Roland Michel Tremblay

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Un Québécois à New York

 

1

 

    J’ai passé la journée avec Renaud, il me faut l’éviter sinon je risque d’avoir des sentiments pour lui. Il est vraiment temps que Sébastien arrive. Je pense que quelque chose se passe. Il y a séduction mais nous sommes tous les deux dans une autre relation. Il est impensable que je laisse Sébastien, et Renaud est, disons, moins beau. Mais tout cela n’est-il pas relatif ? On parlait que je fasse un strip-tease et qu’il me fasse un massage. Cela n’arrivera pas, mais si oui, ce n’est pas moi qui dirai non. Le problème, c’est qu’il faut des sentiments pour passer à l’acte, j’en ai, mais ils ne sont pas très forts. Le problème, c’est que je ne veux pas les amplifier. Mais je ne veux pas de cul sans sentiment. Il me faudrait me tenir tranquille, mais à chaque fois que je le vois, je le désire un peu plus. On parle et je bande. Heureusement, il ne s’en rend pas compte. On ne parle que de sexe, c’est affreux, et de cela, on n’a pas l’air de s’en rendre compte.

    Nous sommes allés manger avec deux de ses amis, et c’était dur de ne plus pouvoir lui dire ce que je voulais. Son copain, on l’a vu ce matin quand on est allés chez lui prendre un café. J’ignore s’il s’imagine des choses ; il semblait ne pas s’inquiéter outre mesure. J’ai lu ses dix pages sur la fidélité dont il m’avait parlé. Ça semble plutôt être dix pages sur un gars qui lutte contre ses désirs. C’est devenu une crise obsessionnelle. Le gars qui lui a permis d’écrire ça, était, paraît-il, le plus bel homme jamais vu. Renaud voulait coucher avec l’Apollon, Renaud l’a repoussé, et le regrette amèrement. Il aurait mieux fait de coucher avec lui ; il aurait été inspiré pour écrire un livre complet ensuite.

    Renaud se laisse séduire par moi, quelle erreur ! Je me laisse séduire aussi, quel malheur ! Il ressemble tellement à Ed que je ne sais plus faire la différence. Avec l’un je me sens comme avec l’autre. Il m’a dit qu’il partait pour Chartres ce week-end. Ça m’a fait un choc de savoir qu’il ne m’appellerait pas avant lundi ou mardi. Je commence déjà à m’ennuyer, c’est grave. Il faut que Sébastien arrive, sinon je ne réponds plus de mes actes. Le 11, je déménage dans une plus grande chambre. J’espère que Sébastien ne sera pas aussi distant qu’il l’a été au téléphone depuis quelque temps, à croire qu’il a rencontré quelqu’un, alors je ne comprends pas qu’il veuille venir ici. La musique peut-elle accaparer son attention au point qu’il m’oublie ? J’espère que oui, sinon c’est inquiétant. Et s’il m’avait trompé ? Dans le doute, j’ai bien envie de sauter sur Renaud. Il semble avoir une grosse bosse, c’est important ça, les grosses bosses. Il a dit à la blague que ma bosse ne semblait pas grosse ; il me faut donc lui prouver qu’elle n’est pas petite, d’où l’idée du strip-tease. Je ne sais ni où ni comment cela pourrait se faire, s’attend-t-il à ce que je l’invite ? A-t-il vraiment cette intention ? À quoi sert une telle introduction sur la fidélité si c’est pour enfin coucher avec moi la semaine d’après ? Sommes-nous à la merci du premier beau bébé qui débarque ? Peut-être n’est-il qu’un allumeur : il se plaît à flirter et à parler de sexe sans vouloir aller plus loin. Le problème, c’est qu’il pourrait bien se laisser prendre à son jeu. Je ne lutterai pas, s’il veut, on fera des choses. Mais je suis incapable de faire les préliminaires. Je serais incapable de lui prendre la main, il pourrait me la retirer, ce serait une situation intenable. Ne suis-je pas trop gros ? Le plan d’action est là, il me faut faire un strip-tease et lui demander un massage. Manquent le où et le quand.

    J’ai l’impression que Renaud me fait oublier qu’il existe un univers extérieur à Paris. C’est bien. J’aimerais m’en faire un vrai ami sans que cela aille jusqu’au sexe. Les amis ne sont-ils pas doublement intéressants lorsqu’on les désire ? Franklin et Antonin seront de vrais amis pour moi, et j’en suis heureux. Croyez-le, j’ai l’impression qu’il est plus simple de se faire de vrais amis sincères à Paris que n’importe où ailleurs. Ce me semble être des gens intelligents, éveillés à la vie, simples et attachants.

    Je m’en vais à Pigalle, souper, que dis-je, dîner chez Franklin. Dorothée y sera avec son bébé ; depuis le temps que l’on m’en parle, j’ai hâte de voir.

    Je suis à la station Pigalle, il est minuit passé, je me sens davantage à l’aise ici qu’à la Sorbonne. Quoique j’ai bue du vin. Dorothée est mieux que je l’avais imaginée, et son bébé aussi. On a parlé de dépression, de psychologues où il fallait un transfert d’amour ou de haine. Quel bullshit. Dorothée a dernièrement payé 460 boules à une voyante, Antonin capotait. Elle te raconte ton avenir par téléphone, par micro-ondes, why not ? On est à Paris.

    Je suis à la Gare du Nord. Pour la première fois je suis heureux d’être à Paris. J’aime tellement ça que je pense que je ferais n’importe quoi pour demeurer ici. Canada ? No way. Peut-être pas pour finir mes jours en France, mais pour quelques années ce serait bien. Je ne puis comprendre pourquoi mais, d’être à Paris, peu importe ce que je fais, me semble être la réussite, la vraie. Et juste de retourner au Canada serait la fin de mes rêves. Alors je vais rester, je crois. De toute manière je me sens bien ici. C’est drôle qu’il me faille être sur l’alcool pour arriver à affirmer une telle chose. Mon bébé s’en vient, je crois que tout sera bien. Je me demande ce que pensent mes parents de moi. Paris semble tellement impensable. J’ai vraiment fait tout ce que j’ai voulu faire. Il n’y a pas de limites. Maintenant, si je pouvais trouver un moyen de travailler, tout sera accompli. Je pourrai mourir tranquille, pour reprendre Grégoire. Si j’avais pu prévoir en 90 que j’y habiterais quelques années plus tard, mon voyage eût été différent alors. Je ne connaissais même pas la Sorbonne à l’époque. Est-ce que les gens d’autres pays rêvent également d’une grande ville impossible à atteindre ? Qu’en est-il des Canadiens-Anglais ? Ils pensent sans doute à Londres et New York.

 

 

 

2

 

    Anne Hébert, une des plus grandes écrivaines du Québec qui vit maintenant à Paris, sera le 9 février à la librairie Dédale, 4 ter, rue des Écoles. [ Note de l’éditeur : Anne Hébert est maintenant décédée. ] J’y serai également. Elle a 80 ans, je vais lui proposer de venir prendre un café avec moi. Je vais lui demander ce qu’elle pense de porter à l’écran son livre, Les Enfants du sabbat. Je me charge d’écrire le scénario, quelles sont les démarches à suivre, et tout et tout. Je vais lui dire que mon ami François est intéressé à faire le film. J’espère qu’il le sera effectivement en apprenant que j’ai l’accord d’Anne elle-même. J’ai bien hâte de voir. Peut-être est-elle trop vieille ? Alors, je vais être obligé de lui demander sur place. Elle est si belle sur la photo de son nouveau livre, Aurélien, Clara, Mademoiselle et le Lieutenant anglais. Une histoire d’inceste avec un soldat à Valcour, Québec. Pourquoi toute cette nostalgie ? Pourquoi demeurer à Paris si elle s’ennuie tant des campagnes québécoises ? L’histoire est bonne, elle aurait pu en faire un livre de trois cents pages, mais c’est vrai que ça aurait été ennuyant. Quoique Le Premier jardin n’était pas ennuyant et que c’était long. Les Enfants du sabbat, ça, par exemple, c’est effrayant. Jamais je n’aurais cru qu’une Québécoise puisse écrire un tel livre. Et ça m’en prend beaucoup pour dire cela. Anne pourrait bien être aussi intraitable que la folle Créthien au bureau des étudiants étrangers de la Sorbonne, ou bien gentille et intéressée à un pauvre type comme moi qui crève de faim. Alors il faudra remercier ma jeunesse, ma beauté et mon audace. Si elle est bête, je vais l’envoyer chier. Mais si belle, je doute qu’elle puisse être bête. Tout au plus, elle pourrait refuser ou être dans l’incapacité de me recevoir ou venir prendre un café avec moi. La photo sur le livre est vieille, ça se voit qu’elle n’a pas 80 ans là-dessus. Elle a l’air d’être sur la drogue sur la photo, elle semble comateuse avec ses os brûlés et ses prunelles arrachées. Son obsession des cours d’eau, des arbres, des os et des mains en bois, des corps qui se cassent comme des arbres et tout. Elle écrit souvent sur les mêmes thèmes depuis 1942. Elle est demeurée la petite fille de 15 ans qui fantasme, elle écrit comme une jeune fille. On ne dirait pas qu’elle a 80 ans, j’ai vraiment hâte de voir comment ça va tourner. Je vais l’inviter à prendre le thé, je suis prêt à payer alors même que je n’ai plus un sou. C’est une femme, et la galanterie existe encore de nos jours, malheureusement. Je l’inviterai au Sarah-Bernhardt, mais c’est trop long de couloirs de métro pour y arriver. Elle ne s’abaissera pas à aller dans un café aussi nul. Je pense que je vais lui laisser me nommer un café où elle a l’habitude d’aller : pourquoi pas l’inviter au Banana café le jeudi même ? J’aurais mille et une questions à lui poser, mais j’ignore si elle sera insultée, car je n’ai lu que ses trois livres de poésie, Le Premier jardin et Les Enfants du Sabbat. Si j’avais le temps, je passerais pour moins cave, mais c’est dans ma nature d’être cave et de parler sans savoir. Comme à la conférence d’Élisa T., une auteure de ma région qui a écrit Des Fleurs sur la neige, le drame vécu d’une enfant battue. Ce livre est le plus grand best-seller du Québec, plus de 100,000 copies vendues en 20 ans, et Céline Dion a joué Élisa dans la mini-série à la télévision. J’avais rien lu de ses livres et j’étais le seul à poser des questions. Je pense qu’on ne s’est pas rendu compte de mon ignorance. La pauvre Élisa ne s’est même pas sentie attaquée par moi qui lui cherchais des poux. J’espère que je vais pouvoir me tenir tranquille avec Anne, peut-être pourrait-elle devenir une amie ? Ce serait trop drôle. Serais-je rendu au point où mes amis pourraient avoir 80 ans ? Elle me semble ouverte en tout cas, pas mal plus que la majorité des croûtons qui existent sur la planète. Elle pourra mourir d’ici peu, elle pourrait bien vivre encore 20 ans. Est-ce que l’on meurt jeune ou vieux à Paris ?

 

 

 

3

 

    Je capote littéralement. Je ne tiens plus à terre. Je viens de recevoir une invitation de la directrice de la Maison des étudiants canadiens de Paris (MEC) pour aller voir Anne Hébert, c’est donc déjà beaucoup plus officiel. J’ai lu la moitié des Enfants du sabbat, je vois très bien le scénario, les parties et sous-parties. Paraît que l’adaptation cinématographique de son livre, Les Fous de Bassan, c’était raté. Mais que Kamouraska c’était extra. Mon problème, c’est que j’ai l’air trop jeune. Et si elle a le malheur de vouloir connaître ma crédibilité, il me faudra lui dire que je n’ai absolument aucune œuvre à mon actif. Que du passif, madame, et non, je n’ai pas seize ans. C’est ça que me disait Maurice hier ; il croit qu’elle va éclater de rire, trouvera ça charmant, mais va me dire un non catégorique. Je me demande même si je devrais m’habiller en gamin de 14 ans. Calotte beige, gilet Peace and Love/The Smiths que m’a donné Claude, culottes déchirées. Le contraste sera encore plus frappant. Mais moi c’est sérieux, je n’ai pas tellement de temps à perdre avec des projets qui ne déboucheront pas, je suis pressé d’atteindre le ravin, moi, madame. Et puis on ne sacrifie pas inutilement ses études à la Sorbonne de Paris.

    Je fais des cauchemars toutes les nuits ; j’arrive dans des classes où les professeurs me font comprendre que si je ne commence pas à étudier maintenant, c’est foutu. Et là je regarde autour pour voir si Renaud est là, et Renaud n’est pas là. Et je panique, car je ne fous rien. Et Sébastien qui arrive la semaine prochaine. Mon beau petit ourson poilu qui arrive la semaine prochaine. Comme ce sera bien de l’avoir près de moi, le toucher, l’embrasser, lui faire l’amour, ah ça, aucun doute, je ne penserai même plus au petit Renaud.

    La fin du monde est à nos portes, c’est le 8 février, bientôt le mois de mars, le calvaire aussi, je le sens. Aujourd’hui, je rencontre Renaud après mon cours de M. Tapin. On se rencontre à Place de la Sorbonne en face du Baker’s Dozen ; mais ce sera difficile parce qu’il me faudra éviter Maurice qui justement terminera son cours à la même heure que Renaud. À se demander s’ils ne sont pas dans la même classe. Aujourd’hui, je rencontre Renaud et j’ignore si l’on va se retrouver ou chez lui ou chez moi. S’il veut aller prendre un café et que je vois qu’il ne m’invite pas, je vais l’inviter. Mais ici à la MEC c’est difficile, il y a des espions en arrière de chaque porte. Je le sais, j’ai été l’espion personnel de France, une amie. En plus, l’un viendra cogner à ma porte, c’est immanquable. Alors l’acte sexuel se fera peut-être. Du moins le massage, et nous garderions une conscience claire. Quelle idiotie. Il dira tout à son copain, il me l’a dit hier. Alors il risque la relation avec son copain, il dit qu’ils pourront en discuter et que tout ira bien. Mais alors, on ne pourra plus se voir, je suppose. Et peut-être que Sébastien viendra à le savoir ? Playing with fire, yes it burns and I’m still burning, disait Alison Moyet. Je suis pris entre deux eaux. Pressé de faire déboucher quelque chose avec Renaud avant l’arrivée de Sébastien, mais en même temps l’arrivée de Sébastien me calmera. Et s’il était laid, nu, le Renaud ? Je n’y avais pas pensé à cela. Il n’est peut-être pas comme Edward. Quelles sont les conséquences ? Trop de conséquences imprévisibles dans cet acte. Il aura des problèmes avec son Habib et cela pourrait finir. Et mon Sébastien pourrait l’apprendre, par moi en plus. Ce serait trop infernal, pour une histoire de branlette comme diraient Franklin et Maurice. Pour une histoire de branlette, nous voilà prêts à sacrifier le monde entier, jeter une bombe sur l’histoire pour une heure ou deux de bonheur dans les bras de Renaud. Mais je ne veux plus m’empêcher de vivre, car je ne suis pas convaincu que Sébastien au Canada s’empêche de vivre, et on regrette toujours de ne pas avoir agi quand c’était le temps. Les dix pages sur la pseudo-fidélité de Renaud sont significatives.

 

 

 

4

 

    Ma journée a été illuminée hier soir tard, lorsque j’ai parlé avec Renaud. Je savais bien que si je m’attendais à être illuminé, je le serais.

    J’ai présenté Renaud et Maurice avant le cours aujourd’hui. Je prends le risque, lequel risque qu’il ne prend pas. Il s’est rasé lui aussi, le pauvre, ça saignait encore. On va prendre un café... avec Maurice. C’est peut-être mieux ainsi ? Un café, connerie, à Paris on passe notre vie à boire du café... et de la bière. Knonenbourg, 1664, Stella Artois. Pas de Fin du Monde, de Black Label ou Molson Canadian. R.E.M. en spectacle, j’ai pas d’argent. Comment se débarrasser de l’intrus ? Ils ont le même cours, j’y serais allé plutôt que d’assister au cours de Tapin qui radote pour la première fois quelque chose que je connais : l’utilisation des temps de verbes dans les descriptions ou récits. Je vais partir, je pense, acheter un sandwich. Ou, tiens, je vais regarder le Pariscope.

    [ Aujourd’hui, il est venu dans ma chambre, mais nous sommes avec Maurice, alors je ne sais pas si nous allons faire l’amour. Il n’a pas l’air décidé. ]

    C’est Renaud qui a écrit cette phrase entre crochets. Il a lu mes écrits. J’ignore s’il avait écrit autre chose, ça n’a pas enregistré. C’est du mépris cette phrase. Et même si cela n’en est pas, je la veux méprisante. Je viens de relire ce qu’il a lu. Je peux comprendre sa réaction. Il a fui et m’a fait comprendre que Sébastien arriverait et que ce serait à moi de prendre une décision ensuite. J’ai vu cela comme un échec et me voilà prêt à le balancer, orgueilleux que je suis. Mais je crois qu’il est prêt à laisser son Habib pour moi, puisqu’il me dit que j’ai une décision à prendre. J’ai même l’impression que je lui ai fait comprendre qu’il était impensable que je laisse Sébastien. Je regrette tout ce que j’ai fait. J’ai compris ce soir que je ne le voulais pas, qu’effectivement il faudrait que je laisse Sébastien pour lui et que c’est une décision que je ne pourrais prendre. Et du sexe, je suppose que ni lui ni moi n’en avons besoin puisque nous avons chacun quelqu’un. Et ça aussi il me l’a dit, qu’il était heureux et qu’il n’avait pas besoin d’aller voir ailleurs. Plus personne ne lira ce que j’écris. Les gens connaissent soudainement ce que je pense et moi c’est tout le contraire. Les gens changent toute leur façon de voir les choses, changent leur comportement du tout au tout, et moi je dois soudainement tenter de voir ce qui s’est passé, pourquoi ils réagissent de la sorte. Dans le fond, c’est peut-être moi l’allumeur, moi qui joue avec le feu et qui finis par me brûler. Trop de franchise n’aide jamais. Mais on ne tète jamais avec la franchise. Renaud m’a dit qu’après le cours de latin il ne pourra pas demeurer avec moi, il doit aller travailler. Je n’irai pas au cours de latin. Moi, l’école, c’est fini. Renaud m’a fait chier quand il m’a avoué qu’il travaillait chez un grand éditeur. Fait chier comme ce n’est pas possible. Il m’a menti, parce qu’il avait peur que je veuille profiter de lui, pour un poste de correcteur dans un comité de lecture. Inquiète-toi pas, j’en veux pas de ton aide, j’m’en fous pas mal d’où tu travailles, et je veux surtout pas que tu t’imagines que je veuille profiter de toi. Esti que la vie est plate. Un calvaire. C’est vrai que j’ai besoin de mon Sébastien et qu’il faut que je me calme. Je ne l’ai pas trompé et j’en suis heureux. C’est la seule chose qui compte finalement. Tout le reste n’en vaut pas la peine. Je ne suis pas artiste, je ne suis pas écrivain, faudrait pas que je me flingue pour autant, mais je sais que j’aime Sébastien. Je voudrais faire disparaître Renaud de ma vie, et Maurice, et tout le monde. Je voudrais changer de vie, partir d’ici, parce que je collectionne maintenant les échecs avec mes amis. Ces amis qui ne parlent que de rouages et de succès dans la vie. Et je n’en puis plus de les écouter. Ils me disent des choses que je sais, des choses que je ne veux pas m’avouer, des choses qui bouffent mes dernières motivations. Je déteste Paris. Ils se sont inventés une vie sociale à laquelle je ne veux adhérer. J’en ai assez que tous et chacun viennent me faire comprendre que je me prends pour un autre et que je n’ai aucune chance de réussir. J’en ai assez de tout ce monde qui se débat pour arriver quelque part en société et qui pense qu’ils arrivent au bout du tunnel parce qu’ils achèvent leur maîtrise à la Sorbonne. J’en ai assez de tout le monde, de leurs simagrées, de leurs productions, de tout. J’en ai assez.

 

 

 

5

 

    Renaud m’a téléphoné à 7 heures ce matin pour me dire d’arriver à l’avance au cours de latin. Comme c’est drôle. Alors je suis arrivé 10 minutes à l’avance, en même temps que lui. On s’est encore parlé sur papier, même s’il ne voulait pas, et ça a été lourd. C’est moi qui commence à parler :

    — T’as fini de cruiser les filles ? Je sens que tu peux me faire des reproches, je me sens mal à l’aise. Je m’excuse si je t’ai fait du tort, ce n’étaient pas mes intentions. Si tu as quelque chose à me dire, vas-y, je suis prêt.

    Il m’accuse de me servir de lui pour compléter mon œuvre, et du coup de ne pas être naturel ou sincère.

    — Hier, je voulais tout effacer parce que j’avais honte. Je ne me sers pas de toi pour mon œuvre. En ce qui concerne la sincérité, il me semble que de t’avoir laissé lire mes pensées est une bonne preuve de franchise. Surtout qu’il y a certaines phrases que tu pourrais interpréter de façon différente. Tu crois que je ne suis pas naturel avec toi ? Je ne comprends pas, je ne t’ai rien caché, je ne joue pas un jeu avec toi. Si tu vois des contradictions d’avec mes écrits, c’est bien simple, les choses évoluent. Ce que je pense la veille, le lendemain je pense à autre chose. Et je sais qu’un jour Sébastien lira ces écrits, alors je modère ce que je dis. En quoi ne suis-je pas naturel ou sincère ?

    Il affirme que je n’agis qu’en pensant à ce que cela pourrait donner dans mes écrits. Que ce n’était plus une fin, mais un moyen.

    — Tu radotes, je ne m’abaisserais pas à agir en fonction de mes écrits, sinon mes actions seraient beaucoup plus éclatantes. Je sortirais davantage. Je n’arrive pas à croire que tu dises ça. Si j’ai retranscris notre conversation sur l’ordinateur, de prime abord c’est qu’il me fallait faire disparaître le papier et que j’aimais relire notre conversation. Et puis, je ne peux pas me battre contre toi, tu es libre de penser, mais ça me désole que tu penses cela. Et si effectivement tu en es convaincu, je m’inquiète vraiment pour notre future amitié. Je ne vais quand même pas me mettre dans des situations franchement éprouvantes afin d’écrire une page ou deux dans mes écrits, c’est absurde. Au contraire, je ne t’ai rien caché et je crois que toi tu ne m’as rien dit de toi. J’ai l’impression que tu vas m’arriver avec une foule d’autres choses. Mais je ne te cache pas que le but de mon existence, c’est d’acquérir des expériences de toutes sortes, pas pour mes écrits nécessairement, mais pour me faire avancer dans la vie. C’est le sens que je donne à mon existence, et il est vrai qu’en chaque personne que je rencontre j’ai effectivement l’intention d’apprendre des choses. Tu sembles avoir beaucoup à m’apprendre, j’espère qu’on aura cette chance. Écoute, je te promets d’effacer tout ce qui te concerne sur mon ordinateur et de faire comme si je ne t’avais jamais rencontré dans mes écrits. Tu peux croire ce que je dis, je suis « sincère ». Est-ce que c’est OK ? Je ne voudrais pas que tu penses que je suis un ami superficiel ou pas sincère, car alors il n’y a pas d’amitié. Et des copains et des copines d’étage, j’en ai à ne plus savoir où les mettre. Je juge que ton amitié pour moi est plus importante que mes écrits. Pourquoi ne t’écouterais-je pas vraiment ? Je n’ai pas l’habitude de ne pas respecter mes amis, mais je t’avoue que je suis franc et direct. Mais c’est un défaut de ma personnalité sur lequel tu ne dois pas trébucher. Je n’ai pas l’habitude non plus d’avoir des moitiés d’amis, je ne suis pas très sociable avec les gens avec qui la communication ne passe pas. Je m’excuse, c’est vrai qu’on ne se connaît que depuis peu. Je suis aussi extrémiste, c’est pourquoi je vis toujours dans les hauts et les bas de la vie. Heureusement que ça ne prend pas grand-chose pour illuminer une journée ou une partie de journée. La vie est tellement plate. Et toi ? Tu aurais confiance en moi ?

 

 

 

6

 

    Ma relation avec Renaud devient de plus en plus bizarre. Il devient distant. J’ai l’impression qu’il est sur le bord de me dire qu’il ne veut plus rien savoir de moi. Je l’ai poussé à bout. Il y a des amis comme cela avec qui ça ne marche pas, on a exagéré quelque part et le tout s’est envolé. Je dois maintenant l’extraire de mes écrits, alors je lui ai fait un fichier à part, le Chapitre Renaud. Il faut qu’il ignore que je n’ai rien effacé de nos conversations. Il m’a demandé aujourd’hui si je regrettais de ne pas avoir couché avec lui. Je ne regrette pas, mais j’aurais voulu lui dire que oui. Compromis, je lui ai dit que c’était difficile de répondre à cause des conséquences d’un tel acte. Sébastien arrive après-demain, je l’ai réalisé aujourd’hui, car je commençais mon déménagement dans la chambre plus grande. Mon beau Sébastien, je suis demeuré fidèle tant que j’ai pu. Une semaine de plus et c’en était fini, je crois. À moins que Renaud ne soit qu’un allumeur, et je le pense, parce que Maurice m’a dit que Renaud le draguait dans son cours. Cours où, sur 12 gars, huit sont officiellement gais. Il y en a partout, partout, partout. Le gars en face de ma chambre, il est encore dans le placard. Il a vu tous les films gais que j’ai vus dernièrement, moins Les Roseaux sauvages qu’il veut d’ailleurs voir. Il connaît de A à Z tous les producteurs de films de notre siècle avec tous les acteurs, les titres, en musique aussi, effrayant. C’est juste un indice de plus qui s’ajoute à la façon bizarre qu’il a de regarder les hommes qui l’entourent. Il vivait avec un gai à Ottawa, il fallait qu’il lui rase le poil du dos. Heeurk ! Peut-être qu’il aimait ça !? Mon nouveau voisin l’est aussi ; selon Maurice, c’est écrit dans sa face, il est du type que l’on rencontre à Montréal. Il étudie en théâtre. En plus j’en ai partout dans mes cours, le Renaud en a dragué un au Queen qui est justement dans notre cours de latin. Je lui ai demandé comment il avait pu draguer au Queen, danser avec le gars alors qu’il désire rester fidèle ? Il a dit que ce n’était pas une contradiction. Allumeur ! Allumeur ! Et il m’accuse de me servir de lui. C’est plutôt lui qui va se servir de moi pour terminer sa nouvelle sur l’infidélité. Il en a écrit une page et demie hier, et il en écrira autant aujourd’hui, puis ce sera terminé. Ça lui prenait une heure d’écrire un paragraphe avant. Depuis huit mois il a beaucoup de problèmes avec ses parents, ils sont en crise parce que l’enfant modèle de la famille est gai. Ils lui ont proposé un psychologue, un psychiatre, une automobile flambant neuve et n’importe quoi d’autre pour qu’il change d’orientation sexuelle. Le meilleur, paraît qu’en ville il y a un imbécile qui affirme qu’avec des pilules on peut redevenir hétérosexuel ; les parents de Renaud l’ont exhorté à les essayer. Renaud a tout refusé, il ne leur dit surtout pas que son copain est arabe, ce serait la fin du monde, ils sont hyper racistes. Bref, Renaud est convaincu qu’ils vont être au courant bientôt ; il croit que ses parents ont payé un détective privé pour enquêter sur son cas. Quel beau roman tout cela ferait.

 

 

 

7

 

    Sébastien est encore sorti dans un bar tapette d’Ottawa hier. Il a été au restaurant Mother Tucker, a dû manger un gros steak, il a reçu des roses aujourd’hui de ses amis, ils lui ont payé un danseur nu hier. Ça m’a mis en christ. Tu vas dans une salle en arrière avec le gars et il te fait un strip-tease. J’ai une certaine misère à croire que ce strip-teaseur ne te touche pas, j’ai longtemps entendu parler que c’était du sexe, que tu pouvais les toucher et les sucer. Sébastien me dit tout ça et il s’imagine que je vais rire. Ça me donne juste envie de coucher avec le premier du bord. Quel est donc le problème de ses amis ? Il part pour quatre mois, c’est pas la mer à boire ! Un strip-teaseur, pourquoi pas un prostitué ? Quel genre d’amis a-t-il ? Ils veulent accélérer notre rupture ? Ça va marcher, parce que moi les sacrifices inutiles j’en ai plein mon casque. Je ne sors pas au Queen parce que mon Sébastien paniquerait, il sort deux fois en deux semaines, il se fait même payer un strip-teaseur. Le sacrifice est inutile, j’aurais mieux fait de coucher à droite et à gauche, profiter de la vie. Come on Antonin et Franklin, Maurice, Renaud, André et Cie. Je me demande pourquoi Sébastien vient en France, il devrait rester là-bas, je serais enfin libre de faire ce que je veux. Considérerais-je de le laisser ? Je suis peut-être juste un peu trop sur le coup de ce téléphone. Il ne voulait pas me le dire, qu’il dit, foutaise, il sait très bien que je l’aurais su. Il me fait dégueuler, il ne me dit que ce qui n’est pas dangereux que je sache. Pensez-vous qu’il n’a rien à se reprocher depuis trois ans et demi ? Ça vaut la peine que je ne m’arrête pas de vivre, parce que je sais bien qu’il n’est pas un tronc d’arbre et que le sacrifice est inutile, il conduit à la jalousie et à la destruction. Sébastien avait bien honte en sortant de la petite salle avec l’autre qui devait être d’une beauté effrayante. J’espère que c’est effectivement le cas, moi je suis loin et je n’existe plus. Ce soir j’ai envie de sortir, destination Champs-Élysées, le Queen.

    J’ai bien envie de raconter ma rencontre d’hier avec Anne Hébert, mais je suis trop en maudit et je détruirais tout le monde, les méprisant à tort pour ce qu’ils ne sont pas. Une petite journaliste téteuse de Radio-Canada entre autres, un autre con d’un journal quelconque. Le délégué aux Affaires culturelles de la Délégation du Québec, un esti de snob qui ne voulait même pas s’abaisser à me serrer la main quand le mari de la directrice nous a présentés. Heureusement que tout s’est bien déroulé avec Anne, elle va effectivement devenir ma grande amie, ainsi que son petit ami de 22 ans, André. Il s’est précipité sur moi après la conférence pour me demander d’où me venait ma passion pour Anne Hébert. J’ai eu l’air de connaître son œuvre en long et en large, trois misérables questions qui ont impressionné tout le monde et qui m’ont ouvert toutes les portes. L’éditrice du Seuil, section auteurs québécois, me regardait lumineusement et m’a donné le nom et le numéro de téléphone de la femme à qui je dois téléphoner au Seuil pour faire déboucher mon idée de scénario. Elle m’a dit qu’elle croyait que je n’aurais pas de problème, je connais tellement l’œuvre d’Anne. La pauvre Anne m’a fait pitié. Elle a le goût de vivre, un intarissable sourire, elle m’a semblée bien seule. Elle voulait mon numéro de téléphone et mon adresse, elle veut me rencontrer, moi qui espérais pouvoir au moins lui parler. J’ai été la vedette de la soirée, j’ai volé la vedette à Anne ! Sans trop vouloir m’imposer pourtant, on m’a emmené directement au milieu. J’avais ma future éditrice en face de moi (sic), Anne de l’autre, mon futur copain André (sic), sa vieille tante (sic) libraire qui a reçu Anne la première année qu’elle est arrivée à Paris. Et tout ce beau monde, je vais les revoir. Si c’est vrai qu’il faut être pistonné pour arriver quelque part, voilà ma chance.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

8

 

    Je ne reviens pas à la vie, je m’enfonce encore plus, n’ayant pas plus de deux heures à ma disposition chaque jour. Sébastien, par sa seule présence, à vivre dans la même pièce, rien n’est plus possible. Mourir à faire une seule action, une demi-journée de perdue. Encore à trois heures nous irons courir dans le parc Montsouris, ce parc qui emplit ma vue de la fenêtre, heureusement cette vue ne m’appelle pas à elle. Je n’ai aucun remords à demeurer enfermé dans la chambre. On se lève à une heure de l’après-midi, on se couche avant minuit. Voyez comment on peut perdre une vie à dormir.

    Je passe ma vie à faire des cauchemars ces temps-ci. De la Sorbonne, c’est maintenant sûr, certain et acquis en mon esprit, mes études ont pris le bord. Anne Hébert m’a levé du lit ce matin : à 10h30 elle téléphona, m’invitant à aller prendre un café ce mercredi à 17h. Je lui ai dit que j’emmènerais Sébastien, ma douce moitié inséparable. Maintenant je me demande si je devrais l’emmener. Je crois que oui. Ne serait-ce que pour être sûr qu’il n’y aura aucun blanc dans notre conversation. On emmènera des fleurs et un gâteau. Je viens de terminer de lire Les Fous de Bassan, j’ai lu Héloïse avant-hier, je lirai L’Enfant chargé de songes aujourd’hui, si Sébastien m’en laisse la chance. L’œuvre d’Anne Hébert en une semaine, que je me paye. C’est voir à la queue leu leu tous ses tics d’écrivain, ses expressions qui reviennent, ses comparaisons avec embrayeurs pareil à et comme, ses préférés. Elle est séparatiste, il me faudra donc éviter le sujet. Et Sébastien qui est pro-fédéraliste. Il ne faudrait pas que la guerre éclate. Elle demeure sur la rue de Pontoise, Quartier Latin, un quartier de riches selon Maurice. Des fleurs, surtout emmener les bonnes fleurs, et le gâteau qu’elle pourra manger. Un pain aux bananes, pourquoi pas. Un pain aux bananes pour Mme Hébert. Je n’ai même pas l’impression de le faire dans l’espoir de recevoir quelque chose en retour. Je n’ai pas besoin que l’on m’aide. Cela ne m’empêche pas de continuer à travailler, et je ne suis pas pressé de devenir quelqu’un dans cette société pourrie. Cette impression que cela me fermera plus de portes que de m’en ouvrir. Si l’on me colle une étiquette, je suis foutu.

    Quelle joie de marcher dans Paris et n’être rien, pas même un écrivain en devenir. Le parc Montsouris nous appartient, nous appartenons à la Terre quand nous n’appartenons pas aux hommes. Anne Hébert, je ne vais chez elle que parce qu’elle est Anne Hébert. Une femme qui a écrit plus de romans que j’en écrirai peut-être, qui a gagné plus de prix que je n’en gagnerai, qui a trouvé sa voie dans Paris comme je ne la trouverai pas et ne veux la trouver. Qu’est-ce qui me lierait à Anne si ce n’était son nom ? Une femme joviale, souriante, pleine de vie, cela ne suffirait pas. Soixante ans de plus que moi, et ce n’est pas comme si j’étais jeune. Jeune, aucun titre, aucune étude, avec vue sur le parc Montsouris. C’est la Réussite. Le ciel gris, des nuages, des arbres sans feuilles, une tour laide qui bloque à peine la vue, une sculpture de pierre affreuse totalement inutile, là pour remplir un parc qui leur a semblé trop vide. Un parc ne sera jamais trop vide, surtout quand il y a six millions de personnes enterrées en dessous. Nul besoin de statues pour le couronner. Mais pourquoi Anne Hébert voudrait-elle me rencontrer ? Ne lui a-t-on pas dit que je suis un jeune inconscient prêt à sacrifier sa mère pour la liberté ? Un ignorant rempli de préjugés, qui l’a jugée avant même de prendre un café avec elle ?

    — Vous écrivez, m’a-t-elle dit.

    — Ce que j’ai dit ce soir, madame Hébert, tous les étudiants de la planète auraient pu élaborer davantage, lui ai-je répondu.

    — Non, il y a plus, ça se voit que vous êtes écrivain.

    J’ai une aura qui se déplace au-dessus de ma tête, semble-t-il. Serait-ce mon adaptation cinématographique des Enfants du Sabbat qui la pousse à vouloir me rencontrer ? J’aime mieux croire qu’il s’agit de la curiosité d’une grande écrivaine, qui en chaque personne va rencontrer son prochain personnage de roman, ou du moins quelques détails qui le feront devenir plus humain que les humains ne le sont. Une allusion au monde gai depuis que je la lis, à part les deux sœurs au couvent qui voulaient mourir toutes les deux sur la croix, ensemble et dans la jouissance, et qui sont mortes le même jour. Les Fous de Bassan : « Les deux garçons coiffeurs recommencent à chuchoter contre la cloison. Le plus jeune des deux, celui qui a la voix la plus aiguë, s’esclaffe. Ses paroles précises franchissent la cloison, tombent à mes pieds, sur la moquette pelée. " Bonguenne que j’suis ben faite ! " La nuit se referme sur ces mots étonnants et pleins de gaieté. »

    Elle est comique la Anne Hébert. Coiffeurs, chuchotements, voix aiguë, narcissisme. Tous les clichés du monde gai y sont. Il est temps que j’entre de plein fouet dans sa vie, j’emmène Sébastien, elle va écrire un dernier roman, une histoire d’homosexualité à Paris. Je lui ferai lire mes écrits d’ailleurs, une femme qui a tant écrit, qui a écrit ce qu’elle a écrit, 80 ans ou non, elle va aimer. Ne sommes-nous pas à Paris ? Nous sommes encore dans le passé. L’humanité naîtra enfin en l’an 2000, à ma mort. Les derniers vingt ans n’étaient que préparation, les perfectionnements et l’invention de La Machine qui n’est pas encore arrivée à destination, dans le porte-documents de chaque humanoïde de cette planète. Je la sens la Révolution, elle s’en vient. Je vais mourir lorsqu’elle naîtra.

    Serais-je que j’appartiens à la vie active de Paris, je me morfonds de lire Céline, j’en ai lu une page au hasard, ça m’a impressionné. J’en entendais partout parler. Ça paraît bien à Paris quand tu dis que tu lis Céline, Renaud disait. Alors je ne voulais rien savoir, mais il semble que sa crise existentielle va trouver preneur chez moi. Je vais changer de sujet de maîtrise, d’Artaud à Hébert : le changement est radical mais nécessaire, je connais maintenant son œuvre en entier, ou presque. Je ne sais cependant pas ce que j’inventerais à ce propos. Peut-être qu’elle pourra elle-même me guider. Je n’emporte rien avec moi, seule la lettre remise à l’éditrice du Seuil à propos du scénario. Je ne veux pas qu’elle pense une minute que je vais me servir d’elle. Renaud l’a cru et maintenant il fuit. Tant pis, le sot, jamais je n’ai compté sur lui. Je sais très bien qu’on ne devient pas quelqu’un comme ça à Paris.

 

 

 

9

 

    La semaine passée Renaud m’a bien fait comprendre qu’il ne voulait plus trop entendre parler de moi. Le café qu’on a pris chez Majestic, lui, moi et Sébastien, ne semble pas avoir aidé. On a discuté de religion, et il est tellement croyant qu’on dirait qu’il en est devenu homophobe. À se demander comment il peut encore vivre un tel paradoxe en son esprit. Il est contre les revendications des gais, contre la reconnaissance du couple gai, contre le mariage ou les bénéfices sociaux auxquels ils auraient droit. Pourtant son copain Habib n’a pas la nationalité française, et il sera peut-être expulsé de la France bientôt. Il s’en fout, il est contre la gay pride, les parades, il est anti-gai. D’un autre côté, il drague à la planche, il veut prendre son café dans la galerie où ça drague le plus à la Sorbonne, il quête une cigarette à un gars dont ça se voit qu’il est gai, alors qu’il ne fume même pas. Bref, un allumeur pur et simple. Je lui ai demandé ce qui arrivait avec ceux qui voulaient que ça aille plus loin alors que pour lui ce n’est qu’un jeu ? Il m’a dit qu’implicitement c’est clair que c’est un jeu puisque souvent son copain est juste en face de lui quand il drague. Mais je lui ai dit que les gens pourraient croire qu’il veut le faire à trois. On dirait qu’il découvre le monde. On dirait qu’il s’accepte à un certain niveau, et puis le reste il est presque un militant anti-gai. Il ne demande rien à la société, il estime qu’elle en a assez fait. Peut-être ne se rend-il pas compte que dans cette société, si nous arrêtons d’en demander, elle finira par nous enlever le minimum ? Ça prend juste un gouvernement un peu trop d’extrême droite, un peu trop religieux ou un peu trop opportuniste qui voudra se gagner quelques votes sur notre dos. Bref, sa peur que je me serve de lui l’a fait fuir. Pauvre innocent, à ce rythme il ne se fera pas trop d’amis. Tant pis, je n’ai pas besoin de lui, ni de personne.

 

 

 

10

 

Cher François,

    Je t’écris cette lettre aujourd’hui, j’ai le temps. C’est moi, lié à toi par nos idéaux, nos goûts, nos orientations, nos vies, puisque je me lance dans l’écriture d’un scénario avec nulle autre qu’Anne Hébert. Je suis vraiment à zéro, ne connaissant rien, je vais me payer des livres sur le scénario pour en connaître la forme et le vocabulaire. Je ne puis prendre la chance de me fourvoyer dans ce projet, trop de choses entrent en ligne de compte. Je t’avoue que si tu veux m’aider et que le projet t’intéresse, j’en serai ravi. Sinon je ferai mes propres démarches, et on verra.

    On a déjà travaillé ensemble, tu te souviens ? Ce minable travail de sociologie où tu n’avais rien osé dire, qui t’a servi ensuite à montrer que nous étions incapables de travailler ensemble. Ou cette pièce de théâtre, De par les sept lieux, Cégep en spectacle, expérience que tu as trouvée traumatisante. Nul doute, nous étions faits pour accomplir une grande œuvre à nous deux, qui cette fois sera la réussite. Ne serait-ce que pour se prouver que nous sommes capables de travailler ensemble.

    À nous deux, je pense que l’on peut en faire une réussite, car tu connais les moyens et nous admirons les mêmes productions. Probablement que Stephen Frears m’inspire et t’inspire aussi. Une autre poésie que se retrouve dans le style du film Swoon, que je t’invite à aller voir si tu peux. Mort à Venise aussi, un peu. Un style pas comme les autres, suggestion, insolite, ne donnant pas toutes les réponses, aucune à la limite, surprenant, étrange, fucké. Mais il ne faut pas sombrer dans l’effrayant, drame d’horreur ou récit narratif du livre, cela n’aurait aucun intérêt. Comment retrouver ce style, ô François, toi qui t’y connais ? Le style des grands du théâtre italien, le grandiose, la prétention des personnages à la limite, un style bien similaire au mien et au tien. Cela serait-il possible ? Dans la grâce et la suggestion. Dans les silences, et cette atmosphère de sentiment d’excitation, comme celui où l’on découvre une nouvelle aventure, une nouvelle rencontre passionnante. Sensation de vide peut-être, d’inquiétude plaisante. Cette poésie des images qui se travaille, je suppose, par des moyens techniques qui me sont inconnus. Tu vois un peu le genre de scénario que je veux faire, et l’on a essayé de me convaincre au Conseil des Arts que ce n’était pas créatif, une adaptation cinématographique d’une œuvre. J’ai l’intention de faire de ce film une œuvre plus grande que le livre lui-même, si cela est possible, lui rendre une poésie plus grande que celle de l’horreur de la fin du livre. En commençant par filmer la moitié du film en noir et blanc. C’est la multiplicité des détails et des idées qui en feront une grande œuvre. La vie est trop courte pour s’enfermer dans une bulle ou se permettre des navets, ou même pire : quelque chose qui serait bon, mais pas plus. Il faut l’excellence, tu en sais quelque chose.

    Dans trois heures je rencontre Anne Hébert. Je pourrai t’en dire davantage de ce qu’elle pense du projet. J’ignore à quoi m’attendre. Je t’avoue que j’ai un peu peur. Elle me semble plus occupée que j’aurais pu le croire. Je ne sais même pas ce qu’elle pense de moi. J’ai lu toute son œuvre dans la dernière semaine, une vraie indigestion. Je n’ai même pas envie d’en parler, surtout pas à elle. Le petit téteux qui a tout lu et qui maintenant veut les clés et les réponses. Mais voilà, de quoi parlerons-nous ? De moi, bien sûr. En long et en large, je vais lui raconter mes déboires, mes insuccès et infortunes, mes histoires d’amour, mes fantasmes. Et puis je deviendrai son amant, je coucherai avec elle, elle en mourra et j’habiterai son appartement. Scénario simple, me diras-tu, irréaliste peut-être, mais elle est ma night-mère ! comme elle dit.

    Si je te racontais ma vie sentimentale, je me répèterais. En résumé, j’ai couché avec Edward, tu le sais, Sébastien a couché avec Ken, j’ai flirté à peine depuis que je suis à Paris. L’arrivée de Sébastien fut difficile, il a tout chambardé mon petit univers, brisant une par une chacune de mes habitudes, comptant pour moi chaque dollar que je dépensais. Ainsi je ne vais plus au cinéma, encore moins au théâtre, n’achète plus de sandwichs, me couche à 23 heures au plus tard, me lève à 13 heures le lendemain, je fais le lavage et la vaisselle pour deux, non pas que je sois la femme du couple, mais Sébastien est vache et si je ne le fais pas, personne ne le fera. Notre chambre est une vraie porcherie de toute façon. Je n’ai plus le temps pour mes projets, moi qui y passais 24 heures par jour de mon temps. C’est assez infernal, mais j’arrive maintenant à ne plus me chicaner avec lui. On recommence à vivre, avec l’été, bien qu’il n’y ait pas eu d’hiver à Paris. Tu vois à peu près le tableau, je suis à la veille de le foutre dehors ou changer de chambre. M’en fous de payer plus cher, il me faut travailler plein temps sur mes projets, sinon je n’arriverai nulle part. Tabarnack, aucun moyen de s’en sortir. Pendant ce temps Sébastien pratique son piano quatre heures complètes par jour et m’affirme qu’il n’a jamais travaillé autant. Qu’est-ce qu’il foutait, lui, à Ottawa ? Je ne veux pas le savoir.

    Pour tes amours avec Jean, et ce que j’en sais, je t’approuve sous tous les points de vue. C’est tout ce que j’ose en dire dans cette lettre ; ainsi tu pourras la laisser traîner où tu voudras, dans les égouts de la ville de Montréal par exemple.

    Je suis vraiment fier de toi et heureux que ton court-métrage remporte ce succès et que cela ne fasse que commencer. Je sais que tu vas aller loin et que, même, tu écriras les deux autres projets de scénario qui en font la suite et en feras un long-métrage. Nous allons construire l’histoire, nous sommes la nouvelle génération : que les vieux crèvent, notre place, nous allons la prendre. Les down d’après projet, cela n’existe pas. C’est l’heure où il faut se remettre dans un autre projet plus grand encore. Jamais assez, jamais arrêter. C’est ça la vie d’artiste, mourir tout au bout de son œuvre, s’éclater dans chaque projet. Peu importe le succès remporté ou l’échec. Le seul plaisir de le faire lorsque nous sommes dedans, le reste n’est que frivolités et formalités.

    Bon, je dois me préparer pour partir chez Anne Hébert. Je vais lui parler de toi, de tes amours tumultueuses, elle sera contente.

    Je reviens de chez Anne Hébert. Son appartement n’en est pas un de riche, elle habite la même place depuis 25 ans, avec son chat de 12 ans qui s’appelle Petit chat, alors qu’il est gigantesque. Elle avait acheté des gâteaux à la pâtisserie du coin, nous avions apporté une belle tarte aux cerises à 105 francs. On a acheté des fleurs, orchidées, j’espère qu’elle ne pensera pas qu’on cherche à l’acheter. Bref, son univers est tout de même bien, bel appartement, elle a certainement passé une belle vie, je ne crois pas qu’elle se soit ennuyée. Quelques clés ne nous ont pas été données, c’est-à-dire comment elle a réussi à publier ses premiers poèmes au Seuil, si elle a déjà eu des amants et des enfants. Apparemment aucun amant, aucune photo, aucun enfant, sinon ceux du sabbat. On a discuté de religion, elle ne semble pas croyante une miette, ça me soulage. Je l’ai peut-être insultée, qui sait ? Mais revenons aux réalités. On a parlé du film, il ne faudra pas s’enflammer, elle ne semble pas chaude à l’idée de voir ça à l’écran. Elle a déjà refusé à un certain Gaston, metteur en scène je crois, d’en faire une pièce de théâtre. Elle dit qu’il n’a jamais été question pour elle d’en faire un film. Elle semblait vouloir me dire non, mais elle en était incapable. Elle a terminé la soirée en me disant qu’elle réfléchirait et qu’elle rouvrirait le livre. Elle m’a dit qu’elle devait travailler sur d’autres projets en ce moment, ce à quoi j’ai répondu que je peux écrire le scénario et qu’elle pourra le relire ensuite et me dire, si elle n’est pas satisfaite, quoi changer. Elle a dit qu’elle ne voulait pas que je travaille pour rien. J’ai l’impression que je vais recevoir une lettre du Seuil sous peu m’affirmant que c’est non. Bref, elle ne doute pas de ma bonne volonté, elle a peur que je perde le contrôle sur le projet et que le tout finisse en un film d’horreur où règnent l’inceste et l’exorcisme. Elle dit que le monde du cinéma est très ingrat et qu’on se fout de l’auteur, que l’argent arrive avec toute une série d’obligations qui vont conduire à l’échec du film par ces sacrifices. Je lui ai donc dit que nous faisions toi et moi du cinéma indépendant, que nous n’avions donc personne pour nous dicter quoi faire (je lui ai dit n’importe quoi). Je lui ai dit aussi que certaines scènes étaient extraordinaires, par exemple Julie chez le docteur qui trouve que la coiffe des sœurs la brûle. Sa confession chez la mère supérieure où Julie imagine la mère en train de lui mettre la tête dans le seau d’eau. Ou la confession avec le curé où finalement elle ment et le curé le sait. Elle court vers le confessionnal légère comme l’air, et plus elle approche de la chapelle, plus elle devient lourde et n’est plus capable d’avancer. Ou bien l’image du couvent dans la nuit, la scène de la pénitence dans l’église où l’on part du fond de la chapelle pour aller tourner autour du cierge qui montre la présence de Dieu. La chandelle s’éteint et sœur Gemma panique. Elle avait oublié tous ces passages.

    Elle viendra au concert de Sébastien ce 18 mars, on va aller la reconduire après. Je me demande si elle va se désister.

    Je te remercie pour tes affiches, elles sont très belles, je les ai accrochées à mon mur chenu et vide. Ça me sacre un bon coup de pied pour me motiver dans mes projets. Ta lettre est très profonde, maintenant que je la relis. Je t’en veux de t’être réveillé 19 mois plus tard que moi à ton homosexualité, mais cela ne pouvait arriver autrement, tu imagines les conséquences ? Tu te souviens de Claude avec qui j’étudiais à Ottawa ? Il ne m’a jamais rappelé après avoir su que j’étais gai. Ou bien peut-être qu’il croyait que je le fuyais, je pense qu’il a un problème psychologique avec ça. Peut-être l’est-il, après tout. Tout est possible. Je me souviendrai toujours quand sa blonde Bibi m’a annoncé, lorsque nous faisions du ski ensemble lors de notre cours au collège, qu’elle avait couché avec un mineur, c’est-à-dire Claude. Il couchait dans ma chambre à Ottawa chaque semaine après nos sorties dans les bars d’Ottawa et de Hull. On ne peut pas lui enlever ça, il est crissement beau le maudit. Ah, si j’avais pu le réveiller lui aussi, miam, miam. Excuse-moi, je dévie du sujet. Miam, miam.

    Tu me sembles bien à Montréal, bien sûr à Paris on fait toujours plein de rencontres. À chaque nouvelle personne tu es certain de t’ouvrir à un nouvel univers. Par exemple, hier on est allés à un concert en bas, on a rencontré un gars qui a déjà enregistré trois disques compacts pour de la musique de films et de pièces de théâtre. Il a un petit studio d’enregistrement maison et il ne chargera que 50 francs de l’heure pour que Sébastien puisse faire une cassette démo digitale. C’est une ville qui a beaucoup à offrir quand tu prends le temps de t’y incruster, mais Montréal aussi, je suppose. Vois-tu, tu ne pourrais pas demeurer ici indéfiniment. Le mieux, c’est de s’inscrire dans une école, ça semble relativement simple d’être accepté. Ça ne coûte rien et tu peux rester au moins deux ans sans problèmes. Je ne saurais cependant te conseiller de venir ici. Je vois déjà Sébastien me tomber sur la fripe s’il se rend compte qu’il est venu pour rien et que rien ne débouche. Mais je suis convaincu que tout ira bien. Avec le monde qu’il y a ici, je te jure, tout projet trouve son public et ses mécènes. Mais l’ailleurs est-il vraiment meilleur ? Cela pourrait bien dépendre de tes rencontres. Les bars sont bien garnis en tout cas, il y a des gais partout, même en dehors des bars. J’ai rencontré une seule personne qui n’était pas gaie, et je t’avoue que je n’en reviens pas encore. Comment ? Tu n’es pas gai ? Impossible, tu es l’exception. Probablement que tu ne t’acceptes pas encore.

    En ce qui concerne le jour de l’an, c’est vraiment terrible. Je suis demeuré un mois au Canada et je n’ai passé que trois jours au Saguenay. Je n’ai même pas vu mes parents, puisque je demeurais chez ma sœur et que nous avons passé notre temps à tenter de voir tout le monde. Je n’ai même pas appelé Gaston, il ne me parlera plus jamais après ça. Bref, j’ai des remords immenses, mon père m’a donné 650 $ pour que j’aille le voir. On a passé une soirée ensemble, tu te rends compte ? Le problème, c’est que je voulais absolument emmener Sébastien, et que celui-ci travaillait, avait des cours de piano, de voix et pratiquait avec Gordon au violon. Ô triste univers, comme j’aurais dû laisser l’enfant à la maison. Sébastien n’a pas arrêté de se plaindre de toutes nos vacances à Jonquière.

    À bientôt !

