Un Québécois à Paris (UNDERGROUND) Roland Michel
Tremblay Éditions Textes Gais Voici un Extrait d'un Québécois à Paris.
J'ai dû me résoudre à enlever la version complète pour ne pas nuire aux ventes
par respect pour mon éditeur, même si j'ai gardé le droit de le garder en
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de Roland Michel Tremblay Les quatre livres publiés aux Éditions iDLivre sont distribués dans toute
la francophonie : France, Québec, Belgique, Suisse, Afrique et
Moyen-Orient. Il suffit de commander en librairie si les livres ne sont pas
sur les rayons. Un Québécois à Paris est pour le moment en vente en France dans certaines librairies de
Paris : FNAC, Virgin Megastore, Les Mots à la Bouche, Blue Book. Il sera
bientôt offert à la grandeur de la France et du Québec. C’est probablement plus rapide de les acheter en
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en a plusieurs copies. Présentation de l’auteur Roland Michel Tremblay écrit depuis qu’il a dix ans, sérieusement depuis
ses 17 ans. Il a écrit plus de 16 livres de tous les genres dont 5 sont
publiés à Paris. Il est également scénariste, recherchiste et consultant
scientifique pour la télévision et le cinéma. Il a une maîtrise de
littérature française de l’Université de Londres, Birkbeck College. Il est né
à Québec en 1972 et habite maintenant Londres. Il a joué un rôle important au niveau du développement de la série
télévisée Black Hole High qui passe en ce moment dans
le monde entier et plus spécifiquement sur le réseau NBC aux Etats-Unis et au
Canada. Il a également travaillé sur un film de science-fiction à gros budget
d’Hollywood nommé Prometheus Rising qui devrait sortir d’ici
deux ans. Enfin, il a travaillé en tant que Development Producer sur un
important documentaire à propos d’Albert Einstein pour la PBS aux Etats-Unis
avec le directeur Kevin MacDonald (gagnant d’un Oscar). Roland Michel a écrit plusieurs scénarios et synopsis de films et de séries
télévisées, et plusieurs compagnies de productions se sont déjà montrées
intéressées. Pour plus d’informations lisez son CV sur son site anglophone et visitez ses
deux sites francophones : http://www.lemarginal.com/pointdevue.html Il a parlé récemment à la conférence Crossing Borders, Literary Symposium à
l’Université de Tulsa à Oklahoma à propos de ses écrits et de la littérature
québécoise. Il a également donné une entrevue importante à propos de ses
livres et Londres pour une série télévisée nommée Rose/Pink. Cela passera au
Québec en janvier 2004 sur le Canal Évasion et possiblement à Musique
Plus/Much Music et Télévision Quatre Saisons. D’autres articles et entrevues dont une à Radio-Canada peuvent être lus et entendus sur
son site dans la section Articles et Entrevues dans les Médias. Dossier de presse en trois formats : http://www.lemarginal.com/tremblayrmpresse.htm http://www.lemarginal.com/tremblayrmpresse.doc
http://www.lemarginal.com/tremblayrmpresse.pdf
Du même auteur publié
chez un autre éditeur : L'Anarchiste (Poésie), Denfert-Rochereau
(Roman), L'Attente de Paris (Roman), L'Éclectisme (Essai) Pour plus
d'informations veuillez visiter le site de l'auteur ou le contacter: www.lemarginal.com et rm@themarginal.com 44E The Grove, Isleworth, Middlesex,
Londres, TW7 4JF, Angleterre Un Québécois à
Paris © 2003, Roland Michel Tremblay ISBN:
2-914679-10-6 Éditions Textes
Gais, Paris pedro@textesgais.com http://www.textesgais.com Un Québécois à Paris EXTRAIT (les 50
premières pages de 251) La mécanique des événements
ne prend même plus la peine de cacher son jeu, ses coïncidences nous frappent
et l'on se demande encore s'il peut s'agir de coïncidences. Ainsi je risque
mon avenir pour la France et j'y rencontre Edward Thorp The Third. Sébastien
en est jaloux, on dirait l'intuition. Bref, j'en reparle ailleurs, mon corps
à Val-Jalbert, mon cœur à Paris, mes deux amours se payeront les bons temps
without me, speaking English pour la cause. Comment aurais-je pu prévoir
qu'un an plus tard The Third viendrait chez Sébastien ? Dans le temps il
ignorait que nous étions gays. Pour ma plus grande perte, lors de son
deuxième voyage à Ottawa, il a dormi dans ma chambre. Les humains n'ont
aucune volonté, placez-les dans une situation telle qu'un Edward presque nu à
côté, ils ne pourront résister. Tout le monde retire certains avantages dans
cette relation. Edward est prêt à faire n'importe quoi pour se rapprocher de
la culture francophone, il adore Montréal, grâce à nous il a découvert un
nouvel univers. Moi j'ai retrouvé mes nostalgies de Paris et Sébastien aura
besoin d'un endroit où demeurer à New York lorsqu'il devra essayer de faire
déboucher sa musique. Ed est étrange. Il ne me
semblait pas si expérimenté, sexuellement surtout, et plutôt maigrichon. Mais
son parfum a eu raison de mes passions, je lui ai sauté dans les bras, ô
misère, mais quel bonheur. Que je regretterais de ne pas l'avoir fait et
quelle soudaine sensation de libération. Je ne peux penser à autre chose, il
m'est nécessaire d'en parler, juste pour observer tous les éléments en cause.
J'ai compris que ma possessivité est injustifiée. Si Sébastien veut coucher
avec quelqu'un d'autre, ce sera moins dur maintenant. J'ai également appris
que Sébastien est vraiment beau, davantage qu'Ed et les autres. De surcroît,
c'était pareil de coucher avec Ed qu'avec Sébas, ils se ressemblent sur
plusieurs points, ils ont la même texture de peau. Cela surprend parce que le
premier est un Américain tandis que l'autre est un Français (qui a été à
l'école anglaise au Québec cependant, allant jusqu'à changer de religion du
catholicisme au protestantisme pour ce faire). Bref, j'ai été surpris de
savoir qu'Ed n'est pas innocent, il a déjà couché avec cinq gars, dont moi,
et je suppose que le chiffre est supérieur. Il est fort, ses bras assez
musclés, ses épaules larges. Lorsqu'il s'est approché trop près, j'ai changé
de lit et l'incroyable s'est produit. Je le sentais partout, plaçais mon
visage dans son cou. Lorsque j'approchais de son oreille, il atteignait un
degré de jouissance que je n'avais jamais vu. Il gémissait comme une femme
fragile qui s'abandonne à l'homme, le tout agrémenté d'une sensation de
remords qui paralysait. Est-ce cette impression de faire le mal qui faisait
mes membres trembler, me rendait malade, ou est-ce la beauté d'Ed et un
sentiment quelconque pour lui ? J'y pense encore, je me demande ce que
sera ma prochaine rencontre avec Sébastien. Ed est la vitalité tandis que
Sébas est l'ours, selon les dires mêmes d'Ed. Moi, ce n'est pas nouveau, il
m'a qualifié d'écureuil, comme David jadis. L'ours me semble la comparaison
parfaite pour parler de Sébastien. Peu importe l'heure il est fatigué, il ne
pense qu'à dormir pour être en forme le lendemain. C'est son obsession,
dormir et la fatigue. Le matin c'est encore pire, il est incapable de sortir
du lit. Je ne peux le toucher, il a toujours l'impression de manquer de
sommeil. Le problème c'est que je suis en air le matin, comme Edward, alors
que Sébastien ferait plutôt l'amour le soir. Est-ce que je veux vraiment finir
mes jours avec un ours ? Si l'on couche avec un autre, aime-t-on encore
son copain ? Eh bien, je voulais expérimenter quelqu'un d'autre depuis
longtemps, j'ai attendu pour la bonne personne, je peux maintenant faire des
comparaisons. Cela va-t-il changer quelque chose au niveau de mes sentiments
pour Sébastien ? Je me demande si je devrais partir pour les Etats-Unis
retrouver Ed. Veut-il seulement une relation stable dans la fidélité ?
Je ne veux pas essayer quelqu'un d'autre. C'est de valeur, chaque fois que
l'on couche ensemble Sébastien commence à se masturber et dix minutes plus
tard c'est terminé. Edward aime le faire en quatre heures ! Dieu !
Il éjacule habituellement cinq fois ! Il m'est arrivé une seule fois de
venir quatre fois avec Sébastien. Trois fois assez souvent en début de
relation. Et puis il existe une autre barrière, Edward a une blonde. Mais pas
parce qu'il l'aime, pour le sexe ! Il me dit cependant qu'il n'éjacule
jamais plus d'une fois avec les filles. Lorsque l'on est entré dans un magasin
de films pornos pour gays à Montréal, il avait déjà vu plus de la moitié des
films, connaissait les titres et noms d'acteurs. Qu'est-ce que cela
signifie ? J'ai toujours cru qu'un film porno en valait un autre, aucune
différence, de faux noms sans popularité au générique. Pauvre fille,
Catherine qu'elle s'appelle, comme elle va souffrir un jour. Comme il se joue
d'elle, aucun remords pour la tromper à droite et à gauche, ce qui devrait me
faire réfléchir sur l'histoire de ma propre infidélité. Sort-il avec elle
pour l'image ? Pourquoi cela est-il
arrivé ? J'ai cette impression que Sébastien va le savoir et que quelque
chose va changer radicalement dans ma vie. J'admire Ed, il est plus fort que
je ne le croyais, il est un peu adipeux, mais beau. J'en garderai un souvenir
inoubliable, c'est la réconciliation du passé et du présent. Reste maintenant
le futur. Mais je suis prêt à l'affronter, dussé-je souffrir. J'espère juste
que Sébastien n'en souffrira pas, c'est là mon unique préoccupation. Sans trop m'en rendre
compte, c'est encore au mois de mars que le besoin d'écrire se fait sentir.
Cette fois-ci Ed peut en être la raison, mais certainement pas Sébastien. Sa
crise à lui devrait venir avec le changement de température plus tard durant
le mois. Il se mettra à paniquer jusqu'à ce qu'il s'achète des billets pour
aller quelque part. Je pense encore à Ed, c'est plutôt stupide, je n'ai pas
aimé extraordinairement faire l'amour avec. C'est son absence tout court qui
m'ennuie. Mais j'ai encore cette envie de le prendre dans mes bras, sentir
son parfum, l'embrasser. Sébastien me dit souvent
que j'ai autour de moi, juste par les gens que je connais, matière à écrire
un roman complet. C'est vrai, mais ces gens que je décrirais, me
parleraient-ils ensuite ? Comment pourrais-je écrire sur mon oncle
Jean-Marc à propos qu'il est l'homme de la maison et que sa maison, avec les
quatre enfants, est une porcherie permanente ? Sans dire en plus qu'il
fait partie, comme Louis et Charles, d'une sorte de religion bizarre. J'ai eu
de bonnes conversations avec mon oncle Louis et peut-être même qu'avec lui
j'ai inconsciemment acquis plusieurs connaissances. Il pense que d'être gay
est mal et que je devrais changer tout de suite. Il croit que ma vie est une
perte de temps et d'énergie, que je vais souffrir après la vie. Il s'agit
donc de dire que je suis immoral et que je brûle la chandelle par les deux
bouts. Eh bien, je me suis masturbé une fois avec Sylvain, j'ai eu un copain
Sébastien, des préliminaires avec Ménard arrêtés par les remords, puis couché
avec Edward malgré les remords. Les remords disparaissent, mais pas les
regrets de ne pas avoir été plus loin. Je suppose que la vie de Louis était
déjà plus chargée lorsqu'il avait 21 ans. Juste à considérer ma sœur Dominique,
elle a bien couché au minimum avec une trentaine de gars, il est vrai qu'elle
n'en a jamais trompé un seul. Mais mon père trompe sa femme depuis le début
des temps, et maintenant qu'ils sont séparés, il trompe ses maîtresses. La
société est un gros melting pot, la non-vertu se retrouve un peu partout. Il
serait vain de mal juger une catégorie sous prétexte qu'elle ne fait pas
partie de la majorité. Mais ses raisons, à Louis, vont plus loin. Cela
remonte à Sodome et Gomorrhe. Moi, de ce que j'en ai lu, il s'agit surtout de
parler d'une société où la promiscuité est devenue la loi, c'est-à-dire que
l'on couche avec tout le monde, sans fin. Ce qui n'est pas mon cas, ni celui
de mes amis. Mais je ne cacherai pas que le sexe est important pour moi,
comme pour tout le monde d'ailleurs. Ceux qui le refoulent aux yeux des
autres en arrivent certainement à la jalousie, à crier à la non-vertu ou au
jugement, seul moyen pour croire que leur sacrifice n'est pas inutile. Moi
j'ai pour idée que rien n'est mal jusqu'à ce que quelqu'un souffre
physiquement ou moralement. Alors coucher avec Ed est mal, car Sébastien
pourrait en souffrir. Et connaissant la mécanique des événements, il le saura
un jour, alors j'en verrai les conséquences. Murielle a laissé son
copain voilà un an et demi parce qu'elle ne voulait pas d'une vie de couple
dont l'avenir est déjà tout prévu. Elle a couché avec deux gars avant d'en
trouver un troisième et de l'emmener chez elle. Marko vient de la Bulgarie et
a les cheveux longs, les parents de Murielle en ont perdu l'appétit. Une
semaine plus tard Murielle avait son billet pour le downtown Ottawa. Elle
déménagea un ou deux mois après, pour un avenir moins que certain, avec
Marko. La vérité à propos de ce nouveau venu a pris du temps avant de faire
surface. Et les problèmes refont encore surface. Vols et vendeur de drogue,
entre autres. Enfin, tout ça pour dire que l'on peut changer sa vie, coucher
avec d'autres, tout cela avec une conscience claire. Elle n'est pas folle,
elle crisse son copain là avant d'aller voir ailleurs. Ô misère ! Moi
qui n'ai que 21 ans, que se passerait-il si je n'avais pas vécu ?
Dring ! Le réveil sonne, j'ai 35 ans, seul, impossible d'attirer quoi
que ce soit. Comme cela me fait du bien d'entendre Edward me dire que ce fut
extraordinaire le week-end passé. Je l'ai appelé ce soir. Je lui parle, il
bande. Malheur, il me compare encore à un écureuil, mais il trouve ça
tellement cute les écureuils, ça lui donne envie de le prendre dans ses bras
et l'écrabouiller. Moi j'ajoute qu'un des écureuils finit toujours par se
faire écraser de toute façon, ou pire, demeure à des kilomètres de l'autre.
Si je laisse Sébastien, il s'en remettra, trouvera quelqu'un d'autre. Je n'en
peux plus d'espérer qu'il réussisse dans la musique, j'ai déjà suffisamment
de tracas. Paris, next destination, un jeune homme du Canada qui débarque à
Paris avec le seul Père Goriot et qui s'imagine qu'il deviendra un Balzac. Où es-tu ce soir ?
