si ce congrès est un succès,
alors ils ont accompli des miracles, tout simplement. Mais si c’est un échec,
alors on verra que j’avais raison et je serai soulagé. Cependant je souhaite
que ce soit un succès.
Pour les changements, il y a une fille assise
au bout de la table et elle me regarde en permanence. Elle n’a pas le choix,
son bureau est collé au mien et, avec elle à cet endroit, je ne puis pas
travailler. Il faut avouer que c’est une sixième personne ajoutée dans notre
petit carré de quatre mètres par quatre mètres. J’espère qu’ils vont tous
attraper ma grippe, malheureusement je ne tousse plus du tout. Aucune preuve donc
que j’étais malade.
On dirait que tout a changé ici, mais non,
rien n’a changé. C’est tout dans ma tête. J’aurais besoin d’une autre heure à
rien faire avant de me retrouver dans le bain et de pouvoir enfin me concentrer
sur quelque chose. Mais je suis tellement surveillé ici, si je ne fous rien
pendant deux minutes, une alarme sonne, une cerise gigantesque se met à
tourner, et une grande flèche illuminée qui part du plafond pour me pointer
directement montre à tout le monde que je ne fous rien pendant deux minutes.
25 février 2005
La fameuse tempête de neige que l’on
attendait n’est finalement arrivée qu’aujourd’hui. Tout est magnifique, d’un
blanc éclatant. Enfin les dépotoirs qui peuplent ma ligne de train d’Isleworth
jusqu’à Waterloo disparaissent sous une mince couche de neige, et soudainement
il me semble que mon esprit s’est réveillé.
Je me sens très philosophique aujourd’hui,
j’ai les idées claires, je suis inspiré. Cependant, dans moins de dix minutes je
serai arrivé à destination, et cette inspiration ne servira même pas à écrire
mon rapport, puisque je l’ai terminé hier. Et ceci dit, soudainement je n’ai
plus rien à dire. Sauf peut-être qu’aujourd’hui, à la station, j’ai regardé les
maisons aux toits blancs, et la rue, et la neige tombante, et soudainement un
flux de souvenirs du Canada m’est revenu. Drôle à dire, ce n’était pas
plaisant. La neige, c’est beau quand ça ne tombe pas pendant six mois. Quand
l’hiver n’en finit plus, ça n’en vaut plus la peine. Alors je me suis retourné
pour regarder les rails du chemin de fer à la place, et alors cette vision des
enfers de l’hiver du nord québécois a disparu de mon esprit à jamais. Je puis
maintenant habiter l’Angleterre pour l’éternité, et ce, sans aucune condition,
sauf celle que je doive habiter ici de façon permanente et ne jamais quitter
pour plus de deux ans. Mentir à propos de ça ne sera certes pas un problème,
alors je puis ainsi dire sans condition. Et j’ai bien l’intention d’habiter ici
pour toujours. L’an prochain je serai Britannique, et alors peut-être j’irai
habiter en France. J’aimerais bien aussi habiter à l’extérieur de Londres,
peut-être dans le nord près de York, ou même le Pays de Galle, ou l’Écosse. Ce
dernier permis de résidence m’a vraiment libéré, un poids immense a été levé.
Je ne dépends plus de Stephen pour demeurer ici. Mais c’est peut-être la pureté
de cette neige qui me remet les idées en place, et remet le tout en perspective.
Il n’y a pas à dire, la neige a un drôle d’effet sur moi, elle débloque mes
neurones, elle est grandiose, elle a le pouvoir de changer le monde physique et
psychologique. Aucun politicien en ce moment n’est capable de faire ça, au
contraire, comme la télévision, ils abrutissent la population. Aujourd’hui
toute l’Angleterre devrait prendre un jour de congé pour aller marcher dans un
parc. Et demain, tout le monde serait heureux.
28 février 2005
Master Bitch m’a vraiment dans le collimateur
aujourd’hui, et j’ignore pourquoi exactement. Elle semble prête à me sauter à
la gorge pour m’étrangler. Petits coups de couteau encore une fois, toujours au
même endroit. Toute une histoire parce que je ne mettais pas à jour, tours les
jours, le message de mon répondeur automatique, alors qu’elle s’en fout bien
que personne d’autre dans la compagnie ne mette à jour son message. C’est donc
clair que c’est de la discrimination, puisque je suis le seul qu’elle a chicané
à ce propos.
Un peu
plus tard, je dis que mercredi matin je vais à l’hôpital pour des prises de
sang, et que je serai une heure en retard, et alors elle me dit que je devrai
partir une heure plus tard que d’habitude pour compenser. Or, jamais depuis que
je travaille ici, n’a-t-elle exigé une telle chose pour personne qui se devait
d’arriver en retard pour une raison ou une autre. Certainement pas elle-même,
alors que justement elle a souvent de ces rendez-vous personnels en dehors du
bureau, mais sur les heures du bureau.
Je pense
qu’elle souffre parce qu’elle voudrait un plus grand contrôle sur moi, mais que
justement elle n’a pas encore cette autorité. Alors elle tente par tous les
moyens de s’approprier ce pouvoir en m’exigeant mille et une choses, mais moi
je fais tout pour que justement elle n’ait rien à voir avec moi. Et plus je me
distance d’elle, et que je demande à Sherlock directement ce que je veux, le
plus elle tente de s’imposer comme ma responsable et m’exige des choses. Si
elle va trop loin éventuellement, je devrai faire quelque chose, demander à mon
patron si justement elle est responsable de moi ou non.
Je l’ai
vue dans le passé aller lui demander directement la responsabilité de plusieurs
personnes dans le département et elle l’a eue. Je ne voudrais pas qu’elle tente
de m’avoir ainsi. Elle fait la vache avec moi, me demande de rester une heure
de plus parce que je serai une heure en retard, alors qu’en ce moment elle est
en train de surfer l’Internet depuis plus de 45 minutes. Elle regarde des vases
sur le site d’Argos. Ça me brûle les lèvres de lui dire sèchement, comme elle
fait : alors, tu vas rester 45 minutes de plus ce soir pour compenser tout
le temps que tu perds à te promener sur le Net au lieu de travailler ?
Vous imaginez sa réaction, ce serait la guerre déclarée entre elle et moi, et
je serais à la rue dans le temps de le dire.
D’ailleurs
elle a mentionné cet après-midi que ma période de probation ne se terminait que
dans deux mois. En fait, ce qu’elle me rappelait est bien qu’ils sont encore
tout à fait libres de me jeter dehors à une journée d’avis juste avant le 20
avril. J’ignore à quoi elle s’amuse, mais si elle veut une guerre, je lui en
donnerai une, et on verra bien qui se ramassera à la rue avant le 20 avril.
1 mars 2005
Le stress de revoir Master Bitch aujourd’hui me
tue littéralement. J’avais un plan simple et précis d’arriver une demi-heure
avant mon heure habituelle pour compenser mon rendez-vous chez le docteur
demain, surtout parce que je sais qu’elle arrive à 8h30 et ne fous rien de la
première demi-heure, sauf parler avec toutes ses petites amies dans les autres
départements, qui elles aussi arrivent toutes très tôt pour ne rien faire
pendant ce temps, en attendant que les autres arrivent à 9h30. Bref, ce fut un désastre.
Quatre flocons de neige par minute tombent en ce moment sur Londres, alors vous
comprenez bien que tout le système de transport est complètement
paralysé ! Les deux premiers trains ont été cancellés et le troisième
était en retard. Quarante minutes je me suis gelé le cul sur la plateforme à Isleworth,
et non seulement je n’arriverai pas 30 minutes à l’avance, mais en plus je
serai en retard de l’heure à laquelle habituellement j’arrive. Et les trains
semblent fonctionner maintenant, ainsi si j’étais parti à l’heure habituelle,
je n’aurais pas attendu autant. Alors en ce moment je suis d’une humeur
massacrante, et si une seule personne a le malheur de venir me parler, je vais
la mordre.
Ça tombe mal, aujourd’hui commence le nouvel
employé Américain qui, apparemment, est d’une beauté hors pair. Toutes les
filles semblent être tombées en amour avec lui. Il sera assis à côté de moi,
son visage face à mon côté droit. Toute la journée il va me regarder travailler,
et j’espère qu’il travaillera. Malheureusement je ne serai pas responsable de
lui, ainsi je ne pourrai pas lui faire faire ce que je veux qu’il fasse. Je
devrai passer par Sherlock, lui dire : c’est ça qu’il faut qu’il fasse, et
alors il lui dira. J’ai la nette impression qu’il ne fera rien du tout et que
toutes mes espérances tomberont à l’eau. Je me suis déjà fait à l’idée qu’il ne
travaillera pas à trouver des publicitaires pour mes conférences, qu’il aura
trop vite d’autres responsabilités, et que ce seront ces autres façons de faire
de l’argent qui deviendront ses priorités. Au moins je me suis déjà fait à
l’idée.
Master Bitch va
passer l’avant-midi avec lui, pour lui expliquer combien merveilleux ce sera de
travailler avec elle, j’imagine. Pour mon malheur, il tombera sans doute
amoureux d’elle, et elle de lui, et alors je serai comme le fromage entre deux
tranches de pain sec. Je n’ai pas à m’en faire à ce sujet, personne n’aime le
pain sec, et surtout un pain sec aussi défraîchit que Rachelle. Je n’ai pas
l’intention de la détruire à ses yeux, au contraire, j’espère que tout
naturellement ils en viendront à se détester. Et cela ne saurait tarder, Master
Bitch déteste les hommes, tous les hommes. Même les beaux Américains ? Et
c’est peut-être ça le problème.
Ma journée est enfin terminée. J’ai rencontré
le nouvel Américain qui vient d’Alabama en Georgie. Premièrement il est vieux,
cheveux blancs, au moins 50 ans. En plus, j’aurais dû y penser, il est marié,
sinon il ne serait plus en Angleterre. Lui, il a eu son permis de résident
permanent voilà neuf ans, le jour où il est débarqué à Londres et qu’il a marié
sa British d’Ealing. Quelle discrimination qu’il ait pu ainsi avoir via son
mariage, la même journée, ce qui m’a pris dix ans à avoir, après quatre visas
différents à grand prix et maux de tête. Ça m’a fait chier.
Comme j’ai le don de toujours poser les
mauvaises questions, ma première question a pratiquement été : as-tu ou
aurais-tu voté pour Bush ? À cette question il s’est abstenu de répondre.
J’ai alors lancé qu’il est pro-Bush, mais qu’il n’ose l’avouer de peur
d’aliéner tout le monde autour contre lui. Il n’a pas nié ce fait. Alors, tout
ce qu’il me reste à lui dire maintenant est que je suis gai, et sans doute il
en perdra la raison, s’il est si pro-Bush. Mais je ne lui ai pas avoué encore,
j’attends au moins qu’il apprenne à m’apprécier à ma juste valeur. Alors je
prendrai le risque de l’offusquer dans ses fibres morales. De toute manière il
m’a avoué ne pas avoir d’enfants, sans doute un crime aussi punissable que
d’être gai sous le régime Bushien. Je pourrai lui reprocher ça. Il semblait
d’ailleurs regretter me dire qu’il n’avait pas d’enfant, who cares
anyway ?
L’homme n’a aucune
expérience en marketing, et son expérience est surtout la vente d’espace
publicitaire dans des magazines. Ensuite une petite expérience à vendre des
espaces à des expositions, mais ça ne m’a pas trop convaincu. Heureusement je
pourrai lui montrer tout ce qu’il doit apprendre, et je serai capable de lui
indiquer comment faire le marketing des conférences. En plus il me semble
capable de faire toutes ces choses, et je pourrai également le façonner et
prendre le contrôle. Cela me soulage, j’ai eu peur de n’avoir aucun pouvoir sur
lui et que, finalement, il ne travaille aucunement sur les conférences. Encore
que, je pourrais encore me tromper. Son titre est Sales Manager, alors que moi
je ne suis qu’un exécutif. En théorie il est donc plus élevé que moi dans la
hiérarchie, mais en pratique il n’y connaît rien et moi, au contraire, j’ai
toute l’expérience nécessaire.
Autant j’aurais
voulu qu’il comprenne par lui-même comment Rachelle est un cauchemar et un
frein à tous nos projets, autant je me suis lancé sur lui pour lui dire de
l’éviter et de tenter de demeurer sous Sherlock, et non elle. Il m’a confirmé
que la première chose qu’elle lui a dite c’est : je suis ta patronne, tu
réponds à mes ordres. Je suis convaincu que Sherlock ne lui a jamais dit ça,
c’est sa façon de reprendre le contrôle sur moi et d’éviter un problème
similaire. En tout cas je lui ai dit de tout faire pour demeurer sous Sherlock
et de l’ignorer. Nous verrons ce que cela donnera.
En tout cas, il
commande un certain respect par son âge et son allure. Il n’aura aucune misère
à convaincre le peuple d’investir ₤ 24,000 dans une conférence, il a
un air d’autorité en qui on peut avoir confiance. Je suis très heureux de ce
choix, et j’ai un peu honte des enfantillages de Rachelle qui commenceront
demain, et qui nous donnera tous une mauvaise image. La maman qui compte ses
petits à toutes les minutes, et veut un compte rendu à la seconde près de notre
horaire du temps. Et qui explose à toutes les heures pour des raisons inconnues,
mais qui certes n’en valent pas la peine. Je ne voudrais pas qu’elle aille lui
dire que, parce qu’il est cinq minutes en retard, il devra partir cinq minutes
plus tard le soir même. J’en mourrais de honte. J’espère juste qu’il ne
s’offusquera pas de toutes ces choses et qu’il ne décidera pas de partir pour
tant d’enfantillages. Cependant l’homme en question est sans doute un vendeur
déterminé qui travaillera toutes les heures supplémentaires possibles afin de
faire le plus d’argent possible. Après tout, il travaille à la commission, et
probablement qu’il fera deux fois mon salaire. Ainsi Master Bitch n’aura jamais
à lui crier par la tête, à être découragé de lui, ou à lui dire de faire des
heures supplémentaires pour compenser les heures perdues. Je pense qu’il sera
l’employé modèle, et je n’aime pas trop cette idée. En tout cas, moi, je ne
suis pas à la commission et mon salaire est très bas comparé au monde privé.
Alors à 17h, je fous le camp. Et je vais lui apprendre à faire la même chose.
J’espère qu’il m’écoutera.
2 mars 2005
Je suis vraiment découragé de moi. Ce midi je
me sentais tellement coupable, tout ça parce que depuis deux jours je crie à
tous ceux qui veulent l’entendre que Rachelle est un obstacle à la bonne marche
des conférences dans l’association. En détails, je me suis assuré que le
nouveau Manager des ventes soit complètement conscient que Master Bitch est une
bitch, et qu’il faille l’éviter et tout faire pour ne pas être sous elle. Mais
voilà, je pense que je n’ai pas été très discret, et en plus de courir le
risque que George (l’Américain) raconte tout cela à Rachelle, je pense que j’ai
parlé un peu fort dans la salle de réunion, et que tout le département des
Constructions a entendu mes plaintes. En plus, je n’y suis pas allé avec le dos
de la cuillère, j’ai également blasté tout le département des constructions,
dans leur propre salle de réunion, me rendant compte seulement après coup de
mon erreur. Ainsi, durant toute mon heure de lunch, je me disais que j’allais
certes en réentendre parler et que je devrais être prêt à quitter l’association
à la fin du mois. Je ne voyais pas d’autres moyens de m’en sortir, après avoir
été surpris en flagrant délit d’avoir anéanti l’image de tout le monde aux yeux
d’un nouvel employé. Ils ne comprennent pas qu’il est en panique absolue et que
si je n’avais pas intervenu, George aurait quitté la compagnie avant la fin de
la semaine. Je dois sans cesse le rassurer et le convaincre que tout sera
facile une fois qu’il sera installé.
Enfin bref, ça ne faisait même pas deux
minutes que j’étais revenu dans le bureau avant d’apprendre que Rachelle
voulait une réunion mise à jour dans moins de deux minutes. Ça m’a tué. Je suis
allé aux toilettes pour réfléchir, j’en étais pratiquement à me frapper la tête
dans le mur, me demandant comment j’avais pu être aussi con et raconter ainsi
haut et fort comment cette femme me fait chier. Alors je suis retourné dans le
bureau et nous sommes allés dans une salle de réunion. J’étais en mode
destruction, ma mauvaise humeur pouvait se lire sur mon visage. J’étais prêt à
lui dire ceci, que je retournais dans ma tête : écoute Rachelle, c’est
clair que tu me détestes, je ne t’aime pas non plus, je rends ma démission, je
finirai à la fin du mois. Et même, je peux quitter les lieux dès maintenant. Et
alors dans ma tête je me disais que j’allais envoyer mon CV partout et le plus
rapidement possible, et qu’avec un peu de chance je n’aurais pas à attendre
très longtemps un nouvel emploi dans les conférences. Mais je voyais déjà d’ici
la crise de Stephen, et sans doute sa famille : quoi, encore un emploi de
perdu alors qu’il n’a plus un sou ? Ça aurait été la crise, et sans doute
encore une fois reconsidérer l’idée du retour au Canada, surtout si j’allais
être incapable de trouver de l’emploi rapidement, et ce, juste après avoir
enfin eu mon visa de résident permanent.
Bref, je n’ai pas eu à attendre longtemps ma
confirmation que quelqu’un qui m’avait sans doute entendu parler contre elle
lui avait rapporté mes propos. Elle disait qu’elle avait entendu dire que
j’étais encore mêlé en rapport à qui est ma patronne, elle ou Sherlock. Elle
m’a clairement assuré que même si j’ai des réunions avec Sherlock, elle est
bien ma responsable directe, et qu’il n’y a aucune confusion à ce propos. Elle
me demandait si ce serait plus facile si elle devenait ma seule contacte, ainsi
je n’aurais plus jamais rien à faire avec Sherlock. Je lui ai affirmé
clairement que la situation n’était pas du tout confuse et que j’aimais très
bien la situation telle qu’elle l’était. Que j’aimais ma relation avec Sherlock
et que, contrairement aux apparences, il y avait beaucoup d’échanges entre lui
et moi (sans doute parce que je passe mon temps à lui écrire des rapports pour
lui prouver que je ne perds pas mon temps, alors qu’écrire ces rapports
inutiles prend tout mon temps). Ce que j’ai réussi à éviter, c’est de la voir
sauter dans le bureau de Sherlock pour lui exiger toute coupure de relation de
travail entre lui et moi, et que dans le futur je n’aurais à faire qu’à elle. Dieu
merci cela a été évité (j’espère).
Jusqu’à maintenant la situation n’était pas
tout à fait intolérable, elle ne m’avait pas encore confronté avec : tu as
dit à untel que j’étais une vache énervante, à contourner pour éviter les
ennuis, et qui explose à toutes les minutes pour aucune raison valable, et qui
rend la vie de tout le monde impossible. Au contraire, malgré que quelqu’un
doive bien lui avoir parlé, elle m’a semblée bien plus intelligente que je ne
l’imaginais capable. Elle a décidé de jouer la carte de la flatterie pour
restaurer une certaine complicité et me rassurer. Elle m’a lancé que c’était un
plaisir de voir comment je m’étais intégré à l’association, comment j’avais
réussi à tout apprendre aussi rapidement les différents sujets, et avoir su
également identifié les pommes pourries de l’organisation. Bref, elle était
impressionnée de mon travail et elle s’en réjouissait. Vous imaginez ma
surprise, moi qui me suis soudainement retenu de lui lancer en plein visage que
je quittais mon emploi, à cause d’elle ! Mais voyez-vous, si j’avais
annoncé à tout le monde que je quittais parce que je me sens incapable de
travailler avec elle, cela aurait été tout ce que Sherlock aurait eu besoin
pour décider de me garder et de se débarrasser d’elle. Les dommages sur sa
personnalité auraient été incalculables. Si elle-même a été capable de voir ma
valeur et mon potentiel, et qu’elle sait l’apprécier malgré qu’elle ne m’aime
pas trop, il est bien certain que Sherlock a fait la même constatation et en
est arrivé aux mêmes conclusions. Et cela, en dépit du fait que mes objectifs
n’ont pas du tout été atteint, en cinq mois je n’ai pas produit cinq
conférences, mais bien une seule qui est très en retard. Dans le monde
commercial je serais déjà à la rue. Bien sûr j’ai fait toutes ces analyses,
recherches, rapport sur comment mettre sur pied notre nouvelle structure de
conférence, alors je n’ai pas trop à m’en faire, je ne parais pas si
incompétent. Enfin, c’est seulement la semaine prochaine que j’aurai ma
rencontre avec Sherlock, qui est la révision de mon travail des derniers mois.
C’est donc à ce moment si je saurai s’il pense comme Rachelle. Il est fort
possible qu’il m’annonce sa déception, mais je serais certes surpris d’une
telle nouvelle.
Enfin, je dois
dire que je ne sais plus à quoi m’attendre avec Rachelle. Je ne sais pas qui
lui a parlé et combien elle en sait. Peut-être cela lui aurait été impossible
d’être si positive à cette réunion si elle en savait davantage. Ainsi peut-être
que pour l’instant je suis sauf.
4 mars 2005
Hier j’ai eu une journée stressante où toute
la journée j’étais comme stressé à mort et je courrais dans toutes les
directions, et ce, sans raison valable. Hier aurait dû être une journée relax,
mais j’ignore pourquoi, je ressentais le besoin de me frapper la tête dans les
murs et de me dépêcher à pratiquement ne rien faire.
Peut-être est-ce la nouvelle situation au
travail, ce nouvel employé d’Alabama, qui a tout chambardé notre petit univers,
puisqu’il est imposant, assis au bout de la table. Il a certes eu un impact sur
Rachelle, je l’ai trouvé beaucoup plus calme, donc la présence de l’Américain
l’intimide également. Je ne doute pas que la semaine prochaine elle en sera au
même point qu’avant. Et moi aussi, j’imagine. La nouveauté ne dure jamais qu’un
temps. Et j’ai également compris qu’il ne travaillera pas beaucoup sur mes
conférences, il est responsable de faire de l’argent sur n’importe lequel de
nos produits et services, au-dessus de 2,000, je suppose. Depuis deux jours il
travaille surtout à trouver des contacts et publicitaires pour vendre de
l’espace dans une série de nos magazines (puisque nous avons perdu la compagnie
qui s’en chargeait, en plus de l’imprimerie de tous nos magazines, à cause de
Rachelle et son caractère de chien). Je ne vois pas George commencer à
téléphoner des bureaux d’avocats pour trouver de l’argent, et je m’en fous
royalement.
Pendant ce temps j’ai trouvé ce qui me
sauvera peut-être de mon incompétence marquée : la compagnie qui va
s’organiser de l’organisation de mes conférences, y compris le marketing et les
publicitaires. Nous les rencontrons aujourd’hui, ce matin, et c’est pourquoi
j’ai quitté la maison une demi-heure plus tôt. Quand quelques flocons de neige
tombent du ciel en Angleterre, tous les trains sont cancellés. Je n’ai donc
pris aucune chance, mais heureusement mon train était à l’heure (pour une
fois !).
Cette réunion devait avoir lieu avec un
directeur et un subordonné, mais j’ai dû les effrayer au téléphone en tentant
de les préparer à cette réunion. J’ai décrit mon patron tel un Corporate
Monster qui avale les vendeurs dans son sommeil. Qu’il fallait éviter le
discours traditionnel des ventes et combien leur compagnie est merveilleuse. Je
voulais une réunion qui nous montrerait le côté pratique des choses,
c’est-à-dire, comment peuvent-ils dès lundi matin prendre cette conférence et
la sauver du désastre, alors qu’il ne reste que deux mois avant qu’elle ne
prenne place. Comment feront-ils, et peuvent-ils le faire, pour faire un cool
₤ 100,000 de profit sur cette conférence. Et pas de tataouinage,
parce que mon patron n’a pas beaucoup de temps ou de patience. Bref, maintenant
ils vont apporter leur Managing Directeur grand Vice-président pour toute
l’Europe. Wow, me disais-je. Retournement soudain. Ils voient certes ce contrat
comme quelque chose d’important, alors que pendant un instant je pensais qu’ils
allaient dire à mon patron : vous êtes un compte insignifiant, on fait
trente fois plus d’argent avec d’autres Blue Chip Companies qui sont
suffisamment crétins pour nous lancer des millions à la tête pour organiser
leurs campagnes publicitaires. Mais voilà qu’ils nous envoient leur Managing
Director.
Pour ajouter à l’enfer, et ce qui explique sa
venue, c’est que Sherlock le connaît ! Dieu seul sait comment ces deux là
se connaissent, mon patron semble avoir eu des réunions avec la planète
entière. Alors soudainement il fallait avoir la salle de réunion York, qui est
la plus luxueuse de tout le bâtiment, et j’ai également commandé du café, du
thé et des biscuits (avec l’aide généreuse de Rachelle, je dois avouer). Et
Dieu que ça a été difficile de sécuriser cette salle de réunion, car elle était
déjà réservée à quelqu’un d’autre que j’ai dû contacter.