 

 

 

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    Il est temps que je parle de mes nouveaux copains et copines d’étage. J’ai appris dernièrement que les couples hétérosexuels aussi se demandaient parfois qui était la femme dans le couple. Entre autres, nos deux guitaristes un peu plus loin. C’est la femme qui est en contrôle de tout et qui prend les décisions devant son copain plutôt mou et passif. Ce pauvre, lui, a-t-il encore une vie ou vit-il en fonction de sa blonde ? L’autre à deux portes de moi me fait chier parce qu’elle a toujours un grand sourire et que c’est hypocrite, quand nous savons ce qu’elle dit dans notre dos. Les deux autres de chaque bord, c’est la même chose. Celle d’en face doit avoir 40 ans, ne me dites pas que ça étudie au doctorat, ça. En plus elle semble se permettre de nous juger, nous la jeunesse, et de me chialer parce que la veille il y a eu une fête dans la cuisine et je n’ai absolument rien à voir avec cela. Le plus beau morceau, il s’agit d’André. Ce gars me méprisait tellement, j’ai bien vu à parler un peu avec lui qu’il n’était plus de notre monde. Un gros rejet de notre société qui se revalorise dans sa prétention et ses études, s’y accrochant comme s’il s’agissait de sa dernière motivation à vivre. Alors il me dit qu’il est l’élite de la société et qu’il ne peut pas s’abaisser à parler à ceux qui ne sont pas l’élite. Je lui fais remarquer que ça le limite complètement, puisque c’est impossible alors de parler avec l’élite qui a étudié une autre branche que la sienne, l’histoire de l’art par exemple. Ensuite, il me dit qu’il étudie en littérature, et comme par hasard nous sommes incapables de communiquer puisque nous avons étudié des auteurs différents. Le voilà bien mal pris. Mais lorsque je lui ai dit qu’Anne Hébert viendrait peut-être au concert de Sébastien, le voilà qui fantasme tout haut, qu’en tant que grand responsable du comité qui organise les activités culturelles, quelle gloire ce serait pour lui d’avoir Anne Hébert en conférence et pouvoir prendre une photo d’elle avec lui pour que ça se retrouve sur le mur de la Maison. Oh my God ! Comme cela aurait été drôle, si dit de façon ironique. J’ai bien ri pour me rendre compte ensuite qu’il s’agissait d’une réalité pure et simple, et qu’il n’en dormirait pas de la nuit. Comme l’humain peut se contenter d’absurdités et de choses futiles. Le problème, c’est que ce con est en charge de la musique et que l’on dépend de lui pour le concert de Sébastien. Il va toujours manger seul au restau U, le restaurant de la Cité internationale universitaire de Paris. Ça se comprend. Il dit qu’il est impossible pour lui de communiquer avec les Français, on comprend pourquoi. Il réussit à s’entourer justement en étant le responsable des activités culturelles, alors on n’a pas le choix de transiger avec lui et de lui parler, le flatter et tout. Je ne doute pas qu’un jour il devra payer quelqu’un pour avoir du sexe et de l’affection. Paraîtrait qu’il est gai, selon Maurice qui l’a vu se cacher dans les escaliers pour regarder du coin de l’œil un Maurice en caleçon qui se baladait devant sa fenêtre. Après il serait entré dans sa chambre, aurait fermé toutes les lumières et aurait continué à observer Maurice dans le noir alors qu’on le voyait très bien par la fenêtre. Le pauvre, il doit vraiment être en manque.

 

 

 

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    Ne suis-je pas en crise parce que le mois de mars est com-mencé ?

    Aujourd’hui avec Renaud j’ai discuté. Ça touche à sa fin, la conversation fut cinglante, directe, intenable. Ça me rappelle la crise de François dans le temps, quand on s’écrivait. C’est peut-être moi le problème, je devrais être plus hypocrite et ne pas provoquer les conversations franches. Plutôt laisser couler le temps et voir les sentiments des gens changer. Bref, j’ai des choses à apprendre, que je ne discerne pas pour le moment, mais je sais que cela fait deux fois que je me retrouve dans cette situation. Enfin, voici ce que j’ai dit à Renaud au cours de latin :

    — M. Renaud, qui êtes-vous ? Vous êtes fier d’avoir eu 83 % à votre examen de latin ? Vous avez bien travaillé. Je suis fier de vous, M. Renaud. C’est votre copie qu’elle cite sans cesse ? Alors, vous vous êtes bien reposé de moi ? C’est bien connu que je suce l’énergie de mes amis. Cette semaine, c’est l’alerte anti-moi sur Paris : « La semaine prochaine je veux rester seul. » « Après le cours je dois m’enfuir. » La vie est difficile lorsqu’il y a le rejet, même d’une amitié. Voilà pourquoi ma dépression. Ne te serait-il pas plus simple de me dire que tu ne veux pas de mon amitié ? Ou restons superficiels, nous nous dirons bonjour au cours, voilà. Selon Maurice, je suis un paranoïaque convulsif. J’avoue que c’est peut-être vrai, et même j’espère que c’est vrai. De toute façon, il est évident que c’est moi le problème, si je t’ai effrayé à quelque part. À moins que toi aussi sois paranoïaque, tu crois que je veux me servir de toi, ce qui est absolument faux. Je me fous bien d’où tu travailles et je n’ai pas besoin de toi pour écrire un livre. Mais c’est vrai que j’exagère peut-être. Qui sait, peut-être suis-je plus exigeant que toi en amitié. Peut-être aussi tu m’as laissé m’approcher trop près de ton intimité avant de couper les ponts ensuite. Mais peut-être que tout se tassera au retour d’Habib, et sincèrement je l’espère. Tu me sembles vouloir fuir et cela m’affecte moralement. Mais peut-être n’est-ce que de la parano. Alors, tu t’entends bien avec Franklin ?

    — Jaloux ?

    Quand Renaud a écrit « jaloux » sur la feuille, j’ai éclaté de rire dans la classe. Incapable d’arrêter, la prof paniquait, croyant sans doute que je riais d’elle. Renaud dit qu’elle ne me le pardonnera pas et qu’elle me fera couler pour ça. Et il ne semble pas content que cela pourrait aussi affecter son résultat final. Au cours du vendredi matin de Civilisation latine, il dit vouloir s’asseoir au premier rang pour que le prof puisse bien le voir : ceci est la seule façon de réussir le cours, dit-il. C’est donc par favoritisme que l’on passe ses cours à la Sorbonne. Le mérite, on ne connaît pas. Quelle belle réputation cela donne à tous les gradués de la Sorbonne. Je comprends aussi comment Renaud a été trop poche pour réussir son cours de latin l’an passé, alors qu’il a passé le cours de grammaire avec une mention d’excellence. Il a passé deux heures dans un train avec le prof, M. Maginel. Je suppose que c’est en retournant vers Chartres, d’où vient Renaud. Quelle belle réputation cela fait aux gens qui ont réussi leurs cours de la Sorbonne avec une mention. Je le saurai plus tard qu’il faut se méfier de toutes ces décorations, titres, prix, diplômes. Même à l’université, c’est par contact et pistonnage que l’on réussit. Je déteste tout en Renaud maintenant, je vois sa personnalité d’une façon tellement différente. Chaque minute que je le connais davantage, il me fatigue encore plus. Il fait le téteux qui connaît absolument tout alors qu’il ne connaît rien. Il se permet une prétention hors bornes, et juge tout selon des connaissances déphasées qui ne viennent d’on ne sait où. L’histoire littéraire de la France est encore en train de s’enfermer dans quelques idées bien particulières, et l’on tuerait pour protéger cette petite philosophie cul-cul. Je ne vais pas attendre que Renaud m’envoie chier, c’est moi qui vais l’envoyer chier. D’autant plus que je suis maintenant incapable de supporter sa vue. Un autre médiocre qui essaye de s’en faire croire en se prenant pour l’élite. Je sais maintenant c’est quoi l’élite. C’est un groupe de médiocres frustrés qui essaient de s’accaparer les miettes du pouvoir et de l’influence dans leur domaine respectif. C’est bien, nous avançons dans l’établissement de notre nouveau dictionnaire, toutes ces définitions qu’il me fait redéfinir...

 

 

 

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    Renaud a rencontré Maurice à la biblio, paraît qu’il est en panique puisque je semble fâché contre lui. Comme c’est bizarre. J’émets une hypothèse : je crois qu’il veut être ami avec Maurice et que, malheureusement pour lui, c’est moi qui fais le pont. À moins qu’effectivement il ait encore une quelconque intention d’être mon ami. Comme s’il pouvait n’être en rien effrayé par ma paranoïa, puisqu’on s’amuse à me trouver des névroses. Je propose également que les gens sont devenus tellement renfermés socialement, que la simple demande de la vérité rend fou, et aussitôt t’apporte des remarques telles que tu es névrosé et devrais être enfermé. On doute, mais on se tait. Quand on cherche à voir plus loin, à comprendre certaines actions, c’est déjà trop pour le peuple. Jusqu’où allons-nous pousser la sottise de nos conversations ? On pourrait nous croire en chicane de couple, comme dirait Maurice, voilà pourquoi ça ne vaudrait plus la peine que nous tentions d’être amis. L’avenir nous dira ce qu’il en est. Je devrais le revoir mercredi prochain, il dira sans doute que je lui fais la gueule, et ce serait vrai. Je ne le supporte plus, mais en même temps je dois aller m’asseoir près de lui. M’asseoir ailleurs implique trop de choses et c’est de l’enfantillage. Belle société, faut continuer à être superficiel et hypocrite. Le problème, c’est qu’il connaît Maurice, c’est déjà plus difficile pour moi de couper les ponts. Franklin me dit de ne rien couper, puisqu’il travaille chez ce grand éditeur. Comme si cela pouvait m’arrêter de l’envoyer chier, au contraire, c’est une motivation de plus. Je suis rempli de préjugés, parce que j’ai l’impression que tout le monde est rempli de préjugés. Que nous réserve donc l’avenir ? Je me demande s’il y aura une évolution. Moi, les évolutions qui avancent à pas de tortue pendant des semaines, ça ne m’intéresse pas. Si c’est pour me présenter la stagnation, fuck it. C’est le temps de fermer le Chapitre Renaud. Il me faudrait l’accrocher dans un coin noir, l’embrasser, le déshabiller, le sucer. Sinon je ferme le Chapitre Renaud.

 

 

 

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    Je parle très peu de Sébastien. Pourtant il occupe toute ma vie. Tellement qu’il ne me laisse plus le temps de rien faire. Il veut toujours sortir le soir, parce qu’il n’a plus rien à faire. Résultat, on dépense comme des malades et il mate les hommes dans les bars gais du Marais. Hier c’était au Duplexe. Avant-hier c’était à l’Amnésia. Je ne compte pas ses matages dans le métro, au resto U, à l’épicerie. Il n’est vraiment pas discret, il fait vraiment chier. Je l’endure parce que je sais que ça ne va pas plus loin ; mais aussitôt qu’il se retrouve seul, qu’est-ce qui se passe ? Il est sur le point de réussir dans la musique, il deviendra peut-être riche. Ce n’est pas suffisant pour me convaincre de rester avec lui. D’un autre côté, je ne peux pas le laisser sur des frivolités, pour le reste, je l’aime et la rupture serait très difficile. Peut-être en serais-je incapable ? C’est grâce à moi s’il sera annoncé dans Pariscope et l’Officiel des spectacles pour son concert à la Cité. J’ai été acheter les magazines, j’ai téléphoné, j’ai composé le billet avec lui, je l’ai retranscrit à l’ordinateur, imprimé. Lui, il ne se pressait pas, s’en foutait un peu, on était à une journée de la date limite. Il ne voulait pas que je dise à quiconque qu’Anne Hébert serait là, il ne comprend pas qu’il faut savoir tirer parti de tout. J’ai couru le dire à la directrice, son mari est riche et connaît tout le monde. Ils seront là maintenant, leur premier concert de l’année, faut le faire. Anne Hébert n’a même plus besoin de venir, les gens pensent qu’elle viendra, ils viendront. Sébastien voulait un minimum de personnes, finalement il a compris qu’il en fallait un maximum et une chance d’attirer les bonnes personnes. Ainsi il y aura peut-être des gens du milieu, attirés par l’annonce du Pariscope ? J’ai même téléphoné à M. Westman de New York à son numéro à Paris, ce riche que j’ai rencontré dans un bar de New York et qui me promettait mer et monde. Aucune réponse. Il ne faut rien négliger. J’en fais plus pour Sébastien que je semble prêt à en faire pour moi. D’ailleurs, j’y consacre tout mon temps, m’occuper de lui, puis de sa carrière. Je n’ai plus rien fait sur mes écrits depuis qu’il est ici. Non plus sur mes études, ma vie s’en va chez le diable. Il dort comme un malade, encore trois heures cet après-midi. Que vais-je faire ? Je vais flancher mes études et ma littérature ! Il a intérêt à réussir et à m’aider ensuite, je vous le jure. Pour lui j’en ai fait des sacrifices. Mais il ne les voit pas. Je l’écoute jouer toutes ses chansons au piano, sans cesse, pour lui cela ne suffit pas. Il me faudrait être là pendant ses quatre heures de pratique, dans la salle en bas. On a rencontré Victor, c’est moi qui pousse Sébastien à l’appeler pour qu’il lui demande l’achat d’une enregistreuse digitale pour qu’il puisse enfin avoir une cassette de ses chansons. Il perdrait un temps fou, encore, il en perd tant. Il s’accroche à ce 18 mars comme si cela lui laissait le temps de vivre. Tabarnack ! Il devrait déjà être dans l’action, courir à l’Envol, aux autres bars ou cafés, rencontrer des gens, recopier ses chansons pour l’enregistrement des droits d’auteur. Au lieu de cela, ses quatre heures suffisent, et ensuite il faut sortir ou faire quelque chose. En plus, il veut sans cesse aller manger au resto U. Et c’est très souffrant pour moi, je dois me forcer à avaler du poisson pourri, avarié, dégueulasse, chaque jour. Ingrat univers. J’ai l’impression qu’il va réussir et qu’il va me crisser là sans problème ensuite. Il aura la chance d’avoir tous les beaux petits gars qu’il veut, voudra enfin se débarrasser de moi. Et je me retrouverai avec rien, sauf mes souvenirs, hélas. Il me faut rayer son nom de mes écrits, j’ai bien envie de l’illuminer, en gras, italique, points grandeur 18. Il le veut illuminé son nom, je le double, soulignerai en plus. C’est moi à l’origine qui lui ai dit qu’il pourrait jouer de la musique avec Gordon, voilà exactement un an, et c’est le jour où il est parti dans le bar avec Ken et a fini par coucher avec lui. C’est par Gordon qu’il a rencontré Amy, qu’il a trouvé la motivation d’embarquer pour vrai dans sa vie de musicien. Heureusement que tout lui est tombé du ciel et que, petit à petit, il en est venu à se retrouver sur ce chemin, tout ce talent serait perdu. Ses chansons sont franchement impressionnantes. Il réussira, c’est certain, aucun doute. À écouter ses chansons, j’ai l’impression que c’est mieux que Dépêche Mode et U2, d’un point de vue strictement mélodique et complexité musicale. Ce serait peut-être s’aventurer trop loin d’affirmer une telle chose, je suis tout de même un néophyte, mais disons que j’apprends à voir ce qui fait défaut dans d’autres chansons, maintenant que je connais les siennes. Mon problème, c’est que j’ai un paquet de frustrations accumulées, comment m’en débarrasser ? Il me faudrait être le Christ qui pardonne le péché du monde. Il nous faut un deux-pièces et vite. Voyons voir où tout cela nous conduira, j’ai bien l’intention d’abandonner mes études. Au pire, je n’aurai qu’à m’y remettre plus tard. Ça vaut la peine que je tente le tout pour le tout, il pourrait bien effectivement aller loin, et très vite. On parle d’aller à Londres cet été, peut-être même y passer l’été. Essayer d’y jouer quelques concerts. Mais, encore une fois, j’ignore ce que je fous là. Dans le fond, ce n’est pas ma vie, j’y consacre déjà trop de temps et il ne le voit pas, n’a aucune reconnaissance puisqu’il ne voit rien. Il s’imagine qu’il n’a pas besoin de moi alors qu’il ne comprend pas que sans moi il ne serait pas là, il n’aurait jamais commencé à composer des chansons. Dans le fond, il me faudrait commencer tout de suite à me conditionner que je ne retirerai rien de tout cela, parce que c’est ce qui va arriver. Et le pire c’est que j’aurai tout sacrifié. Car je pourrais encore réussir dans mes études si je m’y mettais tout de suite à plein temps, et j’avoue que cela me tente en grand. Si je changeais de sujet de maîtrise pour Anne Hébert, je sais déjà tout ce que je dirais. Je lis les deux livres sur le latin, je lis toutes les notes, me voilà prêt pour l’examen. Je lis les notes de M. Dalloz et son livre critique, je n’ai même pas besoin de lire les quatre œuvres au programme. Abarnou, je fais son mini-mémoire et voilà, il n’y a même pas de livre à lire et j’ai l’impression qu’il n’y aura même pas d’examen final. Il ne reste que la grammaire, mais voilà, on me laisse deux ans pour passer au travers et quatre chances de le réussir en un examen. Ce n’est pas si pire. Mais maintenant que Sébastien est arrivé, tout s’écroule. Plus une seule minute à moi. Il me faudrait aller passer des journées entières dans les bibliothèques de la ville de Paris. À y penser, j’en ai la chair de poule. Vais-je le faire ? En tout cas, j’espère qu’Anne Hébert refusera pour le scénario, parce que, en fait, je n’ai pas le temps. Et qu’après le livre que j’écris, je veux écrire un vrai roman. Bref, je pense que l’épisode Anne Hébert était nécessaire pour ma maîtrise, pas pour le scénario. Maintenant je ne sais plus trop ce que pourrait devenir notre relation. À quoi pourrait-elle servir en ce qui me concerne ? Et à quoi pourrait lui servir une relation d’amitié avec moi ? Écrire son prochain livre peut-être. Et André, lui, qui ne me rappelle pas, que m’apportera-t-il ? Je vais le rappeler bientôt, quand tout se sera tassé dans ma vie, c’est-à-dire jamais. Je suis en train d’apprendre de partout à la fois, j’ai cette multiplicité de nouvelles relations en parallèle qu’il me faut vivre et analyser tout à la fois. Franklin a fait son come-back depuis qu’il a lu mes écrits. Il est maintenant si près de moi, de mon intimité, il dit qu’il a l’impression d’être un vieux pote à moi. Le pire, c’est qu’il ne connaît que la dernière année de ma vie, amputée de 700 pages. C’est dire un minimum. Pourtant il dit me connaître à fond. Si cela prouve quelque chose, c’est que l’on ne connaît rien de nos amis finalement. Et c’est vrai. Qu’est-ce que je connais de Sébastien en fin de compte ? Un minimum. J’ai cette impression de ne connaître que le gars présent qui occupe toute la place dans ma vie. On a si peu parlé de son passé, et ça lui en prend tant pour me raconter tout ce qui se passe dans ses entrailles. Et qu’ai-je vraiment connu de Noël, mon ami d’Ottawa ? C’est dans nos dernières rencontres que j’ai compris quelle vraie personnalité l’animait, et même, qu’il était un vendeur de drogue, attirant les petits garçons à lui par la drogue gratuite. Je suppose que finalement il les fait s’endetter, puis se fait repayer par des branlettes ? Ce n’est pas un scénario impossible et cela expliquerait bien des choses, et prouverait encore plus comment j’ai pu ne rien voir en mes amis. Pourtant un humain en vaut un autre, et les différences demeurent tout de même des détails. Leurs actions, vécu, passé, tout cela ne paraît pas, leur âme ne se voit pas, leur conscience non plus. La faute commise importe peu. Un meurtre peut valoir le vol d’un bonbon, c’est le poids de la conscience qui compte. Il n’y a donc pas de meilleurs temps pour vivre et de plus mauvaises époques. Toute l’Allemagne se ronge de remords pour les crimes de guerre des Nazis, et les leurs je suppose. Ce sentiment de culpabilité serait-il plus lourd sur leur conscience que ce que les victimes ont pu souffrir ? S’accommode-t-on plus facilement de la mort d’un de ses proches à la guerre, ou du poids de notre conscience en rapport à nos crimes de guerre ? Comme la question devient intéressante. Alors quelqu’un qui, sous le joug d’une religion, se sentirait justifié à tuer des gens, celui-là n’aura pas ce poids sur la conscience et vivra très bien le reste de sa vie durant. Cela n’est peut-être pas vrai. Peut-être paiera-t-il ses fautes, peut-être que non. Et peut-être même qu’il ne s’agit pas d’une faute. Comme le tout devient complexe, lorsque tout doit reposer sur des hypothèses. Je plains ceux qui ont pris des hypothèses et qui les ont déclarées comme étant la réalité. J’ignore où ils s’en vont, ce qu’ils peuvent prétendre nous apprendre. On m’a dit dernièrement que si je me mettais à faire de la philosophie et à réfléchir, je finirais par réécrire Platon, Socrate, Aristote et ce que leur suite a dit. Plaît-il ? J’ai étudié tout cela, leurs idées ne me seraient même jamais venues à l’esprit. J’ai même tout rejeté en bloc, je n’avais point besoin de m’enfermer dans cette bullshit pour comprendre une parcelle de la vérité de l’univers. En fait, j’ai eu l’impression que je m’en serais éloigné tout à fait. Je peux reprendre leurs discours et élaborer là-dessus, mais où m’en irais-je avec tout cela ? C’est un peu comme prendre une table, puis élaborer sur cette table pendant des siècles. La réinventer, lui ajouter sans cesse des choses, la polir et la repolir, puis de découvrir à la fin que tu as perdu ta vie à continuer l’élaboration d’une table, et que pendant ce temps la société à côté a inventé une maison complète avec tout son contenu. Ou, au contraire, découvrir après toutes ces années que ta table n’était en fait qu’un ramassis d’atomes pris ensemble et que ces atomes sont appelés à s’évaporer dans la masse existante d’atomes. Un peu comme de découvrir que ta table n’est qu’une illusion, qu’elle n’existait pas. Tu la voyais comme telle parce que ton cerveau l’interprétait comme telle. Mais enfin bon, peu importe les facultés ou aptitudes de l’homme, peu importe ce qu’il fera de sa vie, il perdra son temps de toute manière. Alors le perdre à analyser une table ou la philosophie, pour ce qu’elle s’est inventée comme univers, c’est du pareil au même et on s’en fout. Faut bien gagner sa vie, vivre, faire la guerre s’il faut, crever et en finir une bonne fois pour toutes.

 

 

 

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    Monde de tapettes pourri ! Toutes des estis de tapettes, grandes folles, qui ne pensent qu’au sexe, qu’à sortir, danser, flirter, s’arranger, et puis quoi encore. Inutile de vouloir prouver le contraire, c’est ça et c’est rien d’autre. Et moi j’en suis à l’écœurement le plus complet. J’aime encore mieux les p’tites histoires pédophiles de Gide dans des contrées lointaines que l’esti de vie gaie de Paris. Sébastien vient de décrisser à un Gai-T-Dance au Palace, une boîte qui charge 70 francs l’entrée, 40 francs si tu arrives avant 17 heures. Ça continue jusqu’à 2 heures du matin. Et là je suis en christ parce qu’on passe notre vie à sortir dans tous les estis de bars tapettes de Paris, et pendant ce temps je ne fous plus rien et je m’inquiète inutilement de Sébastien. Tellement que maintenant j’en suis au bout du rouleau et que j’aimerais mieux lui rendre sa liberté et m’en balancer complètement. Le crisser là, lui, le classer grosse tapette incapable de se contrôler et qui veut des amis avec qui coucher, go for it ! Je ne veux pas passer ma vie à m’imaginer le pire, je ne veux plus rien savoir. C’est drôle que toutes mes aventures foirent, et que les siennes doivent déboucher. Je vais être incapable de faire quoi que ce soit, je vais crever à me lamenter sur ce qui pourrait arriver. En plus je ne serai pas parlable lorsqu’il va revenir, s’il revient. Comment m’en sortir ? On vit ensemble, et si on se laissait, il trouverait quelqu’un d’autre dans la semaine qui suit. C’est moi qui souffrirais, je ne suis même pas certain qu’il s’en rendrait compte que je ne suis plus là. Il est à deux doigts de réussir dans la musique et moi à deux doigts de lui dire que je voudrais que ce soit fini, sans trop savoir comment on peut finir cela sans trop me faire mal. Et de toute façon je n’ai pas un sou.

    Franklin vient de téléphoner. Je l’ai pratiquement envoyé chier. Je regrette, mais que voulez-vous ? J’en ai assez de la vie à Paris, maintenant que j’y pense. J’ai vraiment envie de partir. Heureusement que je n’ai pas d’argent, je décrisserais immédiatement. Départ autour de la planète, n’importe où. Je n’en veux plus de la Sorbonne qui nous empêche de respirer, j’en ai ma claque ! Et ce n’est pas vrai qu’il fait chaud à Paris en hiver. Il fait froid et il n’y a pas de neige. Et quoi d’autre qui n’est pas vrai et que l’on essaye tant que l’on peut de se convaincre que c’est mieux ici. Ce n’est pas mieux ici, la France ne m’intéresse plus. Je l’ai démythifiée tant que j’ai pu, j’ai compris que l’on est mieux près de chez soi avec sa famille. Comme le mythe est séduisant. J’envie les crétins qui n’ont pas terminé leur secondaire 5 et qui rêvent de partir pour Paris. Eux au moins ils seront heureux et garderont espoir à quelque chose. Rêver qu’un jour ils réaliseront leur rêve, être heureux au-delà de tout. Car il vaut mieux espérer être heureux un jour que de comprendre que nous ne serons jamais heureux. C’est là le prix de la réalisation de nos rêves de jeunesse. Ainsi je m’accrocherais encore à des chimères qui me motivent à vivre. La vie est d’une éternelle platitude.

    Se peut-il que je sois resté ici et que rien ne va arriver dans ma vie ? Ce n’est pas pour rien que je suis demeuré ici ce soir, plutôt que de sortir. Il se pourrait que ce ne soit que pour Sébastien en fait, il va lui arriver quelque chose et je ne veux pas savoir quoi. Se pourrait-il que cela ne marcherait que dans un sens ? C’est-à-dire que nous serions laissés chacun à soi pour que seulement lui puisse en retirer quelque chose de bénéfique ? Pourquoi me l’avoir parachuté du Canada si c’était pour me faire comprendre que c’était terminé et qu’il a besoin de respirer sans m’avoir tout le temps sur son dos ? Christ ! N’ai-je pas suffisamment prouvé à la face de la planète que je m’en foutais qu’il soit quatre mois tout seul au Canada sans moi, libre de faire ce qu’il veut ? Je dois apprendre peut-être à être moins possessif ? Franklin et Maurice sont prompts à me dire que je dois laisser Sébastien sortir sans moi. C’est quoi leurs expériences que je n’ai pas ? Ils se sont fait tromper combien de fois, eux, tellement qu’ils s’en balancent. C’est normal, pour eux. Pourquoi ? Parce qu’eux-mêmes ne sont pas fidèles. Je me rends compte aujourd’hui que je ne connais rien de la vie de Franklin et de Maurice. Maurice, c’est encore pire. Il a couché avec quantité de gars depuis qu’il est à Paris, à l’écouter, on dirait qu’il est pur. Combien de fois m’a-t-il dit de me mêler de mes affaires quand on arrivait à parler de ses relations amoureuses à Paris et ailleurs ? Moi, pendant ce temps, je leur dis tout, je leur fais lire mes écrits, ils ont l’impression de devenir mes vieux potes. Il n’y a que de la superficialité là-dedans. Et combien de fois, chaque fois que je m’approche de Sébastien, il me repousse. Bon Dieu ! Il n’en veut pas d’affection, lui ? M’aime-t-il ? On fait l’amour à peine une fois par semaine, je voudrais le faire à chaque jour. On a deux lits simples séparés, on dirait que ça lui fait plaisir, comme ça on n’a plus besoin de se prendre dans les bras. J’en ai ma claque ! Et si tout ce qui existe à Paris ressemble à Renaud, vaut mieux laisser faire. J’aurais peut-être envie de l’appeler, lui, aujourd’hui. Mais j’ai comme l’impression que Sébastien trouverait ça bizarre, et qu’en plus Renaud ne voudrait rien faire. De toute façon, c’est vrai que je ne puis plus le sentir. Il me fatigue énormément. J’ai téléphoné à André, le genre de petit-fils à Anne Hébert. Il ne m’a jamais rappelé, malgré mes messages sur son répondeur. C’est clair qu’il ne veut rien savoir. Peut-être me rappellera-t-il ? J’en doute, son message change à chaque fois, aujourd’hui ça dit qu’il ne couchera pas chez lui, qu’on devrait rappeler demain. Or, ce message date-t-il d’aujourd’hui ? Un autre crétin, je suppose, hétéro peut-être. Et j’avoue que ça ferait changement de rencontrer un hétéro pour une fois. Les gais ne tiennent plus à terre.

    Life sucks. Aujourd’hui, j’ai repassé en revue les différentes façons de se suicider. Pilules, fusil, rails d’un métro ou RER, la Seine. Les pilules sont la meilleure façon de rater un suicide. De toute manière je n’en ai pas suffisamment. Le fusil, je n’en ai pas. La Seine, meurt-on vraiment lorsque l’on s’y lance ? Les rails d’un RER... m’y lancer sans réfléchir, attendre quatre trains différents avant d’avoir le courage, au climax de notre désespoir, s’y laisser glisser. Ce n’était vraiment pas la peine de m’emmener jusqu’à Paris pour que je finisse sous un métro. Je suis comme un enfant auquel on essaie de faire avaler de force un pablum dégueulasse. Alors comme un enfant je refuse d’avaler, y mets toute mon énergie à le dégueuler plus fort ! Ce soir je ferai le serment de lâcher mes études une bonne fois pour toutes. J’ai téléphoné à Renaud, pour lui dire que j’étais en crise. Il m’a pris au sérieux, mais n’a rien tenté pour me sauver. Je ne puis le lui reprocher. Il me propose de sortir seul dans le Marais, aller prendre un café au Coffee Shop en face de Les Mots à la Bouche, la librairie gaie du Marais. Il l’a fait hier, y a rencontré un gars de son âge et ça n’a pas été plus loin. Je ne me vois pas dire cela à Sébastien, il ferait la même chose le lendemain et ça me tuerait. Il me dit de ne pas lui dire à Sébastien. Quel bon ami, ce Renaud. Quel merveilleux copain il ferait pour moi. Aujourd’hui, j’aimerais bien reculer dans le temps pour connaître Sébastien en tant qu’ami avant de le connaître en tant que copain. Car ce n’est pas du tout la même chose. À tes amis tu dis tout. À ton copain tu ne dis rien. C’est la règle, la loi, la convention, c’est écrit dans la Bible.

    J’attends, patiemment, que Sébastien arrive. Incapable de faire quoi que ce soit d’autre. Ensuite, il ira directement jouer au piano pour deux heures. J’attendrai patiemment qu’il revienne, comme d’habitude, incapable de faire quoi que ce soit d’autre. Lorsqu’il reviendra, je vais m’enfuir à la cuisine avec mon ordinateur, il ne dormira pas de la nuit et il me le reprochera amèrement. On se lèvera à une heure de l’après-midi, il me le reprochera la journée durant. La vie de couple, rien de pire.

    Sébastien vient d’appeler, je passe pour le gros paranoïaque, depuis que Maurice le crie un peu partout. Ils ont dû discuter toute la soirée de mon cas, de ma paranoïa. J’aurais dû décrisser de l’appartement, ne pas répondre au téléphone. Je croyais que c’était le salut extérieur, Renaud ou André. Mais c’est bien connu, il n’y a jamais de salut extérieur. Les soirées tristes seront toujours des soirées tristes. La vie est d’une platitude à laquelle on ne nous prépare pas suffisamment. On devrait parler de la platitude de la vie aux enfants en bas âge. Leur dire qu’ils n’ont absolument rien à attendre de la vie, et que la mort risque fort d’être leur seul bon moment. Tant mieux si ça se passe dans la solitude la plus complète. Il n’y aura personne pour faire la marionnette autour de soi, personne qui souffrira en silence en se faisant croire que tout va bien et que la vie est agréable et extravagamment intéressante, alors que tout le monde le sait que la vie est plate à mourir, ce pourquoi je meurs.

    Sébastien vient d’appeler pour me dire que c’était plate la vie, que les gars étaient tous laids au bar, que ça lui rappelle Montréal et que Montréal c’est plat. Il dit que les gens avaient l’air de trouver la vie plate, ce pourquoi ils semblent sortir là sans cesse. Christ ! Il me prend pour un con ou quoi ? Je le sais bien qu’il a trouvé la vie passionnante l’instant de ces quelques heures, manquant de temps pour bien se remplir les yeux de tous ces beaux jeunes hommes, en en matant une série, ramassant peut-être un numéro de téléphone, jasant avec un autre. Dansé, il a dansé. C’est vrai que la vie est plate pour les habitués des lieux, mais pour les non-habitués, la vie peut sembler passionnante l’instant d’un moment. Moi parti, quel fardeau vient de prendre le bord. Libre de draguer enfin, d’avoir du fun, d’espérer un peu de sexe facile avec autrui. Ahhhh ! On dirait que je ne le contente pas. Pourtant, c’est de sa faute si on ne fait plus rien dans le lit. Christ ! On dirait que je l’attache avec une laisse, l’empêche de respirer par ma seule présence. On sort ensemble, alors le fun est coupé. Quelle drôle d’idée se fait-il de la vie d’un couple. Je ne crois pas qu’on va finir nos jours ensemble. Éventuellement je crois qu’il va me dire qu’il faut se séparer pendant quelques mois, lui et moi. Alors il ne me faudra pas manquer ma chance, coucher avec le plus de monde possible. Pour le faire chier, parce que ce sera la seule raison de sa pause. Mais moi la pause sera longue. En fait, on ne reviendrait pas ensemble. En fait, j’aimerais bien me sortir de cette relation. Je suis de mauvaise humeur en permanence, ça déteint partout, tout le monde le sait. Lui, Sébastien, se complaît dans l’innocence. On dirait que ce n’est que moi le problème alors que c’est tout lui le problème. C’est moi le paranoïaque. Pauvre Sébastien, on te comprend, un copain comme ça, ça étouffe. Ces gens-là n’ont jamais compris ce qu’était une relation durable, on le voit, on l’entend, ils n’ont jamais pu rester avec quelqu’un plus d’un an ou deux. Et ils en sont fiers de leurs deux ans ! Mais de quels deux ans parlent-ils, lorsque tous les jours ils vont faire du sport, matent quelques beaux gars, se font sucer vite-vite, repartent ni vu ni connu auprès de leur belle relation ? Et ils viennent me traiter de paranoïaque. Trois ans et demi avec Sébastien, c’est vrai qu’il faut parler de miracle dans le monde gai. Faut s’accrocher, je vous jure, lorsque tes amis te disent que tu as un problème si tu ne partages pas ton copain avec la collectivité. Eh bien, non, moi je ne partage pas mon copain avec autrui, sinon, qu’il y reste dans la collectivité, je n’en veux plus. Parce que moi j’en fais des sacrifices, et lui pas. Et je vais trouver quelqu’un qui aura les mêmes idées de ce qu’est une relation stable et durable. Deux jours seul avec moi, et Sébastien panique, il étouffe, il lui faut voir du monde, il faut qu’il aille draguer dans les bars gais du Marais. Que suis-je donc pour lui ? Un animal de compagnie ? Qui souffrirait en silence ? À me faire cracher dessus par mes pseudo-amis qui sont probablement tous en train de crever du sida. Le sexe, n’y a-t-il que cela dans la vie ? Surtout à Paris. Ma définition de Paris : un paquet de roches sculptées attachées ensemble. Des milliers de rues toutes identiques sur lesquelles on retrouvera des cafés, des boulangeries-pâtisseries, des cordonniers, des fleuristes, des boucheries, des vendeurs de journaux. Alors il faut s’en trouver des choses à faire pour se guérir d’une telle plaie de pierre. On étouffe à Paris autant qu’à New York. Maintenant je suis prêt à signer un contrat pour une cabane dans une montagne loin d’autrui. C’est une idée fixe, une obsession, je le ferai un jour, vous verrez. Près de Québec, je suppose. Alors mon objectif à atteindre dans la vie est simple. Ramasser suffisamment d’argent pour prendre une retraite anticipée en une cabane isolée, sans avoir rien à faire avec le monde extérieur. Ou du moins le moins possible. Je n’ai plus le goût de Paris. Plus le goût des grandes villes. Plus le goût des Renaud, Sébastien, Maurice, Franklin et Cie. Plus le goût pour rien. Je les mets tous dans le même sac, je le balance aux poubelles. Je n’ai plus qu’une idée, décrisser de Paris.

 

 

 

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    Sébastien est chaque jour plus près de son concert à la Maison des étudiants canadiens. Tout le monde s’active autour de lui. Mes amis, je les vois comme des menaces, me voler mon Sébastien, me le corrompre dans les piscines et clubs de sports de la ville de Paris. Cette insistance de Franklin et Antonin, qui ont encore téléphoné aujourd’hui pour aller à la piscine. Ça les intéresse donc bien de nous voir à moitié à poil. Menace tellement grande, qui me fatigue tellement, que j’envie l’époque où je pouvais rencontrer mes amis à Paris, prendre un verre, sans que je sente un danger. Je suis à la merci de Sébastien, à la merci de chacune de ses décisions. Je ne voudrais pas apprendre un jour qu’il a couché avec Maurice, Renaud ou Franklin. Ça me mettrait vraiment en maudit. J’enverrais chier tout le monde, je partirais de Paris. Si Sébastien veut appartenir à la masse, je n’y serai plus.

    Renaud est venu aujourd’hui, visite surprise. J’ai encore fait la gueule, j’ai peur qu’il commence à paniquer et qu’il disparaisse de ma vie. Somme toute, il serait un bon ami, et il pourrait éventuellement m’ouvrir certaines portes, même à Sébastien d’après ce qu’on peut comprendre. Il me faudrait changer d’air mais j’en suis incapable. J’ai juste envie de l’envoyer promener. En plus, il s’habille tellement mal que j’ai une certaine misère à définir si ce sont ces vêtements qui clochent ou si c’est son physique. Il y a une limite à vouloir être nerd ou intello. Mais ce n’est certainement pas à moi à lui faire comprendre de s’habiller mieux. Parfois il paraît bien. En plus, il ne semble pas se laver souvent ; il est arrivé quelques fois avec des graines un peu partout, dans les yeux, dans les cheveux, dans les oreilles, sans compter les poils qui lui sortent par le nez. Ne lui a-t-on jamais dit que ça se coupait ces poils-là ?

    Finalement ça m’a un peu libéré cette soirée seul avec moi-même. Je ne me suis pas trop inquiété et je vais laisser Sébastien respirer davantage, maintenant. Je pense qu’il s’est calmé aussi, il ne recommencera pas de sitôt ses escapades répétées dans les bars gais de Paris. Une erreur de sa part et c’est fini, qu’il le sache. De toute façon je n’ai rien à attendre de lui. S’il fait de l’argent, ce n’est que pour lui. Je ne recevrai pas de salaire. Je le connais, il est vraiment mesquin de nature. Il sera du genre à se rouler dans ses millions et ne pas donner un dollar à personne, pas même à sa famille. J’exagère sans doute, j’espère. Aujourd’hui, j’ai confectionné son affiche, Shades of Devotion, et il m’a fallu céder à Renaud le discours d’ouverture qu’il a pris quatre heures à composer, alors que je savais déjà exactement ce que j’allais dire pour présenter Sébastien. Des concessions, s’il se sent dans le coup, on a plus de chances qu’il apporte ses amis, et qu’il tente d’amener des grosses légumes importantes. Ce qui semblait un petit concert à la noix au début, est devenu le concert du siècle de la MEC. Ce sera effrayant, la salle sera pleine à craquer. On le sait, car un ami a passé une annonce dans Pariscope et l’Officiel des Spectacles pour son concert de saxophone et la salle était pleine. Or, le saxophone n’est pas ce qui attire les gens de prime abord. En plus, j’ai dit à tout le monde qu’Anne Hébert viendrait probablement. Alors même la directrice a pris en note la date du concert dans son agenda. Bref, Sébastien est parti en peur. L’affiche, Renaud a bien l’intention de la distribuer lui-même dans les bars gais de Paris. Cela lui permettra, dit-il, de faire connaissance avec les plus beaux bébés de Paris. Alors à ce rythme, mes amis, il faudra ouvrir les fenêtres du corridor et les gens vont écouter le concert au balcon. Et dire qu’au début Sébastien ne voulait rien savoir d’avoir du monde. Il n’y a pas à dire, Paris, ça fonctionne. Il n’y a aucune chance que la salle soit vide, c’est ça le pire. Même les étudiants de la MEC passent, écoutent Sébastien pratiquer dans la grande salle, tout le monde nous jure de venir. Il y a au moins cela de bon, les geeks sont prêts à tout pour t’aider. C’est dans deux semaines, plus le temps de téter. D’autant plus que ce n’est que le début, une série de concerts suivra.

 

 

 

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    Aujourd’hui fut ma pire journée depuis que je suis à Paris. Du moins depuis que Sébastien est arrivé. J’ignore comment il a fait son compte, il a réussi à se mettre la moitié des étudiants de la maison à son dos. Ça paye d’être du bord de la directrice, mais maintenant le comité des résidents a ajouté un potin à leur ordre du jour : le cas Sébastien. Merde ! Il n’étudie même pas, il n’a pas le droit d’être ici, et là tout le monde est contre lui parce qu’il exagère dans les horaires du piano. Je peux comprendre qu’il veuille pratiquer quatre heures par jour en bas dans la chambre insonorisée, et trois heures dans le grand salon sur le Steinway, mais là il ne respecte plus ses heures, en plus il a le culot d’en demander davantage. Il est comme ça avec moi aussi, et ça me soulage de voir que c’est lui le problème. En plus, je suis heureux de le voir orienter sa haine vers Annick et non vers moi. Il avait le piano jusqu’à 15 heures aujourd’hui. Il est tellement con ! Il a oublié de demander la clé du piano, alors il a fallu qu’ils attendent 13 heures avant de pouvoir commencer à enregistrer. À 13h15 ils n’étaient même pas installés. À 14h la banque téléphone, il doit aller signer des chèques de voyage qu’il avait oublié de signer. Résultat, ils ont travaillé jusqu’à 18 heures et ils n’ont même pas deux chansons d’enregistrées. Même pas, parce qu’il reste tout le re-mixage des voix à faire. On n’avait pas besoin d’un enregistrement de haut niveau, bon dieu ! J’avais dit à Sébastien d’acheter la machine à quatre voies et le DAT, Walkman digital. Mais non ! Il voulait payer Victor 50 francs de l’heure. Alors là, ça lui a déjà coûté 300 francs et il n’y a aucune chanson d’enregistrée. Et Victor n’est pas fiable, demain il va s’inventer des raisons pour ne pas venir. Mais, à 15 heures, Annick a commencé sa crise. Elle s’impatientait, disait à tout le monde comment Sébastien ambitionnait et qu’il monopolisait la salle. Elle a finalement explosé et s’est rendu dans le bureau de la directrice. Et cette histoire ne fait que commencer.

 

 

 

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    Sébastien vient de se faire offrir un emploi à Londres, il y pense sérieusement. Je pourrais le suivre, mais la question de l’argent flotte sur nos têtes et j’ai l’impression qu’il serait heureux de me renvoyer à Ottawa travailler cet été. Non merci, plutôt mourir, trouver un emploi ici. Je ne désire pas repartir. Je suis cependant vraiment mal pris. Je ne dors plus tellement, je fais du stress à cause d’un professeur, M. Abarnou, et mes études. Comment vais-je expliquer à mes parents que j’ai abandonné mes études ? Ah, si l’on pouvait partir pour Londres. J’avoue que cela me tenterait et, à la limite, si ce n’est de m’occuper des concerts de Sébastien, je crois que je pourrais me débrouiller pour donner des cours de français ou traduction. J’irai voir dans les universités, les lieux de résidence des étudiants, je sens que je trouverais. Suffisamment pour en vivre ? Je sens bien qu’il doit y avoir beaucoup de Français en Angleterre, au moins autant qu’à New York, alors je ne sais pas à quoi m’attendre. Sébastien ne veut pas payer pour moi.

    La sœur de Sébastien est arrivée avec son fiancé. Ils vont s’acheter des assiettes de Limoges, et j’ai comme l’impression que ces assiettes, c’est de l’arnaque. Sébastien veut tellement s’en acheter que je pense que ça en prendrait peu pour qu’il y engouffre ses derniers 1,500 $. Demain ils vont à Limoges, sans moi, je n’ai plus un sou. En plus, Sébastien ne me donne pas d’argent, il paye pour moi. Il dit qu’ainsi je ne dépense pas. Alors je me retrouve comme les filles du père Goriot de Balzac, mon sugar daddy ne me laissera pas dans la rue, mais il me laisse l’humiliation de ne pouvoir même m’acheter un café lorsque mes cellules en revendiquent un. Mais si j’ai le choix entre ça et qu’il me renvoie au Canada, c’est certain que je reste. Le problème, c’est que je ne pourrai définitivement pas payer le mois prochain. Et la Banque nationale de Paris m’a déjà envoyé un premier avertissement, mon compte est en souffrance et je dois rembourser ça tout de suite, 3,000 F. Que faire ?

 

 

 

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    Je suis devenu le chouchou de la directrice depuis la venue d’Anne Hébert au concert. Elle court presque après moi dans les corridors. Aujourd’hui, c’était pour me remettre un article sur Anne Hébert, une analyse du rôle féminin alias sorcière dans son œuvre. J’avoue que je m’en fous et qu’Anne Hébert également va s’en foutre lorsqu’elle recevra la photocopie de la directrice. On parle tellement d’Anne Hébert partout, on dit tellement n’importe quoi à propos d’elle, que je comprends Anne qui n’a jamais tenté quoi que ce soit pour savoir ce que l’on disait d’elle et de son œuvre. Je crois qu’il est de toute manière frustrant de lire des choses sur soi à côté de la vérité, de même, de lire des critiques qui sont négatives inutilement. J’ai lu l’analyse de la femme aujourd’hui : c’est tellement classique comme analyse qu’on dirait que c’est prosaïque et insignifiant. Ça ne me donne certainement pas envie de m’y mettre pour pondre une chose pareille sur Artaud. S’ils s’y mettaient, ces gens-là pourraient étudier comment écrire un roman moderne et réussiraient à en écrire un parfait et sans reproches. Il y a un tel conformisme dans ces analyses que j’admire Maurice qui s’éclate comme un malade en citant à peu près n’importe quoi, à transformer ces thèses en délires de grande folle. Ce n’est pas vain en plus, il s’en va pour Harvard en septembre, ils lui payent ses études et lui promettent 11,000 $ U.S. en bonus chaque année. Il en a encore pour cinq à six ans. Pendant ce temps, Sébastien a terminé sa cassette démo et se demande s’il réussira à décrocher des dates de concert. Je ne nous vois plus comme un couple, depuis que je sais qu’il n’a aucunement l’intention de me soutenir. S’il doit aller travailler à Londres, il ne me veut pas là si c’est lui qui doit payer l’épicerie pour moi. Force m’est de croire que, s’il m’est impossible de m’entendre avec lui sur notre couple, et que je doive encore me séparer de lui, je ne vais plus attendre après lui. C’est qu’alors on ne mérite tout simplement pas d’être ensemble. Je l’aime beaucoup, mais c’est un grand enfant et j’en ai assez de jouer à la meuf dans le couple. Je n’ai pas choisi d’être la femme du couple ; mais comme je disais, quand on vit avec un porc, on n’a comme pas le choix de le devenir. Lui, il ne fait jamais la vaisselle, jamais le lavage, ne se ramasse pas, passe le clair de son temps à se lamenter, et lorsque c’est le temps de faire l’épicerie, monsieur fait sa crise. En plus il a le culot de draguer les petits garçons partout où l’on va. Alors je suis en crise permanente et il me faut endurer ça. Je tente de freiner ma mauvaise humeur, mais je sens que ça devient de plus en plus difficile. Sans compter que je ne suis pas libre du tout, il m’est impossible de dépenser ne serait-ce que dix francs. Et j’ai remarqué que c’est un peu la même chose avec Maurice. Lui aussi se permet de me faire la morale aussitôt qu’il peut. Les études, l’argent, il me pousse à me trouver un emploi, merde ! Laissez-moi vivre !

 

 

 

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    Voilà soudainement que je me retrouve devant un vide. Londres me semble logique comme changement radical, je ne doute pas que l’on ira, d’autant plus que l’on n’a plus d’argent. Ou alors Sébastien partira, et moi, ma vie prendra un autre virage. Anne Hébert me semble avoir beaucoup de mérite pour réussir à nous inventer un roman complet comme elle le fait. Non pas que j’en sois incapable, mais de le soutenir pour que ce soit intéressant pendant 300 pages, c’est autre chose.

    Je crois que j’aurais tôt fait de retourner au Canada, m’arranger avec Abarnou pour faire ma maîtrise là-bas. Je n’ai plus le choix. Sébastien me tient par la peau des fesses, me reproche sans cesse de ne pas lui rembourser ses 3,000 $, et il anticipe déjà que c’est lui qui devra m’entretenir tout l’été. Même si j’avais mon prêt cet été, je suis incapable de le repayer et je n’ai pas suffisamment d’argent pour vivre. Pire, je n’ai aucun revenu pour le prochain mois, je n’ai pas deux francs. Dans deux semaines je dois payer mon loyer. On s’est chicané aujourd’hui, il n’est plus parlable, il me reproche cinquante-six choses, il m’a dit qu’il n’avait pas besoin d’un deuxième Éric dans sa vie (son ex-copain). Il menace de me laisser. L’argent, agent destructeur. Le monde s’est arrêté de tourner avec l’arrivée de sa sœur, et là j’en ai plein mon casque. Il est 20h30, de toute ma journée aujourd’hui je ne me suis occupé que de sa sœur et son fiancé. Puis, pendant qu’ils étaient à Versailles, j’ai fait toute la vaisselle, le ménage et le lavage. Sébastien n’a plus le temps pour cela, comme d’habitude, étrangement. Il y a toujours une bonne raison pas loin pour qu’il ne fasse rien, il s’agit de réfléchir pour la trouver. Alors moi je fais la vaisselle pour quatre, et je vais chercher les croissants le matin. Je suis la femme du couple et j’ai bien envie de faire ma petite révolution féministe. Aujourd’hui j’ai commencé ma crise, j’ai des droits moi aussi. Et lui, l’homme du couple, s’il n’apprend pas bientôt à devenir aussi la femme du couple, je le laisse avant qu’il ne me laisse à cause de mes crises. Parce que moi je ne serai pas 100 % la femme du couple, mais aussitôt que je commence ma grève, il menace de me laisser. Il me faut le rembourser et trouver l’argent nécessaire à ma survie.

    Edward a téléphoné de New York, il a parlé avec Sébastien, lui a dit qu’il avait trop de copains en même temps. Il me parle ensuite et me dit qu’il n’en a pas tant que cela, et que rien n’est aussi fort que ce qu’il éprouve pour moi. Peut-être que je devrais partir pour New York. En fait, si Sébastien me laisse, c’est là où j’irai. Car je ne puis plus retourner à Ottawa chez ses parents si nous ne sommes plus ensemble, et je ne retournerai certes pas à Jonquière chez mes parents. Vivre illégalement aux États-Unis, ce serait bien. Aux crochets d’Ed, encore mieux. On va aller tester ses sentiments pour moi. Ed, Ed, Ed ! Je t’aime ! Ta chambre est si bien rangée que je crois bien que tu seras la femme du couple à part entière. C’est de ça que j’ai besoin en réalité. Et tu me nourriras et m’offriras un toit, je crois donc que tu seras aussi l’homme du couple. Je serai donc l’animal domestique, a pet, celui que l’on nourrit et que l’on cajole. Plus de femme ni d’homme dans le couple. Je suis prêt pour mon nouveau rôle social.

 

 

 

 

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    La voisine d’à côté a été déviergée cette semaine par un autre vierge intello français à lunettes de l’étage du dessus. Ils font l’amour en cachette à 5h30 du matin et s’imaginent que personne ne les entend. Elle se lamente comme un animal qui a mal, elle aussi, c’est la mode dans cet établissement. Lui aussi jouit fort, à se demander si les hétéros ne jouissent pas davantage que les gais lorsqu’ils font l’amour. Ce qui expliquerait pourquoi ils jouissent si fort. Ils ont beau le faire la nuit, je les entends, comme par hasard, chaque nuit. À l’heure actuelle, tout le monde est au courant, je l’ai déjà raconté à deux ou trois personnes. Tant pis pour eux, eux aussi ont raconté à tout le monde que l’on faisait l’amour. Paraît que le lendemain de leur première fois, ils sont allés à l’épicerie ensemble, et qu’ils étaient si heureux que leur sourire faisait peur. Je crois que leurs études viennent de prendre le bord pour un bon bout de temps. Ils font l’amour deux fois par jour. Avec Sébastien, en ce moment, on ne le fait qu’une fois par semaine. Et encore, c’est parce que je le force. Il dit que je suis nymphomane, j’ai plutôt l’impression que c’est lui qui est impuissant et que ça lui prend toute la misère du monde pour s’exciter. Peut-être ne lui fais-je plus d’effet, et je m’en fous.