Perdu dans l'Université d'Oswego, tu portes une de tes chemises en flanelle
et ton parfum français. Entouré d'amis ou seul avec ta copine. Elle te
serrera dans ses bras, t'embrassera dans le cou et vous vous embrasserez à la
française. Où es-tu ce soir ? Devant un ordinateur ou seul à marcher à
l'extérieur, pensant à moi peut-être. Je t'embrassais derrière l'oreille et
tu jouissais fort. Quel effet je te fais, on dirait. Si Anne avait été
absente de la maison, comme nous en aurions fait davantage. Lunatiques de
l'univers, je vous ai compris ! Je suis en léthargie complète, malade
moralement, séduit au sang, déchiré entre deux hommes. Tu me prenais la main,
me parlais de très près. Comme Sébastien, tu m'as dit que j'étais la première
personne avec qui tu aimais être aspergé de mon... Ton visage c'est la joie,
l'expression du bonheur, la folie, le prêt à faire n'importe quoi, même à
sacrifier des choses. Mais certainement aussi seras-tu porté à ne point
manquer une chance d'avoir du plaisir, cela inclut l'infidélité. Ainsi nous
ne serons jamais en relation à long terme. Mais plutôt des amis qui
coucheront ensemble à l'occasion. Comment puis-je ne pas m'indigner en disant
cela. L'Amour christ ! Je t'aime ! Ma peur c'est de découvrir que
je t'aime plus que le Sébastien. Dans ce cas je sacrifierais tout. Mais
maintenant je me vois incapable de distinguer mes sentiments, c'est là le
fruit du mois de mars. Chacun se réveille à la vie mais doit d'abord
traverser la période du réveil. Ah Ed, j'aimerais te revoir pour apprendre à
te connaître davantage. Ouvre-moi ton passé, j'y devine l'opposé de Sébastien
en personnalité. J'y soupçonne encore bien de l'admiration. Que je tomberais
amoureux facilement avec toi ! La fin du monde est à nos
portes ! Le mois de mars m'apporte à nouveau la joie des échéances.
Déclaration de revenu, formule de prêt et bourse, demandes d'inscription aux
universités, travaux longs, livres à lire, rêves à réaliser... je sacrerais
mon camp pour la France aujourd'hui ! Paris, Paris, Paris ! Cette
ville m'appelle à elle comme jadis elle appelait à elle les artistes des
quatre coins du monde. Un grand cri languissant au-dessus de l'océan,
ouaaaahhhh, quand bien même il s'agirait d'une vie de misère, une misère à
Paris, c'est une littérature pour l'éternité ! A Ottawa, ma misère est
sans avenir ! Bon dieu, il est probablement trop tard pour aller étudier
en France. Paris, Paris, Paris ! Même s'il s'agit d'y laisser Sébastien
derrière, s'il m'aime, il me suivra, sinon, je trouverai quelqu'un d'autre.
Quelle libération ! Vive Ed pour m'avoir ouvert les yeux sur l'asservissement
qui m'assaille. Pour Sébastien je mourrais à Ottawa ? Sébas ne partira
jamais seul, il faut le forcer à me suivre. Peut-être viendra-t-il ? Il
est un Français, c'est déjà ça, moi je vais faire des démarches pour sacrer
le camp d'ici ! Ma crise commence, imaginons celle de Sébas qui s'en
vient. Ô Ed, tu me rappelles
Paris, tu es la misère que je veux vivre, rue des Bernardins, Quartier Latin,
le site de ma nouvelle inspiration. Ces derniers temps j'ai expérimenté ces
sortes de vertiges-fatigues qui me rendent prêt à perdre connaissance. Si je
repars pour Paris, seul, je me trouverai vite des amis. Comment faire avaler
ça à mes parents ? Fuck them, j'y vais cet été ! J'y resterai le
plus longtemps possible, sur place je ferai des démarches pour y demeurer.
Mais pourquoi pas Montréal ? No way ! « Les feuilles mortes se
ramassent à la pelle, tu vois, je n'ai pas oublié. Les feuilles mortes se
ramassent à la pelle, les souvenirs et les regrets aussi ! Et le vent du
nord les emporte... » Prévert's poetry ! J'ai téléphoné à
l'Ambassade de France, demain ils vont me rappeler. Je veux faire des études
supérieures à Paris, je suis prêt à partir au mois d'avril. J'espère qu'il
n'est pas trop tard. Hier Sébastien m'a parlé de ses idées futures. Je
croyais être désespéré mais Sébastien me le semble davantage. Hier j'ai
compris des choses. S'il ne m'avait pas dit qu'au moins il aurait bientôt un
diplôme universitaire, j'aurais été tenté d'avouer qu'il avait raté sa vie.
Plusieurs mauvais choix, le voilà sans avenir. Cela m'a affecté. Quoi ?
Moi qui prône le changement de ce système -comme Mme de Beauséant du
Père Goriot qui connaît l'horreur des rouages de la société aristocratique et
bourgeoise de Paris, mais qui pourtant les accepte et joue le jeu - me
voilà qui veut me lancer dans des études supérieures alors que j'aimerais
bien tout vendre et prendre une vie sabbatique à Paris ? Mais comme je
me sentirais perdu en faisant cela. Aucune aide à attendre de mes parents, je
me retrouverais vite à mendier, pleurant comme celui que j'ai rencontré dans
le métro à Châtelet-Les Halles. Sébastien en est déjà à sa
deuxième expérience en affaires. Une vague histoire d'entretien d'automobiles
à 17 ans, presque une faillite, avec publicité et enregistrement au
gouvernement. Puis l'histoire des crayons et cartons d'allumettes avec noms
des compagnies, sa propre entreprise à 22 ans qu'il a mise sur pied avec nul
autre qu'Eric, son ex. Encore des vérités qui reviennent à la surface, ce
n'était pas le moment, moi qui me pose tant de questions. Le voilà encore qui
veut s'embarquer dans une campagne vouée non seulement à la faillite, mais
qui lui coûtera tant en temps que cela ne servira pas sa carrière en musique.
Il veut y embarquer sa mère et ses fonds, et moi ! Moi, étudiant à temps
plein, je m'en irais construire des hommes nus en plâtre faisant office de
lampe pour satisfaire une minorité des gays, eux-mêmes une minorité de la
société ? Une histoire de crayons fait faillite absolue, le voilà avec
une idée aussi pire, sauf que cette fois-ci il veut y engouffrer la petite
fortune de sa mère. Il lui reste son espoir en musique et moi, dit-il. Je
l'admirais, sachant toute cette situation à l'avance, mais lui se déteste, se
voit comme un moins que rien, il m'a convaincu. Je n'ai rien contre le fait
qu'il pourrait n'être rien, ce n'est pas ce qui m'arrête, c'est plutôt son
désespoir. Qu'il arrête donc, il a de l'avenir dans la musique. Il veut
mettre sur pied une compagnie ? D'accord, mais il faut jouer sur des
valeurs sûres. Il veut monter cela avec sa mère ? D'accord, je l'aiderai
peut-être. Parfois je me demande ce
que je veux aller chercher à Paris. Peut-être que j'imagine aller retrouver
Ed ou son pareil ? Mais je me souviens ce rêve à mon retour de Paris.
J'y étais retourné et il n'y avait plus ni Edward ni Sébastien, j'étais
désespéré. C'est là que j'ai dit : « Il faut revenir, il faut
m'avouer des choses ! » Un an plus tard c'était fait, mais à quel
prix. Hier je ne pensais qu'à lui, couché dans le lit de Sébastien, alors il
téléphona. Mon cœur battait, je lui ai parlé un peu, incapable, il a dû
croire que je ne voulais rien savoir de lui. Il faut que ce soit clair, Paris
c'est le renouveau absolu. Pauvre Sébastien, je suis
dur avec lui en mes idées. Je l'aime. J'aimerais qu'il me suive à Paris. J'ai
parlé avec la femme de l'ambassade, mes chances sont grandes d'être accepté
qu'elle a dit, même à la Sorbonne. Me voilà déjà dans l'avion, prêt à partir,
étudiant à Paris, en onze mois j'aurai ma maîtrise ! Avec ça je peux
déjà faire quelque chose. Moi et Paris, une misère qui n'en est pas une. YA
YA YA, it seems that I'm already there ! Si je suis accepté, je crisse
le camp au plus vite. En juillet ou début août ? Je n'emporte que deux
valises and that's it ! Faudrait que Sébastien travaille tout l'été, que
l'on parte ensemble à Paris, qu'il prenne son année sabbatique et emporte son
synthétiseur. Il pourra trouver un travail là-bas, il n'aura pas tous ces
problèmes avec l'immigration. Je ne veux plus de ces rêves qui n'aboutissent
jamais, Paris m'appartient. J'espère juste que mon père y verra son intérêt,
lui qui se flattait de voir sa fille ingénieure et son garçon en droit. Une
lueur reviendra-t-elle dans ses yeux ? Mon fils en maîtrise à
Paris ? Ou plutôt, le p'tit christ, ce serait si simple d'étudier à
Montréal ou à Ottawa ? Sébastien est venu ce
soir. On a fait l'amour pour la deuxième fois depuis le départ d'Ed. C'était
mieux que voilà trois jours, mais il manque cet effet piquant comme quand Ed
est avec moi. J'ai peur. Peur de ne plus l'aimer, sans pour autant avoir Ed,
sans pour autant savoir si j'aimerais Ed. Je me suis vu si libre en le
reconduisant à sa voiture. Pour la première fois je me sentais comme
quelqu'un qui faisait sa jeunesse ou qui allait la faire. Je me voyais partir
pour Paris, non pris dans une relation, libre de jouir de la vie comme je
l'entends, acquérir l'expérience la plus bizarre avec les gens les plus
variés, pour ne pas dire avariés. Ouais. Moi qui capotais de voir que
Sébastien avait couché avec au moins une dizaine de personnes, voilà Ed qui
couche avec sa copine, couche avec un gars probablement écœurant la veille à
Montréal, le lendemain le voilà dans mon lit alors que je sors avec
Sébastien. Quelle histoire, digne du vaudeville parisien. Ah, je me délecterai
de ce théâtre de boulevard lorsque je serai à Paris. J'aimerais revoir Edward
pour comparer avec Sébastien. Cette nuit furtive n'a peut-être pas été
concluante. Seulement au niveau de la brisure de mon asservissement envers
Sébas, si je puis m'exprimer ainsi. Ah que la vie est difficile parfois. Ed m'a laissé un message
de mauvais goût. Il a signé un billet d'un dollar américain et a écrit :
« Here is a real American dollar from your American friend, Ed de
NY ». Semble-t-il, il joue sur le fait qu'il soit américain, comme si
l'on était en admiration envers ce fait. Ne sait-il pas que la planète
entière déteste les Américains ? Même si l'on ne peut critiquer le fait
qu'ils sont absolument nécessaires à un équilibre mondial dans la balance des
pouvoirs. Mais encore, on connaît ses tares, ses contradictions. Peut-on être
fier d'être américain ? Quand je vois les chartes musicales ou de cinéma
à travers l'Europe et que je constate que dans le top 10 il y a huit films
américains traduits, j'ai envie de pleurer. Quel viol au niveau
culturel ! Cela ne m'empêchera pas d'apprécier ces films, ces acteurs,
cette musique, que voulez-vous, on appartient à sa génération. Je me demande
juste comment leur monopole et réussite peuvent être si absolus. Mais Edward
a raison, il existe tout de même une jeune génération à travers l'Europe qui
adore les Etats-Unis. Puis ça impressionne d'être new-yorkais. Moi-même,
j'étais fier d'avoir couché avec un Américain. Où s'arrêtera donc la
bêtise ? Quelle est donc la sensation que l'on ressent lorsque l'on
couche avec un Allemand ? Un Juif ? Je n'en dis pas davantage. Mais
s'il existe une différence entre Sébastien et Edward, elle est psychologique,
et mes sentiments pour l'un et l'autre semblent indépendants de ma volonté. Que c'est extraordinaire
de croire qu'Ed soit straight, puis de finalement savoir qu'il est gai et de
coucher avec lui. Jamais je n'aurais osé croire qu'il était comme moi et
qu'il me tiendrait dans ses bras un jour. Comme je l'appellerais tout de
suite et l'inviterais à retourner à Paris. Mais n'aimerais-je pas mieux
m'assurer un avenir avec Sébastien ? He is still very beautiful,
especially when he's nude. Mais Edward en caleçon et t-shirt, avec son bedon
qui se voit un peu, c'est incroyable. J'explorerais son corps de A à Z s'il
revenait. Mais il m'a spécifié qu'il ne recoucherait pas avec moi, car
Sébastien est son ami. C'est vrai qu'il serait définitivement immoral de
bâtir une double relation dans le dos de Sébastien. Mais devrais-je le
laisser là ? What a tricky situation. Je
réentends Ed me dire : « I tried so hard to resist
you ! » J'imagine qu'il voulait dire qu'il a essayé un peu plus que s'il n'y
avait eu aucune barrière. Tout s'est passé si rapidement. Quelle
expérience ! Je me revois allumer la lumière, le voir étendu sur le lit,
me coller contre lui, avoir sa bouche contre la mienne. Chacun des détails de
sa personnalité refait surface. Sa petite boîte où il range sa brosse à dent,
sa soie dentaire, sa voiture, ses cassettes, on me dirait en admiration
totale. Ô Edward, je revois même le gros ED écrit au crayon-feutre sur ta
tasse. Si tu as pu sentir que j'étais en érection lorsque je t'ai pris dans
mes bras à l'Hôtel des Gouverneurs à Montréal, cela ne me surprend guère. Je
pense même que Sébastien l'a remarqué, il s'est retourné deux fois pour
regarder. Tant pis, j'ai tant besoin de cela, je ne pourrais même pas
reprocher à qui que ce soit la tournure des événements. Ed serait-il l'âme
sœur ? J'espère que non. J'ai enfin posté toutes
mes demandes d'université, en particulier celles de Paris. Mais je suis trop
fatigué pour l'apprécier et découragé de savoir qu'il est peut-être trop
tard. Edward m'a téléphoné hier soir. Sébastien était en dépression, alors Ed
a rappelé un peu plus tard. On s'est masturbé au téléphone. Je ne suis pas
venu, c'est-à-dire que je n'ai pas éjaculé. Edward semblait déçu. Il
interprète peut-être cela comme s'il ne me faisait pas d'effet, cela
m'affecte. Mais je suis tant fatigué ces temps-ci. Le temps passe vite, c'est
indéniable, il reste moins d'un mois d'école. Le physique en prend pour son
rhume. Bientôt les rhumatismes, je le sens. C'est la première fois de ma vie
que je ne désire pas finir l'année scolaire. Je n'ai rien à attendre de
l'été, plutôt le désert et l'insécurité. Vais-je travailler ?
M'ennuyer ? Repartir vers Jonquière ? Demeurer ici pour
Sébastien ? Comment irait notre relation alors ? Puis Ed dans tout
cela ? La prochaine fois, je serai en monde connu, j'en ferai davantage,
le sucer entre autres. Je bande à y penser. Le problème c'est aussi que j'ai
de la misère à l'imaginer. Même son visage, je dois faire un effort pour m'en
souvenir dans ses moindres traits. Il m'a dit avoir fait un rêve la semaine
passée, très réel. J'étais nu dans ses bras, il sentait mes jambes contre les
siennes, il s'est réveillé en sursaut avec un oreiller dans les bras. Est-ce
possible ? Maybe he's becoming new-yorkais crazy? Mais j'y crois et je
peux apercevoir jusqu'à quel point j'ai laissé ma marque sur ce jeune homme.
Comme il est bien de se flatter ainsi, un jour je ne le pourrai plus,
profitons-en. Peu importe, je parlais d'Edward, le beau jeune homme qui n'a
plus aucun intérêt pour Catherine sa copine. Il l'a rencontrée avant-hier, il
lui a fait comprendre que c'était fini. Il insiste auprès de moi qu'il ne
voudrait jamais que par sa faute moi et Sébastien nous nous laissions. Mais
pour moi, il a enfin compris qu'une femme dans sa vie, ce n'est pas le
paradis. C'est triste d'ailleurs, mais ça en prendrait beaucoup pour m'en convaincre
définitivement. Je regarde tous ces couples hétérosexuels, dieu qu'ils
semblent avoir une vie plate. Encore que, ma définition de ce qu'est une vie
plate prend des proportions inquiétantes. Paris me réveillera-t-il ?