Ainsi Sherlock veut faire bonne impression,
et alors je fais du stress parce que ce sont eux qui devraient s’inquiéter avec
l’idée de faire bonne impression. J’avais l’intention de prendre le contrôle de
cette réunion, d’entrer dans les détails des coûts, mais plus maintenant. Ce
sera une réunion entre grands patrons, et moi je suis l’exécutif de service, je
vais me taire et observer le cirque. Je leur donne cinq minutes avant qu’ils ne
commencent mutuellement à se lécher le derrière.
7 mars 2005
Un
autre retour au travail après un court week-end, je me demande quand ce sera le
congé de pâques. Dans trois jours j’ai ma réunion avec mon patron pour figurer
ce que j’ai fait depuis quelques mois, et je commence à avoir peur qu’il me
dise que je n’ai produit qu’une seule conférence. Pourtant ce serait injuste si
on considère tout ce que j’ai fait d’autres en parallèle, qui tient plus du
consultant que du simple producteur. Je suis prêt pour lui, mais je vais tout
de même me faire une liste de tout ce que j’ai fait depuis le début, afin
d’être armé contre son attaque. Heureusement je n’ai pas cette réunion avec
Rachelle, bien qu’elle se soit tout de même arrangée pour avoir une petite
réunion éclair avec moi la journée même où elle rencontrait les brebis dont
elle est responsable. Bref, elle n’avait que du positif à dire, je commence à
m’inquiéter que Sherlock aura peut-être du négatif.
Hier
je contemplais envoyer mon CV à une compagnie qui disait avoir trouvé un de mes
vieux CV sur un site quelconque. Une agence qui recherche des producteurs de
conférences pour un salaire qui va jusqu’à ₤ 32,000 par année. Je me
disais qu’avec une augmentation de salaire de 35 %, ce serait plus simple
de payer mes dettes, même si c’était sans doute pour une compagnie commerciale dans
Tout
ça cependant m’a fait comprendre que je pouvais laisser cet emploi, en autant
que j’en trouvais un autre auparavant. Et je me sentais bien mal de me voir
dans la position de devoir leur dire que je quitterais l’association. Sans
doute parce que ça ne fait pas suffisamment longtemps que j’y suis, et que je
n’ai pas encore tout à fait accompli ce que je devais faire, instaurer toutes
les structures de leur nouveau département de conférences. Mais je pense que
c’est surtout la peur de leur avouer une telle chose, leur sentiment que je les
laisse tomber. Et l’humiliation après coup que je devrais subir pendant un mois
à continuer à travailler avec eux. Bien que je pense encore être dans ma
période où je peux les laisser tomber à une journée d’avis, ne l’oublions pas.
Cette belle protection qu’ils se réservent pendant six mois, de pouvoir me
jeter dehors n’importe quand, c’est à double tranchant. Et si des avocats sont
suffisamment imbéciles pour avoir écrit de telles clauses, et que les
employeurs sont assez fous pour les avoir acceptées, eh bien moi je vais les
utiliser pour me libérer de cet univers fétide qui me fait débander. Pourtant,
je ne me vois pas chercher de l’emploi de sitôt, je n’ai tout simplement pas le
temps ou la motivation.
Ce
matin je m’en vais au travail à reculons, et je pense que le tout est dû au
petit commentaire de Rachelle que nous devions chuchoter lorsque nous parlons
au téléphone plutôt que de parler normalement. Je suis incapable de faire ça,
et elle non plus, elle crie sans cesse. Cependant elle est directrice des
opérations, et les directrices ont le droit de crier au téléphone, de faire des
crises, de sauter partout dans le département, et de nous dire de nous la
fermer. Donc maintenant je ne désire plus parler au téléphone et je vais faire
mes appels lorsqu’elle sera en réunion.
Je donnerais n’importe quoi pour qu’une bonne
nouvelle surgisse ce matin, n’importe quoi qui viendrait détruire cette routine
qui tue. Quelque chose qui pourrait me motiver pour le reste de la journée,
sinon le reste de la semaine. Ils n’ont pas besoin de se faire écraser par un
autobus à deux étages pour me satisfaire, ils n’ont qu’à donner leur démission
et à partir le plus rapidement possible.
8 mars 2005
Je
pense être en panique absolue en ce moment à cause de ce que je suppose
pourrait être appelé ma conscience professionnelle. Je veux commencer à
travailler sur ces deux nouvelles conférences, mais chaque jour quelque chose
m’en empêche, ou alors rien ne sort. Je veux au moins dire que j’ai trois
conférences à mon actif, je veux commencer le processus, je veux en finir avec
ces deux conférences encore non commencées. Aujourd’hui je vais y travailler
comme un malade.
Ce qui
n’aide pas non plus c’est que Stephen pense encore avoir enfreint une de ces
nombreuses infractions du code routier et que cette fois-ci il va perdre son
permis de conduire et son emploi, pour avoir fait un U-Turn juste en face d’une
caméra. Extraordinaire comment un U-Turn et passer en face de trois caméras à
cinq mille à l’heure plus rapidement que la limite permise puisse nous faire
perdre notre permis comme si nous étions des terroristes dangereux, et aussi
notre emploi, et finalement notre appartement. Vraiment, ce qu’il nous faut
dans cette société, c’est davantage de caméras partout, pour être certain que
lorsque je jette mon chewing gum dans la rue ou mon bout de cigarette, j’aille
en prison au plus vite. Dernièrement ils montraient à la télé la police donner
des contraventions de ₤ 100 à qui jetaient des bouts de cigarettes
sur le trottoir. Ce n’est pas tant que la société soit devenue Big Brother qui
m’inquiète, mais plutôt toutes ces lois dérisoires qui passent au Parlement, et
surtout, l’obsession compulsive avec laquelle les autorités tentent de faire
des millions sur le dos de la population enragée, en tentant d’atteindre un
niveau zéro de tolérance sur des chimères. S’ils avaient tenté d’enrayer le crime
organisé avec autant de ferveur (mais ça, malheureusement, ça coûte de l’argent
au lieu d’en rapporter), il n’y aurait plus de crime organisé.
Mais
de toutes ces histoires de caméra et Big Brother et d’aliénation, hier a battu
tous les records à ce sujet. Je revenais dans le train de 17h22 de Waterloo
jusqu’à Isleworth, lorsque j’ai malencontreusement placé mon manteau sur le
banc à côté de moi pendant trois minutes, tout cela alors qu’il y avait autour
de moi plusieurs bancs vides. Aussitôt que les voyageurs sont arrivés en
trombe, j’ai tout de suite enlevé mon manteau. Et s’il y a un seul avantage à
ces nouveaux trains qu’ils viennent de nous imposer, c’est que ça ne coûte rien
de plus pour utiliser la première classe, et que personne ne le sait sauf quelques
passagers éclairés. Ainsi avec un peu de chance il reste toujours un banc en
première classe, et cela est fort important, parce que les bancs dans ce train
sont trop petits pour une personne même très mince. C’est comme si les
ingénieurs s’étaient dit : bon, une personne a besoin de
Bref,
l’imbécile qui s’occupe de fermer et ouvrir les portes du train a réussi à voir
via la caméra au-dessus de moi, que mon manteau était sur mon banc pendant
trois minutes. Cela semble l’avoir enragé. Alors pendant 50 minutes il a tout
fait pour me tourmenter via le système de communication interne, aliénant ainsi
les 1,000 passagers du train. Il criait à tue tête que les bancs n’étaient pas
pour les bagages mais bien pour les personnes, et que la première classe était
pour tout le monde sur ce trajet, et il invitait tout le monde à trouver cette
première classe et à l’utiliser. À chaque station il répétait son discours de
cinq minutes pour les nouveaux passagers. À travers tout ça il se devait encore
de faire tous les autres messages habituels, et l’ordinateur aussi (car le tout
doit être répété au moins quatre fois, comme je l’ai déjà mentionné). Ainsi
pendant 50 minutes il était impossible de se concentrer, d’écrire ou de lire
quoi que ce soit, nous ne pouvions qu’écouter cet ouvreur de portes enragé et
cet ordinateur de bord nous raconter des conneries que tout le monde connaît
déjà. Pour plus du trois quart du trajet je me suis bouché les oreilles
tellement je n’en pouvais plus, c’est comme s’il nous tenait tous en otages, et
tout cela était de ma faute.
Je n’étais pas de bonne humeur lorsque je suis
arrivé à la maison, j’ai passé près de tout débâtir. Et je me suis dit, si ça
ne m’a pas tout à fait convaincu de quitter mon emploi et de partir travailler
ailleurs qu’au centre de n’importe grande ville de ce monde, rien ne me
convaincra de le faire. Si je dois encore prendre un seul train, ou un seul
autobus, ou surtout un métro, mieux vaut mourir.
9 mars 2005
Ce
matin je me suis levé et comme d’habitude je courrais partout dans
l’appartement pour me préparer à partir. Je me suis souvenu qu’hier, toute la
soirée, je courais partout pour faire le lavage, préparer mes vêtements et mes
gadgets pour le lendemain, enregistrer quelques émissions à la télé, et
finalement il y a une dizaine de choses que je devais faire et que je n’ai pas
pu. Et alors que je courrais vers la station Isleworth ce matin, je me suis
arrêté une demi-seconde pour observer que les fleurs étaient sorties dans les
arbres, et les feuilles commençaient à sortir. Je l’avais constaté voilà
quelques jours, mais je n’avais pas encore eu le temps de m’y arrêter ou d’y
penser. Finalement j’ai compris que nous étions dans le mois de mars, et que
dans une dizaine de jours ce serait le printemps.
Ce qui
m’a découragé le plus, a été de constater que je ne me gardais aucune minute
pour réfléchir à l’existence, ou même réfléchir. Je ne fais que courir toute la
journée pour attraper un train, pour ne pas être en retard au bureau ou pour
arriver le plus vite possible à la maison. Le temps passe très vite, mais je ne
le vois pas passer. Et je suis fatigué de courir ainsi, de ne pas avoir le
temps de rien faire, de ne point voir ma vie passer. Non pas que je pense que
cette vie vaille la peine d’être vécue, donnez-moi un cancer n’importe quand,
cependant dans les conditions actuelles, la vie est devenue tout simplement
intolérable.
Je
cumule les frustrations, les lamentations, le stress, la panique, et je sens
que tout va bientôt sauter. Je me constate complètement impuissant pour changer
ma vie du tout au tout, pour vivre une vie sereine loin des grandes villes,
n’importe où à faire n’importe quoi. Et que ferais-je de mes dettes… qui font
que mon salaire actuel est insuffisant, alors que c’est déjà impossible d’avoir
un tel salaire même où j’habite, à peine à l’extérieur de Londres. Seul le
centre de Londres offre de bons salaires, parce qu’ils savent que c’est un
enfer de s’y rendre chaque jour et d’y vivre.
Il y
avait un temps où je me disais qu’un jour, écrire tous ces livres, me
libérerait de cette vie infernale. Après avoir écrit plus de vingt-cinq livres,
j’étais bien convaincu que quelque chose surviendrait. Six livres publiés plus
tard, avec moins de 10,000 exemplaires vendus en tout, je comprends maintenant
que l’écriture ne sera toujours qu’un passe-temps, et rien d’autre. On se
demande comment quelqu’un arrive à le prendre au sérieux. Et l’instant d’un
moment, j’ai écrit cinq ou six scénarios de films, et plusieurs idées de
scénario. Et encore une fois je pensais que tout cela allait me libérer de mon
enfer. Mais ça n’a pratiquement rien payé, et je ne vois pas non plus de porte
de sortie à l’horizon.
C’est une chose d’avoir des rêves et de vivre
dans l’espoir de les réaliser. C’est également merveilleux de croire l’instant
d’un moment que nous en sommes à la réalisation de nos rêves et que nous sommes
à deux doigts d’être heureux. Mais c’est affligeant de constater que ces rêves
ne se réaliseront jamais et que nous en avons la preuve incontestable devant
les yeux. Ou alors ils se réalisent et rien ne change ! Alors il faut
accepter cette existence pourrie et médiocre, accepter notre misère et la
souffrir. Et je suis incapable d’accepter ces choses.
Merde, quelle belle lettre de suicide cela
ferait.
11 mars 2005
Cette
semaine, je ne suis pas très fier de moi. Je n’ai rien fait au travail, ni à la
maison, bref, j’ai fait du remplissage toute la semaine. Je n’ai fait que
tenter de remplir mon temps pour qu’il passe plus vite, mais je n’ai rien
accompli de concret, ni sur mes conférences, ni sur mes scénarios de film. J’ai
travaillé très fort à trouver les moyens de ne pas faire ce que je devais
faire, bien que j’aie tenté d’y travailler, mais personne au travail ne voulait
m’aider et finalement ça m’a découragé. Ma première conférence s’en va chez le
diable, d’un côté le département du design n’y travaille pas, de l’autre mon
patron est incapable de rencontrer au moins une autre compagnie de logistique
en conférences pour enfin prendre sa décision à propos de qui va s’occuper de
cet événement, et en plus, je ne parle pas de la mise en place de toutes les
structures nécessaires comme le marketing, ventes, publicitaires et puis quoi
encore. C’est clair que si cette conférence a lieu en juin comme prévu, ce sera
un flop monumental. D’un autre côté le directeur ne veut pas changer la date au
mois de septembre parce qu’il a une autre conférence en tête qu’il veut que je
fasse, et il la veut pour le mois de septembre également. En tout cas Master
Bitch n’était pas là de toute la semaine, ce qui a facilité mon inaction
absolue.
Je n’oublie certes pas mon ambition dans tout
cela, je suis demeuré debout hier jusqu’à 1h30 du matin pour trouver le moyen
pour mon patron de synchroniser ses e-mails de son ordinateur principal à son
Compaq iPaq Pocket PC, un gadget vieux de 5 ans mais que j’utilise encore tous
les jours (nous en avons tous un au travail, mais bien sûr le mien je l’ai
acheté moi-même voilà des années). Bref, je n’avais jamais synchronisé mes e-mails
là-dessus, et en plus je n’avais pas compris d’abord qu’il tentait de
synchroniser des sous-dossiers. Je lui ai envoyé un e-mail à partir de la
maison à une heure du matin. Lui régler un problème sur lequel il a fucké
pendant trois jours, et dont aucun membre du département informatique n’a su
l’aider. J’espère juste qu’il n’a pas trouvé la solution par lui-même depuis
hier, c’était simple comme problème, que ça m’a pris moins de cinq minutes pour
trouver la solution, et personne d’autre dans les forums sur le site de HP ne
s’est lamenté sur ce problème. J’en conclue que tout le monde est suffisamment
intelligent pour savoir synchroniser ses e-mails avec son Pocket PC, mais
personne dans toute mon organisation n’avait cette capacité de cliquer sur
trois boutons pour se rendre aux fonctions appropriés. Travailler à
Westminster, intelligence non requise, c’est le cas de le dire.
Je n’ai pas eu ma réunion d’évaluation de mon
premier six mois, finalement. Cela a été déplacé de deux semaines.
Heureusement, en deux semaines j’aurai eu le temps de développer deux
programmes de conférence et sans doute ma première conférence sera en pleine
campagne de marketing. Cela paraîtra mieux. Hier, avant le fameux 14h, j’ai
passé mon temps à écrire tout ce que j’avais fait depuis le 20 octobre dernier,
pour justement être capable de justifier clairement que malgré les apparences,
je n’ai pas perdu mon temps. Oh, c’était convainquant en plus, une longue liste
de tous les rapports, projets, études de marchés et manuels que j’ai écrits
depuis que j’ai commencé à travailler au Parliament Square. Et certes, je vais
utiliser cette liste dans deux semaines à ma réunion. Mais il faut savoir tout
remettre en son contexte. Plusieurs de ces projets ne m’ont pris que quelques
heures à écrire, mais moi je brandis tout ça comme s’il s’agissait d’une œuvre
miraculeuse que seul un travailleur miracle aurait pu accomplir. Tout cela,
bien entendu, pour leur faire oublier que je n’ai fait qu’une conférence en
cinq mois. Et malgré que Sherlock soit tout de même d’une intelligence
supérieure aux autres, je pense que j’aurai tout de même réussi à le manipuler
à ce niveau. C’est ce doute qui me tuait hier, jusqu’à quel point saurait-il
voir dans mes combines et mes mensonges ? Il n’est peut-être pas si
imbécile qu’on le pense. Mais il paraît peut-être intelligent seulement parce
que tous les autres autour de lui sont d’une nullité assez extraordinaire, et
n’ont absolument aucune intelligence, et certes, aucune capacité de travail.
Par contraste il doit bien voir que je suis un travailleur exceptionnel, bien
que je ne fous rien. C’est que je travaille très fort à lui prouver que je suis
cet employé essentiel, et que finalement je passe plus de temps à lui écrire
des rapports détaillés et à l’aider quand son Pocket PC a des problèmes, que de
travailler sur mes conférences. Ça s’appelle « sucking to the boss on
a massive scale » ou « lécher le cul du patron sur une échelle
astronomique ». Et j’espère que ça va porter fruit, sinon, quelle perte de
temps.
Je me demande comment toute cette histoire va
se terminer. J’estime avoir déjà 140 pages écrites. Encore quelques semaines et
j’en aurai un livre complet, et écrire davantage ne serait que me répéter.
J’aurai également terminé mon livre de poésie en anglais relié à cet emploi, et
en fait, celui-là peut déjà être terminé car je puis prendre d’autres poèmes ailleurs
pour en faire un livre, ou le fusionner avec mon dernier livre de poésie. Et
par expérience je sais que lorsque je n’ai plus rien à dire sur ce qui se passe
dans ma vie, ordinairement un changement radical survient. Mais quel changement
pourrait survenir ?
11
mars 2005
Nous sommes Vendredi après-midi, c’est
assez tranquille au bureau. Mes patrons travaillent à la maison (Sherlock) ou
sont malades ou sont en voyage d’affaires au Pays de Galle (Rachelle). Comme
chaque vendredi, mon étage est vide, sauf mes collègues immédiats qui, eux,
sont bien trop parfaits pour manquer une heure de travail. Cette perfection
leur permet ensuite de calculer le nombre de secondes où je vais en période de
lunch, pour rapporter ensuite à mes patrons que je suis parti 20 secondes de
plus que j’aurais dû. À la longue, par leur mesquinerie, ils deviennent plus
fatigants qu’un patron qui a décidé de se débloquer les sinus à nous crier
après. Je n’ai envie de rien faire aujourd’hui, comme je disais ce matin, et je
tiens bon, je n’ai rien fait de la journée.
Ce matin j’ai perdu mon temps à couper
en six fichiers mon fichier d’e-mails, que je me suis ensuite envoyé à la
maison. Ils ont tous rebondis et donc finalement j’ai perdu un avant-midi
complet. Bref, j’ai tout de même appris qu’un e-mail de plus de 2 MB est
impossible à envoyer ou à recevoir à partir du bureau. Assez surprenant lorsque
l’on se rend compte que 2 MB est assez facile à sauter, et qu’aucune
présentation PowerPoint de conférence est plus petite que 2 MB. Mais ce n’est
pas la première compagnie pour laquelle je travaille qui a ce problème
technique.
Dieu qu’ils sont silencieux
aujourd’hui, on vient déjà de me reprocher de trop parler, je pense que tout le
monde sait maintenant que j’ai décidé que je ne ferais rien de la journée. Le
pire est qu’à écrire ainsi mon livre au bureau, je tape très rapidement et ils
s’imaginent alors que je travaille très fort. Écrire un livre, ce n’est pas
travailler, sinon ça paierait quelque chose. Écrire un livre, c’est perdre son
temps.
Je
me suis rendu compte aujourd’hui, disons que je le savais, mais c’est la
première fois que j’en ai la preuve, bref, je me suis rendu compte aujourd’hui
que tous les sites que je visite se retrouve dans mon historique sur
l’ordinateur. Ce que je ne savais pas est qu’ils ont également un historique
complet de tous les fichiers que j’ouvre et combien de temps j’ai passé sur
chaque fichier. Ainsi c’est assez dangereux quand je lis mes Sherlock Holmes au
bureau. En plus, lorsque j’efface mes fichiers, ils se retrouvent tous dans cet
historique. Pourtant lorsque l’on efface un fichier par erreur, le département
d’informatique nous fait toute une histoire à propos qu’ils ne pourront
peut-être pas retrouver ces fichiers, ou que c’est très compliqué, et alors ça
va leur prendre quelques semaines avant de nous trouver ce fichier. Ou bien ils
mentent et ils savent que ces fichiers se retrouvent dans notre historique, ou
alors ils sont paresseux et, en effet, ils vont chercher ces fichiers sur les
copies du réseau.
Je
viens de parler avec mon Américain d’Alabama, je l’ai appelé George, puisqu’il
est un grand admirateur de George Bush. Il me dit croire en Dieu et d’aller à
l’Église catholique assez souvent, bien qu’il soit protestant. C’est que sa
femme d’Ealing est catholique. Ils habitent Guildford, le coin le plus reculé
possible, afin que pour le moins d’argent possible, ils puissent tout de même
avoir une petite maison et un jardin de la grandeur de ma Renault 5. Il me
confirme qu’en Georgie ils avaient une gigantesque maison,
Je
me suis aventuré pour lui demander s’il en était à sa deuxième femme, et il m’a
dit oui. Lorsque je lui ai demandé si sa première femme venait de
Alors
je pensais qu’il s’agissait de blagues de vendeurs, et que peut-être qu’il ne
pensait pas nécessairement ce qu’il disait, mais il m’a confirmé qu’il le
croyait sincèrement. Well, ça confirme certainement que les femmes que ces
hétéros marient ne demeurent pas sereines et gentilles très longtemps, et que
le mariage semble enfin les libérer contre leurs caprices et leurs lamentations
qu’elles gardaient à l’intérieur, de peur de faire fuir leur futur mari.
Les femmes sont tellement obsédées à l’idée
de ne pas mourir seules ou « spinsters », l’idée du mariage est tant
ancrée en elles, qu’elles ne semblent pas tellement se soucier du qui elles
vont marier, en autant qu’elles se marient. C’est après cette étape enfin
accomplie qu’elles comprennent leur erreur. Que tous les hommes sont des
salauds, et que seuls les gais valent vraiment la peine d’être mariés. Puisque
d’une manière ou d’une autre, le sexe devient vite secondaire après le mariage,
et un gai au moins demeure romantique jusqu’à la fin des temps.
Il faut bien sûr que ces femmes
sachent d’abord qu’elles marient un gai, et sachent à quoi s’attendre, sinon,
oh quel enfer, il leur faudra un psychologue jusqu’à la fin des temps. Marier
un gai dans le placard, c’est le désastre, parce que lui-même ne sait pas ce
qu’il fait. Qu’avons-nous à faire des hommes, ces incapables qui ne comprennent
jamais rien ? Après ça, vaut mieux virer lesbienne !
Cependant je n’ai pas l’autre côté de
la médaille, je n’ai pas parlé avec ses deux femmes pour savoir si peut-être il
est lui-même devenu un maniaque de la propreté une fois marié, ou alors un porc
qui ne pense qu’à sa bière dans les pubs après le travail.
14 mars 2005
C’est
encore lundi matin, et le seul avantage est que les directeurs seront dans leur
réunion jusqu'à 10h. Hier j’étais encore en crise existentielle, bien que je
n’aie pas trop eu le temps d’y réfléchir, puisque je travaillais comme un
malade pour cette compagnie française d’animation 3D. J’ignore comment j’ai
fait mon compte, mais je fais maintenant partie de cette nouvelle compagnie, et
je me retrouve à travailler sur leurs projets comme un malade, sans être payé,
et sans pouvoir leur garantir avoir le temps d’y travailler.
Vendredi et samedi j’étais déjà en crise
existentielle à propos que je devais écrire les idées de scénario de deux films,
et je me demandais comment je trouverais le temps. Finalement j’ai plutôt
travaillé tout le week-end à retravailler la réponse à un investisseur
potentiel de Dubaï, et à négocier avec un Américain de
J’étais tellement fatigué hier que je ne
pensais pas que j’allais pouvoir me lever ce matin pour aller à Westminster.
J’ai besoin de quatre jours de congé, mais pâques n’est que dans deux semaines.
En plus, c’est tellement difficile de plaire au responsable de cette boîte, je
peux me défoncer, et après on se rend compte qu’il me faut tout recommencer.
J’ai l’impression d’avoir déjà beaucoup travaillé pour eux, mais que le tout
était tout à fait inutile. Je pourrais me retourner et lui dire maintenant
qu’il me sera impossible d’écrire ces scénarios, qu’il me sera impossible
d’écrire tous les e-mails aux investisseurs potentiels, et traduire à peu près
tout du français à l’anglais. Impossible tant que je travaille à plein temps à
Londres dans les conférences. Mais ce week-end je me suis enfoncé davantage.
Maintenant mon nom est sur leur site, j’ai mon e-mail personnalisé au nom de
leur organisation. Je suis en pleine négociations d’affaires avec Dubaï et
Je viens de me faire bouffer le
cerveau par une énervante au bureau de qui je dépends pour enfin commencer à
travailler sur ma prochaine conférence. Elle est toute stressée et
condescendante, en plus elle se trouve des raisons ridicules pour ne pas m’aider
avec cette conférence. Quand on pense en plus que je ne demande que dix minutes
de son temps. Elle est maintenant une manager, mais agit encore comme une
exécutive.