 

 

 

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    Je me demande ce que fait Anne Hébert, si elle a pris le temps de lire un peu mes écrits. Je suis tellement anti-vieux là-dedans qu’il lui faut être en béton pour trouver cela bon. Plus j’y pense, plus je crois qu’elle ne me reparlera plus. Tant mieux. Si elle ne peut accepter le minimum qui est écrit là, c’est qu’elle appartient à sa génération et alors nous n’avons rien en commun. Les vieux, qu’ils crèvent dans leur religion et n’en parlons plus. Bien que je ne sois pas fédéraliste, je ne suis pas séparatiste non plus. Ce qui produit une autre barrière entre elle et moi. À la Maison des étudiants canadiens, les plus séparatistes sont les plus crétins. Si c’est ça l’élite québécoise de demain, autant s’enfuir. Des petits énervés qui se prennent pour le nombril du monde. Le plus drôle, c’est que les Québécois ne sont rien pour la France. On n’existerait pas que ça ne changerait rien. Et tous ces Québécois se meurent de se faire reconnaître en France. Misérables. Annick la folle est une vraie séparatiste. Elle a appris qu’un de ses concerts était annulé, elle était tellement fâchée que je l’entendais crier au téléphone un étage au-dessus d’elle. Ensuite, je l’ai vue courir partout arracher les affiches de son concert, enragée comme une malade. Je suis arrivé à côté d’elle, après qu’elle eut décompressé. Je lui ai dit que si elle était frustrée sexuellement, ce n’était pas à nous d’en subir les conséquences. C’est que son copain ne peut plus la tolérer et qu’il s’est fait changer de chambre. Elle ne tient plus à terre. En vérité, je lui ai plutôt dit qu’elle aurait dû laisser les pancartes et marquer concert annulé dessus. Elle s’est excusée de s’être emportée, m’expliquant que je savais très bien comment elle était impulsive (mets-en !) et qu’elle avait de la difficulté à se contrôler. J’ai eu l’impression que beaucoup de séparatistes militants sont comme ça. Un autre gars sur mon étage nous invitait cette semaine à une manifestation. À propos de quoi ? lui ai-je demandé. Une dénonciation des ouvriers français à propos de je ne sais quoi, qui revendiquent quelque chose au gouvernement. Que c’est ça ? Je lui ai demandé s’il militait beaucoup, il m’a dit bien sûr, il s’est déjà retrouvé dans une manif en France, il a reçu une bombe lacrymogène dans le front et s’est retrouvé à l’hôpital, puis au poste de police. Que c’est ça ? Il dit qu’il a beaucoup milité pour la séparation du Québec et qu’il a sa carte du Parti québécois. Il agit comme si le Québec était déjà souverain. Je crois sincèrement qu’il est malade dans la tête. Les exemples se multiplient, des crétins lavés du cerveau qui se prennent pour l’élite et qui sont pro-séparatistes. La dernière, ils ont passé un article dans le journal de la MEC, ils ont cité un passage sur la liberté de Khalil Gibran, pour démontrer que la directrice est un tyran et qu’elle fait du despotisme. Mon dieu, ils sont devenus extrémistes. J’espère qu’il s’agit là de cas isolés de crétinisme et non un échantillon des séparatistes québécois. Mais j’avoue n’avoir rencontré aucun Québécois non séparatistes. Peut-être sont-ils pires ? Peut-être même n’existent-ils pas ? Ce qui serait inquiétant dans cette histoire, ce serait de découvrir que le peuple est encore plus stupide que la pseudo-élite du Québec. Prenons le red neck fiancé de la sœur de Sébastien. Ingénieur par miracle, parce qu’il a étudié à Queen University, et que là, ils feront n’importe quoi pour que tu passes. Il a réussi et il avait une moyenne de 30 % la deuxième année. C’est qu’il était bon footballeur, et ça c’est important chez les Canadiens-Anglais. Ça mérite qu’on te laisse passer tes cours, même quand tu es un imbécile. Bref, il est d’extrême droite. Il dit que tous les buveurs d’alcool et les fumeurs devraient se voir interdire l’entrée des hôpitaux. Qu’aucune femme célibataire, quelle qu’elle soit, ne devrait recevoir d’aide sociale, car c’est elle qui a été suffisamment stupide pour ne pas voir que son mari la laisserait. Que l’aide sociale est inutile et que l’on n’a pas à aider la société. Ne voit-il pas que c’est la société qui l’a aidé ? C’est la loi de la jungle, dit-il, chacun pour soi. Le tiers monde ? Qu’il meure et que l’on n’en parle plus. Ils n’avaient qu’à naître ici et qu’à réussir leur cours d’ingénieur. Ces gens-là ne comprennent pas que la société et que leur petit bien-être sont une conséquence du système dans lequel ils vivent. Ils ne voient pas que c’est un système d’interdépendance, et que laisser tomber les autres équivaut à se laisser tomber soi-même. Il est dépendant de moi pour sa nourriture, son essence, sa voiture, sa maison, ses vêtements, il est dépendant de nous. Il n’a jamais expérimenté de problèmes, il vit encore chez ses parents, travaille pour la compagnie de son père, n’a jamais été malade, il bouffe trois fois comme moi, et voilà qu’il s’avance pour dire : ces gens-là ne me concernent pas, moi j’ai mon argent, mon chalet, mon camion, mon steak et mes frites, ne m’en demandez pas davantage. Je ne veux même pas savoir ce qu’il pense de l’homosexualité et du sida. Je suis convaincu que la majorité du peuple pense comme lui, c’est-à-dire ceux qui n’ont besoin de rien. L’humanité court à sa perte, mais l’humanité s’en fout.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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    L’atmosphère qui sévit à la Maison des étudiants canadiens devient insoutenable. C’est le congé de Pâques, tous reçoivent leurs parents du Canada, il y a deux fois plus de personnes que d’habitude. Surtout dans notre propre chambre. Le copain repart demain, mais la sœur sera ici jusqu’à dimanche. Je vais devenir fou avant qu’elle ne reparte. Aujourd’hui, ils m’ont traîné visiter les égouts de Paris, que je m’en balance, moi, des égouts de Paris, d’autant plus en circuit organisé pour touristes. Encore heureux que ça sentait le christ en décomposition, j’aurais cru que la visite était inutile. On le sait que c’est dix fois pire dans la rue à côté. Étrangement, c’est dans les égouts que m’est venu un vrai sentiment nationaliste français. Incapable de me reconnaître dans les TGV, les Airbus, les autobus Renault, les voitures Citroën, voilà que j’admire les égouts de la ville de Paris, découvrant sous terre une société aussi organisée que sur terre. Comme c’est rassurant de savoir que, si on oubliait le nom de telle rue, il n’y aurait qu’à aller dans les égouts, tout est très bien indiqué. Et s’il y avait une guerre, on pourrait se sauver par-là, on peut traverser toute la ville par les égouts. Bref, la marde des Français ne pue pas trop, c’est un autre plus à mon sentiment nationaliste français. De retour au bercail à la MEC, cependant, il m’a fallu revoir de face le poids de l’injustice qui pèse sur mes épaules. À la cuisine, on fêtait deux téteux qui venaient de recevoir leur réponse de bourses du FCAR et du CHRS (je crois), ils ont eu pour 15,000 $ chacun. Une autre fille se lamentait, parce que cette année on n’a pas augmenté le montant de sa bourse. Sous prétexte qu’avec 13,000 $, au lieu de « 15,000 $ comme tout le monde ! », on a jugé qu’elle serait en mesure de vivre cette année. Cela fait quatre années en ligne qu’elle les reçoit ses 13,000 $. Les deux autres téteux, j’ignore depuis combien d’années ils reçoivent des bourses, mais je sais qu’ils en ont eu une l’an passé. Je ne puis plus me battre contre cette injustice, je ne pourrai même pas me vanter plus tard : voyez, j’ai payé toutes mes études moi-même, je vais toutes les rembourser. Parce que les gens s’en fichent, et qu’en plus je ne la finirai pas l’école. Je n’en peux plus, je vais mourir. Tant qu’à souffrir, j’aime autant souffrir à écrire. C’est ma seule motivation pour me garder en vie. Sébastien, bien que je l’aime très fort, chaque jour je souffre davantage de le voir regarder les petits garçons partout où l’on va. Le dernier en titre, dans le RER, il l’a fixé pendant dix minutes. Eh bien, le soir, après que l’on ait fait l’amour, il s’est masturbé. Je lui ai demandé à qui il pensait, il a dit au petit flot du RER. J’en ai fait un cauchemar la nuit même. Nous étions à l’extérieur du métro dans les tunnels, quelque chose était arrivé, il fallait se protéger. J’attendais que Sébastien me suive ; au lieu de ça, il était allé retrouver le flot plus loin dans le tunnel, pour faire l’amour. Est-ce que je peux vraiment survivre à cela longtemps ? Pourtant il m’aime, il a besoin de moi. Bien qu’il soit prêt à m’envoyer dans le premier avion en partance pour le Canada, parce qu’il refuse obstinément de me soutenir pendant que je n’ai pas d’argent. Comme j’ai déjà dit, quelle sorte de couple formons-nous donc à ses yeux ? Est-ce que les couples hétéros se séparent ainsi, parce que pendant quatre mois l’un des deux n’a pas d’argent ? J’ignore ce que l’avenir nous prépare.

 

 

 

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    Je n’ai plus de nouvelles d’Anne Hébert : a-t-elle lu mes écrits ? Peut-être ne me reparlera-t-elle plus. Elle est sans aucun doute anti-religieuse, mais peut-être croyante. Et puis je suis vulgaire, et puis je décris des scènes homosexuelles assez effrayantes, et puis elle a tout de même près de 80 ans ! Et puis j’ai peur qu’elle meure la Anne Hébert. Elle n’en a peut-être plus pour trois ans, qui sait ? Moi qui ai toujours été protégé de la mort, qui n’ai jamais vu un de mes proches mourir, voilà que je verrais ma nouvelle amie mourir, sans compter qu’il s’agit d’Anne Hébert, et que les gens vont se l’arracher, sa mort. Je ne survivrai pas à une telle épreuve. Je voudrais mourir avec elle, enfermé dans son univers québécois qui n’existe que dans ses romans. On est loin de la vraie campagne québécoise là-dedans, et c’est ce qui est bien. Parce que la campagne du Québec est triste à mourir. Selon Sébastien et les gens qui m’entourent, elle est riche. Elle me semble pauvre. Bien sûr, elle se paye un voyage dans le sud de la France, dans un hôtel chic peut-être, mais n’oublions pas le million de Québécois qui chaque année va à Miami en Floride, et tous ces vieux qui y passent six mois durant l’hiver. Ce n’est pas une preuve de richesse. Son appartement, elle peut y rester par nostalgie, oui, Quartier Latin et tout, et puis elle n’est jamais certaine qu’elle aura suffisamment d’argent pour finir ses jours, mais tout de même. Je ne crois pas qu’elle soit riche. Mais j’espère qu’elle vit très aisée, car sinon c’est très inquiétant. Elle laisse une série de livres à succès publiés au Seuil, qui n’a rien à envier à aucune maison d’édition, surtout pas à Gallimard, et qu’en arriver là est une réussite absolue. Or, si elle est juste pour être capable de survivre, c’est vraiment ingrat. Surtout quand on sait tout le travail qu’implique l’écriture d’un livre qui a tous les risques d’être un flop monumental. La critique ne pardonne pas à ce sujet.

 

 

 

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    Sébastien continue à payer pour moi, ne me laisse jamais un franc dans mes poches. Trop dangereux que je le dépense, qu’il dit. Je suis assis dans le salon de la MEC. Trois connes viennent de venir ici, elles se sont assises. La fille m’a demandé mon nom, je le lui ai dit, en lui disant que ça m’avait pris du temps pour l’accepter. Elle m’a lancé une pointe : « Tu t’acceptes bien plus maintenant. » Vieille pute, je n’ai pas dit que ça avait pris du temps avant que je n’accepte mon homosexualité, j’ai dit que ça m’avait pris du temps à accepter mon nom. L’une d’elles étudie la haute couture chez Es Mode, une grande école vieille de 150 ans. Jamais entendu parler. Au début, j’ai compris couture, ça m’a presque fait éclater de rire, rien de plus quétaine que de venir à Paris étudier la couture. Mais la haute couture, là on ne rit plus. De toute façon, avec ce qu’elle porte, on dirait qu’elle étudie la mode fast-food. Je me demande si moi et Sébastien sommes le premier couple ouvertement gai de l’histoire de la MEC. La directrice nous a encore invités à prendre un café prochainement.

    Tiens, Maurice m’annonce avec empressement qu’il est maintenant boursier du FCAR, 13,000 $ qui lui tombent du ciel. Et cela s’ajoute à ses études tous frais payés à Harvard, qui, eux, lui donnent 11,000 $ U.S. pour dix mois, accompagné d’un emploi à même l’université. Il m’appelle en pleurs, parce qu’il ignore s’il pourra cumuler les deux bourses ! Va pleurer ailleurs ! Un fusil, mon règne pour un fusil !

    Hier, William m’appelle pour me demander de corriger un six pages de français d’une fille qu’il ne connaît même pas, mais qui est débarquée chez lui d’Angleterre. J’ai commencé à corriger (je n’avais pas le choix, William a corrigé quelques paragraphes d’anglais de certains de mes écrits). Le sujet était on ne peut plus affreux : le nationalisme français qui serait, selon elle, exagéré. Elle accuse la France de ne pas s’ouvrir à la multiplicité des cultures, parce qu’elle a voté une loi qu’elle a ensuite abolie, pour se protéger de la langue anglaise partout présente. La Loi Toubon. Elle accuse la France de prendre des décisions qui vont contre l’Union européenne. Petite ignorante qui débarque d’on ne sait où et qui nous répète ce qu’elle a lu à droite et à gauche un peu partout. J’ai bien vu qu’un nationalisme français, j’en avais un, et un vrai. Je lui ai écrit une page de commentaires en réponse à son travail, la traitant littéralement d’ignorante. Je lui ai dit que les Anglais sont les plus conservateurs de leur langue dans le monde. Qu’en aucun temps il n’a été question pour un film français ou un artiste musical français de réussir à se faire entendre ni en Angleterre ni aux États-Unis. Qu’elle ne vienne pas me faire chier avec l’ouverture d’esprit des Anglais : ils ne voulaient rien savoir d’entrer dans la Communauté européenne si la langue officielle n’était pas l’anglais. Alors que la langue internationale a toujours été le français dans le passé. Il y a de quoi sauter dans les airs, surtout quand on sait quelle place occupe la culture américaine et anglaise en France. Bref, je ne voudrais pas alimenter la guerre entre les Français et les Anglais ; je souhaite plutôt l’union, mais je refuse que l’on radote à droite et à gauche des faussetés sur les Français. En ce qui concerne les faussetés concernant les Anglais, ça, par exemple, je m’en balance, vous pouvez en inventer tant que vous voudrez. William m’a remercié, en m’envoyant un gros chausson en forme de poisson, écrit Poisson d’avril sur la boîte, et qui est immangeable (c’est de la pâte d’amande). Ces Canadiens-Anglais (il est de Toronto), aucun goût. En plus, il m’a écrit un message en français : « T’es fabuleuse, t’es un sein. » Je vous jure que ça commence mal une journée. Et le pire c’est qu’elle n’est pas terminée.

    Vous ai-je dit que France ne me parlait plus depuis qu’elle sait que je sais qu’elle gagne dix dollars l’heure à la réception, et que moi je ne puis travailler à la réception ? Moi qui en aurais besoin davantage qu’elle ? « Le monde est en ordre, les vivants au-dessus, les morts en dessous. » N’avez-vous jamais entendu parler du gros bonhomme sept heures qui ramasse et tue les enfants qui traînent encore dans les rues le soir après sept heures ? Eh bien, il fallait l’appeler le gros bonhomme dix-neuf heures, hostie !

 

 

 

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    Je viens d’assister à la pièce d’Alfred Jarry, Ubu Roi. C’était tellement différent de mes attentes, que je n’ose pas me prononcer sur la version humaine que je viens de voir. Je voulais des grosses marionnettes, humains sur des échasses, déguisés en pantins gigantesques suspendus par des cordes au plafond. Je ne peux pas croire que l’on ait éliminé le minimum que cette pièce demande. Ce n’était pas du tout absurde, même pas pataphysique. Je m’excuse, des boules de quilles un peu partout, ça en prend plus que ça pour me fasciner. En plus que j’ai passé près d’en recevoir une par la tête, nous étions assis au premier rang. Les personnages devaient s’asseoir sur la première rangée. Alors ils sont venus très rapidement, dans le noir, tirer Sébastien et sa sœur de leur place, pour pouvoir s’asseoir. Sa sœur criait comme une malade : Non ! non ! je veux pas ! Ils se sont pris à trois pour la soulever, complètement enragés. Ensuite, il y a un con qui brandissait son bâton à phynance et a passé proche de me frapper, sans compter qu’il l’a lancé dans la foule après, et que le bâton a revolé à 20 centimètres de moi. Sa boule de quille, il l’avait placée au plafond, et la boule descendait sur deux barres de fer en faisant le tour de la salle, tournait, tournait pour finalement faire semblant de tomber sur la foule, mais en étant retenue à la dernière seconde. J’ai eu crissement peur qu’elle n’arrête pas leur boule, c’est moi qui l’aurais reçue sur la tête. Après ils se sont mis à tirer des cacahuètes sur la foule, j’en ai reçu une dans le front, un peu plus c’était dans l’œil. Christ ! On m’a maltraité ! C’est scandaleux, mais pas comme cela aurait dû être. On ne joue pas avec le public à ce point-là. Lorsque le père Ubu passait à côté de moi, il m’accrochait tout le temps, et j’avais toujours l’impression qu’il allait me tomber dessus ou me lancer sa plaque de bois par la tête, brusque qu’il était. La pièce à l’origine était scandaleuse, et comme aujourd’hui la même pièce n’est plus scandaleuse, ils ont tenté d’être scandaleux d’autres façons, et ça ne marche pas. Bref, les acteurs étaient pourris et ils actaient de façon exagérée. Cette façon de parler comme un souffle insipide, ça détruit le théâtre. Cette petite musique plate qui fait qu’on perd le dialogue. Les acteurs jouaient exactement comme dans la pièce de Claudel que j’ai vue dernièrement, Partage de midi. Je m’excuse, mais si c’est comme ça qu’ils voient le théâtre symboliste, il est temps qu’ils revoient leurs notes de cours. Le théâtre est mûr pour une petite révolution, et effectivement ce serait bien de voir un théâtre différent de ce qui se voit un peu partout. On dirait qu’ils sortent tous de la même école de théâtre, c’est déprimant.

 

 

 

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    Mon mea culpa aujourd’hui, la sœur de Sébastien est enfin partie, je n’en pouvais plus. Les parents d’Annick décrissent aussi, j’espère de même pour la mère de Patricia et les amis de Lilianne. Si je pouvais me débarrasser de Sébastien par la même occasion pour quelque temps, je n’hésiterais pas à le mettre bien confortable dans l’avion avec tous les autres. Car il va revenir de l’aéroport et ce sera la guerre entre lui et moi. Il me reprochera d’avoir été bête avec lui et sa sœur cette semaine. Il me dira que je n’avais aucune raison. Mais que fait-il du fait qu’il ne me reste plus un franc pour vivre, que je dépends de lui et qu’il me le reproche sans cesse, sans me donner un sou ? Comment lui expliquer que j’ai coulé mes études, que la maîtrise c’est terminé... le voilà qui entre... la planète s’est arrêtée de tourner avec l’arrivée de sa sœur. Le voilà qui sera bête, il ne me parle pas. Et que fait-il que je n’aie aucun revenu pour vivre cet été, et qu’il n’y a pas suffisamment d’espace dans cette pièce, et qu’à trois on manque d’air ? Oh God, j’ai fait des efforts pour être gentil, ça n’a servi à rien. J’ai cette vague impression que, si je me sors de mon marasme stagnant, je serai en mesure d’être heureux et de ne plus être bête. Mais c’est absurde, le changement est à un autre niveau, c’est moi qui vais changer mon attitude, riche ou pauvre, dans la rue ou non. Une chose de positive à être un peu bête, c’est que sa sœur s’est mise à essuyer la vaisselle un peu avec le temps. N’est-il pas normal que l’esclave éclate à un moment donné ?

 

 

 

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    Par où commencer ma description des derniers événements ? Semblerait que, même dans la stagnation, des choses arrivent. Pas de nouvelles d’Anne Hébert cependant. Franklin a fini son roman, lui aussi est tombé dans une déprime qui suit l’écriture d’un livre. Ça lui a donné le goût de sauter immédiatement dans l’écriture d’un autre, pour s’encourager.   

    Jean, le copain de mon meilleur ami québécois appelé François, est débarqué à Paris avec sa copine Brigitte, une Française qui habite maintenant au Québec. Elle a des problèmes avec son appartement sur la rue Montorgueil. Quatre pièces, appartement de riche, qu’elle paie trois fois moins que ce que moi et Sébastien payons pour une chambre sur la Cité. Bref, le proprio s’est arrangé pour déloger tous ses locataires, pour bâtir de grandes suites qu’il pourrait louer à prix d’or. Alors, c’est rendu en cour de justice, ça a fait les journaux nationaux, elle le perdra tout de même, son appartement. Jean, son voyage lui coûtera 5,000 $. Taux de change atroce, ce n’était vraiment pas le temps de venir en France. François m’appelle pour me dire que lui et Jean ça ne marche plus très fort, pendant ce temps Jean me demande si François disait qu’il s’ennuyait de lui à Montréal. Eh bien, tu lui demanderas, aux dernières nouvelles il a rencontré quelqu’un de plus beau et plus jeune que toi, et il pense sérieusement à te laisser.

    Sébastien multiplie les crises. Depuis que sa sœur est partie, il juge qu’il ne veut plus rien savoir de mes amis. Ça l’a mis en maudit que nous soyons obligés de les inviter à manger et d’aller faire l’épicerie. On en a acheté pour 800 francs, deux jours après nous n’avions plus rien à manger, étrangement. Jean et Brigitte nous invitent à souper. On a rencontré un de ses copains au café Beaubourg qui fait sa maîtrise à Paris VIII, comme d’habitude le crétin a passé une heure à nous justifier pourquoi il avait choisi Paris VIII plutôt que la Sorbonne, alors qu’on sait très bien que c’est parce qu’il n’a pas été accepté à la Sorbonne. Les gens ont des complexes ici lorsqu’ils ne sont pas à Paris IV. Ça m’encourage à vouloir la faire, ma maîtrise sur Artaud. Bref, après nous sommes allés prendre une bière à la Butte aux Cailles, un café intéressant, sauf que pour cette seconde visite nous sommes mal tombés. La musique était plutôt lourde et trop forte. Jean s’est lamenté, et un vieux hétéro en a profité pour venir nous parler. C’était tellement déplacé, dans le contexte, que ça a fâché tout le monde. Bref, il a finalement fallu parler avec lui. Il vend du sel, il a trois filles fabriquées avec trois femmes différentes, qui n’habitent pas toutes à Paris. Il est marginal, là où la société l’a conduit. Hors les normes, il se saoule tous les soirs à la Butte aux Cailles dans le 13e arrondissement. Il connaissait les paroles de la musique qui jouait, un peu plus légère qu’à notre arrivée. Son nom, c’est Giorgio, un gars de cinquante ans du Texas. Son sel, il le colore en bleu, en rouge et en rose, pour le vendre ensuite comme médicament que tu fous dans ton bain. Ça guérit le stress parisien, dit-il. Un esti de fucké, en apparence. Il disait de Jean qu’il était un intellectuel qui pensait tout savoir et qui s’exprime avec charme. De Maurice, il disait que c’était un intellectuel aussi, mais dans le mutisme. Moi, il m’a qualifié de curieux, que c’était bien, qu’il fallait me sauvegarder, ne pas me rendre au niveau de Maurice et Jean. Je ne désire pas me prononcer à savoir s’il s’agit là d’un compliment ou non. Maurice était effectivement terrorisé, il voyait la place pleine d’homophobes prêts à nous bûcher, il était prêt à partir en courant à la moindre alerte. Lorsque Jean est allé demander de baisser le volume, Maurice est devenu blême. En sortant, j’ai été surpris de voir jusqu’à quel point Maurice est intolérant. Il parlait du bonhomme et des gens dans le bar comme de la merde médiocre bonne à tuer. Il parle également des autres de la MEC comme d’un groupe de cons, dont certains font des choses très bien, mais pas beaucoup. Pour le reste, il méprise tous les étudiants de ses classes, il n’y aurait que lui d’intelligent sur la planète. (J’avoue que j’ai tendance à être un peu comme lui, mais tout le monde n’est-il pas comme ça à Paris ?) Maurice nous parlait ce soir des deux années qu’il a passées à Minneapolis. Il disait qu’entre sa résidence et son université, il avait deux ghettos à traverser. Le premier de Noirs, le deuxième d’Amérindiens. Il nous racontait comment, à plus d’une dizaine de reprises, il s’est retrouvé dans des situations pas mal effrayantes. Ça lui a pris trois mois pour réaliser qu’il devrait contourner tout ça pour se rendre à l’université en bicyclette. Une fois, avec son amie Valérie, une dizaine d’automobiles sont arrivées en même temps et ils se sont retrouvés en plein milieu des deux gangs. Couteaux sortis, vraisemblablement ils allaient s’entre-tuer. Ils ont vite déguerpi, mais il leur fallait passer au milieu. Un enfer, dit-il. Plusieurs fois il s’est fait attaquer parce qu’il est blanc. Des Amérindiens le poursuivaient dans la rue, sacraient des coups de pied sur sa bicyclette, il s’est même fait tirer au fusil une fois. Il dit que la nuit c’est du random shooting. Des gens se promènent et tirent sur tout ce qui bouge. Une fois, il y avait un homme avec une carabine en train de défoncer la porte d’une maison en décomposition (il y a de nombreuses maisons abandonnées dans ces coins), une vieille femme avec un enfant tentaient vainement de barrer la porte avec une chaise. La girl-friend était sur le toit et criait en pleurant : « Leave me alone ! Leave me alone ! » Paraît en plus que Minneapolis est une ville très vivable aux États-Unis. Or, lorsqu’il y a eu l’affaire d’un Noir maltraité par des policiers blancs qui n’ont pas été poursuivis en justice, un tollé de protestations s’était levé partout en Amérique, des Noirs contre les Blancs. Il était devenu impossible pour un Blanc de se promener dans Minneapolis, trop dangereux. Deux amies françaises de Maurice, dont Valérie, voulaient absolument manger au Poulet Frit à la Kentucky, elles n’avaient jamais vu ça en France (Dieu merci, la France a été épargnée !). Il n’y avait que des Noirs dans le restaurant, c’était infernal, ils leur criaient des noms, leur crachaient dessus, leur ont tiré des roches, ils les ont presque tués. Les deux Françaises sont reparties traumatisées en France, ça ne donne pas envie d’habiter à Minneapolis. Mais les Noirs ne sont pas à blâmer dans cette histoire, tout cela est une conséquence de leur rejet systématique institutionnalisé par la société américaine. Il me serait temps d’aller habiter aux États-Unis pour me faire une vraie idée de ce qui se passe là-bas. Enfin, Maurice adore ce pays, il a hâte de partir de la France, il n’en peut plus de Paris. Mais je vais dire comme Sébastien : Paris doit être une ville géniale, mais seulement si tu as de l’argent. Autrement, une misère à Paris, c’est une misère pour l’éternité.

    Je suis tellement à bout de ressources qu’il me faut vendre l’imprimante le plus tôt possible. La femme aujourd’hui à la Banque nationale de Paris m’a fait une morale effrayante, me disant qu’il était temps que je devienne sérieux et que je comptabilise mes finances. Pauvre conne, il y a une limite à mes ressources, cela n’est pas dû à la maturité. L’imprimante que j’ai est rentable à long terme, elle me fait épargner beaucoup chez les imprimeurs. Malheureusement, en la revendant maintenant, je me retrouve à perdre énormément d’argent. Sans compter que la seule chose que je paierai, c’est ma dette à la BNP et 1,000 $ pour rembourser Sébastien. Ça ne vaut vraiment pas la peine. Mais Sébastien est à bout d’argent et il est en crise. Il a accepté l’emploi à Londres pour cet été, son patron va rappeler pour confirmer. Il va falloir que je me batte pour aller avec lui, d’où mon besoin pressant de faire un geste quel qu’il soit, vendre mon imprimante à perte. Le désespoir devrait me tuer, étrangement je ne me suis jamais senti aussi libre que maintenant. Comme si, ayant accepté que j’en aie terminé avec mes études pour cet été, il ne me restait qu’à me concentrer sur mes écrits. Pourtant, je n’ai jamais été aussi creux dans mes dettes, un véritable désastre financier. Il me faudrait déclarer faillite, et s’il me faut retourner au Canada cet été, je vais y penser sérieusement. Quelle belle façon de commencer sa vie. !

 

 

 

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    Sébastien m’a traité d’immature encore aujourd’hui, parce que je n’étais pas d’accord avec lui concernant l’amie de sa sœur. La jeune fille de seize ans vient d’annoncer à tout le monde qu’elle attend un bébé au mois de mai, et qu’elle emménage dans l’appartement du sous-sol chez son copain, où les beaux-parents pourront s’occuper du bébé plus facilement. Alors la crise chez la famille de Sébastien, pour dénoncer à grands cris l’infamie de la jeune fille. Ils prônent l’avortement, en n’oubliant pas de lui apposer le qualificatif d’âne méprisable, de jeune inconsciente niaiseuse à souhait. Une enfant qui élève un enfant, répètent-ils. L’avortement, répètent-ils. Lorsque j’ai dit à Sébastien que je trouvais qu’ils exagéraient, il s’est mis à m’accuser d’être pro-vie et non pro-choix. Écoutez, je suis pro-choix, une fille devrait avoir la chance de se faire avorter si elle le désire, mais je suis pro-choix jusqu’au bout. C’est-à-dire que si elle désire accoucher et garder l’enfant, malgré ses seize ans, pourquoi pas ? Nous ne vivons pas dans un pays pauvre, elle ne se retrouvera jamais tout à fait dans la pauvreté, et les beaux-parents seront toujours là pour les soutenir. Alors moi, jeune innocent que je suis, je parle encore sans savoir. Il y a que la mère de la jeune fille est disparue, et que le père est alcoolique et bat sa fille. En plus, la jeune n’a aucune éducation, n’a aucunement l’intention d’en avoir, bref, elle sera pauvre toute sa vie. Elle et son enfant vivront sur l’aide sociale jusqu’à la fin des temps. C’est inacceptable selon eux. Mais d’où sortent-ils leurs statistiques ? Selon eux, toutes les filles mères, c’est du gâchis, et ça, toutes les femmes vous le confirmeront. Elles sont immatures, elles gâchent leur vie, elles seront malheureuses. Bullshit. J’en connais des filles mères, elles sont si heureuses, même dans la séparation pour certaines, que j’en suis jaloux. Et même, je dirais qu’il existe énormément de mères qui, à trente ans, sont davantage immatures que des mères de seize ans. Enfin, peut-être que je me trompe, il est vrai que je ne connais absolument rien de la situation de cette jeune fille. Il est vrai aussi qu’elle ne m’a pas semblé particulièrement intelligente, dans les limites de la définition de ce qu’est l’intelligence. Mais je me permets de freiner l’entourage dans son élan. Elle fera bien ce qu’elle voudra la petite Natacha, et elle atteindra peut-être des succès, en tant que mère, que bien des parents que je connais n’ont même jamais cherché à atteindre.

 

 

 

 

 

 

 

 

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    À la Maison des étudiants canadiens, Louise la réceptionniste me dit à peine bonjour. Madame Teissier m’évite et la directrice m’ignore. J’espère qu’il s’agit de paranoïa, et que c’est la lourdeur du mois d’avril qui leur fait remonter leur sentiment tendant vers la mort. Les cours à la Sorbonne reprennent la semaine prochaine, tout le monde semble s’accorder sur le fait que je vais retourner en classe après une absence de plus de trois mois. Aurai-je le moral nécessaire ? Affronter Renaud, j’ose à peine y penser, plutôt mourir. I wouldn’t mind going to London, I wouldn’t mind at all.

    Ce sentiment de culpabilité me suit partout aussitôt que je m’étends sur mon lit. À l’état de veille, pourtant, je suis assez fort pour le repousser, mais le demi-sommeil ne m’épargne rien de cette douleur. Culpabilité de quoi au juste ? D’être capable de dire que l’université, j’en peux plus et que je ne veux plus jamais y mettre les pieds ? Peut-on me dire ce qui me pousse encore, dans mon esprit, à me dire qu’il me faille absolument y mourir ? Peut-être est-ce des parents, à qui je demande encore 150 $ toute les deux semaines, argent que mon père n’a même pas. Mentir, leur dire que je vais avoir une maîtrise très bientôt, alors que je ne fous absolument rien. Quelle déception ce sera, quel enfer ce sera pour moi. Cette culpabilité, suis-je donc obligé d’être autant éduqué ? Pourtant, cela ne me permettrait que d’être prof ; or, si tous les étudiants qui vont recevoir un diplôme de doctorat en littérature vont devenir prof, ils n’ont certes pas besoin de moi. En plus, je n’en peux plus de la MEC. Ici, le monde ne semble pas travailler trop fort non plus. J’ai même l’impression de ne pas être le seul à ne pas écrire mon papier de 100 pages. À moins que ce soit ça le secret. On a deux ans pour écrire 100 pages, une vraie risée. Ça te permet d’écouter la télé tous les soirs, de courir les chambres des filles de la MEC, de te vanter de tes exploits sexuels devant les gars, de t’impliquer dans le comité des résidents, en devenir le président (je parle de Lionel, le gros hétéro macho qui se vante chaque soir au salon Ostiguy que les filles sont à ses pieds et qu’il rentre très facilement sa bite dans leur plotte. Le comble, ça a été lorsqu’il disait que la fille d’hier, c’était incroyable, qu’il lui avait roté dans le vagin). Bref, ça s’appelle perdre son temps en grand. Au moins je peux me rabaisser sur le fait que plus la culpabilité est forte, plus je travaille sur mes écrits. Rien à voir avec l’université, toutefois. Ainsi la culpabilité ne m’a jamais été vaine. J’ose à peine imaginer ce que deviendrait ce sentiment de culpabilité si je n’avais pas au moins l’impression de ne point perdre mon temps en travaillant sur mes écrits. Suicide, alcool, drogue, quel enfer cela pourrait devenir. On arrive à comprendre tous les névrosés de la planète, des gens comme vous et moi, en vérité. Je lisais dernièrement que, derrière chaque artiste (Freud disait ça), il y a quelqu’un de malade dans la tête. Pas d’art sans névrose. Je ne peux certes pas dire que ce n’est pas vrai. J’ai vraiment cette impression de devenir fou, je ne suis certes pas stable mentalement. Sébastien m’aide beaucoup à retrouver le nord ; sans lui, je boirais chaque soir comme avant, atteignant le sommet de ma motivation à la deuxième bière, commençant à déprimer à la quatrième, devenant malade et déprimé pour mourir ensuite. Ainsi, après avoir voulu reconstruire le monde, il suffirait de s’étendre et mourir. Je suppose que c’est ça la grandeur de l’homme.

 

 

 

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    Hier, nous sommes allés chez Anne Hébert. C’est la troisième ou quatrième fois que l’on y va, toujours aussi gentille et intelligente. Par contre, elle n’a pas lu mes écrits. Reste à voir si cela est mieux dans le contexte. Éventuellement elle nous a mis dehors, elle devait dîner avec un vieux scénariste con qui enseigne à Sherbrooke. Il a commencé à nous parler, j’avais juste envie de lui dire de sacrer le camp. Peut-être couche-t-il avec Anne ? Sinon, pire, il projette de faire un scénario avec un des livres d’Anne ? Ça m’a rendu jaloux. D’accord, Anne est accessible, mais je voudrais être son seul ami. Elle est à moi ! C’est moi qui l’ai découverte dans une librairie perdue du Quartier Latin (la librairie Dédale), c’est moi qui la courtise, pas un vieux croûton barbu qui pue et qui enseigne à l’Université de Sherbrooke !

    Décidément, le livre d’Anne Hébert collectionne les succès critiques, c’est extraordinaire, lorsque l’on sait comment la critique se fait destructrice de ce temps-ci. Semblerait que Pierre Marcotte s’insurge contre cela. Il est fâché de cette critique positive. Moi pas. Un peu d’hypocrisie en ce qui concerne ceux qui ont réussi, moi je trouve cela bien. Surtout pour Anne, à son âge, on devrait plutôt la remercier de nous faire encore des livres. Pensez-y, d’habitude, après 60 ans, un vieux, ça arrête de vivre et ça attend une mort qui, parfois, arrive seulement trente ans plus tard. Il n’y a pas à dire, pas beaucoup de sociétés dans le monde dans l’histoire ont pu supporter autant de vieux qui ne foutent rien. Au Québec, en plus, on trouve le moyen de les envoyer, tous, à Miami. Il y a aussi que jamais la balance entre les naissances et les morts n’a été aussi déséquilibrée. Je ne doute pas qu’un jour cela tombera et que nos vieux devront produire quelque chose de leur peau en attendant la mort, ceux qui le peuvent du moins.

    Anne nous expliquait pourquoi elle était partie du Québec. Petite société cloîtrée que c’était ça, je fais maintenant très bien le parallèle entre le Québec et le couvent des Enfants du Sabbat. Il y a qu’il y avait une censure totale sur à peu près tout, que personne ne savait ce qui se passait ailleurs ou presque. Une femme qui tombait enceinte sans être mariée devait s’exiler, etc. Tout le monde connaît ce genre de société où l’on fait tout pour t’empêcher de réfléchir. Ainsi ces critères ont fait fuir la belle Anne en France. Ce qui lui a permis d’écrire ce qu’elle voulait vraiment. Les Enfants du Sabbat, publié 15 ans plus tôt, impubliable, crise, scandale effrayant. L’exil s’est donc fait de lui-même, on n’a pas eu besoin d’emmener le conseil de famille pour décider du sort de la femme qui a fait la nouvelle et le scandale au Québec. Elle disait que l’histoire des Enfants du Sabbat est en partie vraie, elle connaissait une sœur qui affirmait que la coiffe la brûlait, etc. Je me demande jusqu’à quel point c’est vrai, la sœur démoniaque qui finit par repartir du couvent en laissant tout le monde là, gisant dans le péché. Kamouraska aussi est une histoire vraie, en partie, une femme de la famille d’Anne aurait tué son mari de Kamouraska... Anne puise beaucoup dans ses souvenirs familiaux. L’histoire des deux coiffeurs homo à l’hôtel, elle dit qu’elle a vécu ça à l’hôtel, que dans le silence de la nuit, ça avait été tellement surprenant qu’elle l’a écrit dans son livre ensuite. L’Ange de Dominique est un peu l’histoire lorsqu’elle était malade et qu’elle a dû demeurer sur un lit assez longtemps sans bouger. Je me demande quelle influence je puis avoir sur sa vie. Elle a écrit des poèmes pendant ses vacances, je voulais les lire, elle dit qu’elle va attendre de les retranscrire sur sa machine à écrire vieux modèle. Inutile de dire que je vais les interpréter comme si j’étais devenu sa seule influence littéraire, me transportant ainsi au désespoir ou à la jubilation.

    Anne est bonne amie avec Marie-Claire Blais, une lesbienne de premier ordre, celle qui a écrit Les nuits de l’Underground. Ça me laisse songeur sur l’orientation sexuelle d’Anne Hébert. Il est vrai que dans son œuvre, impossible de deviner quoi que ce soit. Ni même à aller chez elle, sinon qu’elle adore Colette. Encore que, qu’est-ce que ça veut dire ?

 

 

 

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    Hier, nous sommes allés prendre une bière à la Brise Miche, dans le coin de Châtelet. En montant l’escalier roulant, soudainement, un Noir s’est jeté sur moi en me demandant si je cherchais des problèmes. Il était enragé, d’une haine qu’il semblait cumuler depuis des générations avant lui. Il m’accusait d’avoir dit un propos raciste, alors que je ne l’avais même pas vu passer. Il voulait se battre. Sébastien paniquait, je cherchais à comprendre de quoi il m’accusait, je crois qu’il s’en est fallu de peu que l’on se batte. Heureusement, rendu en haut, il y avait des automobiles de police et il a vite déguerpi, même si les voitures étaient vides. J’ai eu vraiment peur, mais j’avais du courage puisqu’il m’accusait injustement, et cela me donnait aussi de la haine. C’est lui le raciste, il entend des choses que l’on ne dit même pas. Il n’y a pas à dire, j’invente le concept raciste des Noirs envers les Blancs. Moi qui suis anti-raciste en plus, il est bien mal tombé. C’est drôle que l’on soit prompt à juger toute une catégorie parce qu’on en rencontre un assez souvent qui est prêt à nous tuer (parce qu’on croyait qu’il avait un couteau). Mais depuis que je suis à Paris, j’en ai vu pas mal des Noirs prêts à agir sous prétexte qu’ils souffrent de racisme. Remarquez qu’ils souffrent peut-être de racisme, je l’ignore, je ne suis pas noir. Une paranoïa, à mon avis, est toujours justifiée, et maintenant la tension est très élevée à Paris.

    Aujourd’hui j’ai un emploi, deux heures à planter des pétunias en face de la MEC. La directrice va me payer 40 francs de l’heure pour planter des fleurs. Je ne me savais pas des dons en jardinerie.

 

 

 

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    Je deviens fou ! On a pris l’appartement à Londres qui exige 4,300 $ de dépôt ! Demain matin, à sept heures, Sébastien s’en va payer, et aussitôt tentera de louer la deuxième chambre à un gai ou une lesbienne qui chercherait un lieu assez cher à habiter. On vient de prendre les 6,000 francs de crédit dans notre compte de banque et la BNP qui justement nous causaient des histoires à propos du crédit en souffrance. Jouer plus qu’aujourd’hui, impossible. J’arrive à la banque sur la Cité, je vois la blonde qui m’avait engueulé. En la voyant, j’ai fait une syncope et je suis retourné sur mes pas. Elle m’a vu ! Aucun moyen d’avoir de l’argent par là. Alors je suis allé prendre 2,000 F au guichet automatique (merveilleux !), puis j’ai fait un chèque à l’autre banque BNP pour avoir les autres 750 F. Leur système d’ordinateur ne semble pas fonctionner très fort. Bref, la blonde m’a mis sur la liste noire des banques, il est temps que je disparaisse de la France. C’est bien, j’aurai eu juste le temps d’hypothéquer mon nom dans les banques, sociétés de crédit et les universités en Europe. Mon Dieu ! On compte au dollar près l’argent nécessaire pour déménager à Londres. À chaque cinq minutes on changeait d’idée et on retournait soit au Canada, ou on habiterait à Maidenhead chez le sidéen, ou bien on chercherait le moyen de demeurer en France. Surtout cette dernière hypothèse. De retour de Londres, ni moi ni Sébastien souhaitait Londres ou le Canada. Paris ! tu nous rejettes ! Car il m’est impossible d’y travailler, illégal, et Sébastien ignore comment s’y prendre pour trouver de l’emploi, et être serveur ne l’intéresse pas. Il n’a pas même droit au RMI ni à l’Allocation Logement (il est français !). Paris, c’est bien beau, mais on ignore comment y vivre. Nous y reviendrons donc lorsque nous serons riches, je suppose. En admettant qu’alors, moi et Sébastien serons encore ensemble.

    Les Anglais sont peut-être très beaux, mais c’est une question d’habillement. Les Français se cachent derrière leurs vêtements. Les Français aussi sont beaux, mais faudrait d’abord les déshabiller. Et puis, ils font plus intellectuels que les Anglais. Alors il faut coucher avec les Anglais et discuter avec les Français.

 

 

 

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    Je sens que la journée commence mal. J’avais décidé de me débarrasser de mes centimes pour acheter mes billets de métro. Finalement il me manquait 5 centimes, j’ai été obligé de donner 5 francs. Le con en a profité pour me redonner tous mes centimes qu’il avait déjà classés. C’est ça les Français ! C’est un des nombreux exemples que je puis offrir pour le démontrer. Il est devenu impossible avec Sébastien de manger au restaurant sans s’engueuler avec le serveur. Ils ne semblent pas se rendre compte que nous ne sommes pas de la merde, mais des consommateurs, et que ce sont les consommateurs qui font vivre l’industrie (non ?). Ah, si seulement le service n’était pas compris dans l’addition, aucun serveur en France ne recevrait de pourboire, alors peut-être ils apprendraient l’amabilité. C’est quoi l’histoire d’ouvrir les épiceries sur les heures de repas seulement ? Et de toujours être fermé à cause des fêtes nationales, des vacances ou des grèves ? On se demande comment la France est devenue une puissance mondiale avec de telles coutumes. Ils ne sont pratiquement jamais ouverts, et si les employés ne sont pas en vacances, alors ils sont en grève. Si bien qu’ils ne travaillent même pas un jour sur trois, et seulement quelques heures. À moins que ce ne soit ça la société moderne ? La semaine de moins de quinze heures, payée à quarante heures ? À une crêperie dans le quartier grec près de Saint-Michel, le serveur nous a tellement fait chier que Sébastien s’est fâché et lui a dit de sacrer le camp trois fois. De même, un serveur a fait une crise sur l’île Saint-Louis parce que, si on ne mangeait qu’une omelette, fallait changer de place. Au prix qu’ils vendent les omelettes et le café, bon Dieu, il me semble qu’on la méritait la petite table laide avec chaises en bois, dans un restaurant totalement vide en plus. Font chier les Français. Dans le fond, vive la reine d’Angleterre !

    Il y a un paquet de monde à l’ambassade d’Angleterre. Tout ce monde veut des visas. J’attends en ligne avec les Noirs, les Pakistanais, les Cambodgiens et les Chinois. Je ne vois qu’un seul Blanc, un Américain. C’est normal après tout, les Blancs qui vont en Angleterre sont ordinairement de la Communauté européenne et, pour eux, toutes les portes sont ouvertes. Je suis né pour mourir sous la bureaucratie. La file d’attente est si longue, je serais surpris de pouvoir passer avant midi, heure de fermeture. Le pire, c’est qu’il faut que je me remette en ligne cet après-midi pour venir reprendre mon passeport avec le visa, s’il s’avérait qu’effectivement ils ne me jugent pas telle une menace pour l’Angleterre. Je commence franchement à m’inquiéter, j’ai l’impression que je ne l’aurai pas ce visa Working Holiday, qui permet aux gens originaires des pays qui font partie du Commonwealth de pouvoir travailler à temps partiel en Angleterre durant les vacances. Comme d’habitude, le Français à l’entrée de l’ambassade fait chier tout le monde. Il m’a tiré par le bras en me criant que je n’allais pas suffisamment vite. La femme en avant de moi, il l’a poussée sur le mur et l’a ensuite bien plantée dans la queue, là où il voulait qu’elle se place. La vieille en arrière de moi, il l’a pratiquement traitée de vieille peau incapable de se déplacer. Puis il a poussé tout le monde à l’intérieur en les insultant, cela parce qu’il voulait fermer la porte le plus rapidement possible pour prévenir la venue d’autres immigrants qui voudraient des visas. En plus ils ferment à midi et il n’est même pas onze heures.

 

 

 

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    En ce moment je marche jusqu’à la Cité internationale, faute d’argent pour le métro. J’ai marché de la Place de la Concorde jusqu’à la rue Jacob, retour ensuite à la Concorde, puis marché jusqu’à la Cité. La vie est belle ! En plus je suis malade. Je viens de croiser Brice, on ne s’est pas parlé. J’ignore s’il saute encore la voisine, Sébastien les entendait pleurer tous les deux dernièrement à 5h du matin. C’est beau un amour de trois longues semaines. C’est tellement intense, ils ne sont plus de ce monde. Et moi je le suis, bien enraciné dans la terre ferme. Demain je serai peut-être à Londres, sans un penny.

    J’ai rappelé Renaud hier, pour la première fois depuis des lustres. Sébastien est à Londres dans l’appartement en train de tenter de louer la chambre. On va se voir ce soir, moi et le Renaud. On n’a pas dit un mot quant au fait que ni l’un ni l’autre ne s’est appelé depuis plus de deux mois. Je ne suis jamais retourné à l’université depuis. La vie est un vrai calvaire. J’ai abandonné mes études pour rien. Je ne désire plus écrire. Je voudrais m’exiler dans la nature, pas à Londres, nom de Dieu. Je suis pris d’une éternelle fatigue, de sempiternels tracas ou remords. Il me faudrait des vacances, la vie m’est devenue insupportable. De même que tout le monde qui m’entoure. Je crois que je vais aller me coucher et dormir le plus longtemps possible.

    Je regarde quantité d’oiseaux qui survolent les arbres du parc Montsouris, je me demande s’il y a une logique à leur vol ou s’ils volent n’importe comment en rond et dans toutes les directions ? Pourrais-je même y voir un quelconque présage pour moi et mon avenir ? Londres est une ville triste, autant que Paris peut l’être. Autant que Jonquière et Chicoutimi, mais je les trouve moins tristes que ces deux dernières. J’adore le Lac-Saint-Jean, c’est là où je veux demeurer, nulle part ailleurs dans le monde.

    Ah ! Je reviens du parc Montsouris, il m’a complètement revigoré, la vie est belle !

    Que me faudrait-il donc pour me motiver à l’existence ? Suis-je éternellement condamné à souffrir de mes journées ? Si je vais à la Sorbonne, je panique. Si je travaille, même chose. Si j’ai enfin une journée à moi où je ne fais ni l’un ni l’autre, j’ignore quoi faire, je m’ennuie, j’ai envie de me lancer sous un pont. Je n’arrive pas à voir ce que la richesse m’apporterait ; de plus, il vient un temps où peu importe ce que tu fais, tu as l’impression que ça ne sert à rien et que cela n’a pas de but. Des fleurs, c’est bien beau, mais pourquoi perdre son temps à les entretenir ? Ceux qui travaillent pour payer leur logement et leur nourriture, et n’ont que ce seul but, doivent être plus heureux qu’ils ne le pensent. Ils savent pourquoi ils vivent, ils doivent travailler pour leur logement et leur bouffe. Je radote. Écrire ne me fournit plus de motivation, parce que je sais que c’est inutile. Pourquoi me faut-il venir au monde dans des temps si difficiles ? Londres ne m’inspire pas pour l’instant. Je sens bien qu’il m’est inutile de demeurer à Paris dans le moment. Sait-on jamais, peut-être que Londres m’apportera beaucoup, autant que Paris m’a apporté au début. Sans doute. Ah, et puis arrêtons de nous lamenter, les lamentations appartiennent aux ratés, aux médiocres. Or, ils pourront se lamenter toute leur vie, ça ne changera rien au fait qu’ils soient pourris. La question, c’est : suis-je donc tant pourri qu’il serait temps que je prenne mes études au sérieux ? Et qui me répondra franchement à une telle question, et qui donc pourrait venir me dire comme cela de tout abandonner et j’abandonnerais ? Que la vie peut faire souffrir, parfois. Que veulent-ils donc ? Je ne puis tout de même pas être plus terre à terre pour leur plaisir. La simplicité, la beauté dans la simplicité, sans tomber dans le prosaïsme. Ouf !

 

 

 

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    L’agressivité des Français nous fait fuir la France avec le sourire. Enfin la belle et bonne hypocrisie anglaise. J’en ai assez de me faire envoyer promener. Quatre fois encore aujourd’hui. Ce doit être le changement de température, il est vraiment temps de partir. Le pharmacien nous a engueulés parce qu’il a essayé de nous passer un produit qu’il jugeait meilleur (Maurice pour ses verres de contact). Ensuite, un arroseur de rue nous a engueulés, moi et Maurice, parce que ça faisait dix minutes que nous voulions passer et que là nous avions décidé de passer. Lui s’en foutait pas mal de bloquer tout le monde pendant dix minutes. Après, c’est ici à la MEC. C’est vraiment devenu insoutenable. Tous les employés se sont retournés contre la directrice, et là ils nous donnent le plus mauvais des services en disant que ce n’est pas leur travail de s’occuper de nos problèmes, et que la directrice les a déjà engueulés pour avoir fait telle ou telle chose, et là ils ne veulent plus rien faire sous prétexte que la directrice a dit ceci ou cela. Mme Teissier en profite pour me voler 500 francs pour la réservation d’octobre, et de garder 300 autres francs parce que j’avais dit que je resterais cet été alors que je ne reste pas. Et puis un autre 300 francs, je ne sais plus pourquoi. Règlement de la directrice. Elle ne veut pas me rembourser le peu qu’il me reste, après toutes les déductions, de la gigantesque caution qu’il m’a fallu remettre en novembre. Elle va voir s’il est possible de m’envoyer un chèque à Londres, c’est peu probable. Ils sont incapables de déposer l’argent directement dans mon compte de banque, je suis pourtant à la même banque que la MEC. Règlement de la directrice. Louise refuse de me garder mon courrier ou de le déposer dans la boîte aux lettres de mon amie France. Elle dit qu’elle va retourner tout le courrier d’où il vient sans exception, elle dit que je n’ai pas de statut particulier dans cette maison. Règlement de la directrice. C’est un monstre cette directrice. Mais j’ai plutôt l’impression que ce sont eux, les employés, qui essaient de nous faire croire que la directrice est un monstre. Louise passe ses journées à parler contre la directrice avec tous les étudiants de la Maison, avec tous les employés aussi. Ça commence à être vraiment fatigant. J’ai refusé de signer la pétition pour faire mettre la directrice dehors, devant Louise, alors elle n’est pas contente et ne veut rien savoir de m’aider. Marlène insistait tant pour que je la signe cette pétition, ça m’a vraiment fatigué. Elle disait que j’étais immoral de ne pas être solidaire, elle m’accusait de ne même pas vouloir lire le titre (Maurice me disait que c’était écrit que la directrice est un tyran et qu’elle faisait du despotisme). Elle voulait que je crache le morceau, que je lui dise qu’ils étaient cons et que la directrice, moi, je suis de son bord. Ils auraient alors pu me détruire à mon tour. D’ailleurs, lorsque je suis entré dans la cuisine hier, ma voisine, Lucien et Philippe parlaient dans mon dos et celui de Sébastien, ils étaient en train d’imiter Sébastien chanter, ils riaient de lui. Je suis entré en les regardant de travers. Ils ont manqué faire une syncope. La voisine s’est mise à paniquer, se mettant la main sur la bouche, regrettant tout à coup que nous sachions au grand jour ce qu’elle pense de nous. Louise disait que les trois fax qui étaient arrivés à la réception ne la concernaient nullement parce qu’ils étaient arrivés alors qu’elle ne travaillait pas, ce n’était donc pas à elle de les faire parvenir aux destinataires. À quoi elle sert, bon Dieu, c’est son travail d’être réceptionniste. Ah non, il ne faut pas trop m’en demander, moi je ne fais que le minimum. C’est ça la mentalité française, non seulement ils ne font rien, mais en plus ils sont toujours mécontents et en grève, et c’est sur notre dos que ça retombe. Alors ils sont surpris lorsqu’on les menace d’une mise à pied alors qu’ils ne font rien. Bien sûr qu’en Amérique ça ne marche pas du tout comme ça, alors la directrice en a du fil à retordre avec eux. La femme qui s’occupe des finances est une vraie incompétente. Elle n’est là que cinq jours par mois, n’a jamais réussi à comprendre comment fonctionnait l’ordinateur, elle est incapable de compter, elle ne fait que des erreurs qui nous coûtent cher, elle est toujours en vacances, exactement sur les jours où elle devrait travailler. Aujourd’hui madame Teissier disait que des étudiants qui sont arrivés pendant qu’elle était en vacances, payaient beaucoup trop cher parce que la femme qui la remplaçait pendant ces deux semaines-là s’était trompée. Alors elle dit qu’elle s’en lave les mains. Qu’ils payent, elle s’en balance. Autant pour tous ceux qui sont arrivés pendant que je n’étais pas là. Selon elle, tout aurait dû arrêter de tourner pendant ses deux semaines de vacances. Une fille me disait qu’il n’y avait rien de plus dangereux que d’aller porter son linge chez le nettoyeur. Tu risques de te retrouver avec une porte fermée le lendemain avec comme écriteau dans la porte : fermé pour les deux prochaines semaines. Quelle sorte de mentalité ils ont, eux ? C’est vraiment le temps que l’on parte.

 

 

 

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    Hell ! Help ! Le bateau est en train de couler et rien ne semble vouloir déboucher. Comment s’en sortir ? Moi et Sébastien avons emprunté tout l’argent possible sur nos cartes, BNP, Visa, etc., voilà que Sébastien est davantage endetté, et moi j’en suis à la faillite. On se retrouve à Londres, incapables de repayer nos dettes, incapables de dépenser une livre, incapables de trouver un colocataire, incapables de payer le prochain mois. Sébastien pense au suicide ! Il dit qu’il n’a jamais été endetté de sa vie, et là ça frôle les 7,000 $. Il dit qu’il est impossible de rembourser cela, lui qui avait 22,000 $ et un piano qu’il n’a plus. Ses parents s’imaginent qu’il a encore tout cet argent, en plus ils refuseraient de l’aider. Il faut que je trouve un emploi assez vite, et ça ne me tente pas. Il semble que j’aie le feu vert pour faire le scénario des Enfants du Sabbat, selon les Éditions du Seuil. Il s’agit que je le présente à Anne déjà tout fait. J’ai envie de me tirer une balle aussi. Hier, quand Sébastien m’a raconté qu’il pensait au suicide, j’ai commencé à me questionner. Le ferait-il ? Ses problèmes d’argent seraient-ils une raison suffisante pour se suicider ? Hier, il m’a dit quelque chose, il se demandait si ses rêves de réussir dans la musique n’étaient pas mes rêves finalement. Comme si c’était moi qui l’avais poussé constamment, et qu’en fin de compte, il n’a jamais vraiment souhaité tout cela. Il était heureux à Ottawa, dit-il, dans sa petite vie avant que j’arrive. Comment voulez-vous que je me sente ? Il fait peser sur moi la responsabilité de lui avoir transmis un vain désir de réussir dans la musique, d’avoir perdu son argent, de l’avoir forcé à venir à Paris puis à Londres. Il est prêt à me fustiger pour cela, et plus grande punition pour moi, à se suicider. Sans compter que jamais ses parents ne pourraient croire que cela n’est pas ma faute. Sébastien n’a jamais parlé de suicide depuis presque quatre ans que nous sommes ensemble. Y aurait-il un ratio qu’il ne peut dépasser ? Par contre, s’il finit par réussir dans la musique et que nous ne sommes plus ensemble, vous verrez qu’il sera le premier à se remercier lui-même pour ses propres décisions. J’en suis vraiment au bout du rouleau, j’ai lâché mes études, pas d’emploi en vue, perdu à Londres sans argent, bon Dieu, à quoi je sers moi ?