Même psychologiquement ? Et si Paris était plat ? Si je m'écoutais,
je prendrais une virée sur la drogue, dure en l'occurrence. On attend
tellement de choses de la vie, pourquoi ne nous a-t-on pas dit qu'il n'y
avait rien de plus au programme que notre quotidien actuel et plat ?
Même le sexe ne contente pas. Monsieur Vanvinburène sera
dans mes rêves cette nuit. Mais il ne sera pas nu avec sa chose entre mes
jambes, il sera devant son ordinateur à me réclamer trois mois de travaux
hebdomadaires en retard. Je me déshabillerai alors, lui caresserai le crâne
dégarni et le bedon trop gros, il me suggérera d'oublier les futilités du
cours. A Dieu monsieur Vanvinburène. Je suis Eugène de Rastignac, je m'en
vais me confronter à Paris tout entier. Je me vois déjà le porte-parole des
Québécois en France. Leur rappelant qu'il existe tout de même huit millions
de francophones au Canada, et que ce chiffre, ils ne pourront plus l'ignorer
trop longtemps. J'ai certainement des
problèmes psychologiques de ce temps-ci. Hier j'ai encore fait des folies. J'ai
bu la moitié de la bouteille de vin que Sébastien avait laissée par hasard et
j'ai téléphoné le Edward à Oswego. Le problème c'est que cette fois-ci je
suis venu. Je commence à me sentir vraiment coupable, dans tous les sens. Il
me semble que je me joue de Sébastien, qui parle d'ailleurs un peu plus de me
suivre à Paris, de même je me joue d'Edward puisque je vais demeurer avec
Sébastien. J'amplifie un sentiment qu'il a pour moi, pour rien. Je lui ai dit
que je l'aimais hier, il m'a dit de même, en spécifiant qu'il s'agissait d'un
trop gros mot. Jusqu'où ira-t-on ? Est-ce que les gens straights se
mettent aussi dans des situations comme ça ? Je n'en doute pas, le frère
de Shelly entre autres avait deux blondes en même temps, je le soupçonne de
ne pas s'être posé la question à savoir s'il était bien de se jouer ainsi des
gens. Si j'en crois ma pseudo-philosophie sur le bien et l'expérience, c'est
indéniable que je vais apprendre beaucoup, à faire la distinction du bien et
du mal, mais en faisant le mal. Le problème commence là où je me sens comme
si j'avais outrepassé les limites et qu'il n'y avait plus de retour possible
vers le bien. Comme si j'avais failli totalement et qu'il ne me restait plus
qu'à oublier mes idées. Mais je crois que ce paradoxe n'en est pas un.
L'expérience se fout pas mal de l'humain, de ce qu'il est capable de faire.
Coucher avec une, dix ou mille personnes ne changera rien. C'est la
souffrance que l'on cause qui compte, et celle que l'on reçoit ou que l'on
est en mesure de percevoir. Le problème aussi c'est lorsque je me mettrais à
coucher à tort et à travers, sans m'attacher à personne, sans les connaître.
Ce serait là une stagnation, une non-possibilité d'avancement sur la ligne de
l'expérience. Les interactions entre moi et Sébastien, moi et Edward, Edward
et Sébastien, c'est déjà fort complexe. Peut-être qu'éventuellement je serai
davantage en mesure de distinguer ce que je dois apprendre là-dedans. Encore
que, il s'agit peut-être de m'orienter vers des décisions plus importantes,
comme le départ pour Paris. Si tout semble évident en ce qui concerne le
futur, je dois cependant avouer qu'il risque de changer encore. Ne serait-ce
que les choses tournent et qu'on ne sait jamais si la meilleure solution qui
se présente pour l'avenir consistera bien en la meilleure solution dans six
mois. Mais pour l'instant, ce n'est pas inutilement si Sébastien a la
nationalité française et qu'il se retrouve devant un vide dans sa vie pour
septembre prochain. Je vois bien qu'il me suivra en France, il en rêvait, il
en a la possibilité, il en a le désir. Encore deux semaines de mars, il dira
oui je pars. J'avoue que ce serait bien. J'ose croire que je vais oublier
Edward, arrêter de lui dire des choses qui le feront rêver ou espérer, me
concentrer pour raviver la flamme avec Sébastien. De toute façon, j'ai de
bonnes raisons de croire qu'elle ne sera pas difficile à rallumer, puis je
pense que l'étape Edward est accomplie : me faire rêver à la France, me
faire courir à l'ambassade, me tenir en haleine jusqu'à ce que j'aie posté
les demandes d'admission. Mais l'avenir m'en dira tant. Il n'y a pas que moi
à soutirer des avantages ou désavantages dans tout cela. En attendant, Edward
lui-même traverse une drôle de passe avec sa copine. Il n'y a que Sébastien qui
semble en retard sur les événements, je ne doute pas que la crise s'en vient. Si Jean savait à propos de
bien des choses, je n'ose même pas en parler ici. Cinquante ans après
l'Holocauste, je n'ose même pas parler des Juifs. C'est que le racisme envers
les Juifs est encore effrayant. Quand je pense que Jean est non seulement
juif, mais qu'il est homosexuel en plus, je me demande quels peuvent être ses
espoirs de traverser la vie sans rencontrer de problèmes. Il veut repartir
pour Jérusalem, ou du moins Israël, il finira en prison, ou mieux, on
l'assassinera. L'homophobie est plus inquiétante que l'antisémitisme à
l'heure actuelle, car aucune charte des droits et libertés n'interdit à
quiconque d'être juif. Alors que plusieurs Etats américains, ainsi que la
Chine entre autres, nous disent illégaux explicitement. Mes propres voisins
ne m'acceptent pas. Je suis jugé telle une menace constante pour les valeurs
de la société, jugé et pendu avant même de naître. Cet idiotisme est
surprenant. A les entendre aujourd'hui, sans les lois, on nous tuerait tous
sur-le-champ. Mais sur quoi reposent-ils qu'être homosexuel puisse être
illégal ? Ou plutôt, sur quels principes interdisent-ils les relations
homosexuelles ? Cela ne les concerne aucunement ! N'est-ce pas
une violation de mon être ? Vais-je chez mes voisins leur dire ce qu'ils
sont en droit de faire lorsqu'ils font l'amour ? Pire, m'en vais-je
explicitement écrire dans la Charte des droits et libertés qu'il leur est
interdit de faire l'amour si ce n'est pas dans le but exclusif de faire un
enfant ? Et leurs principes découleraient, je crois, de la Bible. Pas en
Chine en tout cas. Eh bien, en ce qui concerne ceux qui ont une charte où
c'est dit qu'il est interdit de discriminer en rapport à l'orientation sexuelle,
ceux-là, s'ils ne peuvent comprendre le non-sens de leur sentiment, peut-être
finiront-ils par le comprendre de force. Non, sans espoir, la Bible a laissé
sa marque indélébile dans les guerres planétaires et cela non plus ils ne le
comprendront jamais. Le crétinisme des sociétés est sans borne, surtout
lorsque celui-ci a été imposé dès l'enfance et qu'il fait encore office
d'enseignement aujourd'hui. Lorsque l'on se décidera à tuer tous les
homosexuels de la planète, ce sera au moins 700 millions de personnes
que l'on tuera, et ce, à l'intérieur de chaque société ou religion. Autant
prendre un humain et lui arracher 10 % de son cerveau. Pas de problème,
c'est juste 10 %, mais le cerveau fonctionnera-t-il très bien après
cela ? Je n'en doute pas. Si l'on me réfute encore ces 10 %
d'homosexuels, j'attaquerai en disant que chez la plupart des gays il est
impossible de voir à l'œil nu qu'ils le sont, suffit d'aller dans un bar gai
pour constater ce fait. Puis dans tous les groupes d'étudiants que j'ai fréquentés
en vingt ans, j'ai toujours pu en identifier un où c'était évident. Toujours.
Souvent deux. Sans compter que je l'étais moi-même. Il y a donc toujours eu,
ou presque, deux homosexuels connus de moi en chaque groupe de 22 à 30
élèves. Nous sommes déjà près des 10 %. En comptant maintenant ceux dont
j'ignore qu'ils le sont - il m'est arrivé souvent d'apprendre
ensuite que des gens dont on ne se doutait de rien l'étaient - on
saute les 10 %. Un autre exemple. Dans ma classe actuelle, mon cours de
ce matin avec M. Lemay, sur 13 étudiants, quatre le sont officiellement. Eh
bien, 4/13 nous donnent 31 % d'homosexuels. Mais nous sommes en arts, il
existe davantage d'homosexuels en arts, paraît-il. Prenons donc mon ancienne
classe de droit, je ne sais plus combien nous étions et je connaissais peu de
gens. Mais j'ai connaissance de trois autres qui le sont, puis des rumeurs
pour quelques autres. Sans compter ceux qui se l'avoueront bientôt et ceux
qui le sont mais dont j'ignore l'existence : on dépasse les 10 %.
Des professeurs à l'université ? J'en ai connu au moins quatre qui
l'étaient dont les gens le savaient et en parlaient. Quatre autres au collège
dont j'ai connaissance. J'ai même parlé directement avec eux, ou je les ai
rencontrés dans les bars gais, ou mes amis les ont rencontrés. Vous voyez,
une personne sur dix qui est homosexuelle est un chiffre réaliste et minimal.
Si les tabous disparaissent un jour, la population comprendra enfin qu'elle
ne peut s'amputer de 10 % de la population. Même, si elle ne le comprend
pas, nous serons alors dans la capacité de les rendre impuissants face à
nous. J'ai rencontré
Vanvinburène au Pivik. God ! C'est fait exprès ! Je devrais
l'accuser : « Il fait exprès ! » Sébastien m'a téléphoné
ce soir. Comme il semble dépressif, il se rend compte que je l'aime moins de
ce temps-ci. Ça m'a donné un choc, je crois que je l'aime. Je souhaite qu'il
devienne un rien plus nostalgique et romantique, pour que je puisse revenir à
lui plus facilement. Je suis déjà si loin. Mais chaque fois que je le
reverrai je me rapprocherai de lui. En attendant, je me demande si je vais
poster la lettre suivante à Edward ? Salut ô Ed ! La vie est plate. Je suis
dans le cours de M. Vanvinburène, ça dure trois heures et je lutte pour ne pas
ronfler. Dans ces temps je ne fais que penser à toi. Dans tes lettres,
parle-moi de ton passé. D'où viens-tu, qui es-tu, pourquoi toi et ta sœur
étudiez à Oswego et non à New York ? Pourquoi étudies-tu la littérature
française ? Pourquoi ne resterons-nous jamais dans la même ville, sinon
Paris ? Tu dois trouver toi-même du travail en France. Mais pour être
professeur, ce sera difficile. Peut-être tu peux t'inscrire à une université
de Paris ? Quand donc te reverrai-je ? Tu m'as promis de faire
l'amour pendant quatre heures, puis de prendre un bain avec moi, je ne peux
penser à autre chose. Mais tu sais, je me contenterais de ta présence, ta
senteur, de te prendre dans mes bras. Ah ! Si je pouvais ressentir la
même chose avec Sébastien ! Quand donc vas-tu revenir ? Serons-nous
seuls ? Sébastien se rendra-t-il compte de quelque chose ? La
solution serait de laisser Sébastien, j'en serais incapable, sauf si je me
rends compte que tu es mieux. Je dois te revoir pour cela, et je dois pouvoir
te voir souvent, ce qui me semble impossible. Il nous faut nous contenter
d'une relation d'amitié à distance et espérer se voir lorsque c'est possible.
Si tu reviens, cela ne me surprendrait pas que Sébastien veuille que tu
ailles chez lui. Ah Ed, tout nous sépare et j'ignore quels pourraient être
mes sentiments envers toi. Tu imagines, si nous
étions tous les deux à Paris ? Ce serait merveilleux. Ô Ed, j'aime tout
en toi. La vie est cruelle, je suis face à un avenir incertain, je ne sais
plus quelle place occupera Sébastien, mais je sais que je veux être ton ami,
mais pas un ami comme les autres. Jamais je ne voudrais que tu te forces à
m'écrire ou m'appeler. Moi aussi j'ai en moi un endroit qui t'est réservé.
Trouvons un terme approprié : nous sommes special friends, des amis
spéciaux. So you're my special friend, ô Ed,
pour longtemps j'espère. Il est tellement rare de rencontrer la bonne personne.
Moi aussi j'ai gardé ce souvenir lorsque je t'aidais en grammaire à Paris.
Comme j'étais déçu lorsque tu m'as montré la photo de ta copine, en plus je
la trouvais laide. Excuse-moi, c'est de la jalousie. Mais que vient faire la
jalousie là-dedans. Tu as droit à ta vie et moi la mienne, malheureusement.
Il me faut te voir au plus vite, je veux te voir ! Reviens bientôt, invente-toi
un prétexte, ou viens à l'insu de Sébastien. Je veux me retrouver avec toi,
en caleçon et t-shirt, puis nus. Edward, je voudrais t'embrasser dans le cou,
toucher ta peau, te gratter le menton, te regarder l'intérieur de la bouche,
voir ma réflexion sur tes dents, puis le reste, je te laisse l'imaginer. Je
t'aime (le gros mot) ô toi my special friend. Comme cette lettre est
puérile. C'est la première fois que j'utilise ce mot, mais aucun autre
n'aurait ici sa place. On accuse souvent de puérilité, d'innocence, de
naïveté, d'inexpérience. Mais lorsque nous en sommes conscients, les
accusations tiennent-elles encore ? Conscient et ne rien changer à ses
actions, qu'est-ce que cela signifie ? Vive la puérilité ! Je suis d'humeur
massacrante. Jim m'a reproché des banalités, je lui ai presque sauté au cou
(pour l'égorger). Ses banalités, qu'il les garde donc. Lui qui ne parle
jamais, je le sais très bien que lorsqu'il parle c'est que le problème est
beaucoup plus généralisé, et surtout ailleurs. Le problème n'est pas dur à
voir, il n'en veut plus de ses colocataires qui détruisent sa maison. Puis
son copain Nick voudrait nous sortir de là. Il prendrait ma chambre ?
C'est définitivement la fin de mon bail, à la fin de l'été, Paris ou non, I'm
out of the house. Non pas que je ne veux plus affronter les problèmes, mais
j'accepte que cela fait plus d'un an que Jim cherche à se débarrasser de sa
visite et que c'est le temps que je le comprenne. Il n'a jamais osé faire
l'amour avec Nick while we were home. They
need everyone to be out. Is this because he is Italian? Catholic? Non, j'exagère, mais il
est tout de même prude le Jim, et c'est aussi la première fois que j'utilise
ce mot. Mais vaut mieux être puéril et conscient que prude et
inconscient ! Bon, les vacances sont finies. Dur à croire ? Il me
reste deux semaines de cours plus une demie. Les gens commencent à espérer la
fin, moi je m'en fous. Je ne vois pas très bien comment je vais faire tout ce
que j'ai à faire et je ne sais pas ce que je vais faire lorsque tout sera
fini. On dirait que je ne puis attendre pour partir vers Paris, mais je dois
avouer que je suis conscient que je serai déçu. Que je me réveille à Paris, à
Ottawa ou à New York, n'est-ce pas la même chose ? Davantage de chances
de réussir à Paris peut-être, même pas, et certainement bien des dépressions.