Les exécutifs ne font rien, prétendre
ne rien savoir, et nous radotent des conneries évidentes sur le pourquoi ils ne
doivent rien faire. Quand on trouve facilement les détours à prendre pour qu’il
se mettent au travail, ils se retournent surpris et inventent de nouvelles
raisons. Lorsqu’ils n’ont plus d’idées (un mois plus tard), alors ils se
mettent au travail, et ce travail est inutile car je ne pourrai pas m’en servir
de toute manière. Ils feront tout pour que ce qu’ils nous donneront soit d’une
qualité si médiocre, qu’on ne leur demandera plus jamais rien dans l’avenir.
Où je travaille au centre de Londres,
au parlement, c’est rempli de cette sorte de mentalité. Par exemple, dans le
bureau qui s’occupe des conférences pour l’Écosse et le Pays de Galle, une
grosse gnochonne travaille juste à l’entrée du bureau en face de la cuisine. Ainsi,
chaque fois que l’on passe on peut voir son gros cul, et surtout, son écran
d’ordinateur. Eh bien, je ne l’ai jamais vue travailler, et je l’ai toujours vu
surfer sur le net sur des sites qui n’avaient aucun rapport avec son boulot. On
se demande ce qu’elle peut bien ainsi chercher sur le net toute la journée, et
durant toute l’année, juste pour faire passer le temps au travail. Je reviens
de la cuisine, je viens de la voir encore à ne rien faire, à parler à tout le
monde. Ok, parfois je prends une journée de congé, alors même que je suis au
travail, mais elle, c’est tous les jours de l’année. Et je n’arrive pas à
comprendre comment elle réussit son tour de force, à moins d’avoir l’accord de
sa patronne immédiate qui est assise juste à côté d’elle.
Je
n’ai pas encore parlé de ceci, mais ça fait longtemps que je désirais le
mentionner. Ou peut-être en ai-je déjà parlé. J’ai déjà dû en parler, alors je
n’en parlerai pas. Enfin, lorsque je suis arrivé en Angleterre voilà dix ans,
je travaillais à l’aéroport d’Heathrow dans un WHSmith, qui est comme de
travailler chez McDonald’s. Je restais assis toute la journée à ma caisse à
regarder les hommes d’affaires et les touristes passer, pendant que je
pitonnais sur la caisse enregistreuse tout ce qu’ils achetaient. J’étais
heureux alors, malgré tout ce que j’ai écrit de négatif à ce sujet à l’époque.
C’est que j’ignorais que plus je monterais les échelons de la vie sociale
londonienne, plus infernal cela deviendrait. Maintenant que j’ai comme atteint
le sommet (bien sûr, en termes relatifs). Je vois chaque matin ce
« cute » petit Indien qui travaille dans le WHSmith à Westminster. Et
comme je l’ai déjà mentionné, il ne parle pas l’anglais très bien (vient-il
juste de débarquer des Indes, comme je venais juste de débarquer du Canada à
l’époque ?). Et ça me rappelle des souvenirs. Je me demande où il sera
dans dix ans celui-là, et comme il va souffrir de discrimination, il en sera
peut-être au même point. Tant mieux pour lui.
J’ai
du travail aujourd’hui, beaucoup de travail, je dois m’y mettre. C’est pas
aussi pire que je pensais que ce serait. Je pense que c’est plus difficile
lorsque l’on n’a rien à faire et que l’on doive prétendre travailler très fort.
Ces derniers temps, j’attendais après les directeurs pour commencer à
travailler, mais je me rends compte maintenant qu’ils sont aussi ignorants que
moi, et alors, je ne dois pas attendre après eux. Je dois inventer, à partir de
rien, je suis en monde connu. Je dois me mettre au travail, et tout faire, et
trouver par moi-même. C’est la conclusion à laquelle j’en suis venu ce matin,
et c’est ce que je vais faire. Alors j’ai beaucoup de pain sur la planche.
Quand
je suis parti à 16h57 du travail, mon patron est sorti de son bureau et a
regardé sa montre pour me signifier que je partais 3 minutes avant l’heure. Et
ça m’a fait chier. Tant d’enfantillages, je ne jouerai pas son jeu. Je m’en
fous. De toute manière, j’ai maintenant une nouvelle raison de m’inquiéter qui
rend tout le reste fort futile. J’ai enfin attrapé une maladie bizarre que
personne ne semble avoir. Mon docteur lui-même ignorait ce dont il s’agissait,
et pense qu’il s’agit d’une erreur. Jeudi je dois donc me rendre chez le
docteur une nouvelle fois, et ensuite rencontrer mon docteur, en plus de mon
avant-midi chez l’autre institution à propos de mon asthme et mes poumons. Je
vais être obligé de prendre une journée de congé pour tous ces rendez-vous,
parce que je n’ai pas du tout l’intention de faire une journée d’heure
supplémentaire pour satisfaire Master Bitch. Tout le monde dans la compagnie a
été fort surpris d’apprendre que j’ai dû travailler une heure trente d’heures
supplémentaires parce que je suis arrivé une heure trente en retard la semaine
dernière pour cette prise de sang. Ainsi, Rachelle fait de la discrimination.
Seul moi doit faire du supplémentaire, parce qu’elle ne m’aime pas du tout.
Alors je vais lui rendre la vie difficile demain, je vais lui demander
exactement ce qu’est la politique de l’organisation à propos des rendez-vous
chez le médecin, et si tout le monde doit bien refaire les heures
supplémentaires, car beaucoup étaient fort surpris de cette politique. Et alors
je vais la regarder pédaler dans le vide pour s’expliquer là-dessus. Bitch.
Bref,
j’ai appris que le taux de mes « platelets » est deux fois plus élevé
que la normale. Mon docteur m’annonçait ça comme s’il m’annonçait que j’avais
le cancer. Cependant, lorsque je lui ai demandé ce que cela signifiait, il m’a
dit que personne ne le savait dans l’établissement médical où il travaille.
Bien, quelle compétence ! Il me semble que si je devais téléphoner un de
mes patients pour lui annoncer sa maladie, je prendrais le temps d’apprendre ce
qu’est cette maladie, surtout si je prenais un air mortuaire comme il a fait.
Ainsi j’ai passé à travers plusieurs sites
Internet pour apprendre ce qu’était une « platelet », ce que ça mange
en hiver, et si je peux en mourir, et quand. Après une heure trente de lecture,
je n’en sais toujours pas plus. Il me semble très peu probable que j’en meurs,
et ce serait bien surprenant que ce soit sérieux, bien que le plus sérieux
serait la leucémie. Ça pourrait également être une maladie qui concerne les os,
et je dois avouer qu’en ce moment mes genoux me font mal, et je me trouvais
bien jeune pour avoir des rhumatismes. Il est très peu probable que ce soit le
VIH, parce qu’alors ce serait le contraire, mon taux de « platelets »
serait très bas. Tant mieux, quand on est gai, mourir du sida manque
d’originalité. Mourir d’un surplus de « platelets » est bien plus
mystérieux. Je pourrais avoir le cancer, c’est une possibilité.
Le tout peut être relié au fait que je fume
comme un trou et que je fais de l’asthme. Apparemment les stéroïdes peuvent te
donner un surplus de « platelets », et ça on m’en a donné beaucoup à
l’hôpital voilà 3 mois. Ainsi il est fort possible qu’à me bourrer de
médicaments pour une simple grippe, ils m’aient donné une autre condition
médicale sérieuse. Je suis prêt à les poursuivre en justice, car à mon avis ils
le méritent certes. Ils ne semblent pas avoir réfléchi beaucoup à ma condition
avant de me prescrire une pharmacie complète. Plus je dois faire affaire avec
les docteurs et les hôpitaux, plus je me rends compte qu’ils en sont encore à
l’âge des cavernes, et qu’ils ne sont pas mieux que les docteurs du temps de
Molière.
Et ça
ne semble pas avoir évolué non plus du côté des employeurs, je devrais me
lancer dans les calculs pour être certain que je ne travaille pas une minute de
moins que ce qui est requis par mon contrat. Ainsi je vais prendre une journée
de congé, et m’assurer également que je ne travaillerai pas une minute de plus.
Je ne suis pas tellement heureux de cette existence de toute manière, j’espère
que l’on me trouvera un cancer, mais j’espère que je vais en mourir vite. Car
je n’ai pas le temps d’attendre et de me morfondre pendant 10 à 20 ans, je veux
en finir rapidement. Peut-être devrais-je refuser les soins médicaux ?
Quelle solution radicale, qui me semble être la seule solution à mon incapacité
de quitter cet emploi et de déménager en banlieue, hors de toute existence.
Mais j’ai trop de dettes, et je ne pourrai pas payer pour ma survie. Il ne me
reste donc que les solutions radicales.
15 mars 2005
Je suis au bureau. Je ne
sais pas trop pourquoi, mais on dirait que je suis incapable de demeurer en
place. J’ai envie de sauter dans les airs, parler toute la journée, tout sauf
me mettre à travailler. Voilà pourquoi j’écris, c’est la seule façon de
prétendre travailler. J’avance dans mes projets pourtant, même si je n’y mets
pas 100 % de mon énergie.
Je dois avouer que c’est la faute à
Rachelle. Elle a trouvé le moyen (merde, je savais qu’elle était une grosse
fainéante, mais à ce point !), d’être malade à cause de son dos depuis
déjà une semaine, et on m’a dit qu’elle ne revenait pas cette semaine non plus.
À mon avis elle doit être en train d’enregistrer son nouveau disque dans un
studio quelconque, quoi d’autre pourrait prendre deux semaines, et avec un peu
de chance, trois ? Certainement pas son dos.
Je viens de proposer de lui envoyer
des fleurs, avec un grand sourire sarcastique que personne n’a semblé remarqué.
L’ironie demeurera toujours incomprise. Bref, tout le monde est tellement
convaincu qu’elle prétend avoir mal au dos, que personne ne veut lui envoyer de
fleurs. N’est-ce pas merveilleux ? Je pense que bientôt elle ne
travaillera plus ici. Enfin, j’espère que bientôt elle ne travaillera plus ici.
Cependant, je dois avouer que si elle ne revient pas, il me sera bien difficile
de produire une autre conférence dans les trois prochaines années, je trouverai
sans doute le moyen de perdre mon temps comme ça n’a jamais été vu !
Je devrais cependant faire attention,
je ne suis pas encore permanent. De toute manière, avec Sherlock de l’autre
côté de son bocal à poisson, avec vue sur mon ordinateur, je doute que je
pourrais perdre mon temps. Je suppose que la nouveauté de ne pas toujours avoir
mes deux patrons autour de moi finira par passer, et alors je me remettrai au
travail. Le plus tôt possible j’espère. Quoi que je doive maintenant aller en
lunch.
Je
suis dans un état bizarre. En fait, je ne suis pas dans mon assiette. Je me
meurs de chaleur, alors que ces femmes sont toutes en train de mourir de froid.
En plus, j’ai l’impression d’être complètement saoul, alors que c’est bien
certain que je ne le suis pas. À moins que mon taux élevé de plaquettes ait su
garder mes deux bières d’hier soir dans mon sang, pour miraculeusement me faire
agir comme un malade mental ce matin au travail.
Je vais aller en pause rapidement,
avant que je n’affole tout le département. Je me sens comme une petite bombe
sous pression prête à sauter et réveiller les 6 étages endormies de
l’association. Ils n’auront jamais vu ça. Vite, déguerpissons.
Enfin,
je ne puis tout de même pas aller en pause à midi exactement. Je vais attendre
un peu plus longtemps. Et continuer à radoter ici. Hier une autre Américaine a
commencé au travail. Elle vient d’Houston au Texas. Cette fois ça n’a pas
semblé déplacé lorsque je lui ai demandé si elle aimait George Bush. Elle s’est
élancé vers George, l’autre Américain de
Alors que George hier nous annonçait
que c’était bien de sauver l’énergie de la planète, en permettant à Dieu de
sécher notre linge dehors plutôt que d’utiliser une sécheuse (bien qu’il ait
ajouté peu après, qu’aussitôt que sa femme l’a emmené une fois dans une
Launderette, ça a été le jour où il a acheté une sécheuse à linge).
Bref, il n’était pas impressionné par
elle, et c’est avec embarras qu’il lui a dit bienvenue. Alors qu’elle semblait
déjà être en amour et ne voulait plus quitter les lieux. Elle doit s’ennuyer d’Houston
pour vrai !
16 mars 2005
N’est-il
pas extraordinaire qu’aussitôt que l’on réussit à se débarrasser d’une Master
Bitch, bien que celle-ci sans doute reviendra, une autre dans la foule se lève
avec force et puissance, balaye tous les petits mécréants sur son passage, et
vient se lever toute haute contre notre petite personne, pour remplacer la
dernière ? Même pas une semaine de répit, enfin oui, une seule semaine.
Donc,
ce n’est pas une, mais deux bitches qui viennent de se réveiller soudainement.
Et le pire est que d’habitude elles sont toutes les deux d’ordinaire très
gentilles. Mais voilà, l’une d’elle a dû aller à plusieurs réunions dernièrement,
un peu trop en fait, partout en Angleterre, et surtout les week-ends. Alors
maintenant elle est devenue un monstre, et elle a contaminé son assistante, une
exécutive. Elle, qui d’habitude ne foutait rien, ne venant que trois jours par
semaine à cause de ses enfants, la voilà maintenant qui a dû travailler des
heures normales. La transfiguration digne du Christ s’est produite pratiquement
instantanément. Elle n’est plus parlable, elle est frustrée ben noire, elle
nous crie après, elle ne veut plus aider personne. Et malheureusement, je dois
transiger avec elle tous les jours, car je produis une conférence pour eux. Heureusement,
je sais que ce sera la dernière, car je vais certes éviter ce département à
l’avenir.
Et son assistante, qui elle aussi d’habitude
ne fout rien, vient juste de revenir d’un congé maladie d’un mois. Il doit y
avoir de la tension entre ces deux femmes en ce moment, car bien que
d’ordinaire toujours gentille, timide et refermée sur elle-même comme une
huître, hier cette femme malade et ratatinée, me criait après sans raison.
Inutile de dire que j’ai perdu foi en la race humaine. J’ignore comment va se
terminer cette conférence, mais je ne les contacterai plus une seule fois. Je
vais tout finir tout seul dans mon coin. Cette conférence aurait dû durer deux
jours, mais maintenant ce sera une journée. Je tente de confirmer la ministre,
et pfuit, je passe à autre chose.
Et
hier ça a été du sport. J’ai tenté de confirmer six dates pour mes conférences
pour l’automne, ainsi je serai certain d’avoir le Lecture Hall pour mes
conférences. Mais voilà, pour confirmer six dates, il me faut six formulaires
IB. Ne me demandez pas ce que c’est, mais je sais qu’il me fallait aller les
mendier à toutes les misérables exécutives de chaque faculté, et comme ces
formulaires signifient que de l’argent va sortir de leur budget, vous imaginez
comment elles gardent ces petites feuilles comme s’il s’agissait d’une liasse
de millions de livres. Quand je pense en plus que ces formulaires pour moi sont
la seule façon possible de réserver le Lecture Hall !
C’est d’ailleurs pourquoi Miss Timide s’est
transformée en Master Bitch l’instant d’un moment, hier. Elle criait que ma
conférence n’avait rien à voir avec son département. C’est à ce moment qu’elle
a décidé qu’il serait bien de devenir une bombe nucléaire et d’exploser, comme
ça, juste pour le fun. Et puis tout à coup je lui ai montré le brouillon de ma
conférence actuelle, le titre à lui seul indiquait qu’elle avait tort, et
qu’elle venait de me lancer une bombe H au visage que plus rien ne pouvait
maintenant arrêter. Alors elle a comme implosé à l’intérieur, et maintenant je
pense bien qu’elle doit se sentir coupable. Sinon, merde, ça va être difficile
de finir cette conférence !
Hier
j’étais tellement sur l’adrénaline, je suis speedé au maximum, et ce depuis
plusieurs jours, sinon mois. Pas pour rien que mes plaquettes se multiplient
comme des folles, elles doivent avoir l’impression qu’une crise cardiaque est
imminente. Il doit y avoir une Master Bitch à travers ces milliards de
plaquettes, pauvres elles.
Bref,
je ne dors plus, je bouffe comme un malade, je suis dans un état de panique
permanent, je cours sans cesse sans trop savoir où je vais, finalement je pense
que ma vie n’a jamais été aussi stressante. C’est que le soir, et tous les
week-ends, ça continue, je travaille pour cette compagnie française. Tant de
travail depuis la semaine dernière, pour produire la présentation et écrire à
cet Américain pour qu’il signe le contrat, pour deux fois plus d’argent
qu’initialement. On m’a dit que j’en recevrais 10 %, et si c’est le cas
tant mieux. Mais pour l’instant, je ne puis voir que la fatigue généralisée où
ce régime m’a mené. Cependant je dois m’accrocher, car cela pourrait être mon
prochain emploi à temps plein, et un emploi que j’adorerais faire, car il
implique l’écriture de scénarios avec une équipe qui adore la science fiction.
Il faut que je continue, ça devrait être ma priorité. C’est peut-être ma seule
porte de sortie.
17 mars 2005
J’ignore
pourquoi, mais aujourd’hui le mois de mars a tenté de reprendre le dessus, et
tous les événements, petits ou grands, qui avaient la chance de mal tourner,
ont mal tourné.
Je devais tenter d’arriver au bureau à 10h, et
finalement je suis arrivé à 10h45. C’est à cause de mon deuxième test à propos
des plaquettes dans le sang, et la femme me disait que sans doute tout cela
aurait disparu. Peut-être qu’elle n’y connaît rien, ou alors finalement je ne mourrai
pas de sitôt. Cependant, il y a encore une chance, ce rendez-vous du 4 avril
pour mes poumons. Je découvrirai peut-être que j’ai un cancer généralisé, et
que je n’en ai que pour six mois à vivre. Pour l’instant un taux élevé de
plaquettes ne fait que m’obliger à prendre des médicaments, tous les jours,
jusqu’à ce que ça redescende. Une farce.
21 mars 2005
Nous
sommes lundi encore une fois, le 21 mars, le printemps. J’ai un mal de tête
terrible, je ne me sens plus tellement comme un être vivant. Heureusement cette
semaine et la semaine prochaine, si tout va bien, je n’aurai que trois jours de
travail à faire : congé de Pâques. Nous irons en France, en Bretagne, et
je m’accroche à cette idée comme s’il s’agissait de ma dernière bouffée d’air
frais avant de retourner à Westminster pour plusieurs mois sans voir la vie
passer.
C’est
drôle comment deux jours de congé, où l’on s’est bien reposé, ne nous motive
pas à retourner au travail. Tandis que des week-ends comme ce dernier, où je
n’ai pas arrêté de travailler, est moins dérangeant. C’est n’est alors pas un retour
au travail le lundi matin, mais plutôt la continuation du travail jusqu’à ce
que mort s’ensuive. J’ai travaillé tout le week-end, sauf hier où nous avons bu
trois bouteilles de vin chez une amie à Enfield, que je n’avais plus revue
depuis un an.
Vendredi soir j’ai bu comme un défoncé avec
mes collègues. Le Butler du grand Chairman quittait la compagnie, et les filles
autour de moi au travail ont réussi à nous convaincre (moi et l’Américain) de
venir au moins prendre un verre. Après un verre, inutile de vouloir partir,
elles m’enchaînent pratiquement et je ne puis plus partir. Résultat : j’ai
dû insulter bien du monde sans que je ne le sache encore, ce sera ma petite
surprise du lundi matin, d’apprendre les conneries que j’ai faites et dites.
J’ai tellement bu que je suis tombé endormi
dans le train. Lorsque Stephen m’a téléphoné pour me réveiller, pour mon
malheur, j’étais à ma station, mais la porte était en train de se refermer.
Vous auriez pu croire qu’une seule station, entre Isleworth et Hounslow, n’était
pas suffisante pour laisser la chance à quelqu’un comme moi de me transformer
en monstre, mais c’est tout ce dont il a fallu.
Premièrement j’ai insulté Stephen de vive voix
dans le train devant tout le monde, j’ai également insulté tout le monde en criant
qu’Hounslow c’était un trou, et que je ne voulais pas débarquer là, etc.
Ensuite m’est venue l’idée de vomir, alors je me suis levé pour aller aux
toilettes, une minute avant l’arrivée à Hounslow. Eh bien, les toilettes
étaient brisées, et alors je suis tombé par terre dans la porte du train, j’ai
vomi partout dans le train devant tout le monde, et finalement la porte s’est
ouverte. On parle de mauvais timing dans cette existence, ce soir-là c’était
pratiquement fait exprès pour me mettre dans une rage hors du commun.
Et enragé, je l’étais. Je frappais tout ce que
je voyais avec mon sac, je criais comme un pestiféré dans les rues d’Hounslow,
je me souviens même d’avoir fait déguerpir un trottoir complet de personnes en
gueulant : Move Away ! (Tassez-vous !). Aujourd’hui je suis fort
surpris qu’aucun d’eux ne m’ait frappé au visage, mais j’étais prêt à me battre
avec n’importe qui, et je puis vous assurer que j’étais dans une telle rage que
je l’aurais tué.
Certes ma vie plate à Westminster n’aurait plus
existée, et alors là, Dieu seul sait si ça aurait été mieux ou non. Me vient
alors l’idée, pendant les trois milles que je marche pour retourner à
Isleworth, de commander de la bouffe indienne au restaurant du coin. J’avais du
vomi partout sur mes pantalons alors que j’attendais dans le restaurant plein à
craquer. Ils ont dû voir que j’étais complètement saoul, que je sentais
mauvais, mais ils n’ont rien dit. Sans doute parce que sept livres sont pour
eux plus important que de causer une scène dans leur restaurant. Ou alors ils
avaient peur que je cause une scène, et certes, j’aurais tout débâti.
Et comme on doit toujours payer un très grand
prix pour toutes nos folies, il y un mort dans cette histoire. Mon Compaq iPaq
Pocket PC, dont l’écran est maintenant tout cassé. Et le remplacer par un
nouveau sur eBay me coûtera au-dessus de
22 mars 2005
Hier
Rachelle était de retour de ses deux semaines de congé maladie. Elle avait une
canne et avançait encore plus lentement qu’une tortue. En tout cas, si elle
nous fait un show, elle est prête à y mettre le paquet. Quinze minutes ça lui a
pris pour franchir la distance entre le café et son bureau. Elle était
radieuse, avec le sourire, et gentille avec moi comme elle ne l’avait jamais
été.
Je n’ai pas été dupe de cette soudaine amitié,
je sais très bien que tout ceci est amené par cette culpabilité de n’être pas
venue au travail depuis deux semaines, et cette possibilité qu’entre temps les
patrons aient trouvé le moyen de nous jeter à la rue. Et alors nos ennemis
pourraient jouer un rôle dans cette destruction. Mais ces peurs sont toujours
injustifiées, la loi la protège tellement, que la seule peur qu’elle puisse les
poursuivre en justice pour mise à la rue injustifiée, est suffisante pour la
calmer.
Je suis certain que sa gentillesse
artificielle n’aurait durée que quelques heures, une journée tout au plus. Mais
voilà, le patron lui avait déjà dit de retourner à la maison pour le reste de
la semaine, bien qu’elle doive cependant travailler à partir de la maison.
Aussi bien dire qu’elle ne fera rien. Et je m’en fous.
C’est drôle comment trois semaines de congé
surviennent seulement aux personnes qui, d’habitude, partent 15 minutes avant
l’heure et manquent souvent le travail. Tous ceux qui, comme moi, feraient tout
pour ne pas aller au travail même une journée de plus. Sans doute les autres
êtres de la race supérieure, comme l’Indienne en face de moi, qui n’a jamais
été malade en quatre ans, sont capables de marcher par-dessus leur mal de dos
et venir travailler de toute manière.
Tiens, un mal de dos. Voilà bien la meilleure
façon de manquer du travail, le docteur lui-même ne peut vérifier la douleur ou
le mal. Ainsi on peut en inventer autant que l’on veut.
Ce n’est pas moi qui vais se plaindre de la
disparition récente de Master Bitch. Et tant que je suis capable de tenir à
distance les deux autres dans le fond du bureau, alors je ris et je chante
toute la journée comme un canarie.
Maintenant mon seul problème, ce sont les êtres
de race supérieure, qui sont assises en face de moi. Dans leur perfection,
elles se permettent de nous faire chier et de nous remettre à l’ordre. La
chance qu’elles ont d’être responsables des finances, semble leur avoir monté à
la tête, elles ont l’impression de faire partie du bureau du personnel et
d’être responsables de tout le monde. Heureusement elles m’aiment beaucoup, et
ainsi je ne souffre pas trop d’être un être de race inférieur. J’arrive tout de
même à me hisser à la hauteur de leurs attentes, et tant qu’elles pensent que
je n’exagère pas (une heure trente de lunch par exemple, ou arriver en retard
et partir tôt), alors je les ai de mon côté. Cependant, une seule étincelle
suffit à alimenter leur feu. Une seule erreur et elles me dénonceront.