    Au moins notre appartement est bien. Mais nous ne travaillons que pour le payer. La vie fait chier à Londres. Personne n’arrive à épargner de l’argent, on se demande comment ils se payent des automobiles. Hier on est allé s’acheter 12 bières et un coke. Treize livres ! Vingt-sept dollars ! En plus ils sont alcooliques comme ce n’est pas possible, moi et Sébastien planifions de le devenir pour vrai à moyen terme. Il est midi dix, j’ai presque envie de m’ouvrir une cannette de bière. Il y a des grands-mères et des enfants de douze ans dans les pubs sur l’heure du midi qui boivent des pintes en série, seuls au comptoir. On aurait pu croire qu’en Angleterre, puisque c’est le même voltage qu’en France, ils auraient les mêmes prises de courant. Bon Dieu, il me faut maintenant connecter trois adaptateurs différents, le tout branché sur un transformateur de courant, pour faire fonctionner mon imprimante. Cette maudite imprimante que Sébastien me reproche sans cesse de lui avoir emprunté 3,000 $ dont il aurait besoin maintenant.

    Trois personnes sont venues visiter la chambre à louer. Le premier, je ne l’ai pas vu, j’étais à Paris. Le deuxième était beau, il venait lui aussi d’Afrique du Sud, famille moins bien nantie que l’autre à qui on voulait louer une chambre. Il n’y avait donc pas une dizaine de servants et servantes. Il ressemblait à Morrissey, son père est allemand, il est comptable. Voilà sa vie, plaçons-lui une étiquette vite faite, il vient de refuser la chambre, aux poubelles le bel Allemand timide à la grosse bite. Le deuxième m’a l’air d’être sur la drogue, il est photographe, un peu trop distingué, et qui dit distingué, dit coincé. Au suivant ! Le premier est aussi un comptable, selon Sébastien : au suivant ! On est probablement trop difficiles. On croirait presque que nous sommes en train de chercher le troisième du couple, la tapette de service avec qui on couchera quand notre copain sera trop loin de l’appartement. Ou comme en Chine, on passe par l’agence pour se trouver l’homme idéal avec qui finir nos jours. Au suivant ! Au suivant ! Le problème, c’est que les suivants n’appellent pas et l’on sera bientôt mal pris avec les colocataires de seconde catégorie.

    Je suis allé à Soho pour chercher les journaux gais pour de l’emploi. En arrivant à Tottenham Court Road, sort un super jeune garçon, à peine 18 ans, il commence à me suivre. Là, je commence à paniquer, à courir presque. Je suis entré au First Out, il m’a suivi, je n’avais qu’à lui parler, à lui dire bonjour, on aurait couché ensemble, ça aurait été l’expérience sexuelle de ma vie ! Mais j’ai pratiquement fui dans le sous-sol pour enlever l’annonce de la chambre à louer qu’on avait mise sur le tableau. Alors il a disparu, me laissant seul avec mes regrets et mes remords. Alors je pensais à cela, je marchais dans la rue, j’entre alors chez Virgin Records Mégastore. Un autre petit jeune de seize ans peut-être commence à me tourner autour. Bien évident qu’il était là pour ça, il était à côté de moi, me regardait, je ne respirais plus, je le regardais aussi, comment faire ? Que lui dire ? Après cinq minutes de tétage, il fallait bien qu’il parte. J’étais tellement découragé de moi, j’y suis retourné. Mais il n’y avait plus personne. Les sensations fortes, ma foi, il y a des gais partout à Londres !

 

 

 

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    À mort la génération X ! Aujourd’hui, j’ai appris quelque chose d’extraordinaire. Merveilleux, phénoménal, aberrant, effrayant, ça a changé ma vie ! Je suis en train de descendre les escaliers roulants de la station Piccadilly Circus et je flotte littéralement. Un vent de renouveau tout frais vient de s’ouvrir, me transportant de l’autre côté de l’océan. Quelque chose qui remet tout en question et qui m’ouvre de nouvelles avenues : je n’appartiens pas à la génération X ! Puisse-t-il en ce monde y avoir plus belle journée que celle-ci ?

    Je sors d’un magasin de livres à Soho près de Tottenham Court Road, j’ai perdu deux heures de ma vie à lire ce qu’a écrit le Dieu de la génération X, Douglas Coupland (j’aimerais bien acheter ses livres, mais ils coûtent trop cher et je n’ai pas l’argent). Je suis tellement heureux ! Parce que cette génération, selon les critiques et Coupland, en particulier le Los Angeles Times ou quelque chose du genre, est née entre 1961 et 1971. Tadam ! Je suis né en 1972 ! Oh, je m’excuse, mais ça change tout, tout, tout ! Ça veut dire que je n’ai pas besoin de commencer à paniquer, je n’appartiens pas à une génération ratée, je n’ai rien à voir avec ces gens qui se sont endormis à regarder la télé des boomers et qui ont oublié qu’ils avaient une destinée à accomplir. Donc pas de sentiments de culpabilité, le monde s’ouvre devant moi, à moi d’agir.

    Je suis le Dieu de ma génération car je m’en vais la créer à l’instant, disons ceux nés entre 1971 et 1981, je vous déclare de la génération de l’an 2000. Aucun doute que c’est au début du nouveau millénaire que nous commencerons à devenir actifs dans ces sociétés, et que ce sera à nous d’élaborer les lignes directrices des générations futures. À notre tour de décider ce qui est bien et ce qui ne l’est pas, de décider qui on veut bien intégrer ou non avec nous dans nos projets et nos programmes. S’il faut, toutefois, encore s’exprimer en ces termes, lorsque enfin nous serons en contrôle.

    So here I am, in London, après avoir mythifié Paris. Qu’y a-t-il donc pour moi à Londres ? Rien n’est trop beau, mais me voilà tout de même à zéro. Le McDonald’s étant pour la génération X, moi j’aime mieux vivre de l’air du temps. On crache sur les Xers. Nous, heureusement, nous ne sommes pas encore une cible identifiée. On ne sait même pas encore ce qu’on veut faire, mais on le saura bien assez tôt. Une génération oubliée sera supplantée par une génération plus jeune, mais plus intelligente, qui saura bénéficier des erreurs de la génération précédente. J’entends toute une génération grincer des dents... ben non, on vous aime quand même, mais allez jouer plus loin avec les institutions en décrépitude des boomers.

    Il est clair que je n’appartiens pas à la génération X, je n’avais jamais entendu parler des Brady Bunch, de Happy Days et des Waltons. Lorsque ma sœur, qui a trois ou quatre ans de plus que moi, ou bien Maurice ou Sébastien (28 et 27 ans) se mettent à nager dans leur nostalgie d’antan, ils parlent une langue différente de la mienne. Tout de suite je serais tenté de ramener en surface ce qui a caractérisé et ce qui caractérise ma génération. Mais j’exècre l’idée de stigmatiser à jamais une génération avec des Brady Bunch et compagnie. C’est mettre le dernier clou sur la tombe, on ne parle qu’au passé, ça implique que l’on est déjà mort. La génération de l’an 2000, on en parle au futur, elle est tout à bâtir. Alors no more Shampoo Planet et Xers, je m’en vais réécrire l’histoire. C’est-à-dire remettre en question chaque chose de cet univers, chaque affirmation ou expression, chaque institution.

 

 

 

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    Il faut être bien conscient qu’une génération se régénère toujours ; ainsi, à notre tour, on va se faire rentrer dedans et rejeter à l’arrière-plan. Les boomers ont su se maintenir au-delà de dix ans, pourquoi pas nous ? Je ferais mieux d’élargir ma génération si je veux être un Dieu durable. En affirmant que tout ce qui vient après 1971 fait partie de la génération de l’an 2000, implique tout simplement que ceux qui sont nés après 1981 ne seront pas rejetés et entraînés dans des mécanismes infernaux, ou des dédales comme les institutions scolaires, et ce jusqu’à ce que mort s’ensuive. Ainsi ils seront une partie intégrante de nos sociétés, on saura bien voir à leur éducation avec des méthodes plus adaptées. Ceux nés durant les années 70, supposés trop jeunes pour prendre part aux années 70, ont été en plein développement durant les années 80, et ont découvert tout leur potentiel créatif durant les années 90. Cela, pour enfin éclater au grand jour au tournant du deuxième millénaire. Ce qui signifie qu’autour des années 2010, nous devrions être en contrôle de tout. Un tout qui aura été repensé graduellement de A jusqu’à Z. Même si nous voulions que ça se passe autrement, la seule chose que l’on réussirait à faire, c’est de retarder l’avènement de ce qui doit venir.

    Bienvenue tout le monde ! Pas de discrimination dans notre génération, on vous accepte tels que vous êtes ! Drogué, alcoolique, cancéreux, travesti, prostitué, vieux ! On vous légalise et on vous aidera à vous en sortir, si vous le désirez. Si vous vous complaisez à continuer à vivre comme vous le voulez, on vous aidera encore si cela devait causer du tort à vous ou aux autres. Je souhaite la bienvenue même à ceux qui sont tout à fait conformes à la majorité des gens qui vivent sur cette planète. Mais attention, on ne voit pas votre cœur, mais on sait que vous n’êtes pas plus parfaits que tout le reste. Alors, avant de condamner, on va s’aérer l’esprit. On ne condamne que si ça cause du tort à autrui d’une manière directe. Cela peut déjà s’interpréter de mille et une façons, et déjà je pressens les débats insupportables. Il est difficile d’arriver quelque part, cela exige-t-il nécessairement un paquet de règlements et de lois ? Liberté ! Allez en ce sens au moins. Et ne pas discréditer trop vite. Il est parfois nécessaire de revenir sur ses opinions. On aurait tendance à croire que dans nos sociétés changer d’opinion est impossible. Tu as tellement parlé pour telle ou telle chose que reculer n’est plus possible. Ce qui serait dangereux. La honte et l’orgueil sont causés par la critique et les jugements. La flexibilité des idées et des décisions, cela est un bon point à approfondir. Les institutions coulées dans le ciment pour 100 ans, cela n’existe plus. Des mentalités sociales complètement fermées, centrées sur elles-mêmes, c’est un génocide pour l’humanité. Des limites, des barrières, des règlements, des lois, des catégories, autant de bornes à faire sauter si on veut aller quelque part. Et voilà la vraie question, où va-t-on ? Quel est le but de notre existence ?

    Ça fait je ne sais plus combien de millénaires que l’on se perd à tenter de répondre à cette question. Pour ma part, pour avoir longtemps voulu mourir, je crois que la motivation à vivre serait déjà une bonne chose. La motivation implique que nous soyons heureux, et puis il y a l’expérience à acquérir. Tout devient relatif, je serais tenté de dire qu’il suffit d’avoir l’impression d’évoluer ou d’avancer. L’intuition donc. Ne plus sentir la stagnation nous ronger, attendre des années avant d’agir, de confronter les problèmes, de construire. Motivation et expérience, qui conduisent à l’évolution et la plénitude.

    Tout ceci peut être contredit et faux pour une majorité de gens. Il le faut ! Parce qu’il ne faudrait jamais que quelqu’un puisse se lever et affirmer : « Voici le but de votre existence, voici ce que vous devez faire de votre vie. » Combien de critiques ou de juges biaisés ont détruit quantité de vies ? Ayons conscience que l’analyste ne détient aucune vérité, pas plus que le curé qui réussit à faire jeter sur le pavé une génération de gens différents, en pompant une autre génération sur ce qui est bien ou mal, acceptable ou non. Il appartient à chaque humain de croire en ce qu’il veut et de faire ce qui lui plaît. En aucun cas il ne faudrait les rejeter de la communauté, car alors on crée des points de non-retour, et il devient surhumain de se retrouver là-dedans. Me voilà en train de réécrire la Bible, ce livre de lois qui a été, Dieu merci, quelque peu oublié. Tout est toujours à remettre en question.

    Je suis assis à l’heure actuelle sur une poubelle de Harrow Road dans le W9 de Londres. Voici d’où provient cette morale soudaine du dimanche matin. Ce quartier pauvre, à majorité composée d’immigrants, des Noirs, des Arabes et des Indiens, je m’y sens chez moi. Je mets au défi quiconque qui aurait fait des études universitaires de marcher dans cette rue tous les jours en se sentant à l’aise, sans avoir l’impression que la fin du monde lui tomberait sur la tête si quelqu’un l’accostait pour lui parler. Il est tellement bien de pouvoir marcher sur une rue sans se sentir jugé. J’ai mes souliers et mes jeans troués, personne ne me dévisage ; au contraire, je suis partie intégrante de leur univers. Dieu sait comment au début je me sentais bizarre, que je regrettais d’habiter dans un bâtiment où il n’y avait que des étrangers, la peur de ces étrangers. Cette peur qui fait qu’il existe un paquet de lois pour les empêcher de venir jusqu’ici, et les empêcher de respirer une fois qu’ils sont ici. Je ne suis pas européen, alors je n’ai aucun droit en Europe, voué à mourir pauvre. Encore chanceux que je sois un immigrant du Canada et que j’aie eu la chance d’étudier. Éventuellement peut-être, je rencontrerai cette personne qui n’a pas trop de préjugés ou qui sera désespérée, et qui aura besoin d’une personne qui connaît bien le français. En autant que je pourrai lui prouver que je parle bien l’anglais, ce qui n’est pas certain du tout. On en a encore du chemin à parcourir. J’habite un bloc construit pour ceux qui sont sur l’aide sociale, mais qui a été vendu en partie à des particuliers, qui à leur tour nous louent les appartements pour trois fois le prix que ça devrait coûter. Néanmoins, il n’y a pas de honte à être pauvre et je suis heureux.

    Le premier sens de Génération, selon Le Petit Robert, c’est : Action d’engendrer. Production d’un nouvel individu ; fonction par laquelle les êtres se reproduisent. Le deuxième sens : Espace de temps correspondant à l’intervalle qui sépare chacun des degrés d’une filiation (évalué à une trentaine d’années). Le troisième et dernier sens est celui qui nous concerne : Ensemble des individus ayant à peu près le même âge. Ainsi une génération pourrait bien se calculer à deux ou trois années près, et offrir à l’humanité une multitude de générations. Sans compter que les jeunes en Amérique sont très différents des jeunes en France ou en Angleterre. Sont-ils de la même génération, alors ? Tout bien compté, une génération, c’est bien relatif. But who cares ? On ne fait pas de la philosophie ici, on doit parler pour voir si quelque chose peut en ressortir. Ainsi, situons notre génération de ceux qui sont nés entre 1971 et 1981, mais ce serait encore se limiter. Ceux qui sont nés après 1971, jusqu’à ce qu’un autre Dieu se rende compte que ça ne fonctionne plus et qu’ils n’ont plus rien à voir avec nous. C’est leur droit. Si nous n’avons qu’un seul devoir, c’est de faciliter l’avènement de la génération suivante, comme nous mettons au monde un enfant en tentant de l’élever du mieux que nous pouvons. Je parlais avec William à Paris, il y avait trois enfants chez lui. Ils avaient des parents tellement stricts et conservateurs, que l’explosion a été inévitable. La première s’est rangée, après une vie de prostitution et de drogue. Le deuxième est en prison. Et William, lui, me semble bizarre, mais comme il était le troisième, les parents ont fini par comprendre que, plus tu veux tenir une génération en laisse, plus l’explosion est forte, et plus vite tu te ramasses aux vidanges. La génération X en a mis du temps, la génération qui nous suivra sera probablement plus rapide à agir. J’ai bien envie d’être le Dieu de la génération suivante, en la nommant tout de suite. Voyons voir, il faudrait l’appeler la génération Z. Oui, ce me semble très bien et c’est inoffensif. Mais je ne m’inquiète point avec eux, ils trouveront eux-mêmes le nom qui les caractérisera. Il était facile de nommer la génération X, tout était déjà accompli et il suffisait d’y accrocher l’étiquette qui la caractérisait déjà. Le problème avec ma génération, c’est que rien ne la caractérise encore, puisque tout est à construire. Son nom sera sans doute changé plus tard. Tout ce que je sais pour l’instant, c’est qu’elle ne se caractérisera pas par un titre qui signifie à peu près Génération perdue ou sacrifiée. Car si je comprends bien, la génération X est à la remorque des boomers. C’est-à-dire que les boomers se sont donnés un idéal à atteindre, que plus ou moins tout le monde a essayé d’atteindre, et que plusieurs ont atteint. Le problème des Xers, c’est qu’au lieu de tout remettre en question, ils ont voulu atteindre le même idéal. Quelle erreur, c’est bien évident que si une dizaine d’années suffit à changer bien des choses et faire profiter une nouvelle génération, cela prend plus qu’une dizaine d’années pour déloger une génération qui a eu le temps de voir longuement à l’avance ce qu’elle voulait faire de sa peau. C’est pourquoi la nouvelle génération devrait voir à se construire un nouvel idéal à atteindre, quitte à ce qu’il soit insensé et impossible à atteindre. Ce genre de paradoxe est à la base de chaque religion, on assure ainsi l’impossibilité de s’asseoir un jour et de dire que tout est accompli et que l’on peut enfin être heureux. N’est-ce pas aberrant d’être obligé d’attendre d’être riche pour être heureux ? Encore plus aberrant, j’ai rencontré un gars l’autre jour, ex-coiffeur, il disait qu’il avait accompli ses deux rêves et que maintenant il prenait la vie relax et attendait la mort. Ainsi il s’est payé une vieille voiture en décomposition et a organisé une journée charité où il a cuisiné un gâteau gigantesque digne du Guinness. Après cela, il a quitté son emploi, a été décrété incapable de travailler par un ami médecin, et passe le clair de son temps à travailler bénévolement pour une petite communauté d’Ottawa. C’est très charitable, mais ça fait pitié. Mais qui suis-je, moi, pour le juger ? D’un autre point de vue, la société le paie pour qu’il fasse du bénévolat. C’est encore mieux que d’autres qui écoutent la télé à la place. Encore qu’écouter la télévision génère énormément de profits à divers niveaux, pour ceux qui s’activent de l’autre côté de l’écran. Ce que je veux dire, c’est : pourquoi faut-il avoir un idéal à atteindre ? Cela devient complexe. Sans finalité, la vie devient inutile et ennuyante. Car il n’y a plus de motivation à l’existence. Et puis, être propriétaire d’une grosse industrie ou être une personne d’affaires ou être riche, le rêve américain, je ne suis pas convaincu que ce soit une chose nécessaire à la prochaine génération. Aucun doute, c’était noble et louable, ça a fait ses preuves et ce sera difficile de se débarrasser de ces idéaux. Mais ils appartiennent à une autre catégorie de personnes, et ne nous sont certes pas destinés. Je suis bien trop jeune pour trouver un emploi à l’heure actuelle. Les exemples se multiplient : si quelqu’un a 35 ans, il est considéré comme jeune. Tim Burton vient de nous produire une série de succès dont Batman et The Nightmare Before Christmas. On applaudit d’autant plus fort qu’il n’a que 35 ans ! Même chose pour Cyril Collard. Un film culte, un prodige du cinéma français par un des plus jeunes producteurs. Il a enfin réussi à produire sa première œuvre, quatre Césars trois jours après sa mort. Bon Dieu ! Il avait déjà 35 ans, il était à la fin de sa vie, ça lui a pris tout ce temps parce qu’il lui était impossible d’arriver quelque part en étant « aussi jeune ». Ma surprise, c’est d’entendre qu’ils sont si jeunes, et d’apprendre ensuite qu’ils ont 35 ans. Regardez les statistiques, ils sont très nombreux ceux qui n’atteindront pas les 40 ans. Ce n’est pas normal de n’avoir aucun producteur de cinéma en bas de 25 ans. Ce n’est pas normal de considérer comme des arriérés qui ne connaissent rien des étudiants aux études supérieures qui sont dans la vingtaine. Réveillez-vous, eh ! Il ne faut pas faire l’erreur des Xers, se laisser convaincre que l’on est impotent avant d’avoir atteint 40 ans. J’aurais plutôt tendance à dire qu’au-dessus de 40 ans, ça commence à être inquiétant. On devient coincé, borné, on ne voit plus clair, on s’englue dans les traditions et la routine du quotidien. Tout ce qui existe autour devient menaçant ou on l’ignore tout simplement. Un changement quel qu’il soit, même si c’est pour améliorer bien des choses qui auraient dû être améliorées depuis longtemps ? No way, ça risque de se retourner contre nous. Il faut rester en contrôle de notre petit univers, et un changement quel qu’il soit risque de tout débalancer, si l’on s’appuie sur la théorie du chaos. Je ne suis pas trop jeune, je ne suis pas un crétin, je ne suis pas sous-évolué, et même si j’en sais moins que vous dans bien des domaines, je suis peut-être mieux que vous à bien des niveaux. Je peux apprendre n’importe quoi, du vendeur de cochonneries à l’administrateur qui accomplit de multiples tâches. Vous seriez peut-être surpris de voir comment la jeune génération est d’autant plus performante qu’elle s’adapte beaucoup plus rapidement que la vieille, tout en étant très versatile (versatile dans un sens positif). Les grandes écoles et les universités, qui n’en finissent plus d’exiger des travaux inutiles que les professeurs reprennent à leur compte, c’est l’idée la plus diabolique des boomers. Ça nous garde dans l’ombre pendant trente ans, pour constater ensuite que tu n’es rien et que tu es incapable de faire quoi que ce soit. Et cette idée aussi de devoir prendre des notes que le prof pourrait nous donner. Écouter en classe serait mieux que la panique de tenter de tout écrire sans réussir, et sans écouter. Ils réussissent après tout ce temps à te convaincre que tu seras toujours en bas de la hiérarchie, et sous les ordres de quelqu’un d’autre de plus expérimenté, connaisseur et intelligemment supérieur. Comment se convaincre du contraire, après s’être fait marcher dessus pendant 25 ans par des professeurs et des directeurs de maîtrise et tout, te laissant piétiner, détruire toute nouvelle idée constructive et créatrice, tout cela parce que tu voulais de bons résultats pour continuer à aller plus loin, pour avoir le diplôme supposé t’ouvrir toutes les portes ? Un esti de bout de papier qui ne sert pas à grand-chose, croyez-moi. C’est bien certain qu’il faille revoir a cela, ces institutions. Sursaturation des marchés, et que fera donc ma génération si ce qui reste va aller à la génération X ? Pensez-vous qu’ils ne vont pas se battre eux aussi pour nous écraser, nous les plus jeunes qui n’avons jamais encore respiré l’air libre ? Ils ont créé une discrimination implicite, tout ce qui est jeune est con et imbécile. Ne venez pas me dire le contraire. Il faudrait donc aussi se tenir les coudes et faire notre propre discrimination. Ainsi, dites-le-vous bien, tous ceux qui sont vieux (ceux qui ne sont pas de notre génération) sont les pires hypocrites qui existent, de grands menteurs, de grands parleurs, de petits faiseurs, des bornés qui n’ont pour seuls intérêts que les leurs. N’ayant vu que ce à quoi ils ont été habitués, ils sont donc incompétents pour bâtir les nouvelles institutions que la planète aura besoin de se construire pour affronter le nouveau millénaire. On peut faire confiance à la génération X, il sera impossible de ne pas travailler avec elle, et eux-mêmes ont encore l’impression que nous faisons partie de leur génération. Mais attention, ils ont bien l’intention de recréer le même fossé entre eux et nous. C’est comme ça que l’on construit une génération. Ça semble immoral une fois écrit, mais ces choses sont partout présentes implicitement dans la société qui nous entoure. La guerre est ouverte.

 

 

 

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    Jorg est débarqué du Canada via Amsterdam et Paris. Le temps d’en fourrer une couple avant d’espérer coucher avec notre colocataire Martin. Il tourne autour de nous trois comme une vraie mouche à merde, demandant attention et affection. Je l’ai toujours détesté, parce que sans cesse il a voulu Sébastien et qu’il n’a jamais arrêté de le toucher et de lui courir après. Je n’aime pas l’idée qu’il couche avec Martin non plus. On a néanmoins passé une excellente journée hier. Son voyage à Londres ne sera peut-être pas inutile, il nous a présenté son ami Sean qui demeure à Croydon dans la banlieue sud de Londres. Son frère, qui est très beau mais hétéro, est guitariste et cherche à former un groupe de musique. Il pourrait bientôt emménager à Londres. On a magasiné, mangé chez Maxwell, restaurant immangeable, essayé des pantalons de clown chez Harrod’s, la honte de ma vie. Vais-je apprendre qu’il n’y a rien de pire que de faire du shopping avec trois tapettes dans un magasin à rayons bourré de vendeurs, eux-mêmes de vraies queens ? Un petit christ de vendeur hyper beau s’est mis à draguer Sébastien et a réussi à le convaincre d’acheter une paire de pantalons hyper laide. Heureusement que j’ai convaincu Sébastien qu’il ne fallait pas acheter uniquement parce que le vendeur est jeune et beau et qu’il fait pitié et qu’il risque de perdre son emploi s’il ne vend pas au moins un morceau de linge ce week-end.

    Il y a des jours où je me demande ce que je fais avec Sébastien. Ce n’est certainement plus une histoire de cul ; si ce n’était que ça, je n’aurais point besoin de lui. Encore hier on me draguait, peu importe le club où nous sommes allés. Un, entre autres, pas mal impressionnant avec sa chemise ouverte. Sébastien n’arrêtait pas de me dire que l’on pourrait coucher ensemble à trois. Je ne voulais rien savoir. Ça commence à m’emmerder cette histoire de le faire à trois, ça me fait penser qu’il va bientôt sauter sur quelqu’un et je ne vois pas le but de continuer cette relation. Je suis l’esclave qui fait tout dans l’appartement sous prétexte qu’il travaille, et je dois endurer la pression de ne point être capable de trouver de l’emploi. Sans compter l’argent que je lui dois. Et puis, être dans un couple ça demande tellement de compromis et de sacrifices qu’il vaudrait mieux que cela nous rende heureux. Avoir des enfants est une bonne raison pour qu’un couple tente de continuer, mais selon les statistiques cela n’empêche pas les hétéros de se séparer et de divorcer. En ce qui nous concerne, les gais, c’est beaucoup de souffrances inutiles s’il n’y a pas une raison de nous tenir ensemble.

 

 

 

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    Je m’en vais au méridien zéro, Greenwich station. Je m’en vais au centre du monde, celui défini par la convention nationale, après qu’il eut été défini à Paris. La Maison des étudiants canadiens aussi gît sur l’ancien méridien zéro, c’est que Paris n’est plus le centre du monde de la convention, il est le centre du monde en lui-même. On peut encore voir les bornes Arago traverser le parc de la Cité internationale, la ligne traverse mon ancienne chambre. Enfin, je me rends aux limites du parc au célèbre observatoire, j’y trouverai peut-être un emploi de serveur au pub Gloucester. Entre-temps, la BBC est en train de me considérer pour le poste de responsable de la section française de leur radio. Je me demande bien pourquoi j’ai postulé ; il est bien certain que mon curriculum vitae ira directement dans les poubelles.

    Je suis assis sur le méridien zéro. J’ai enlevé mon t-shirt, un merveilleux parc que le Greenwich Park. Je ne peux en dire autant de la police qui vient de me faire subir un interrogatoire, me demandant pourquoi j’étais assis au sommet de la colline. Le gars m’a demandé si je dessinais, je lui ai demandé s’il était illégal de dessiner. Je n’ai jamais compris pourquoi ils sont venus ; il aurait été si simple de me dire une phrase rassurante sur la raison pour laquelle ils m’interrogeaient de la sorte. Bizarre. Pendant ce temps je deviens fou, j’ai l’impression d’être sous étroite surveillance, d’être un immigrant illégal en Angleterre. Cette peur qu’à tout moment on va me demander mes papiers et m’expulser du pays. Je n’ai guère l’impression d’avoir des droits, seulement une série de lois à respecter qui commence par : je n’ai pas le droit de travailler plein temps, et dans cinq mois il me faut avoir sacré le camp d’ici. Aussi bien commencer les préparatifs de départ maintenant. Ah, oui, je n’ai pas le droit de quitter la Grande-Bretagne si je veux que mon permis de travail temporaire demeure valide. De toute manière, j’ignore pourquoi ils font tout pour m’interdire de travailler, il m’est impossible de trouver un emploi quel qu’il soit. Paraîtrait qu’il y a 100,000 Français à Londres, contre 2,000 Anglais à Paris. Je présume qu’il y a encore plus de Français à New York. Alors, tout ce qu’il y a de français ici va aux Français, pas aux Québécois. Les Français protègent leur hiérarchie inspirée de la génération des boomers même à l’étranger. C’est-à-dire que, c’est l’âge et le niveau d’étude qui définissent le salaire et qui aura l’emploi, et non pas l’expérience et les aptitudes. Il faut pratiquement avoir étudié en France pour travailler pour les Français, car ils ne reconnaissent rien d’autre que leur système d’études assez compliqué (que je n’ai jamais compris d’ailleurs). En plus, en Angleterre, ils n’ont même pas de salaire minimum. Margaret Thatcher vient de publier sa seconde brique gigantesque, elle affirme là-dedans que le parti conservateur n’est pas suffisamment d’extrême droite. J’ignore de quelle planète elle débarque, elle, pour affirmer une telle chose. Maintenant qu’elle est morte (en politique), elle est plus puissante que jamais. Elle est devenue un mythe. Margaret Thatcher est un mythe qui refuse de mourir et qui n’a absolument rien en commun avec la jeune génération et la génération X. Remarquez que c’est peut-être vrai qu’ils sont moins conservateurs qu’avant, ils ont fini par accepter une femme comme Premier ministre voilà à peu près quinze ans. Soyons plus conservateurs, interdisons les femmes en politique, et même, interdisons-leur le droit de vote, elles sont trop connes pour s’occuper de choses qui de tout temps n’appartenaient qu’aux hommes purs et mariés avec enfants. Ça va prendre une autre cinquantaine d’années avant que la Grande-Bretagne réélise une femme à la tête du pays, sinon plus. Est-ce suffisamment d’extrême droite ? Voyez-vous, il est difficile de définir ce qui devrait être considéré comme de droite ou de gauche, et où s’arrêter dans sa course vers la stupidité.

    Greenwich station, à chaque fois je lis Greenpeace station. Greenpeace commence à me faire peur. Oui, je suis pour l’environnement, pour un coin de planète vert de temps en temps, lorsque c’est possible, mais Greenpeace me fait peur. Je vais dire comme les critiques anglais, l’écologie est devenue la nouvelle religion de la jeune génération, et cette religion a maintenant un budget annuel phénoménal et une vraie armée à son actif. Une armée capable de couler des bateaux, prendre des vies en croyant en sauver quelques autres. Et ça me fait peur, parce que c’est encore aveuglément que la jeune génération se lance dans Greenpeace, pour le seul plaisir d’avoir quelque chose à faire en ce bas monde. Oui, les problèmes environnementaux sont importants et il faut agir, mais pas avec une armée et un lavage de cerveau qui a commencé à l’école primaire chez les jeunes. Il y a quantité d’autres problèmes mondiaux, et Greenpeace ne semble pas vouloir les voir. Quels sont donc leurs intérêts en fin de compte ? Les multiples partis verts qui s’incrustent dans les gouvernements, ça aussi ça m’inquiète. On dirait qu’il n’y a pas que l’environnement qui entre en ligne de compte lorsqu’il faut maintenant s’accaparer le pouvoir dans le monde entier, être en contrôle des gouvernements pour le plaisir de faire disparaître des industries. C’est comme toute chose, lorsqu’il y a des milliards en cause, le tout risque de devenir corrompu. Et dans l’ignorance des dessous de cette organisation planétaire qu’est devenue Greenpeace, je vais m’abstenir de les aider et je vais continuer de lire attentivement ce qu’ils font.

    Greenwich station, les trains se font rares à deux stations du London Bridge. J’ai la drôle impression d’avoir déjà demeuré à Londres avant aujourd’hui, plus précisément lors d’une des deux guerres mondiales, plus probablement la deuxième. Bien avant mon voyage de 1990, j’avais ces cauchemars où je savais que j’étais à Londres ou en banlieue, et je ressentais les feux de la guerre, et cet état de panique qui remet toute la vie du quotidien en question. Cette obsession qu’à tout moment on peut mourir sous une bombe lancée du ciel. Toute ma vie ces rêves m’ont poursuivi, quelques-uns m’ont vraiment marqués, puisque encore aujourd’hui ils sont gravés dans ma mémoire. J’étais dans la rue, c’était en sable me semble-t-il, mais je ne suis plus certain. Les bombes sautaient autour, faisant des trous dans le sol de la grandeur de la moitié d’une automobile, parfois gros comme une automobile. J’allais d’un bâtiment à l’autre, des soldats m’ont trouvé et je crois que je me réveille lorsqu’ils me fusillent. Une autre fois je suis près d’un terrain de tennis, ou quelque chose du genre, entouré de grandes clôtures de fer. Les sirènes de guerre sonnent et je sais qu’une méchante bombe va sauter ou a déjà sauté. J’avais l’impression ou la peur que c’était nucléaire. Et tous ces décors de banlieues que je crois reconnaître. Cette saleté permanente de Londres comme on la voit entre London Bridge et Greenwich, je la connais d’avant mon voyage de 1990. Depuis que j’habite à Londres, d’autres souvenirs semblent me revenir en rêve, des endroits qui sont quelque part ici, mais que je n’ai certes jamais vus. Qu’est-ce donc que ces rêves ? Une vie antérieure durant la guerre, des émissions de télévision qui m’ont marqué ou bien ma simple imagination ?

 

 

 

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    Hier, nous sommes allés à la Gay Pride de Londres. Au début je ne voulais pas trop y aller, ni Sébastien d’ailleurs. Martin nous a un peu forcés, et puis, depuis 25 ans qu’ils s’arrachent l’âme à nous faire une parade, ça valait la peine que nous allions à notre première Gay Pride. À Londres en plus, c’est déjà plus motivant. Je dois avouer que j’ai été franchement impressionné. J’ai eu énormément de plaisir, et le plus incroyable, je n’ai bu aucune goutte d’alcool. Jamais je n’aurais cru une telle chose possible. Je crois que la fatigue de la marche nous a suffisamment étourdis pour que le fun vienne de lui-même. Et puis, où ailleurs dans le monde peut-on voir sur une même scène dans la même soirée : Alison Moyet, Boy George, Dead or Alive et une série d’autres artistes de qualité, gratuit par-dessus le marché ? Il fallait voir le gros feu d’artifice à la fin, pendant que Chaka Kahn nous envoyait ses beats et ses lumières. Ça m’a saoulé complètement. Virgin Mégastore organisait le tout, me voilà tout dévoué à Virgin pour le reste de mes jours. À l’avenir je vais voler avec Virgin Atlantic, si cela est possible, j’aurai même l’impression d’aider l’industrie de la musique en le faisant. Ce qui n’est pas le cas lorsque tu achètes un CD chez tout autre magasin de disques, aucun ne produit des artistes. Erasure jouait dans une autre des nombreuses grandes tentes, mais on l’ignorait. Il y avait certes plus de 100,000 personnes à marcher dans les rues fermées de Londres, remplissant toutes les bouches de l’Underground, de Victoria station à Victoria Park, jusqu’à Mile End station dans l’East End. C’était gigantesque, il y avait quantité de manèges, on en a essayé plusieurs. Bref, un agréable événement où toute la journée je n’ai cessé d’embrasser Sébastien partout dans la ville et dans les métros. Dieu qu’il y avait du monde. Et tout ce monde que l’on voyait était homosexuel, bi ou lesbienne. Après une telle parade et un tel concert, tu croirais que les médias en parleraient au moins pour un paragraphe. Niet. Du Melody Maker au New Musical Express, via The Guardian, Evening Standard, BBC et Carlton, pas un mot sur la Gay Pride. Pendant ce temps le Channel 4 nous a assommés avec le festival de Glastonbury, un festival de drogués à la Woodstock, dont même les journaux (qui ne parlent que de politique) ne peuvent s’empêcher de parler. Une vingtaine de pages juste dans le NME. L’Angleterre est très homophobe, en même temps on dirait que les jeunes ont explosé et que leur crise d’adolescence et d’identité n’en finit plus. Autant les vieux sont conservateurs, autant les jeunes semblent être anti-conservateurs. Alors l’Angleterre se retrouve parfois devant divers paradoxes. Ainsi on dirait une société totalitaire, mais aussi parfois libérale au maximum. Je ne doute pas que dans quelques années l’Angleterre sera différente dans sa mentalité, lorsque la vieille génération aura disparu. Les boomers ici ont manqué le bateau, ils sont bien trop conservateurs, et je n’arrive pas à comprendre ce qui a fait défaut. C’est à peu près comme les Canadiens-Anglais. De vrais colons ces derniers, ils ont copié leur pays d’origine jusque dans l’architecture que l’on retrouve encore dans plusieurs villes industrielles du Québec, comme Kénogami et Arvida. Une architecture que j’adore, qui est tellement sale et laide qu’elle devient belle lorsque tu as en tête l’histoire. J’adore le bout de chemin entre London Bridge et Greenwich, il me faut y retourner, c’est tout simplement passionnant ce paysage.

 

 

 

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    Avant-hier, Sébastien, Phil et moi sommes allés au Village Soho pour prendre une bière. Un de ces soirs où l’on me remarque, alors que Phil passe tout à fait inaperçu. Alors déboule sur moi le plus bel homme rencontré depuis des lustres. Une vraie vedette de film porno, et encore, pas n’importe quel film. Un petit gilet en filet noir qui met en évidence son ventre parfait, son corps extraordinaire. Un visage tellement beau ! Là c’est clair qu’il me veut, Phil a failli exploser. Toute la soirée, Phil me regardait en voulant dire : qu’est-ce qu’il a de plus que moi ce jeune morveux pour attirer de telles beautés ? Je l’ignore ! Mais on a parlé et on s’est donné rendez-vous le lendemain à onze heures en face du Village Soho. Mais je n’y suis pas allé, l’idée de tromper Sébastien m’a fait tourner l’estomac, et j’ai cru que je ne serais point capable de retourner à la maison. Incapable de marcher. J’ai été aux toilettes plus de cinq fois par la suite. Je peux l’appeler, il est à la chambre 302 du Forté Crest. Mais je vais laisser faire, je n’ai pas envie de coucher avec lui, c’est un peu la même chose que de coucher avec Sébastien. Tout est tellement facile lorsque tu sais ce que tu veux et l’autre aussi. On se rencontre dans le bar, on est dans sa chambre d’hôtel le lendemain matin, on fait l’amour cinq minutes plus tard. Quel rêve !

    Encore ce matin une jeune fille de 14 ans nous annonce en grande pompe son gros message : débarrassons-nous des routes pour l’année 2010, sauvez les baleines, les arbres, tuons les industries, plus aucune automobile sur les rues. Si ce n’est pas là une preuve que l’on peut faire d’une génération ce que l’on veut, qu’est-ce que c’est ? Pas un enfant ne vous dira qu’il ne faille se débarrasser de l’économie de l’Angleterre pour sauver trois ou quatre espèces d’arbres. Sauver la Terre à tout prix, même s’il faut se débarrasser de quelques millions d’humains pour ce faire. C’est rendu à un niveau si grave qu’effectivement, pour sauver une espèce animale en voie d’extinction, la nouvelle génération serait prête à laisser mourir de faim un peuple peu fortuné qui n’a que cela à manger. Oui, je suis végétarien, pourtant je suis contre la disparition de certaines peuplades d’Amérique du Sud, que Sébastien voudrait bien interdire de chasser l’Armadillo. Selon les nouveaux écologistes, la vie de l’humain ne vaut pas davantage qu’une espèce animale quelconque, et pas davantage que les arbres. On dirait qu’il n’y a jamais de juste milieu. On a beau construire les consciences dans un sens positif et humanitaire, on finit toujours par oublier où sont les limites. Des gens vont en prison pour des arbres coupés, bientôt ils iront en prison pour l’utilisation d’une automobile ou la lecture d’un livre. Ceci dit, j’appartiens à ma génération. Effectivement, faire disparaître les routes et le papier me semble une très bonne idée, d’autant que l’on apporte les solutions de rechange. Les journaux et les livres vont disparaître bientôt avec la venue de l’autoroute électronique (oui, oui, les routes électroniques, c’est bien), il n’y a pas à s’inquiéter à ce propos. Tant qu’à faire disparaître les industries, j’invite les professeurs à constater combien la jeune génération ne sait plus où s’arrêter. Posez la question, à savoir, devons-nous faire disparaître toutes les industries pour l’environnement ? Ils diront tous oui. J’en ai pour preuve ma classe de philosophie du collège de Jonquière voilà quelques années. La majorité avait plus de vingt ans et ils ont tous oublié que l’économie du pays et leur niveau de vie reposaient sur les industries régionales (papeterie, aluminerie).

    Bref, la fille a envoyé une lettre à un politicien important, lui demandant ce qu’elle devrait faire de sa peau. Il a répondu qu’elle devrait devenir politicienne. Elle a annoncé en retour que les politiciens sont politiquement incorrects. Les politiciens sont-ils politiquement incorrects ? Sont-ils essentiels ? Peuvent-ils être remplacés ? Y en a-t-il trop ? Sont-ils vraiment représentatifs de ce que le peuple demande ? Bref, sont-ils le symbole par excellence de la démocratie ? Il serait intéressant de faire un essai là-dessus. Mais pas moi, s’il vous plaît, j’ai une vie à vivre !

 

 

 

 

 

 

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    Parlant de la génération perdue (Evening Standard de lundi dernier) : Ceux qui ont été étudiants entre 1940 et 1970 sont de la « génération perdue ». Avec une attitude formée dans l’ère industrielle, ils font face à un nouvel âge d’information qui les perçoit comme passés date et déconnectés. [ ... ] La vie commence à 40 ans ne signifie plus la même chose aujourd’hui. La technologie a détruit la sécurité qui était auparavant garantie par l’éducation, l’expérience et le système d’affaires traditionnel. [ ... ] Nous sommes dans une ère d’économie de ferraille où la bonne expérience ne sert de rien en échange d’une main-d’œuvre technologique bon marché.

    Tout y est, 1970, l’année charnière. D’après cet article, la dernière moitié des boomers s’est fait prendre au jeu de la première moitié. Semblerait que l’expérience suffisait, on ne s’est pas inquiété outre mesure avec l’idée qu’il fallait apprendre la programmation informatique, et il ne leur est pas venu à l’idée non plus de suivre quelques cours en parallèle de leur emploi pour ne pas être déphasés. Trente à quarante ans, une génération déphasée avant même d’arriver aux années grasses, et qui a probablement la mentalité qu’ils sont trop vieux pour retourner sur un banc d’école. Je comprends, le collège ou l’université, c’est là un système hiérarchique affreux de destruction de liberté de penser. Ô Dieu, ces interminables heures de cours, tous ces déplacements pour deux heures de bullshit, tous ces travaux longs tout à fait inutiles pour la société et qui ne satisfont jamais un prof. C’est ça ma définition des études, et l’idée d’y retourner me soulève le cœur. Même pour apprendre le langage informatique C++, qui me permettrait du jour au lendemain d’avoir un emploi qui paie très bien. On a tant perdu de temps à me faire avaler des choses plates et absurdes, que les seules choses importantes pour survivre aujourd’hui, je n’ai plus le courage de les apprendre. Pourtant ce gros problème de génération dont parle l’Evening Standard n’en est pas vraiment un. Il suffirait de se mettre à jour, mais voilà, où trouverons-nous la volonté, pire, qui nous obligera ? Mais je crois que si on peut apprendre chez soi, d’autant plus que certains programmes spéciaux sur ordinateur sont devenus assez impressionnants, ce sera déjà plus motivant. Qui a besoin des bancs d’école et des professeurs ? Et puis comment peuvent-ils dire que l’expérience est perdue ? Il faudrait plutôt dire que l’expérience n’est pas la clé du succès et n’est pas indispensable à chaque domaine de la société. Ça implique également que quelqu’un de 22 ans peut être davantage compétent et expérimenté qu’un autre de 40 ans qui est expérimenté dans un créneau qui n’existe plus. Le problème, c’est qu’ils ont travaillé tellement fort pour arriver où ils sont, que ça semble être une injustice. Problème d’une génération. J’y ai goûté, toutes ces études, pour rien. Maintenant, j’espère que l’on va oublier l’argument classique qu’avant 40 ans, quelqu’un ne sait pas de quoi il parle et ne mérite pas qu’on l’écoute, ou qu’on lui fasse confiance. Finalement, la jeune fille de quatorze ans qui a reçu 15,000 livres sterling pour terminer son livre, m’a semblé plus intelligente et réfléchie que pas mal de politiciens crasseux qui remplissent l’écran de la BBC à toutes les heures de la journée.

 

 

 

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    Les Anglais ont la prétention d’être les meilleurs du monde dans plusieurs domaines. Partout on lit : meilleur « X » du monde. Meilleur festival dans le monde, meilleur concert rock dans l’univers, meilleur magasin à rayons du monde (à lire le plus cher magasin à rayons de l’univers). Pourtant, les Anglais sont reconnus pour être un peuple qui ne sort pas souvent de chez lui, même pour les vacances. Sur le mur de l’aéroport : « Heathrow, voté meilleur aéroport international dans le monde. » Mais d’où sortent-ils une connerie pareille ? Je commence à comprendre que leur vision du monde s’arrête à l’île de la Grande-Bretagne. Je n’ai jamais vu si pire et si peu pratique aéroport de ma vie ! Il n’y a pas de train direct pour y aller (à l’heure où ces lignes sont écrites), c’est au bout d’une ligne interminable de l’Underground. Ça m’a pris plus d’une heure pour arriver. Il y a quatre terminaux séparés par des distances effrayantes. C’est trop plein de monde, c’est sale, c’est bourré de pancartes et de publicités, on étouffe et on s’y perd. Qui a donc voté pour ça ? Les Anglais eux-mêmes ? J’étais heureux d’aller passer une entrevue chez WHSmith, mais après avoir vu l’atmosphère écrasante de la librairie, je voulais repartir. Je reste parce que ce sera peut-être dans le nouveau terminal 4 que je travaillerai, ce qui serait d’ailleurs logique, parce que c’est de là que partent les avions pour Paris et Bruxelles.

    Je suis découragé, sans aucune motivation. Éric est venu cette fin de semaine de la Maison des étudiants canadiens. Il était mon voisin d’en face à Paris et il retourne maintenant à Montréal. On a de sérieux doutes sur son orientation sexuelle. Il nous a suivis dans les pubs gais de Londres et est même venu à l’anniversaire de Neil, une soirée de tapettes assez lourde. Il dit qu’il s’est fait énormément de fun. Je comprends, après le champagne et le vin rouge français, on a sauté dans le whisky. Le monde était en train de se toucher et de se manger sur le divan, pour ne pas dire embrasser le divan. Lorsque nous sommes partis, ça virait en orgie. Et il a eu beaucoup de plaisir, le petit-fils à son poupa. Ça lui a pris toute la misère du monde pour m’avouer un mensonge. Non, il n’a couché avec aucune fille de la MEC, mais il en a rencontré d’autres ailleurs. Une en particulier. As-tu couché avec elle ? Euhnonouieuhoui. Ah bon. Tant mieux pour toi, je commençais à m’inquiéter, un an sans sexe, pauvre toi, je croyais bien que tu allais mourir (même si je sais que ça fait 22 ans que tu es vierge). Alors, pourquoi est-ce si difficile de m’avouer que tu as sauté une fille cette année ? Parce qu’il ne s’est pas suffisamment passé de choses pour que j’en parle. Ainsi je crois qu’il voulait coucher avec elle mais a été incapable, ou le plus probable, elle voulait et il a refusé. Comment expliquer ce week-end à Londres avec nous, autrement ? Je me souviens les quelques soirs où il travaillait tard avec moi à la biblio de la MEC, j’étais en pantalon de gymnastique sans caleçon, il me regardait la mauvaise place. Coincé à mort, pauvre Éric, ça en prend donc bien pour sortir du placard !

 

 

 

 

 

 

 

 

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    Je suis assis en avant d’un bus numéro 23, d’où je vois Londres de mon deuxième étage. J’arrive de prendre un Cappuccino près de Baker Street avec une jeune fille japonaise qui termine sa médecine, qui joue merveilleusement bien du piano depuis ses trois ans, qui a publié un livre à 14 ans en gagnant un concours, qui a une mère éditrice et qui roule en BMW (ça ne vous donne pas l’envie de l’assommer ?). Ce quelqu’un connaît la haute société londonienne, m’invite à son anniversaire dimanche prochain, et est d’une beauté éclatante. Rami n’a que 21 ans, la réussite sociale incarnée. J’avais honte de mon habillement à l’hôtel chic où l’on est allés, surpris que l’on me laisse même entrer et m’asseoir. Mais les touristes du monde entier sont tout aussi mal habillés que moi, riches ou pauvres. Ils se permettent de me dévisager en plus, les vieux laids. À quatre livres le café, c’est le pianiste que tu paies. Bref, je me demande ce que va m’apporter Rami, et l’impression que je lui ai laissée. À notre première rencontre à l’anniversaire de Gil, Rami m’a demandé : « Crois-tu en Dieu ? » J’étais saoul, ce n’est pas la question à poser à quelqu’un incapable de se tenir debout. Je suis incapable de me souvenir de ma réponse, j’espère que je n’y suis pas allé trop fort. Je me suis repris lors de notre café, lui affirmant que Dieu est une hypothèse envisageable, mais de là à bâtir des institutions sur des hypothèses, changer notre rythme de vie, prier et tout, il y avait une marge à ne pas franchir. Les Japonais n’ont pas vraiment de religion, semble-t-il, une petite influence du christianisme dans son sens global, sans plus, d’après ce que me dit Rami.

    Hier, je suis sorti de la maison, j’ai marché sur Elgin Avenue jusqu’à la station Maida Vale. Je me sentais léger, heureux, je m’en allais au théâtre voir The Importance of Being Earnest d’Oscar Wilde. J’y allais avec la haute société de Londres, Rami. J’étais autant excité qu’Eugène de Rastignac arrivant à Paris et qui s’inquiète de son image alors qu’il flirte avec l’aristocratie. Sans compter qu’il n’est qu’un simple étudiant qui s’apprête à couler ses études, et qu’il n’a pas un sou dans ses poches, prêt à vendre sa famille pour aller voir une pièce de théâtre avec Rami. Ça valait le coup d’y mettre le paquet, places les mieux situées, mais aussi les plus chères. Une vodka tonique avant la représentation, rien de trop beau lorsque l’on est au Old Vic Theatre, construit un siècle avant notre venue au monde. Mais j’ai été désenchanté. Elle avait des pantalons blancs bien ordinaires, et son ex-copain japonais lui était pendu au cou. Il a pris un verre avec nous dans le sous-sol du Old Vic sur Waterloo Road. L’embarras, nous n’avions rien à dire. Je la croyais impossible à rejoindre, à une heure et demie d’avis, voilà qu’elle accepte de m’accompagner voir le génie d’Oscar Wilde en action. Elle m’a semblé bien plus simplette qu’à notre seconde rencontre. Tout comme Cendrillon, elle est disparue dans les rues de Londres pour aller retrouver son chien. Piètre excuse pour ne pas arrêter prendre un café. De quoi avait-elle peur ? Que je la viole ? Je crois que ce n’est pas clair dans son esprit qu’un gai dans une relation à long terme avec un autre homme ne désire aucunement coucher avec une femme. C’est drôle ces femmes qui évitent toutes les situations de se retrouver seules avec un homme, les voir inventer mille et une raisons absurdes. Je vois que cela doit insulter ceux qui effectivement veulent faire des avances. Moi je trouve ça rigolo. Mais je devais lui remettre la cassette de Sébastien, son copain est très impliqué dans l’industrie de la musique. Il m’a fallu jouer serré, lui disant qu’il fallait qu’elle attende à sa voiture pendant que j’allais chercher la cassette, car je redoutais que Sébastien, une fois revenu, m’en empêche. Piètre excuse, mais l’excuse importait peu, il fallait que je la lui donne. J’ignore ce qu’elle pense de notre bel édifice pour les pauvres sur l’aide sociale. Elle n’a cessé de parler des différences de classes en Angleterre :

    — N’est-ce pas triste qu’ici, aussitôt que tu ouvres la bouche, on sait de quel milieu social tu viens ?

    — Pas du tout, ma chère ; ce qui est triste, ce sont les préjugés des gens qui écoutent ce qui sort de cette bouche.

    — Nous sommes chanceux, notre accent est étranger, personne ne peut nous étiqueter.

    — Oui, mais pendant ce temps nous sommes incapables de fonctionner normalement dans cette société et je suis incapable de trouver un emploi. En passant, quel âge avais-tu lorsque tes parents ont divorcés ?

    — Comment sais-tu qu’ils sont divorcé ?

    — Ma pauvre fille, selon les statistiques, la chance de tomber sur quelqu’un dont les parents sont encore ensemble est nulle.

    — N’est-ce pas triste ?

    — Pas du tout ; ce qui est triste, ce sont tous ces jeunes qui se marient inutilement et toutes ces institutions qui sont complètement déphasées en rapport aux réalités de la vie.

    — Comment as-tu trouvé la pièce ?

    — Je suis heureux.

    — Pourquoi ?

    — Parce que je croyais que j’allais être soulevé de ma chaise durant une quelconque apothéose, et que je serais retombé sur mon siège au désespoir, honteux devant le génie de Wilde. Et ce ne fut pas le cas, je suis demeuré bien incrusté dans ma chaise, me demandant avec effroi : est-ce possible que la critique puisse qualifier cette pièce comme étant la meilleure comédie de tout le répertoire anglais ?

    Bien sûr, il faut remettre les choses dans leur contexte. Voilà cent ans cette pièce fut une révolution. Et comme la bourgeoisie anglaise, ou plutôt l’aristocratie anglaise, n’a pas trop changé en un siècle, cette pièce demeure d’actualité. Mais je suis ignorant de ces réalités londoniennes. Je n’ai pu m’empêcher de dire, encore une fois, comment Ionesco, lui, avec sa Cantatrice chauve à la Huchette de Paris, a réussi à me soulever de ma chaise. Ceci dit, Le Portrait de Dorian Gray, c’est dur à battre.