Paris might not be that great, and that is
what I am going to discover. I should not be that impatient to go there. Just
live day by day. Cette nouvelle passivité sur ma vie, qui me permet d'arrêter de penser,
de me lancer et subir l'environnement, en espérant qu'un jour cela va se
terminer. I'm sick. Sick sick sick. Je n'ai pas même cette impression d'avoir
terminé quelque chose avec mes études. Même si cette année ce serait le
doctorat que l'on me donnerait, cela ne changerait rien. Quel est donc mon
problème ? Je ne veux rien savoir de la société, je ne veux que m'isoler
loin, très loin. Retour autour du Lac-St-Jean peut-être, hors des villes et
villages, ça c'est de l'isolement. J'en ai assez de tous ces gens que je
rencontre chaque jour, auxquels je téléphone sans cesse. J'apprends peut-être
des choses, je n'en vois pas le but. Le bien, le mal, fuck it. Vingt et un
ans à essayer de faire le bien pour finalement aller tromper Sébastien. Que
me voilà donc bien préparé pour ma vie de saint homme. « Mais la
contradiction est saine pour celui qui essaye d'adapter l'Univers à ses
principes. » Si je me tirais une balle ce soir ? J'ai dormi chez Sébastien.
On a fait l'amour deux fois comme deux déchaînés. Cela me redonne-t-il espoir
à Sébastien ? Je crois que oui. Je vois de moins en
moins - peut-être que j'essaie de m'en convaincre et cela ne change
rien, à moins que de me mentir soit inutile - mais je vois de moins
en moins ce que j'ai à attendre, pour l'instant, d'Edward. Il me décourage un
peu plus chaque jour par son éloignement, cela me facilite la tâche pour
l'oublier. Entre autres, je peux me rabaisser sur le fait qu'il a couché avec
trop de monde, embrassé six gars en un seul soir à Montréal, qu'il a couché
avec un christ de laid dans cette ville, une loque humaine (je ne l'ai
jamais vu). Que dirais-je encore pour l'oublier, rien à faire, j'ai toujours
ce petit espoir de le revoir. Sébastien m'est devenu soudain moins important,
j'ai même besoin d'un éloignement, je n'arrive pas à croire que je puisse
penser cela. Je crois que je vais partir pour Jonquière cet été. Même si
alors il me faudra être loin de Sébastien et d'Ed. Et s'il m'écrivait une
lettre ? Nous sommes allés prendre
un verre au Café Nicole, moi, Sébastien, Nathalie et Adeline. Ce fut bien,
nous avons bien ri, parlé de tout sauf de la pièce d'Ionesco qu'on venait de
voir à l'université. J'espère qu'aucune de ces filles ne s'intéressera
éventuellement à moi, mais notre conversation fut intéressante. Peut-on
encore parler avec une fille sans qu'elle s'imagine que l'on pourrait être
intéressé à coucher avec elle ? Je n'en sais rien. Mais Nathalie aurait
de bonnes chances de le croire. Sans m'en rendre compte, j'ai dit des choses
comme quoi elle m'intéressait. L'ambiguïté provient toutefois que c'est comme
amie qu'elle m'intéresse, pas par amour ou désir. Mais j'avoue que c'est le
genre de fille que je voudrais si je n'étais pas gai. Mais il n'y a aucune
possibilité que je pourrais la désirer sexuellement. Je l'admire comme un
homme hétéro pourrait admirer un autre homme hétéro, pour certaines raisons,
comme par exemple si l'autre représente ce qu'il voudrait faire ou être, sans
en avoir le courage ou la possibilité. J'aime le côté sportif et courageux de
Nathalie. Prête à partir en bicyclette autour des Pays-bas, elle a bien pu y
rencontrer un bel homme, encore perdu aux Pays-bas. Hier j'étais dans un party
chez Cameroun avec Sébastien. C'était la fête de ce gars qui s'intéresse à
Sébas. Deux gars portaient des kilts, ces petites jupes écossaises, nus en
dessous pour qu'à l'occasion on puisse voir leurs parties. Oh mon Dieu,
Edward et Sébastien ont pris le bord, j'ai bondi au plafond. Me voilà devenu
digne de Sodome et Gomorrhe, j'aurais sauté sur Cameroun, là, dans sa
chambre, ou même devant tout le monde. Aujourd'hui j'y pense déjà un peu
moins. Il s'agit de sexe et rien d'autre. Quoique les sentiments viendraient
peut-être, mais pour l'instant, moi, je n'ai aucun moyen pour les mythifier, me
les rendre nostalgiques. Edward, j'ai la France, Paris. Et même les
Etats-Unis, New York. Voilà donc le triangle de l'histoire américaine.
Quelles sont donc les interactions entre la France, les Etats-Unis et le
Canada ? Tombe-t-on amoureux de quelqu'un parce que l'on aime tel
pays ? Edward m'a répété qu'il aimait mon côté français, que je suis
comme les gens en France, qu'il avait découvert en Montréal ce qu'il
recherchait et même mieux qu'en France. Que le mythe devient séduisant. J'ai
couché avec un Américain qui parle français. Une contradiction vivante. De
voir que je pourrais coucher avec une multitude me fait comprendre que c'est
tout du pareil au même. Lorsque j'ai couché avec Edward, mes sentiments
étaient confus. Je tenais un autre corps que celui de Sébastien. J'ai fini
par oublier le parfum avec le temps. Jamais je n'aurais cru que le parfum
puisse être si aphrodisiaque. Je n'ai même pas une photo d'Edward. Mais j'ai
l'impression de toucher la multitude, d'atteindre le monde et l'humanité. Comment
dire, se sentir dans l'action. Se débarrasser de cette impression solitaire,
de rejeté, loin du monde et incompris. Me voilà qui va vers les gens, qui
vois en chaque rencontre une banque d'informations et d'expériences. Quelle
sensation j'ai depuis un temps de vouloir sauter dans les airs, exploser,
crier partout une joie de vivre, un désir de vivre qui se compense par
l'échange avec les gens. Enfin, je me suffis à moi-même, sans attendre de
quelqu'un un quelconque salut. Je vois Adeline qui s'accroche à nous, veut
des amis, Edward qui me dit ce que l'on me répète depuis longtemps, avec moi,
on ne s'ennuie pas. On voit en moi celui qui apporte l'action, the
entertainer. Ma sœur est du style aussi à rendre aux soirées plates un
intérêt qui fait que l'on n'attend plus de l'extérieur un sauveur. J'ai
longtemps cherché un Luc Villeneuve qui se suffit, qui donne l'impression
qu'en étant avec lui on ne manque rien de ce qui se passe ailleurs. Je suis
donc cet ailleurs, à me suffire, Dieu peut mourir. Encore que j'ai
l'impression d'en manquer des choses. Sébastien ne remplit pas ce vide, puis
moi je ne puis le remplir pour moi. Edward ? Ça reste à voir. Cette
personne existe-t-elle ? En la multiplicité peut-être. Sur l'instant
untel remplira le vide ? Cet untel changera avec le temps ?
Qu'ai-je donc à attendre de la vie ? D'autrui ? Néomie, on me l'a répété
plusieurs fois, elle-même le dit sans cesse, elle se cherche. La femme de 35
ans aux enfants de 10 et 13 ans, divorcée, qui n'en peut plus d'attendre sa
liberté pour vivre, voyager, étudier à Paris peut-être et qui se cherche.
Elle n'en peut plus d'attendre, elle a 35 ans, elle doit absolument faire ce
qu'elle doit et veut faire, elle a 35 ans et n'a plus de temps à perdre. La
limite est atteinte, le gouffre s'en vient, vite-vite-vite ! Il me
semble voir là la façon la plus rapide d'atteindre le ravin. Elle se cherche.
Que veut dire cette expression ? Elle est en crise d'identité, and so are we,
en crise d'identité. Le gros mot. Le Québec se cherche, les Franco-Ontariens
se cherchent, la France se cherche, les Etats-Unis se cherchent, se trouvent
peut-être aussi, en la multitude. Ceux qui se trouvent, souhaitent détruire
ceux qui se cherchent, ce qui n'est pas pour régler le problème de ces
derniers. Ku Klux Klan, nous savons qui nous sommes, nous savons qui vous
êtes, nous allons nous débarrasser de vous, car il est important que nous
puissions demeurer ce que nous sommes, puisque nous avons découvert qui nous
étions et que rien n'est pire que de se chercher une identité. Néomie se
cherche, so am I. Et les Ku Klux Klan ne se chercheraient pas ? Une gang
de suiveurs, de conformistes à un chef peut-être, qui se laissent entraîner à
tuer pour aller pourrir en prison ensuite. Suivre des chefs peu subtils, criant
à qui veut l'entendre qu'ils tueront tout le monde. Comment alors se croire
en sûreté et capacité d'accomplir notre mission ? Propagande nécessaire
pour attirer de nouveaux moutons. Mais ces moutons, ne se cherchent-ils
pas ? Quelle peur les pousse à suivre ces chefs, à agir par admiration
ou par peur de ses chefs ? Et ces derniers, d'où provient cette haine
pour toute une collectivité ? Ne provient-elle pas d'expériences
personnelles isolées qui n'ont rien à voir avec l'humanité ? Comme le
gars prêt à faire sauter la planète parce qu'il a essuyé un petit échec dans
une cabane à patates frites ? Tous les moyens sont bons pour soutirer de
l'argent ou avoir des pouvoirs, se croire important, base de nos sociétés,
compétition pour la richesse et le prestige. Et nous serions surpris d'avoir
élevé des prêts-à-tuer-tout-le-monde pour se faire servir et admirer par une
gang apeurée. Avouer ses échecs, avouer ou chercher ses vraies motivations,
voilà déjà un bon pas pour l'humanité. Se comprendre d'abord, comprendre les autres
ensuite. Le seul message que j'aurais pour ces membres du Ku Klux Klan, c'est
celui de se demander ce qu'ils cherchent vraiment, le pourquoi de leur
mouvement, leur motivation ou problème en cause. Une haine, ça se justifie
rationnellement. Si leur seule motivation est de s'approprier le pouvoir, la
richesse, la servitude, alors leur haine est injustifiée. On dit que l'on
déteste pour que les gens détestent à leur tour, pour ensuite faciliter
l'action. En fait, les motivations sont ailleurs et les moutons ignorent ces
motivations. Ou au contraire, ils en sont trop conscients et espèrent
soutirer leur part du gâteau. Vivre et laisser vivre, quelle belle expression
qui n'a jamais été entendue de personne. D'aucun peuple ou pays, surtout pas
des Américains. Qu'avons-nous à attendre d'autrui ? La servitude
certains pensent. Eh bien moi pas. Je tuerai moi aussi, non, je serai plus
subtil et j'atteindrai mes objectifs. En attendant, qu'ai-je donc à attendre
d'autrui ? En attendant, je pourrais vivre et laisser vivre. Ainsi donc,
il ne me reste plus qu'à me chercher. Voilà que j'entre en dépression. Je viens de
téléphoner à Edward. Il n'a pas reçu ma lettre, un de ses amis est arrivé
chez lui, d'Allemagne, il est là jusqu'au 4 avril, empêche Ed de m'écrire, de
me parler. Je panique sans raison, je ne peux rien attendre d'Edward, mais il
s'est justifié pendant cinq minutes à propos qu'il ne m'avait pas téléphoné,
me disant qu'il n'avait pas arrêté de penser à moi. Les justifications
détruisent tout. Elles font penser qu'il a des comptes à rendre alors que je
ne peux rien exiger de lui. Cela me fait croire que je lui reproche des
choses alors que ce n'est pas le cas. Je ne voudrais aucunement jouer le rôle
du gars qui veut une lettre, qui veut qu'on l'appelle, qui ne veut pas être
négligé, et quoi encore. Je pense que je vais arrêter d'appeler Edward et je
vais attendre ses contacts. Il va m'appeler ce soir, il dit. Je n'ai pas
hâte. Se sent-il trop obligé envers ses amis ? Ce qui m'inquiète, c'est
qu'il m'oublie. Oh Ed, que fais-tu ? Dépassé par les événements, je
n'existe plus ? Quel affront ! Je me retourne vers Sébastien, je
n'en veux plus de cette multiplicité de relations. Je veux un Sébastien, ne
pas souffrir, observer chez les autres l'expérience qu'ils retirent. Je vais
me mettre à lire, on apprend beaucoup par les livres je pense. Qu'ai-je à
aller chercher ailleurs ? Je ne vais que m'attirer des problèmes.
Souffrir souffrir souffrir. Jusqu'où cela ira-t-il, jusqu'où cela pourrait-il
aller ? Quels seraient donc les pires scénarios, les plus beaux ? Ô
Gwendoline, my beauty, attends-moi à Cythère, je t'y retrouverai après mon
shift de télémarketing. Ô Edward, my beauty, laisse-moi un demi-siècle et je
te retrouverai dans mon lit. Dear God, je suis venu sur cette planète parce
que, disait-on, il y avait beaucoup à apprendre. Un édifice complet m'est
tombé sur la tête ce mois de mars et je suis incapable de distinguer ce que
j'ai appris. Croyez bien que je désespère d'en voir davantage, et pour
l'instant, je ne puis attendre de me retrouver dans les bras d'un humanoïde
que j'ai connu. Veuillez me faire parvenir immédiatement la marche à suivre
pour trouver la sortie du labyrinthe, j'attends la réponse après le travail
vers neuf heures ce soir. Et puis tant qu'à bien faire, agréez, dear God, mes
salutations distinguées. Les gens n'aiment pas les
comparaisons entre les souffrances juives et homosexuelles, eh bien tant pis,
les deux ont souffert injustement, en particulier durant l'Holocauste.
N'est-il pas désolant que les Juifs plus religieux soient prêts à tuer les
homosexuels et ne manquent pas une occasion de les condamner ?
Souffre-t-on davantage d'être juif ou homosexuel ? Je ne pourrais dire,
j'ignore le nombre d'homosexuels tués chaque année et le nombre qui a été tué
au cours de l'histoire. Si le chiffre de six millions est très significatif
pour les Juifs, Sodome et Gomorrhe l'est aussi, en admettant que ce conte ait
autre chose à faire que d'être une fiction mythique franchement écœurante,
malhonnête, sournoise, perverse, mal. Si seulement la portée de ces trois
seules lettres pouvait frapper en plein visage 2000 ans de fanatisme
religieux. Je calcule un chiffre impressionnant d'homosexuels tués ou
emprisonnés au cours de l'histoire. On estime qu'il pourrait y avoir eu un
million d'homosexuels tués pendant l'Holocauste de 39-45. Plusieurs affirment
qu'il y en a eu au moins 500 000, et tout le monde semble s'accorder sur un
chiffre minimal de 220 000. Je puis déjà dire qu'il m'est bien insupportable
de vivre en étant gai aujourd'hui. On n'avoue pas facilement être homosexuel.
On souffre hier, aujourd'hui, demain. Je dévie du sujet. Je ne cherche ici
qu'à prouver jusqu'à quel point les homosexuels sont injustement traités
encore aujourd'hui. Dans quelles conditions on nous laisse respirer et
souffrir, sortir de l'ombre si on en a la chance ou autant de volonté qu'il
en faudrait, se décider à trouver quelqu'un, de vivre comme il est notre
seule façon d'être pour être heureux. Je m'excuse, on ne peut changer sa nature.
On ne demande pas à un Juif de devenir catholique (en admettant qu'être juif
ou catholique appartienne à la nature, mais tout n'appartient-il pas à la
nature ?). Ceux qui semblent réussir à changer souffrent plus que tout
et ne peuvent l'admettre, pas même à eux. Et si les bisexuels, puisqu'ils
semblent exister, peuvent tout aussi bien se trouver quelqu'un du sexe opposé
et être heureux, qu'ils ne viennent pas dire aux homosexuels qu'ils peuvent
changer. Je n'en crois rien et pas un homosexuel n'en croira quelque chose.