Je pense qu’Hitler n’a rien compris, et que ce
ne sont pas les êtres de races inférieures qui sont dangereux, mais ceux de la
race supérieure, qui peuvent ensuite nous faire une morale et nous faire perdre
notre emploi (nous poignarder dans le dos). Si j’avais été Hitler, j’aurais
fait exterminer tous les Nazis, comme j’aurais envie d’exterminer ces êtres
parfaits de mon étage, pour qu’elles ne puissent plus compter les secondes de
mes allées et venues, et garder leur œil réprobateur sur tout ce que je fais.
Heureusement celles-là j’ai réussi à les
charmer, je me demande d’ailleurs pourquoi j’ai réussi avec elles, mais pas
avec Rachelle. Ces choses sont inexplicables. Peut-être parce qu’elle est ma
patronne, et elle me voit comme un élément perturbateur, un cas problème. Aussi
ses hauts principes qui ne suivent aucune logique précise, ses grands idéaux de
l’existence qui la transforme en un être qui sait tout de ce que la race
humaine devrait être. Et si quelqu’un ne respecte pas ses opinions, alors ils ne
méritent pas de respirer. Charmer ces personnes devient impossible, l’amitié
est impossible. Cependant je demeure ouvert, et je suis toujours prêt à faire
la paix, dès que la personne devient gentille et que je sais que ce n’est pas « plastic ».
Mais ces choses sont impossibles avec les
Anglais, comme avec les Américains ou les Canadiens. Ils sont trop hypocrites
et rancuniers. Quand ça ne marche pas, ça ne marchera jamais. Tandis qu’en
France, il y a toujours de l’espoir que soudainement la bitch va changer
d’opinion du jour au lendemain, et va soudainement être ouverte à une amitié,
sans aucune rancune. Mais bien sûr, pas d’hypocrisie dans ce cas-là, la guerre
va avoir fait rage ouvertement depuis quelques jours, avant que le calme ne
vienne.
26 mars 2005
Je
suis en vacances de Pâques en Bretagne, une petite maison moyenâgeuse qui
appartient à mon amie Sherry qui l’a achetée après qu’un de ses livres fut un
succès à la grandeur des États-Unis. Ce que la littérature aurait pu m’amener
si j’étais né dans un pays anglophone plutôt que francophone. Il est clair que
je ne pourrai jamais m’acheter une maison, ou même une voiture autre qu’une
Renault 5 vieille de 20 ans. Mais ce n’est pas ce qui me décourage le plus.
Ce qui
est maintenant intenable dans ma vie, en plus de comprendre que je ne fais pas
suffisamment d’argent pour payer mes dettes chaque mois, avec deux emplois à
temps plein, sans compter l’écriture, c’est Stephen. Il a la mentalité d’un
enfant colérique de 9 ans. La plupart du temps il est complètement hystérique,
et un minimum de stress l’emmène dans une roue vicieuse de lamentations
infinies où il me blâme pour tout et rien, à me reprocher des futilités comme
s’il s’agissait de drames. Avec lui, les vacances n’en sont jamais, c’est un
enfer.
Il est
pratiquement impossible d’entrer dans un magasin sans qu’il ne vole quelque
chose, comme s’il s’agissait d’une maladie mentale. Aujourd’hui, en allant
visiter le Mont Saint Michel, qui pour lui a été d’une souffrance effrayante,
nous nous sommes arrêtés dans un centre de reptiles à Beauvoir. Il voulait
voler deux tortues, et là il veut téléphoner demain pour savoir s’il peut en
acheter. Mais voilà, apporter des tortues rares en Angleterre te vaut au
minimum dix ans de prison. Il semble trop imbécile pour comprendre les
conséquences, et en plus il risque ma liberté aussi. Dix ans de prison, voyons
voir ce que je pourrais faire à la place qui serait risqué et qui m’apporterait
suffisamment d’argent pour acheter une maison à la campagne et une voiture…
tant qu’à risquer sa liberté, autant que ça en vaille la peine. Des tortues,
bon Dieu ! J’aurai tout entendu !
Et
puis hier j’ai fait un cauchemar bizarre qui m’a bien indiqué mon état d’âme en
rapport à mon emploi dans les conférences à Westminster. Mon patron Sherlock,
qui n’a jamais rien dit à propos de la lenteur à laquelle je produis mes
conférences, sauf qu’il m’en fallait au moins une avant l’été, m’a invité dans
une pièce pleine de journalistes, où je devais prouver que je connaissais le
sujet de ma conférence, alors que j’en étais incapable. En plus, comble de
l’humiliation, dans mon rêve, je me masturbais dans un coin pendant qu’une
journaliste me prenait en photo. J’ignore d’où proviennent ces cauchemars, sauf
que mon imagination est peut-être un peu trop fertile.
Je ne
crois pas que je serai jamais en paix avec moi-même, j’ai un sentiment de
culpabilité marqué assez flagrant, qui n’est pas du tout aidé par Stephen qui
ne cesse de m’accuser de plein de choses. J’ai longtemps pensé que je le méritais,
parce que moi aussi j’ai fait la même chose à Sébastien pendant les cinq ans de
notre relation ensemble. Mais là ça fait dix que j’endure Stephen, n’y a-t-il
pas une fin à cette punition de la destinée ? Et moi qui prenais en pitié
George, l’Américain au travail, parce qu’il semblait me dire que ses deux
mariages avaient été des échecs lamentables, avec des connasses qui doivent
justement lui rendre la vie impossible.
Je me rends compte que j’en suis peut-être au
même point. Je pense que les relations entre humains seront toujours un
désastre, je ne vois pas très bien comment nous pourrions réussir à nous entendre.
Nous sommes toujours des contraires, ou alors il y a toujours un paquet de
choses à propos de l’autre pour lesquelles nous serons à jamais incompatibles.
La première est notre goût pour les émissions
télé et la musique, complètement à l’opposé l’un de l’autre. Lorsqu’il n’y a
qu’un seul téléviseur dans l’appartement, ou que nous voyageons pendant des
heures en voiture, cela devient d’un pénible effroyable. Il doit toujours avoir
une radio qui joue à tue tête, peu importe quoi. Des centaines de commerciaux,
peu importe la langue. En plus, il déteste se retrouver seul pendant cinq
minutes, mais lorsque je reviens, il recommence à me crier après sans raison.
Au moins en Bretagne il y a deux étages, je peux me sauver au premier pour
enfin écrire. Notre problème majeur, qui est celui de tout le monde, et la
raison de tous les maux, c’est l’argent. Sans problème d’argent, déjà, je pense
que nous pourrions être heureux.
Une
petite maison au bout du champ de Sherry est assez isolée. Apparemment elle
était à vendre pour pas grand-chose voilà quelques années. Maintenant elle
semble avoir été vendue à des British qui n’y vont jamais. Nous aimons bien allez
marcher pour faire le tour, en imaginant que nous pourrions l’acheter, si
jamais nous retracions le propriétaire. Hier soir nous y sommes allés, et
répétions combien c’était isolé et que ce serait bien. Et soudainement, de
nulle part, sort trois personnes qui marchaient vers nous. Mais voilà, c’est
impossible, car ils ne pouvaient venir de nulle part, à moins qu’ils ne fussent
cachés dans les ruines. Stephen est convaincu qu’il s’agit de fantômes. Je dois
avouer qu’ils ont fait des bruits qui ne ressemblaient en rien à des humains.
Eh bien, me voilà bien parti pour une belle histoire paranormale à
Mais j’ai déjà mentionné ça quelque part dans
un de mes livres. Il est peu probable que vous lirez ce livre, alors je crois
pouvoir me répéter d’un livre à l’autre sans trop m’en soucier. Au moins je
sais que ce livre sera lu, ce qui n’a pas été le cas de tous les autres livres
que j’ai écrits. Alors que je n’écrivais que pour moi seul, sans savoir
pourquoi au juste. Mais rien n’a changé, je n’écris toujours avant tout que
pour moi-même. Tant pis si ça fait fuir la critique. La vie est trop courte
pour écrire sur demande. Je vais mourir tôt, aussi bien léguer à mes quelques
lecteurs une sorte de testament de mes jours sur terre, plutôt que de la
fiction inutile. Je n’écris pas pour divertir le peuple, j’écris pour dire
quelque chose, rapporter ce que je constate, ce que j’observe. C’est ce que
j’écris, et au diable ce qu’autrui en pense. Ceci dit, j’écris pourtant
beaucoup de fiction à l’heure actuelle pour le cinéma et la télé, alors ça
compense.
Hier nous avons visité Rennes. Une très belle
ville vide de touristes. Nous n’avons même pas visité la partie médiévale. Il
existe à Rennes, comme partout en France, un sentiment pro-québécois. C’est
clair qu’ils aiment les Québécois. J’ignore pourquoi, mais c’est fort plaisant,
même si en fait cela devient difficile, car alors je suis comme un ambassadeur
du Québec et je dois faire honneur à ma nation.
Je me demande aussi si cette vision romantique
du Québec va s’éteindre un jour, et s’ils vont commencer à nous détester comme
ils tentent de chasser les Britanniques qui sont en train d’acheter toutes les
maisons de
Cette stupide question d’immigration, j’espère
la régler l’an prochain en demandant ma citoyenneté britannique. Alors je vais
travailler à convaincre Stephen de déménager en France, sinon je le laisse et
je pars seul à l’aventure. Je m’en fous si je dois ramasser des raisins sur la
vigne pour survivre (en admettant qu’en quittant le Royaume-Uni je décide de ne
plus rembourser mes dettes). La seule erreur à éviter, est de déménager dans
une grande ville. La campagne française a bien trop à offrir pour aller
s’enfermer à Paris. Rennes me semble parfait, en autant que l’on vive à
l’extérieur de la ville. Mais j’aimerais explorer plus à fond le sud de
Demain nous ne faisons rien. Stephen
s’occupera des plantes de Sherry, et moi je m’occuperai d’une passion encore
plus grande. Je vais jouer à un jeu d’aventure sur PC. C’est mon seul moyen
d’évasion de cette réalité, vivre dans un monde virtuel fabriqué de toute
pièce. Un peu comme le film Immortel, que cela aurait fait un bon jeu
d’aventure. Et c’est là-dessus que je devrais travailler, un jeu d’aventure. Je
dois justement écrire une histoire avec ces robots que j’ai mentionnés avant.
Et l’idée me semble bien plus passionnante qu’une série télé ou un film. Le
hasard fait bien les choses, le directeur a rencontré récemment un de ses amis
dans le domaine du jeu vidéo. Et voilà, je vais maintenant créer mon propre
univers virtuel à la « Immortel », dans lequel je voudrais aller
m’évanouir pour l’éternité. Je n’ai qu’à imaginer le tout, et une équipe de
dessinateurs 3D va imaginer le reste pour moi. Ah, il me faut de la technologie
extraterrestre, il me faut la possibilité d’aller sur un autre système solaire,
il me faut sortir de la fabrique de l’univers. Il me faut du voyage dans le
temps, il me faut des mondes parallèles, il me faut tout ce que la science
fiction nous a apporté ces derniers 50 ans. Il me faut également penser plus
loin, aller plus loin, inventer à mon tour la sci-fi de demain. Et j’ai la
science dans ma tête pour créer ce nouvel univers, j’ai le background
nécessaire avec mes théories farfelues de physique théorique qui remettent en
question Einstein. Toutes ces années à comprendre l’univers dans lequel on vit
n’auront pas été futiles. C’est ma nouvelle mission. Tout pour ne plus vivre
dans cette réalité pourrie de tous les jours.
Sherry a beaucoup de bibliothèques, dans ses
maisons en Angleterre et en France. J’ai toujours rêvé un jour d’arriver dans
une maison bizarre, isolée quelque part en France, et trouver mes livres dans
une de ces étagères. Et voilà, quatre de mes livres sont dans sa librairie. Ça
m’a fait sourire. J’en ai pris un et j’ai lu au hasard. Ça parlait de désespoir
et de suicide. Je n’ai pas changé en quinze ans, lorsque ces livres ont été
écrits. Tiens, je vais aller prendre « l’Éclectisme » et l’ouvrir au
hasard… une araignée a eu le temps de faire une toile sur mon livre, certes il
a été lu voilà quelques temps. Page 200 : « Comment interpréter le
viol ? » Holy shit, sur quelles drogues j’étais lorsque j’ai écrit
ça ? Un argument sans queue ni tête, qui saute du coq à l’âne, et qui a dû
envoyer chez Sherry des shivers down her spine (des frissons dans sa colonne
vertébrale). Parce que son fils a été abusé sexuellement. Elle en parlait
encore alors que nous étions à Londres pour prendre les clés de sa maison. Elle
se sent coupable, de son aveuglement, de la confiance qu’elle a eue en ce
gardien d’enfants. Heureusement je n’ai rien de tel sur ma conscience, je ne me
le pardonnerais jamais. Mais maintenant c’est devenu une excuse magique pour
expliquer le comportement criminel de ce fils, incapable de s’empêcher de se
faire arrêter par la police pour mille et une raisons. Et de s’évanouir dans la
nature pour éviter de prendre ses responsabilités et paraître en justice. Et
Sherry me dit qu’il vit maintenant dans la rue, à mendier peut-être. Ça la tue.
Moi ça me rempli d’admiration, quelqu’un qui refuse les lois de la société, qui
refuse de trouver un emploi et de payer ses taxes. Quelqu’un capable de faire
fi de toute autorité et de refuser cette existence là offerte à lui, comme un
chemin à suivre sans embûches. Ça me donnerait envie de me trouver de telles
raisons pour justifier un tel rejet des valeurs sociétaires. Tout, à propos de
Sherry, est bizarre, weird, non conventionnel. Si ses enfants avaient été
normaux, j’aurais été déçu.
Parlons de Sherry, elle en vaut certes la
peine. Et comme elle a apparemment beaucoup écrit à mon propos dans son dernier
livre, qu’elle refuse de me faire lire, je vais être franc. Je suis saoul, au
Port, et je fume des roll-ups avec du tabac Golden Virginia acheté à moitié
prix sur le bateau de Brittany Ferries. Je suis assis à la table où sans doute
elle a écrit la plupart de ses derniers livres, y compris celui qui parle de
moi. God only knows ce qu’elle raconte dans ce livre, mais une fois qu’elle
était saoul elle m’a lancé : pourquoi as-tu débarqué dans ma vie !?
Elle le disait comme si elle aurait mieux aimé ne jamais m’avoir connu. Non pas
parce que je lui ai causé du tort, au contraire, j’ai toujours aimé Sherry, et
ce, dès notre premier jour d’études à Birkbeck, là où nous faisions notre
maîtrise en littérature française à l’Université de Londres. Je l’ai aimée sans
savoir qu’elle avait plusieurs livres de publiés, dont plusieurs à succès, et
surtout, sans savoir qu’elle a été mariée à une de ces pop stars des années 60.
Si je vous disais le nom, les cheveux vous en friseraient. Je dirai seulement,
pour votre curiosité, aussi grands que les Beatles et Rolling Stones. Well,
aussi bien le dire, Manfred Mann.
Pourquoi je l’ai aimée au premier
regard ? Je l’ignore. Sans doute la curiosité d’un écrivain. Je voulais
lui parler, connaître son histoire, savoir pourquoi une Écossaise faisait sa
maîtrise en littérature française à Birkbeck. J’étais un jeune gai innocent qui
s’intéresse au peuple, pour apprendre, connaître, comprendre le monde dans
lequel on vit. Je pense que j’étais plus désinvolte et intelligent alors,
aujourd’hui je suis abruti et au bord du suicide. De telles rencontres ne se
font pas souvent, elle est en fait ma seule amie à Londres à l’heure actuelle,
c’est tout dire. Well, d’être capable de parler de Roland Barthes et André Gide
des soirées durant, alors que nous étions complètement saouls, est certes un
grand avantage. Nous avions déjà des points en commun. Je n’ai certes jamais eu
un moment inintéressant avec elle. Et plus je la rencontrais après les classes
pour discuter davantage, plus elle m’en a dit sur sa vie passée. Une vie de
femme riche à craquer, mariée à une pop starz. Dear me, non pas que cela aurait
fait une quelconque différence. J’étais déjà accroché avant de le savoir. Je
vais tenter d’être honnête. Elle a une personnalité fascinante, il n’y a pas à
dire. Et certes, ces personnalités fascinantes ont accompli de grandes choses
que je n’accomplirai jamais, bien que j’avais certes la prétention alors, et
encore aujourd’hui, que j’allais aller encore plus loin. La jeunesse pour vous
servir. Et c’est peut-être ce qui l’a attirée aux premiers abords. Une jeunesse
insouciante qui pensait tout accomplir dans les prochaines années, mais qui en
était encore au point zéro. Alors qu’elle, elle avait déjà tout accompli, tout
vu et tout connu, et maintenant elle en était à l’après. Comment vivre et être
heureux, alors que ce succès est dans le passé et que l’on a passé la
soixantaine ? Ou encore pire, comment retrouver ce succès passé ? La
chanceuse, elle a un fils qui n’a plus parlé depuis qu’il a été abusé
sexuellement, alors son dernier livre s’appelle « Speak to Me ». Un
autre grand succès pour répéter son passé. Sauf qu’elle en était au même point
que moi, tenter de se faire publier, et ce n’est pas facile, même pour
quelqu’un qui a eu tant de succès. Alors nous avons beaucoup parlé de partir
notre propre maison d’éditions, et c’est encore sur la table de travail.
J’aimerais bien mieux me publier que de dépendre de ces maisons d’éditions.
Mais voici le juteux. La dernière fois que
j’ai couché chez elle, je me suis déshabillé et je me suis allongé contre elle
une bonne partie de la nuit. J’ai trouvé cela fort excitant sexuellement, bien
que je sois gai. Et c’est peut-être pourquoi. Je suis un être sexuel, il n’y a
pas à dire. Et Stephen certes ne me satisfait pas, parfois ça prend plus d’un
mois avant que l’on ne fasse l’amour, et encore, je m’en passerais. Et je n’ai
plus ce désir de sortir pour rencontrer du monde, cela m’emmerde. Bref, j’étais
nu dans ses bras, et pour moi cela n’avait pas trop de conséquences. Mais pour
elle je pense que ça a été toute une histoire, et sans doute plusieurs
chapitres de son livre.
Comble de malheur, un soir que j’étais
complètement saoul, je lui ai envoyé un e-mail disant que son mari et cette
chanson imbécile qui a été un hit mondial était quétaine. Et aussi, je pense
l’avoir insultée en disant que, si elle aurait voulu en faire plus
sexuellement, elle aurait pu, je ne l’aurais pas arrêtée. Elle m’a envoyé un
message de femme insultée, en demandant un peu plus de respect.
Ça a pris un an avant que l’on ne se reparle.
Et aller chercher les clés de sa maison a été notre première rencontre depuis
cette fameuse nuit. Et tout ça, parce qu’un soir où j’étais saoul, je l’ai
appelée. Et alors, c’était comme si rien ne s’était produit. Nous avons repris
notre amitié là où elle s’était terminée. Elle a vaguement mentionné qu’il y
avait eu un froid entre nous, mais pour moi cela n’avait été que de son bord.
Je suis au-dessus de ces choses, elle m’aurait
appelé bien avant, et pour moi rien n’aurait changé. Nul doute dans son livre
cela a été une partie complète, que je suis indécis à lire. Toute cette
histoire sera sans doute devenue un conte d’horreur, alors que pour moi ce
n’était qu’une nuit où j’étais saoul.
Et ce soir, dans sa maison en Bretagne, alors
que je suis encore saoul, je dois difficilement avouer que j’aimerais encore
être dans ses bras et me sentir désiré. Je ne saurais l’expliquer. Je suis gai
à 100 %, je ne pourrais jamais désirer une femme, quelle qu’elle soit.
Mais cette femme de 65 ans, ratatinée par l’âge, comme je la décrivais dans « l’Éclectisme »
qu’elle a lu et cité en groupe à l’Université, a un effet sur moi que je suis
incapable de décrire. Et ce n’est certes pas son mari, qui a été l’icône sexuel
de millions de jeunes filles, ou le fait qu’elle a écrit un livre à succès, qui
m’a convaincu. C’est bizarre et c’est inexplicable. C’est même effrayant. Et
j’ose à peine imaginer ce qu’elle a écrit à ce sujet. Sans doute elle a tout
compris et interprété de travers, et voilà, ça se retrouvera au numéro un du
best sellers list du New York Times, comme ses autres livres. Car comment
aurait-elle pu comprendre quelque chose que je n’ai pu comprendre ou tenté
d’expliquer ce soir ?
Il y a peut-être une histoire sordide en
dessous de tout cela. Je dois l’avouer, le considérer. Si elle n’était rien, si
elle n’avait jamais rien écrit, si son mari n’avait pas été ce pop star des
années soixante, aurais-je les mêmes sentiments envers elle ? C’est cette
certitude en mon esprit que non, qui me fait continuer, accepter ces sentiments
saugrenus pour une femme. Alors est-ce inconscient ? D’autant plus que
cette réalisation que je la désire sexuellement me vient alors que je suis dans
sa maison dans le nord de
C’est juste une histoire de bas instincts
animaux. Que ce soit un homme, ou une vielle femme ratatinée par l’âge. Je
pense que ça n’a rien à voir avec quoi que ce soit d’autre, car toutes ces
choses d’habitudes n’ont aucune influence sur moi. Je suis trop prétentieux pour
m’arrêter au succès des autres. Je sais que secrètement elle me désire, c’est
mon amie, et je trouve cela excitant. Alors pourquoi pas ? Lorsque je
serai de retour à Londres, je trouverai une raison pour retourner coucher chez
elle, et j’espère qu’il s’en passera davantage. Et je ne puis attendre, ça
devient inquiétant. Je devrais aller retrouver Stephen en bas. Quoique de
tenter de faire l’amour avec lui est comme d’attendre la tombée de la glace sur
le Lac-St-Jean au printemps, ça n’arrive jamais.
Je me
vois descendre en bas et avouer à Stephen, qu’après dix années de vie commune,
j’ai décidé que je désirais sexuellement une vieille femme de soixante-cinq ans
que je vais le laisser. Je pense que ça le tuerait. Heureusement je n’ai pas la
chance d’appeler Sherry ce soir. Peut-être que demain je vais me réveiller de
cette torpeur et tout rentrera dans l’ordre. Je l’espère, en tout cas.
Pas du
tout, je commence à en faire une obsession. Lui faire l’amour, faire l’amour à
une femme pour la première fois, même si Sherry n’est pas une femme pour moi,
c’est une personne que j’aime sincèrement, pour peu importe la raison. L’âge
importe peu dans mon cas, j’aimerais certes faire l’amour à une femme pour une
fois. Je suppose que tant qu’à penser au suicide, pourquoi pas
l’impossible ? Sans condom, surtout, parce que ça me fait débander. Je ne
crois pas être VIH+, mais le sait-on vraiment ? Même si l’on a rien fait
de compromettant en ce sens ? Je pense qu’il est temps que j’aille passer
un test, juste pour ma conscience. Je verrai si je trouve le temps, je dois
trouver le temps. Priorité number one, quand je retourne en Angleterre.
27 mars 2005
Je me
suis réveillé ce matin en stupeur, comme si encore une fois la veille j'avais
trop bu et que j'avais déconné au point d'avoir perdu ma job ou des amis. J'ai
longuement réfléchi à savoir si j'allais faire sauter toute la partie
précédente, parce que cela me semble aujourd'hui extravagant et je ne pense
rien de ce que j'ai écrit. Je ne désire pas Sherry, je ne pourrais jamais lui
faire l'amour, j'ignore ce qui se passe dans ma tête lorsque je suis aussi
saoul.
S'il était possible de transposer à l'écriture
combien sauvage je deviens une fois que j'ai trop bu, toute la partie
précédente est un très bel exemple de l'extrême que je puis atteindre. Et je
l'ai même appelée hier, j'allais tout lui avouer, quelque chose que le
lendemain je ne pensais plus du tout ! Comme elle aurait alors pensé que
je me jouais d'elle ! Heureusement que son fils, qui vivait dans la rue,
est revenu à la maison, et il a répondu au téléphone. Ça a comme brisé
l'ambiance et j'ai su me retenir (autant que je puisse me souvenir, du moins).
Ah, la jeunesse…
En
plus j'ai une sorte de diarrhée en ce moment, je panique à cause du travail. Si
j'avais été seul, je pense que je serais ou bien reparti pour Londres pour
travailler sur mes conférences, ou alors je m'y serais mis toute la journée
aujourd'hui. J'ignore d'où me vient ce sentiment de culpabilité, cette
impression que je suis tout à fait incompétent et en retard sur mes projets.
J'ai presque eu une attaque de panique aujourd'hui, je ne pouvais plus
respirer. Je suis déstabilisé mentalement, je suis non fonctionnel. J'ai besoin
d'un update ou un upgrade, peut-être une meilleure version de mon ROM dans le
cerveau me serait bénéfique. Plus de mémoire, et un processeur de vitesse plus
rapide. Cela me donnerait une meilleure organisation de mon temps et une
rapidité à terminer mes projets. Je devrais aller chez PC World en revenant,
comme les filles au travail blaguent tous les jours à ce propos. C'est que j'ai
dit un jour que j'avais un gilet rouge que je n'osais même pas mettre pour
aller chez PC World. Et à la blague j'ai lancé que PC World et Tesco étaient
les seuls magasins où j'allais.