    La belle BMW rouge de Rami déambulait dans les rues du centre de Londres, vers le West Nine plus exactement. Le plaisir d’être le fag d’une fag hag. (Fag : terme péjoratif qui signifie homosexuel. Fag Hag : fille sans copain, le plus souvent grosse et laide, qui n’a que des amis gais avec qui elle sort tous les soirs.) Une petite bise en sortant de la voiture, je remplis bien mal mon rôle. Sébastien et mon amie France à Paris le remplissaient bien mieux que moi. On aurait pu croire à les voir, même devant l’ex-copain de France en visite en France, qu’ils étaient un jeune couple heureux qui, dans l’attente du fameux soir où ils vont se tomber dans les bras, étaient incapables d’arrêter de multiplier les occasions de se toucher et de se sauter dans les bras devant tout le monde. On dirait un reproche. C’est plutôt une incompréhension. Quel est donc ce besoin d’être une fag hag et même d’être le fag d’une fag hag ? Un besoin d’amitié de l’autre sexe, sans que cela se rende jusqu’aux préliminaires, qui, eux, sont bien connus pour ruiner les plus grandes amitiés du monde. Je me sentais d’autant plus mal à l’aise devant l’ex-copain de Rami. À croire que je sers à le rendre jaloux, ce qui semble bien fonctionner. Son seul blocage psychologique, à l’envie de me sauter dans la face pour me réduire en miettes poussiéreuses, c’est que je suis un faggot, un queer (faggot ou queer : termes péjoratifs qui signifient homosexuel efféminé ou tapette). Et un faggot, c’est bien connu, c’est inoffensif, autant qu’un petit écureuil. Plus inoffensif qu’une fleur, qu’une femme. Parce qu’une femme devant un homme marié en manque de sexe, ce n’est déjà plus inoffensif. Moi, je suis cependant une véritable menace devant un autre faggot, lorsque Sébastien est autour et qu’il le regarde trop. Il n’existe rien d’inoffensif en ce monde, peu importe ce que vous faites, c’est toujours mal. C’est ce que l’on apprend, à vivre dans ces sociétés conservatrices. Encore hier un ministre important démissionnait parce qu’il a eu le malheur de se payer une prostituée voilà dix ans. Depuis que je suis en Angleterre, c’est le troisième ou quatrième politicien qui démissionne pour des raisons similaires, assez impressionnant lorsque l’on sait que c’est un échantillon représentatif du parti. Parce qu’il s’agit de députés ou ministres que les journaux à potins on réussi à démasquer à coups de £ 150,000 le témoignage de prostituée trouvée. Ils ont le culot d’exhorter le ministre à démissionner, ce qu’il s’empresse de faire. Stupides journalistes, ce sont eux les immoraux. Ils ne sont de l’extrême droite que pour leurs intérêts, vendre des journaux. Le crétin de journaliste a dû se la payer la prostituée après l’interview, sa carrière ne sera jamais remise en question. Sans compter que c’est souvent le journaliste qui paie la prostituée pour qu’elle aille détruire la vie d’un politicien quelconque, il faut se méfier ici.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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    Une femme de Radio-Canada m’a téléphoné hier, pour me dire qu’elle aura peut-être besoin de moi. Son accent est tellement bizarre, à peu près comme tous les journalistes sur les ondes de SRC. Je me demande s’ils ont des cours pour apprendre à parler comme personne ne parle ? Peut-être que c’est un accent qui se développe avec la prétention. Davantage d’oxygène pompé dans le cerveau, voilà que l’on parle un tout nouveau dialecte. Comme Rami, elle m’a donné des adresses et des noms à la British Broadcasting Corporation. Arrêtez de me donner des noms, donnez-moi de l’emploi !

    J’ai eu l’emploi chez WHSmith à l’aéroport d’Heathrow, salaire ridicule d’environ £ 2.50 de l’heure. Je me demandais s’il fallait ouvrir le champagne ou se tirer une balle dans la tête. La grève estivale des métros plane sur nos têtes, British Rail est en grève aujourd’hui. Malheureusement, une grève de l’Underground ne m’empêche pas d’aller au travail. Il me faut alors prendre l’autobus, calculer deux heures pour arriver au lieu d’une, et payer 26 $ aller-retour plutôt que 10 $ pour le tube. Le pire, c’est que l’aéroport est si près de chez moi, que je vois les avions atterrir de la fenêtre de l’appartement. Ils sont presque au sol. Je me surprends souvent à marcher des distances plutôt courtes, qui pourtant dans l’Underground semblent interminables. On a la fausse impression que les trains vont vite, parce que tout tremble et manque de tomber en pièces détachées avant l’arrivée de la prochaine station. Ça fait du trois kilomètres à l’heure au maximum, lorsque l’on calcule les arrêts.

    Le lavage de cerveau est commencé. Huit heures de vidéos et de propagande WHSmith. Sortir d’ici, ma seule idée, partir, me flinguer plutôt. Ils ont dix-neuf WHSmith à l’aéroport d’Heathrow, un vingtième ouvre ses portes en septembre dans le terminal 1. Je commence dimanche, le B shift. Ce qui signifie trois journées successives de douze heures. Cela est-il humainement possible ? Leur petit lavage de cerveau me fait d’autant plus vomir que les seules lettres WHSmith ont maintenant pour moi la pire des connotations. Pourtant, à les entendre, ils encouragent l’initiative, nous exhortent à multiplier les erreurs afin d’apprendre. J’ai vu le superviseur, au premier coup d’œil j’ai vu à quoi ça va ressembler. Le cercle du pouvoir anarchique, pardon du lapsus, hiérarchique, dont McDonald’s, apparemment, se fait le chef de file. Tout cela est clairement démontré dans leurs vidéos de présentation. Ils ont des caméras cachées partout dans leurs magasins, un trou d’environ un à deux millimètres suffit. C’est effrayant. Jusque dans les toilettes, je suis convaincu que l’on me surveille. À Heathrow, le terrorisme est devenu la maladie qui justifie la surveillance mythique, celle que l’on n’aurait jamais crue possible.

 

 

 

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    Aujourd’hui, je déclare la guerre contre les colliers et les laisses à chien, c’est-à-dire les cravates, et aux camisoles de force, c’est-à-dire aux costumes et aux uniformes. Oh, God, vous devriez voir le costume de mon humiliation que je devrai porter pour travailler chez WHSmith, je pense déjà à quitter mon emploi. Des pantalons serrés brun laid, une chemise blanche lignée et une cravate, what a pity. Je suis le servant de ces messieurs en complet cravate, qui vont prendre la business class, je suis l’esclave de ces mesdames trop bien habillées dont la jupe trop courte va bientôt craquer et tomber sur les belles tuiles de l’aéroport, parce qu’elles se sont mises à courir de peur de manquer leur vol international. Ces codes d’habillement, d’où viennent-ils ? Liberté, liberté ! Expression de la personnalité, confort, vie, survie ! Ces pauvres étudiants en Angleterre, tous habillés dans leur petit uniforme noir avec cravate. Discipline et appartenance à une même tribu, dit-on. Nécessité de l’humain, depuis des millénaires, de se reconnaître avec une même strate de la société. Destruction des classes sociales... au contraire, bon Dieu, c’est comme ça que commence l’établissement des classes sociales. Et puis, couronne sur le gâteau, Rami me téléphone hier pour m’inviter à sa fête. Après tous ses longs discours sur les hiérarchies sociales et la tristesse que cela apporte, la voilà qui m’annonce que les hommes à sa soirée devront porter « a bow tie or an ascot tie ». Qu’est-ce que cette soirée de fous ? Oublie ça, ma chère, je serai plutôt content de porter mon petit uniforme de WHSmith, je travaille ce soir-là. Départ de la maison à 8h du matin, retour à minuit. L’esclave de la basse société n’aura plus l’énergie pour aller jouer l’esclave de la haute société. Même si Pac Man de la BBC y sera, et que c’est la chance de se faire des contacts. Je ne suis pas encore prêt pour rentrer dans n’importe quelle société, quelle qu’elle soit. J’ignore même comment faire un nœud de cravate, quelle chance, cela signifie que j’ai sans cesse réussi à éviter ces rencontres tribales entre humains de la haute société ou entre humains qui essaient de se faire croire qu’ils sont de la haute société. Parce qu’enfin, est-ce parce que nous sommes la haute société que l’on exige la cravate, ou est-ce parce qu’on veut faire haute société ? La petite Rami m’expliquait ses fausses conceptions sur la vie, dans le but de faire ressortir mes conceptions à moi. Pas un mot de ce qu’elle m’a dit n’est vrai, elle ne trouve pas tristes toutes ces classes sociales ; au contraire, elle contribue nettement à les construire. Les fabriquant là où c’est inutile. Les humains n’ont pas besoin de ces laisses et ces camisoles de force. Les humains ont besoin de liberté, de s’habiller comme ils veulent, d’abolir ces faux signes qui établissent les différences hiérarchiques. Solidarité ! Pas d’uniforme laid qui inscrira sur mon front ma misère, mon statut social, ma forme inférieure d’être humain. Pas de cravate et de pantalons noirs, pas trop comme ci ou ça, avec côte d’habit de telle coupe. Sébastien qui ne me parle que de smoking, le mariage de sa sœur est samedi. Tout le monde devra porter le même smoking avec une (chemise blanche de serveur). Sébastien a fait prendre ses mesures trois fois, par deux fois il est retourné changer de costume. Comment peut-elle exiger que tout le monde soit habillé de la même façon ? Ce n’est qu’un mariage, nom de Dieu. Il n’y avait qu’à sauter dans un bureau d’un de ces « civil servants » qui ne fout rien de ses journées, se délectant d’avoir la chance de porter un complet. Signer trois ou quatre papiers, et voilà, c’est fini pour le mariage. Mais non, ils avaient besoin de louer le parlement d’Ottawa, de faire quelque chose comme quatre réceptions, se chicaner pendant un an à préparer un ridicule mariage qui se terminera d’ici trois ans en un divorce inévitable. Vingt mille dollars dans le feu ! Voilà où en est l’humain dans sa bassesse, du feu plein la vue, à tous les niveaux. Revenez sur la terre ! La vie pourrait être si simple, mais nous construisons toutes ces barrières qui nous empêchent d’avancer. Je suis fatigué, énormément fatigué. De ce monde et de leurs ridicules rites et coutumes, et fausses conceptions sur les besoins de l’humanité. Je me rends compte aujourd’hui que j’ai toujours été exclu de ce monde, n’ayant jamais porté ni de cravate, ni d’uniforme misérable. Cela commence dimanche chez WHSmith. Je suis prêt pour l’internement et l’aliénation, bienvenue dans le vrai monde.

    Incapable d’ouvrir un compte de banque, incapable d’avoir un numéro d’assurance nationale, je suis en ébullition. D’où me vient tout ce stress ? Mes études me pèsent encore durant la nuit, pourquoi se donner tant de mal ? Les trains sont en grève, les mouches noires sont sorties par milliers, les Londoniens sont misérables, que peut-on attendre de pire de la vie ? En plus je suis en manque de sexe.

    Plus j’y pense, plus ma Japonaise me lève le cœur. L’idée de la revoir m’inquiète, elle jouait un double jeu, pour mieux me connaître. « Comme c’est triste qu’il y ait des pauvres, pendant ce temps jouons aux riches prétentieux. » Elle demeure dans le W1, très onéreux selon Martin. Ceux qui ont le moindrement d’argent s’amusent, et je n’ai pas envie de jouer avec eux.

 

 

 

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    Le temps passe, je m’en vais à Heathrow, ma première vraie journée de travail depuis octobre. Dieu que je suis misérable ! Hier, nous sommes sortis sur King’s Road, ensuite Old Compton Street. Pour les 35 dollars que j’ai dépensés, je vais travailler huit heures aujourd’hui. J’aurais mieux fait de demeurer à la maison hier soir et aujourd’hui. Voilà que je passe à côté des studios de la BBC, ça tombe en ruine. Il y a un beau petit gars dans le wagon à côté, il vient de me regarder. Tout ce qu’on peut dire, ça drague pas fort à Londres un dimanche matin. Je lui donne 25 ou 26 ans, ce qui est encore plus jeune que la majorité des tapettes que je rencontre dans cette ville.

    La femme qui engage le monde où je travaille, est indienne. Très belle d’ailleurs, et gentille. Mais j’ai bien peur qu’elle soit biaisée dans ses choix d’employés, il n’y a que des Indiens partout dans la compagnie. Je suppose que c’est une bonne chose, ils ont peut-être de la misère à trouver de l’emploi. Je n’ai pourtant pas l’impression qu’ils souffrent de racisme, même si les Anglais sont réputés racistes, surtout antisémites, si j’en crois les statistiques. Lorsque j’ai montré à Martin ces chiffres, il s’est senti attaqué personnellement, et m’a répondu que les Anglais n’étaient pas plus racistes qu’ailleurs. Ce qui malheureusement est probablement vrai.

    Moi qui espérais travailler avec un beau jeune homme pour m’aider à faire passer le temps. Il n’y a qu’un paquet d’Indiennes couronné par un flot anglais de 15 ans tellement maigre, que s’il fallait que l’on fasse l’amour, il casserait en deux. De toute façon ce serait illégal, alors je m’en tiens loin. Illégal jusqu’à ce qu’il ait 21 ans. À moins que ce ne soit 18 ans maintenant ? Elles ont toutes 17 et 18 ans. J’ai eu le job McDonald’s de l’aéroport. Des enfants incapables de trouver de l’emploi, qui travaillent là une journée par semaine et qui s’amusent à dire à Francis, le flot de 15 ans : « Alors, tu l’aimes beaucoup Pam ? » Certaines me draguent comme des malades, elles savent que même à 16 ans c’est légal que je les étende sur mon lit. Enfin, c’est rafraîchissant cette jeunesse qui ne s’inquiète pas encore avec la vie. Ça me montre jusqu’à quel point je n’y suis plus, sur la terre. Comme deux autres jeunes de 15 ans que j’ai rencontrés à un de mes emplois antérieurs, Francis me regarde bizarrement. Il m’admire pour n’importe quelle raison. J’ai 22 ans, alors ça l’impressionne, il me colle à la peau, m’observe comme jamais l’amour de ma vie ne m’a observé. C’est alors qu’il faut que tu te convainques qu’il n’est pas en train de te draguer, et tu lui bottes le cul en lui disant d’aller jouer plus loin.

    Je suis mort. On m’a lancé sur la till (caisse) comme ça, avec les cartes de crédit, les chèques de voyage, les monnaies étrangères, les chèques personnels, et, ah oui, l’argent liquide anglais. J’ai vu des faux billets, très belle imitation. Franchement, les photocopieurs couleurs font du bon travail. Comme il se doit, la superviseure est hyper bête et ne tolère rien. Inutile de dire que je continue ma recherche d’emploi à Londres. N’importe quoi fera l’affaire, je suis prêt à lâcher aussitôt qu’ils viendront faire leurs petites crises. Parce que moi, il y a une limite à ce que je peux endurer d’un supérieur. Dieu, j’ai mal à la tête, il n’est que 15 heures. Il me reste sept heures d’ouvrage. Je n’ai plus suffisamment d’argent pour manger, je n’avais plus rien dans les armoires à emmener. Je me dis que le jeûne ne peut faire de tort. J’ai besoin d’un ami !

    Toute la journée j’entends Tokyo, San Francisco, New York, Paris-Orly. Si je n’avais pas d’attaches, comme la vie serait bien. J’achèterais un billet avec ma carte de crédit à plafond illimité, je louerais une voiture à l’arrivée, prendrais une riche chambre d’hôtel, je me paierais un jeune prostitué qui voudrait passer une semaine avec moi.

    Je me sens vieux aujourd’hui, pourtant ces jeunes sont de ma génération. Eux, ils me trouvent jeune, ils m’ont tous donné 16 ans. Christ, ai-je vraiment l’air d’avoir 16 ans ? J’ai les yeux assez cernés, je les fais mes 22 ans. Pourquoi travaillent-ils ? Ils n’en ont nul besoin. Que font-ils de leur argent ? Sylvie, la superviseure, est tellement coincée. Elle n’a certainement pas de mari, sinon je le plains. Elle a beau terrifier tout le monde, elle ne me fait pas peur. Bitch de nature, ou exaspérée de travailler avec une génération différente de la sienne, qui semble avoir des soucis différents. Surtout pas les soucis de WHSmith. La jeunesse a encore certaines qualités, je constate que le lavage de cerveau, qui prend place lors de la première journée de training, ne fonctionne pas fort. En pratique, de toute manière, il n’y a aucunement place à l’initiative de l’employé. Sylvie m’a déjà fait comprendre de prendre mon trou et de me la fermer. Je devrais lui dire que j’ai 22 ans, et non 16. Cela fait une grande différence, tu es payé deux dollars de plus par heure et tu t’épargnes les jobines les plus écœurantes. C’est drôle que les jeunes de 15 à 19 ans semblent facilement manipulables et sont capables d’encaisser énormément avant de craquer. Je pense que c’est l’habitude du régime qu’ils vivent quotidiennement. Lorsque tu es habitué de te faire contrôler et cracher dessus par tes parents, tes professeurs, tes surveillants, tes frères et tes sœurs, tes amis mêmes, alors un superviseur pervers te semble normal. Comment pourrais-je leur faire comprendre que c’est incorrect de se laisser marcher dessus ? Quel pouvoir auraient-ils ? Aucun. En fait, c’est à cette bande de directeurs et de superviseurs qu’il me faut faire comprendre que nous ne sommes ni des esclaves ni des chiens. Mais qu’est-ce qu’ils en ont à foutre ?

    Je viens de finir. Je suis vivant, aucun doute. Mais je pue dans un rayon d’un wagon et demi. J’empeste donc pour trois wagons. J’ai honte, parce qu’il y a des touristes à côté de moi, mais ils empestent aussi. Il y a une petite Indienne au travail qui m’a littéralement sauté dessus, elle me drague et je me laisse faire. Davantage pour le besoin d’une alliée contre eux tous que parce que cela m’amuse. Comme elle sera déçue lorsqu’elle comprendra qu’il n’y a aucun espoir. Sukh, c’est son nom. Elle semblait insultée lorsque je lui ai demandé si elle prenait l’Underground. Madame, à 18 ans, possède sa voiture. Cet argument convaincant aurait dû me faire tomber à ses pieds. On aurait dit qu’elle m’affirmait sa supériorité. Que, point de vue social, elle se trouvait à un degré plus haut que moi. Loin de m’impressionner, je l’ai pratiquement traitée d’innocente, qu’en fait, elle ne travaillait que pour payer sa voiture. Elle s’est défendue, il lui reste de l’argent lorsqu’elle a tout payé. Oui, mais combien plus pourrais-tu avoir ? Mais encore là, je ne comprenais pas son jeu. Pour elle, posséder une automobile, ça représente tout. La réussite, la liberté. Elle peut s’en vanter, impressionner ses amis, se sentir quelqu’un. Mais à quel prix ? Je me demande si sa voiture c’est une BMW rouge ? Alors je serais vraiment déconnecté des réalités de ce monde.

    Il y a un gars qui me drague dans l’Underground. Insuffisam-ment beau, trop vieux. Sébastien, viens à ma rescousse ! Il faudrait éloigner cet étranger de moi, il faudrait lui dire que cette senteur de fromage français bleu pourri, c’est moi qui la dégage. Piccadilly Line, la route pour l’enfer. Il n’existe plus de fin à cette ligne, ça arrête partout, ça ne repart plus, ça parcourt un demi mille de tunnel en 25 minutes. Le chauffeur nous agresse jusqu’à l’aliénation avec ses Mind the Gap, Mind the Doors please, qu’il répète sans cesse. Hounslow East, le premier Indien que j’ai rencontré lors de mon training, débarquait ici. La tapette de tantôt, j’espère qu’il n’a plus aucune espérance que l’on pourrait faire des p’tits ce soir, il vient de se décrotter le nez pendant deux stations, et ses crottes de nez, il les a même mangées. Il a acheté le Newsweek, ce mois-ci c’est un spécial bisexualité. Ils disent que c’est tout nouveau et que ça vient de sortir. Je le regarde trop, il va me sauter dessus à Hammersmith, c’est certain. Je me mettrai à crier : ôte ta patte sale pleine de nounours de sur moi ! Boston Manor. Il est gros, une bedaine, ça me coupe l’appétit. Au moins 30 ans, c’est vieux en christ. Il ne lui reste plus grand temps à vivre, plus grand-chose à accomplir, si l’on se réfère aux statistiques. Bien sûr, c’est avant trente ans que tout se passe. Voilà, il sort, il me regarde d’un air piteux, il veut que je le suive, Acton Town station. Désolé, South Ealing, j’aurais peut-être débarqué. Acton Town... bof. Puis, pris sur le fait, les deux doigts dans le nez, tu repasseras. Ceux qui ont des BMW rouges avec téléphone cellulaire ne savent pas ce qu’ils manquent à ne point prendre les transports publics.

    Un autre me regarde sur Hammersmith & City Line. Décidément, plus je suis fatigué mort, plus je ressemble à un zombi, plus on me drague. Un peu efféminé celui-là, avec son nez cassé de boxeur. Non, pas mon genre. Il a une tête de Français. Il chante, il se meurt d’envie de me parler, je lui donne 26 ans. Il a les jambes croisées et le regard d’un gai sans cesse à l’affût du sexe, jusque dans les égouts s’il le faut. Je me demande s’il est gai. Il a une tête qui ne me revient pas, difforme. La nature fait bien mal les choses. Il a la tête déformée parce qu’il est gai et que c’est biologique. Il a trop bu de lait dans le ventre de sa mère, il est devenu gros de la tête et est resté coincé dans le trou de la sortie. Si bien que la conséquence directe est qu’il est demeuré attaché à sa môman et a fait une obsession de son trou. Voilà pourquoi il est homosexuel. Ne cherchez pas midi à quatorze heures, c’est toute la faute de sa mère. À sa place, j’aurais honte d’avoir mis au monde ce monstre, cet être immoral jugé bon pour l’enfer, cette insupportable erreur de la nature. Dieu ne crée pas que des choses parfaites, il y a tout plein de défectuosités qu’il est de notre devoir de s’empresser de faire disparaître. Des vaches à deux têtes : « Heurk, jette-moi ça dans le fleuve, vite ! », des vaches à deux pis : « deux pis ? deux fois plus de lait. Cache-la derrière la grange. », des enfants qui naissent avec deux pénis : « chop one off ! », d’autres avec un vagin et une bite : « Eh, mon mari, tu veux une petite fille, un petit gars, une petite fille manquée ou une tapette ? » « Je veux un Président-directeur général de WHSmith, ma femme ! » Il y a d’autres erreurs dans la nature qu’il faudrait s’empresser de faire disparaître, ceux qui sont nés avec l’esprit étroit, des limites de chaque côté de la tête, mais qui en même temps veulent convaincre l’humanité de leur petite idée du monde : « Que dit-il ? Que la Terre est ronde ? Au bûcher ! » Cet exemple est mal choisi, ce n’est pas évident pour tout le monde que la Terre est ronde.

    Il m’a fait un clin d’œil, il me fait signe de sortir. Ladbroke Grove, ce nom n’allume rien en mon esprit, non merci. Ce n’est pas ce soir que je vais tromper mon nounours en peluche poilu qui revient de ses vacances au Canada ce jeudi.

 

 

 

50

 

    Trois heures à ne rien faire, tourner en rond en tentant d’éviter la superviseure, déplaçant et replaçant les barres de chocolats lorsqu’elle se promène sur le plancher. Placez-moi sur la caisse au moins. Mon temps précieux perdu chez WHSmith. Je l’aurai fait mon sacrifice de guerre, la guerre entre les différentes organisations qui s’arrachent les milliards du monde du livre.

    Un superviseur, ça pense qu’il y a toujours quelque chose à faire. Il y a l’essentiel, l’important, le moins important, le futile et l’inutile. Moi, après l’essentiel, j’arrête et je commence à tourner en rond. Alors elle me crie d’arrêter de faire la toupie et me pointe l’important (un employé sous-payé ne voit pas ce qui est important à faire, il ne veut même pas voir l’essentiel). Le problème avec les superviseurs, c’est qu’ils finissent toujours par te montrer l’inutile qu’il y a à faire, pour le bien de la compagnie. Alors, oui, il reste à laver les plafonds. Tant de temps perdu pour du travail inutile. Quelle sorte de satisfaction puis-je manifester après la journée ? Une sensation de désespoir, oui. Et tous ces employés ne m’aident pas. Seul un Anglais apprécie l’Angleterre. Les Indiens ne cessent de me répéter comment la vie est plate à Londres, ils se demandent ce qu’un Canadien vient faire jusqu’ici, surtout un Canadien-Français. Pour la plupart, ils ne comprennent pas qu’il y a des francophones au Canada, ils ignorent que le pays se divise en provinces, et que le Québec et l’Ontario existent. Ils connaissent Toronto, Vancouver. Montréal est étrangement omis de leur vocabulaire, pour plusieurs. Mais peut-on leur en vouloir, j’ignorais que la Grande-Bretagne se divisait en trois parties et que les gens y parlaient des langues différentes de l’anglais. Bref, ils sont tous prêts à partir d’ici, mais la question du « où ailleurs » n’a jamais été répondue. Ils n’ont pourtant qu’à regarder les écrans de départs, ce n’est pas le choix qui manque. Je suis tombé sur un groupe de déprimés qui n’en peuvent plus des études. Ils sont mal tombés s’ils croient que je pourrai leur remonter le moral. Je me demande s’il y a quelque chose à apprendre pour moi là-dedans. Franchement, je dois être aveugle. Sans cesse on me ramène dans ces petites organisations où l’on s’amuse à recréer la vie dans les forces armées. C’est même une régression par rapport à mon dernier emploi. C’est extraordinaire, je redescends les échelons. Peut-être que ma perception des événements est mauvaise, peut-être vais-je apprendre là des choses que je n’aurais pu apprendre ailleurs. Je suis à Londres, dans le plus gros aéroport du monde connu. Serait-ce un point stratégique pour rencontrer des gens ? J’y rencontre surtout des Indiens en ce moment, et puis après ? Peut-être il y aura une rencontre en particulier qui changera quelque chose dans ma vie. Moi, je crois aux changements radicaux pour apprendre énormément. Je devrais me concentrer sur les détails, le quotidien apporte son lot d’expériences. De toute façon, c’est assez radical : qui eût pu prévoir voilà trois mois que je travaillerais à l’aéroport d’Heathrow en banlieue de Londres ?

    Avant-hier, notre colocataire Martin a ramassé quelqu’un au Astoria G.A.Y. Il l’a ramené à l’appartement. Un Colombien. Martin est laid, il n’a pas de copain pour cette raison, mais on dirait qu’il a plus de sexe, et du bon, que moi. Même que ce sont des gens pas si mal. Il fait chier, le Martin.

    Je voudrais m’envoler, mais pas en avion. On étouffe dans ces corbillards où l’air trop pur semble sortir directement d’une bonbonne à oxygène. Les connes avec qui je travaille font leurs saintes nitouches. Un garçon de 12 ans environ est venu acheter une revue porno, une femme avec des gros seins en couverture, elles étaient scandalisées. Je me suis dépêché de foutre tout ça dans un sac, lui ai fait un grand sourire de complicité, ai pris son argent et lui ai souhaité a nice day. S’il existe une loi qui l’empêche d’acheter cela, en tant que Canadien, je ne la connais pas. Mais les filles autour de moi, à qui j’ai raconté le tout après coup, me disaient que lorsque des « big pigs » viennent acheter des « dirty magazines », elles leur lancent un regard de travers et ne disent ni s’il vous plaît ni merci. Elles m’ont demandé si j’en achetais, ma réponse fut oui, pour le principe. La syncope, lorsque je leur ai lancé que c’était le temps qu’elles viennent au monde et qu’elles s’intéressent aux seules choses auxquelles elles tiennent vraiment. Christ, elles sont toutes en manque de sexe, la langue pendue au plancher. Ces filles-là ne se sont jamais regardé le trou, ont-elles seulement conscience qu’il y a un trou ? Masturbation, connaissent pas. Elles me font pitié, c’est le temps qu’on les déniaise avant que l’on profite d’elles. Il y a un livre au WHSmith principal dont le titre, à mon avis, dit tout, pas besoin de lire le livre : Get the control of your life, or someone else will do. Vaudrait mieux les déniaiser avant qu’elles ne s’embourbent dans des situations trop lourdes pour elles, avant qu’elles ne rencontrent un malade qui saura bien profiter de leur innocence.

    Glyn, un Anglais pas mal beau, 19 ans, mais je lui en aurais donné 25, reprend pour la troisième année consécutive son A level. En octobre, il va à l’université de Reading, étudier le droit. Il est déçu d’aller juste à une heure de Londres, il voudrait étudier à Paris, comme moi. Sais-tu à quoi t’attendre au moins en Common Law britannique ? Ce sera triste et difficile, crois-moi. Il m’a répondu que la seule chose qui compte, c’est le salaire au bout. Pauvre lui, il va être désillusionné. Pourtant il a la tête d’un avocat, je crois qu’il pourrait réussir. Mais il a également la tête d’un superviseur de chez WHSmith... danger à l’horizon ! Pip ! Pip ! Sirènes d’alarmes, dépêche-toi de partir pour Reading, tu pourrais bien finir tes jours à Heathrow, Terminal 4.

    Il y avait des petites Arabes voilées qui achetaient des revues féministes assez militantes. Leur révolution se préparerait-elle ? Même que de très jeunes Arabes achetaient des magazines qui n’ont rien à voir avec la religion. Avec des sujets comme : une jeune fille de 14 ans qui raconte à ses quelques copains ses expériences sexuelles et son avortement. Autre lieu, autre évolution. Ça fait des générations déphasées. Différentes ?

    Vingt minutes d’attente pour le prochain train, il y a une limite ! Je me demande si l’on me draguera ce soir, et si j’aurai le culot de sortir à la même station que lui. Vite, il me faut un prétexte pour l’aborder ! How about : « How big is your dick ? » De toute manière, il sait ce qu’il veut et moi de même. Un petit coup vite sur le bord d’une table, ni vu ni connu, on se reparlera peut-être dans la semaine des quatre jeudis.

    Il y en a un qui vient de parcourir un wagon en entier pour s’approcher, il m’a reconnu de sur la caisse en achetant des magazines. Il m’a demandé si j’avais terminé le travail. Non, pas du tout, je m’en vais pitonner sur une caisse enregistreuse pendant mon sommeil, arrêtant parfois pour me perdre dans les lignes de métro, cherchant la façon la plus rapide d’arriver au travail sans jamais être capable d’y arriver. C’est du moins l’étrange expérience que j’ai vécue la nuit passée, peut-être devrais-je demander un salaire pour ce travail-là ? Il semble hétéro, je vais enquêter.

    Il s’appelle Samy, vient du Liban, habite depuis neuf ans à Los Angeles, ce qui explique son genre intéressant. Il parle français, il a manqué son avion.

    Je suis à Hammersmith. Il était beau, mais je ne pouvais pas l’inviter chez moi. Il sort en ville et retourne dormir à l’aéroport. Vingt-six ans, il a été bien payé comme acteur, il a tourné dans deux annonces publicitaires sur le réseau national, ce qui veut dire beaucoup d’argent chaque fois que l’annonce passe. Son père est riche, mais il a fait du mal à sa mère, alors ils ne sont plus proches comme avant. Il ne sait pas trop ce qu’il veut faire de sa peau, c’était clair qu’il voulait que je l’invite. J’ai été tenté, c’était ma chance d’avoir un ami à Los Angeles. Puis j’y ai repensé, je n’ai pas vraiment besoin d’ami à Los Angeles. Suffit d’y aller, sortir dans les bars, rencontrer du monde. Et puis j’ai besoin de dormir pour demain, et cela aurait été injustifiable en ce qui concerne Sébastien. Il est gai, probablement. Il m’a demandé combien nous étions dans l’appartement et combien de chambres il y avait. Quel beau langage codé pour se comprendre, malgré nos silences et nos mensonges.

    Il y avait un gai sur le bord du quai, trop efféminé pour moi. Un autre assis sur mon banc, trop vieux pour moi. Là, je viens d’en voir un beau, je l’ai observé moins de cinq secondes, il semblait prêt à me bûcher, oups, ils existent encore ces hétéros. Ce gars de Los Angeles, quel beau style. Ses cheveux en arrière, teints bizarrement. Los Angeles serait un beau coin où demeurer après Londres. Mais il dit qu’il commence à s’y emmerder et qu’il lui est impossible d’y passer douze mois par année. Il va partager son temps entre les États-Unis et le Liban. Il dit qu’il est arrivé aux USA après la guerre au Liban, guerre dont j’ignore tout. À mon avis, il a eu un visa assez facilement.

    Personne de suffisamment intéressant dans l’Underground, je me suis assis dans le dernier wagon, qui vient de devenir le premier depuis que le chauffeur vient d’entrer dans son cockpit. Ainsi ce n’est pas ce soir que je vais tromper mon bébé. Il devrait être fier de moi, je fais d’énormes efforts pour réussir ainsi à m’enfuir devant toutes ces mines que je rencontre sur mon seul chemin du retour. Tiens, un autre vient de s’asseoir en avant de moi. Efféminé, mais je dirais qu’il est hétéro, marié avec enfants. Un homme rose, comme sa chemise. Néanmoins il a les pantalons troués à la mauvaise place et j’essaie de voir s’il a des caleçons. Je vois de la peau sur le côté, je ne peux pas en faire une fixation, combien embarrassant ce serait s’il levait les yeux de son journal et qu’il était hétéro. Il me prendrait pour un voyeur pervers, alors que c’est lui le pervers qui nous montre son trou à la mauvaise place qu’il a dû faire lui-même. Ça y est, il m’a vu regarder sa mauvaise place, il s’est caché avec un manteau. Quelle honte ! En plus de sa chemise rose, il a une boucle d’oreille en forme de fleur, genre marguerite. Je vois son trou de nouveau, j’ai l’impression qu’il n’a pas de caleçons. Ladbroke Grove, too bad, je débarque à la prochaine. Mais la marguerite, de toute façon, c’était trop.

 

 

 

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    Mais qui les engage ces bitchy superviseures ? Personne ne semble jamais les avoir engagées, elles sont là d’avant la création, transcendant la compagnie durant ses heures de calvaire. Les enfants du démon, lâchées par le diable lui-même à l’intérieur des murs de WHSmith, pour notre plus grande perte. J’aurais envie de lutter contre Sylvie avec les mêmes armes. Sacrifier mon emploi à l’aéroport afin de la détruire complètement. La prendre en défaut, la dénoncer. Ainsi je la surveille du coin de l’œil, apprends à la connaître plutôt que de la fuir. Qui sait, elle pourrait devenir une alliée au lieu d’un monstre ? Quelle victoire ce serait pour moi. Je verrai à l’affronter aujourd’hui.

    Je me prépare psychologiquement à affronter les touristes du mardi. Rien de plus effrayant qu’une quantité phénoménale de touristes qui ont décidé de dévaliser WHSmith, mais qui désirent tout de même être ensuite dévalisés par WHSmith, c’est-à-dire qu’ils se battent entre eux pour nous remettre tout leur argent. Ils achètent tout, de n’importe quoi. Acheter est leur seule idée. De gigantesques boîtes de chocolats à £ 5 que l’on retrouve partout dans le monde. Ils les achètent par paquets de six. De misérables petites boîtes de biscuits à £ 5.50, des magazines hors de prix pour souvent £ 6.95, des livres qui vont jusqu’à £ 35. Le genre de livres qu’un WHSmith en ville est incapable de vendre. Dans les aéroports, il n’y a plus d’oxygène, ou au contraire il y en a trop, ça leur monte à la tête, les gens perdent la raison. On dirait qu’à la fin de leur voyage de 15,000 $, ils jugent qu’ils n’ont pas suffisamment de souvenirs, alors ils se ruent vers nous qui sommes découragés de les voir revenir de cinq à six fois avant de passer les douanes. Ils ne savent pas les pauvres que de l’autre côté il y a quatre autres WHSmith armés d’attrapes-touristes, prêts à tout pour aller chercher leurs derniers écus.

    Je renifle le café de Costa Coffee Boutique, j’espère naïvement que ça me gardera éveillé jusqu’à ce soir. Ce sera l’équivalent de la tasse trop douce que m’a faite Martin ce matin. Moi, il me faut deux thermos de café fort, sinon il m’est impossible de fonctionner. Je viens au travail avec les seuls £ 4.20 dont j’ai besoin pour le métro. Je n’ai pas le droit d’avoir de l’argent sur moi pendant le travail, il me faut laisser cela dans un casier en bas, mais ils sont déjà tous assignés. Mais enfin, même si je voulais emmener de l’argent, je possède au penny près ce dont j’ai besoin pour me rendre au travail cette semaine. Il n’y a plus rien non plus dans les armoires à la maison. J’en profite pour faire la diète complète, trois jours sans rien manger. Je peux me dire qu’ainsi je ne dépense pas pour rien, comme tous ces touristes, à perdre des heures de travail si pénibles à accomplir. Mais cela ne va pas sans trouble. Ce matin j’ai passé près de craquer. Deux heures de temps à étiqueter et à placer 26 sortes différentes de barres de chocolat, je voulais pleurer. C’est une dure épreuve que Dieu m’envoie, cinq minutes de plus et je mangeais le rack en entier. C’est ça les diètes. Tu te flagelles pendant trois jours pour ensuite exploser lors du quatrième et bouffer tout ce que tu vois. Les diètes, c’est du masochisme. Cesser de manger pendant trois jours me rend encore plus misérable que d’être un gros porc. Comme ceux qui achètent les revues Microsoft Windows, avec des CD laser inclus avec le magazine. Ça a 300 pages, ça pèse trois cents livres (les clients). Ça se voit qu’ils ont passé un peu trop de temps devant leur ordinateur, j’espère au moins que c’était productif. Mais s’ils achètent ces revues pour ordinateur, je doute que leur travail soit productif. Autrement ils n’auraient pas le temps de lire ces centaines de pages qu’ils achètent. Je me demande comment je peux encore me tenir debout, je dors six heures par nuit. C’est ça le secret de ces trois jours « on », et trois jours « off ». Tu travailles tes trois jours, tu dors deux journées complètes ensuite, la troisième tu végètes assis sur le divan, à regarder le plafond bouger. Tu recommences la roue. La vie est belle.

    Seconde pause, ma cervelle est en fusion, plutôt dire qu’elle n’est plus avec moi. Je comprends maintenant pourquoi les caissières sont de nature innocente et ne comprennent jamais rien. C’est parce que 25 ans devant une caisse, tu deviens entièrement déshumanisé. Tu es une machine à pitonner, £ 25.30 please, cheers, do you want a bag ? Have a nice day. Il est venu un homme qui voulait 50 pence comptant, et je ne l’ai compris qu’une heure après. Il désirait donc que j’ajoute 50 p sur sa carte de crédit. Première des choses, je ne comprends plus rien de l’anglais lorsque je suis fatigué. Ils me demandent si je viens de Paris, je leur réponds : Oui, il reste de la gomme Extra bleue. Deuxième des choses, je ne suis plus en capacité de penser, c’est extravagant, l’impossibilité de se dire : attends, réfléchis dix secondes, tout va s’éclairer. Rien à faire, mon cerveau dit non, fous-toi-en, que le client parte et qu’on en finisse. Fais semblant de ne pas avoir compris, il va partir sans demander son reste. J’ai passé pour une belle cruche devant tout le monde. J’ai dit au gars : Sorry, I can’t think anymore. Quel affreux aveu. C’est comme si je lui avais avoué très sincèrement : désolé, mais mon quotient intellectuel, c’est zéro.

    Ahhh, il est seulement 15h22, j’en ai jusqu’à 22 heures. Je quitte la maison à 8h45, arrivée à la maison à 23h30. Tellement de choses aujourd’hui vaudraient la peine d’être faites. Tellement de loisirs ici à Londres. Pendant trente minutes je suis demeuré immobile sur ma chaise à observer un écriteau lumineux bleu : café. Je dors les yeux ouverts, je crois, ou bien c’est un des premiers signes de la réussite du lavage de cerveau. Ma tête est maintenant vide, je ne pense à rien. Bientôt on va me retrouver tout nu en train de courir à la station Paddington, criant de toutes mes forces : « Achetez chez WHSmith ! Achetez chez WHSmith ! Quatre-vingts pounds only ! » En plus, l’aéroport est bourré de jeunes hommes superbes, je ne puis plus me retenir, ça va être le scandale. Je bâille trois fois à la minute, ça commence à être embarrassant pour les clients. Il y en a un qui a osé me proposer de me coucher le soir. Qu’est-ce qu’il veut lui, qu’il aille se faire mettre ailleurs. Si j’avais la chance de me coucher le soir, ce serait merveilleux. Un rêve à réaliser, mon idéal de vie à atteindre. Sylvie, la diesel boss, vient de passer devant moi. J’étais en train de flotter dans les Alpes, ou faire semblant. Elle a fait semblant de ne pas me voir. Je n’ai pas encore mis en pratique mes confrontations avec elle. Elle se lamentait aujourd’hui que les jeunes ont peur d’elle et qu’elle n’était pas un dragon. Diesel dragon, j’aime bien. On approche du Diesel Dyke, ce qui ne me surprendrait point si je venais à apprendre qu’elle en est une, une lesbienne. Elle vient de repasser. À mon avis, elle est faite de caoutchouc, son visage est tellement artificiel. Du bois peut-être, qui sait. Oserai-je lui toucher le visage pour lui demander en quoi c’est fait ? Synthétique ou naturel ?

     Il y a une fille assise à une autre caisse devant moi, elle me regarde depuis un bon moment. J’ignore si c’est de la drague, ce n’est pas évident chez elle. Un super beau ti-cul vient de passer, je l’ai regardé, et lorsque mes yeux sont retombés sur ceux de la fille, elle m’a observé observer le ti-cul, a compris que je le regardais, et s’est mise à rire. Ses yeux se posent ailleurs que sur moi maintenant, elle regarde au plafond. Je n’ai pas revu mon copain de Los Angeles, je me demande ce qu’il devient. Il y a un vieux qui bouffe quelque chose de dégueulasse à côté de moi, je donnerais cher pour qu’il me le donne.

    J’ai changé mes heures de 10h à 19h, plutôt que jusqu’à 22h. Ça a tout chambardé, Sylvie doit maintenant m’avoir dans le collimateur, d’autant plus que je suis passé par la femme qui m’avait engagé. Alors que je savais que c’était changé, je suis retourné à la caisse. Trois minutes plus tard, Sylvie s’est approchée de moi de son air snob et m’a annoncé en grande pompe qu’à partir de la semaine prochaine, elle a décidé que je travaillerais de 10h à 19h. Bien sûr, pas de problème, madame, merci beaucoup. Alors une autre sorte de directeur, ou quelque chose du genre, la suivait. Elle s’avance, me dit exactement la même chose, que la semaine prochaine je travaille de 10h à 19h. La caissière à côté de moi, à qui j’avais déjà annoncé la nouvelle, se retourne et me dit : « Tu le savais déjà, pourquoi ils te le répètent deux fois ? » Mais parce qu’elles s’amusent à être en pouvoir, ma chère. Tu dois donner l’impression que c’est toi qui contrôles la place, même lorsque ce sont les autres. Sylvie a fait une folle d’elle et sa suivante encore plus.

    Cette nouvelle n’enchantera pas Sébastien. Je suis mort, il est 18h, j’en ai encore pour quatre heures. Sébastien n’est pas à l’appartement en train de m’attendre, mais s’il l’était, ces quatre heures deviendraient insoutenables. On ne se verrait plus, on aurait notre vie chacun de notre bord. Je m’ennuie, je m’ennuie tellement de lui. Je voudrais le prendre dans mes bras, l’embrasser, le déshabiller, le sentir, le manger. J’espère que mes trois jours de jeûne m’auront rendu plus beau, sinon, mon cas est désespéré. J’ai tellement faim, ce soir je vais vider ce qui reste dans le fond des armoires.

    Ils passent une annonce en ce moment : Mme Lucie Poulain de Paris est priée de ramasser sa valise qui traîne près d’un téléphone. Si elle ne va pas la ramasser d’ici cinq minutes, un petit robot va sortir d’un coin noir, ramassera la valise et ira la faire exploser dehors. Le nouveau millénaire est à nos portes, rien de plus plaisant. Tu perds un de tes enfants pendant 4 minutes et 30 secondes, tu as trente seconde pour le retrouver. Sinon une trappe s’ouvre et l’enfant sera détruit. Alors, môman, surveille ta couvée !

 

 

 

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    Encore aujourd’hui je lis un article anti-français dans le journal. Qu’ont-ils donc contre la France, ces Anglais ? Leur supériorité en tout, semble-t-il. Car il ne faut pas se le cacher, les Anglais ont un complexe d’infériorité marqué dans pratiquement tous les domaines. Ils le savent, ils ne cessent d’en parler. Alors à chaque fois que l’occasion se présente, on ne manque pas de dire de boycotter le vin, le fromage, les voitures, les restaurants, la cuisine des Français. Cette fois on utilise les essais nucléaires de Jacques Chirac. Mais dites-moi, qu’est-ce que le vin et le fromage ont à faire avec les essais nucléaires ? Rien, absolument rien. En fait, on cherche un prétexte pour cracher sur les Français et pousser les ventes de nos propres produits, même s’ils sont de moins bonne qualité. Ainsi, les pays qui ont dénoncé la France le plus fort, la Nouvelle-Zélande et l’Autriche, ont tout de suite mis en place un boycottage généralisé de tous les produits français. Je m’excuse, cela n’a plus rien à voir avec l’environnement de la planète, ce sont des réalités économiques sociales. Le vin qui va sur les tablettes maintenant, ou sur les tables dans les restaurants, ce sont des bouteilles autrichiennes et de Nouvelle-Zélande. Même les Allemands s’y sont mis de la partie. Je ne veux pas ressasser l’histoire, mais ce sont eux qui nous ont amené la bombe nucléaire, nous offrant deux guerres mondiales par surcroît. La dernière n’est pas si loin, malgré que les gens veuillent absolument mettre ça derrière. On fête les cinquante ans de la fin de la guerre, la plupart sont encore en vie. Ça en prend du culot. J’invite au boycottage des produits néo-zélandais, autrichiens et allemands, pour campagne publicitaire déloyale sur le faux prétexte de l’environnement. C’est bien simple, si vous désirez que vos produits se vendent plutôt que les produits français, il va vous falloir faire mieux que les Français, mais pas nous vendre de la cochonnerie pour des raisons morales hors contexte. Et vous, les Anglais, apprenez une bonne fois pour toute, d’où proviennent vos expressions. Les Français ne sont pas des frogs. Une petite leçon d’histoire : les frogs, ce sont les Canadiens-Français. Rien à voir avec les Français. Durant la première guerre mondiale, et aussi à la deuxième, on a obligé les Québécois, par conscription, à aller se battre. Ainsi la partie anglaise du Canada a voté pour la partie française qui n’avait rien à voir avec la couronne britannique. Pire, la couronne britannique était heureuse d’envoyer les Canadiens au front, plutôt que les Anglais. Et les Canadiens-Anglais encore plus heureux d’envoyer les Québécois au front du front, la chair à canon. Ainsi les Québécois ont développé un instinct de survie, l’art du camouflage. Cet art du camouflage semble avoir été reconnu par les Anglais, ce pourquoi ils les appelaient des frogs. Alors, s’il vous plaît, ne déformez plus l’histoire, les Français ne sont pas des frogs. Je trouve qu’il y a d’ailleurs plus de mépris qu’autre chose dans ce nom. Des Anglais qui n’ont jamais vraiment été reconnaissants envers les Canadiens-Français pour s’être ainsi fait tuer en série au nom du roi. C’était plutôt le sentiment de mépris, parce qu’ils n’ont jamais pu comprendre que nous, roi ou reine, on se la fout où les poules ont les œufs. Alors oubliez vos expressions à connotation de lâcheté… vos guerres, on les a gagnées. Il est difficile de ne pas devenir pro-séparation du Québec d’avec le Canada lorsque l’on regarde l’histoire. Plus jamais il faudrait que les Québécois soient forcés de faire une chose qu’ils ne veulent pas, selon la volonté des Anglais. Mais ce qui est mieux pour l’avenir du Québec à l’heure actuelle, n’a rien à voir avec l’histoire, et vaut mieux avoir la tête libre de voir s’il vaut mieux faire une séparation ou non, dans le contexte où nous sommes. D’accord, laissons dormir l’histoire, malgré tout, vous les Anglais, je vous aime. (Ouf, que ça a été dur à dire !)

    Je viens de voir une annonce dans le journal, la compagnie de disques Mute Records cherche un P.A. - Chairman. Le meilleur, c’est que c’est sur Harrow Road, juste à côté d’où j’habite. Je vais m’armer d’une cassette de Sébastien et aller marcher par là, sait-on jamais. Sébastien a fait exprès d’enregistrer ses quatre moins bonnes chansons sur sa cassette démo, sous prétexte que les autres chansons demandaient trop de travail et qu’il n’avait pas le temps. Alors, à moins d’un miracle, il risque effectivement d’ouvrir son bureau de conseiller en informatique en octobre. Cette seule idée me fait courir à l’extérieur de l’appartement, courir aux bureaux de Mute Records, dans un dernier espoir de faire déboucher le tout. Mais il faudrait un miracle pour cela.

    Je reviens de chez Mute Records. C’est encore mieux que j’aurais pu l’imaginer. Ainsi la compagnie qui nous a offert Dépêche Mode, Yazoo, Alison Moyet et Erasure, sied en un édifice en décomposition dans un des quartiers les plus pauvres du centre de Londres. Les bureaux semblent vides, on dirait qu’ils sont en déménagement. Le gars à la réception semblait décontracté, très gentil, ce qui n’est pas le cas des éditeurs de Paris. Dans chaque grande maison d’édition, habituellement, on retrouve des bureaux vainement luxueux avec une bitch à la réception qui n’a pour rôle que de te mépriser et te faire retourner là d’où tu viens. Le gars m’a dit que ce serait écouté, et je le crois. Maintenant, est-ce que ça va porter fruit ? J’ai réécouté la cassette : s’ils l’écoutent attentivement, il y a des chances. Somme toute, le premier disque de Dépêche Mode sonnait la casserole et le film d’audition des Jackson Five, on n’en parle pas. Puis ça rentre dans leur créneau de musique : dépressive, noire, alternative. Let’s have a black celebration, tonight.

    Je viens de téléphoner à Edward à New York. Il me manque, New York également. Je me rends compte aujourd’hui que j’ai eu beaucoup de sentiments pour lui, et que de coucher avec quelqu’un qui est très beau ne suffit pas à m’exciter complètement. Ô Ed, tu es tellement loin, en même temps il y a six départs pour l’aéroport de JFK, New York, chaque jour à partir d’Heathrow. Il y a même des Concorde qui le font en un temps record. Londres et New York, une même ville pour qui a de l’argent. Mais il semblait bizarre au téléphone. Me disant qu’il pense encore à moi et regarde mes photos. Je n’y crois plus tellement. Je pense qu’il veut être gentil, tous ses sentiments sont morts. Il a tellement eu de copains depuis. Le dernier me ressemblait, mais il est trop bizarre pour lui, paraît-il. Sébastien est tellement distant ces temps-ci. On ne fait plus rien au lit, je n’existe même pas pour lui. Il ne me regarde plus, me parle machinalement. Ce n’est pas le genre de relation que je veux, même si je l’aime. J’ai de gros sentiments pour Sébastien, mais ils fondent aussitôt que je lui parle ou que je le vois. Il est tellement loin qu’il ne me reste plus qu’à jouer à celui qui est loin. Ou alors je lui saute dans les bras et il commence à se lamenter, il veut que je le laisse tranquille. J’en ai ma claque. Est-ce moi le problème ou c’est lui ? D’accord, il arrive tant fatigué du travail que la seule chose qui compte en arrivant c’est écouter la télé. Mais moi j’en ai assez de la telly anglaise. Elle est certainement intéressante, la maudite, nous n’avons que quatre canaux et ce soir j’en écoutais trois à la fois. Pitonnant sur la télécommande pour ne rien manquer des trois histoires. Deux programmes sur le voyage dans le temps qui m’ont fait réfléchir. La fiction d’aujourd’hui, c’est la réalité de demain. Certains disent que le voyage dans le temps n’existe pas, parce que les gens du futur seraient venus nous voir. Mais la fiction nous enseigne qu’ils ne peuvent le faire sous prétexte de mettre en péril leur avenir et même leur existence. On parle de police du temps, qui remonte dans le temps pour effacer toute trace de leur existence parallèle, en quelque sorte. Autre fait de la fiction, la télétransportation. Elle aussi permet à un certain niveau de voyager dans le temps. Si on peut enregistrer certains agencements de molécules et les reproduire instantanément en un autre endroit dans l’univers, on vient de faire sauter l’espace. Reprenons toutes les formules mathématiques, physiques et chimiques, qu’advient-il du temps alors ? On peut certainement contredire ceci, mais il est 2h20 du matin et WHSmith a mangé mes dernières énergies, et ma faculté de penser. Bonne nuit.

 

 

 

53

 

Salut, François !

    Ta lettre est la meilleure chose qui me soit arrivée depuis que je suis à Londres ! Je suis incapable de terminer de la lire avant de commencer à t’écrire. T’en fais pas, si c’est biologique d’être gai, l’infidélité l’est aussi. Les nouvelles études américaines prouvent que l’homme n’est qu’un animal préprogrammé à s’accoupler avec le plus de personnes possible, dans un dessein bien simple de survie de l’humanité. Ils ont identifié le gène, le pape est parti en croisade pour le protéger des femmes qui voudraient le faire disparaître du cerveau de leur mari (somme toute, le pape a longuement réfléchi, il aime mieux la multiplication des bébés en continuant son sentiment global de culpabilité généralisée en rapport à la fidélité). Too bad, le mien est passé. Je ne me sens plus coupable parce que, somme toute, je ne connais rien de la vie de Sébastien et qu’il m’a probablement trompé dans quelques détours, d’autant plus lorsque j’étais à Paris. Alors je m’étais mis en campagne, trouver l’homme idéal. Vainement j’ai trouvé des laids, des pas mûrs, des bizarres, des effrayants, des efféminés. Wouash ! Alors j’ai pris mon mal en patience, fouinant au First Out et au Village Soho, deux bars intéressants dans le village gai de Soho. Bien sûr, ce n’est pas les saunas, et je manque d’expérience. Je tète et ils finissent par partir. Nous sommes allés au Astoria G.A.Y., un christ de beau gars, la chemise ouverte, m’a regardé toute la soirée. Sébastien était fâché parce que je ne voulais pas qu’on le fasse à trois. Tu vois le tableau, comment pourrais-je lui faire confiance après de telles idées. Bref, l’autre soir au Village Soho, en face de mon copain, le Dieu de l’Amour est déboulé à mes pieds. Je n’avais jamais vu plus beau de toute ma vie, même pas dans les meilleurs films pornos. Plus beau que n’importe qui avec qui tu as pu coucher, j’en suis certain (à mon tour de provoquer ta jalousie, christ !). Il avait un gilet en filet noir, montrant sa bedaine et ses seins bien formés, l’air manquait. Je parlais avec lui pendant que Sébastien parlait avec Philippe (un de nos amis dont je crois que Sébastien couche avec, il est venu ce samedi alors que je travaillais toute la journée et que notre colocataire était à Paris avec ses parents). Pendant ce temps, Klein (c’est son nom de famille) m’invite à revenir le lendemain matin à 11h. C’est clair que nous allions coucher ensemble. Allais-je dire non ? Eh bien, j’ai ressorti toute ma morale-vertu sur la fidélité, comme tu te plais à me qualifier depuis quelque temps. Bref, le ventre m’a retourné, je suis allé sept fois aux toilettes durant la nuit. Ça m’a rendu malade, cette stupide conscience. Il a un copain à Paris qui a dix-neuf ans et qui est super beau. Je me sentais laid tout à coup. Il me trouvait tellement cute (ce doit être vrai, je me fais tellement draguer à Londres, c’est effrayant. Mes amis refusent presque de sortir avec moi de peur qu’ils passent inaperçus dans la masse, à ce que Philippe et Martin disent...).