Lorsque je parle d'homosexuel, j'aimerais que l'on considère que je parle
autant des lesbiennes, des bisexuels et bisexuelles. Je n'essaie pas de
banaliser ce qui est arrivé aux Juifs. Je montre que, si l'on s'indigne sur
ces atrocités, c'est le temps que l'on se réveille et que l'on comprenne
qu'il existe toute une partie de la collectivité qui nous entoure qui souffre
tout autant et qui a souffert tout autant dans son histoire. Puis aussi
surprenant que cela puisse paraître, je ne m'adresse pas aux chefs ou membres
du Ku Klux Klan ou des White Supremacists, mais à la petite mémère et au
petit pépère lavés du cerveau par leur religion et qui arrive à affirmer la
phrase maintenant classique que le Sida est un cadeau de Dieu pour nous débarrasser
des homosexuels. Calice ! Quelle sorte de Dieu avez-vous donc pour
chercher ainsi à se débarrasser d'un groupe de gens, qu'avez-vous donc à
espérer d'un tel Dieu ? Un Dieu qui est Amour ? Vous, juste à
penser une telle chose, avez-vous vraiment une quelconque espérance d'aller
au ciel ? Laissez-moi rire ! Un jour je vais faire du Voltaire, je
me payerai la Bible, les 300 versions différentes qui existent s'il le faut,
juste pour vous en ressortir les choses les plus inconcevables qui puissent
exister. Que l'on m'apporte encore une de ces phrases bibliques à la noix qui
puisse s'interpréter pour aider à l'anéantissement de tout un peuple !
Votre Ku Klux Klan, étudiez-le bien. Il ne diffère pas beaucoup de certains
gouvernements ou partis politiques, et peut-être pas du tout de plusieurs
mouvements religieux. Relisez, ou plutôt lisez Gide, Voltaire, Yourcenar, ou
même, lisez-la votre Bible. Avant de commencer à la citer à tort et à travers
comme si elle faisait office de Loi divine, vous serez peut-être surpris d'y
lire que vous-mêmes êtes condamnés. Je croyais que les sociétés évoluaient,
je pensais que lorsqu'un grand auteur avait écrit ses briques, on n'avait
plus besoin de les répéter. Eh bien non, il faut sans cesse reconstruire les
consciences, sensibiliser les gens dans un but un peu plus humanitaire. Comme
il est difficile pour quelqu'un de se croire libre de penser avec tout un
bagage de croyances implanté dans son cerveau. Ces gens sont même incapables
de revenir sur leur idéologie pour se demander s'ils ont peut-être tort. Pas
du tout, et tout jugement par la suite devra aller en fonction de ce savoir
qui ne leur appartient pas. Alléluia ! Fêtons la mort du Christ, puisque
personne n'a compris son message ! J'ai parlé avec Edward. On
s'est répété les traditionnels bonjour et discours presque amoureux, on se
verra vers la mi-avril. Ô horreur, cela est long, mais comme il dit, moi au
moins j'ai Sébastien pour me contenter. J'ajouterais même que je ne devrais
qu'avoir Sébastien pour bonheur. Il disait à la blague qu'un coup à Ottawa il
chercherait un mec avec qui passer la nuit. Je lui ai dit non, eh, il vient
pour moi, pas pour que je souffre de le voir coucher avec un autre. Comme ce
serait cruel, sans perdre de vue que Sébastien ignore cette histoire et
qu'ainsi l'histoire n'est pas encore cruelle. Mais ne sais-je donc pas que je
n'ai rien à attendre dans cette histoire, pas de pitié ni de
compassion ? Sébastien me téléphone pour me dire qu'il m'aime, il est
minuit trente-huit. J'arrête d'écrire, c'est sûrement un signe. Mes opinions changent
comme la température. Une lecture du Voir,
journal de la ville de Montréal, et me voilà converti à la culture
québécoise. Je regretterai un jour de ne pas être passé par Montréal,
peut-être. Quel est ce mythe en moi de voir en Montréal une ville que je
déteste ? C'est le mythe des années 70 je crois, et l'histoire de la
Révolution tranquille qui est difficile à digérer. J'ai idéalisé un faux
Québec, un faux Montréal. Chaque fois que j'y vais je me retourne et me dis,
mon dieu, est-ce possible, une ville si grande et francophone en
Amérique ? Puis c'est l'extase, j'aimerais davantage conquérir Montréal
que Paris, c'est chez moi en fait. Je serais l'élite, bien plus rapidement
que je voudrais le croire. Il faut toujours une élite, mais je ne veux pas en
être. Ni en France ni au Québec. I want to be part
of the "in crowd". J'aime bien Montréal, mais si je veux faire quelque
chose de différent, il est bien de vivre au Saguenay-Lac-St-Jean et à Ottawa.
Je ne suis nulle part, j'appartiens à toutes les époques de la littérature.
Mais je peux tout de même apprécier le talent québécois. C'est le temps que
je fasse mon entrée dans la civilisation si je veux me défaire de mes
préjugés. J'apprécie Ottawa pour son unique caractéristique que, pour une
région de plus d'un million d'habitants, la culture y est complètement
inexistante. Tout provient d'ailleurs, par bribes, Montréal ou Toronto, et
pour peu que l'on lise The Citizen
d'Ottawa et que la sous-culture anglophone ne nous intéresse pas, we are
almost free of influence. Je termine à peine de
visionner le film Pump up the Volume,
film américain, cela va de soi, et j'ai enfin compris le film (c'est la
dixième fois que je l'écoute). La génération X. C'est moi ça ? La génération
X, qui n'a rien à attendre de la politique ni des institutions, mais qui doit
elle-même prendre la voix des ondes, des médias, prendre le contrôle pour à
son tour écraser une génération. J'avais cette impression qu'il était vrai
que c'était à nous d'agir, mais c'est vrai qu'il est impossible d'agir si
ceux qui sont en contrôle ne nous en donnent pas la chance. Mais n'est-il pas
normal de vouloir garder sa place lorsque tout va bien ? Combien d'entre
vous laisseraient leur emploi d'ingénieur pour permettre à un plus jeune de
travailler, même rendu à la limite de l'âge qu'habituellement on croit la
retraite normale ? Personne, c'est normal. Je ne le ferais pas non plus.
C'est donc que nous devons leur rentrer dedans. Prendre d'assaut les marchés,
se bâtir nos institutions, se solidariser, écrire dans les journaux, parler.
Parler à l'autre génération, celle qui travaille et qui vieillit. J'ai
longtemps souffert à lire quelque fois les journaux du Québec et comprendre
que ces beaux articles dénonciateurs des actions anglophones ne seraient lus
que par des francophones. Pendant ce temps les anglophones se délectent de
Mordicai Richler, celui qui dénonce les tares québécoises. Parlons donc là où
il faut. Encore une journée, puis
une autre, puis une autre, c'est merveilleux, le mois est passé à une vitesse
surprenante, tout juste si je me souviens d'avoir dormi. J'ai perdu la notion
du temps, il me semble que cela fait une semaine qu'Edward est parti.
D'ailleurs, dans ma troisième lettre, je lui ai envoyé le poème de Prévert, Les Feuilles mortes. Il écoute sans
cesse la chanson chantée par une femme (ni Dalida ni Montand). Ça c'était le
coup de grâce, il n'y a pas plus belle poésie. Je me suis payé une heure trente
minutes de parlotte au 216 avec Néomie, la fille de trente-cinq ans. La
famille symbolique. La fille qui, à 13 ans, écrit des lettres à Dieu qu'elle
brûle ensuite pour permettre la sublimation jusqu'au ciel. Quelle
intelligence ! Quelle enfant penserait à faire une chose pareille ?
C'est peut-être bien de l'imitation. En fait, la question n'est peut-être pas
à se demander comment une jeune fille peut être aussi intelligente, mais
plutôt, qui peut être aussi innocent dans les deux sens du terme pour agir de
la sorte et montrer l'exemple à une jeune fille qui aurait pu sacrer le feu à
la maison ? J'espère que Dieu a entendu son dernier message :
« Cela ne me dérange pas de souffrir maintenant si après je suis pour
être heureuse le reste de mes jours ». Qu'est-ce que je retiens de notre
conversation ? Elle veut devenir une intellectuelle. Cela m'a obligé à
me demander à moi-même si je désirais éventuellement devenir un intellectuel,
et même, si je ne me considérais pas déjà comme tel. J'avoue que je n'ai pas
trouvé de réponse spontanée à ma question. Le mot possède déjà une
connotation très négative, ça ne donne pas envie d'y être associé ou de s'y
enfermer. Pour répondre à la question, il me faudrait d'abord définir ce
qu'est être intellectuel, et alors là, ça pourrait ouvrir tout un débat. Un
intellectuel, à mon avis, c'est quelqu'un qui va mourir dans ses idées. Mais
peu importe. Chose qu'elle n'avouera pas trop fort, elle veut écrire et en
vivre. Elle est déjà en train d'écrire des nouvelles. Elle tente dans ses
écrits de déconstruire les structures établies. Lesquelles structures ?
Dieu, les religions, les gouvernements, les idéologies, les courants
philosophiques. Il serait plat d'amplifier les structures existantes. Comme
il ne serait pas nouveau d'élaborer davantage un courant existant ou de
détruire certaines structures. Détruire n'implique-t-il pas une
reconstruction ? Je le lui ai fait remarquer, elle m'a dit que non. Pour
l'instant elle en était à la destruction, elle rejette tout. Elle pense qu'elle
se trouvera dans la littérature. Curieusement, c'est après avoir lu La Vie devant soi de Romain Gary
qu'elle a décidé de laisser son mari. Elle a pleuré comme un veau. La même
année la famille symbolique frappait encore, son frère se suicidait le jour de
pâques, à 23 ans, le 3 avril 1983. Sans croire à la chrétienté plus qu'il ne
le faut, il s'abandonne au jour J, celui de la mort du Christ, sans oublier
la trinité. Quel message et quelle matière à penser pour les restes de la
famille ! Tout cela à cause d'un père abusif et d'une mère trop
psychologue. Elle m'a raconté sa mauvaise entente avec sa belle-mère. Elle
lui avait même avoué à la fin qu'elle la détestait peut-être plus qu'elle
haïssait son mari. Aujourd'hui Néomie a apprivoisé sa belle-mère, elle va lui
faire le ménage pour 16 $ l'heure, deux heures par semaine. C'est son
seul travail. Mais pour réussir à apprivoiser sa belle-mère, il a fallu une
cause désespérée, la vieille se meurt d'un cancer. Elle a donc eu besoin de
pleurer dans les bras de quelqu'un, Néomie en l'occurrence. La vie est
injuste, a-t-elle dit lorsqu'elle parlait d'une jeune fille de 22 ans qui
venait de mourir du cancer à l'hôpital. Et par transposition, comme la vie
est injuste de me faire mourir moi ! La vie est-elle injuste ? La
vie est la vie. Néomie a vu, au moins, cinq ou six de ses proches mourir.
Elle a maintenant apprivoisé la mort, qu'elle dit, elle ne s'en fait plus
avec ça. Ce qui me surprend d'ailleurs. Elle est heureuse, dit-elle. Elle
semble heureuse, mais je sais qu'elle doit passer des moments très
difficiles. Mais comme elle dit, il y a eu une métamorphose et je ne saurais
accuser Romain Gary, malgré que moi aussi j'aie pleuré en le lisant.
Curieusement, celui-ci s'est suicidé parce qu'il allait mourir d'un cancer.
La vie est-elle injuste ? La température est à la
pluie, je suis dépressif. J'ai discuté avec Jean, bon dieu, il a couché avec
la moitié des gars de son dortoir au séminaire. De bons souvenirs derrière
des rideaux de théâtre, la nuit dans les dortoirs, mon cœur bat juste à y
penser. Il y en avait un qu'ils dénigraient, ils l'appelaient le fefi, même
s'ils avaient couché avec lui. Joël a de gros remords au sujet de ce gars-là,
de très gros remords. A se demander s'ils ne l'ont pas battu à cause de leur
propre honte. Paraît-il, même un professeur est entré dans la ronde, il l'a
également ridiculisé. Cela me rappelle mon enfance, dont le calvaire a
atteint son summum au secondaire II. J'aurais cependant tendance à dire que
c'est au secondaire IV que le point culmine. J'avais toute la classe contre
moi, on me traitait de cave, de poire, on riait de moi, encore chanceux que
l'on ne m'appelait pas le fefi, encore que j'ignore ce que l'on disait de moi
dans mon dos. On jouait au volley-ball et je n'étais pas si mauvais, une
erreur à l'occasion, cela suffisait à me dévaloriser aux yeux de mes
coéquipiers. L'équipe adverse disait qu'il fallait m'envoyer le ballon pour
ainsi faire le point. Il me fut possible d'affronter ces attaques lorsque
l'on m'envoyait sans cesse le ballon, j'en étais fier, mais après cinq ou six
attaques il me semblait normal de manquer, moi qui n'étais déjà pas très
grand ni sportif, en plus que deux ans auparavant c'était vrai que je n'avais
aucune motivation, mes bras ne bougeaient pas. Eh bien, pas une seule
personne ne m'a épargné son commentaire, sauf deux. Le professeur et Gaétan
Perron, dit le boxeur, celui qui s'est fait sucer par Annie Sesley alors
qu'il était tout jeune, celle qui plus tard me suçait à mon tour. J'avais 15
ans alors, cette relation m'a fait paniquer, peur de ne pas bander, peur du
condom, ça a duré cinq à six mois. Si Gaétan ne prenait pas ma défense, du
moins il me laissait tranquille, peut-être davantage pour cause des lois
inhérentes aux vrais sportifs, comme le respect de l'autre, qu'il se faisait
un devoir de suivre à la lettre. De plus, sa fausse modestie cachait une
forte prétention qui lui dictait de montrer l'exemple, aussi il se prenait
pour la sagesse incarnée. Il n'a cependant pas su résister ce jour-là, il m'a
finalement ridiculisé à son tour devant tout le monde. Je lui ai dit sur
place, je lui ai fait remarquer sa déviance, le seul que je me suis senti
obligé de lui dire, il en a eu des remords. Après le cours il est venu
s'excuser, il voulait me serrer la main. J'ai peut-être manqué ma chance de
m'en faire un ami, peut-être aurait-il prit ma défense ensuite, mais je n'y
croyais guère, du reste je n'en avais nul besoin. Parfois l'indifférence fait
encore plus mal que la mauvaise action. Y a-t-il un seul prof qui s'est levé
pour arrêter la destruction qui me rongeait, pour dire que cela
suffisait ? Jamais en cinq années de secondaire. Ah si, une fois ou
deux, lorsque le mouvement était trop généralisé et que l'intervention
devenait une obligation. Donc pas pour ma défense, mais pour l'ordre et le
contrôle. C'est un mouvement comme celui-là qui prenait place ce jour-là,
mais le professeur a fait bien pire que ce à quoi j'osais à peine espérer, il
m'a carrément abaissé, ridiculisé devant tout le monde, me criant que j'étais
cave. Injuste monde. Ainsi il n'y aurait plus de salut extérieur. Alors
lorsque Gaétan s'est approché pour s'excuser, ma réaction fut spontanée,
comme si n'ayant plus rien à attendre de rien, aucun pardon n'était possible.
Il m'avait abaissé, qu'il vienne s'excuser ensuite ne change rien à son
action, il ne reprendra pas l'humiliation que j'ai subie sur le coup, encore
que, un élément d'un groupe qui t'humilie ne devient-il pas secondaire ?