Il faut
me guérir de ce stress au travail. Au départ cet emploi n'était que pour ma
survie financière et l'occasion pour moi d'écrire ce livre. Mais voilà, ça a
pris le contrôle de mon existence, j'en fais des cauchemars toutes les nuits.
Ce matin je me disais que c'était juste ma conscience professionnelle, mais je
crois plutôt que j'ai vraiment perdu mon temps ces derniers mois et que mon
patron le sait.
C'est
peut-être également le fait d'être en Bretagne en France, un tel isolement te
fait paniquer. Un avant-goût de ce que serait cette fameuse existence loin de
la grande ville. C'est peut-être de ça que parlent tous ces gens qui enfin
quittent la ville pour aller s'isoler très loin à la campagne, juste pour
revenir peu longtemps après, lorsqu'ils comprennent que leur crise
existentielle a été doublée par cet isolement.
Je ne sais pas. Je vais me sentir mieux
lorsque je serai de retour au travail et j'ai bien l'intention de travailler
fort pour finir mes deux conférences. Et surtout, faire aboutir cette première
qui est dans moins de deux mois, alors que la brochure n'est même pas encore
imprimée. C'est désastreux, pas pour rien que je ne dors plus et que le stress
est en train de me manger vivant. J'ai dû me mettre un CD de Dépêche Mode pour
me calmer, me ramener à une certaine réalité que je connais. Heureusement ça
marche un peu, avec le Porto et les cigarettes. Je suis bien loin de
m'inquiéter avec mon taux de plaquettes élevées et ma prochaine auscultation à
propos de mon supposé cancer des poumons au début d'avril. J'espère juste que
Sherlock a su voir mon potentiel à travers tous ces autres rapports que j'ai
écrits, au lieu de produire mes conférences, comme si je faisais tout sauf
produire ces damnées conférences. Misère.
En
tout cas Stephen a oublié son idée de ramener des tortues en Angleterre, mais
je me demande si dix ans de prison ne serait pas mieux que cette réalité
minable qui m'attend à mon retour. J'en aurais du plaisir en prison lorsque
l'on me demanderait pourquoi j'y suis. On me donnerait certainement le surnom
de tortue pour le reste de ma sentence. Et ce Stephen qui a été d'une humeur
massacrante toute la journée, surtout après avoir lavé le plancher de Sherry.
Considérant que nous n'avons jamais lavé notre propre plancher en dix ans, je
peux comprendre sa crise. Il dort maintenant, quel soulagement. Je pense que je
vais écrire un peu de poésie, ma crise alors ne sera pas tout à fait inutile.
30 mars 2005
Je
viens de terminer ma première journée de travail depuis mon retour de Pâques.
Soudainement d'être dans le jus et d'avoir couru toute la journée d'un bord et
de l'autre m'a fait oublier ce qui semblait m'inquiéter alors que j'étais en
Bretagne et aussi hier toute la journée. J'avais peur de revenir au travail
parce que j'avais l'impression de ne pas en avoir assez fait et d'avoir perdu
mon temps, ce qui sans doute n'est pas vrai, c'est juste ma parano. Je fais ce
que mon patron me demande, et il m'a demandé de faire beaucoup de choses,
autres que les conférences. Cependant il est fort possible qu'à la réunion où
l'on va revoir mon premier six mois il ait oublié tout ça ou s'imagine que
finalement tous ces petits projets en parallèle auraient pu compter pour une
semaine de travail seulement, alors que ce n'était pas le cas. Enfin, tant pis s'il
n'est pas content, je m'en fous. Comme j'aurais voulu m'en foutre pendant que
j'étais en vacances et hier lors de ma dernière journée de congé. Mes vacances
ont été ruinées par la peur et le stress que cet emploi m'apporte. Mais je vais
survivre.
Pendant
ce temps Rachelle fait la belle vie. Son mal de dos qui l'empêche de marcher
fait qu'elle est venue deux jours seulement cette semaine et revient lundi
prochain. Sans doute elle ne viendra que pour une journée ou deux. Elle ferait
tout aussi bien de demeurer à la maison et de ne plus revenir du tout. Ça ne
m'inquiète même pas si l'association doit lui payer son salaire même si elle ne
revient plus.
Et
l'autre qui m'avait mordu lorsque je lui ai demandé un formulaire de dépense,
et qui s'est elle aussi absentée pendant trois semaines pour j'ignore quelle
maladie. Elle est malade également toute cette semaine. Et ses deux collègues,
dont Master Bitch 2, ne sont jamais là, sous prétexte de réunions avec le
gouvernement sur de nouvelles lois qui vont sortir l'an prochain.
Parfois
je me demande ce que je fais au bureau quand tous les autres trouvent
facilement des raisons pour ne jamais y être. Et je me demande également
pourquoi je m'inquiète avec le fait que je n'aie produit qu'une seule
conférence en cinq mois alors que j'ai tant travaillé sur d'autres rapports et
que je suis aussi énergétique. Il me semble qu'il est clair que tous les autres
ne foutent rien et que Sherlock doit bien le savoir. Le seul problème est que
ces autres qui ne foutent rien ne répondent pas à Sherlock, ils répondent à
leur directeur qui semble bien s'en foutre si personne ne fait rien.
Je ne
sais plus quoi penser. Je dois travailler plus fort, avancer rapidement et
prendre le tout au jour le jour. Je m'inquiéterai de cette réunion avec
Sherlock lorsqu'elle survendra, et comme par hasard je pense qu'elle a lieu
demain, alors que j'ai déjà une autre réunion avec la compagnie qui s'occupe de
l'administration et le marketing de mes conférences. Misère, ce que je peux
être con parfois.
5 avril 2005
Ce
mois de mars, je dois avouer, a été mon meilleur depuis bien des années.
D'habitude c'est problème après problème, et bien que ça n'ait pas été facile,
je dois avouer avoir vécu pire durant tous les mois de mars des années précédentes.
Chaque année je comprends également que ça déborde toujours dans le mois
d'avril, et pour l'instant, tout va bien et je n'ai pas cette impression que
quelque chose d'horrible va survenir. Serait-ce la première fois depuis plus de
dix ans que the curse du mois de mars ne surviendra pas ? D'habitude,
juste de mentionner une telle chose m'assure une crise pratiquement
instantanée, on verra dans les prochains jours.
Pour
l'instant je n'ai jamais été aussi près de ma routine quotidienne, aller au
travail à Parliament Square tous les jours, en tentant ici et là de manquer des
journées ou des demi-journées. Hier je n'y suis pas allé, je suis allé à
l'hôpital sur Fulham Road, pour confirmer mon cancer avancé du poumon.
Finalement mes poumons sont en parfaite santé et semblerait que je ne fais que
souffrir d'asthme, d'allergies et d'eczéma, le tout bien enveloppé dans un
paquet malicieux qui disparaîtra le jour où je déménagerai hors de cet
appartement rempli d'humidité et de moisissures, sans compter les cinq chats.
Je le sais, même cinq jours en France fait que mon eczéma et mon asthme
disparaissent. Ainsi il ne me reste plus que ce double taux de plaquettes pour
m'inquiéter, et j'en saurai plus à ce sujet éventuellement, après avoir été au
West Middlesex Hospital éventuellement. Ils ne sont pas pressés de me donner un
rendez-vous, si j'avais le cancer, j'aurais le temps de le développer en entier
avant même qu'ils ne fassent leur diagnostique.
Je
devais retourner au travail hier après le docteur, mais je suis plutôt allé
faire l'épicerie avec l'argent que je n'ai pas, et j'ai téléphoné à 15h pour
leur dire que j'étais encore à attendre après un test et que ça ne valait plus
la peine que je vienne au bureau. Et j'ai compris que la belle secrétaire aime
bien créer des problèmes là où il n'y en a pas, et m'accusait de ne pas avoir
téléphoné plus tôt, et que tout le monde était en panique au propos d'où
j'étais et si quelque chose de grave était survenu. C'était écrit dans mon
calendrier que je reviendrais durant l'après-midi, entre 13h et 14h, tout le
monde le savait. J'ai téléphoné à 15h. Et ce matin ce sera toute une histoire
cette histoire, et je n'ai pas la patience pour toute cette merde corporative.
J'ai bien trop à faire pour commencer à me faire chier par ces conasses qui
n'ont rien d'autres à faire que de compter les secondes où l'on n'est pas au
bureau, et aussitôt que cinq minutes passent qui ne sont pas comptabilisées
dans notre horaire, déclenchent l'alarme et appellent le grand patron pour nous
dénoncer.
Tant
mieux, plus elles me feront chier, plus facile ce sera pour moi de décrisser de
cet emploi. Je me suis rendu compte que finalement je ne puis pas survivre avec
un tel salaire, même si c'est très élevé pour Londres, relativement parlant.
J'ai trop de dettes, je n'arrive pas à la fin du mois, il m'a manqué
Je
dois donc me trouver un nouvel emploi et je n'ai pas tellement le choix. La
seule chose qui me paiera au-dessus de
Cet emploi que je cherche sera un véritable
enfer, dans le monde commercial, avec un patron sans merci, et une conférence à
produire à chaque vingt jours, ou alors c'est la porte. Je n'ai pas tellement
le choix, je dois retourner dans cette arène. Pour l'instant je suis fort
surpris d'avoir tenu six mois dans cet emploi à Westminster, et en plus, sans
aucune sorte d'arrière-goût amer qui me dise : il faut que tu trouves une
porte de sortie. Mon seul désir de trouver un autre emploi est bien parce que
ça ne paie pas suffisamment, ou plutôt que mes dettes sont trop élevées, et que
si j'ai le potentiel d'aller chercher 10,000 de plus par an, pourquoi
pas ?
The
next station is Vauxhall. Encore une fois j'arrive à Waterloo. Bien que ces
bitches vont tenter de me créer des ennuis ce matin, je me sens d'attaque à les
ignorer et à ne pas être effrayé. J'ai perdu tout mon respect pour Master Bitch
alias Rachelle. Peut-elle vraiment venir me reprocher de ne pas avoir téléphoné
une heure avant, hier, pour dire que j'étais encore à l'hôpital alors qu'elle a
manqué 3 semaines complètes de boulot, depuis deux semaines ne vient que le
lundi et mardi, sans compter qu'elle quitte le bureau à 14h ? Jamais dans
ma vie je n'ai vu une employée autant exagérer, alors qu'elle ne tente pas de me
tenir en laisse après ça.
Ma
journée est maintenant finit. Rachelle m'annonce aujourd'hui qu'elle ne revient
pas de la semaine, mais sera peut-être là vendredi. Avec ça elle ajoute que
demain elle sera à l'hôpital toute la journée. Dans ma tête, me vient
soudainement cette envie de lui dire : à propos de ma journée d'hier à
l'hôpital, dois-je la compter telle une de mes journées de congé, ou même
prendre une coupure de salaire d'une journée ? J'aurais bien voulu voir sa
tête, alors qu'elle en est à sa vingtième journée payée dans les hôpitaux. Mais
avant même que je ne puisse ouvrir la bouche, elle a dit : « Ne
t'inquiète pas pour hier, tu ne perds aucune journée de congé et tu n'as pas à
faire d’heures supplémentaires ». Et heureusement, pensais-je ! Elle
le disait comme si elle me faisait une faveur, alors que c'est la loi et la
normalité. Bitch.
6 avril 2005
Non
seulement j'étais déjà tant fatigué hier que je me suis endormi dans le train
(je tombe endormi vers Barnes et je me réveille habituellement à Brentford, et
c'est le cas de plusieurs des passagers, on tombe de sommeil et on se réveille
aux mêmes stations), mais en plus je me suis couché après 2h du matin.
J'écrivais, voyez-vous, ce livre de poésie supposément inspiré que je me fais
un devoir d'écrire, alors que je n'ai aucune raison valable de l'écrire. C'est
le cinquième recueil d'une série dont seul le premier a trouvé un éditeur, et
ça a été un flop monumental bien que c'était scandalisant à souhait. Un manque
de visibilité flagrant, aucun doute, mais tout de même, pourquoi s'obstiner à
écrire ces livres si je sais qu'ils n'iront jamais nulle part ? En tout
cas c'est en anglais cette fois, et le titre est merveilleux : Working in
Westminster, Intelligence not required. Tout le monde que j'ai rencontré
dernièrement confirme que ce titre est génial. Au point où je commence à penser
que le titre fait le livre et qu'il faut continuer à chercher jusqu'à ce que
'on trouve ce titre magique qui fait se pâmer les masses. Combien de titres de
livres et de chapitres ai-je écrits dans ma vie ?
Serait-ce le premier titre génial que je trouve ? Est-ce que cette fois ce
livre sera publié et sera un grand succès sur la liste des best-sellers de
Londres ?
À un
moment donné je m'accrochais au titre parce que, je me disais, les textes sont
moins intéressants que le recueil précédent. Je me forçais à écrire un texte
par soir, peu importe si j'avais bu ou non. Et tous ces textes écrits sans
alcool étaient clairement moins intéressants que ceux écrits sous l'influence,
non pas de la bière, mais du vin rosé. La bière inspire, mais moins que le vin.
Et je constate à mon grand désarroi que sans le vin, je suis incapable d'écrire
de la littérature inspirée telle de la prose ou de la poésie. Et je pense à
tous ces artistes qui nous ont pondu de grandes œuvres, une musique de génie,
sous l'influence des drogues, et comment il doit être difficile pour eux
aujourd'hui de faire quelque chose de bon et de génial sans ces drogues, parce
qu'ils sont supposément clean. Impossible, arrête les drogues et tu ferais tout
aussi bien d'arrêter également ta carrière musicale. Un jour il est fort
possible que j'en vienne au point où je bannirai l'alcool de ma vie, j'ai
presque hâte à ce jour. Mais ce jour-là je ne pourrai plus écrire de poésie ou
de prose inspirée. Mais pourquoi s'inquiéter ? Ce n'est pas comme si ça
changerait quelque chose à mon existence, cette catégorie de livres ne trouve
pas de lecteurs ni d'éditeurs de toute manière. Avant d'abandonner l'alcool, je
devrais abandonner l'écriture et me libérer de se fardeau inutile. Ce serait
bien plus intelligent. Je dois avouer que mes parents avaient raison à ce
propos. Quelle perte de temps, sans parler de tous ces sacrifices qui n'ont
abouti à rien. Malgré tout, j'ai encore ce sentiment que je réussirai un jour,
que l'on me lira un jour, je suis incapable de baisser les bras et d'accepter
la défaite. Une crise obsessionnelle illimitée. Il faut vraiment être bouché,
je ne comprends pas pourquoi je n'arrive pas à comprendre que c'est un combat
inutile. Peut-être parce que j'écris d'abord par pur besoin, et l'idée de publication
et d'être lu est secondaire. Peut-être.
Je
commence sérieusement à être malade de Londres. Je ne puis plus supporter la
vue des stations Clapham Junction et Vauxhall. Je pense qu'en dix ans je les ai
suffisamment vues. Revenir en touriste à chaque année me suffirait. Quand les
deux livres que j'écris à l'heure actuelle seront terminés, j'aimerais partir
de Londres. J'aimerais la banlieue anglaise, à défaut d'avoir accès à la
banlieue française. Pas de retour au Canada possible, je dois attendre une
autre année pour avoir ma citoyenneté britannique. Je ne pars pas d'ici jusqu'à
ce que j’aie ça. Et si je dois quitter le pays, je reviendrai l'an prochain
pour en faire la demande. Ça veut dire que je serai ici pour un autre deux ans,
puisqu'ils prennent un an ou presque pour te donner ton passeport. Alors la
banlieue anglaise me semble la seule solution.
Voyons voir, comment faire pour déménager en
Cornouailles ou au Pays de Galle, tout au bout de
Je
suis maintenant dans le train du retour. Si je ne me sentais pas aussi détaché
de cet emploi, je dirais qu'aujourd'hui fut ma pire journée, bien qu'il soit
rare que j'aie vécu un tel moment au bureau, peut-être parce qu'avant je n'ai
jamais eu autant de responsabilités. En tout cas, donnez-moi un rien de
responsabilité, et voilà, je m'en vais tout vous bousiller. J'ai certainement
prouvé aujourd'hui mon incompétence absolue, et je ne peux que m'en vouloir d'avoir
pris autant de temps pour comprendre la situation.
Premièrement
il faut comprendre que je suis très en retard sur ma première conférence et
qu'il reste moins de deux mois pour vendre les places, ce qui est déjà une
mission impossible. Ensuite ça a pris une éternité pour trouver la compagnie
parfaite qui allait tout nous faire, mais voilà, j'ai découvert aujourd'hui
qu'ils me chargeaient une fortune. Une semaine ça m'a pris pour regarder à
leurs derniers prix, et voilà que je me rends compte que pour trouver des
publicitaires ils me chargent
Je
n'ai que deux solutions, ou bien je baisse les bras et je dis à Sherlock que
nous allons utiliser le département de conférences de notre association, alors
que justement j'ai perdu plus de trois mois à trouver une compagnie qui nous
offrirait une seconde option plutôt que d'être pris avec une seule
organisation. Ou alors en catastrophe demain je téléphone les autres compagnies
candidates et je tente de comprendre les vrais coûts à considérer et laquelle fera
l’affaire. Et alors lundi convaincre Sherlock d'oublier cette compagnie de
Richmond, que c'est bien trop cher.
Il
sera certes en panique absolue, il me dira incompétent. Pourquoi n'ai-je pas
compris ces chiffres avant ? Parce que l'on me les a donnés la semaine
dernière seulement et je n'ai pas eu le temps de tenter de comprendre leur
signification avant aujourd'hui. Est-ce une bonne justification ? Sans
doute que non, d'autant plus qu'il est clair maintenant qu'il faudrait changer
la date de cette conférence, et tout le monde au bureau semble déterminé à ne
pas changer la date et à faire de cette première conférence un flop.
Je
suis dans le trouble, aucun doute. Je ne sais plus quoi faire et je ne sais pas
ce que je ferai. J'ai l'impression que l'on m'a triché et que ça m'a pris une
semaine complète pour m'en rendre compte, et que maintenant c'est trop tard. Je
suis en train d'arrêter un TGV dans sa course, et je vous jure qu'il en faut du
cran et de la détermination pour ainsi se lancer aux fauves. J'espère que je me
sortirai de ce pétrin.
8 avril 2005
Ce
matin a été un de ces matins où quoi que tu fasses, tout va de travers et tu
seras en retard. Hier j'étais 45 minutes en retard, aujourd'hui, au moins 15
minutes, mais je ne suis pas encore à destination, comme hier un train brisera
peut-être sur la ligne et les métros prendront peut-être 10 minutes à arriver.
Aujourd'hui
apparemment, comme tous les vendredis, il n'y aura presque personne au travail.
Difficile de se motiver à travailler dans ces conditions. D'autant plus que mon
problème de coûts des conférences est loin d'être réglé. J'espère que quelque
chose surviendra. Tout doit suivre une sorte de loi mathématique et sans doute
au début de la semaine prochaine tout rentrera dans l'ordre. En attendant, j'ai
un mal de tête terrible et si quelqu'un a le malheur de s'approcher de moi pour
me parler, je vais certes exploser.
Je
suis en retard sur tout au travail, et pourtant, aujourd'hui j'ai envie de ne
rien faire. Je dois finir de lire The Valley of Fear, Sherlock Holmes, Sir
Arthur Conan Doyle. Je pense que je vais lire toute la journée. Sinon je suis
en retard pour mon online shopping, il doit bien y avoir une série de sites
Internet que je voudrais visiter. Je dois également écrire les bases de ce
nouveau jeu vidéo, et là on m'a appris hier que je devais faire un game design.
Christ, rien n'est simple sur cette planète, et je n'ai aucune idée à quoi
ressemble un game design, mais je suis certain que ça va me demander un autre
100 heures de travail alors que je n'ai pas une seule seconde à moi.
Tous
les week-ends, tous les soirs de cette semaine je travaillais pour cette
nouvelle compagnie d'animation 3D, et même pas à l'écriture de scénario, et
sans être payé. Je suis sur le bord de la crise de nerf parce que je travaille
jour et nuit sans cesse sans dormir. Et hier, le pauvre propriétaire de cette
compagnie me demande d'envoyer du spam à des inconnus, à des compagnies de
jouets en fait, pour leur faire prendre connaissance de sa compagnie. Je n'ai
jamais envoyé de spam pour mes propres sites, je ne le ferai certainement pas
pour sa compagnie. Et hier je voulais écrire, ou même me reposer. Je savais que
j'en avais pour à peine trois heures avant d'aller me coucher. Et je pense que
ça l'ait choqué que je puisse vouloir prendre une soirée de congé. Un long
silence a suivi. J'ai passé près lui dire que notre partenariat était terminé,
qu'il n'avait sans doute pas vraiment besoin de moi puisque je suis incapable
de dessiner quoi que ce soit. Traduire des e-mails, répondre à des anglophones,
écrire des présentations, tout cela est un job à temps plein d'administrateur
ou même de secrétaire. Tout cet investissement ne sera peut-être pas inutile,
mais j'ai vraiment l'impression que ça le sera. Parce que s'ils décrochent un
contrat et qu'il n'y a rien à écrire, alors je prends le bord. Et dans toute
probabilité, à mon avis, ils vont être engagés par une compagnie quelconque et
alors je serai de nouveau seul, à avoir fait tout ce travail pour rien au lieu
de travailler sur mes propres projets qui sont urgents.
Depuis une semaine maintenant je tente de
corriger les quatre scénarios que j'ai écrits pour cette autre compagnie pour
les mettre sur mon site. Et je n'y arrive pas, ça me prend une éternité.
Pourtant faut que ce soit en ligne samedi, et alors il faudra que je m'assure
que cette autre compagnie ne me poursuivra pas en justice pour avoir mis en
ligne les 400 pages que j'ai écrites pour eux, alors que je n'avais pas les
droits moraux et que je n'ai pas écrit les quelques lignes initiales. Il
faudrait que plus jamais je n'écrive quoi que ce soit si je n'obtiens pas les
droits après un certain temps. Quelle perte de temps et d'énergie tout cela a
été ! J'ai même refusé deux emplois dans les conférences à haut salaire pour
écrire ces scénarios, et je n'ai jamais reçu même un dollar. J'espère ne pas
faire la même erreur en ce moment en travaillant sur cette histoire de robots.
18 avril 2005
Un autre lundi matin, tard en avril. Je ne
croyais pas que je travaillerais ici six mois, mais voilà, aujourd’hui j’ai été
fait permanent. Le plus ridicule de cette histoires est que je dois maintenant
donner six semaines d’avis si je veux quitter cet emploi. Cela ne m’arrange pas
du tout, Stephen allait peut-être me trouver un emploi là où il travaille, et
aussi une agence est en train de tenter de me convaincre qu’un emploi qui paie
moins cher que celui que j’ai, à travailler dans les conférences pour une
compagnie commerciale, serait mieux que ma position actuelle. Et une troisième
possibilité, est cette compagnie que nous allions utiliser pour le management
de nos conférences, tous les employés viennent de quitter pour créer leur
propre compagnie. Me laissant dans la merde, mais également me faisant espérer
qu’ils m’engagent. Mais ces trois options ne sont que des moyens psychologiques
pour moi de m’évader de cet emploi, qui somme toute n’est pas très infernal. Si
je pouvais commencer à produire des conférences comme une machine, une chaîne
de montage comme l’on construit des automobiles, alors je serais ok.
20 avril 2005
Je
n'ai plus rien écrit depuis une éternité. Sans doute parce que je pensais que
rien de nouveau ne survenait ou que ça n'en valait pas la peine. Pourtant il
s'en est passé des choses. Je suis devenu un travailleur permanent, comme je
disais, et Rachelle a pris le contrôle de mon existence. Elle parle déjà
d'établir une sorte de calendrier qui établira les échéances impossibles qu'il
me faudra respecter. Elle aime montrer son petit pouvoir misérable en élevant le
ton parfois pour m'arrêter dans mon élan et prouver son autorité absolue. Le
problème est qu'elle n'est pas aussi intelligente ou connaissante qu'elle
semble le penser, et souvent ses décisions prises sur le pouce et criées pour
que tous puissent entendre ne font aucun sens. Jusqu'à maintenant, rien de bien
grave, rien qui ne justifie que je me rende dans le bureau de Sherlock pour la
dénoncer et lui dire que je suis incapable de travailler avec Master Bitch.
Mais je sens que cela viendra. Et la seule et unique raison qui fasse que je
suis capable de ne pas m'en faire, c'est que je sais que mes jours dans cette
organisation sont comptés. Je sais qu'il serait bien surprenant que j'y sois
encore dans six mois.
D'ailleurs ce week-end j'ai été à deux doigts
de commencer à travailler pour la compagnie de Stephen, mais la question
d'argent n'est pas réglée et maintenant il me faut donner six semaines d'avis,
ce qui est très long. Cependant je dois avouer qu'il soit fort possible que
sans m'en rendre compte, dans six mois j'y travaille encore.