    Tu me parles de Nathalie… fais attention, ta Nathalie est loin d’être une vierge. Je ne crois pas que tes histoires pourraient la dépasser. Bien sûr, elle ne te raconterait pas ses histoires, je ne le ferais pas à sa place. Une fille immorale, c’est foutu, pas comme un homme. Rappelons-nous Les Liaisons dangereuses : « Une femme est obligée d’avoir bien plus de talents que vous, messieurs. Un homme ruine notre réputation, avec quelques petites phrases bien venimeuses, c’est pourquoi j’ai dû inventer la femme que je suis... »

    Dieu que Jonquière et le Lac-Saint-Jean me manquent ! C’est le dernier été que je passe sans y aller passer au moins un mois. C’est trop souffrant. Je n’ai pas l’impression, même à Londres, d’être là où il faut être. C’est qu’il y a quelque chose de plus haut que Londres, c’est les États-Unis. On développe une sorte de complexe, on a cette fausse impression de manquer des choses, à se convaincre qu’on est au centre de l’univers, alors que ce n’est pas le cas. À Paris, c’est différent. Il n’y a rien de plus haut. Même pas besoin d’être un Français pour cela. Même pour les Anglais et les Américains, Paris représente l’endroit où tout se passe. C’est un peu différent lorsque tu t’y retrouves comme étudiant, partageant ton temps entre la Sorbonne et la Cité internationale, via le métro-RER à Saint-Michel (as-tu entendu aux nouvelles ? une bombe a explosé à Saint-Michel, la station où je passais quatre fois par jour voilà à peine deux mois encore). Bref, je suis prêt à partir pour les États-Unis après l’Angleterre. La question est : c’est où que ça se passe ?

    Trois jours on, trois jours off, je travaille maintenant au WHSmith à l’aéroport d’Heathrow, le plus grand aéroport du monde. Je vois des gens de partout dans le monde, j’essaie de savoir l’endroit où habiter. Personne ne parle de New York, alors que moi j’ai l’impression que c’est là que ça se passe. Pour les vieilles tapettes, c’est San Francisco, pour les jeunes tapettes, ce serait Seattle (depuis que Kurt Cobain s’est tiré une balle dans la tête, je suppose). Mais selon un autre que j’ai rencontré, ce serait Los Angeles. J’ai comme l’impression que je vais partir bientôt pour la Californie, mon beau François. Si cela est possible, cela dépend de Sébastien peut-être.

    Parlant de Sébastien, tu ne m’as pas parlé de la cassette démo. Durant les deux derniers jours je suis allé la porter à son insu à toutes les compagnies de disques, pas mal impressionnant. Virgin, Mute Records, Rough Trade, EMI, SONY, RCA, MCA, CBS, BMG, A&M, Islands, Polygram. Je compte là-dessus pour sauver la musique de Sébastien de la ruine, car il a tout abandonné. Il n’a aucune motivation pour faire des concerts, trouver d’autres musiciens ou recommencer une cassette démo meilleure avec l’ordinateur et son synthétiseur. Il est prêt à vendre son équipement qu’il avait acheté pour son unique concert à Paris, cela pour acheter un petit piano pas cher. Il veut devenir un consultant dans les ordinateurs ; le scénario le plus probable, c’est qu’il va se faire offrir un emploi de programmeur ici à Londres et il va être heureux. Salaire de £ 40,000 par année, il veut s’acheter une maison. Moi, je peux demeurer ici pendant deux ans, ce qui est très bien, ils me font moins de problèmes qu’en France. Les chances sont grandes que nous y retournerons à l’automne. Qui sait, je contemple la possibilité de la faire, ma maîtrise. Mais je t’avoue que j’aimerais mieux me payer une autre année à travailler sur mes livres puis de faire ma maîtrise à l’UQAM (parce qu’ils ont une maîtrise création). Si seulement ils pouvaient m’accepter, ce serait déjà une bonne chose, mais je suis trop cruche pour ça.

    C’est drôle que tu sembles paniquer à l’idée de m’envoyer ta vie noir sur blanc. En quoi m’es-tu vulnérable maintenant ? Tu ne penses tout de même pas que je te ferais du chantage ? Est-ce donc si difficile d’avoir des amis qui connaissent tout de notre vie ? Les seuls avec qui, justement, on ne peut mentir ? Toi qui te fais mentir à tour de bras par une génération d’obsédés, qui ont manifestement une autre vie ailleurs qui sied dans le mensonge, alors qu’ils ne veulent la mêler avec leur deuxième vie cachée. Ne t’ai-je pas tout dit moi aussi ? Quelle autre chose ne sais-tu pas de moi ? J’ai couché avec Martin, un prof de français de 29 ans qui m’a sucé, et puis je suis parti en courant, ensuite Sébastien, Ed. Est-ce que j’en oublie au passage ? Et puis, de quelle critique as-tu peur ? Et lequel de nous deux est mieux ? Le fait demeure qu’on est stigmatisé par les religieux et les mémères qui nous disent immoraux, ou amoraux, ne cherchant que du sexe facile par tous les moyens. On ne parle jamais des hétéros qui commencent dix ans avant nous et qui en font dix fois plus. Car ceux-là, leurs vices sont institutionnalisés et désirés par la société. Quel intérêt y voient-ils ? La normalité peut-être. Comme mon père qui était fier lorsqu’il a appris que je sortais avec Annie Girard. On a longuement discuté, à mes quinze ans, de toute son expérience et sa sagesse sexuelle avec la vingtaine ou trentaine de femmes qui avaient traversé sa vie. Je l’entends encore me dire que c’était peu de femmes à comparer à ses amis du bureau qui ont pour la plupart sauté le cent depuis longtemps. Va voir tes parents, s’ils ne se sont jamais trompés, je mets ma main dans le feu. Ou alors ils sont très chrétiens ou ont un problème avec leur sexualité. Les parents de Christine sont comme ça. Oui, l’infidélité est le dernier tabou de cette société, les statistiques sont claires à ce propos. Pourquoi crois-tu que les divorces et les séparations de couples sautent de loin les 50 % ? Comment un homme peut-il coucher avec une centaine de femmes sans qu’aucune de ces femmes n’ait trompé son mari, ou plutôt leur partenaire ? Tu es un monstre parce que tu te sens coupable ou tu sens le besoin de te justifier. Mais, crois-moi, tout le monde est un monstre. Et il est plus que probable que tout le monde vit dans une amère culpabilité, gardant soigneusement leur immoralité pour eux-mêmes. Autant qu’à la période où nos parents avaient peur de l’enfer, ils vivent dans la honte d’eux-mêmes. On a remplacé l’enfer par la conscience de ce qui est bien ou mal. Mais rien n’est mal, tout n’est que convention. Les conventions vont peut-être sauter un jour, plusieurs peuples primitifs ne connaissent pas la jalousie ou ce mal, ils pratiquent la polygamie à outrance, et c’est normal. Qui va se lever pour expliquer au monde que tout le monde vit la même chose et qu’ils sont incapables d’en parler ? Fais un tour de la littérature qui s’écrit dans le monde, on ne parle que de tromperies, infidélités, sexe coupable. C’est ça la vie, on est programmé. Ceux qui s’offusquent sont ceux qui se morfondent dans l’abstinence et qui ne veulent pas que cela ne serve à rien, car une souffrance dans leur définition ne devrait pas s’avérer inutile. Les chances sont grandes qu’elles seront vaines, leurs souffrances. Et il y a bien sûr les hypocrites. Les Juifs orthodoxes qui prêchent la vertu de la religion dans l’abstinence, mais qui achètent des revues Playboy et s’en payent une de temps à autre. Les politiciens qui se gagnent des votes sur la vertu pendant qu’ils se payent un jeune prostitué dans les rues de la ville. La mémère qui a eu deux amants mais qui n’accepte pas que le mari de sa fille, ou sa fille, aille voir ailleurs. Ça aussi c’est la vie et on n’a pas le choix d’accepter tout ça. Mais, de grâce, c’est fini la culpabilité et les justifications.

    Oui, ton cas est différent d’Edward. Effectivement, j’avais des sentiments pour lui et en ces temps j’étais plutôt rangé. Comme un gai pas encore sorti du placard. J’aimais la pureté, mais avec le temps on comprend qu’elle n’existe pas et que l’on ne perd rien de soi après chaque relation. Cette croyance vient peut-être de la phrase classique : coucher à tort et à travers, c’est une perte de semence, qui sait ? J’avais l’impression que chaque fois que tu couches avec un autre, tu perds un peu de toi-même et que tu valais moins. Mais tout cela nous est inspiré de la religion, et la religion, on s’en fout. On le sait qu’elle cause plus de tort que de bien avec ses tabous. La seule chose qui la rend respectable, c’est de réussir à cacher en surface la merde qui se démène en dessous des apparences. À vrai dire, la vie active d’Ed ne m’arrêterait plus. Je l’aime, et si ça vient qu’à se terminer avec Sébastien, je te jure que je lui saute dans les bras, je ferai tout pour demeurer à New York s’il le faut. Il m’affirme qu’il a encore beaucoup de sentiments pour moi, que jamais il pourrait me remplacer. Je sais cependant qu’il ne serait jamais question de fidélité entre lui et moi. Et si c’était le cas, c’est-à-dire s’il me jurait fidélité, je serais malade de croire en sa sincérité. Il est somme toute un très grand menteur, ce qui rendrait la relation difficile. Mais qui me dit que Sébastien n’est pas lui aussi un menteur, mais plus habile ? Je n’y crois guère à la sainte vie de mon Sébastien, ça doit bouillonner quelque part. Enfin, ça reste à voir, mais j’aime mieux Sébastien à Edward, ça c’est certain. Alors je reste avec mon Sébastien et j’espère pour le mieux. En novembre, ça fera quatre ans.

    C’est quoi tes histoires vacances-travail en Australie ? Es-tu malade ? Tu veux ruiner ta carrière ? T’as des films à produire, un court-métrage à pousser, une vie à accomplir. Tu vas aller faire quoi en Australie ? Caissier chez WHSmith dans un aéroport ? Toujours prêt à prendre l’avion, mais prenant plutôt l’autobus chaque soir pour retourner à la maison ? Je commence à comprendre que non seulement le projet d’Anne Hébert pourrait ne pas t’intéresser, mais que tu n’auras même pas le temps pour ça. Si tu n’es pas en Australie, tu seras occupé à un autre scénario durant la prochaine année ou deux.

    Mais pourquoi tu veux aller en Australie, bon Dieu ? C’est pas le temps... encore qu’un an ça passe tellement vite. Et c’est vrai que ça fait longtemps que tu veux décrisser de Montréal. À t’entendre parler, ça a l’air pas mal triste, Montréal. C’est une fausse perception que je m’en fais, et probablement que tu regrettes de m’avoir donné cette impression. Mais je t’avoue que Montréal ne semble pas avoir cette aura qui ferait que je m’y plairais. Me lever chaque matin et être heureux d’être à Montréal, ça me semble impossible. Quant à cela, j’aimerais mieux demeurer en banlieue de Québec. Mais mon objectif c’est le retour au Lac-Saint-Jean. Même pas le Saguenay. Mais ça, ce sera seulement si je réussis à travailler à distance, et si j’arrive à convaincre la personne que j’aime de venir y habiter. Ce qui n’est pas évident. Et puis tu risques de rencontrer quelqu’un en Australie, et de vouloir mourir là-bas, tu sais comment l’amour rend aveugle. Encore que, tu feras bien ce que tu voudras. J’espère que tu vas les perdre tes 250 $. Excuse-moi, c’est pas de mes affaires. Perds-le ! Pardon, pardon. Grrr ! Demande plutôt ton visa Working Holiday de l’ambassade britannique à Montréal et viens-t’en à Londres. Ou décrisse à Paris, j’sais pas moé, mais à Paris tu peux pas travailler. Tu es le bienvenu ici, viens-t’en quand tu veux, reste aussi longtemps que tu veux. On est chez-nous ! et chez-nous, tu es chez-vous ! Et puis Jean dans tout ça ? Tu penses à lui de temps en temps ? Qu’est-ce qu’il en pense de l’Australie ? Et puis, je me demande pourquoi je m’inquiète, tu ne trouveras pas de travail, tu n’auras pas 4,000 $ et je t’interdis de demander de l’argent à ton Poupa, ce serait immoral au sens chrétien du terme. Mais ce n’est pas mes affaires, tu feras bien ce que tu voudras. J’espère t’avoir convaincu de faire ce qui te plaira. Tu vois, je suis un bon ami... et puis, je vois que tu as écouté les Simpsons, un peu comme Bart, tu veux aller vérifier de quel côté l’eau de la toilette s’écoule dans les égouts australiens. Qui sait, peut-être ce sera décisif dans ta vie, une expérience qui remettrait tout en question. Par quelle audace oserais-je te dire de ne pas partir ? Pars, mon petit François, si c’est ce que tu veux. Je suis parti pour Paris dans une situation beaucoup plus complexe et difficile que la tienne. Je ne regrette rien. J’ai tout abandonné, et si je revenais au Canada, je reviendrais plus fort, sans compter ma précieuse amitié avec Anne Hébert. Alors, je t’en prie, filme pour moi l’eau des toilettes après avoir fini de chier. Double la cassette en système Pal, probablement la même chose qu’en Australie, puisque c’est une ancienne colonie anglaise qui a copié les Anglais en tout et en tout. Bref, fais certifier ton film par le gouvernement australien, tu pourrais inverser l’image et fausser ainsi la réalité. Ce sera ta mission, bonne chance.

    Bref, question niveau scénario et ton anglais, ces arguments ont achevé de me convaincre. Je suis parfaitement bilingue maintenant, deux mois à Londres ont fait une méchante différence. Il n’y a même plus un accent qui me donne de la misère, plus aucune marque de cigarettes dont je ne connaisse l’essence même. Christ ton camp de Montréal, François ! Australie ou Londres ! Si tu ne peux trouver 4,000 $, prend un aller-retour Londres. C’est à peu près tout ce que ça te coûtera, et je te permets de demander l’argent à tes parents. Ce serait moral dans le contexte où c’est pour apprendre l’anglais et te procurer de l’expérience pour de futurs projets. Londres-Sydney, c’est vrai que c’est tentant, notre correspondance devient passionnante. J’ai l’impression que j’ai joué beaucoup dans ta décision de partir, quel hypocrite je ferais en te conseillant de rester. Et puis c’est tellement vrai, fiche le camp avant d’être pris là où tu es ! Sinon tu risques de le regretter.

    Tu me reparles encore que tu me donnes une arme pour revenir contre toi avec ta sincérité. Cela m’est tellement incompréhensible, de quoi as-tu peur ? Alors c’est que tu me connais mal, cher François. Jamais je ne ferais une telle chose. Il ne serait jamais non plus question que je fasse lire tes lettres à n’importe qui, ni même à Sébastien. Surtout pas à un journaliste qui m’offrirait £ 150,000, comme c’est la mode à Londres. Notre amitié a plus d’importance à mes yeux, de même mon respect pour toi, même après ta mort.

    J’aimerais bien que l’on trouve notre voie et que l’on puisse produire des choses. Le public est ouvert, non touché encore, à nous de parler et de prendre notre place. Parler de nous, de nos problèmes communs en tant que génération. Surtout pas l’image que les Américains veulent faire de nous. On n’est pas que des jeunes insignifiants en manque de sexe, qui expérimentent en surface seulement des petits problèmes familiaux, genre le chien est mort. Il y a une profondeur à aller chercher qui n’a jamais été sondée. Toujours on prend l’enfant pour un con, un innocent, un naïf, un inexpérimenté de la vie, quelqu’un qui ne connaît rien, qui parfois a expérimenté quelques problèmes lors du divorce de ses parents. Bref, allez donc chier ! On est homosexuel, on bûche comme des malades, on crève de faim, on finit par en connaître plus que les profs n’en ont jamais appris en trente ans, on est sur la drogue, on pogne des maladies vénériennes, on souffre, on fait fonctionner la machine et les institutions. Je m’excuse, la jeunesse c’est pas mal plus consistant que ce que vous semblez penser ou voulez que l’on en pense. Les enfants de quatre à cinq ans ont une conception pas mal claire du calvaire qui les attend dans la vie, et ça, les adultes se surprennent un peu de cette lucidité enfantine. Se félicitant que leur enfant est supérieur à la moyenne, question intelligence, mais continuant à les prendre pour des cruches. Or, les enfants sont intelligents par nature, et le monde autour d’eux, systématiquement, ne fait que les abrutir. C’est ça la vie et c’est ainsi que je vois les choses, et que ces choses vont changer. Pierre a ouvert sa compagnie de production ? Un bébé, marié ? Je ne suis pas plus cave que lui, bon Dieu ! Et qui sait, peut-être pour lui ce sera passager, peut-être pour moi ce sera le début d’une nouvelle ère. Je suis André Gide réincarné ! Je m’en vais reconstruire le monde ! (Il est temps venu de m’enfermer, je crois, un peu comme Artaud et Jarry.)

    Tu me dis que tu ne m’as pas donné le dernier chapitre de ta lettre. Le suspense me tue, d’autant plus que tu ne me l’enverras peut-être jamais ton dernier chapitre ! D’un seul coup je viens de comprendre toute la théorie relative au suspense dans un scénario. Ce que les profs ont tenté de nous faire comprendre depuis cinq ans, s’y prenant tellement mal. Genre, nous faisant répéter mille fois, sans nous expliquer la logique, les stupides règles de grammaire et de mathématiques. Je t’en voudrai pour cela, de ne même pas me donner un indice sur ce qui semble être la chose la plus importante de toute la lettre, la plus captivante. En plus que tu as le culot de me dire que peut-être je ne lirai pas le chapitre ultime ? Tu veux ma mort ou quoi ? La tienne, peut-être ? Comment puis-je être plus franc avec toi ? Je ne sais pas. Je lis tes choses, j’approuve le tout, je me tracasse lorsque tu te tracasses, je suis malade lorsque tu es malade, je tue une guêpe lorsque tu tues une guêpe. Je vois que Jean n’est pas heurté par tout ce qui se passe dans votre vie, ni toi non plus, ce qui me rassure et rend toutes vos aventures totalement légitimes. Y a-t-il quelque chose de plus beau que la franchise et l’honnêteté ? Votre relation en est certainement une à très long terme, je vous admire pour ça. Et puis sinon, tant pis. Je ne m’inquiète ni pour toi, ni pour lui. Personne n’est aux crochets de personne, personne n’est le trompé ou dans la patiente attente de quelque chose qui ne viendra jamais. Soyez heureux et multipliez-vous dans la paix du Christ notre Seigneur, amen ! Et puis, je me demande franchement ce qu’il peut y avoir dans le chapitre ultime - de plus que ce que tu m’as déjà raconté - qui mériterait que tu te taises sur le sujet. Ce serait triste et je le prendrais comme un affront terrible. Bref, tu vantes les vertus d’un ami à qui tu dis tout, puis au chapitre ultime tu lui annonces que tu n’as plus confiance en lui et qu’il peut aller se perdre dans la nature. Be-bye la visite, ma prochaine lettre sera d’une superficialité inégalée, comme dans les soirées sociales. Ah, le sentiment, ça marche toujours. Pas mal réussi ce petit passage, il n’y a aucune chance que tu ne me fasses pas lire la suite à présent. De toute manière, la menace de ne plus te parler tient toujours. En effet, quel intérêt aurais-je d’avoir un ami avec qui échanger des banalités sans importance ? J’ai déjà un copain qui remplit parfaitement ce rôle. Parce qu’évidemment, nous, nous ne sommes pas honnêtes ni sincères. À moins que la vie de Sébastien soit d’une banalité effrayante et qu’il n’ait effectivement rien de plus au programme que l’image qu’il me projette de lui. Mais à regarder ses yeux s’illuminer devant de beaux jeunes garçons parfois, le voir draguer comme un malade et perdre la boule, tu peux être certain qu’il s’en passe des choses parfois. Enfin, bon.

    Tu regrettes nos soirées d’antan, où tu débarquais chez moi et que l’on discutait toute la nuit de tout, sauf de NOUS. Mais, François, nous nous comprenions dans notre langage codé, tout ce langage qui fait que l’on parle un discours tout à fait différent, mais que l’on comprend. On parlait de nous, crois-moi. De nos passions, de nos idéaux, de notre art qui était déjà effectif. Musique, film, peinture, amis, école, amour. Et lorsque je t’ai avoué mon homosexualité, on a vraiment parlé de tout, je t’écoutais et te parlais exactement comme au flot que tu as rencontré dans l’autobus. Doutant encore, certes, mais agissant comme si tu l’étais peut-être. C’est pourquoi je te l’ai avoué d’ailleurs, pour pousser plus loin nos conversations. Je t’aimais vraiment, tu sais ; bien sûr, je ne te l’aurais jamais lancé en pleine face. Je te trouvais très beau aussi (encore aujourd’hui d’ailleurs, mais je veux décrire ce que je ressentais alors). Mon seul regret, c’est lorsque je t’ai emmené à Desbiens sur la plage, et que non seulement tu as refusé de te baigner, mais il était impossible de te faire enlever ton gilet pour en voir plus. Es-tu poilu ? Enfin, si tu veux tout savoir, j’ai un autre grand regret, un remords même. Tu te souviens le soir où tu es venu chez moi ? Je t’ai fait une crêpe ce soir-là, alors que tu voulais partir au plus sacrant, alors que la gratte avait enseveli ton auto dans la neige. Eh bien, mon remords c’est... bref... voilà... Tiens, maintenant que j’ai appris ce qu’est le suspense, je vais te laisser là-dessus. Tu peux toujours courir, la phrase ultime, je te la raconterai peut-être dans une lettre ultérieure (à la condition que je lise le chapitre ultime). Enfin, il te reste un choix, deux possibilités. Ou bien tu me fais lire ton chapitre ultime, ou alors tu en écris un autre. Mais attention, si ce n’est pas croustillant, je croirai que ce n’est pas la version originale. Ah, la vie, on a rien pour rien. Mais t’inquiète pas, je ne risquerai pas de détruire notre amitié pour une nuit dans tes bras aujourd’hui, l’embarras nous tuerait.

    Ainsi, tu crois connaître tout de quelqu’un en couchant avec lui, sans même échanger un mot. Je puis te dire que je ne connais rien de quelqu’un même après quatre ans avec ce quelqu’un à coucher avec lui. Les gens sont souvent bourrés de secrets, de mystères, de culpabilités inavouables. Me connais-tu vraiment ? Te connais-je vraiment ? Malgré toute notre correspondance, François, on ne se connaît pas. Moi-même, je n’ai pas la prétention de croire que je me connais. Ce qui serait grave en fait, ça démontrerait que j’ai des bornes, et comme tu dis si bien, le ciel est la limite. J’ajouterai qu’il n’y a pas de limite, pas même celle du ciel. Et c’est cela qui fait tout le charme du genre humain. Trop souvent, par contre, on voit des limites partout, on se les construit lorsqu’il n’y en a pas. Ça nous rassure, je suppose. Partir pour l’Australie, se ramasser sur l’île de Pâques. Pourquoi pas ? Que sais-je vraiment de ce que tu es capable de faire ? Que sais-je vraiment du jusqu’où je puis aller dans la vie ? Lorsque l’on s’est avoué médiocre et que l’on veut demeurer à Jonquière après avoir abandonné ses études, c’est clair. Nos limites sont définies, on apprendra peut-être beaucoup de la vie, avec un peu de chance. Souvent l’expérience vient à soi, du moins je l’espère. Parfois il faut plus, davantage d’expériences, alors il faut aller au-devant de cette expérience, et c’est alors que l’on ne reconnaît plus qui nous sommes. Parce que nous sommes à l’aventure, prêts à découvrir et à être transformés. Initier à des choses jusqu’alors inconnues. Et comme tu es davantage fonceur que moi, je crois que ton voyage en Australie pourrait te mener loin. Alors, qui pourrait affirmer te connaître malgré tes longues lettres ? J’en découvre chaque jour sur toi. Ce qui te tracasse dans ce que tu me dis, dans un an tu en riras. Tu auras d’autres choses que tu m’avoueras difficilement. Nous sommes en construction, en apprentissage, et les gens qui l’ignorent, certes, avancent très lentement sur la ligne de l’expérience. À nous, alors, de leur faire partager cette expérience. Ainsi, à Jonquière, le jeune gai morveux, incapable de s’avouer (tiens, je pense à Gaston tout à coup), vivra et naîtra par moi et par toi. Traversant nos étapes, apprenant de notre expérience. Qui disait dernièrement que seul le fou apprend par l’expérience alors que le sage apprend de l’expérience de l’histoire ? C’est vrai, mais je pense qu’il y a encore place pour l’expérience personnelle, d’ailleurs beaucoup plus passionnante. Tu peux lire comment c’est bon d’avoir du sexe avec un Apollon de 18 ans, tant que tu ne l’as pas fait, tu ne sais pas vraiment ce que c’est. Tu le lis et ça te motive à le faire, à apprendre par toi-même. Ça montre que ça existe et que c’est à ta portée. Ça te fait entrevoir des sentiments inconnus, te fait imaginer les conséquences d’un tel acte si cela t’arrivait ; bref, tu as vu ce qui pourrait vraiment arriver si tu le faisais. Et parfois cela suffit à acquérir de l’expérience. Tu me ramèneras beaucoup plus de l’Australie que n’importe quel Australien pourrait m’en dire. Ce qui semble normal pour eux, ne le sera pas pour toi. Et tu me diras exactement ce que je vivrais si j’y allais, moi. Ainsi je vais aller avec toi en Australie et apprendre de quel côté l’eau tourne lorsqu’elle s’échappe dans les égouts de la toilette. C’est complexe la vie, mais à la fois si simple. C’est du moins le sens que je donne à la vie, et la philosophie que l’on peut ressortir de mes dires. Mais cela peut devenir dangereux, on pourrait à la limite dire que l’expérience de l’extermination des Juifs et des homos voilà cinquante ans était nécessaire à l’apprentissage de l’humanité. Or, qui sait si à long terme toutes ces morts ne deviennent pas une force positive dans la nature ? Les conséquences d’un tel acte ne peuvent pas être que négatives, tout de même. C’est inscrit dans la mémoire de l’humanité à jamais, comme une grande tache d’encre indélébile sur la chemise trop blanche d’une superviseure pourrie de chez WHSmith. Toi, personnellement, qu’as-tu appris de tout cela, de toutes tes lectures ? Je suis certain que ça t’a transformé et que jamais tu ne cracherais sur un Juif. Dans le futur, pour six millions de Juifs et un million d’homosexuels peut-être, et les Gitans et le reste, des milliards de personnes seront peut-être épargnées dans des circonstances similaires. Qui peut donc affirmer qu’il n’y a qu’un côté négatif à tout cela ? Des conséquences que nous sommes même incapables de mesurer, des événements évités dont nous n’aurons jamais la conscience, puisqu’ils sont évités. Bien sûr, on n’apprend pas vite. Regarde le Rwanda, la Bosnie. On apprend lentement, certes, mais on apprend. Il n’est malheureusement pas donné à tout le monde de courir à la bibliothèque comme toi et d’apprendre. Le plus souvent, les gens n’ont pas la volonté d’apprendre, ce qui rend les choses plus difficiles encore. J’ignore d’où me vient mon côté philosophique ce soir, probablement de la bière que je viens de m’ouvrir. N’ayant pas encore découvert le monde merveilleux de la drogue, je t’avoue que je n’en ai pas la motivation, même la cigarette me dégueule. De toute façon, Sébastien ne permettrait à personne de fumer dans l’appartement. Asthme, tu te souviens dans l’auto à Jonquière.

    Dernièrement, j’ai vu au cinéma The Madness of King George. À oublier, ne perds pas ton temps et ton argent. J’ai vu une pièce d’Oscar Wilde au théâtre, The Importance of Being Earnest. J’ai été bien déçu. En ce qui concerne Shakespeare, ça doit être trop mystique pour moi, je n’ai jamais été dans la capacité de lire plus de dix pages de son œuvre, non plus d’écouter plus de dix minutes de n’importe quel film que l’on a fait avec son œuvre. Faut dire qu’à chaque fois que je m’y mettais, c’était en anglais, et il est vrai qu’à l’époque mon anglais faisait pitié. J’aimerais bien m’enfermer dans un théâtre et subir sa meilleure œuvre. Mais j’aurais peur d’être déçu. Un peu comme d’assister à une pièce de Molière. C’est toujours ennuyeux de mon point de vue. Vaut mieux s’accrocher au mythe que l’on a construit de ces grands maîtres, plutôt que de s’attarder à leurs œuvres en tant que telles. C’est triste d’en arriver à une telle conclusion. Il y a des maîtres d’époques ultérieures qui valent plus que Racine et Claudel à mon avis. Du moins, au temps où nous vivons, bien sûr. Et dans le contexte aussi, parce qu’à la Sorbonne, je te jure, ils ne vivent pas à la même époque que nous. Pour eux, l’art s’est arrêté avec Le Soulier de satin et Bérénice (ou Britannicus selon le prof qui radote en avant).

    Paris me manque, Paris me manque énormément. Londres, ce n’est pas Paris. Rien à voir. Deux mondes différents. Je ne puis plus me passer de Paris, et ça c’est révélateur de mon futur. Vivement qu’ils passent leurs lois sur la reconnaissance des couples gais, ce ne sera pas long avant que je demande ma carte de résident, Sébastien étant français. Ils veulent des preuves ? On a un compte de banque commun, on habite ensemble depuis presque un an, notre courrier en fait foi, ça fait quatre ans que nous sommes ensemble. Ils pourront décortiquer tout cela et en venir à la conclusion que, malgré les orages, notre relation tient le coup, et que nous méritons de pouvoir se suivre l’un l’autre. La vie pourrait être si simple sans toutes ces lois souvent inutiles. La vie serait totalement différente, c’est certain. Mais à qui donc profitent toutes ces lois, je te demande ? Et jamais personne ne songe à les changer. Et même lorsqu’ils veulent les changer, elles demeurent inchangeables pour des siècles. On l’a prouvé avec la Constitution canadienne vieille de 1867, seul héritage anglais à part les œufs et le bacon le matin. Il n’y a pas de quoi se réjouir. Je me demande quels sont les vestiges anglais qui font encore problème en Australie.

    Voilà, je te laisse, ma lettre est longue. Faut que ça t’arrive vite avant que je ne m’enfonce davantage du mauvais côté du ravin. Et puis, tu risques de partir en Australie, et la poste Amérique-Europe, je ne lui fais définitivement plus confiance. Même de Paris à Londres, ça prend plus de trois mois lors d’un changement d’adresse. Ainsi je ne pourrai pas me réinscrire à la Sorbonne, la lettre étant perdue quelque part dans la Manche, et la date limite passée depuis longtemps. Si le gouvernement du Québec m’a envoyé un papier important au niveau des prêts étudiants, c’est perdu aussi. En plus ça coûte tellement cher ! Quatre-vingts francs t’envoyer ma dernière lettre, ça va me coûter quinze livres au minimum te poster cette lettre-ci. Bientôt je vais t’envoyer ça par Federal Express, toi le petit séparatiste en puissance. Buano la Vista calice, alléluia adios adagio hostie. Bye !

 

 

 

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    Hier, j’ai laissé Sébastien officiellement. J’étais mort d’une journée de travail lamentable où quantité d’hommes arrivent à la caisse avec leur accent qui ne ressemble en rien à l’anglais (bien qu’ils soient British), me répètent trois fois la marque de cigarettes qu’ils veulent, avant d’exploser et de carrément me dire « to fuck off ». Ils ont un complexe à cause de leur accent, je dirais, voilà pourquoi ils perdent patience. Somme toute, la meilleure preuve qu’ils parlent autre chose que l’anglais est finalement en face d’eux, je ne comprends pas un mot de leur jargon. Mais la journée a été difficile, et Sébastien m’est devenu une source de soucis incontrôlable. Il ne m’apprécie plus comme avant, je n’ai pas l’impression qu’il m’aime comme il pourrait m’aimer. Je suis toujours inutile dans le décor. S’il voit du monde alors que je suis là, pour lui ce n’est pas voir du monde. Il faut que je sois absent. Ainsi le Philippe samedi passé, dont j’ignore s’ils ont couché ensemble. Mais dans l’appartement c’est pire. Notre colocataire Martin est devenu une force négative, me méprisant sans cesse, me prenant pour un jeune imbécile incapable de parler, m’envoyant toujours des craques. Lorsque Sébastien n’est pas là, il s’invente des raisons pour ne pas m’inviter à faire quoi que ce soit. Mais avec Sébastien, c’est tout différent. Il est à ses pieds. Il aime mieux aller au cinéma avec nous et aller prendre une bière ensuite, que d’aller avec ses amis. Sébastien le lui rend bien, il suit Martin dans la maison comme un petit chien. Partout. Si Martin va dans sa chambre, Sébastien le suit jusqu’à la porte. Si Martin va dans le salon, Sébastien va dans le salon. Si bien que je n’existe plus, exactement comme lorsque nous étions à Paris avec Maurice. Sébastien m’ignore, en plus il refuse que je le touche, on ne fait plus l’amour, je me demande s’il me regarde encore. Bref, j’ai toutes les preuves qu’il ne semble plus trop intéressé, alors je lui ai fait une crise hier, lui disant que c’était fini, et qu’il fallait trouver des solutions pour terminer notre relation. Le problème, c’est qu’il n’y en a pas et qu’il refuse que je le laisse tant que je ne l’ai pas remboursé. Intéressant cette remarque. Resterait-il avec moi à cause de son argent ?

    Aujourd’hui marque la victoire de Martin sur moi. Non seulement il a passé la journée complète avec Sébastien, se levant ensemble, plaçant ensemble le linge de la laveuse jusque dehors sur le porte-linge, vidant ensemble le lave-vaisselle, se préparant ensemble à manger, mangeant ensemble, faisant la vaisselle ensemble, allant magasiner ensemble, et revenant après moi à l’appartement, mais en plus Sébastien m’annonce qu’ils vont m’emmener manger au restaurant. Je m’excuse ! C’est moi qui t’emmène au restau, et l’étranger, tu peux le laisser à la maison. Mais cela est une mission impossible, il vient ou on n’y va pas. Et moi qui ne suis plus capable de le supporter. Prêt à lui sauter à la gorge à la moindre de ses phrases méprisantes. Jamais vu quelqu’un capable de retenir chacune de tes phrases pour pouvoir te ridiculiser ensuite avec chacune de ces phrases. Chacune de ses réponses implique que tu es con et stupide. Moi, c’est bien de valeur, la naïveté de Sébastien, je l’ai comprise voilà longtemps, et je ne supporterai pas quelqu’un qui m’oblige ce genre de régime. Alors on n’y va pas manger, ce soir. Et c’est la victoire de Martin sur moi. Pourtant, dans le contexte inversé, j’ai comme l’impression que si j’avais refusé de sortir, on ne se serait pas empêché pour moi. Les rôles sont inversés, il est l’invité pour lequel il faut que Sébastien sacrifie tout, jusqu’à notre relation. Il va réussir, parce que moi j’ai les nerfs à fleur de peau ces temps-ci et que je n’ai plus qu’une idée, tuer tout le monde ! Me libérer du monde entier ! Bombe nucléaire ou isolement dans le désert de Palm Spring ou chais pas quoi, mais ne plus les voir eux, les touristes d’Heathrow, les employés de WHSmith, les pseudo-amis que Sébastien veut rencontrer, et Rami la riche connasse et sa BMW rouge ! Et Franklin et Maurice et Renaud et ces profs de la Sorbonne, et ces cons séparatistes à la Maison du Canada, et ma famille, et mes ex-amis. Et le président des États-Unis et Major, et Mitterrand, Chirac et compagnie ! Changez l’univers, parce que je ne puis plus le sentir !

    Sébastien est à côté de moi, ne sachant plus quoi faire. Il est trop tard pour reprendre le dessus, je suis en mode destruction. Il mange des nouilles qu’il s’est fait cuire, moi je crève de faim. Je découvre qu’il y a une prolongation au régime WHSmith, le régime du couple Sébastien-Martin. Échec, on ne va pas manger, eh bien, je ne mangerai pas. Il veut faire quelque chose juste nous deux ce soir pour compenser. Pourquoi donc, cher Sébastien, je suis en mode destruction ! Tu ne comprends pas que je ne pourrai faire autre chose que de me lamenter, te reprocher mille et une choses : la première, c’est que tu jouis de la vie avec Martin, Philippe, Maurice et Franklin, tandis qu’avec moi tu endures le calvaire ? Il vient de m’offrir d’aller au restaurant maintenant qu’il a mangé. Il dit qu’il va me regarder. Tabarnack ! Viens, mon petit garçon, on va te contenter. Sèche tes larmes, le voilà ton biscuit. Tabarnack ! Snif, snif, merci. Hostie ! J’ai besoin de sortir seul de la maison, le besoin d’appeler la christ de Japonaise, puisque c’est ma seule amie. Mais vous savez ce que Sébastien en profiterait pour ajouter au calvaire ? Sortir avec Martin au G.A.Y. Et je n’aime pas ça du tout, je m’oblige à demeurer ici pour l’obliger à demeurer ici. N’est-ce pas absurde, le comble de la jalousie ? Pourquoi suis-je donc aussi enragé ? Prêt à mordre tout ce qui bouge ? Cet emploi, je vois maintenant qu’il me met à l’épreuve, c’est ma confiance en Sébastien, mon sentiment de possessivité. Ainsi, on voudrait que je laisse Sébastien sauter dans les bras de n’importe qui ! On voudrait que je le laisse à Martin et Philippe ! Qu’ils aillent à la piscine, aillent dans le sauna, s’observent méticuleusement ! Mais quel besoin, la piscine ! Où ai-je la tête ? Il suffit que je ne sois pas à la maison. Philippe vient directement dans le lit, pourquoi se contenter de regarder lorsque l’on sait chacun ce que l’on veut ? Eh bien, si c’est ça qu’on veut de moi, cette épreuve est impossible. Terminée, aux archives, on passe à l’obstacle suivant. J’irai au purgatoire, je ne passerai pas par GO, je ne réclamerai pas 200 $, je n’aurai pas 100 % sur ma note finale. Je ne suis pas Dieu et je refuse de lâcher prise ! Je viens d’avouer que j’en ai encore pour mille ans à me démerder avec le même problème. Toujours on y revient. Cette jalousie et cette possessivité qui conduisent à la paranoïa. J’ai identifié le problème, c’est moi le problème. Mais s’ils ont couché ensemble, ce n’est pas moi le problème et je vais tout casser ! Eh bien, si c’est moi le problème, voyons aux solutions. Il n’y en a pas ! Alors, s’il n’y en a pas, c’est bien de valeur à dire, mais la fin de notre relation est inévitable. Que ce soit moi qui ne veuille plus confronter le problème, ou que ce soit Sébastien qui ne puisse plus supporter mes crises. Je n’aurai pas le choix de trouver des solutions. J’ignore quel effort surhumain je vais être capable de fournir pour pratiquement accepter que mon copain se fasse fourrer par un autre en me laissant totalement dans l’oubli, et ne faisant plus rien avec moi au détriment de tous ces nouveaux amis prêts à n’importe quoi pour lui sucer la bite. J’ai frappé l’ordinateur trois fois, il est vraiment résistant. Heureusement, il n’est plus sous garantie et n’est pas encore payé, malgré que j’aie déjà payé deux fois son prix en intérêts. C’est la vie dans les années 90. Et en l’an 2000, ça va changer. Ça aussi ça nécessite des solutions.

 

 

 

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    Je termine à l’instant de lire Count Dracula par Roderick Anscombe. Peut-on imaginer pire littérature ? J’ai acheté le livre à cause de son apparence, j’ai lu la première page et ça parlait de Paris. Jamais je n’ai eu l’intention de le lire, je vous jure. Mais je l’ai dégusté jusqu’au dernier meurtre. C’était là le livre d’un intellectuel, pire, d’un psychiatre qui croit tout savoir sur la psychologie des meurtriers. Mais quel artiste ce Roderick ! J’ai honte d’être incapable de lire un classique de la littérature française en entier, alors que je dévore à pleines dents un Big Mac fast-food de la littérature anglaise. Je le lisais même entre deux clients au travail. Pourtant je suis convaincu que ce livre, comparé au reste de la littérature, est moyennement intéressant. Du moins je l’espère, et je crois qu’aucun prof d’université ne pourrait affirmer que c’est là un chef-d’œuvre. Le titre lui-même est voué au succès immédiat et à l’oubli universitaire. Je regrettais même en le lisant que ce soit l’histoire du comte Dracula. Quel roman éternel cela aurait fait s’il ne s’était agi de la vie secrète de Laszlo. Ce n’est certes pas dans les meurtres des jeunes vierges que réside l’intérêt d’un tel livre, c’est dans le style. Mais à ce propos, n’est-il pas inquiétant que présenté d’une telle manière, on en vienne à accepter la nature même de Laszlo et que l’on prie, non pas pour qu’il épargne sa prochaine victime, mais pour éviter qu’il se fasse prendre par la justice ? Nous sommes devant un médecin intelligent, avec une implacable logique sur le déroulement des événements, un fin psychanalyste de tous les détails. En un tel homme on pourrait confier l’humanité, le trône de la Hongrie. Mais l’homme a une double personnalité, ce qui nous permet d’affirmer que c’est la même chose pour tous les humains de la planète. Chacun possède sa double personnalité, personne n’est vraiment sincère. Peu importe les motivations ou les événements. Quelqu’un qui embarquerait dans la vie avec l’idée de ne jamais mentir, ou d’être ouvert comme un livre que l’on lirait, n’aurait aucune chance de réussir quoi que ce soit. Peut-être en des temps où tout sera parfait, si cela vient un jour, aucun humain jamais n’aura une double personnalité. J’essaie de voir ce que serait la vie alors, dans cette société pure à 100 %, sans peur ni reproche. Sans question, ni sermon. Sans jugement, sans subjectivité, sans sentence. Déjà la littérature s’en ressentirait. Il n’y aurait sans doute place qu’à la joie et au bonheur. Et quel intérêt y aurait-il à lire la joie et le bonheur, lorsque soi-même vivrait la joie et le bonheur ? Qu’y a-t-il à analyser, à déduire et à comprendre dans la joie et le bonheur ? On ne questionne jamais pourquoi il doit y avoir de la joie et du bonheur, on ne se demande pas à quoi cela sert. On fait pourtant un grand cas de la misère, lui trouvant des responsables, des tyrans, des raisons qui remontent à Adam et Ève, c’est-à-dire à des temps indéfinis. Pourquoi donc faudrait-il qu’il y ait de la misère ? Comment y remédier ? Moi, je réponds alors : pourquoi donc faudrait-il qu’il y ait de la joie et du bonheur dans le monde ? Comment y remédier ? Il faut se guérir de cette plaie sociale qui n’est de toute manière qu’apparente. De grands philosophes se sont évertués à nous le crier, la misère humaine n’a pas de limites. Mais moi je ne remets pas en question tel ou tel philosophe, je ne dis pas que celui-ci est à la mode plutôt que celui-là. Moi, je dis que dans les temps actuels de la société, la misère est nécessaire ainsi que la double personnalité. Sinon, si ce n’est pas nécessaire, c’est là et puis c’est tout. Il faut vivre avec et ne pas se surprendre lorsqu’un Saint s’avère être un Diable.

 

 

 

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    Je lisais le magazine Gay Times hier, ça m’a déprimé. The Dark Ages are back ! selon eux. Les relations entre l’homosexualité, la religion et l’autorité gouvernementale, dans quantité de pays dans le monde, sont devenues effrayantes. Elles laissent craindre pour notre futur, pour mon futur. Tous ces islamistes fondamentalistes qui tuent les gais, qui professent des arrêts de mort à droite et à gauche, qui deviennent nombreux ici et qui finissent par gagner du pouvoir en politique, jusqu’ici. C’est définitivement inquiétant. D’autant plus que l’on ignore tout des gens qui seront au pouvoir dans 10 ou 20 ans, et certains gouvernements occidentaux laissent également entrevoir le retour de périodes sombres. Plus je lisais, plus je regrettais qu’il y ait déjà tant de gens qui connaissent mon orientation sexuelle, bien qu’il n’y en ait pas tant que cela en fait. Mais c’est déjà trop. Je suis fatigué, je lis des choses sur un couple gai harcelé par la police à l’aéroport d’Heathrow. C’est tellement sérieux qu’ils ont quitté le pays. Partout, il y a des caméras, des micros, dans tout l’aéroport je n’ose plus parler. Au téléphone je n’ose plus parler non plus. On sait bien que les téléphones mobiles utilisent des ondes que l’on capte sur n’importe quelle petite radio amateur. Toutes les semaines on rapporte des gais battus, accomplis par diverses personnes qu’on ne réussit jamais à retracer. Et le pire, il y en a déjà tant qui sont rapportés et il ne s’agit là que d’un faible pourcentage de ceux qui se sont fait attaquer. Il me semble absurde de se battre chaque année pour un minimum de droits, alors que tout cela va disparaître aussitôt le prochain gouvernement un peu trop chrétien fanatique au pouvoir. La religion n’a rien de plaisant, la face de la vraie religion est bel et bien l’orthodoxie, et cette orthodoxie poursuit des buts que je ne m’explique point. Le statut des femmes en tant qu’être humain est la deuxième chose qui est à craindre avec la religion. Peu de religions vraiment considèrent la femme comme l’égale de l’homme et seraient prêtes à lui accorder des droits. Mais le peuple se fout de tout cela. La montée de l’islamisme dans le monde devient inquiétante et les femmes s’en balancent de tout cela. Certainement que les femmes islamistes ne peuvent parler sous peine d’être tuées, mais aucune femme en Occident ne semble se sentir concernée. Elles prennent leurs droits pour acquis, tout cela pourrait très bien changer. Et le pire, c’est qu’une armée complète de femmes est prête à se battre pour démontrer que la femme dans la servitude, qui n’a pas droit à la parole, est ce que Dieu a voulu et qu’il faut respecter les dires de Dieu. Je n’affirmerai pas qu’il s’agisse là d’un signe d’inintelligence, mais d’un lavage de cerveau qui a bien fonctionné. Je vais dire comme Umberto Eco qui sait qu’il va bientôt mourir, il dit que les peuples sont devenus si affreusement stupides qu’il est bien heureux de quitter ce monde. Il serait, lance-t-il, bien difficile de quitter un monde parfait. Ce qui me désole, c’est qu’en tant que grande personnalité italienne, il aurait pu contribuer à améliorer le sort des hommes. S’il se tait, de même que toutes les personnes influentes qui ont encore un peu de raison sur cette planète, qui donc empêchera l’opinion populaire de faire revenir en force les périodes sombres d’une religion quelconque ? Une religion qui contrôle nos vies et nos âmes de A jusqu’à Z, et qui trouve toujours le moyen de nous condamner, nous vouer aux enfers et nous assassiner ? Si les gais qui ont un tant soit peu d’influence aujourd’hui ne parlent pas, il n’y aura pas de salut. Parler ne signifie pas pour autant devenir un militant, mais juste montrer qu’il existe des exemples positifs dans cette société, et que oui, le peuple a tort dans plusieurs de ses façons de voir les choses. Moi, je dis que les droits ne sont jamais acquis, ils sont prêtés pour un certain nombre d’années et appelés à disparaître tôt ou tard. Tous les droits, en commençant par le droit à la démocratie et le droit à une Charte des droits et des libertés. Jamais il ne faut perdre de vue que tout cela est en danger, et que si on ne prend pas au sérieux aujourd’hui les religions qui disent que la démocratie et les droits et libertés sont un mal qui va à l’encontre des plans de Dieu, on le regrettera un jour. Car la peur de l’enfer est grande dans l’esprit du peuple, et le peuple est prompt à suivre un chef religieux, à tout condamner sur son passage et à s’infliger des souffrances. Craindre tout ce que les religieux disent, défendre nos institutions que l’on croit inébranlables. Ce ne sont certes pas les meilleures institutions, mais elles sont moins à craindre que ce que les organisations religieuses ne cachent même pas qu’elles veulent nous imposer : la mort à même la vie.

 

 

 

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    Lorsque ma collègue à l’aéroport m’a remis le livre de Michael Crichton, Disclosure, et que j’ai vu qu’il était l’auteur de Jurassic Park, je lui ai dit que je ne lirais pas ce livre. Puis, devant sa panique et la crise qui allait suivre, je lui ai dit que j’oublierais mes préjugés de petit étudiant en littérature qui méprise tout ce qui ne date pas d’au moins cinquante ans, et que je lirais les cinquante premières pages pour voir si ça accroche. Eh bien, ça m’a accroché, et même, ça m’a fait réfléchir. En deux lignes je peux résumer les 168 premières pages : un directeur dans une compagnie de télécommunications, qui attendait une promotion, s’est fait supplanter par une ancienne copine qui l’accuse de l’avoir harassée sexuellement, alors que c’est elle qui l’a harassé, ce qui l’oblige à accepter un transfert et perdre des millions de dollars. Voilà pour le résumé. Là où j’ai commencé à réfléchir, c’est lorsqu’il se rend dans le bureau d’une avocate spécialisée dans les cas d’assauts sexuels, et qu’elle lui démontre en cinq points pourquoi il ne doit rien faire pour tenter de faire justice dans cette affaire. Il s’agit en fait des problèmes de la justice, une véritable injustice en elle-même. C’est-à-dire inaccessible par sa lenteur, ses coûts, ses préjugés de départ qui impliquent ta culpabilité, avec l’impossibilité de prouver ton innocence. Les conséquences de vouloir faire la justice sur un événement qui détruit entièrement ta vie (perte d’emploi, de famille, de maison, de sécurité). La justice ouverte au public empêche qui que ce soit d’aller en justice, afin d’éviter d’être dans tous les journaux avec ton nom, les faits, ta culpabilité que tu essaies de prouver innocente, et ta honte. Ceux qui embarquent dans une telle galère sont ceux qui sont rendus à un point où tout cela ne peut plus empirer, c’est-à-dire qu’ils n’ont plus le choix. Enfin, bref, même si la justice se fait, ce qui est douteux, les conséquences d’un tel processus sont tellement destructrices qu’il valait peut-être mieux passer l’éponge et tenter d’oublier toute l’affaire, malgré ce que les gens pensent. Et alors que tu crois que tout est fini, il y a les rappels en cour supérieure, et tout recommence ! On ne peut pas espérer continuer à travailler pour une compagnie ou même trouver un emploi ailleurs, si nos relations avec l’employeur se sont terminées dans une cour de justice. Et après tout ça on n’est pas surpris de voir que justice ne s’est pas faite. Un autre problème consiste en ce que l’avocat que tu te paies fait toute la différence. Il te permet de perdre ou de gagner. Ce qui est tout à fait absurde. On ne juge pas quelqu’un sur les capacités de présenter les faits ou sur une argumentation logique pleine d’erreurs argumentatives. Faudrait-il faire disparaître les avocats ? Sinon ne les garder que comme conseillers, mais en dehors de la cour de justice ? Je crois que nous sommes prêts pour une réforme majeure du système de justice, et je crois que ça va faire mal, parce que c’est pas mal pourri là-dedans. On dit que ça prend plusieurs années pour que justice se fasse. C’est faux. Ce peut être une affaire de quelques semaines, voire de quelques jours. Il s’agit de décomplexifier le tout et vous verrez, ce sera déjà moins coûteux. Un minimum de personnes devraient être impliquées dans chaque cas, les témoins entendus, le tout en privé, seul moyen d’avoir vraiment la vérité, ou d’avoir une justice. Un homosexuel ne prendra jamais le risque de se retrouver dans une cour de justice à moins d’y être définitivement obligé, car il n’y survivrait pas. Bref, ce n’est pas mon rôle de conseiller des solutions que l’on peut contredire, mais tout le monde sait qu’il est temps de réduire le système de justice à un minimum, et que les réformes doivent se faire et vite. Et les avocats, je ne suis pas convaincu de leur rôle essentiel en ce qui concerne un jugement. L’absurdité de ne pas écouter un accusé ou une victime parler sur le débat en cour, c’est le comble du ridicule. O.J. Simpson ne s’est pas prononcé en cour parce que son avocat avait peur qu’il fasse une erreur. En plus son avocat a trouvé une défense qui n’a rien à voir avec le meurtre proprement dit. Ce qu’il faut faire, c’est écouter l’accusé, écouter les témoins, n’entendre que les faits, et prendre une décision. Coupable ou non coupable, faute de preuves. On n’a pas à étendre tout cela sur un an et demi, avec une quinzaine d’avocats d’un côté comme de l’autre, et des quantités de spécialistes à qui on essaye de faire dire des choses qui sont fausses. On n’avait pas besoin de filmer tout ça à la grande honte de la famille, c’est un trop bon moyen pour décourager la justice. J’espère ne jamais avoir affaire avec le système judiciaire, plutôt mourir. Surtout, il ne faut pas s’adresser aux avocats ou aux juges pour les réformes, ils ne voient pas, ils ne peuvent pas voir de solutions aux problèmes. Ils ne peuvent pas voter en bloc la disparition complète de ce système inadéquat et le remplacer par une nouvelle méthode rapide et efficace qui cherche vraiment la justice en un minimum de temps et de coûts. Je suis même certain qu’il y a déjà des solutions éparpillées dans les livres, mais on ne les applique pas. La réforme, la réforme, la réforme ! On veut une vraie justice accessible et peu dispendieuse !