Non. J'ai refusé de lui donner la main. Il m'a répondu que je venais de
construire un mur entre nous. Je lui ai rétorqué que je me demandais bien qui
l'avait construit ce mur. Alors on a vu sa nature et sa motivation, il a dit
que cela ne le dérangeait pas, qu'il serait gagnant en bout de ligne
puisqu'il avait plus de popularité que moi. And so what? Je lui ai dit :
« C'est pas parce que ta photo est chaque semaine dans le journal Le Réveil de Jonquière que tu vas
commencer à te prendre pour un autre ». Cette phrase pourtant banale l'a
bien ébranlé. Un de ses amis est allé le voir ensuite et lui a dit que je ne
valais pas la peine que l'on se tracasse à mon propos, que j'étais un moins
que rien autrement dit, une forme inférieure d'humain. Aucune conscience. Le
pire, le seul qui avait une conscience, je l'ai atteint en plein cœur, il a
payé pour tous les autres. Est-ce que je regrette ? J'aurais dû accepter
ses excuses, cela m'a semblé trop facile pour lui de m'humilier aux yeux de
tous et venir se faire pardonner ensuite à l'insu de tous. Mais on aurait
bâti l'avenir sur une note positive et cela importait peut-être davantage. Et
Jean qui a des remords encore aujourd'hui à propos du séminaire, les autres
en auraient-ils aussi ? J'en doute et je m'en fous. Une des conséquences
directes de ce calvaire c'est le repliement sur moi-même, ma nonchalance, mon
insolence, et surtout, ma prétention. Cette dernière est nécessaire, sans
elle j'aurais perdu toute confiance ou espoir et je me serais suicidé. J'ai
plusieurs fois pensé le faire, réfléchi aux moyens. C'était amplifié en plus
par le fait que j'étais homosexuel et que je croyais être seul au monde, ou
que je mourrais seul dans mon coin car jamais je n'aurais eu le courage d'en
parler ou de me renseigner. Et comment aurais-je pu, avec la mentalité
sociale actuelle. Il en faut du courage, je vous jure. Notre conversation au 216,
quel calvaire ! Je souffre en collectivité, je souffre. Je pense que ces
derniers temps je me suis trop mêlé de choses et événements extérieurs, il me
faudrait revenir à moi-même. Je pense étrangement à Edward, je m'ennuie
vraiment. Je constate que le printemps m'affecte en rapport à Sébastien. Je
me rappelle les événements des deux printemps passés où il m'a carrément
laissé là. Mais je vois aussi l'après, l'été où il était beau en bermudas et
t-shirt, ça me revigore un peu. Je voudrais le voir ce soir. Mais j'aimerais
me retrouver dans les bras d'un autre. Je me sens vraiment mal, j'ai des
remords parce que je ne vais pas travailler ce soir. J'ai déporté ce soir à
lundi prochain. Mais je n'aurai pas le temps de travailler lundi prochain,
trop de choses à faire. I better go to work tonight. Vanvinburène first. Je
pense que je ne vais pas être en mesure de survivre au cours de Mme Bourdon.
Lundi je manquerai le cours de Mme Couture, ainsi je respirerai un peu. Il me
faudrait finir la session comme je l'ai commencée, manquer les deux dernières
semaines. Je vais manger du pain ce soir. Cela fait au moins deux mois que je
n'ai pas fait d'épicerie. Je n'ai plus rien à manger, j'ai même dégusté une boîte
de fèves à la sauce tomate, découverte dans le fond de l'armoire à ma grande
stupeur. Elle devait traîner là depuis au moins trois ans. A vrai dire je
n'ai pas faim. J'en arrive à ma dernière tasse de café ce soir, je vais me
mettre au thé. Jamais je n'aurais cru être capable de survivre aussi
longtemps sans faire l'épicerie. Ce qui est bien là-dedans c'est que je n'ai
plus besoin de faire attention à ce que je mange, je n'ai pas le choix. J'en
ai terminé avec les cannes de soupe bizarre et le riz. C'est avec mon dernier
dix dollars que j'ai acheté du lait et un pain hier, c'est presque le
bonheur. J'apprends à apprécier des choses aussi futiles que le pain alors
que je n'ai plus rien à mettre dessus. Je n'ai plus aucune motivation. C'est
l'heure des deadlines. « A l'intérieur,
c'est plein de papillons », l'homme est en amour. Drôle d'expression.
Moi ma bedaine est pleine de chenilles ! Il me faudrait faire une
kermesse pour les métamorphoser en papillons. Jean aussi écrivait des lettres
à la Vierge Marie et les brûlait. C'était donc une pratique courante. Je suis
dans le cours de la Bourdon, de tous les livres qui ont fait l'objet d'un
exposé oral dans ce cours, les deux tiers portaient sur l'infidélité et
l'autre tiers l'avait en thème secondaire. Même mon sujet, L'Immortalité de Kundéra, parle de ça.
C'est une constante qui reflète bien la conscience d'une collectivité. Tout
le monde se trompe l'un l'autre et en souffre. Si je devais me faire un
nouveau copain, je crois que ce serait clair dès le début : je ne vais
pas chercher à coucher avec d'autres, mais si le contexte s'y prête, je ne
pourrai et voudrai résister. Ainsi il n'y aura plus de mensonge ni de
remords. La collectivité pourrait-elle en venir à ça ? Non, ça sonne
trop immoral une relation ouverte, c'est le chaos pour eux. Imaginons un
instant une société qui accepte la relation à droite et à gauche, avec plus
aucune stabilité « apparente », en une activité bien au-delà du
message religieux. Peut-être un jour en serons-nous là, même si tout le monde
couche déjà avec tout le monde, même les plus chrétiens. Il faut le dire,
c'est une manie chez les humains de tenter de se rendre coupable et de se
faire du tort mentalement, sans raison. On aime ça la flagellation
psychologique, on est masochiste. Si je pouvais tuer, je
tuerais ! Je peux tuer, je tue, je tue le Vanvinburène ! Ah, tout a
été très bien organisé. Je le rencontre au Pivik, le monsieur me fait une
remarque, cela lui permet dans son bureau de me dire qu'il m'avait averti « à
plusieurs reprises ». J'ai cinq travaux en retard ? Oui, mais la
moitié du groupe a en moyenne deux à trois travaux en retard aussi. Monsieur
est fier de son calice de programme informatique supposé nous aider à
apprendre la grammaire, je viens de perdre six heures à chevaucher à travers
les bugs pour rien ! Six heures à jeter au feu ! Avec aucune preuve
de combien de temps j'ai fucké là-dessus ! (Là, j'ai déchiré la feuille
sur laquelle j'écrivais et tout le monde me regarde dans l'autobus, je suis chaque
jour plus près de l'asile.) Je me suis trompé à propos de
M. Vanvinburène. Il ne me demandera pas trois mois de travaux
hebdomadaires en retard, il m'a clairement spécifié qu'il allait me faire
couler. Me voilà donc dans la même situation qu'Anne-Marie Grenier lorsque je
lui ai dit que c'était normal qu'elle coule le cours de M. Villeneuve si
elle n'y avait pas été une seule fois. Il me faut donc comprendre que je
mérite de reprendre un cours cet été. Qu'est-ce que j'en ai à foutre ?
Son cours de trois heures qui m'en semblait six, qui était mon quatrième
cours de la journée et mon sixième cours de la session, il m'était impossible
de passer au travers. Même les larmes ne lui font pas. Je lui ai raconté une
histoire à pleurer, comme quoi je travaillais trente heures par semaine, je
lui ai dit aussi que j'avais des problèmes personnels, il m'a répondu que ce
n'était pas ses problèmes. Je vais répliquer avec une lettre. Le salaud, il
m'a si bien jugé à partir de son cours qu'il m'a carrément dit que je n'étais
pas prêt pour la maîtrise. Qu'il aille chier, cela fait je ne sais plus
combien de cours que je souffre, avec tout de même de bons résultats.
Qu'est-ce qu'il en sait ? Il serait capable de parler contre moi au
département. J'aimerais bien qu'ils me refusent et que la Sorbonne m'accepte,
cela montrerait tout leur syndrome du professeur un peu frustré, qui exige
alors que c'est nous qui payons et qui s'endettons. Eux, ils ont eu l'école
gratuite en France. Il fallait travailler dur pour passer à travers une
année. C'est pas comme ça que ça marche en Amérique ! Ici, avec
l'argent, il faut quelque chose au bout ! Surtout lorsqu'il s'agit d'une
hypothèque dont le montant sera quadruplé avec les années ! Retour sur le 216.
Everything makes me sick. Je suis tellement malade ! Dans la tête aussi.
Je ne serais pas surpris que l'on finisse par m'enfermer. Jean s'est mis à
pleurer « comme un bébé » avant-hier au travail. Est-ce si
difficile cette passion pour Jake ? Prétextant l'école, il a fait une
méchante crise. Ainsi tous les étudiants sont dans la même situation. Mais
moi je ne pleure pas, je chante et je ris ! Puis je retombe en amour
avec Sébastien. Hier c'était incroyable, il est beau, il a son charme, ce
n'est pas pour rien que cela fait deux ans et demi que l'on est ensemble. Je
regarde par la fenêtre, j'aurais envie de partir dans le ciel, mais je
m'écraserais sur le trottoir. Pourquoi ? A cause de mes problèmes de
conscience, pas Sébastien, mais mes travaux d'école. Que la vie peut être
exécrable parfois, et fort souvent. Je regarde les édifices, cela
s'écroulerait et rien ne changerait, il me faudrait tout de même lire 2000
pages et en écrire une centaine d'ici mercredi prochain. Le 216. Adeline, un
intérêt plat. Néomie, une crisse de fatigante. Nathalie ? Si j'étais
straight elle serait conquise et je serais heureux ou malheureux avec cette
fille. Je suis homosexuel, un intérêt plat. Stéphane, lui il vit dans un
autre univers, pas mal plat. Le
« beau-presque-gros-hétérosexuel-white-man-with-his-girlfriend »,
je ne connais pas son nom, son pseudonyme en dit suffisamment long pour
justifier mes vomissements. La vie de tout le monde me fait dégueuler ! Je souhaiterais n'avoir
jamais entrepris l'étude de la langue française, il n'y a pas pire calvaire
sur la planète. Si je passe à travers ma session, je jure de remercier le
ciel et d'écrire une lettre au bon Dieu pour le remercier. Une lettre à la
Terre en l'occurrence, il me faudra donc l'enterrer au lieu de la brûler.
Bof, je vais la brûler, les cendres ou les molécules transformées risquent
davantage de retomber sur la Terre que d'aller au ciel. Quand je dis qu'il est temps venu de m'enfermer. Dear
God, do something or I'm gonna kill someone! I am not going to wait until
they figure out I'm crazy, OK? I want to see Sébastien! Sébastien Sébastien Sébastien
Sébastien Sébastien Sébastien Sébastien! Jean a des problèmes
psychologiques. Il n'arrête pas de faire des clins d'œil. C'est très
significatif. Un clin d'œil inspire une complicité, une relation privilégiée,
mais après le cinquième clin d'œil, la séduction se transforme en analyse ou
en colère de ma part. Aujourd'hui c'est l'analyse : il a des problèmes
psychologiques. Le pire c'est qu'il n'est pas si laid, beau même, mais tant
qu'à coucher avec lui j'aime autant Sébastien. Je ne pense pas être porté
vers l'infidélité généralisée, pas encore du moins. Tout le monde a-t-il son
petit Jake qu'il souhaite tenir dans ses bras éventuellement et se rend
malheureux pour ça ? C'est déjà bien assez. Encore une semaine de cours
et je serai déjà plus libre. Quatre jours de congé cette fin de semaine, vive
la mort du Christ ! Après la session, j'aurais envie de tout abandonner
et faire comme si je n'avais aucune éducation. Partir de par le monde, me
perdre dans les taudis, les lits d'étrangers, communiquer avec l'ensemble.
Paris sera un pas de plus vers cette liberté. On est encore mardi. Je ne
pense pas que je vais survivre. Je me suis couché à quatre heures du matin,
levé à sept heures trente. J'ai travaillé pour Vanvinburène comme un malade.
Trois jours pour compléter trois mois d'études, il faut qu'il accepte mes
travaux, j'ai même été raconter de la broue au médecin pour avoir un billet
médical. Je vous jure que cela était un tour de force. Combien cette
consultation éclair coûtera aux contribuables ? Les médecins ne sont pas
payés à l'heure, ils sont payés à la seconde, au mot prononcé. En plus il me
faudra encore passer au travers un dernier mardi la semaine prochaine.
Vais-je survivre ? En plus de mon exposé pour Lemay et mes six travaux
longs à remettre. Quel calvaire ! Cela va-t-il finir ? Victoire le
Vanvinburène ! Il m'a fait peur pour rien. Je n'ai qu'un exercice de
plus à faire, une aberration ! Quoi ? Un étudiant manque plus que
les trois quarts de ses cours, fout rien de la session, ne remet aucun de ses
travaux, des rares fois où il vient il fout le camp à deux reprises lors de
la pause, et il réussira avec B ? Ça me rappelle le cours avec M. Dubois
sur Anne Hébert. J'ai dû assister à quatre cours sur vingt-six, fini avec un
A. Jusqu'où puis-je pousser l'audace ? Next level: comment m'abstraire
de mes travaux finaux en soutirant tout de même de bons résultats ? Cela
me tente de dire que dans la vie il y a toujours un moyen de s'en sortir. En
insolent je dis : donnez-moi ce que je veux, et on me le
donne ! Maintenant je dois cependant travailler sur mes travaux finaux,
never stop, never enough, until death, courage, c'est la fin. Ce cours de
trois heures est un vrai calvaire. J'ai bien envie de ne pas y aller au Vanvinburène
la semaine prochaine. Je veux partir sur une
brosse de malade, me saouler au possible ! Encore deux semaines à vivre
sans sou. J'ai fait une grosse épicerie de 20 $, en une journée j'aurai
passé au travers. Avant-dernier jour de mars. Sébastien est inquiet que je
pourrais partir pour Paris et qu'on se laisserait. Peut-il être si
aveugle ? N'a-t-il pas compris que si je suis capable de prendre une
telle décision c'est que quelque chose a changé ? J'y vais avec le
sourire à Paris, avec la nette intention de rencontrer quelqu'un sur place.
Moi, un an sans affection ? Incapable. Comme ce serait cruel de laisser
croire à Sébastien que je sors avec lui pendant que j'ai quelqu'un en Europe.
N'ai-je donc plus de sentiment pour lui ? On a fait l'amour ce matin, on
ne l'aurait pas fait et ce serait du pareil au même. Il est beau, mais il
m'excite moins. Mais Edward non plus, je l'ai finalement oublié. La vie
scolaire du département et la pensée d'aller à Paris, cela me nourrit
amplement. Mais peut-on voir clair pendant le mois de mars ?
Spécialement à la fin ? D'autant plus que, par expérience, il déborde
dans le mois d'avril. Que je suis las, las de tout. La vie me traverse sans
que je ne m'en rende compte. Je prends des décisions directement par la
raison je serais porté à dire, mais c'est le cœur. Je suis en amour avec
Paris, le même sentiment que lorsque je voyais mon départ pour Ottawa comme
une délivrance. Un sentiment plus fort, parce que j'étais davantage au
désespoir en ce temps. Je souhaitais qu'Ottawa soit une délivrance sans y
croire assurément. En fait, Ottawa fut une délivrance. Qu'ai-je à attendre de
Paris maintenant ? Transition, constamment en transition, transition
encore et encore. Murielle veut laisser son
copain, le summum est atteint, elle va sortir de son marasme. Elle compte
beaucoup sur moi, c'est moi qui lui aurai tout conseillé : de le laisser
là, de déménager, de trouver quelqu'un d'autre. Peut-être ne se
rappelle-t-elle pas qu'à l'origine c'est moi qui l'ai encouragée à déménager
de chez elle et d'aller demeurer avec Marko ? J'ai de la misère à
m'avouer cela, on devrait moins écouter ses amis je crois. Ne pas sous-estimer
l'influence parentale, les pères de famille continuent à promulguer des
valeurs effrayantes et désuètes issues de religions bizarres. Le père de
Marko traite son fils de lâche parce que c'est lui et non sa copine Murielle
qui se lève pour aller chercher une tranche de pain. Ça fait peur. On a parlé avec la grosse
Josie, celle qui est lesbienne. Qu'elle est fatigante, elle m'a fatiguée.