Hier
Rachelle était heureuse d'exercer sa nouvelle autorité sur moi en criant
qu'elle ne me permettrait pas d'aller à aucune de mes conférences, que c'était
inutile et une perte de temps. Lorsque je lui ai indiqué que ça ne ferait pas
très professionnel que le producteur de la conférence ne soit pas là pour
accueillir les conférenciers, elle m'a lancé qu'elle connaissait le monde des
conférences car elle en a produit plusieurs elle-même. Que ce serait une perte
de mes talents que de me rendre à mes conférences, que j'étais plutôt bon à la
préparation, la production, et l'administration, mais pas comme figure de proue
représentant l'organisation le jour même. Je pense qu'en d'autres
circonstances, un producteur de conférences normal aurait explosé à ce moment-là,
car la plupart adorent être là le jour même, faire la star, être en charge d'un
événement avec des centaines de personnes. Ils en ont un buzz qui ne s'éteint
pas facilement. En plus, leur conscience professionnelle leur dit qu'ils
doivent accueillir tout le monde, rencontrer ces conférenciers, apprendre pour
leur prochaine conférence et développer des amitiés qui aideront au
développement de conférences futures. Le problème est que je ne suis pas un
producteur de conférence ordinaire, je déteste mon emploi et surtout de me
rendre à mes conférences. En effet, je préfère et de loin la production à
distance et ne pas avoir à être là le jour même. C'est toujours d'un pénible
effrayant et tout va toujours mal. Il faut une série successives de miracles
pour mener à bien une grande conférence, et bien qu'en dix ans j'aie été
chanceux et que les miracles se soient toujours matérialisés, éventuellement
sans doute ce ne sera pas le cas et le désastre m'achèvera. Alors, lorsque la folle
a tenté de me faire exploser, au contraire j'étais ravi. En fait, je me sens
tellement éloigné de cet emploi et de cette organisation que très peu de ses
décisions pourraient m'atteindre, je me fous éperdument de tout.
J'ai
remarqué aussi que Sherlock lui dit quelque chose et alors peu après elle
revient vers moi pour m'annoncer en grandes pompes les nouvelles décisions,
comme si tout cela venait d'elle. Son problème est que Sherlock aussi a ses
petits jeux d'esprit et peut changer d'avis d'un instant à l'autre, et te convaincre
que ce qu'il avait dit auparavant, il ne l'avait jamais dit. Alors souvent
Rachelle se retrouve dans la merde, le monde des contradictions et la soudaine
découverte que son autorité vient directement de Dieu le père, et non elle. Un
autre jeu d'esprit de Sherlock, il te fait venir dans son bureau, il ne t'a
rien dit auparavant à propos de certaines choses que tu aurais pu faire, et
alors il te lance : quoi, tu n'as pas encore fait ça ? N'est-ce pas
la logique même que tu aurais dû le faire ? Et alors, ça fonctionne très
bien, on se sent coupable, on regrette amèrement notre incompétence, alors
qu'il faut justement s'arrêter pour réfléchir qu'en fait, il était impossible
de lire ses pensées et que ce qui semble évident que l'on aurait dû faire ne
l'était pas du tout. Conclusion, cet homme qui me prend pour un imbécile est
lui-même un imbécile.
La
plupart de mes collègues commencent vraiment à me tomber sur le système, j'ai
maintenant les nerfs à fleur de peau. Ils sont bien trop familiers et
m'attaquent en se moquant de moi à longueur de journée. C'était drôle au début,
mais hier ça frôlait le ridicule absolu et ce n'est pas bien pour ma réputation
au travail. En plus ça mange ton énergie et je commence à trouver ça ennuyant,
pour ne pas dire emmerdant. Hier je ne pouvais plus les supporter, la journée a
été longue et aliénante, routinière en plus. Ce matin en me levant j'avais
tellement l'impression que si aujourd'hui serait aussi plat et inintéressant
que la journée d'hier, et ressemblante aussi, alors je pourrais finalement
avoir la conviction totale que je suis prisonnier d'une boucle du temps et que
je revis la même journée jour après jour. Comme quelque chose survient toujours
pour justement m’empêcher d’atteindre ce point où je serais convaincu d'un tel
état de fait, j'en déduis qu'aujourd'hui quelque chose de grave ou d'important,
qui changera de façon significative la configuration scénique de cette pièce de
théâtre, surviendra. Et ça m'a motivé à me rendre au travail. Je dois admettre
qu'il est fort probable que rien ne surviendra et que je serai convaincu de la
nullité et de la futilité de cette existence.
Bon,
j'ai déjà passé à travers l'avant-midi, rien de particulier n'est survenu. Je
ne vois pas comment l'après-midi pourrait apporter ce quelque chose de
différent que mes sens revendiquent en cette journée plate à mort.
26 avril 2005
Je
suis en période de crise, de grands changements j’espère, bien que pas
grand-chose devrait changer. Il y avait un temps où une période de grand
changement signifiait changer de pays, recommencer une vie à zéro, la grande
aventure à ma porte là toute ouverte. Mais après dix ans dans le même
appartement, à vivre avec la même personne, les grands bonds de la destinée
signifient maintenant tout autre chose.
Bref, j’ai flushé les Français avec qui je
travaillais sur des projets hyper intéressants, de la science fiction animée 3D
avec énormément de potentiel dont je ne ferai plus partie faute de temps et
d’argent, et j’ai également entrepris les procédures pour non pas déclarer
faillite, mais presque.
Je
n’avais plus le temps pour rien, même pas une heure pour payer mes factures. Et
tout cela est fort démoralisant car je sais maintenant que je paie £ 1,000
par mois juste en intérêts pour mes prêts et cartes de crédit. Mon prêt le plus
gros est encore mon prêt étudiant que je n’arriverai jamais à repayer. Même
pas, en fait c’est mon deuxième plus grand prêt, puisque la fameuse Royal Bank
of Scotland m’a prêté beaucoup d’argent pour mon passe-temps favoris qu’est
l’écriture. Et c’est bien cette écriture qui m’a ruiné. J’avais toujours
l’espoir que ça déboucherait et maintenant je pense sincèrement que c’est
terminé. Écrire n’est qu’un plaisir personnel et cela ne devrait jamais plus
m’empêcher d’avoir une vie normale, un emploi dans les conférences de 9 à 5 à
Parliament Square, sans être fatigué mort, une vie de zombi qui me coûte les
yeux de la tête.
Enfin,
je n’aurai pas à tout payer de cette fameuse dette de £60,000, je n’en paierai
que la moitié en cinq ans, si tout va bien, si je suis accepté dans ce
programme gouvernemental britannique (si mes créditeurs acceptent à 75 %).
Si cela survient, je vais recommencer à vivre, je pourrai à nouveau aller
manger au restaurant de temps en temps, je ne me tracasserai plus si j’achète
un sandwich sur l’heure du midi. Et surtout, je n’aurais plus à transférer de
l’argent d’une carte de crédit à l’autre et à tenir compte de douze créditeurs
et des paiements en retard qui me coûtent une fortune.
Et
pour les Français et leurs merveilleux projets, je pourrai enfin dormir le
soir, ne plus m’inquiéter avec l’écriture d’un scénario de film ou même un plan,
alors que les idées de bases sont indéfinies et que mes idées sont toutes
rejetées. Travailler avec un perfectionniste dans ces conditions signifie qu’il
doit lui-même tout faire, c’est simple. Je le savais depuis longtemps, mais
c’est seulement maintenant que je trouve le courage d’abandonner ce projet.
Parce que je sais que ce projet prendra encore plusieurs mois, ça dure depuis
cinq mois déjà et nous n’avons pas beaucoup avancé. J’ai eu le temps d’écrire
deux livres en parallèle de tout ça dans les six derniers mois. Si je prenais
autant de temps à terminer mes projets, je n’aurais rien accompli dans ma vie,
non pas que ce que j’ai déjà accompli soit si impressionnant, mais tout de
même.
Et je
me sens horriblement coupable aujourd’hui, rongé par la culpabilité d’avoir laissé
tomber les Français et aussi les Anglais au travail, faut dire que c’est mon
deuxième jour de congé, tout cela pour me remettre sur pied et me remettre à
jour dans tous mes comptes. Pas d’autres solutions, je n’arrive plus à faire
quoi que ce soit et ma santé s’en va chez le diable. J’ai même arrêté de boire
de l’alcool ce week-end dans le but de tenter de me débarrasser de cette
fatigue permanente et ce mal de tête qu’aucune pilule ne semble pouvoir guérir.
Je me demande si je souffre d’anémie avec tout ça. Et il y a encore ce problème
de plaquettes dans mon sang qui est deux fois plus élevé que la normale, un
problème que personne ne semble comprendre les conséquences et dont le système
de santé britannique ne semble pas trop se soucier. Mon rendez-vous est dans un
mois, et ça fait déjà plus d’un mois que ce problème a été identifié. Et voilà
comment on meurt du cancer ou d’une tumeur au cerveau, ça prend six mois avant
d’avoir un simple rendez-vous pour une radiographie ou des tests. On a le temps
de mourir trois fois.
Si mon
existence n’était pas si misérable, cela me donnerait peut-être le goût à la
vie. Un renouveau absolu où la joie et le bonheur seraient au rendez-vous. Et
je dois admettre que j’aimerais bien écrire un livre pour une fois qui donne
l’envie de vivre et non de se suicider. Et justement mon Français accuse la
société de nous rendre à ce point, à cette misère insupportable qui fait que la
vie ne vaut plus la peine d’être vécue. Et je dois dire, je ne connais personne
en ce moment qui semble être heureux de vivre, avec un goût de l’enchantement
et de la curiosité que cette existence devrait en théorie nous octroyer.
J’aimerais écrire les Bucoliques, bien que je n’aie jamais lu ce livre, mais ça
ressemble à l’idée de ce que je voudrais faire. Je pense qu’il est clair que je
ne réglerai jamais tous mes problèmes, ni ceux de l’humanité. Je ne changerai
pas les systèmes politiques et le contrat social. Je ne puis peut-être que me
payer un bonheur virtuel et offrir un petit aperçu de cette joie à travers au
moins un livre. Donner le goût de vivre alors que plus personne ne l’a.
Et justement c’est le temps des élections en
Angleterre. Et les arguments sur les panneaux publicitaires sont à propos de
taxes municipales et les taxes sur l’achat de nouvelles maisons. Des
taxes ! En payer moins, alors que tout cela, comparé au reste, est
insignifiant, d’autant plus que je ne paie aucune taxe moi-même et je ne vais
certainement pas acheter une maison durant cette existence. Je suis hypothéqué
ben raide pour le reste de mes jours avec aucune solution pour m’en sortir. Que
je sois encore vivant aujourd’hui pour en parler, est tout simplement un
miracle, puisque rien ne me motive à demeurer en vie. Je suis tellement fatigué
de cette existence, et cette culpabilité aujourd’hui n’aide vraiment pas.
Peut-être que des jours meilleurs s’en viennent, mais ça fait longtemps que
j’ai compris qu’il n’y a pas de messie, personne ne va venir me sauver ou me
sortir de mon marasme.
En
fait, c’est sur ça que devrait porter les élections. Quelque chose de bien plus
crucial et existentiel. La joie et le bonheur. J’imagine d’ici le chef de parti
qui oserait dire : nous allons travailler à vous rendre la vie plus
facile, à vous octroyer plus de bonheur et de joie ! Je pense que la
population, zombie comme elle est, ne voterait pas pour son parti. De toute manière
ces politiciens sont aussi misérables que le reste de la population, il est
clair que d’aller en politique demande une personnalité qui demande pouvoir et
argent, une certaine ambition pour arriver au sommet de ce système hiérarchique,
qui est peut-être le problème à la base. On n’élit pas les personnes les plus
aptes, on élit les ambitieux et les opportunistes, les seuls qui puissent
survivre dans ce système.
Ce qui
ne règle pas le problème du comment rendre les gens plus heureux. Moins de
bureaucratie, dans un premier temps. Moins de surveillance à
Ce
qu’il faudrait, c’est pratiquement des idéaux utopiques, avec le pouvoir de
faire des changements à un niveau global. Changer tout le système, à même les
Nations Unies. Adopter des idées pratiques dans le but de créer le bonheur et
la joie plutôt que la misère et l’humiliation de ces systèmes hiérarchiques
capitalistes. Malheureusement le socialisme et le communisme ont prouvé
plusieurs fois ne pas être la solution idéale. Personne n’a été heureux ou même
ont eu l’impression d’une certaine liberté sous ces régimes. Il faut autre
chose, quelque chose qui ressemble peut-être à ces idées de lunatiques que
l’ère supposément appelée New Age a apportées. Comment intégrer leurs bases de bien
être et d’épanouissement, sans sauter dans la religion ou quelque chose qui
ressemble à une religion ou une société secrète, et qui ne peut finalement que
conduire à la noyade généralisée.
Je
suis peut-être prêt à écrire ce fameux livre qui remettra tout en question.
C’est peut-être la marche à suivre, comment désencrasser le tout pour rendre
les gens heureux, apporter le bonheur et la joie. Prendre tous les domaines de
la société un par un, identifier le gros du problème, et offrir des solutions
radicales pour changer le tout.
La solution globale ne viendra peut-être pas
d’un changement du système social et politique, ça viendra peut-être de
plusieurs milliers de petits changements à tous les niveaux. Si seulement
j’avais le temps, le courage et l’argent. Ce n’est pas moi, semble-t-il, qui va
réécrire
Peut-être
que la solution est beaucoup plus simple. Je dois admettre que je passe la
plupart de mon temps devant un ordinateur, et ce, depuis l’âge de 10 ans. Et
avant mes 10 ans, j’avais toutes les consoles de jeux qui ont existées, comme
Atari par exemple. Je ne pourrais vivre sans mon ordinateur, une sorte de
nouveau monde virtuel qui me permet de m’évader psychologiquement. Et c’est
sans doute une bonne chose que les gouvernements aident la population à
acquérir des ordinateurs (au Canada du moins). Cependant je me demande si
offrir des aquariums au peuple ne serait pas une meilleure idée en parallèle de
tout ça. Regarder des poissons nager, un écosystème qu’il faut entretenir,
sinon les poissons meurent, est assez fascinant et créatif. Je vois d’ici mes
critiques me démolir pour affirmer que la solution aux problèmes de l’humanité
est un aquarium dans chaque maison. D’accord, je me tais. Je vois que je suis
arrivé au bout de mon inspiration pour aujourd’hui. Je manque peut-être
d’inspiration pour recréer les nouveaux schémas de l’humanité, cependant ma
crise existentielle bat son plein.
Je me sens mal parce que je ne suis pas allé
au travail aujourd’hui et hier. Incapable même de savourer deux journées de
congé, parce que la culpabilité me ronge. J’espère au moins que ce repos me
remettra sur pied, aidera ma santé qui se détériore, j’en avais certes besoin,
je n’arrivais plus à reprendre le dessus. Et je n’ai même pas encore repris le
dessus, je n’ai pas regardé à mes finances, mes cartes de crédit, mes paiements
en retard, et je ne crois pas que je trouverai l’énergie ou le courage. J’ai
cancellé tous mes paiements automatiques pour empêcher ma banque de me charger
£ 35 livres chaque fois qu’un paiement saute, et les compagnies de cartes
de crédit un autre £ 25 pour paiement en retard et un autre £ 25 pour
être au-dessus de ma limite à cause de leurs charges. J’ai tout simplement tout
cancellé et j’ai tout laissé aller, et là mes cartes de crédit s’en donnent à
cœur joie, des charges qui atteindront £ 300 avant la fin du mois. Ma vie
s’en va chez le diable.
29 avril 2005
Où
suis-je, cette nuit ? Au Osterley Park, ma demeure de toujours. Je venais
ici déjà lorsque je me chicanais avec mon ancien propriétaire, lorsque
j'habitais de l'autre côté du parc. Je viens maintenant ici lorsque je me
chicane avec Stephen, et alors que je j'ai débâtit l'appartement dans ma rage.
Cette entrée sera la dernière du livre. Ça fait si mois, et six mois c'est
assez pour changer une vie, et ciel, ma vie va changer.
Comment
cette histoire a-t-elle commencée ? Je ne parle pas encore du livre, mon
dernier emploi dans les conférences à Parliament Square, on ne peut pas faire
plus central. Je parle de ma chicane. Stephen avait égaré deux lettres, il
croyait que je les avais perdues, je ne les ai jamais vues. Il pousse, il crie,
il me dérange, il m'empêche de travailler, jusqu'à ce qu'à mon tour j'explose,
je détruise tout dans ma marche vers l'extérieur. C'est la première fois en six
mois que je viens au Osterley Park, chaque fois je retourne à la maison et il
se sent coupable et tout est Ok. Même si encore une fois il m'a lancé par la
tête qu'il en avait assez de moi, qu'il avait trop dépensé pour moi, et que je
doive retourner au Canada immédiatement. D'habitude je le considère, dans ces
périodes de crise, je suis prêt à repartir, mais cette fois c'est différent.
Deux
choses me tenaient ancré à Stephen, mon statut d'immigration et mes dettes. Or,
j'ai maintenant mon visa de résident permanent, je n'ai plus besoin de lui. Et
mes dettes seront d'ici six semaines effacées, sauf un paiement d'environ
₤ 230 par mois à mes créditeurs pendant cinq ans (£ 500 en fin
de compte). Qu'est-ce qui me retient maintenant ? Rien. Mais ce n'est pas
pour le Canada que je partirais, n'importe où fera l'affaire. Mon premier choix
est
Ça
fait dix ans que je pourris à Londres, ça suffit. 260,000 professionnels par an
quittent Londres parce qu'ils en ont assez, seuls ceux-là ont l'argent pour le
faire, et l'expérience pour trouver un emploi bidon en région. Moi j'ai prouvé
que pour déguerpir, s'enfuir outre Atlantique, il ne faut rien, sauf la
détermination, le courage et le cran. Je l'ai fait plusieurs fois, je peux le
faire encore. Ne plus croire en la destinée, ne plus croire qu'elle arrangera
tout et viendra nous sauver. Seuls nous pouvons provoquer les circonstances,
créer notre propre destinée. J'ai appris ça, en dix ans où rien n'est survenu
dans mon existence. Tu t'assois sur ce que tu crois être des lauriers, et tu te
rends compte après la décennie que tu 'as rien de concret, aucun succès, aucune
possession, même pas l'amour. Tu as eu le temps de vieillir, de devenir laid,
de croire que tu es devenu une sorte de monstre qui n'a plus droit de vivre,
rejeté de tout et chacun.
J'ai
aveuglément accepté tout ça. Mes échecs constants sur toute la ligne.
Socialement, au travail, en amour, en amitié, partout. Je pensais mériter mon
sort. Mais lorsque je suis, comme cette nuit, seul à Osterley Park, je sens ma
liberté, une liberté absolue qui n'a plus rien à voir avec autrui. Je suis encore
maître de mon existence, j'ai droit à la vie, le droit d'accomplir ce que je
veux, de partir à l'aventure, de tout laisser derrière moi, de tout recommencer
ailleurs.
Je
parle comme s'il s'agissait de la fin de ma vie. La fin d'une carrière dans les
conférences, ça c'est certain. La fin d'une relation de dix ans, ce serait trop
beau. La fin d'une carrière d'écrivain qui n'a jamais débouchée, quel poids
serait enfin levé de mes épaules. La fin de mes aventures en Europe, ou
ailleurs. C'est souvent après avoir trouvé toutes les solutions à ses
problèmes, que soudainement on lâche tout, parce que soudainement il n'y a plus
de lutte, plus d'obstacles à conquérir, plus de challenge à l'existence. On a
prouvé être à la hauteur, être capable de passer au travers. On a appris ce
qu'il y avait à apprendre, et soudainement il n'y a plus rien à apprendre ou à
accomplir. Ainsi va cette destinée. Je suis enfin libre de recommencer à
ailleurs ou de ne plus recommencer quoi que ce soit. Je suis enfin libre de
mourir en paix.
28 Juin 2005
Je
pensais avoir fermé ce livre, je me rends juste compte ce matin que les
chapitres intéressants s'en venaient. Suffisait de le laisser en jachère
pendant deux mois, et voilà, la configuration scénique de la pièce de théâtre a
changé.
Vous
ne serez pas surpris d'apprendre que pendant que je travaillais comme un malade
à mes conférences, et notons au passage que dans toute l'organisation je suis
apparemment le seul qui travaille et qui semble montrer un peu d'intelligence,
bref, pendant que je me défonçais, Master Bitch a également été fort occupée.
Elle organisait mon procès avec le bureau du personnel, notant tout moindre
détail de mes journées de travail depuis ces derniers mois, pour que chacune de
mes paroles puissent être retenue et utilisée contre moi.
En effet,
hier, sans aucun annonce préalable, surprise absolue, je fais face à une
procédure disciplinaire où ils risquent de me mettre à la porte instantanément.
Ils partent toujours avec l'idée la plus horrible, mais ils oublient que l'on a
le droit de se défendre, et qu'après cette défense, on voit plus clairement
qu'une Master Bitch pensait. Elle croyait aisément utiliser le bureau du
personnel pour se débarrasser d'un problème personnel. Heureusement les bureaux
du personnel ont toujours un peu peur que le tout se rende en cour de justice,
et de la mauvaise publicité, ils hésitent avant de prendre des décisions
radicales. Et heureusement, car depuis que Michael Jackson a gagné son procès,
je me sens invulnérable et je crois pouvoir moi aussi prouver aisément mon
innocence. Ce que je ne puis dire cependant, et qui est la vérité, est que Master
Bitch est derrière tout ça.
Je ne
peux nier qu'une des membres de l'association ait explosé après que je lui ai
annoncé qu'elle ne pouvait plus parler à ma conférence. Et ce n'est pas ma
faute si dans son élan de délire elle a décidé de copier l'organisation en
entier, le président inclus. Cependant je n'ai toujours été que très gentil
avec cette peau de vache qui a un très grave problème d'Ego. Je ne puis nier
non plus que j'ai perdu patience une seule fois en huit mois au téléphone avec
la compagnie qui fait la logistique des conférences, cependant elle ne peut pas
généraliser ça pour confirmer que mon attitude et mon comportement envers eux
n'est pas acceptable. Il est plus qu'acceptable, et ils le confirmeront tous.
Meilleur chance avec la prochaine accusation. Le reste se sont des e-mails un
peu mal tournés et directs, cependant tous acceptables en tant que tel. Il est
possible qu'ils aient trouvé autre chose pour m'accuser et se débarrasser de
moi, et je devrai me débattre avec ça mercredi.
Pour l'instant je pense qu'ils ont tout tenté
pour monter un faux dossier contre moi, avec des détails de ces derniers mois,
en tentant de me convaincre que c'est déjà le troisième avertissement que je
reçois. Dans ma défense, j'annonce que je n'ai jamais reçu d'avertissement, je
n'ai eu que des réunions où certaines choses ont été discutées, comme s'il
s'agissait de bien autre chose que l'on discute dans ces réunions. Et c'est
vrai, ils n'ont jamais clairement dit : cette discussion est sérieuse, tu
as un problème de comportement et d'attitude, tu n'adhères pas aux valeurs de
l'association.
Alors la surprise de ce procès hier m'a
choqué, ça n'arrivait de nulle part. Je me suis levé et je suis parti, en n'avertissant
que la secrétaire. C'est que leur petit jeu fonctionne, je me suis senti mal,
j'avais de la misère à respirer, je devais partir. Je me sens mieux depuis que
j'ai écrit ma défense. J'imagine que maintenant tout va dépendre de l'énergie
que Master Bitch mettra à convaincre le bureau du personnel de me mettre à la
porte, et aussi la décision de la bitch du personnel à propos du si c’est
risqué ou non de se débarrasser de moi dans le contexte où le tout se rendrait
en justice.
J'ignore
cependant si une plus grande surprise m'attend. La semaine dernière l'Américain
a eu une réunion avec le bureau du personnel. Je ne crois pas que lui aussi
souffre d'une procédure disciplinaire, il n'a jamais rien fait ou dit dans
cette organisation (en fait, je pense qu'il n'a même jamais travaillé, il
s'assoit en face de son ordinateur toute la journée en silence à ne rien
faire). Peut-être qu'il tente de devenir permanent ? Je sais que ça le
fatigue beaucoup de devoir remplir des feuilles de temps chaque semaine et de
ne pas avoir de sécurité d'emploi. Mais maintenant je me demande surtout s'il
n'a pas été au bureau du personnel pour me planter un bon couteau dans le dos.
J'espère que non, parce que toute ma défense tient surtout sur le fait que ma
relation avec la compagnie de logistique et très saine et forte, ce qui est
très vrai. Mais si l'Américain est maintenant en ligue avec Master Bitch, si
elle a réussi à le convaincre de parler avec le bureau du personnel alors
qu'elle faisait sa petite enquête pour trouver tout ce dont elle aurait besoin
pour mon procès, c'est alors qu'il va mentir, et alors c'est certain que je
vais perdre cet emploi.