 

 

 

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    Voilà, ça a fait la première page du Evening Standard, demain ce sera à la une de tous les autres journaux. Le référendum au Québec a été perdu à nouveau. Ça ressemble à ma vie avec Sébastien. On est encore ensemble mais c’est fini. Retenu à Londres par un bout de papier qui dit que nous devons payer pendant six mois notre appartement. Sauf que la séparation s’en vient et que je ne la veux pas. Mais que si l’on m’oblige à un référendum, ce sera 50 % contre la séparation en ce qui me concerne et 50 % pour en ce qui concerne Sébastien, et que la sécession va se faire de toute manière. Au Québec, la proportion du non est de 50.4 % contre 49.6 % pour le oui. Sauf que Sébastien n’aurait pas le droit de me quitter avec ce maigre 1 %, lié à moi à jamais par un autre bout de papier vieux depuis 1867 donné par l’Angleterre et que l’on appelle la Constitution canadienne. Ces comparaisons entre la relation canado-québécoise et un couple ordinaire d’opinion contraire sur le référendum, ça pleut dans la littérature québécoise. Je n’en ferai pas tout un plat, je vous avouerai que pendant un instant j’ai cru que j’allais voter oui, puis soudainement je ne savais plus. Puis, finalement, les résultats m’ont laissé complètement indifférent. Ni soulagement, ni pleurs. Je suis tellement loin de tout cela, je ne suis ni pour ni contre, mais je sais cependant qu’en tant que québécois qui veut se promener et habiter ailleurs qu’au Québec, je retire certains avantages à demeurer dans un Canada uni. D’ailleurs, ma sœur hier m’a presque convaincu de retourner à Jonquière, surtout qu’elle m’affirmait que j’avais coulé mes examens et que cela importait peu. L’essentiel est d’être sorti de chez moi, d’avoir suivi des cours à la Sorbonne et d’écrire cela sur mon Curriculum Vitae. Oui, bon. Quel échec, mais on peut encore sauver la face. Comme Parizeau et Bouchard après la défaite du référendum. On a perdu, mais avec une si mince majorité que nous avons marqué un point au reste du Canada. Maintenant on retourne négocier des changements dans la constitution à Ottawa. Et puis on fera un autre référendum, plus vite qu’on le pense, et celui-là on va le gagner. En fait, 60 % des francophones au Québec ont voté oui à la sécession. C’est bien beau tout ça, on peut sauver la face, affirmer des choses, n’empêche que c’est le deuxième échec en quinze ans et qu’à la longue c’est vrai que ça coûte cher sur tous les plans, économique surtout, en raison de l’instabilité politique du pays. Et puis tous les arguments de la raison, cœur enlevé, partout dans le monde, de l’Angleterre, de la France, des Américains, de l’Irlande (oui, j’ai même lu l’Irish Independent), les conséquences ne sont pas si inconnues qu’on le croit et seront désastreuses. Bien sûr qu’on peut s’en relever et qu’Ottawa avait déjà préparé l’après séparation, alors ça me laissait indifférent que l’on perde ou que l’on gagne. Je n’ai peur de rien, je vois des avantages et des désavantages dans chaque camp. Maintenant ma sœur me veut à Jonquière et j’avoue que je n’ai pas envie de retourner à Paris. Je partirais plutôt pour la Californie en fait. Dieu que la vie est compliquée. Bref, pour clore le sujet de la séparation, il est inutile d’être contre, car effectivement il y aura un autre référendum, et que celui-là, il provoquera la fin du Canada. Je le sais, je connais ma génération. Lavée du cerveau, elle est à 97 % pro-séparatiste, alors on n’a fait que reculer l’inévitable. J’espère qu’Ottawa va se forcer un peu plus et que les autres provinces du Canada vont se réveiller et qu’elles vont arriver à un accord sur certains changements constitutionnels. Il serait temps que l’on ait une vraie confédération au Canada, sinon il n’y aura plus de Canada la prochaine fois que le Parti Québécois remportera les élections au Québec. Et cette destruction ne viendra peut-être même pas du Québec : l’Ouest commence sérieusement à se faire des projets pour ne plus dépendre d’Ottawa. Ô Canada, terre de nos aïeux, qui va prendre le bord. Voyons voir, 1998, fin du mandat de Jacques Parizeau et réélection du Parti Québécois. 1999, nouvelle idée du référendum, fin du Canada pour l’an 2000, naissance de Jésus-Christ de Montréal. Dans le fond, cette année n’était pas une date clé intéressante. L’an 2000, c’est bien plus fascinant. Il faut penser à rendre les cours d’histoire plus symboliques qu’ils ne le sont maintenant, les générations futures vont finir par croire que l’on manquait d’imagination et de savoir-faire, et d’intelligence. Vive le Québec libre (à l’intérieur de la Fédération canadienne) ! Voilà la parenthèse qu’a ajoutée le gouvernement français au retour de Charles de Gaulle en France en 1967.

 

 

 

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    Aurai-je le temps ce matin d’expliquer en long et en large où j’en suis ? Finie l’Europe, fini Sébastien, je suis de retour dans ma région au nord du Québec de façon permanente. Ce matin, il me faut terminer un gros morceau de bureaucratie : depuis trois jours je tente de ramasser tous les papiers et j’écris toutes les lettres nécessaires à mon adhésion en maîtrise à l’Université du Québec à Chicoutimi. Pendant un instant j’ai cru que le tout allait me faire vomir, juste à franchir la première porte de cette mini-université qui dépend entièrement de l’Université de Trois-Rivières. J’ai cru que j’allais profondément m’enfoncer dans un trou sans fond bien loin de la Sorbonne de Paris. Et puis non. Je n’ai jamais pris au sérieux mes études en France et je prends mes études au sérieux ici. Depuis toujours je conceptualise l’université comme quelque chose d’excitant, mais déjà à Ottawa ça différait de ce que je connaissais, et à Paris ça n’avait plus rien à voir avec ce que j’aspirais à atteindre un jour. Pour la première fois de ma vie j’ai l’impression de vraiment rentrer à l’université, je m’en vais à la grande université de Chicoutimi, qui est la suite logique du grand collège de Jonquière. Au diable les vieux qui s’imaginent que lorsque tu as Sorbonne à côté de ton nom tu vaux plus que Pierre-Jean-Jacques, qui lui n’a qu’Ottawa comme carte de bienvenue. Pourquoi me faut-il toujours vivre dans les extrêmes ? La Sorbonne à Paris, l’Université du Québec à Chicoutimi. Ça rime en bonus.

    N’empêche que ce matin je rêvais que je sortais d’une école secondaire, Maria Chapdelaine à Jonquière (je n’y ai jamais été mais mon père habitait l’édifice à côté), et j’avais décidé de ne pas prendre l’Underground, j’allais attendre l’autobus à deux étages pour me rendre sur Elgin Avenue. Je me disais qu’une 28, une 29 ou une 30 allait faire l’affaire. Sur le poteau il y avait le plan des autobus de la ville, à Londres ça ressemble à une toile d’araignée assez complexe. Bien sûr, à Jonquière il n’y a qu’un seul autobus qui passe en face de cette école, et il va vers Chicoutimi. Je me disais qu’il me fallait profiter de mes derniers jours à Londres avant le retour, qu’il me fallait prendre l’autobus au lieu du métro. Les réveils sont toujours brutaux. Non pas que l’univers ici est négatif, tout va bien, tout va trop bien. J’ai presque oublié mon échec à Paris qui est devenu une simple année d’étude en France. Mon père ne dit plus rien depuis que je tente de m’inscrire à Chicoutimi, il semblerait que je suis déjà implicitement accepté. Je n’ai pas envie de repartir pour l’instant, les gens sont gentils, je réalise qu’ailleurs le monde est méchant, stressé, invivable. Mais je vais rencontrer mon lot de monstres bientôt, je le sens.

 

 

 

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    Ils ont commencé à me faire chier, bien que la nouvelle femme de mon père était déjà en action bien avant que je n’arrive. Elle est maître chez elle et dictatrice de la maison. Il me faut gratter la neige dans la cour, faire mon lit dès mon lever, faire ma vaisselle dans les cinq minutes qui suivent l’absorption de la bouffe. Là, je dois juste aller porter ma demande d’admission à l’Université du Québec à Chicoutimi, elle m’a fait tout un sermon sur le fait que je veuille prendre la voiture. Je n’ai qu’à prendre l’autobus, comme sa fille. Elle, sa fille, prend la voiture tous les jours pour aller au travail. Pour qui se prend-elle ? J’ignore le système d’autobus ici, je viens d’arriver. Ce n’est pas comme si je devais aller à l’université tous les jours, d’accord pour prendre l’autobus dans ces cas. Mais là je ne sais pas comment m’y rendre et j’y vais juste aller-retour. En plus ce n’est pas ma seule destination, vais-je me payer une journée dans les autobus de la ville dont je ne connais rien, alors que pour cette première journée je n’ai qu’à déposer mon père au bureau ? D’autant plus qu’ils viennent de payer 328 $ pour l’assurance automobile pour un an pour moi, et là ils veulent que je me sente coupable parce que sa fille, elle, ça coûte juste 68 $ d’assurance. Je me bute à tout dans cette maison parce qu’il y a toujours ce petit oisillon pur qui fait tout comme il faudrait. Ma nouvelle demi-sœur, la pure, l’innocente, la Vierge Marie. Elle ne boit ni café, ni bière. Elle ne sort jamais, elle étudie sans cesse. Elle fait la vaisselle de tout le monde comme si rien n’était, même si elle ne mange pas. En plus, elle a gratté la neige tout l’an passé alors qu’elle prend rarement la voiture. Elle a la chance d’avoir un copain, Valois, qui a une voiture. Alors ça me bloque complètement. Moi je n’ai droit à rien car madame n’y a pas droit. Eh bien, ça me fait chier, car je perds des droits que j’ai toujours eus avec mon père. Comme prendre la voiture de temps en temps, bon Dieu ! Et l’autre, la despote, j’ignore comment elle a pu avoir une fille aussi merveilleuse, mais si elle veut régner dans la maison, moi, il va falloir que je christ le camp. Ce qu’elle ignore, c’est que si j’achète une voiture ou si je déménage, comme je suis toujours aux études, c’est mon père qui paye si je n’arrive plus dans mes comptes. Elle devrait réfléchir. Je ne suis pas sa petite fille qui habite sous le giron maternel depuis des lustres. S’il me faut sacrer le camp, je vais le faire. Je ne tolérerai pas toutes ses petites manigances et ses commentaires. Je n’ai pas 19 ans, fraîchement débarqué à l’université comme sa fille. J’ai 23 ans, et mon père à cet âge avait un enfant et habitait la ville de Québec. Ma sœur à cet âge construisait sa maison. C’est terrible comment des gens qui paient leur maison en profitent pour faire de nous des esclaves, sous prétexte que l’on ne paie pas. Je n’ai pas que cela à faire, leur vaisselle, leur ménage, gratter la cour et les dorloter. C’est chacun notre tour à faire à souper. Or, je suis végétarien. Je ne vais pas commencer à leur faire leur repas, il faut déjà que je fasse le mien et il diffère du leur. Ce qui me fâche, c’est son hypocrisie. Ces petits commentaires toujours porteurs d’un message. Et ses paroles dans notre dos après, pour laver le cerveau de mon père contre ma volonté. Il est impensable que je reste ici trop longtemps, je fais peut-être une erreur en m’inscrivant à Chicoutimi. Je crois que je devrais tenter ma chance ailleurs, comme à Montréal. Elle est devenue fatigante, elle exige que je mange lorsqu’ils mangent. Elle est prête à faire sa crise à tout moment. Comment m’en sortir ? Chaque problème a une solution, mais le problème, c’est que ce problème est bien délicat. J’ai peur que déménager chez ma sœur m’apportera les mêmes problèmes, et que prendre un appartement m’amène au bord du gouffre financier. Bref, j’ai peur que la seule solution soit de plier et de devenir l’esclave du tyran. Elle a déjà dompté ses deux autres brebis, mon père et sa fille. J’espère qu’elle n’ambitionne pas trop dans mon cas, car j’ai bien l’intention de me rebeller.

 

 

 

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    Un ami vient de m’appeler, j’ai déjà commencé ma rébellion. Je lui ai tout dit de ce que je pensais de ma nouvelle situation, suffisamment fort pour que ma belle-mère entende. Voilà, je suis brûlé. Mon père est venu me dire que demain il va falloir qu’on parle et je n’ai aucun doute sur le parti qu’il prend. Le problème, c’est que l’on ne peut jamais gagner à ces petits jeux lorsque l’on n’est pas dans la situation du maître. Et c’est pourquoi il va me falloir trouver une solution à ce problème. De toute manière, ça ne peut pas faire de tort qu’elle comprenne que je n’ai pas l’intention de me laisser piétiner, peu importe si c’est elle qui paie le logement et la voiture. Je suis encore un étudiant et si je suis encore perdu dans ce trou perdu, c’est bien à cause de mes parents. Alors, qu’ils tolèrent ma présence sans me donner de terrible sentiment de culpabilité qui pourrait servir à justifier trop d’esclavage. J’ai vraiment l’impression de jouer le jeu du garçon incapable d’accepter sa nouvelle maman. Mais, en fait, il s’agit plutôt de la maman incapable d’accepter un nouvel enfant alors que le sien vit là depuis longtemps, et qui est obligée d’accepter ma présence. Mais dans ce cas elle va poser les conditions, un peu trop exagérées. Souvenons-nous, pas de sentiment de culpabilité, pas d’esclavage, pas de bullshit. Je vais confronter le père demain, tenter de lui faire comprendre ma position, commencer à l’endoctriner contre les pratiques injustes de sa femme. Un long processus en l’occurrence.

 

 

 

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Salut, Ed, mon ami,

    Je t’écris aujourd’hui car je pense à toi, mais je pense toujours à toi. J’ai peur que tu m’aies oublié depuis tout ce temps, j’ai un peu l’impression que tu cherches à ne pas me décevoir lorsque l’on se parle, mais qu’en fait tu ne penses pas trop à moi. Je n’ai pas été gentil non plus en te reprochant un peu ton rythme de vie à New York, et ce serait là une bonne raison pour toi de m’oublier. Car je sais bien que tu n’as pas besoin de ma morale. Mais c’est parce que je t’aime que je m’inquiète pour toi. Et j’ai peur qu’après tout ça tu ne veuilles plus de moi ou que finalement tu ne veuilles pas de relation stable. Mais ça, je sais bien que tu voudras toujours ta liberté, et moi j’apprends à vivre avec la liberté des autres. Regarde Sébastien : lorsque l’on était à Londres, il m’a laissé seul à l’appartement des journées entières alors que je savais qu’il était chez un autre. Moi aussi je l’ai trompé à deux reprises à la fin, comme je t’ai raconté, mais alors je savais que c’était terminé entre lui et moi. J’aime bien l’idée de la fidélité, et moi je suis prêt à être fidèle. Mais je crois que personne que je rencontrerai ne sera fidèle et je me demande s’il ne faut pas apprendre à vivre avec l’idée que parfois notre copain nous trompe. Mais je ne vais pas te parler de ça, je vais plutôt te parler du comment mon retour à Jonquière se fait.

    Je me suis inscrit à l’Université du Québec à Chicoutimi en maîtrise de Littérature. Mais j’aurai bien l’intention de reporter cette acceptation au mois de septembre prochain. En vérité, je me sens mal dans la région, je voudrais partir. C’est cependant une décision très difficile à prendre, d’autant plus que j’ignore où aller. Je voudrais aller travailler ailleurs, me réinscrire dans d’autres universités qu’à Chicoutimi, comme à Montréal par exemple. Mais voilà, je ne veux pas partir pour Montréal maintenant si c’est juste pour aller travailler. Ottawa non plus, ni même Toronto. Il me faudrait plus grand, je voudrais partir pour les États-Unis. C’est mon plus grand rêve, j’y pense chaque jour. Mais là il y a des problèmes. Il m’est impossible d’y demeurer plus de six mois et il m’est interdit de travailler. Alors mes beaux projets de partir pour New York ou même la Californie se feraient dans l’illégalité. Il me faudra sans doute travailler illégalement, à enseigner le français à des particuliers que je trouverais par exemple sur les campus universitaires. Mais pourrais-je gagner suffisamment d’argent ? Ce serait vraiment une tentative de survie. Alors je pourrais repartir pour l’Europe, j’ai le droit de travailler en Angleterre. Mais comme j’arrive déjà de Paris et que j’ai vécu à Londres, il me semble que maintenant je n’aurais plus rien à y apprendre. C’est vraiment New York qu’il me faut. Tu sais, j’ai même pensé rappeler le M. Westman que nous avons rencontré chez Splash, je suis prêt à la prostitution. J’aurai tout de même la deuxième partie de mon prêt étudiant après Noël qui me permettra de bien vivre ou de payer ma chambre jusqu’à ce que je puisse la payer avec des revenus d’emplois. J’aurai environ 2,500 $. Que penses-tu de mes projets ? Est-ce que ce sont des folies ? Si je continue à déprimer ainsi, en demeurant chez mes parents et à souffrir la misère en allant à l’Université, je crois qu’un beau matin je serai à New York à tenter de me débrouiller. J’admets que ce qui m’attire à New York, c’est autant la ville que mon petit Edward à moi. Je serais tellement triste si je savais que pour toi ce n’est pas la même chose, qu’en réalité tu ne voudrais pas trop m’avoir à New York. Je sais en plus que tu serais incapable de me le dire ; la seule façon pour moi de m’en rendre compte serait de constater jusqu’à quel point tu insisterais pour que je vienne te retrouver. Je sais que tu aimes ta liberté et que, si j’arrive, tu auras l’impression de ne plus pouvoir faire ce que tu veux faire et que tu auras l’impression qu’il te faudra me rendre des comptes. Je t’avoue que si j’arrivais à New York avec l’idée d’arrêter ta vie, je suis bien conscient que ça ne durerait pas entre toi et moi. Je ne voudrais certes pas chambarder ta vie. Ce qui me fait penser que, dans le fond, je devrais peut-être demeurer ici tranquille, faire mes quatre mois d’études après Noël (deux cours seulement), et peut-être même partir durant l’été faire un tour des États-Unis, sans nécessairement m’attarder à New York. Et puis, en septembre, je me ferais changer pour une université à Montréal. J’ai le droit de commencer dans la région et de changer pour Montréal si c’est à l’Université du Québec à Montréal (c’est la même université qu’à Chicoutimi). Chose certaine, je n’ai pas envie de pourrir ici trop longtemps.

    Alors, comment ça va à New York ? À quoi ressemble ta routine ? As-tu trouvé un autre emploi. Retournes-tu aux études ? Je garde un excellent souvenir de notre voyage à New York, c’était très excitant de te prendre dans mes bras lorsque Sébastien prenait sa douche. Je me suis souvent masturbé en repensant à toi en train de te masturber sur ton lit, complètement nu, alors que Sébastien dormait avec deux oreillers sur la tête. J’espère que tu me pardonnes parce que je voulais faire l’amour avec Sébastien devant toi, j’étais convaincu que tu aimerais nous voir faire l’amour et que tu te serais masturbé. Je souhaitais même que tu puisses te joindre à nous. Mais le tout a mal tourné. Sébastien ne voulait pas le faire à trois et toi tu as souffert de nous voir faire l’amour. Je me souviendrai toujours de toi lorsque je suis descendu en bas et que tu étais assis par terre. J’ai comme eu une preuve que tu m’aimais vraiment, cela t’affectait tellement. Comme j’aurais voulu te serrer dans mes bras, t’embrasser, faire l’amour avec toi. Comme c’est stupide de m’avoir empêché d’être avec toi parce que Sébastien était là. Regarde aujourd’hui où il est, le Sébastien. Mais c’était difficile, car lui il demeurait dans la même ville que moi, et toi tu découvrais New York à des kilomètres de moi. Mais tu sais, le temps passe et je me rends compte que tu existes toujours, que les temps changent, Sébastien est disparu de ma vie, et qu’il est possible de reprendre là où on s’est laissé. Peut-être que je rêve en couleurs, peut-être qu’en fait tout ce que l’on pourra se permettre, c’est de se rencontrer quelques nuits si ton père vient faire du ski au Mont Sainte-Anne à Québec. Ce serait triste, mais s’il faut se contenter de ça, ce sera toujours ça. De toute manière, je ne suis même pas certain si je pourrais partir pour New York, il me faudrait faire le pour et le contre, le plus dur étant d’affronter mes parents pour leur annoncer une telle nouvelle. Mais j’ai 23 ans et il faut que je fasse ma jeunesse. Après il sera trop tard. Ô Ed, penses-tu vraiment à moi comme je pense à toi ? Suis-je vraiment si loin de ta réalité que je ne suis qu’une histoire du passé juste bonne à être oubliée ? Je me sens comme Maria Chapdelaine qui écrirait une lettre à son amant aux États-Unis qu’elle ne reverra jamais. Et là tu as envie de pleurer toutes les larmes de ton corps. Car elle finit par épouser l’innocent laid qui demeure à côté de chez elle, et que ce con ne la fait même pas jouir. Est-ce là notre histoire ? Quand je me compare à ces stupides personnages de roman qui ne font rien de ce qu’ils veulent faire, et qui sont malheureux toute leur vie, j’ai envie de partir sur le pouce demain matin pour New York. Aller rejoindre l’amour de ma vie que j’ai rencontré à Paris et qui demeure à New York et qui sera heureux de me voir. Je suppose qu’il faut être réaliste. Tu te souviens de notre première nuit ensemble ? Je t’ai touché le bras, puis le bedon, en te disant : « Je ne peux pas faire l’amour avec toi, mais cela ne m’empêche pas de te toucher ! » Et là tu es devenu bizarre et je me suis senti mal. J’ai tout de suite regretté. Mais après tu as enlevé ton T-shirt, et là je ne regrettais plus. Je te touchais, bon Dieu, que je te voulais ! Tu sais, j’ai couché avec trois autres personnes à part Sébastien depuis que l’on s’est rencontrés, jamais je n’ai ressenti, même avec Sébastien, ce que j’ai ressenti avec toi ce soir-là. C’est que j’avais des sentiments pour toi, et j’ai toutes les raisons de croire qu’ils ne sont pas morts. Longtemps j’ai repensé à cette fameuse nuit. Tu te rappelles comment je tremblais ? Que je paniquais à cause de Sébastien ? Ma conscience me rongeait tellement, mais je te voulais tellement ! Tu sais, je t’ai aimé bien plus que j’ai aimé Sébastien. C’était affreux de comprendre que ton copain n’est pas la personne que tu aimes le plus au monde. Je me demande aujourd’hui ce que serait cet amour si on se revoyait. Enfin, je dois te laisser, je t’écrirai bientôt. Bye !

 

 

 

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    Je végète à regarder les plafonds. Est-ce que je redécouvre la joie de chercher quelqu’un, ou bien la misère de ne pas trouver quelqu’un ? Hier, je me suis endormi en repensant à ce jeunot de Sylvain. Me disant que ce serait une grosse erreur, que dans le fond on n’a rien en commun. En plus, j’ignore s’il s’intéresse à moi, bien qu’il m’ait donné son numéro de téléphone. Peut-être que lorsque je le reverrai, je serai en mesure de dire s’il m’intéresse, au pire juste pour coucher avec lui. Mais encore là, mon style est bien différent. J’aime ce qui est plus vieux que moi, ou alors grand et fort. Pas un enfant maigre de vingt ans qui n’a pas encore terminé sa crise d’identité. Il faut cependant avouer qu’il a de très beaux traits, ses petits yeux bleus, son petit regard absent. Mais ça c’est parce qu’il était gelé ben dur, et je ne suis pas certain que ce ne soit qu’au hasch. Hier, je me disais que je régressais vraiment. Combien j’en passerai de ces hommes dans les bars avant de tomber sur un avec qui ça pourrait être durable ? Je ne me vois pas développer des sentiments pour Sylvain, encore que l’avenir est incertain. Il est à l’heure des découvertes, je suis à l’heure des bilans. J’ai de la misère à croire que j’aimerais le sexe avec lui. Trop maigre, trop efféminé, en fait, ce sera moi l’homme du couple dans ce contexte. Je vais le mettre au pas, l’enchaîner aux pattes de son lit, le pénétrer jusqu’à ce qu’il crie et qu’il pleure. On va le faire pleurer pour une bonne raison cette fois. Je crois que je suis en dépression, et le pire c’est que j’ignore pourquoi, quelle en est exactement la cause. Sébastien ? N’avoir personne ? Ne pas avoir la bonne personne ? L’ennui ? Quelle motivation me reste-t-il ? Aucune. Le sexe ne me tente pas ; l’aventure, j’en reviens. Un down post-Europe. Un down post-études. Un down post-vie. Le dilemme, je voudrais que Sylvain m’appelle, mais je redoute cette rencontre. Je ne suis pas convaincu qu’il m’intéresse, et parfois je me demande si son ami n’était pas mieux. Plus traditionnel en tout cas. Le problème avec ces jeunes (quoique je sois presque aussi jeune), c’est que leur beauté n’est que jeunesse. Cette beauté sera disparue aussitôt les vingt-cinq ans atteints, trente avec de la chance. Mais je ne parle que du visage. Bien sûr, ils pourront toujours s’entraîner, demeurer beaux jusqu’à quarante ans, avec de la persévérance. Misère, je ne sais plus quoi faire. Je ne puis tout de même pas sortir encore ce soir. J’ai bien envie de l’appeler, le mormon. Lui demander une entrevue que j’escompte bien passer avec succès. Mais sa sœur est encore là, c’est vrai. Attendons demain. Lorsqu’il n’y aura personne ni ici ni là-bas. M’arranger pour le rencontrer dans un coin noir, chez lui de préférence, le déshabiller, le prendre dans mes bras, embrasser son visage de vierge, découvrir sa bite, la mettre dans ma bouche si elle n’est pas trop écœurante. Il doit être circoncis, plusieurs le sont en Amérique. Après je verrai plus clairement et je verrai à m’en débarrasser. C’est ça la vie, autant le dire tout haut. J’ai l’impression de me revoir voilà trois ans. Peut-être me redonnera-t-il l’innocence que j’avais alors, ma folie et surtout ma désinvolture, qui m’ont causé tant de problèmes à l’Université d’Ottawa et que j’ai bien dû étouffer rendu à la Sorbonne.

    Libération ! J’ai envie d’exploser ! Traverser le parc des Laurentides avec la musique au boutte dans le char. C’est ça la joie, les folies. Et juste avant d’arriver à Québec, retourner sans même atteindre la ville. S’il y avait une route infinie vers le nord, comme je crois qu’ils vont en ouvrir une bientôt, alors ce serait encore mieux. Ne jamais arriver nulle part, c’est là que l’on rencontre la force et l’énergie nécessaires à notre survie. Paris, Londres, Montréal, New York, tout cela te mange sans merci, t’aveugle, t’assomme. Tu es plus fort isolé seul quelque part qu’enfermé dans un deux-pièces d’une de ces métropoles. Je ne suis plus d’accord que le Saguenay-Lac-Saint-Jean soit un trou. Au contraire, enfermez-vous à Paris un an de temps et vous viendrez me dire si ce n’est pas pire. Aurai-je le courage de téléphoner à Sylvain demain ? Jusqu’où tout cela va me conduire ? Au fond du nord des Amériques ? Ou au ciel...

 

 

 

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    Ma peur du rejet aura été de courte durée, je le rencontre demain après-midi. Il n’a même aucun scrupule à manquer un de ses cours pour me voir le plus tôt possible. Mais il veut demeurer cool, alors il veut donner l’impression de ne rien brusquer. Il a couché avec tellement de monde qu’il ne les compte plus, et refuse de me laisser entrevoir combien. Bon Dieu, ça a vingt ans, ça a couché avec le peuple en entier, et ça me raconte ses soirées de sexe dans les saunas et les petites chambres à l’arrière. Mais je passe par-dessus, je m’en fous. La seule chose, c’est que c’est bien certain que l’on n’aura jamais une relation à long terme. Trop volatile, et j’imagine qu’il y en a encore plein d’autres dans le décor. Dieu que notre conversation téléphonique fut d’une platitude extraordinaire. En plus il ne voulait plus raccrocher. Le pire, c’est que l’on a énormément de choses en commun, tous les deux on s’est ramassé en Alberta pour un échange étudiants, tous deux on a fait le tour de l’Europe au même âge. Le hic, c’est qu’il me ramène constamment trois à quatre ans en arrière. Comme si je devais apprendre de lui des choses que je n’ai pas su apprendre lorsque j’ai vécu tout ça. Mais moi je peux pratiquement lui prédire ses trois ou quatre prochaines années, en commençant par son prêt ordinateur qui lui coûte une fortune en intérêts et dont il aura bien du mal à se débarrasser. Je ne suis pas certain que ça me tente de coucher avec lui, et je ne crois pas que l’on puisse même devenir des amis. J’ai passé à un cheveu de tout annuler lorsque je lui parlais. Mais enfin, ça ne coûte rien de le voir demain. Encore qu’il me faille attendre que les fauteuils de chez Tanguay soient livrés avant de m’enfoncer dans l’interminable système d’autobus de ville qui m’emmènera de Jonquière à Chicoutimi en environ une heure trente. Et s’il faut que l’on fasse l’amour, fera-t-il les premiers pas ? Il doit bien avoir de l’expérience, plus que moi. Peut-être me violera-t-il ? Pourquoi pas ? Mais j’avoue que ce ne sera pas si pire si cela devait arriver. De toute manière, coucher avec lui me donnera l’impression de faire quelque chose d’illégal.

    Et Sébastien qui m’appelle maintenant tous les jours pour se convaincre que l’on va revenir ensemble dans des temps futurs, genre dans quelques années. Il me demande si je suis sorti, je lui réponds que non. Ça lui évitera de m’oublier trop rapidement. Ed m’a téléphoné de New York aujourd’hui. Depuis le temps que je veux sauter dans un avion et aller le rejoindre à New York, comme la conversation que j’ai eue avec lui à Londres lorsque moi et Sébastien c’était terminé. J’aimerais tester l’amour que j’ai pour lui, voir s’il pourrait grandir et demeurer fort. J’ignore ce qui me retient de partir pour New York, en fait c’est la seule chose qui me tente dans le moment. Je dis tout à ma sœur ces temps-ci, elle sait que je rencontre le Sylvain demain. Est-ce bien ou mal de tout dire ainsi à sa sœur ? Et elle, est-ce qu’elle me dit tout lorsqu’elle me raconte ses problèmes ? Comment savoir... peut-être l’a-t-elle trompé son Martin, peut-être que lui l’a trompée, qui sait. Eux, ils sont muets comme des truies. J’ai encore appris bien des choses sur mon père que l’on a réussi à me cacher pendant 23 ans.

    Oups, même pas eu le temps de terminer ma phrase que le loup m’appelle. Il veut manquer son cours de ce soir et m’invite à aller chez lui dans la soirée. Mon Dieu ! Il a dix-huit ans ! En Angleterre, il ne serait même pas majeur et je serais passible de prison si on apprenait que j’ai couché avec lui ! Je ne veux pas y aller et là il m’attend ! J’ai fait croire à mon père que je rencontrais sa sœur, Marie-Andrée. Horreur ! Je ne crois pas qu’il me prêterait son auto s’il savait que je m’en vais peut-être corrompre un jeune (même si dans le fond c’est lui qui va me corrompre). Ah oui, ai-je dit que dimanche prochain il participe au concours de travestis du 1891, un bar gai de Jonquière ? Il dit que ça va être le fun de s’habiller en femme et de se maquiller, il veut du support moral, mon support moral. Que devrai-je faire ? Il est trop capoté pour moi...

    Voilà, c’est fait, j’ai couché avec lui. J’arrive de Chicoutimi. Il était bien moins beau que lorsqu’il flottait dans les Alpes. Mais il avait tout de ce que Sébastien recherche chez quelqu’un. Sébastien aurait adoré ce jeunot, voilà peut-être pourquoi j’y suis allé. Mais moi il me faut du plus vieux que moi et du plus fort. Malgré son petit visage d’ange et son petit bedon avec nombril ressorti. Eh, bon Dieu, non seulement il ne m’excitait pas sexuellement, mais en plus j’ai comme été obligé de coucher avec lui, sinon il m’aurait certainement trouvé stupide, ou j’avais l’impression qu’il me jugerait. Lui, c’était clair qu’il voulait, bien que ça lui ait pris une heure avant de poser sa main sur mon dos. Je me suis levé à deux reprises pour aller aux toilettes afin d’éviter que ça ne se fasse. Et lorsque je lui ai dit que l’on n’avait pas besoin de coucher ensemble, il m’a répondu qu’il ne dirait pas non. Et puis à un moment donné je lui ai dit que lorsqu’il voudrait que je parte, il n’avait qu’à me mettre dehors. Il m’a vite rappelé à lui en disant qu’il me le dirait bien quand il voudrait que je parte. Lui, il était déjà en érection, moi ça m’a pris plus de trente minutes pour bander. Il avait bien plus d’expérience que moi, il m’a effrayé. Comme j’étais certain que je n’allais pas bander, je me suis dit qu’il fallait peut-être que l’on se déshabille. Lorsqu’il a commencé à me toucher un peu plus, j’ai enlevé mon T-shirt. Il est demeuré surpris et a affirmé que j’étais pas mal beau (heureusement j’ai perdu un peu de poids depuis que je suis à Jonquière). Là il s’est déshabillé, gardant juste ses boxers. J’ai fait de même. Même dans ses bras, presque nu, je ne bandais pas. Je lui ai dit que j’étais mal à l’aise, il s’est installé nu sur moi et m’a lancé qu’il saurait bien me mettre à l’aise. Il s’est mis à me sucer, me lécher les couilles et même le trou du cul. Et puis à un moment donné j’ai défigé, je l’ai sucé à mon tour et j’ai bandé. Il a rentré mon doigt dans son derrière et poussait pour que je l’enfonce davantage. J’ai comme l’impression qu’il va aimer ça, la pénétration, lui. Ensuite on est allés prendre un café sur la rue Racine, une longue conversation totalement insipide a suivi. En plus il parlait tout seul, je n’avais rien à dire. Nous n’avons rien en commun, j’ai peur qu’il n’ait absolument rien à m’apprendre. Il pensait que j’allais payer son espresso. Je m’excuse, je ne suis pas de cette génération et je ne paierai pas des cafés à des gens qui ont presque mon âge et qui ont plus d’argent que moi. Au moins je me sens beau. Sylvain disait comme Ed que j’avais de belles fesses. C’est encourageant, car je ne me retrouverai certes pas seul si jamais Sébastien et moi ça ne revenait pas. Mais je veux une relation à long terme, je ne jouis à plein que dans ces conditions. Et là je pense que ça m’en prendra du temps pour en arriver à le retrouver, cet être parfait pour moi. Pas Sylvain, ça c’est certain. Je ne dirai pas non s’il veut me revoir, mais je n’insisterai pas et je serai bien content s’il ne me rappelait plus. Mais il va me retéléphoner pour sûr, il aime bien parler inutilement au téléphone. C’est bien de valeur, mais moi je déteste parler au téléphone. Ah oui, dans ses toilettes il y avait une bouteille de Kwellada, lotion pour se débarrasser des crabes. Ce n’est pas très encourageant, même s’il m’a affirmé qu’il s’agissait de la gale, et que cela est connu pour s’attraper juste par une poignée de main. Il m’a dit aussi s’être fait violer à Montréal lorsqu’il avait quatorze ans, mais que cela n’a absolument rien à voir avec le fait qu’il soit homosexuel. Je n’ai pas vraiment envie de le revoir, car je n’ai absolument rien à lui dire. De toute façon, il appartient à cette race de gens qui parlent sans cesse sans te laisser la chance de dire un mot, et que l’on doit appuyer et écouter religieusement. Fuck it, moi j’appartiens à cette race de gens qui est incapable de souffrir des gens comme ça. Mais si je me souviens bien, ma première discussion avec Sébastien fut bien longue et bien éprouvante. La vie est mal faite. Ah oui, il m’a réinvité à son concours de travestis de dimanche soir prochain. Comment m’en défaire ? Il veut toujours sortir, moi j’en ai mon quota de sortir.

 

 

 

 

 

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    Étrangement Paris ne me manque pas du tout, j’écoute la télévision tous les jours pour voir jusqu’à quel point ils s’enfoncent dans leur grève généralisée illimitée, et je jouis de ne pas y être. Pire, lorsque j’entends un Français parler, le mal de ventre me prend. Une réaction que je ne saurais expliquer, sinon que j’y ai souffert en maudit pour que le seul nom de France me donne de l’urticaire. Même la littérature française me fait tourner les poumons. Tout cela me pousse vers Londres. Je m’ennuie tellement de l’Angleterre ! Je veux y retourner, je veux y habiter, pour toujours ! En plus je le vois tous les jours sur cassette vidéo. J’ai retrouvé mes anciens enregistrements, il n’y a que des vidéos de Londres là-dedans. Même que j’ai l’impression que Duran Duran a tourné The Chauffeur sur Harrow Road et la A40, à la hauteur de Royal Oak et Paddington. C’est chez moi ça ! Quelles images extraordinaires, avec en sourdine le lesbianisme. J’adore l’anglais, j’adore les Anglais, j’adore l’Angleterre, vive le colonisateur ! La reine Élisabeth II, avec moi pour toujours, sur mes billets et mes pièces de monnaie. Je ne suis même pas fédéraliste, je suis monarchique. Je veux la restitution des pouvoirs à la reine immédiatement. Je veux qu’elle reprenne le contrôle de toutes ses colonies, et je veux un passeport anglais. Au diable les Français, je ne veux plus rien savoir des séparatistes. J’accepte de ne plus être une voix pour ma génération en disant ces choses, au diable ma génération ! Qui veut faire partie d’une génération lavée du cerveau de toute manière ? Ma nature est également d’aller à l’encontre de toute chose que l’on tente de m’imposer, et le plus fort ils essaieront, le plus fort je me battrai. Il fallait bien s’y attendre que j’en arrive là. Il faut sortir de chez soi pour aller voir ce qui se passe ailleurs. D’ailleurs, mon petit Sylvain n’a même pas une cassette de musique francophone dans sa collection. Que de l’anglais, sauf Beau Dommage. Quel hypocrite ! Que mange-t-il le matin ? Du pain baguette avec un espresso ? Pas du tout, des œufs, du bacon, des toasts et du café anglais. A-t-il seulement déjà mangé de la cuisine française ?

 

 

 

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    Ces temps-ci j’ai envie de faire des folies. La première, me teindre les cheveux en rouge vif, après décoloration à l’acide. Il en faut beaucoup pour se développer une personnalité particulière. Cette peur d’autrui, le terrible jugement d’autrui. Ils voudraient que l’on meure dans le conformisme social, et je ne parviens pas à comprendre pourquoi. En fin de compte, n’admirent-ils pas la différence dans les arts ? Oh non, la seule différence qui s’impose, c’est à feu et à sang, après des siècles, après qu’un génie conformiste ait imposé sa différence. C’est dans ce simple esprit de la marginalité que mon Sylvain s’en va faire son show de drag-queen ce dimanche. Je l’admire pour ça, car ce n’est pas dans sa nature, il ne cherche pas par tous les moyens à se déguiser en femme. Il le fait par pure folie, et moi, cela, je ne le ferais même pas, alors je l’admire. Si c’était dans sa nature même, là je le renierais. Par préjugé, je le rejetterais pour incompatibilité avec ma nature trop fermée. Il n’y a rien qui m’attire chez un travesti, peut-être est-ce différent pour d’autres ? Je ne comprends pas leur nature, et en vérité je suis loin du problème, je ne pourrais donc juger quoi que ce soit. L’autre folie que je m’offrirais, serait celle d’aller retrouver mon Ed à New York. Tout abandonner, me foutre de mes parents, sacrer le camp. Cette idée grandit en moi, j’ai vraiment envie de le faire, voir où cela me conduirait. Mais Ed voudrait-il seulement me recevoir ?

    Je ne sais plus quoi faire de ma peau, et ma belle-mère n’arrête pas de me tomber sur le dos. J’ai fait quelques appels téléphoniques longue distance, et aujourd’hui elle m’a dit que si je voulais en faire, je devrai payer. À ce rythme il est totalement impensable qu’ils ne me demandent pas de pension bientôt pour habiter là. Je n’ai point d’autres choix que de trouver un emploi et de déménager. Je ne puis plus endurer le terrible sentiment de culpabilité qu’ils m’offrent à chaque action que je fais.

    Je n’ai plus envie de pourrir au Saguenay. Tous ils sont misérables, se pensent misérables et me communiquent trop bien leur misère. Je me pensais suffisamment fort pour confronter cette misère, je me croyais au-dessus de la misère, après l’avoir si souvent combattue dans les dernières années. Mais leur misère est trop terne, elle est pire que tous mes problèmes réunis. Cette misère t’attire au fond d’un gouffre et t’empêche de voir la lumière au bout de la route du parc. Il n’y a pas d’avenir possible, il n’y a qu’une misère amère comme destin. C’est ça le Saguenay. Il n’est point permis de rêver ici, car on a une pensée régionale, des idées qui se buttent aux frontières du Parc des Laurentides. Même l’avenir n’a pas d’avenir, car il est entaché de cette misère pessimiste. Il me faudrait une bourse qui me tombe du ciel, je déguerpirais immédiatement pour n’importe où, sauf la région du Saguenay-Lac-Saint-Jean. New York en l’occurrence. Jusqu’à aujourd’hui je me croyais ici par choix, mais ce sont les circonstances. Et dans ces conditions, il me faut absolument retrouver ma liberté. Ou du moins mon sentiment de liberté. Il me faut au moins avoir l’impression d’être quelque part et de vivre avec certaines personnes par choix, et non par obligation. Sinon la vie ne vaut plus la peine d’être vécue. Le passé, je le fuis comme c’est possible dans le contexte actuel. Sébastien, c’est du passé. Je voudrais rebâtir ma vie ailleurs, dans la solitude. Je crois que j’ai une décision à prendre. Remettre mes études à plus tard, partir d’ici, de la région, peut-être même du Québec. Je ne serai jamais assez loin de mon passé.

    Première étape, New York. Voir si je peux trouver M. Westman, qu’il m’accorde ce dont j’ai besoin pour survivre, je suis prêt à la prostitution s’il le faut. Si rien ne fonctionne, que je ne puisse trouver de revenu, je m’envole pour l’Angleterre. Là au moins je peux travailler et j’ai même des amis. Et puis, je n’oublie pas Ed à New York. Ne l’ai-je pas souvent appelé le deuxième amour de ma vie ? Peut-être serait-il temps de corriger cette phrase, peut-être n’est-il que le seul amour de ma vie ? Dieu, que l’aventure me tente. Encore quelques jours de calvaire et je crois que je ferai ma valise en laissant une note sur le comptoir.

    L’idée de partir pour n’importe où avait disparu à mon lever. Une heure de tétage dans la maison l’a ramenée en force. Avant la fin de la journée, je me serai ou bien tiré une balle, ou bien j’aurai pris la décision de partir.

 

 

 

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    Eh bien, mon histoire de sexe avec Sylvain est en train de tourner au drame d’horreur. Incapable de m’en tenir à ma première volonté, avec cet ennui qui me ronge, ce soir je l’ai appelé et il m’a invité à venir chez lui. Toute la soirée nous sommes demeurés dans les bras l’un de l’autre, habillés, comme de vieux amoureux de longue date. Ensuite sans gilet, à s’embrasser, pendant un certain temps, puis en boxer pour un autre certain temps. Il a des films de cul où on voit un gars entrer sa main et son bras au complet dans le derrière d’un autre. Ensuite, il lui entre une sorte de corde remplie de grosses boules rouges, le toupet m’en est resté collé à l’écran. Comment peut-on entrer toutes ces boules là-dedans ? Et là, je regardais le visage de la pureté juste à côté de moi, avec son corps non encore formé, je me demandais comment il avait pu se procurer ces films illégaux. Puis tout s’est transporté dans le lit. Le problème, cette fois, c’est que ça ne m’a pas pris une demi-heure pour bander, j’ai éjaculé dans les premières cinq minutes. Alors c’était comme un peu mêlant, ça a brisé le rythme et il n’a pas éjaculé. J’en ai quand même trouvé matière à m’inquiéter, en fin de compte il n’est pas venu et cela m’affecte. C’est pourquoi ça tourne au drame d’horreur. D’autant plus qu’il ne m’excite pas tant que ça, même si ce soir je ne pouvais plus me contenir. Une vraie petite bombe sous pression, j’étais heureux de le voir. Mais il manque quelque chose. Oh, mon Dieu, pendant trois heures il m’a raconté tous les coups qu’il a faits à ses professeurs dans le passé, comment il s’est fait mettre dehors de l’école à deux reprises. Et puis il faut toujours qu’il me raconte ses aventures avec des hommes de trente-cinq ans qui ont des BMW qu’il finit par conduire, car ils sont trop drogués pour prendre le volant. À propos, il m’a raconté comment il s’était procuré de la coke (pour un de ses amis qu’il dit) d’un Hell’s Angels dans un bar connu de Jonquière. C’est la serveuse du bar qui lui a dit de revenir cinq minutes plus tard. Il a acheté un cognac qui lui est revenu à 28.50 $, la coke est venue en bonus. Puis il exhibait sa petite pipe à fumer sur la table du salon, qui jonchait à côté de la grosse pizza de Pizza Hut. Pendant un instant je me demandais s’il ne m’avait pas fait venir juste parce qu’en retournant à Jonquière, je pouvais le laisser en passant au bar 1891. Ça m’a fait mal de le laisser là, sans que moi j’y aille. Il y retourne demain qu’il dit, et hier il est sorti. Alléluia, il passe sa vie dans les bars. À se demander comment il réussit ses examens (il en avait trois aujourd’hui !). Il a passé le reste des nuits passées à surfer sur l’Internet. Même comme ami, nous ne sommes pas au même niveau. Cette fois j’espère que j’ai compris et que je vais attendre qu’il m’appelle. Et puis que vais-je faire s’il m’appelle ? Vais-je retourner le voir ? Peut-être. Enfin, j’aurai une preuve qu’il s’intéresse vraiment à moi, mais je semble ne pas vouloir comprendre qu’il ne m’intéresse pas tellement. C’est que j’ai trop d’orgueil. Je suis avec lui car je sais que c’est probablement ce que chacun rêve d’avoir comme copain, en plus je voudrais aller jusqu’au bout de mon jeu. Je voudrais être bien certain qu’il est accroché pour vrai, pour me dire après coup : ah ah, et Sébastien qui tuerait pour avoir ça, et moi qui en pêche un le premier soir, et qui réussis à le sortir de l’eau, et qui aime tellement ça qu’il en redemande. Et le pire, c’est que je le joue pour vrai, mon jeu : je jouis et je souffre, l’un ne va pas sans l’autre. Peut-on devenir dépendant d’un jeu ? Le pêcheur peut-il devenir la victime et être pêché à son tour ? C’est ce que je découvrirai peut-être, mais j’en doute. Je ne suis pas attaché à ce petit égaré, mais il m’est bien facile d’affirmer des choses que le lendemain je suis prêt à contredire. En tout cas je ne sortirai pas cette semaine, je vais attendre que François arrive de Montréal. Il est inutile de multiplier les relations, ce n’est pas dans les prochains jours que je vais rencontrer le futur amour de ma vie. Ah oui, la seule chose qui fonctionnait bien ce soir sur l’Internet, c’est toutes les scènes de cul et la pornographie pas mal effrayante d’hommes assez impressionnants que Sylvain dégustait (encore un marché illégal). Un vrai pervers ce Sylvain.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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    Je ne suis pas sorti ce week-end, je n’ai plus rappelé Sylvain. Je suppose qu’il est sorti trois jours en ligne. Je pourrais encore aller au bar 1891, il n’est que 23h ce dimanche. À mon avis il participe au concours de travestis, et juste pour ça je devrais y aller. Mais il faudrait que je me lave, que je m’y rende à pied, que je revienne ensuite, et puis comment expliquer à mon père que j’ai décidé de sortir ce soir ? En plus je n’ai pas le courage d’entamer des conversations, mais je sais que cette semaine je vais m’ennuyer atrocement, et probablement que Sylvain se trouvera des raisons pour ne pas me voir, et puis je ne veux plus le voir. Ce matin j’ai appelé Sébastien à Ottawa, lui affirmant que j’étais prêt à tout laisser tomber pour aller le rejoindre. Me foutre de la maîtrise pour le suivre à Montréal ou Toronto. Il n’a pas été très enthousiaste, il m’a répété plusieurs fois qu’il valait mieux que j’entre en maîtrise ici à Chicoutimi. Une bonne claque dans la face. Alors je lui ai dit qu’il ne m’aimait plus, qu’il continuait de croire que notre relation ne fonctionnait pas, que dans le fond il ne me reste qu’à l’oublier. Ce à quoi il a répondu que je lui faisais du chantage. Pff, crève dans le fond d’Ottawa ou ailleurs, je doute que l’on se revoie un jour. Lorsque je lui ai dit que j’allais bientôt lui rendre les sept cents dollars que je lui devais, il m’a dit qu’il s’agissait plutôt de 1000, et que justement il voulait m’appeler pour me demander quand j’avais l’intention de les lui rendre. Trois semaines de séparation et rien ne semble avoir changé dans son esprit. Il semble pris avec les mêmes démons, à m’accuser de mille et une choses. Il me semble qu’aujourd’hui j’ai eu une réponse claire, il ne veut rien savoir de revenir avec moi. Ou disons qu’il aurait besoin d’un bon six mois pour décompresser, car il insiste pour me dire qu’il m’aime et qu’il veut revenir avec moi un jour. Il maintient qu’il n’est pas sorti une fois depuis qu’il est revenu, et qu’il n’a rencontré personne. Si cela est vrai, moi je ponds un œuf. La vie serait si simple si je savais que je ne devrais pas compter sur lui, si je connaissais vraiment ses intentions, si je savais qu’il ne s’empêche pas de vivre maintenant qu’il a redécouvert sa liberté. Mais il demeurera muet sur tout, et moi je souffrirai dans mes faux espoirs qui m’empêcheront de prendre des décisions radicales, comme de partir aux États-Unis ou de retourner en Europe. Ah oui, hier j’ai vu une émission sur Paris où on a vu Édith Piaf nous interpréter quelques chansons, parfois doublées par des images de la ville. Voilà que le cœur m’a fendu en quatre et que Londres n’existait plus. Voilà que je suis prêt à retourner à Paris. Mon Dieu, que la vie est complexe.

 

 

 

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    Je viens de téléphoner à mon ami Sylvain. Il veut me voir demain. Il m’a confirmé être sorti les trois soirs en ligne et avoir participé au concours de travestis du bar 1891. Mais ça je le savais. Je ne regrette pas tellement de ne pas y avoir été, peut-être n’aurais-je pas survécu au choc. Je lui ai demandé si, dans les trois soirs et les endroits où il est sorti ce week-end, il avait rencontré quelqu’un. Il me dit que non, le monde n’est pas si intéressant et ils se connaissent tous. Je le crois, et je me demande si ce n’est pas une chance si, finalement, j’ai pu me le farcir celui-là. Comme d’habitude, le premier jour tu rencontres quelqu’un, tu te dis que ça a été tellement facile que tu peux le laisser retourner à l’eau, la semaine d’après tu en rencontreras autant que tu voudras. Mais voilà, la semaine d’après tu y retournes et six mois plus tard tu te rends compte que le premier, aussi incroyable que cela puisse paraître, c’était le bon (comme avec Sébastien). Je lui ai demandé pourquoi il avait couché avec moi. Il m’a répondu qu’il en avait envie et qu’il me trouvait vraiment beau. Voilà qui vient à point, j’avais l’impression qu’il ne voudrait peut-être plus me revoir. Je semble vouloir développer une vraie relation, seulement tous les règlements sont remis en jeu. C’est-à-dire qu’il me faudra accepter Sylvain et son univers. Il devra toujours sortir, fumer, se droguer, et probablement s’en farcir une série à mon insu. Si je sais tout cela dès le départ, d’accord, je suis prêt à embarquer là-dedans. Mon Dieu, en plus il n’est même pas mon style. Au moins s’il m’excitait, mais là je semble plutôt attiré par sa personnalité. On dirait un vrai paquet de nerfs qui me tombent là sur le plancher, et je me demande quelle utilisation je peux faire de ça.

    Ma demi-sœur est ici aujourd’hui, je crois qu’elle m’entendait parler. Oh, God, ce ne sera pas drôle tantôt s’il faut qu’elle raconte tout ça à sa mère. On a parlé de cul, de sexe, de pornographie, de drogue, de travestis, de matelots gais qui débarquent à La Baie sur des bateaux et qui sont en manque de sexe, sans oublier notre fameuse première nuit d’amour où Sylvain me rappelait combien de spermatozoïdes on avait dû gaspiller, tous les enfants que cela aurait pu faire (on a rempli une vingtaine de papiers mouchoirs). Je lui ai dit de ne pas m’écœurer avec ça, les hétéros font en moyenne 1.6 enfant en ce moment, donc pas de sentiment de culpabilité possible, eux aussi perdent tout leur stock, en commençant par ma demi-sœur et son copain. Eux, un mouchoir doit suffire, je le sens. Tout à coup je me sens bien, je me sens comme quelqu’un qui n’est pas désespérément seul, à la recherche impossible du temps perdu. Je suis heureux, parce qu’en plus je ne sors pas avec un gros laid qui te donne l’impression de tout manquer de ce qui se passe en société ailleurs dans le monde, mais avec un jeune très beau qui jouit dans le feu de l’action. Demain, on marchera ensemble sur la rue Racine et j’aurai l’impression de ne rien manquer de ce qui se passe ailleurs. Je pense que j’ai un statut particulier avec lui, je pense que même s’il couche avec mer et monde, moi je ne suis pas juste de passage, jusqu’à ce que je veuille passer mon chemin. Mais attention, je pourrais bien tomber de très haut. Mais encore là, ce ne serait pas si grave.

 

 

 

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    Ma soirée avec Sylvain a été on ne peut plus bizarre. Je suis arrivé vers 21h du centre d’achats Place du Royaume avec des poutines. Je sais qu’il aime ça, il était heureux. Après m’être promené sur les réseaux de cul en Norvège et au Festival de Cannes sur Internet, on a parlé. Il est devenu pas mal profond, tellement que je lui ai proposé d’aller faire un tour dehors. Pour lui remonter le moral, je lui ai dit que je l’admirais pour tout son vécu, que moi je me trouvais nul d’être passé à côté de ma jeunesse. Alors il m’a dit que c’était le temps ou jamais d’en profiter, que l’on était jeune qu’une fois et qu’il fallait que je la vive ma jeunesse. Mais lorsque je lui ai demandé qu’il me conseille sur les actions que je pourrais me permettre de poser pour que jeunesse se fasse, la seule chose qui lui est venue à l’esprit, c’est le concours de travestis du bar 1891. Il m’affirmait qu’il fallait que je m’amuse avec les autres, que j’embarque dans le jeu. Et là je crois que je me suis rendu compte que j’étais une grosse mémère pantouflarde qui ne voyait même plus l’intérêt dans ces sortes de choses. Pour moi faire ma jeunesse ce serait de partir pour les États-Unis juste après Noël, au lieu d’aller m’inscrire le 5 janvier comme mon acceptation à l’université me le confirmait aujourd’hui. La vie est triste. Les grandes décisions devraient toujours être les seules que l’on devrait prendre. Les ignorer, ça c’est vraiment s’enfoncer jusqu’à la mort et ça enlève tout but à l’existence. On peut toujours attendre quelques mois, quelques années, il sera alors toujours trop tard. Les grandes décisions ne peuvent se prendre qu’une seule fois, car après, tous les éléments ne sont plus en place et la destinée a fait son chemin sans nous. C’est ça les gens qui passent à côté de leur vie, les gens qui demeurent enfermés dans leur petit appartement, ne sortant que pour aller travailler et faire l’épicerie, un restaurant à l’occasion. Qu’auront-ils appris ? Quelle magnifique expérience auront-ils acquise après toutes ces années ?

    La vie n’a plus de sens, elle est d’une platitude illimitée. Je n’ai plus motivation en rien, c’est probablement parce que c’est Noël. Je me mets sur Pause. À part ça, rien d’intéressant dans les bars, c’est décourageant. Presque envie de rappeler le Sébastien qui, lui, a peut-être plus de succès.

    Sortir hier au 1891 m’a achevé. La neige dehors me tue. C’est beau, mais en ce moment je trouve ça ennuyant. J’ai l’impression d’être perdu loin de tous les gens que j’aime, de tous mes amis que j’ai rencontrés cette année, me voilà pourtant chez ma famille. Ils sont heureux de me revoir, malheureusement je n’ai que l’envie de repartir. Je sais très bien qu’hors des murs de la région, je puis recommencer une vie, rencontrer quelqu’un, étudier plus tard durant l’année. Cette décision n’enchanterait pas mes parents. Vivrai-je donc tant que ça encore à la remorque des parents ? À 23 ans, incapable de prendre mes décisions, faire ce que je veux de ma vie ? À quel âge vais-je enfin être en mesure de faire ce que je veux, quand je veux ?