Sucer mon énergie. Me racontant que ses goûts c'était notre professeur de
théâtre Camille Couture. Qu'elle la voyait très bien habillée en cuir avec le
fouet (moi aussi je le vois très bien ça). Elle crie son homosexualité comme
ça, sans complexe, comme Jean. Une fille dans son cours aujourd'hui lui a
carrément demandé s'il était homosexuel - avec son foulard rose,
fallait bien s'y attendre - eh bien il lui a répondu que oui. La
fille s'est mise à le crier à tout le monde. Bravo, et moi là-dedans ?
Tout le département est-il maintenant au courant ? Sûrement. Si le Parti
réformiste de l'ouest venait à prendre le pouvoir, je ne serais pas long à
traquer, on me jetterait vite en prison. A moins qu'ils mettent à exécution
leur projet de réinstaller la peine capitale, on me décapiterait donc. A
moins qu'ils n'aient déjà pensé à la chambre à gaz, et pourquoi pas le four
crématoire comme les Nazis, ça au moins ça vaut la peine, on y passe en
série. Premier avril, mon
calvaire se terminerait-il aujourd'hui ? La descente aux enfers
commence. Je croyais avoir vu mon calvaire de près, je me trompais. Hier au
lit chez Sébastien j'ai eu l'idée, et personne ne me dira si c'était une bonne
idée ou non, de regarder les numéros de téléphone des gens qui avaient
appelé. Je le fais parfois non pas pour vérifier ou surveiller des choses,
mais parce que c'est un gadget intéressant. Je ne demande jamais à Sébastien
à qui sont ces numéros. Mais cette fois un numéro qui commence par 567,
c'est-à-dire dans le secteur autour de l'Université d'Ottawa ou downtown,
avait la mention 24, ce qui signifie que la personne avait appelé 24 fois.
Même moi n'avais téléphoné que quatre fois. J'ai demandé comme ça à Sébastien
qui c'était, sans trop m'attendre à de réponse. Je ne lui demandais pas plus
que ça d'informations là-dessus, je pensais même que l'appareil était
détraqué. Je tremble au moment où j'écris ces lignes, comme hier. Sébastien
m'a alors dit qu'il ne savait pas qui c'était. Puis tout à coup il m'a avoué
que Luk avait trouvé son numéro dans l'annuaire et qu'il n'arrêtait plus de
l'appeler depuis. D'accord, cela ne me dérangeait pas. Mais il avait sur le
cœur cette chose qu'il devait m'avouer, alors il m'a dit avoir rencontré Luk
à l'Université d'Ottawa et qu'ils étaient passés à son appartement. Sébastien
s'excusait, s'excusait de ne pas me l'avoir dit. D'accord, je m'en
fous ! Mais j'ai bien compris qu'il avait davantage de choses à se faire
excuser. Il m'a enfin dit ce qu'il avait à dire : Luk lui aurait sauté
dans les bras, puis s'est frotté contre Sébastien. Un peu plus tard il avait
même frotté la mauvaise place, bien qu'ils étaient habillés. Je voulais
mourir. J'ai eu beau me dire que j'avais fait pire avec Edward, impossible.
Je tremble en ce moment, je tremblais là. Je suis allé à la salle de bain.
Maintenant j'essayais de voir jusqu'où c'était allé. Eh bien Luk avait ouvert
ses pantalons, puis avait ouvert ceux de Sébastien. Ils se sont masturbés,
ils sont venus. Ils ne se seraient pas embrassés. Je suis retourné à la salle
de bain. Cette épreuve fut pire que celle de ma propre infidélité. Je n'ai
point été capable de le juger, étant dans la même situation. Je ne lui ai
pourtant pas dit l'histoire avec Edward. Car alors il n'aurait plus été à New
York, n'aurait plus parlé à Edward, Ed m'en aurait voulu et n'aurait pu
revenir à Ottawa. Si l'épisode d'Edward ne s'était pas produit, la rupture
entre moi et Sébastien aurait été instantanée. Aucun pardon possible. Sans
compter cette peur qu'il recommence, qu'il couche avec Luk en cachette,
double relation humiliante. Edward est loin, lui. Même s'il ne l'était pas,
je ne suis pas certain si je voudrais coucher avec lui. Sébastien me dit
qu'il ne veut plus recoucher avec Luk, il le connaît maintenant, il n'est pas
si bien. Jusqu'où vont les mensonges ? Cela m'a pris deux heures pour
arriver à connaître la vérité, sans quoi, sot que je suis, je ne saurais que
l'aspect visite chez Luk. Je l'ai poussé en prenant pour acquis dès le début
qu'il avait couché avec l'autre. Ainsi, avec 24 appels, peut-être que la
rencontre à l'université est une invention ? Sébastien est tout
simplement allé directement chez Luk, sachant exactement ce qu'il allait y
chercher ? Je les ai bien vus au Tactiks, j'ai alors souffert de les
voir ensemble, ils m'ont, comme par hasard, perdu dans la brume pendant
quarante-cinq minutes. D'autres mensonges ? Ils vont recoucher ensemble,
c'est certain. L'autre continue d'appeler sans arrêt, ils discutent sûrement,
on ne couche pas avec quelqu'un sans développer une sorte de complicité. Et
ainsi, moi et Sébastien, sommes aussi pire que tout le reste. Je vois la similitude
entre mes actions et celles de Sébastien, elle est significative à plusieurs
niveaux. Premièrement elle signale un problème dans notre relation. Ou du
moins un désir de voir si la relation existe bel et bien ou si son avenir est
à remettre en question. Deuxièmement, j'ai souffert tout le mal que je cause
ou pourrais éventuellement causer à Sébastien en couchant avec Edward. J'ai
tant eu mal que je ne lui dirai pas pour Ed. Mieux vaut lui éviter cette
crise, même si cela pouvait le soulager de comprendre qu'il n'est pas seul à
avoir triché. Sébastien se considère de bien supérieur à Edward, à la limite
cela passerait mieux pour lui. Moi ça m'a détruit complètement. Il se
pourrait que Luk soit plus beau que moi aux yeux de Sébastien. Mais pourquoi
donc ne s'est-il pas arrêté ? Plus fort que lui ? Pourquoi
jouait-il tout son avenir avec moi ? Pensait-il trouver mieux en
Luk ? Les mêmes questions à propos d'Edward deviennent intéressantes.
Pourquoi donc ne me suis-je pas arrêté ? J'ai tout fait pour arrêter,
cela ne s'est pas fait spontanément, ça a pris deux ou trois heures avant que
je tombe dans ses bras, après avoir tant voulu ne rien faire. Sébastien n'a
eu les remords qu'après avoir éjaculé. N'a pas hésité une seconde avant de
passer à l'acte. Lequel est mieux ? Moi qui ai eu le temps d'y penser,
d'en prendre conscience, ou lui qui n'a pas réfléchi, geste spontané ?
Mais moi je voulais connaître ce que c'était qu'un autre homme, cette
expérience qu'il me manquait mais que lui a déjà bien expérimenté avec ses
dix à quinze derniers partenaires, à moins que ce ne soit davantage, je le
crois bien maintenant. Que tout est à remettre en
question ! Comment le laisser ? Impossible. Comment l'aimer ?
Difficile. Comment lui faire confiance ? Quel calvaire. Comme cela
soudainement m'ouvre toutes les portes vers l'infidélité en série. J'ai
téléphoné le jeune Neil, avec espoir de le voir, même s'il ne m'intéresse
pas. Le gars de 16 ans est retourné vivre chez son copain Mark (qui le trompe
avec son colocataire d'ailleurs) et est revenu à ses habitudes pantouflardes,
son copain ne lui laissant aucune liberté. J'ai bien regardé Nick, jamais je
n'aurais le courage de lui sauter dessus comme Luk a fait avec Sébastien. Et
pourquoi vouloir détruire sa relation avec Jim ? En plus, ce dernier en
viendrait à le savoir, l'honnêteté de Nick n'est plus à prouver, on me
jetterait à la rue. Ah, je ne veux rien savoir de personne. Mon sentiment est
la jalousie. Moi aussi j'aurais aimé le faire avec Luk, on aurait même pu le
faire à trois. Comme cela aurait été plus facile à digérer. Mais les choses
se sont passées pour multiplier les parallèles et me faire comprendre les
implications de ma relation avec Edward. Puis-je en vouloir à
Sébastien ? Je lui en veux, comme il m'en voudrait s'il savait. Lorsque
j'imagine la fameuse scène, j'ai envie de pleurer. Semble que je l'aimais le
Sébastien. Moi qui me suis tant posé la question. Je suis certainement voué à
la dépression jusqu'à la fin du mois d'avril. Après le soleil ne se montrera
guère. Je ne sais plus où j'en suis, je ne sais plus ce que je veux, je ne
suis plus en état de penser. Je savais qu'en passant au
Centre universitaire j'allais rencontrer Luk Strange (tu parles d'un nom
bizarre). Un autre tour de force, j'ai son numéro de téléphone. Je lui ai
donc parlé, dit que je savais ce qui s'était produit, raconté un peu la
situation, voir s'il n'en ajouterait pas quelque chose. J'ai appris entre
autres que Sébastien savait ce qu'il allait chercher dans l'appartement de
Luk, qu'ils en avaient donc parler de faire l'amour avant, et qu'ils allaient
là pour coucher ensemble. Mort. Ce n'était donc pas un coup de tête,
Sébastien n'a pas été pris par surprise, cela a probablement duré plus que
quinze minutes. Avait-il besoin de me comparer avec le jeune Luk, puis ayant
découvert que j'étais mieux, le voilà revenu ? Comment cela ne me
ferait-il pas avoir envie de courir loin de Sébastien, en dépit de ce que
j'ai fait avec Edward. Je prends cela tel un rejet, comme s'il ne
m'appréciait plus, ou avait des doutes. Il m'est donc difficile de continuer
cette relation. A avoir couché avec Edward, je gardais une complicité avec
Sébastien. Maintenant, que j'aie couché ou non avec Ed, la complicité est
rompue. Sébastien se place au même niveau que tous les autres, il ne
m'appartient plus, je ne lui appartiens plus. Bon, Sébastien a désiré
Luk au même point que moi j'ai voulu Edward. Je commence à accepter ce fait.
J'espère que cette idée de sauter dans la rue et rencontrer cette personne
magique me passera. Hier j'ai couché avec Sébastien. Il est vraiment beau.
Plus beau que n'importe qui. Qu'ai-je donc à vouloir aller ailleurs ?
J'ai éjaculé trois fois dans la même demi-heure. En ces temps ça veut dire
que je suis en manque. Je vais m'orienter vers le retour complet avec
Sébastien. Je ne vais pas chercher à coucher avec Edward s'il revient. Si
cela arrive, cela arrivera, mais je ne ferai pas d'efforts en ce sens.
Alléluia, Dieu me guide enfin sur le bon chemin. Je serais stupide de le
croire, d'autant plus que je suis toujours homosexuel. Mais les gens perdent
leurs proches dans des incendies et accidents d'auto, puis réussissent tout
de même à glorifier Dieu ensuite. Prétextant peut-être la grâce de ne pas
avoir été frappé à la place de l'autre ? Ce qui serait déjà très
égoïste. Ou prétextant que les choses devaient se passer ainsi. Sans
comprendre pourquoi, sans même se poser la question. Moi je m'exerce à voir
les conséquences de tels événements et j'essaie d'y voir du positif.
Peut-être pour me contenter, qui sait ? Mais à croire à un genre de
destinée, à agir en fonction de cela, voilà déjà un certain contrôle sur
l'existence. Pourrais-je le croire ? La vie n'est qu'une série
de formalités auxquelles on se tue pour arriver à s'en sortir. J'ai passé
l'avant-midi, de 7h à 9h, à aider une amie chinoise, Wong Inan, à comprendre
son français. Puis j'ai passé une heure à chercher des papiers qui
indiquaient le nombre d'heures que j'avais travaillées voilà trois mois.
L'assurance-chômage, à laquelle j'ai rempli plus de formalités qu'un premier
ministre n'en remplit en cinq ans, a bloqué quelque part. Cela fait depuis le
22 novembre que j'essaye d'avoir de l'assurance-chômage et on appelle cela
une sécurité sociale ? J'ai eu le temps de mourir de faim trois
fois ! Ensuite je suis passé à leurs bureaux de 10h à 14h. Encore une heure
à l'Ambassade de France, des tas de formalités qu'il m'est impossible de
remplir, tant d'efforts pour rien ! Les universités de Paris me
renvoient tous les papiers que j'ai tant eu de peine à amasser, ne me disent
presque rien, je dois déduire leurs petits dessins et flèches sur des
feuilles d'informations générales. Au moins ils me répondent, mais je passe
quelques heures avec Mme Madamours à l'ambassade à essayer de figurer it all
out. Le gouvernement canadien, lui, réussit à m'oublier dans ses dossiers
informatiques et j'ai de bonnes raisons de croire qu'il fait exprès. Sont pas
là pour nous aider, mais nous achever. L'altruisme ne devrait-il pas
commencer avec les institutions gouvernementales ? Mais bien sûr que
non ! N'est-ce pas dans ces endroits que l'on tâte le pouls de la
collectivité ? Il m'aurait fallu une arme pour aller là, seul moyen pour
qu'enfin on agisse. Le seul problème c'est que l'on agirait très vite, pour
m'emmener en prison. J'ai donc manqué le dernier cours de M. Fortin, fuck it.