Ce
n'est pas tant que je veuille garder cet emploi pourri à Westminster qui soit
le problème, c'est l'humiliation de se faire accuser de choses injustifiées et
d'assister à une conasse capable de détruire des carrières et des vies par
vengeance personnelle. Et que tout cela soit freiné un peu par les lois est
bien - on ne peut pas impunément mettre à la porte ainsi les employés
permanents - mais c’est seulement freiné. Rien n’arrêtera cette machine
qui vient de se lever pour m’éliminer.
Maintenant ça fait juste prendre plusieurs
mois de calvaire, plusieurs réunions disciplinaires où le moindre de tes
mouvements ou paroles est décortiqué, et à la fin de tout cela tout le monde a
juste l'envie de s'enlever la vie. Et juste sous le nez du premier ministre en
plus, il fonctionne bien notre système de protection des employés, ils
finissent toujours par trouver le moyen de se débarrasser de nous.
Ainsi, systématiquement, je suppose, les seuls
qui travaillent fort à Westminster sont éliminés par ceux qui ne veulent rien
faire de la journée. Évidemment, ça paraît mal pour eux. C'est ainsi qu'à
Westminster, non seulement aucune intelligence n'est requise, mais être idiot
et incapable de faire quoi que ce soit est également un pré-requis.
Rentrer
dans le bureau n'a pas été facile. Heureusement il n'y avait que l'Américain et
l'Indienne. Je leur ai dit que je faisais face à une mise à la rue, et George a
été for surpris, d'autant plus que c'est tombé du ciel, comme ça, sans que l'on
s'y attende. Je lui ai demandé si sa réunion de la semaine dernière avec le
bureau du personnel avait quelque chose à voir avec moi. Il m'a assuré que non,
et je le crois. Je lui ai demandé d'être mon témoin. Comme prévu il n'a pas
tellement aimé l'idée. Il m'a dit de d'abord demander à Rachelle, ce que je
ferai demain.
Entre
temps,
Pauvre George, lui qui justement tente de
devenir permanent de peur qu'on le mette à la porte faute de résultats
convenables dans ses ventes, doit maintenant bien réfléchir à son avenir dans
l'organisation. Que je puisse ainsi faire face à la mise à la porte du jour au
lendemain, et sans clair avertissement, a dû le laisser fort songeur. Nous ne
sommes pas dans le monde commercial, où perdre son emploi est comme d'acheter
un nouveau complet, cependant nous avons les preuves maintenant que c'est
pareil dans le secteur public et les associations.
En
tout cas, pour créer une diversion, ce matin à 10h nous étions invités à
visiter
Le Big
Ben. Wow ! Ce genre de grandes entreprises de fou, avec une cloche de plus
d'une dizaine de tonnes, avec un bâtiment gigantesque d'une architecture
effrayante juste à côté, tout cela ne peut appartenir qu'au passé. Personne
aujourd'hui n'est prêt à faire de tels monuments à la gloire de l'humanité.
Nous nous sommes endormis avec les siècles, les idées de grandeurs ne sont plus
de ce monde.
Monter les escaliers jusqu'au sommet, regarder
les cloches sonner, et voir l'arrière de ces cadrans gigantesques, c'était
toute une expérience. George avait peur que je me lance en bas, après la merde
qui m'est tombée sur le dos hier, et à la blague (à moitié), je lui ai dit que
c'était une idée absolument géniale ! Cependant il m'aurait fallu le
préméditer un peu plus. Sur le coup, sans préparation psychologique, c'était
impossible.
En marchant dans le grand hall d'entrée, qui
ressemble fort au grand hall d'Henry VIII à Hampton Court Palace, avec les
grandes poutres en bois formant le plafond, j'ai demandé au directeur d'un des
grands groupes s'il avait une aspiration à devenir un politicien. Il m'a affirmé
que non, mais m'a demandé si j'en avais l'aspiration. Et je me suis surpris à
lui dire que l'on ne savait jamais, que je serais peut-être intéressé. Cependant,
qui voudrait d'un anarchiste suicidaire d'un autre pays, incapable de garder un
emploi, comme Premier ministre ? Tout le monde sans doute, je serais le
seul à dire la vérité telle qu'elle est dans tout Westminster. Et certes je ne
ferais pas long feu au Parlement.
Au
travail, maintenant, je me méfie de tout le monde, je ne sais pas qui est mon ennemi
et qui est prêt à m'aider dans cette crise que je traverse. J'en suis venu à la
conclusion que je ne puis attendre d'aide de personne. La peur les égorge déjà,
que cela puisse m'arriver ainsi alors que je ne le mérite certes pas. Et que si
je le mérite vraiment de par leurs propres standards, alors Rachelle
Ses mensonges deviennent la vérité, ta défense
devient une piètre excuse. Tu es coupable dès la première accusation, les gens
se détournent de toi, plus personne ne rit dans le département, prouver ton
innocence est impossible. Ça devient un jeu pour les ressources humaines :
comment se débarrasser de toi sans que le tout ne finisse en un feu d'artifice
et de publicité en cour de justice. Et ils ne prennent aucun risque, alors
c'est un jeu assez simple. Ils sont bien organisés, ils ont des années
d'expérience, ils savent exactement comment justifier à peu près n'importe
quelle de leur décision. Bref, tu n'as jamais aucune chance en ce monde. Tu
prouves tes compétences, tu construits une Tour de l'horloge à toi tout seul,
avec un gros Big Ben tout en haut, et l'on te remercie en te piétinant,
t'accusant d'avoir un problème de comportement et d'attitude, et tu es renvoyé.
Merveilleux, tout simplement merveilleux.
29 Juin 2005
Je me
suis réveillé ce matin en pensant qu'aujourd'hui je m'en allais en cour de
justice, où mon avenir et ma crédibilité en tant qu'être humain allait être
décidés. J'avais en tête que mes seules erreurs ont été d'arriver en retard de
cinq minutes à deux reprises, et cela suffisait à eux pour décider de sortir la
garde royale, le grand juge, la cour de justice complète avec jury.
Les
gens qui se sont assis un jour pour écrire les procédures que les employés
doivent suivre, et celles que les départements de ressources humaines doivent
obéir, à mon avis ont également travaillé en milieu carcéral. Les gens ne
comprennent pas jusqu'à quel point ils sont prisonniers de leur emploi, que de
partir comme je l'ai fait hier sans avertir un supérieur, leur a tous coupé le
souffle. Je faisais là une erreur tellement grave, ils en sont tous demeurés
estomaqués. Peu importe que je ne pouvais plus respirer et que j'allais perdre
connaissance, c'était comme si j'avais trouvé la porte de la prison ouverte et
que je m'étais décidé à voler le camion de vidanges pour m'échapper d'Alcatraz.
Pourtant le lendemain je reviens toujours pour demander mon reste, pour
continuer ma peine.
Le
problème est qu'il n'existe aucune flexibilité, tu dois être au travail à 9h
exactement, et tu ne dois pas partir une minute plus tôt. Sinon on commence à
te regarder de travers, on te surveille, on te ramène à l'ordre, on multiplie
les problèmes, on appelle le bureau du personnel à la rescousse. On va
immédiatement agiter mer et monde pour ramener tout le monde à un conformisme
si réglé au quart de tour qu'un directeur de prison en serait fier. D'autant
plus qu'il n'aurait même pas à s'inquiéter que ces prisonniers fassent quoi que
ce soit, nous connaissons tous les conséquences de la moindre petite action qui
dévie de la norme. Procédures disciplinaires, humiliation, hypothèque de ton
nom chez tes prochains employeurs, dépression, brisure de famille, etc. Et ce
n'est que lorsque l'on a dévié un tant soit peu, et que soudainement l'autorité
s'est levée pour t'anéantir, inventant la plupart des accusations ou en les
amplifiants pour être certain de pouvoir te remettre à ta place et gagner sa
cause, que tu te rends compte jusqu'à quel point tu étais conformiste, et
jusqu'à quel point des détails dérogeant à la règle sont tout ce dont ils ont
besoin pour faire de ta vie un enfer.
Tu paies très cher pour avoir pris même une
petite liberté, et tu n'as même pas besoin d'en prendre, comme dans mon cas il
te suffit de travailler avec une Master Bitch qui trouvera bien le moyen de te détruire
sans que tu n'aies quoi que ce soit à faire. Et ça, je l'ai vécu à chacun des emplois
que j'ai eus. Ce doit donc être fort commun, et ainsi notre système procédurale
réglé au quart de tour est loin d'être parfait, si la première Master Bitch du
bord peut l'utiliser pour se débarrasser de ceux qu'elle n'aime pas, sans
raison, ou à cause d’une divergence d'opinion, mais rien n’à voir avec les
compétences, et qui devra mentir à tour de bras pour arriver à ses fins, car
ses raisons personnelles ne sont pas suffisantes pour justifier l'action
disciplinaire.
Enfin,
j'arrive presque à Waterloo. J'ai l'impression de marcher vers mon exécution.
De 9h30 à 11h je serai dans un bureau avec trois ou quatre personnes qui vont
me questionner, mais si ce n'était que ça, me poser des questions pour
apprendre la vérité. Non, ils ont été entraînés pour être insidieux, te faire
dire ce qu'ils ont besoin pour ta condamnation. Il n'y a pas de juge et de jury
en fait, seule une « prosecution » qui a tous les pouvoirs et qui ne
cherche que les arguments pour justifier ce qu'elle a déjà décidé.
Ils vont tenter de me faire perdre patience,
prouver que je suis incapable de rester calme, que je suis une petite bombe
sous pression qui crie après tout le monde. Mais je serai plus calme qu'une
tortue. Ils vont suggérer des choses qu'ils voudront que j'admette même au plus
petit degré, mais je n'admettrai rien. Et ce sera fort difficile. Il faudra que
mon comportement soit comme si j'étais sous sédatif, et j'espère être capable
de jouer l'endormi, alors qu'à l'intérieur je veux juste sortir une hache et
leur arracher la tête, que le sang gicle partout et qu'ils comprennent dans
quel état ils m'ont mis.
Dear me, Vauxhall, j'arrive presque. Et après
cet enfer, je devrai travailler le reste de la journée comme si rien n'était. Avec
Master Bitch à côté de moi, à prétendre que nous nous aimons, que nous avons
une bonne relation de travail, alors que la christ de tabarnack de vache vient
juste de prendre un long couteau et me l'a rentré très profondément dans le
dos, tout cela avec un large sourire. Je la tuerai, je me retrouverai en
prison, et je ne crois pas que ce milieu carcéral soit si différent de
travailler à Parliament Square.
Ma
réunion est enfin terminée, et l'incident est maintenant clôt. Jusqu'à ce que,
évidemment, je dise une seule parole, ou que j'écrive un seul mot, qui pourrait
être utilisé contre moi pour le second round de cette procédure disciplinaire.
Pourtant, mon humilité, mon incompréhension apparente, mon silence de mort,
tout cela a fait que la réunion s'est terminée sans même un avertissement verbal
ou écrit. Cependant il y a un dossier à ce sujet dans les fichiers de Rachelle,
mais cela n'atteindra pas les Ressources Humaines. Et finalement j'ai reçu une
lettre résumant la réunion.
Tous
ces enfantillages n'en sont pas. Ils représentent leurs convictions, leurs
preuves que j'étais un mécréant. En fait, ils n'avaient pas grand-chose sur
moi, pas assez pour sauter directement à l'étape 1, 2 ou même 3 de leurs
procédures disciplinaires, qui aurait pu garantir mon renvoi immédiat
aujourd'hui même. S’ils avaient réellement voulu ça, je suis certain qu’ils
auraient pu en inventer beaucoup plus.
Et comme ils ont relu les e-mails que j'ai
envoyés, et qui ont causé toutes ces personnes à se lamenter sur mon attitude,
ils se sont rendus compte que, bien que parfois certains mots ici et là
apparemment pourraient rendre inconfortable le répondant, lorsque l'on relit le
tout froidement, lorsque l'on se demande si l'on peut me renvoyer pour ça, on
ne peut que se rendre à l'évidence que les répondants ont réagit hors de
proportion et que leurs plaintes n'étaient pas justifiées.
Apparemment
l'Angleterre est devenue un pays rempli de pleurnichards et de gens qui se
plaignent pour mille et une raisons sans raison valable. Je suis coupable aussi
de me plaindre ainsi, mais j'ai décidé après ma dernière expérience voilà
quelques années que je ne le ferais plus. Aux États-unis ils se plaignent très
rarement, ou alors seulement lorsque ça devient nécessaire. Le problème est que
se plaindre entraîne bien des problèmes et fort souvent des licenciements. J'ai
presque perdu mon emploi aujourd'hui à cause d'une membre de l'organisation qui
s'est plainte parce que je l'avais invitée à parler à une conférence, alors que
j'ai dû lui annoncer qu'elle ne pouvait plus parler. Et bien que j'ai toujours
été poli avec elle, et qu'elle n'avait aucune raison d'agir comme elle l'a fait,
à se plaindre au Président de l'association et tous les e-mails qu'elle a pu
trouver, maintenant les conséquences sont que les procédures disciplinaires ont
commencé, je suis sous haute surveillance, et cet événement ne partira jamais
plus de mon dossier. Dans 20 ans, si je travaillais encore là, on rapporterait
cela comme une preuve que j'ai un trouble de comportement et d'attitude. Alors
que j'ai dû refuser plus de 500 personnes dans ma vie de parler à une
conférence, et tous sans exception ont réagit avec grâce et la compréhension.
Ce que
je n'ai pas aimé non plus, c'est la secrétaire ensuite, de venir me dire dans
la cuisine que j'avais mal agit en partant avant-hier, et que Sherlock voulait
m'appeler pour que je revienne au bureau immédiatement, sinon il me mettait à
la porte. Je ne serais pas revenu, c'est certain. C'est elle qui a dû le
convaincre de s'arrêter dans son élan.
C'est
exactement ce que je disais ce matin à propos du conformisme. Tu peux être le
meilleur de tout ton département, le seul qui travaille et apporte des
résultats, mais en fin de compte, si tu quittes ton emploi pour la journée
parce que tu es malade physiquement et mentalement, au point où tu vas perdre
connaissance, on te met à la rue sous l'impulsion, et de façon tout à fait
légitime, pour ton insubordination. Si cela n'envoie pas un message clair au
peuple que s'ils dérogent une seule seconde à ce conformisme, les conséquences
seront terribles, j'ignore ce qui les convaincra.
Arrivez
10 minutes en retard trois jours en ligne et voyez les conséquences pour
vous-mêmes. Continuez à arriver en retard deux jours de plus après le ou les
avertissements, et voyez combien sérieuse sera alors votre situation. N'allez
pas au travail une journée sans les appeler, ce sera difficile, mais vous
pourrez sans doute vous en sortir avec une bonne excuse. Faites-le une deuxième
fois, et je doute que vous travaillerez encore là peu importe si ça fait 20 ans
que vous y travaillez.
Entendre
que Sherlock allait me mettre à la porte parce que j'ai quitté avant-hier, a
été un argument beaucoup plus convainquant que tout le reste, que je doive
partir le plus vite possible de cette organisation. Il est clair qu'il se fout
de mes compétences et de mon potentiel, ou de tout ce que j'ai fait jusqu'à
maintenant pour l'organisation. Je ne crois pas non plus que cela le
dérangerait si je lui annonçais aujourd'hui que je quittais l'organisation dans
six semaines. Et avec toutes ces procédures disciplinaires qui viennent d'être
entamées, aussi bien dire que je suis foutu. Je dois maintenant sérieusement me
remettre à trouver du travail.
Eh
bien, le reste de la journée s'est déroulé sans problème, en fait Rachelle a
été radieuse et joviale. Elle compensait pour les quelques erreurs qu'elle a
commise dans toute cette histoire. La première étant de m'envoyer un tel
message par e-mail au lieu de me le dire en personne. Évidemment, il n'y avait
aucune raison de ne pas l'envoyer par e-mail, puisque le tout n'avait rien de
bien grave, il ne s'agissait pas d'une réunion disciplinaire officielle, mais
bien juste un avertissement préliminaire qui pourrait conduire aux procédures
officielles. Cependant, en écrivant que ça pourrait conduire aux procédures
disciplinaires, je n'étais pas du tout éclairé sur s'il s'agissait des
préliminaires, de la phase 1, 2 ou 3. J'étais même convaincu qu'il s'agissait
de ma dernière journée, qu'elle allait ressortir un lapin de son chapeau pour justifier
comment ma conduite a été inexcusable et que je méritais la porte. Certes, je
sais bien que dans son cœur c'est bien ce qu'elle désire le plus au monde pour
l'instant, mais heureusement elle doit suivre la procédure, et paraître
crédible devant les autres.
Je me
demande pourquoi elle prétend être gentille le reste de la journée, après
m'avoir ainsi aussi clairement détruit le matin même. Elle a montré ses
intentions de se débarrasser de moi, c'est maintenant officiel, copié à
Sherlock et la plus haute bitch du bureau du personnel. A-t-elle peur que je me
retourne maintenant pour me plaindre contre elle ? Plaidant
incompatibilité de personnalité ? J'y ai pensé.
Néanmoins je vois que ce serait une erreur.
Malgré tout, j'ai tout de même le reste de l'organisation contre moi, et ils
placent tous les pires obstacles sur mon chemin, et somme toute le caractère de
chien de Rachelle m'aide énormément à leur botter le cul. Aussi, malgré tout,
j'aime mieux répondre à elle qu'à Sherlock, qui lui me glace le sang et demande
toujours l'impossible. Aussi, demander de ne plus être sous elle me brûlerait
sans doute. Ma seule solution serait plutôt de demander si je peux travailler à
partir de la maison. J'ignore quand sera le bon moment pour faire une telle demande,
je dois laisser un peu de temps passer, mais pas trop, car en ce moment je n'ai
qu'une idée, trouver autre chose. Si je pouvais travailler à partir de la
maison, je reconsidérerais peut-être cette idée. Je ne serais pas hors de
danger, n'importe qui n'importe quand pourrait encore se plaindre contre moi,
et certes, cela s'ajouterait à mon dossier qui devient de plus en plus épais.
Il serait peut-être plus sage de décrisser pendant qu'il en est encore temps.
Christ
que j't'écoeuré !!! Toute la journée je me répétais dans la tête la seule
phrase que j'aurais voulu leur dire : je vais terminer mon emploi ici dans
six semaines. À un moment donné je le répétais en anglais à voix haute dans la
cuisine, et j'espérais que personne ne m'avait entendu. Ce serait une bonne
chose, mais pas si c'est pour aller travailler pour une autre firme de
conférences où l'enfer recommencera, surtout si c'est pour être en plein centre
de Londres. Pour moi, Central London, Parliament Square, c'est fini. Je ferai
partie de ces 275,000 professionnels qui n'en peuvent plus et qui quittent
Londres à chaque année vers des terrains plus verts et moins stressants.
30 Juin 2005
Nous
sommes le lendemain de cette journée infernale et je suis encore sous le choc.
Je ne sais pas où me mettre, comment agir, si je dois parler ou me fermer la
gueule au travail. Ma relation avec mes collègues en a mangé un coup. Ils me
parlent moins, comme si je n’existais plus. Et alors j’ai tenté de discuté de
toute cette histoire avec George l’Américain, et alors même que je suis encore
assommé par les événements des deux derniers jours, il m’a dit : tu aurais
pu au moins me dire merci, j’ai passé une heure trente hier dans ce bureau pour
toi. Ça m’a non seulement fort surpris, mais en plus ça m’a insulté complètement.
Premièrement il aurait pu refuser de venir à cette réunion. Deuxièmement, ma
carrière était en jeu, des procédures disciplinaires qui signifient peut-être
que le tout finira en justice. Et lui, monsieur, est pas content et a arrêté de
me parler parce que j’ai oublié de lui dire merci.
Je dois avouer qu’il ne me serait jamais venu
à l’esprit de le remercier, pourquoi le devrais-je ? Je ne m’attendrais
pas à ce que l’on me remercie d’avoir participé à une réunion alors qu’il
s’agit d’une obligation d’employé en tant que témoin, surtout lorsque la
carrière de quelqu’un est en jeu.
Ça
c’est typique d’une certaine catégorie de gens qui sont prêts à t’aider à ne
faire pratiquement rien pour toi, et si tu oublies de leur dire merci, ils sont
capables de ruiner des amitiés de longue date et des familles entières. Ça me
donne envie de ne jamais plus remercier qui que ce soit pour le reste de mes
jours. Et de l’indiquer à tout le monde, lorsqu’ils me feront la gueule pour ne
pas leur avoir dit merci, que j’ai décidé de ne plus jamais dire merci depuis
cet incident. Parce que je pense que nous avons poussé trop loin ces règles de
politesse, qu’elles deviennent plus importantes que les grands moments de notre
existence (la mort, le meurtre, les pertes de carrière, le suicide). Et que
tout cela est maintenant inacceptable. D’autant plus que l’on doit bien passer
plus de dix ans de notre vie à dire s’il vous plait et merci, et qu’il suffit
de l’oublier une seule petite fois pour se faire dénigrer et rejeter en
société.
1 juillet 2005
Je
peux voir mon pouls sur mon poignet gauche. Il bat toujours. Ce soir c’est
vendredi. J’ai bu comme un malade. J’ai tenté de me déconnecter complètement de
la réalité, en rêvant à l’idée que je suis un grand auteur reconnu de ce monde.
J’ai relu toutes les critiques positives de mes livres, j’ai surfé mes forums
littéraires qui sont trop populaires pour ma bande passante allouée chaque
mois, j’ai regardé mon site qui est mon accomplissement personnel de toute une
vie. J’ai même visité les sites d’Amazon et de
Je me
demande quel livre sera publié cette été, prêt pour la rentrée, et je pense que
le livre actuel n’en sera pas. Je pense qu’il ne sera jamais publié. Je n’ai
pas envie, dirait-on. J’ai autre chose, écrit des années avant, qui mérite
cette place cette année. Mais je marchais à Parliament Square aujourd’hui, et
je me disais qu’un jour je serai reconnu pour avoir craché sur cet endroit,
comme un endroit pourri où tout survient. Mais ce n’est que de la merde.
4 juillet 2005
Hier,
dimanche, j’aurais tout fait pour ne pas venir au travail ce matin. J’avais mal
au ventre, j’étais en crise, panique absolue. C’est tout ce qu’ils ont réussi à
faire avec leur petit manège la semaine dernière. Ils ont du jour au lendemain
transformé ma vie sans histoire en un cauchemar de premier ordre.
Ils
m’auraient attendu lundi dernier avec une batte de baseball à l’entrée, plutôt
que cet e-mail au ton déchirant et définitif, copié au grand patron et le
bureau du personnel, et ils m’en auraient donné plusieurs coups sur la tête,
que je pense que je me sentirais mieux aujourd’hui et je trouverais cela plus
acceptable. C’est que la torture psychologique ne laisse aucune trace, on ne se
retrouve pas à l’hôpital, c’est impossible de mesurer les effets primaires et
secondaires.
Je
n’étais plus capable de me concentrer sur rien. Hier, j’ai tenté de jouer à
Dungeon Master Java pour me changer les idées, mais c’était peine perdue. Et ce
matin je dois travailler sur le marketing, les publicitaires, les articles dans
les magazines, etc., etc., et devinez quoi ? Je n’ai encore rien fait en
deux heures trente, et je n’ai rien l’intention de faire ce matin. Ma
motivation a été instantanément anéantie. Ma passion pour ces conférences, qui
sans doute est ce qui m’a apporté dans le trouble en premier lieu, ou du moins
a donné de bonnes raisons à Rachelle de m’accuser de ces frivolités, s’est
envolée complètement avec leurs procédures disciplinaires.
Nous
avons maintenant manqué toutes les échéances pour les magazines pour le
marketing de la première conférence. J’aurais dû tout faire en début de semaine
passée, à vitesse rapide, dans la première heure. Une semaine complète ça m’a
pris, après cet e-mail qui a eu l’effet d’une bombe sur mon moral. Il n’y a pas
meilleur exemple d’une entreprise qui se tire dans le pied, ou même dans la
tête. Ce système qui fonctionne sur la peur, ne fonctionne pas du tout. La
productivité de tout le département de conférences, dont je suis responsable, a
été éliminée en moins de temps qu’il leur en a fallu pour eux d’écrire leur
e-mail destructeur. Et ça va prendre du temps avant que le tout reprenne la
vitesse de croisière initiale, en fait il n’y a aucune chance. Je n’ai plus
l’intention de faire quoi que ce soit jusqu’à ce que je trouve un nouvel
emploi.
Entre
temps, je ne crois plus tellement en la destinée, puisque je pense que c’est
maintenant devenu une sorte de religion, une béquille pour accepter les
injustices de ce monde. Mais Rachelle a été la victime d’un accident de voiture
vendredi. Rien de sérieux cependant. Malheureusement. Ça lui a juste permis de
manquer deux jours de travail, heureusement.