Trente minutes en retard au cours de la Bourdon, je dois aller la convaincre
de me laisser une prolongation pour le travail sur Ducharme. Ce qui est un
autre tour de force. Ma vie n'est qu'une série de tours de force de calvaire,
mon but consiste à m'enfoncer dans un trou le plus possible, puis tout faire
pour m'en sortir avant d'en crever. Si je réussis à faire les travaux de mes
six cours, tout sera, je l'espère, enfin fini. Mais je n'y crois guère, à la
dernière minute une soucoupe volante détruira mon diplôme qui de toute
manière ne vaut absolument rien. Un diplôme de quatre années d'études à
l'université en littérature ? Bullshit, on ne se trouve même pas un
travail, et si oui, à salaire minimum. En fait, ce diplôme n'est qu'une
formalité pour m'ouvrir à la multiplicité des formalités, mais à Paris. Eh
bien, si cela m'ouvre la porte, allons-y ! Ce n'est plus le Sébastien
qui m'empêchera d'agir. Même si notre relation is not an open relationship,
it will be a hidden open relationship, car je ne m'inquiète plus pour lui, il
ne passera pas un an à m'attendre à se masturber, il agira. J'accepte tout ça. I must be very « strange »
right now. Mais
mon dieu, quel calvaire, ce mois de mars-avril me semble être le pire qui me
soit arrivé depuis quatre ans. Quatre mars en ligne d'enfer qui débouchent
dans le mois d'avril. « Est-ce que j'en sortirai grandi ? »,
pour reprendre les Rita Mitsouko. Il me faut encore passer au département
vérifier mes horaires d'examens, puis passer au travail clarifier mon horaire
pour les trois prochaines semaines, puis retourner chez moi lire Hermann
Broch, La Mort de Virgile, j'ai un
exposé oral de quarante-cinq minutes à faire demain matin. Je souffre. Je panique. Je semble accepter
l'idée de retourner avec Sébastien à 100 % et je ne me méfie pas
suffisamment. Avant-hier on arrive chez lui à minuit trente, le téléphone
sonne, c'est Luk. Quelle dépression. Mais le meilleur c'est hier. Moi et
Sébastien nous nous sommes rencontrés pour aller prendre un café. Mais voilà
qu'il veut absolument passer par le Centre-Rideau alors qu'il fait si beau
dehors. En plus, il insiste pour passer par le Eaton. Cet endroit me fait
chier parce qu'il y a tout plein de gays qui travaillent là ou à La Baie, et
en ce moment ça m'est un supplice d'en rencontrer. Mais enfin, on est passé
par là et devinez qui on rencontre ? Luk ! A croire qu'il était là
pour draguer, c'est peut-être là qu'ils se sont rencontrés. Sébastien voulait
se cacher, j'ai dit que ça ne donnait rien, il nous avait déjà vus. Mais Luk
a vite tourné, il a pris l'escalier roulant qui montait. Le pauvre, il s'est
probablement retrouvé à la morgue d'Eaton, l'endroit où l'on place les choses
invendues depuis des millénaires. Sébastien se demandait comment il pouvait
être si peu chanceux. Il y a de la destinée là-dessous, je l'ai compris qu'il
y avait un message à comprendre. Mais lequel ? C'est moi la cause de ces
stupides situations, quelle humiliation qu'il faille fuir en ma présence ou
se cacher pour cause de ma présence. Si je n'avais pas été là, ils se
seraient parlés sans problème, peut-être même seraient-ils retournés à
l'appartement de Luk. Le trompé doit être tenu dans le noir, l'ignorance des
événements. Se parlent-ils encore ? Ça va toujours en deux temps en
plus, et moi, toujours avant. Sébastien m'a trompé ? Je l'ai devancé de
deux semaines. Luk téléphone en ma présence ? Edward m'a téléphoné chez
moi deux heures avant en la présence de Sébastien. On rencontre Luk ?
Deux heures avant on rencontrait le petit gars timide sur le campus qui me
fait des sourires imperceptibles que je perçois. Je l'ai conté à Sébastien
ça, il ne m'en a même pas reparlé. Sébastien pense que je vais le tromper
bientôt et il accepte cela, même s'il m'a avoué qu'il souffrirait. Or, je
n'ai pas l'intention de le tromper finalement. Hier j'ai parlé avec
Edward, il est allé à Montréal comme prévu, a rencontré un gars au K.O.X., a
passé la journée du lendemain avec lui. Ses idées sont : suis-je bien
gay ? suis-je amoureux ? J'avais osé lui dire un petit je t'aime
l'autre jour, tout de suite réprimé. Hier il me disait un gros :
« Roland, je t'adore ! » N'a-t-on pas sauté une étape
ici ? Pendant que je l'oubliais, car pas de photo, pas de lettre et pas
de communication, lui il se rapprochait de moi d'une façon radicale, en
traînant partout ma photo découpée et mes lettres qu'il relit sans cesse.
Résultat, il vit dans mes émotions, mais dans celles de voilà un mois !
Il veut venir cette fin de semaine, j'appréhende les complications. Sébastien
est en pleine crise existentielle. Celui-là vit aussi dans mes émotions, mais
dans celles du mois d'octobre prochain. C'est-à-dire mon hypothétique départ
pour Paris, peut-être synonyme de la fin de notre relation. Il n'y a que moi,
semble-t-il, qui ne vive pas dans mes émotions. J'ai relu la troisième
lettre postée à Edward, je viens de me rendre compte de la séduction que je
lui ai fait subir. Le pauvre, pour peu qu'on se laisse séduire et que l'autre
n'est pas si repoussant, on est foutu. Trois grandes lettres de fleurs, une cassette
de chansons françaises dont une qui fera office de chanson commune à notre
relation (Les feuilles mortes se
ramassent à la pelle). Le voilà séduit au sang ? Ce qui me vaut la
multiplication de ses appels, il veut m'entendre lui reconfirmer mon amour :
« Roland, je t'adore ! » Il va finir par me séduire aussi à
force de me répéter combien il ne pense qu'à moi. J'ai eu le temps de m'en
détacher, voudrais-je souffrir davantage ? Que ma vie s'en va chez le
diable ! J'ai avoué à Sébastien que j'avais couché avec Ed. Ma
motivation ? Après avoir vu le film de Denys Arcand, Love and Human Remains, je me sentais
si bizarre... de toute manière ça n'allait plus. Je n'étais plus capable de
dire à Sébastien que je l'aimais. J'avais toujours ces arrière-pensées pour
chaque parole qu'il me disait : « Je t'aime ! ». Je
répondais dans ma tête : « C'est ça, fais-moi croire ».
Lorsque je lui ai dit que je l'avais trompé, dans mon lit, ô ironie, il se
demandait s'il fallait rire, pleurer ou se suicider. Puis il m'a sauté dans
les bras après s'être déshabillé. Je n'avais pas envie de faire l'amour. Je
lui ai dit ça comme si je lui disais que c'était fini entre nous. J'espérais
cependant que les choses allaient se replacer, c'était soit que je le
laissais sans lui rien dire ou que je lui avouais et observais les
événements. Eh bien, il semble heureux. Notre faute s'annule, semble-t-il,
nous pouvons recommencer à nous aimer encore plus fort qu'avant. C'est ça,
fais-moi croire. J'ai parlé avec Edward. Il
est maintenant en totale dépression. Il se sent coupable de tout, il
tremblait. Il a de gros sentiments pour moi, sentiments qu'ils n'acceptent
pas. Il ne peut s'avouer être gay, il ne le veut pas, dit ne pas être prêt
pour une relation. J'ai débalancé sa vie, tout est devenu un bordel dans sa
vie depuis que l'on s'est revu. Il veut garder mon amitié, est malade parce
qu'il pense avoir perdu celle de Sébastien. Il ne pense plus pouvoir venir à
Ottawa, c'était prévisible. Il m'aime, cela me fait me demander si je l'aime
aussi finalement. Comme je suis pris dans ma vie actuelle ! Est-ce que
j'aime vraiment Sébastien ? Comme la vie est compliquée. C'est la
première fois de ma vie que quelqu'un éprouve de tels sentiments envers moi
et qu'il me les communique avec autant de passion. Il est si loin, imaginons
s'il m'avait fait ses déclarations en personne, je serais mort, on se serait
laissé aller l'un à l'autre et une longue nuit d'amour aurait suivi. Vivement
qu'il m'envoie ses lettres et les photos. Il m'a dit qu'il y penserait à s'il
m'enverrait les lettres. Hé ! je lui disais que je voulais les lire, que
ce n'était pas juste, il avait eu mes lettres et moi rien, ma photo et moi
rien ! Cela ne l'a pas convaincu. Il dit qu'il ne s'est jamais ouvert
comme ça à quelqu'un pendant ses vingt-trois années avec ses quinze copines
et ses cinq one night stand, et qu'il ne veut plus me faire parvenir ses
lettres, il en a honte. Bref, il va réfléchir. Que la vie est
compliquée ! And how about coming here without telling Sébastien? This little motel called Motor Inn in Nepean sounds interesting, since it would be a
chance to see Ed, be with him, help him and sleep with him. Il a cru pendant un
instant que je m'intéressais à lui juste pour le sexe, mais que mes lettres lui
disent le contraire. J'ai besoin d'une bonne bière. Maintenant chose faite.
J'ai envie de le rappeler, lui dire : Non ! Ne souffre pas, je n'ai
jamais souhaité que ton bonheur ! Je n'ai voulu que me rapprocher de
toi, voir si mes sentiments pouvaient devenir plus grands, si je pouvais
t'aimer comme jamais je n'ai aimé personne ! Edward. Hey ! Je suis
là, viens me retrouver, viens dans mes bras, je vais te consoler ! Quel
bonheur ce serait, si seulement j'en avais la chance, mais la distance c'est
un, Sébastien c'est deux, mes examens et le travail c'est trois et quatre. La
vie est compliquée ! Je me sens davantage coupable de ce que j'ai fait à
Edward qu'à Sébastien. Il écoute ma cassette vingt-quatre heures sur
vingt-quatre, sept jours par semaine, il relit encore mes lettres, je suis
tout à fait responsable de sa crise. Je viens de détruire ses rêves, je viens
de l'achever. J'ai besoin d'une troisième bière et d'une cigarette. Je viens de dire à
Sébastien que j'avais dit à Ed qu'il savait que Sébastien savait. Sébastien
était enragé contre moi, il voulait continuer à être ami avec Edward en
feignant l'ignorance et ainsi aller aux USA cet été. Maintenant il ne pourra
plus, il va se sentir trop bizarre. Pendant notre appel Ed a téléphoné, oh my
God! Lui qui paniquait déjà. Sébastien m'a demandé ensuite si c'était lui, je
lui ai répondu que c'était Jean. Sébastien
appelle maintenant Edward... oh my God! I could just die! How come all this
happens to me when I have all these fucking things to do? It seems that I'll
never be able to finish my semester. What are they going to talk about? I
told Sébastien that I wanted to continue to talk with Ed anyway and he
replied: "No way! He was my friend before, but he is certainly isn't
anymore. Would you rather leave me for him?" Will he find out I
wrote three letters to Ed? Que va-t-il apprendre qui lui permettra de dire que
j'ai menti ? Stupid telephone! I'm
here waiting for Sébastien to call and I will talk with Ed after for sure. It
might be the end of my relationship with Sébastien tonight. I won't tolerate
anymore crap. Can he tell me what to do, considering all that has gone on
with Luk? What is he thinking and what is he going to say to Ed? It might be
the end of our relationship. Two hours later Sébastien finally called. Mon état se situait
entre le zombi et la plante. Je n'arrivais plus à penser, une passivité
effrayante, mais Sébastien finally called. There
is nothing to worry about; it doesn't seem so bad after all. He said that
Edward had told him everything. I responded: "Well, what more can he
tell you?" Then he began talking about the whole scene in bed, every
single move. He wanted to know more about it, yet I refused to continue,
insisting: "I'm not talking about it anymore". Je crois qu'il
cherchait des contradictions pour souffrir davantage, j'ignore s'il sait des
choses que j'ignore qu'il sait. Je m'en
fous. The phone call came to a close with "I love you", words which
no longer carry any true significance in our relationship. Est-il possible qu'un homme là quelque part puisse m'aimer tant qu'il
regarde ma photo à chaque minute de son existence ? Ses sentiments se
communiquent trop bien, notre appel d'après fut bizarre, mais bien. Une
atmosphère de détente régnait, comme après la guerre, le nuage était tombé.
Je lui ai dit : « Je t'aime... » Et pour la première fois je
le disais et cela m'affectait. Il ne faut pas sous-estimer la portée de cette
phrase, même si la littérature, le cinéma et la télévision l'ont dénaturée
complètement au point qu'Ed a honte du mot. J'ai bandé à l'instant où j'ai
prononcé le mot, lui de même, c'est inquiétant. Il m'a répondu :
« Je pense, que, enfin, je crois que moi aussi, oui ce doit être ça, je
t'aime ». Après j'aurais tant voulu qu'il me le répète au moins une
deuxième fois pour calculer l'impact que cela aurait. Ed serait-il l'âme
sœur ? Il me serait si simple d'étouffer tout sentiment. Mais non, je
veux pousser cela jusqu'au bout. Comme je semble me complaire à obliger les
gens à faire face à des réalités auxquelles ils ne veulent faire face. Quel
est donc le but que je poursuis en avouant à tout le monde n'importe
quoi ? Pourquoi ai-je poussé les choses aux événements d'hier ?
C'est déjà bien que j'aie souffert, sinon cela aurait été pure méchanceté, il
n'y aurait eu que moi pour ne pas souffrir. Peut-on parler de
masochisme ? Une vie si plate que je trouve les moyens d'y mettre de la
couleur ? Mais non, tout cela part sans cesse d'un bon sentiment. Simple
justice, j'ai reproché à Sébastien sa relation avec Luk pendant deux
semaines, j'avais l'impression qu'il avait droit à son mot par rapport à ce
qui c'était produit. Mais là, je me suis retrouvé à faire souffrir Edward. De
même, cela a multiplié mes sentiments pour lui, maintenant je ne vis que pour
sombrer dans ses bras. La philosophie d'Edward, nous serons des amis
spéciaux, à distance, qui s'aiment sur plusieurs années et qui feront l'amour
lorsqu'ils se verront. Sûr, c'est séduisant ça, c'est digne de la bonne
littérature, de la pourrie aussi. Je ne sais plus comment
décrire mes sentiments, ils se définissent à mes regards vers l'infini, vers
le néant. Je pense à Edward, je passe ma main sur mon visage non rasé d'une
semaine, soudainement je suis transporté dans son univers, passé à New York.
Il va à un bal des finissants cette semaine, il a invité une fille, il dit
que cela va finir dans le lit. Je suis jaloux, pas l'ombre d'un doute. Qu'il
s'agisse d'une fille me dérange davantage. Appartiendrait-il à un autre
univers que le mien ? Lui qui semble si amoureux de moi, qui me
téléphone deux fois en deux jours, dit qu'il se regarde dans le miroir et que
son sourire va lui faire éclater le visage, qu'il sera illuminé pour le reste
de la journée. Le problème c'est que ses paroles agissent sur moi comme une
séduction. Je lis L'Avalée des avalés
de Réjean Ducharme, pouvez-vous croire que lorsque Bérénice à New York crie à
son frère qu'elle l'aime alors qu'il est à Montréal, je me transpose à elle
et voit Edward comme mon frère ? J'ai l'impression que moi et Sébastien,
ça achève. Cela m'achève. Dans les lettres qu'Ed a détruites, il dévoilait à
sa grande honte ses sentiments pour un homme. Chose qu'il récusera en disant
que je ne suis pas un homme en général, que ce n'est pas la même chose. Moi je
suis cute, un petit écureuil, une chose loveable. De toute façon j'ai une
certaine misère à me définir tel un homme, je me vois encore comme un enfant.
La société m'a convaincu à ce propos. Je n'ai pas dormi depuis
trois jours ou presque, quelques heures seulement, il me reste encore à lire L'Enéide de Virgile cette nuit.
J'arrive de chez Jean, non de dieu, jamais je n'aurais cru avoir tant passé à
côté du cours de M. Lemay. Je n'avais même pas 10 % de la matière dans
mes notes. Jean est plus beau que je ne l'aurais cru, fait fort en plus.
C'est drôle, Sébastien, Edward, Jean, ils ont de gros bras sans jamais avoir
fait d'exercice, auraient-ils honte de le dire ? Il n'y a que moi qui ai
besoin de faire de l'exercice, promis juré cet été et l'an prochain à Paris.
Jean n'a pas été entreprenant, moi non plus, bien qu'il insistait pour que je
couche là, mais ç'aurait été trop fort, je sais que j'aurais couché avec lui.
Et ça, je ne le voulais pas. C'est donc que j'ai encore du respect pour
Sébastien. Comme j'étais soulagé rendu à la maison, car Sébas m'a écrit une
lettre qu'il est venu déposer dans la boîte aux lettres durant la journée. Je
me serais senti coupable de lire ça si j'avais osé faire des choses avec Jean
et si je n'étais revenu que le lendemain. Bref, cette première lettre, cette
seule lettre qu'il m'aura écrite depuis que l'on se connaît, la voici enfin… Fin de l'extrait. * * * Achetez un Québécois à Paris pour
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