6 juillet 2005
Nous
sommes maintenant le 6 juillet, la fête des États-unis, du Canada et du Québec
sont enfin terminées. Hier j'ai manqué mourir d'ennui au travail, je pensais
que la journée ne se terminerait jamais. J'ai vraiment besoin de vacances, je
n'ai pratiquement eu aucune journée de congé depuis Noël. Une journée de plus
est un vrai calvaire, bien qu'aujourd'hui soit ma dernière journée complète
pour cinq jours. Demain c'est la fin de l'année fiscale au travail. Nous allons
tous à Chelsea, Ranelagh Gardens ou quelque chose du genre, là où ils font
toujours le festival de fleurs. Ce n'est pas optionnel, nous devons y aller. Et
là tous les christs de patrons vont nous faire leurs discours annuels et je
devrai lutter pour ne pas ronfler trop fort. Après, cinq heures plus tard, nous
mangerons un barbecue, aussi bien dire que comme la dernière fois il n'y aura
rien pour les végétariens, à part ces saucisses dégueulasses qui m'ont rendu
malade lors du dernier barbecue sur la terrasse, sur le toit du bâtiment. Au
moins la vue sur Parliament Square en valait la peine. Après on boira de
l'alcool pendant un autre cinq heures. Merde, ce que je devrai inventer pour
sacrer mon camp le plus rapidement possible, je ne le sais pas encore.
Hier
la journée a été tellement pénible, l'atmosphère stressante, lourde, je ne
savais plus où me mettre, quoi faire pour sortir du bureau, n'importe quoi. Et
aujourd'hui j'y vais vraiment à reculons. Je me dis, il est fort rare que deux
journées en ligne peuvent être aussi terribles. Mais j'ai déjà également
expérimenté une deuxième journée qui est encore pire que la précédente. Et
quand on sait que la plus petite des nouvelles d'habitude est suffisante pour
me motiver, comme par exemple Master Bitch quittant la compagnie dans quelques
semaines, ou même changement de département immédiatement… je ne demande quand
même pas beaucoup à la destinée. Ou alors Sherlock est maintenant à l'hôpital
pour au moins six mois, ça aussi m'aiderait grandement. Il ne m'a pas dit un
seul mot depuis toute cette histoire de procédure disciplinaire. J'ignore
comment interpréter ce silence. Mais je dois avouer que, même avant, il ne me
parlait pas beaucoup. Je tente de me souvenir quand était la dernière fois.
Nous travaillons à moins de trois mètres l'un de l'autre, même si une vitre
nous sépare la plupart du temps. Encore, il sort de son bureau à tous les
quarts d'heure, et trouve le moyen de parler aux autres.
Ce
silence est devenu insoutenable. Est-ce qu'il pratique une sorte de psychologie
de bas niveau ? C'est-à-dire, me démontrer par ce silence que je ne suis
pas dans ses grâces en ce moment, parce que j'ai un problème identifié de
comportement et d'attitude négative ? Est-ce de l'embarras, de m'avoir
fait passer au travers cette stupide procédure, où pendant un instant j'ai cru
qu'il s'agissait de la fin de mon emploi, « gross misconduct »,
instantanément jeté sur le trottoir ? Est-ce juste un manque de temps et
d'intérêt ? Je l'ignore.
Je
savais que ce matin il y aurait un autre message infernal dans ma boîte de
réception. Ils n'arrêteront pas avant d'avoir tout anéanti, détruit toute ma
crédibilité. Au point où je me demande maintenant si je vais les mentionner sur
mon curriculum vitae. En fait, c'est assez extraordinaire. Je tente de produire
une conférence, de faire le marketing, les brochures, les annonces, etc., et
partout dans l'organisation personne n'a voulu m'aider. Cependant, à la
première opportunité ils ont tous explosé pour m'empêcher de faire quoi que ce
soit. Tous les délais qui ont été encourus sont leur propre faute, pas la
mienne. Cependant, ce matin, j'ai reçu un nouveau message qui m'accuse
d'incompétence parce que le marketing n'est pas encore parti et qu'il n'y a que
deux délégués d'enregistrés. Ils parlent de tout canceller, et sans doute me
mettre à la porte dans le même élan. Ah, j'en aurai du plaisir la semaine
prochaine lors de ma réunion de fin d'année fiscale, où l'on va discuter mes
compétences, mon comportement et ma possible augmentation de salaire. Je dois,
je pense, avoir rendu ma démission avant cette réunion. Sinon six semaines plus
tard, et nous serons en septembre, et je devrai rester pour la conférence en
tant que telle. Comme ce sera le flop de l'année, j'ai bien l'intention de ne
plus y être. C'est pas ma faute, mais bien sûr personne ne voudra accepter ça
ou le comprendre, pour eux c'est tout ma faute. Ils ont bien joué leur jeu, et
je comprends maintenant pourquoi Sherlock ne me parle plus. Il voit le mot
échec à tous les niveaux écrit sur mon front. Il aurait une seule envie, me
cracher dessus alors qu'il marcherait vers son bureau, et me dire :
déguerpis, sale raté !
Il
fallait s'y attendre, et je suppose que ça aurait été pire si j'avais accepté
l'autre emploi dans les conférences que l'on m'a offert en même temps voilà
neuf mois. Ces cons s'imaginent qu'à nous seuls nous pouvons produire dix
conférences par année, alors qu'il faudrait une équipe complète d'au moins dix
personnes, et une machine si bien huilée avec tous les autres départements. que
le tout fonctionne comme sur une chaîne de montage. Seul et sans le support
d'aucun des autres départements, c'était dû pour la faillite absolue. Je dois
maintenant rendre ma démission, mais mon copain Stephen ne sera pas content du
tout de tout ça. À six semaines d'avis, je ne puis pas non plus attendre de
trouver un autre emploi avant de laisser celui-ci, quel imbécile serait capable
d'attendre six semaines avant que tu ne puisses commencer ? Quel
cauchemar !
Et
certes ça a continué durant l'après-midi. Échéances après échéances sont
manquées à cause de tous ces tabarnacks de départements incapables de faire
quoi que ce soit pour moi. Et eux n'ont aucune responsabilité pour le fait que
le bateau soit en train de couler. Quand j'ai quitté ce soir, Rachelle me
regardait d'un air ahuris, elle semblait en avoir long sur le cœur, à me dire,
à m'avouer, de ce que Sherlock a dû lui dire à mon propos. Je ne pense pas un
instant qu'il soit satisfait de ma réponse en rapport au fait qu'aucun délégué
ne soit encore signé sur cette conférence. Il est définitivement parti en
croisades contre moi et cherche le moyen de se débarrasser de moi, et c'est ça
que je pensais lire ce soir sur le visage découragé de Rachelle. Et maintenant,
juste pour couronner cette journée d'enfer, le train est coincé à Waterloo sans
air climatisé, pour la deuxième fois en deux semaines. Au moins cette fois-ci
le chauffage ne fonctionne pas à pleine capacité comme la dernière fois, cela
justement pendant une canicule. Le tout Londres s'organise pour te faire
dépasser cette limite qui te rend complètement fou.
12 juillet 2005
Moi
qui s’inquiétais avec l'air climatisé détraqué des trains, quatre bombes ont
explosé voilà quelques jours dans les métros et un autobus à deux étages de
Londres. J'ignore à quel moment vous lirez ce livre, mais si quelques année
sont déjà passées depuis sa publication, peut-être même vous ne vous
souviendrai pas d'avoir entendu parler de cette attaque terroriste à Londres.
Entre 50 à 70 personnes sont mortes, au moins
700 blessées, et tout cela à quelques stations de Westminster. Le tout à
explosé au moment même que je sortais de la station à Parliament Square. Je
suis le dernier qui soit sorti de l'endroit, les lumières et l'alerte battaient
leur plein. Nous avons eu le reste de la journée de congé et le lendemain
également. Dans mon cas j'avais déjà tout ça de congé pour un rendez-vous à
l'hôpital le lendemain et notre fête de fin d'année fiscale l'après-midi même,
qui a été annulée dans les circonstances.
Les
bombes ne m'ont pas affectées, ni les morts. Je suis devenu, ou alors j'ai
toujours été, un être qui demeure insensible à ces choses. Sans doute parce que
les médias ont dédramatisé tout ça et que cela ne m'affecte plus. Ou alors, le
mensonge constant et l'amplification infinie des événements que les
journalistes construisent sans cesse ne peuvent plus que me faire douter des
vrais événements. Maintenant, c'est simple, si je ne suis pas juste à côté, si
la bombe ne me saute pas au visage, je ne puis me conceptualiser les événements,
et alors je ne puis non plus avoir de réaction émotionnelle.
Quant à savoir si en effet les journalistes
déforment la réalité pour en peindre un tableau dix fois plus noir que la
réalité, j'ai expérimenté le tout de première main. Bien que je tente de me
convaincre que, en tant qu’écrivain québécois vivant hors du Québec, personne
ne me connaît, je pense que l’on me connaît bien plus que je ne le pensais. Une
ribambelle de journalistes m’a contacté, les plus importants, à croire que
j’étais le seul Québécois connu qui vivait à Londres, alors que les bombes ont
sauté.
J'ai été interviewé par téléphone par une
journaliste au Québec. J'ai parlé pendant vingt minutes, où jamais on ne m'a
dit que l'on m'enregistrait. Ensuite, ils ont édité tout mon discours en remplaçant
des mots ici et là, pour en reconstruire des phrases que je n'ai jamais dites.
Ainsi, avec un discours qui disait que je n'avais rien vu, rien entendu, et que
j'aurais facilement pu ne pas me rendre compte des événements si un collègue au
travail n'avait pas averti tout le monde, et qu'il y avait certains reportages
qui mentionnaient des bombes et des morts sur le trottoir, le reportage est
devenu une panique absolue, où pour me rendre au travail j'ai dû confronter les
alertes à la bombe, pour retourner à la maison j'ai dû marcher pendant quatre
heures (je n'ai pas marché du tout), sur mon retour j'ai vu les bombes, les
morts gisaient dans les rues, une femme au visage fondu, c'était
effrayant ! D'autant plus que mon patron lui-même était dans l'autobus qui
a explosé et qu'il est presque mort à l'hôpital (en fait notre président
marchait à proximité de l'endroit et serait en effet à l'hôpital). Ensuite ils
sont allés voir ma mère, et ils l'ont filmée alors qu'elle pleurait, affirmant
avoir imaginé le pire. Ainsi, toute l'entrevue a été un tissu de mensonges.
Rien de ce que la voix narratrice disait, entre mes paroles, n’était vrai. Et
ce n'est pas parce qu'ils avaient mal entendu. Au moins l'entrevue télé que
j'ai donnée à Radio-Canada, et qui a été passée en direct d'un bout à l'autre
du Canada, n'a pas été éditée. Cependant je n'ai pu retrouver une copie de
cette entrevue. La deuxième entrevue télé donnée qui n'était pas en direct a
également passé partout au Canada, et cette fois c'était bien. Pas d'éditage.
C'est peut-être plus difficile lorsqu'il y a des images, on ne peut pas aussi
impunément reconstruire une histoire différente, les images doivent suivre les
paroles. Cependant ils ont choisi les segments les plus effrayants et ont
laissé tomber tout le reste. Alors encore une fois c'était biaisé.
15 juillet 2005
Je ne
croyais pas pouvoir survivre jusqu'à la mi-juillet au travail, mais voilà,
aujourd'hui est enfin ma dernière journée, j'ai ensuite onze jours de congé.
Enfin, pas tout à fait, je dois travailler à partir de la maison, au moins une
journée ou deux pendant mes vacances, parce c'est certain que la conférence va
couler à pique, aussi bien tenter d'amortir le choc. Ça me laisse onze jours
pour trouver un nouvel emploi et quitter non seulement Parliament Square, mais
le centre de Londres, pour toujours.
Étrangement,
lorsque les bombes ont sauté jeudi passé, malgré tout le temps perdu juste à
discuter ces événements avec mes collègues, malgré tout j'ai réussi à faire pas
mal de travail dans les deux heures où j'ai en effet travaillé. En plus, le
temps m'a semblé aller moins rapidement que d'habitude. Il y avait un article
sur le site de Radio-Canada, dont je faisais partie, avec le titre : « Londres
va au ralenti ». Et c'est très vrai, non seulement tout le monde était
comme assommé et n'allait nulle part très rapidement, mais en plus le temps
semble avoir changé de taux et j'ai clairement pu constater que je pouvais
accomplir davantage que d'habitude en rapport à un temps donné.
Aujourd'hui
j'ai ressenti la même chose. J'ai pressenti que le taux du temps allait plus
lentement que d'habitude, et même si j'étais cinq minutes en retard à entrer
dans la salle de bain, j'en suis ressorti dix minutes plus tôt que d'habitude.
Je suis également arrivé à la station quatre minutes avant mon train, pourtant
je suis parti à la même heure que d'habitude, et d'habitude j'attrape mon train
de justesse.
Pendant
un instant je me disais, ça y est, il y aura d'autres bombes aujourd'hui, ou
quelque chose de plus grave encore. Mais je crois que c'est plutôt relié à cet
orage électrique gigantesque qui semble vouloir nous tomber sur la tête ce
matin. L'atmosphère est électrique, lourde, grave. Ça a toujours un effet
foudroyant sur la population en générale, les gens ont beaucoup de misère à se
calmer ou à ne pas être surexcités. Et maintenant je me souviens que jeudi
passé aussi était une journée similaire, l'atmosphère était lourde, il a plut
une pluie torrentielle qui m'a trempé complètement. Cependant ce n'était pas un
orage électrique, bien que je me souvienne d'une certaine électricité dans
l'air.
Est-ce
juste une coïncidence, si des moments très graves de l'humanité surviennent
lorsque l'atmosphère est prête à éclater sur le dessus de nos têtes ? Et
que ces jours-là le temps semble aller plus lentement, nous laissant le temps
d'accomplir davantage ? Certes, décider de se suicider avec une
bombe dans le métro ou l'autobus londonien, est une chose préméditée. Ils
n'auraient pas pu prévoir que ce jour-là l'atmosphère allait être électrisante,
ça ne les a pas influencés. Peut-être qu'à un niveau plus ésotérique ils
pressentaient que cette journée-là allait être une journée différente et que
c'était le temps d'agir. Ce sont peut-être de ces journées chargées d'énergie
que les médiums disent pouvoir accéder plus rapidement que les autres jours
sans histoire.
Si
quelque chose de grave survient encore à Londres aujourd'hui, sur une base
individuelle ou collective, je me mettrai à croire que je puis maintenant
deviner, pressentir un malheur grave. Et la prochaine fois je resterai à la
maison lorsque je sentirai soudainement le temps aller plus lentement que la
normale.
15 Août 2005
Ça
fait exactement un mois que je n'ai rien écrit. Rien ne se passe dans ma vie,
c'est d'une platitude extraordinaire. Je travaille encore à Westminster, pas
encore trouvé un autre emploi pour leur dire que je quitte, et pas encore
trouvé le temps de chercher ce nouvel emploi. Ma première conférence a les 40
délégués requis, un mois avant l'événement, pour ne pas être cancellée (Dieu
merci !) et ma deuxième conférence s'annonce un grand succès, avec plus de
60 délégués déjà, alors même que nous n'avons pas commencé le marketing et que
la conférence est dans plusieurs mois. Ainsi maintenant je puis marcher la tête
haute, Sherlock a recommencé à me parler et à me demander des rapports, et
Rachelle ne semble plus être en train de comploter pour m'emporter une fois de
plus dans le bureau du personnel pour m'offrir cette procédure disciplinaire.
Tout est bien qui finit bien.
Maintenant c'est le temps de crisser mon camp.
D'autant plus que je ne quitte pas alors que le bateau coule, ça fait du bien
pour le moral. Mais mon Dieu, ça a été un enfer. Et pendant presque une année,
je croyais vraiment qu'ils avaient mal choisi en m'engageant et que j'aillais
leur perdre des milliers de livres, sans compter la réputation de mon directeur
qui a décidé de partir ce département de conférences malgré les crises de tous
les autres départements. Comme on respire mieux soudainement. Miraculeusement
les délégués se sont matérialisés, l'argent commence à entrer, à la fin de la
semaine j'aurai fait autant d'argent que nous en avons dépensé, et ce n'est que
le début. Non seulement ça, mais c'est tout à fait la naissance d'un nouveau
département, avec toutes ses procédures mises en place et son manuel de
producteur. Et tous les rapports financiers imaginables pour un tel département.
Alors que je me lamentais et que tout allait mal, sans le savoir, le tout
prenait forme, et ce nouveau département sera bientôt rempli de petits
producteurs de conférences qui feront du 500 % de profit. Triste que je
n'y serai plus pour assister à ma création. Mais cette première année a été un
tel calvaire que je ne puis imaginer que les flammes de l'enfer soit pire. Ça
m'a tellement écoeuré que, maintenant que je pourrais avoir une vie plus
facile, je n'ai qu'une envie, partir. Et comme je disais, au moins, je pars la
tête haute. Je n'aurai pas besoin de faire sauter cette année de travail de mon
curriculum vitae de peur que mes futurs employeurs décident de les contacter et
apprennent mes échecs lamentables et mon
incompétence. Et pourtant, la frontière entre le succès et le désastre
est tellement mince, ça effraie. Qu'aucun délégué n'ait décidé de s'inscrire à
mes conférences est une réalité facile à imaginer. Le succès ou l'échec, c'est
très relatif. Et maintenant je puis être fier de moi, alors que ça aurait
facilement pu être la dépression absolue. Et en fait je n'avais aucun pouvoir
sur le succès ou l'échec de ces événements, c'est pratiquement de la chance si
le marketing a fonctionné, et un miracle que l'autre conférence soit un succès
sans marketing. Ça tient du miracle.
J'en
suis maintenant à la fin de la journée. Ça a été une journée exténuante.
Pourtant, je n'ai rien fait de ce que je devais faire, de ce qui était urgent.
Il me faudrait vraiment être capable de dire aux autres : allez chier,
j'ai du travail à faire. Sans compter que j'ai passé mon dimanche complet à
corriger tous les PDFs du marketing, et que toute la semaine dernière j'ai
travaillé une demi-heure de plus et même une heure de plus vendredi soir en
heures supplémentaire. Et tout ce que Sherlock avait à dire aujourd'hui, via
son assistante, c'était qu'il y avait quelque chose qui clochait, parce que mes
rendez-vous chez le médecin sont toujours un lundi ou un vendredi. Est-ce que
c'est de ma faute ? Le con m'accuse de mentir. Ce soir il va falloir que
je lui ressorte toutes les preuves de ces rendez-vous et tous les numéros de
téléphone de mes médecins. Ça m'a fait chier. J'allais faire du supplémentaire
au bureau aujourd'hui, et j'allais travailler sur mes conférences ce soir à la
maison, mais j'ai décidé que non. Qu'est-ce que ça donne de se défoncer pour
des cons qui ne le voient pas et que pensent que tu ne fous rien ? Aussi
bien ne rien foutre dans ces cas. Esti que la vie est chiante.
17 Août 2005
Extraordinaire
comment être très fatigué change toute notre perspective sur notre existence.
La patience prend le bord, la tolérance aussi. Je ne puis plus supporter
personne, sur la plateforme, dans le train, sur les escaliers roulants, au travail.
Hier j'ai demandé la permission de partir une heure à l'avance, on aurait dit
que je venais de leur demander un six mois de congé sabbatique payé de douze
mois. Rachelle n'a pas jugé être capable de prendre cette décision, elle est
allée voir le grand directeur, qui peut-être est allé consulter le PDG à ce
propos, je l'ignore. En tout cas, elle est revenue avec un message effrayant
qui a zappé encore une fois toute ma motivation à travailler là, et peut-être
même aussi mon envie de vivre. Car je ne suis pas heureux de vivre dans ces
conditions, il me faut vraiment trouver une porte de sortie, et je me demande
si un nouvel emploi va régler le problème, puisque jamais un emploi n'a su
régler mon problème.
Bref,
son message d'un ton autoritaire et rude, disait que peu importe les heures
supplémentaires que je faisais, cela ne comptait pas, et que c'était un choix
personnel. Elle dit que ce n'est pas requis. Mon cul, sans supplémentaire, ces
conférences auraient toutes coulées à pic. Ensuite elle disait que de demeurer
au travail jusqu'à 5h30 ou 6h le soir était parfois requis et que c'était dans
mon contrat. Et finalement que tous mes rendez-vous chez le docteur avaient
considérablement affecté le nombre d'heures que j'ai fait. Venant d'elle, ça
fait presque ridicule, elle a au moins deux rendez-vous chez le docteur par
semaine. Alors ça vient de Sherlock, c'est certain. Elle était assez
embarrassée après avoir envoyé ce message, elle croyait sans doute que ça
allait me mettre de mauvaise humeur, elle a tenté de faire des blagues, et j'ai
joué le jeu pour lui montrer que son message ne m'avait pas affecté.
Ça
fait un mois que je tente d'envoyer ce message à la ministre à propos de son
discours à ma conférence, et depuis tout ce temps je n'ai pas trouvé le temps.
Ça devient ridicule. Chaque jour il survient un paquet de choses qui
m'empêchent de faire quoi que ce soit. Et je ne sais plus quoi faire pour m'en
sortir. Je ne m'attends pas à une journée extraordinaire aujourd'hui, mais je
m'emmerde tellement que n'importe quelle bonne nouvelle me donnerait un peu
plus la foi en cette existence.
8 Septembre 2005
Si
aujourd'hui je rendais ma démission, je terminerais dans six semaines,
exactement un an après avoir commencé. Ma première conférence est dans quelques
jours, c'est un flop, à moins d'un miracle de dernière minute. Au moins ma
deuxième conférence est déjà un succès et le sera encore plus en novembre
lorsqu'elle prendra place. Ma troisième conférence, je dois l'écrire en un
temps record, et je n'ai pas le temps avant la fin du mois de Septembre. Ce
serait la dernière conférence que je ferais avant de partir, ma dernière
mission.
J'ai
désiré ardemment que quelque chose se produise, une offre exceptionnelle, peu
importe, dans les limites du possible. Quelque chose qui ressemblerait à gagner
à la loterie, et hier ça s'est peut-être produit. Une offre d'emploi de
producteur de conférences, encore, mais pas n'importe où, à Los Angeles. Mon
Dieu que ça remet tout en perspective.
Ce
serait trop parfait pour une destinée. M'emmerder pendant un an à Westminster,
juste le temps d'écrire deux livres, qui sont à mon avis une très belle
addition à mon œuvre littéraire. Et soudainement tous mes anniversaires
viennent en même temps, comme dit l'expression anglaise. Un emploi qui paie une
fortune à Los Angeles. En plein centre du seul endroit sur cette planète où je
me disais qu'après Londres serait acceptable. Inutile de dire que je me
défoncerais dans cette emploi, je travaillerais nuit et jour, car de toute ma
carrière soudainement dépendrait que je puisse demeurer à Los Angeles le plus
longtemps possible. Le temps qu'il me faudrait pour rencontrer des gens et
travailler dans l'industrie du film. Just watch me go ! Je serais au
sommet du 7ième Art en moins de temps qu'il n'en faut pour mettre
sur pied un département de conférences. Soudainement toutes les portes me sont
ouvertes, il n'y a plus de limites à ce que je puis accomplir et où je puis me
rendre.
Et
sans cet emploi au Parlement Square, sans avoir travaillé un an à me morfondre
à Westminster, je n'aurais aucune chance d'avoir cet emploi à Los Angeles. Mais
maintenant je suis le candidat parfait. Personne d'autre sur la planète n'a
autant d'expérience que moi, j'ai travaillé pour toutes les plus grandes
compagnies de conférences du monde, et ce, dans toutes les positions possibles,
jusqu'à la direction. Dix ans, trouvez-moi quelqu'un avec ce cheminement. S'ils
passent à côté de moi, alors qu'ils cherchent à Londres, ils sont fous. Maintenant
j'espère qu'ils sont prêts à me payer le déménagement pour moi et mon copain,
et m'aideront à trouver un logement. J'espère qu'il ne s'agit pas d'une
compagnie de broche à foin, comme celles pour lesquelles j'ai travaillées dans
le passé, peu importe si elles sont les plus grandes compagnies du monde dans
ce domaine. L'expertise se paie, et j'ai cette expertise. Pour une fois, se
serait merveilleux.
Est-ce
que ce livre tire à sa fin ? Serait-ce ici les dernières lignes ? Je
l'espère ardemment. J'avais arrêté de croire en la destinée, croyant que je
pouvais moi-même influencer mon future. Je pense que je construits mon propre
avenir, j'influence ma destinée, mais elle existe encore, elle suit une
certaine logique que l'on ne puis comprendre qu'après les événements.
Je
n'en suis encore qu'au début de ma vie, j'ai tout à construire, et Dieu sait
que je suis prêt à bâtir la plus grande des destinées. Vous n'avez encore rien
vu, rien entendu, rien lu. Je vais exploser sur les grands écrans du monde
entier, je serai le meilleur auteur de science fiction que cette planète ait
portée et qui ait travaillé à Hollywood. Mon cerveau est en branle bat le
combat, mon imagination est en fusion, ça va exploser !
Adieu Londres,
adieu Westminster… sans rancune. Ô Dieu, la fin d'un cauchemar, et le début
d'un bon rêve. C’est confirmé, je pars pour Los Angeles.
Fin