 

 

 

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    Je viens de téléphoner chez Sébastien. Je crois que je viens de décrocher de tout à la fois. Il a découché cette nuit et sa mère s’est sentie bien mal à l’aise, car elle a bien compris qu’elle m’en avait trop dit en me disant qu’il n’avait pas couché là cette nuit. Elle a ajouté qu’elle n’était pas certaine. En se reprenant, elle disait juste qu’elle ne l’avait pas vu ce matin. Or, elle se lève à 5 heures du matin, il me semble qu’elle devait bien voir la chambre vide de son fiston. J’ai la nette impression qu’elle est responsable de bien des problèmes dans ma relation avec Sébastien. Elle s’imagine revenir à un rien de stabilité en me voyant disparaître, mais bien au contraire. Elle va entraîner Sébastien dans une roue sans fin dans le monde gai. Que ça m’a fait mal ! Mon Sébastien a dormi bien au chaud toute la nuit dans le lit de quelqu’un peut-être extraordinairement beau ! Et moi je n’ai eu que deux petites branlettes inintéressantes avec un enfant de 18 ans, et je n’ai même pas aimé ça ! Ma place n’est pas ici. Au diable les études, il faut que je parte. Je passe à côté de la vie, de l’action. Je vais mourir dans cette petite vie misérable régionale, malheureux. Je n’ai plus envie de rien, je veux me débarrasser de tout le monde. Il me reste quatre jours avant de commencer les études, il faut que je prenne une décision dans ces quatre jours. Prêt à partir tout de suite. J’ai quelques destinations possibles qui sont dans l’ordre : New York, Ottawa, Toronto ou Montréal (selon Sébastien), Los Angeles, Londres, Paris.

 

 

 

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    On vit ou on se fait enfermer comme Nelligan. On est Rimbaud ou on est Nelligan. Et moi je suis Rimbaud. Moi, je vais aller le plus loin possible de mon passé, le plus loin possible de mes problèmes, le plus loin possible de ma misère. Paris en dernière position, il est rendu bien bas dans mon estime, mais il est encore sur la liste. Plus que quatre jours pour prendre une décision. Je crois que je vais compter les minutes. Si je pars, je crois que je ferai mes bagages à l’insu de tout le monde et je leur annoncerai à la dernière minute. Ma décision sera prise sur un coup de tête. Combien de temps pourrai-je survivre avec 2,000 $ ? Juste le temps de me trouver un emploi qui me permettra de payer la chambre où je serai. New York me semble être le plus sécuritaire, je peux habiter chez Ed pendant trois semaines sans problèmes. Ça me laissera le temps de chercher quelque chose, rencontrer du monde, insister pour que l’on m’aide. Il me faut encore aller manger chez ma mère, c’est le jour du nouvel an. Encore un repas demain matin chez les grands-parents, un autre demain soir chez mon père. J’en ai ma claque ! Les études, j’en ai ma claque !

    Dans deux heures ce sera le nouvel an. Je suis seul, comme un ver de terre au milieu d’une autoroute. Thomas, mon nouvel intérêt, fête avec ses amis et je ne suis pas invité. Je peux comprendre pourquoi, je ne les connais pas suffisamment. Et Maurice, son copain, ne comprendrait pas la motivation de Tom à m’inviter. Mais Tom n’a sûrement pas l’intention de m’inviter de toute manière, parce qu’il me juge comme une menace, surtout quand Maurice est là. J’ai téléphoné le Sébastien cependant. Son histoire est qu’il a couché chez Gordon, car ils sont sortis hier et le colocataire de Gordon avait trop bu pour le reconduire. Je suis cave de croire une telle histoire. Que voulez-vous ? Il a tellement été négatif, je n’ai plus grand-chose à espérer de lui. Il ne montre aucun désir de me voir revenir avec lui. Il dit qu’il veut d’abord la stabilité. Ensuite, qu’il faudra que des choses changent. Si je repars d’ici, je ne reviens plus jamais. Il semble si difficile de se décider à partir, alors qu’ici rien n’arrivera. Comment ai-je pu devenir aussi négatif ? Pourquoi je crache tant sur la région ? Je ne comprends pas. Demain je penserai peut-être autrement. On dirait que j’hésite à entrer dans le moule, hésite à me dire que ce ne sera pas si mal. Mais lorsque chaque matin tu te réveilles et que le mal de la région te prend aux tripes, je me demande si ça se guérit.

 

 

 

 

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    Parfois je me demande ce que pense Thomas lorsque je lui dis que je passe la journée étendu sur mon lit, à regarder le ciel par la fenêtre, en pensant à lui. Me trouve-t-il con ? Un jeune innocent que l’on rencontre dans le fond d’un bar et qui, dans le fond, ne nous intéressera jamais ? J’ai reçu un choc lorsqu’il m’a avoué que même si son copain Maurice disparaissait du décor, je ne serais même pas considéré, parce qu’il n’a aucun sentiment pour moi. Quel message cela m’envoie-t-il ? Tout à coup j’ai besoin de me reprendre en main, retrouver ma confiance excessive en moi. Cette confiance revient habituellement lorsque j’ai une bière dans le corps et que je suis seul pour savourer le moment (comme ce soir). Ce n’est pas drôle la dépendance à quelqu’un, surtout lorsque ce quelqu’un ne t’aime pas plus qu’il ne le faut. C’est peut-être même un peu stupide, lorsqu’on considère que ça ne fait même pas une semaine que l’on se connaît. Il m’a encore répété que jamais il ne laissera Maurice pour moi. Et cette fois ça commence à rentrer dans ma tête pour vrai. Pourtant, j’insiste pour croire qu’il existe une maigre possibilité entre lui et moi. Le destin, il ne faut pas l’oublier celui-là. Il m’annonce que son plus grand rêve (après avoir visité l’Égypte) serait de se construire une belle maison (dont il élabore dans sa tête les plans) près d’une rivière ici dans la région. Il désire habiter à cet endroit avec l’amour de sa vie, c’est-à-dire Maurice. Or, n’ai-je pas, moi, les mêmes rêves ? Ne me suis-je pas buté moi aussi à un Sébastien qui voulait absolument habiter le centre-ville, dans une tour en béton, où il pourrait sortir chaque soir et s’entourer d’une quantité d’amis gais ? Maurice est aussi de ce genre. Moi et Sébastien, c’est fini. Ça a pris quatre ans pour se rendre compte que ça ne fonctionnerait pas très bien. C’est une question de temps avant que ce ne soit terminé entre Maurice et Tom. Peut-être me faudra-t-il attendre cette séparation, qui viendra peut-être seulement dans deux ans ? Alors, oui, j’ai le temps de rencontrer quelqu’un d’autre. Je n’ai décelé aucun problème à l’heure actuelle dans leur couple. Tom ne m’en parle peut-être pas. La seule chose que je puis voir, c’est que Tom me ressemble énormément et que je sais que je ne pourrais pas éternellement être avec Maurice. Intérêts trop différents, agissements difficiles à accepter dans le contexte d’un couple qui se base sur la fidélité et la confiance. Mais, bien sûr, cela peut durer quatre ans, car il suffit de ne jamais outrepasser les limites. Et puis, j’en ai des sacs pleins de bons souvenirs avec Sébastien. Bien sûr que l’on s’aimait et que ça fonctionnait. Seulement, un jour on se réveille et on ne veut plus faire les efforts que ces différences exigent. Les compromis se font moins aisément. Je ne saurais prédire que ce sera la même chose avec Tom et Maurice, en fait je ne puis faire des parallèles que pour moi. Cela m’aide à comprendre où ça a cloché entre moi et Sébastien. C’est peut-être pour cette raison que l’on a mis Tom sur mon chemin. Pour que j’analyse sa relation et que la lumière se fasse sur mon passé. Ce serait presque vain que je ne l’aie rencontré que pour cela. On avait qu’à me diriger vers un livre qui explique les mêmes choses, en deux jours la lumière aurait pu se faire. J’ignore où me conduira mon amitié avec Tom. Que m’apportera-t-il en définitive ? Peut-être me montrera-t-il comment faire du ski alpin, mais ensuite ? Est-ce que tous mes amis m’ont vraiment apporté quelque chose ? Fait comprendre des choses ? Était-ce des choses essentielles, ou alors une multitude de petits détails qui te font finalement franchir de grandes étapes ? Une multitude d’éléments que tu serais susceptible d’acquérir à l’intérieur de plusieurs relations ? Moi, il me faut franchir les étapes rapidement. Six mois devraient parfois suffit à acquérir suffisamment d’expérience pour t’emporter radicalement ailleurs. Cela, c’est si en effet il faut tout voir et que le but de notre existence est justement l’acquisition d’expériences. Et que fais-je donc de cette connaissance du monde ? Que fait-on avec la connaissance ? À la limite elle pourrait être inutile, pas nécessaire. Me faudrait-il tout comprendre de tout ce qu’il y a à comprendre sur cette planète ? Et que ferais-je lorsque j’aurais tout acquis ? La finalité de l’existence est peut-être inconsciente en nous, alors je continue à vouloir progresser sur la ligne de l’expérience. Somme toute, peut-être que j’ai extirpé tout le jus qu’il y avait à presser hors de Sébastien. Il me faut maintenant aller sucer le sang d’un autre, Tom en l’occurrence. Sinon, quelle perte de temps. Ou alors je n’ai pas encore compris à quel niveau Tom m’en montrera. C’est alors qu’en fait je ne le connais pas du tout et que j’ai tout à découvrir en lui. Peut-on sans cesse apprendre, une vie durant, avec la même personne ? Avec Sébastien, je l’ai cru. Sans cesse il m’en apprenait. Mais il a fallu nous emmener Paris et Londres, on a appris ensemble, une expérience inoubliable, malgré les problèmes. C’est bien certain que dans le fond d’une maison isolée hors de la ville au Saguenay, on n’apprendra pas grand-chose. À moins d’apprendre avec la télévision. Mais il est bien certain que nous pouvons voyager, partir de par le monde des six mois sabbatiques. Je n’aurais donc aucunement peur de m’isoler de la ville en région. Je voudrais voir Tom ce soir, mais pas dans le fond du 1891 avec son copain accroché au cou. Je pleure pour voir Tom ce soir, mais pas s’il faut que j’endure le regard de Maurice, la musique infernale, et l’impression que jamais je ne l’aurai, mon Tom. Oh non, je viens de me mettre dans la tête la possibilité de sortir. En plus il n’est que 20h35, j’en ai pour des heures à me tortiller à me demander si je vais sortir. Le copain de ma sœur va encore paniquer, ou du moins j’aurai l’impression de le déranger. Ça me coûtera 8 $ de taxi pour revenir après la soirée. À moins que mon beau Thomas ne me dépose ensuite ? Peut-être même aurai-je la chance de me retrouver seul avec lui ? Et qu’est-ce que cela changerait ? C’est souffrant inutilement toute cette histoire. Il ne m’aime pas, ne considère même pas la possibilité de sortir avec moi. Alors je serais fou de croire à un revirement de dernière seconde, que soudainement il se retournerait, me prendrait la main, m’embrasserait. D’un autre côté, si je sors ce soir pour lui, peut-être que je rencontrerai quelqu’un d’autre. Mais encore là, c’est bien difficile de sortir pour quelqu’un et d’essayer d’en rencontrer un autre. Je ne me vois pas sauter sur un gars pour lui demander son numéro de téléphone. C’est un peu violent et expéditif, lorsque ton futur te regarde. Vais-je sortir ce soir ? Je ne sortirais pas si je savais que demain je le verrais en dehors des bars. Je l’aime mieux juste à côté de moi, avec toute son attention. Lorsque Maurice est autour, il faut qu’il fasse semblant de ne pas me voir. Il m’ignore un peu et cela est bien normal. Je crois que je devrais le laisser en paix lorsqu’il est avec Maurice. C’est au moins ça. Mais il m’a rappelé pour me dire qu’il sortirait, peut-être veut-il que je sorte ? Peut-être ne peut-il pas l’exprimer de peur que je pense que c’est de l’encouragement ? Bon Dieu, pourquoi mon vieil ami François ne sort-il pas ce soir, avec son Jean descendu de Montréal ? Pourquoi ce diable de François ne m’a-t-il pas dit qu’il voulait me voir ? Ou du moins que je sorte ? N’aurai-je pas l’air bizarre maintenant si je sors les retrouver ? Il faut que je sorte.

 

 

 

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    Hier, j’ai vécu des émotions fortes. Je l’ai pris dans mes bras, le Thomas ! Je lui ai massé le dos et les épaules pour plus de trente minutes ! J’ai même bandé et parfois il pouvait la sentir, la grosse bosse que j’avais ! Lui, je sentais son parfum partout, il n’avait que son T-shirt América, je l’écrasais contre moi. Mais j’ai fait pire, il m’a dit de me déshabiller, sur le coup je n’ai pas réagi, je croyais qu’il blaguait. Il voulait voir ma réaction. Alors j’ai enlevé mon T-shirt. Devant sa panique cependant, il m’a bien fallu le remettre dans les deux minutes qui ont suivi. M’a-t-il trouvé beau ? Plus beau que Maurice ? M’a-t-il seulement regardé ? Sûrement. A-t-il aimé que je le masse ? Certainement. En fait, nous n’étions arrêtés que par sa conscience. Tout devait demeurer, dans une certaine mesure, acceptable pour sa conscience. J’espère que ce matin il ne se sent pas coupable et qu’il ne dira pas ces innocentes actions à Maurice. Son couple serait définitivement en péril, et je regretterais trop d’être la cause d’une telle destruction. Si je savais de manière certaine que c’est effectivement le destin qui nous a mis sur le même chemin, je n’hésiterais pas à souhaiter la fin de sa relation, mais je ne suis pas Nostradamus, le film que l’on a justement écouté hier. Ainsi lui et Maurice semblent vraiment amoureux. Ils se sont même achetés des perruches, malheureusement Maurice ne peut jamais les voir à cause de la mère de Thomas qui n’accepte pas la présence du copain dans la maison. Un ami, par contre, pas de problème. Sauf qu’hier, j’ai bien senti qu’il s’agissait d’une folie, cette invitation chez lui. Il m’a avoué le lendemain qu’il aurait à affronter sa mère. Je croyais qu’il avait déjà invité des amis gais chez lui depuis que ses parents sont au courant, mais non, j’étais le premier. Ainsi Maurice ne peut franchir la porte (sauf quand tout le monde est absent pour quelques heures de façon certaine) et moi j’y vais allégrement écouter deux films et demi, tenant le beau Thomas dans mes bras l’instant d’une soirée inoubliable. A-t-il bandé, lui ? Je n’ai pas osé poser la question, mais Dieu que j’aurais voulu vérifier. Il aime les gens circoncis, il m’en a parlé hier. Je crois qu’il voulait voir ma circoncision. Mais je n’en suis pas certain, alors je n’ai pas osé. Si je me retrouve encore avec lui et qu’il m’en reparle, je n’hésiterai plus. J’ignore comment il va se débrouiller avec ses parents aujourd’hui, somme toute, un garçon est demeuré dans sa chambre à écouter des films jusqu’à 3h30. Mais franchement, il ne s’est rien passé et je ne suis qu’un ami. C’est le temps qu’ils acceptent la réalité. Il faut les dompter ces parents-là ! Alors je ne crois pas que c’est négatif. Au contraire, cela permettra une franche discussion sur le fait que sa sœur, elle, reçoit son copain tous les jours et il couche dans son lit, alors que Tom, lui, ne peut même pas recevoir un ami pour écouter des films. Tout peut paraître bien innocent, lorsque l’on s’y applique. Mais innocent, ça ne l’était pas. J’ai adoré ma soirée, pouvoir le toucher, sans plus. Ça change de mes autres relations où aucune barrière ne subsiste et que l’on va trop vite dans le lit. Je l’aurai désiré mon Thomas avant de lui sombrer dans les bras pour le fameux soir où l’on en fera plus. Mais j’ai bien peur qu’en ce moment il m’observe en coin, fait le pour et le contre entre moi et Maurice, et éventuellement peut-être il pourra choisir. Mais peut-être qu’il ne s’intéresse toujours pas à moi, qu’en fait, hier, pour lui, ça ne représentait rien, je l’ai massé un peu et puis c’est tout. Yvonne me massait à Londres lorsque l’on travaillait, est-ce vraiment innocent ? Oui, certainement. Mais moi je l’ai vécu ce massage, je lui passais mes mains partout, dans le cou, et parfois je dépassais la limite, je lui touchais un peu la peau. Alors il se retournait et me rappelait les limites. Collé tout contre lui, la sensation était bonne. J’aime bien sa petite chambre pleine de systèmes de son, télé, machines et tout ce que tu voudras. J’ai lu les quelques premières pages de son livre. J’ai fait une première correction sommaire, alors ça m’a freiné dans la lecture. Bien sûr, pour moi ça prend une valeur inestimable ce qu’il écrit, car c’est autobiographique, alors je ne lis pas l’histoire inventée de Pierre-Jean-Jacques, dont l’auteur aurait manqué d’imagination. Il raconte un peu sa jeunesse, son premier amour suivra, bref, j’aimerais bien lire la suite. Aujourd’hui, je n’ai pas de regrets, car s’il m’a permis d’être là, s’il m’a permis de le toucher, tout cela nécessite sa coopération. Il aime bien. Il suffit juste de ne pas franchir la limite où sa conscience ne pourrait plus tenir. En fait, je regretterais énormément s’il devait laisser Maurice. J’aimerais mieux demeurer un ami en parallèle, avec qui il coucherait, tout en gardant cela secret et sa conscience pour lui. Je m’en voudrais trop de briser cette relation si jamais moi et Tom ça ne fonctionne pas. Mais peut-être que je me fais des illusions, je donnerais cher pour savoir ce qui se passe dans la tête de Thomas. Comment, lui, interprète les événements d’hier, comment il a apprécié ma présence. Il a de bonnes raisons pour ne pas me réinviter chez lui, sa conscience, sa mère. Mais moi je donnerais n’importe quoi pour me retrouver là tout près de lui, le serrant dans mes bras. Je souhaiterais bien lui enlever son T-shirt (je suis bandé en permanence depuis mon réveil), mais il semble y tenir à son gilet. Mais moi je sais ce qu’il y a en dessous, j’y ai mis ma main plusieurs fois, et là moi je ne puis plus me contenir, il me le faut nu dans mes bras ! J’en mourrais, je pense. Quelle belle soirée. C’est drôle, j’ai l’impression qu’entre moi et Thomas, ce n’est pas moi qui en apprendrai le plus. Je pense que c’est moi qui lui ferai découvrir mes expériences, mes voyages en Europe et ailleurs. Nous n’avons qu’un an de différence, mais lui n’est allé qu’en République Dominicaine, et puis pas longtemps. Il n’est même pas sorti un peu pour demeurer à Montréal pendant un certain temps. C’est étrange, car on dirait qu’il ne veut même pas partir de la région. Je trouve ça mignon, j’aime cette mentalité. Mais il avoue qu’un jour il faudra bien qu’il sorte un peu de la région, je l’ai même invité à venir avec moi à Paris. Il a l’impression que ça coûte cinq mille dollars et que, par conséquent, il ne pourra jamais y aller. Bien sûr que non, mon petit Tom. On ira, tu verras, et on n’aura pas besoin d’économiser pendant un an. Nous aussi nous finirons par finir les études, nous aurons de l’argent et nous déciderons ce que nous ferons avec, c’est simple. Il s’agit de savoir où sont nos priorités. Oui, j’ai l’impression qu’il a beaucoup à apprendre de moi, il dit même que je lui ai déjà donné une motivation à écrire. Ce qui semble être déjà bien pour lui. Je n’ai pas la prétention de croire que mes voyages et mon séjour en Europe font de moi quelqu’un qui en sait plus qu’un autre sur la vie, ni même je n’ai l’impression que mes études ou mon intelligence ont fait de moi quelqu’un de mieux qu’un autre. Mais je constate tout simplement que, pour la première fois, je rencontre quelqu’un dont, au lieu que je pose les questions pour apprendre, je réponds aux questions. Peut-être aussi ai-je trop demeuré avec Sébastien, à qui je n’ai jamais rien appris. Sébastien savait non seulement tout sur tout, mais en plus il avait déjà une idée claire de toutes les opinions qu’il faut avoir sur tout. Je me demande si Thomas voudra me voir aujourd’hui. Mais malheureusement, on ne se retrouvera pas dans une situation où je pourrai encore le tenir dans mes bras en lui massant le dos. La vie est triste ! Mais parfois passionnante pour ces quelques moments privilégiés.

 

 

 

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    Je pense que je me laisse la chance de m’enfoncer. Mes sentiments pour lui grandissent. Lui, il me répète que ce n’est pas la même chose pour lui. J’ai vu son univers, je me vois moi, il écoute la même musique que moi, j’ai l’impression qu’avec lui je partagerais enfin des choses, pas comme avec Sébastien. Suis-je aveugle ? Jouerais-je avec le feu, tomber en amour, d’une relation impossible ? La puérilité ne serait donc pas morte. Je pourrais ainsi jouir d’une marche sur le vieux pont de Chicoutimi, le cœur battant. Si un jour nous faisons l’amour, je crois que ce sera une expérience différente de ce que je vivais dans les derniers mois avec Sébastien, même, les dernières années. Mes sentiments pour Thomas survivront-ils au-delà des deux premiers mois ? Une grande passion remplacée, selon la morale humaine, par un amour qui pourrait durer longtemps ? Ce ne sera pas la même chose de coucher avec lui si j’ai vraiment des sentiments. Avoir attendu tout ce temps serait un ingrédient à cette première grande expérience... qui ne surviendra peut-être jamais. Il m’a confirmé avoir eu des problèmes de conscience ce matin. Il ne dira cependant rien à Maurice. J’en suis désolé, je ne sais plus qu’en penser. Il dit que cela ne se reproduira pas. Pour cela il faudrait arrêter de se voir, car moi je ne pourrais plus m’empêcher, d’autant plus que ce que je ressens commence drôlement à ressembler à l’amour, pour ce que ce mot peut définir exactement, pour autant que l’on ne l’ait pas trop dénaturé avec le temps. Ses parents ne lui ont fait aucun commentaire, il se disait prêt à les confronter. Il m’a avoué avoir aimé se faire donner un massage. Qui n’aime pas cela ? m’a-t-il dit.

 

 

 

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    Oh Thomas ! Méchant Thomas ! Je ne réentends que ces phrases : « J’ai vraiment pas aimé ton comportement ce soir, ni ce que tu as dit. Tu as mis tout le monde mal à l’aise, et ça paraissait que tu t’intéressais à moi. » Et quoi d’autre aussi, j’ai gelé complètement, ne pouvant qu’être désolé d’avoir trop parlé. Qu’ai-je dit exactement ? J’avais beaucoup bu, comme d’habitude, bon Dieu, il faut que j’arrête ça, vivement que l’université commence. Tout ce que je me souviens d’avoir dit, qui est certes répréhensible, c’est d’avoir demandé à Jean-Pierre s’il avait couché avec Maurice, parce que le contexte s’y prêtait. Tom s’est justifié sur le fait que jamais Maurice n’aurait couché avec Jean-Pierre, parce que l’on connaît (le connaît-on vraiment ?) comment sa relation avec Maurice est solide. Mais j’ai rétorqué qu’il se passait des choses assez bizarres entre Maurice et Jean-Pierre. Selon Tom, ça a mis tout le monde mal à l’aise. Comment ai-je pu dire une telle chose ? Quelles sont les conséquences de telles phrases ? Pourquoi ai-je dit cela en fait ? J’ai affirmé cela presque par frustration. On m’annonce que Jean-Pierre et Maurice partent pour Québec ensemble ce week-end. Que vont-ils y faire ? Sortir. Où coucheront-ils ? Je ne sais pas. Coucheront-ils ensemble ? Je ne sais pas. Christ ! Tom serait-il trop aveugle pour ne pas s’imaginer des choses ? C’est bien beau les concepts sur la fidélité et la confiance, mais quand tu as l’opportunité, tu risques d’en profiter. Il devrait bien le savoir que c’est dangereux ? Je ne sais pas. Peut-être que Tom sait qu’ils ne pourront rien faire parce qu’ils ne seront pas seuls. Quand Jean-Pierre a annoncé que ce week-end il allait à Québec avec Maurice, je me suis transposé à Tom, et dans ma tête c’est comme si l’on m’annonçait que mon copain allait me tromper à Québec ce week-end. Voilà pourquoi j’ai trop parlé. J’ignore d’où me vient ce sentiment de compassion pour la relation de Tom. Le pire, c’est que Tom semble s’en foutre complètement. Il me disait que Maurice l’avait fait souffrir et que maintenant il est blindé. Il doit l’être pour vrai. Je devrais prendre exemple sur lui. Somme toute, tout cela ne me regarde absolument pas, bien que, à quelque part, je suis un peu le Jean-Pierre de Tom. Je suis celui qui s’intéresse à lui. Dans le fond, moi, mes intérêts, ça devrait être d’encourager Jean-Pierre vers Maurice, mais au contraire, je le vois comme une menace pour Tom et Maurice. Mais tout cela ne me regarde en rien et à l’avenir il faudrait vraiment que je me mêle de mes affaires. Passons au récit de la journée.

 

 

 

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    On a passé la journée ensemble ! Nous sommes allés à l’université pour nous inscrire, puis chez son ami architecte qui habite en face de la rivière Saguenay. Très intéressante cette rencontre. En sortant de la maison, voilà que le Tom me demande si je suis intéressé par son copain de 35 ans. Il dit que j’aurais certainement des chances. Ben non, Tom ! C’est toi qui me fascines, c’est toi que j’aime, c’est toi que je veux ! Ensuite on a été à la banque, puis à son travail. Il est venu souper chez nous ! Il a même trouvé ma sœur franchement captivante, pour me dire qu’il tomberait en amour avec si... Puis on a joué sur l’ordinateur et encore une fois j’ai pu lui faire un massage sommaire. Cette fois il ne se sentait pas coupable et je crois qu’il n’y aurait pas eu raison de l’être. Hier, c’était vraiment pas sexuel, c’était sûrement plutôt amical. Je crois que nous en sommes à un point si clair que je pourrais lui faire un vrai massage et cela ne serait pas dommageable pour sa relation ou sa conscience. De toute manière, il me semble que son copain s’en permet suffisamment pour qu’il n’ait pas à se sentir mal de venir chez moi. Mais encore ici, je suis mal placé pour juger. Je comprends, à mon grand désarroi, que moi et Tom, ça ne fonctionnera pas. Tous les jours il a de nouvelles choses à me reprocher, hier il m’a carrément emmené de force dans les bras de Gabriel. Un jeune homme blond, ma foi très beau, mais avec un cerveau vide. Pensez-vous que je ne l’avais pas déjà remarqué ce garçon ? Si je l’avais voulu, je ne me serais pas cassé la tête à attendre qu’on me le présente, j’y serais allé. Mais ça me fait mal que ce soit Thomas qui m’ait forcé à lui parler. J’avais l’air d’un con. Gabriel a lancé : « Emmène-le pas de force quand même, s’il veut pas. » Tom s’est-il senti obligé de me le présenter parce que Gabriel le lui a demandé ? Tom aurait-il aimé mieux ne pas me le présenter ? J’ose croire que oui, car sinon c’est vrai qu’il ne s’intéresse vraiment, mais alors là, vraiment pas du tout à moi. Et moi, dans ce cas, je suis désespéré. Je souffre, d’autant plus que dans l’automobile, à la fin de la soirée, Tom m’a dit : « Ce serait une bonne chose que tu sois avec Gabriel, ça me libérerait un peu. » N’y a-t-il pas de quoi désespérer ? Il m’avoue pratiquement qu’il me trouve fatigant et qu’il ne peut plus me supporter, et je devrais demeurer impassible ? Méchant Thomas. Il m’a traité de deux de pique parce que j’avais laissé mon numéro de téléphone à Gabriel. En fait, j’ai laissé mon numéro à Gabriel, à Jacques ainsi qu’à Réjean. Mon nouveau cercle d’amis, je crois, qui sont très intéressants (et autant que je saurai me contrôler dans ce que je dis lorsque je bois). Ainsi, il est vrai que je n’ai aucune chance de m’intéresser à Gabriel. Il n’a pas terminé son secondaire trois, il n’a jamais rien lu de sa vie, n’est jamais sorti de la région, ne sait rien sur rien, a dix-huit ans (ô malheur) ; en plus, il est la marionnette du propriétaire du bar. Il lui fournit du pot à satiété et a déjà participé au concours de travestis. Il sera en finale la semaine prochaine. Je ne veux pas voir cela. Il fume comme un trou, des Mark Ten, jamais entendu une marque de cigarettes aussi bizarre. Mais Jacques fume aussi, Réjean aussi, c’est effrayant, une vraie maladie. Bref, le beau petit blond influençable de dix-huit ans, pas trop pour moi. Mais il insistait tellement pour me parler, il m’a avoué qu’il me trouvait très beau et qu’il voulait me revoir. Moi, je l’ai négligé toute la soirée, j’ai parlé tout le long avec Jacques. Gabriel avait l’air si piteux et malheureux que je l’aie négligé, en plus qu’il est resté si tard juste pour moi, que finalement j’ai décidé de lui donner la chance de me connaître ailleurs que dans le fond d’un bar, en lui laissant mon numéro. Il était ben gelé, ben saoul. Or, n’étais-je pas comme cela lorsque j’ai rencontré Thomas la première fois ? Pas gelé par contre, bien qu’à notre deuxième ou troisième rencontre, j’avais pris une puff de pot et que ça lui avait donné une mauvaise impression de moi. Que je regrette cette action ! D’autant plus que c’était le christ de propriétaire du bar qui m’avait présenté son esti de joint. Christ, lui, il faudrait le dénoncer. Attirer les jeunes dans la drogue comme il le fait, ça m’écœure. Je suppose que ça peut aller jusqu’au sexe. J’ai vraiment été méchant avec Gabriel, en lui disant franchement ce que je pensais de lui. Qu’en fait il avait tous les défauts, en plus d’embarquer dans toutes les petites combines du proprio. Il faisait pitié à voir, le pauvre Gabriel, à essayer de me justifier que d’habitude il ne sort jamais, quand il a un copain il est tranquille. Qu’en fait il ne fume pas de drogue, et patati et patata. Il pourra à la limite être un ami. Je suppose que de lui aussi je peux apprendre des choses, si je lui laisse la chance de me parler et si je me laisse le temps de l’écouter. De toute manière, il me faudra bien des amis si jamais Tom décide de couper tous les ponts entre lui et moi. Et je crois bien qu’il pourrait en arriver là, et cela me décourage énormément. D’autant plus que je ne pourrais même pas dire qu’il a tort ou lui en vouloir. Je ne suis peut-être pas facile en amitié, faut croire. Pourtant, cette soirée aurait dû être si positive ! Avec tous les gens que j’ai rencontrés, les nouveaux amis, la géniale conversation avec Jacques et mon rapprochement avec Réjean. Même Maurice hier m’a été si aimable, je n’en revenais pas. Tout cela parce qu’il est déjà sorti avec Gabriel et qu’il était si content de me voir enfin m’intéresser à quelqu’un d’autre que Thomas. Car j’ai bien vu hier qu’il s’inquiète de me voir avec son Thomas. Du moins, si je peux me fier à sa réaction après que j’eus parlé avec Gabriel. Il part pour Québec la conscience tranquille, lui. Le pire, c’est que l’on m’a jeté dans les bras de Gabriel, on m’a littéralement poussé vers lui, et après, tout le monde semblait satisfait du sacrifice de guerre. Ah, une menace de moins au couple modèle du 1891. J’ai bien envie de le rayer de ma vie, le petit Gabriel. Bien sûr, j’amplifie le tout, dans le fond c’est stupide toutes ces histoires. Mais moi j’aime mon Tom, et là, on dirait que je l’ai mis à bout et ça me tracasse énormément. Pourtant, je voudrais tellement être près de lui, pouvoir le prendre dans mes bras, ce serait tellement mieux que du sexe avec Gabriel. Mais comme je lui ai dit hier, à Tom, je crois qu’il me faut demeurer en parallèle, jusqu’à ce que lui et Maurice se laissent. Ça n’arrivera peut-être pas, mais si ça arrive, alors j’aurai peut-être ma chance. En attendant, je suis libre et Thomas lui-même m’invite à moralement le tromper alors que je n’aime que lui.

 

 

 

 

 

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    Dieu que je souffre ! Je viens de mettre The Cranberries, Ode to my family, c’est notre chanson à moi et à Tom. Je viens de le décider. Je ne peux penser qu’à lui lorsque je l’écoute. Je viens de l’appeler. Il semble de mauvaise humeur. Je l’ai réveillé, il dit qu’il va me rappeler. Je lui demande s’il m’en veut pour hier. Dieu ! Il dit que l’on en reparlera. Je lui ai dit que ça inaugurait mal. Je lui ai demandé si ça serait une conversation genre radicale et terrible à laquelle il faudrait que je me prépare psychologiquement. On en reparlera. Je souffre. Que va-t-il me dire ? Que vais-je répondre ? Faire le petit chien piteux, ce me semble être la seule solution. Ramper sur le plancher, dire que je suis désolé. Je suis désolé ! Je suis tellement désolé que j’ai l’impression qu’il ne le croit plus, ou que du moins ça ne change plus rien. Je vais devenir fou ! Il faut que j’apprenne la diplomatie. Bon Dieu, je fais tout pour qu’il s’intéresse à moi, et comme par hasard je ne réussis qu’à le faire fuir. Il va encore me servir une morale qu’il me faudra digérer, mais ça ne passe plus ! Est-ce que tout le monde se met comme moi dans des situations du genre, ou alors suis-je vraiment le seul ? Faites quelque chose, quelqu’un ! Sauvez-moi de cette conversation, sauvez-moi des mauvaises impressions que Tom se fait de moi, sauvez-moi de cette amitié que j’ai emmenée au bord de la ruine, hypothéquant ainsi toutes mes chances de devenir l’amour de sa vie. Oh, et puis, laissez-moi mourir seul dans mon coin. Les prochaines sorties, je n’y vais pas. Je vais tenter de me faire oublier. Mais c’est bien difficile, voyez, je n’ai pu m’empêcher d’appeler Tom. C’est de lui en fait qu’il faudrait que je me fasse oublier un peu, le temps qu’il comprenne qu’il a peut-être besoin de moi. Thomas ! J’ai des sentiments pour toi, s’il vous plaît, ne détruis rien !

 

 

 

 

 

 

 

 

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    Voilà, il m’a rappelé. C’est drôle, il m’a reproché des choses que j’avais complètement oublié que j’avais dites. Il m’affirme d’emblée que si j’ai lancé que Jean-Pierre avait couché avec Maurice, c’était pour justifier le fait que je pourrais coucher avec Thomas. Il dit que j’ai été brusque, que j’ai même mis ma main dans la face de Jacques, un gars d’Alma dont je ne suis pas suffisamment près pour faire ce que j’ai fait. Je crois qu’encore une fois j’ai exagéré, et je dois en accepter les conséquences. Ils peuvent me laisser seul, ne plus m’appeler, j’en prends toute la responsabilité. Mais je ne vais pas me morfondre, je suis plus fort que cela. Je souhaiterais bien en prendre leçon, ou me guérir comme disait Tom, mais peut-être est-ce incurable ? Mais, de toute évidence, Thomas ne me connaît pas sous mes meilleurs jours. Il n’a connu qu’un genre de sangsue prête à lui sauter au cou pour tout aspirer. Or, je ne suis pas comme ça du tout. Mais je me demande aujourd’hui si j’aurai la chance de lui montrer que je puis être un ami tout à fait normal, peut-être même ennuyant par-dessus le marché. Ce qu’il voudrait, je suppose. Il m’a dit en terminant sa conversation : « Une fois n’est pas coutume. » Dans quel contexte disait-il cela ? Du fait qu’il ne voulait pas me voir aujourd’hui, du fait que moi j’ai fait des folies hier, du fait que l’on avait peut-être fait des choses mais que cela ne se reproduirait plus, ou alors parlait-il du fait que son copain part pour Québec avec Jean-Pierre ? Il dit qu’il va en réentendre parler de ma phrase du couchage avec Jean-Pierre, et qu’il se demande ce qu’il va faire. Car, paraît-il, hier j’étais bien trop près de lui. Mais n’ai-je pas été trop près de tout le monde ? Il passe son temps à embrasser tous ses amis, à les prendre dans ses bras. Et moi, il m’évite comme la peste. C’est parce que ses amis ne veulent pas davantage de lui et qu’ils savent qu’entre lui et eux il n’y aura jamais rien. Bien. Je l’ai déçu, bien déçu. Bien. Il ne veut pas me voir aujourd’hui, probablement que demain non plus. Bien. Il doit considérer la possibilité de ne plus me réinviter, de ne plus venir ici. Bien. Peut-être bien me déteste-t-il ? Et jusqu’où peut-on aller pour quelques petites phrases presque innocentes ? Car de toute évidence, si je dis des choses que je ne dois pas dire, c’est que j’ignore tout de ce qui se passe. L’histoire entre Jean-Pierre et Maurice, moi, je n’en ai entendu que quelques bribes. Alors, moi je devrais me taire sur tout, faire le beau, japper lorsque l’on me donne un morceau de sucre. Eh bien, moi, aujourd’hui, j’attends un téléphone de Gabriel. Va-t-il téléphoner le maudit ? J’espère que Tom n’aura pas à regretter que je sorte avec Gabriel, mais j’en doute, car il m’a encore dit qu’il aurait été bien content que ça fonctionne entre Gaby et moi, pour lui enlever le fardeau que je suis. Je ne ménage vraiment pas mes amis. J’occupe toute la place possible dans leur vie jusqu’à ce que ça pète, alors ils ressentent un vide immense et mes vrais amis seront ceux qui me rappelleront. Ils pourront alors connaître mes bons côtés et une version plus douce de ma personnalité. Et puis la franchise, il faut la taire. La franchise est un luxe que seule une personne immunisée contre tout peut se permettre. Ma franchise m’aura toujours attiré des problèmes.

 

 

 

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    Ma vie est pleine de rebondissements. Gabriel vient de m’appeler, on a parlé moins de cinq minutes. On n’avait rien à dire, il continue à me décourager par sa vie. Un autre de 18 ans qui baigne dans le monde gai depuis ses 14-15 ans et qui a déjà tout expérimenté. Là, il fume de la drogue trois fois par semaine minimum. Tellement que là, il me dit que ça lui coûte tellement cher qu’il veut arrêter tout ça. Je suis con moi de croire que monsieur va se tranquilliser parce que j’arrive dans le décor. Je n’ai pas envie de rappeler Gabriel tantôt. Comme c’est drôle, je ne veux même pas le voir. Ce soir il se rend chez quelqu’un, ils vont se pratiquer à se maquiller pour le concours de personnification féminin, un euphémisme pour concours de travestis. Il m’invite à venir avec lui ce soir, je lui ai répondu que ça ne m’intéressait pas les concours de travestis. Je crois qu’il sait trop bien quelle opinion je me fais de lui, il sait trop bien jusqu’à quel point je l’ai jugé négativement. Je suis vraiment méchant par nature. Encore ma franchise. C’est Gabriel qui a été chargé de maquiller et d’habiller en femme le petit Sylvain. Il dit que le monde du bar 1891 l’appelle le plus beau gars de Jonquière.

    J’ai reparlé avec Gabriel, il sort ce soir. Je pourrais sortir pour Gabriel, mais il n’est pas une motivation suffisante, d’autant plus que je devrai me payer un taxi pour le retour. En plus, Gabriel n’a tellement rien à me dire qu’il s’excuse de n’avoir rien à me dire. Il est mal à l’aise de me parler. Je lui ai demandé s’il était gêné avec tout le monde ou si c’est moi qui le gelais. Avec tout le monde, semble-t-il. On ne peut pas avoir une relation plus basée sur le cul que ça. On veut se voir demain, il ne veut pas trop que je le rappelle ce soir. Évitons de nous parler au téléphone, allons plutôt dans le lit. Je commence à croire qu’il est mieux lorsqu’il est ben gelé, il m’en apprend davantage dans ces conditions. Gabriel me disait que Sylvain, il le trouvait laid. Or, il me disait que j’étais beau. Comment décrire cette sensation, quand quelqu’un te dit que tu es beau et qu’il insiste ? D’habitude, je passe par-dessus comme si je n’avais rien entendu. Mais à l’intérieur, ça éclate, le sourire veut monter, on te confirme ce que tu commençais à douter. Cinq minutes avant je me regardais dans le miroir et je me disais que j’étais vraiment magané, personne ne pourrait me trouver beau.

    Je m’en vais ce soir voir Gaby entouré de son halo de femmes bisexuelles et hétéros. Il semblait tout énervé. Elles vont le maquiller et l’habiller en femme, ce sera le choc de ma vie. Mais il faut vivre avec son temps, les seules personnes que je rencontre ces temps-ci s’adonnent tous à cela (et à la drogue). En plus ils sont tous blonds aux yeux bleus, très beaux et ils ont dix-huit ans. Mon Dieu, je suis devenu un monstre selon les lois anglaises. Mais ce n’est pas de ma faute ! Moi, je voudrais bien des grands bruns de 22 ans faits plus forts, mais ceux-là sont tous pris et me font des histoires. Malheur, c’est Ode to my family qui joue sur mon système de son, je ne tiens plus par terre. Thomas ! Fais quelque chose ! Où es-tu ce soir, avec tes beaux yeux bleus ? Je n’ose pas signaler ton numéro, de peur que la conversation ne se termine encore bizarrement.

    Ça y est, me voilà bien mal pris. Thomas vient de m’appeler, il m’invite à jouer des jeux de société chez Réjean, ils viendront me chercher. Tom me conseille d’annuler Gaby. Je le fais sans même hésiter. Quelle horreur, pauvre Gaby ! Je ne devrais pas, mais je le fais. Triste, de toute manière je ne voulais pas trop le voir en drag-queen, et sortir encore ce soir pour le voir gelé ben dur.

 

 

 

 

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    En entrant dans la maison hier, Tom m’a fait un beau bonjour et m’a embrassé. J’ai manqué tomber par terre. Ça m’a tellement gelé et surpris que je n’ai même pas osé en faire plus. Il m’a pris dans ses bras. Ce revirement soudain, il fallait bien que je l’interprète. Non, ce n’était pas soudainement une sorte de message ou de changement dans ses sentiments, c’est plutôt ce que je lui avais dit dans l’automobile la journée d’avant. Que ses amis, il les embrassait tous, mais pas moi. J’avais ce statut particulier, je ne m’en plaignais pas, dans le contexte. Mais hier ça m’a fait réfléchir. Soudainement il semble s’être dit que dans le fond j’étais un ami comme les autres et qu’effectivement je méritais le même petit baiser lorsque l’on se rencontre. Ce que j’aime moins, c’est que je deviens comme les autres. Me voilà casé au même titre que Réjean, ami que l’on embrasse au début et à la fin d’une rencontre. On peut se prendre dans nos bras une ou deux fois durant la soirée, sans plus. Alors je vois Gabriel cet après-midi. Je ne sortirai pas ce soir au Caméléon comme tout le monde. Tom est-il tout à fait indifférent à mes rencontres avec Gabriel ? Souhaiterait-il, même juste un peu, que je ne le fasse pas ? On ne dirait pas, alors j’y vais. De toute manière, je ne crois pas remettre en question une relation avec Tom même si je couchais avec Gabriel. Gab m’a dit qu’il regrettait que je ne sois pas venu hier. J’ai peur qu’il s’imagine que je le fais niaiser. Ce serait terrible, mais ça ressemble à ça. Ce pauvre lui. C’est vrai que je ne devrais pas le voir si je ne m’intéresse pas à lui, mais j’ignore encore si vraiment il ne m’intéresse pas. Alors j’appelle... Valérie est sur un appel longue distance. Je crois qu’elle ne m’aime pas tellement. Elle aussi croit que je le fais niaiser. Gaby ne vient pas seul, il vient avec son harem de femmes semi-hétéros. J’ignore quel est leur trip de se tenir avec ces femmes de 40 ans, même Thomas les connaît bien. Une grande famille dont je ne désire aucunement faire partie.

 

 

 

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    J’ai téléphoné à Sébastien ce matin, on a fait un bilan de voyage post-Europe. Tous les problèmes identifiés semblaient à sens unique. C’est lui qui voyait des problèmes où moi je n’en voyais pas vraiment. Je n’avais rien à lui reprocher alors que, dans le fond, il me semble que j’en aurais plus à lui reprocher que lui. Notre plus gros différend venait de Martin, notre colocataire. Dans une lettre, il aurait écrit à Sébastien que j’ai tenté de coucher avec lui et Philippe, sans succès, pendant que Sébastien était parti deux semaines au Canada. C’est totalement dérisoire, je me demande où il est allé chercher ça. Je me demande c’est quoi ses intérêts à me nuire alors que nous ne sommes même plus à Londres. Je sais que Martin et Philippe me détestaient, et je crois que je comprends pourquoi. En fait, j’ai dû paraître familier et proche, mais avec aucune intention quelconque de coucher avec ni l’un ni l’autre. Et Martin a dû vouloir faire des choses avec moi, mais inconsciemment j’ai dû le repousser à chaque fois. Alors il a fini par se fâcher. Je suppose que le départ de Sébastien pour le Canada aurait dû lui ouvrir mon lit. Chose qui, naturellement, ne s’est jamais faite. Monde de tapettes pourries, se venger en allant dire à Sébastien que j’ai tenté de coucher avec eux et, en plus, de dire que, si cela ne s’est pas fait, c’est qu’eux n’ont pas voulu. Je comprends maintenant tous les messages que Sébastien me disait, pourquoi il n’arrêtait jamais de me dire que je n’étais pas plus honnête que lui, que dans le fond je lui cachais des choses. Bref, je comprends pourquoi Sébastien ne voulait rien savoir de moi. Tout de suite après mes explications, je crois qu’il m’a cru, car il est devenu beaucoup plus affectueux (même au téléphone). Je doute que nous puissions revenir ensemble. Il hésite à me dire de revenir car il a peur que l’on revive les mêmes problèmes, en plus il se sentirait trop coupable que je laisse ma maîtrise pour le suivre. Il semble convaincu que j’aurais de la misère à me faire accepter ailleurs. Si on revient ensemble, c’est que moi-même j’aurai pris la décision de me faire rembourser avant le 15. Ensuite, je ne suis même pas convaincu qu’il voudrait de moi. Alors c’est une impasse. Passé le 15, je serai définitivement fixé. Ce sera adieu, car je terminerai mes études ici. Tellement d’éléments sont en suspension dans les airs. Mais les décisions doivent se prendre rapidement, un mois souvent ne suffit pas. Tant qu’il y a une échéance, les décisions ne sont jamais coulées dans le ciment. Sébastien pense que je l’ai trompé ou que j’ai cherché à le tromper. Il continue de me dire qu’il n’a couché avec personne. Je doute de cette affirmation. Oui, on avait des problèmes, dus en majeure partie à lui, bien que j’avoue être la source d’une part des problèmes. Maintenant je commence à voir une lumière à l’horizon, et ce n’est pas avec Sébastien. C’est vrai que je ne voudrais pas revenir où nous en étions lorsque nous étions à Londres. C’est invivable. Comment les choses pourraient-elles être autrement ? Il n’aura pas changé, ni moi.

 

 

 

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    Hier, j’ai couché avec Gabriel. Il a tout du repoussant. Il n’a aucune personnalité, il se nourrit à même celle des autres, son amie Valérie en l’occurrence. Il fume comme un vrai trou, une cigarette aux deux minutes, il empeste la cigarette, il prend des drogues, il participe au concours de travestis et ça occupe toute sa vie dans le moment. Il espère un jour terminer son secondaire 5 et prendre un cours en coiffure au collège. Ô misère. Je pourrais néanmoins m’en contenter un peu, le temps que Tom se décide ou que sa relation faiblisse. C’est toujours dans le domaine du possible. Mais je ne crois pas que je devrais me contenter avec lui, hier j’ai vraiment eu la frousse, devant les faits que l’on me présentait. Je me suis retrouvé dans un sous-sol à Ville de la Baie, chez un certain David complètement stone, qui offrait de la drogue à tout le monde en demandant pourquoi aujourd’hui Gabriel et Valérie n’en avaient pas. Ce à quoi Valérie a répondu qu’ils avaient décidé d’arrêter d’en prendre, ça, le 1er janvier. Sauf que moi j’ai rencontré Gabriel ben gelé pas plus tard que voilà trois à quatre jours, et encore, sur la coke et l’acide. Tout cela au merveilleux 1891, l’antre de la drogue, dures et douces. Vrai fléau social, je me trouvais hier en compagnie de cinq personnes fuckées qui ont toutes pris et prennent encore des drogues même dures. Je me demandais vraiment ce que je faisais là. Je n’avais qu’une seule pensée : vivre ma rencontre avec Thomas, celui qui m’ouvre à des amis un peu plus stables, et qui lui-même ne touche pas à cela. Sinon je serais vraiment désespéré, il n’y aurait donc personne dans mon entourage qui ne prendrait pas de drogues. François et Jean en prennent comme des malades, un autre de mes meilleurs amis encore pire. Il me reste donc Thomas, Réjean et Jacques. Maintenant, si on pouvait se rencontrer plus souvent à l’extérieur des bars, plus spécifiquement du 1891, ce serait encore mieux. Mais ce n’est pas moi qui décide, je ne peux même pas inviter tout ce monde chez moi. Je ne puis que refuser de sortir, mais alors j’ai l’impression de manquer quelque chose. Je ne sais plus comment agir avec Thomas, je voudrais définitivement le serrer dans mes bras et vraiment faire l’amour avec lui. S’il veut voir comment c’est de coucher avec moi, comparé à son Maurice, c’est le temps. Mais en même temps, avec l’arrivée de Gabriel dans le décor, j’ai peut-être l’impression qu’il me faudrait me calmer. C’est le résultat que recherchait Thomas, ça marchera peut-être. La vie est décourageante. Après avoir fait l’amour, je me sentais coupable, ça a paru. Gaby m’a dit : « T’as ben l’air traumatisé. » Oui, parce que ce n’est pas avec toi que je voulais coucher, ce n’est pas avec toi que je devrais coucher, ce n’est pas avec toi que je veux finir ma vie, je n’ai pas de sentiment pour toi, je n’oserai jamais t’emporter chez mes parents. Si je le vois ce soir, je vais lui dire clairement qu’il ne faudrait en aucune façon qu’il se fasse de faux espoirs avec moi. Qu’il me prenne quand je viens, et puis si ça finit, ça finit et puis c’est tout. Ainsi on évitera l’attachement. Car il semble vraiment attaché. Somme toute, on a fait l’amour comme des malades et je dois avouer que c’était franchement impressionnant. Lui, il a dit : « C’était vraiment bien la baise, c’était merveilleux. » Ça semblait fort comme mots. Il m’a dit que jamais il n’avait bandé juste en embrassant un gars dans le fond d’un bar. Or, hier au Caméléon il bandait juste à me frencher. Je dois avouer que je bandais aussi. Mais on m’a même dit qu’il ne recherchait peut-être pas la stabilité. Ô Thomas, j’espère ne rien ruiner de mes chances avec toi. Je l’ai même dit à ma mère aujourd’hui, qui voulait connaître les résultats de ma recherche d’un copain à long terme dans la région. Je ne lui ai parlé que de Thomas, qu’il avait un copain, mais que je gardais mes espoirs, car son copain est bien différent de lui. Je lui ai raconté nos rencontres, les intérêts en littérature et en poésie de Tom, qu’il ne prenait pas de drogue, demeurait tranquille, cherchait la stabilité. Sa beauté, sa douceur, etc. Elle semblait heureuse que je puisse rencontrer quelqu’un de tel ici dans la région, j’espère un jour lui présenter ce Thomas. D’ailleurs ce soir il verra mon père et sa femme. J’espère qu’il ne se désistera pas, je veux qu’il connaisse ma famille. Mon père dit qu’il n’y a pas de problème, qu’il est le bienvenu.

 

 

 

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    J’en étais venu à croire que Thomas savait très bien que son copain prenait de la drogue et que, dans le fond, il passait par-dessus. Je regrette d’en avoir fait tout un cas. Hier, dans le bar, soudainement, il me demandait davantage d’informations sur le sujet via mon petit Gabriel qui est déjà sorti avec Maurice l’an passé. Quelque chose ne tournait pas rond dans cette histoire. Thomas croyait que Maurice n’avait fumé que trois fois dont une avec Gabriel. C’est exact pour le une fois avec Gabriel, mais lorsque Tom n’est pas là, son copain fume beaucoup, tellement que parfois il est imparlable. En plus, il fume avec Jean-Pierre, celui avec qui il est allé à Québec. Ce serait bien davantage que trois fois. Lorsque Thomas est là, il ne fumerait pas. Et ce qui est mauvais, c’est que les autres amis de Tom, Jacques et Réjean, ne sortent pas lorsque Tom n’est pas là, donc ils ne peuvent faire office d’espions. Je n’en reparlerai plus car cela ne me concerne pas. Je me suis déjà trop impliqué et je regrette. La seule raison pourquoi j’ai demandé plus de détails à Gabriel, c’est que Tom lui-même me l’a demandé hier au 1891. Je l’ai fait à contrecœur, mais il dit qu’il a le droit de savoir. De toute manière je n’invente rien, c’est Gabriel qui parle. Il existe toujours une possibilité que tout cela ne soit pas vrai. C’est triste d’être obligé de cacher à son copain que l’on prend de la drogue. C’est jouer avec le feu tout autant que l’infidélité, si notre autre moitié n’en prend pas et regrette un peu que son copain soit porté sur la chose. Je ne crois pas, néanmoins, que ce ne soit la fin de leur relation, bien que, ce soir, le ti-pou est revenu de Québec sans aller voir son poupou, ce qui a frustré le poupou complètement. J’ai tout de suite senti dans le ton que ça ne filait pas, il m’a tout de suite communiqué sa crise. Je vis à l’heure de Thomas, je souffre lorsqu’il souffre. Et là je me sens si concerné que soudainement je ressens le besoin de me détacher de toute cette histoire, laisser Thomas voguer seul sur ses eaux troubles, bien que tout sera arrangé demain. Après une bonne discussion. Mais moi je ne veux plus me mêler de cela, je ne veux pas de sentiment de culpabilité pour avoir détruit la relation entre Tom et Maurice, surtout pas. Je serais alors incapable de sortir avec Tom, j’aurais l’impression de l’avoir gagné de façon déloyale, presque par méchanceté, alors qu’en fait je ne désire que la loyauté et le respect. Je n’aurais pas dû faire lire ces lignes à Tom hier. Je n’aurais pas dû. Je ne devrais plus les lui faire lire. Il sera trop tard, j’aurai peut-être été un peu impliqué. Mais je parle de séparation alors qu’en fait il ne s’agit que d’accidents de parcours. Alors je devrais arrêter ma paranoïa. De toute manière, Tom saura bien un jour ou l’autre, par d’autres, tout ce qu’il veut savoir. Il n’a point besoin de moi ou de Gabriel pour cela. Et moi, ce n’est pas de ma faute si Gabriel n’arrête pas de me parler de Maurice, il en a tellement été amoureux qu’il n’en voyait plus clair. Il dit qu’il lui disait qu’il l’aimait plus que tout, lui donnait plein d’attention, était amoureux et tout. Un soir, ils ont fait l’amour, c’était bien, et le lendemain, Maurice aurait appelé pour dire que c’était fini. Aussi surprenant qu’imprévisible. Sèchement il aurait dit quelque chose qui ressemblait à : « Toé pis moé, c’est fini. Parce que t’es trop collant et mouche à marde. » Pas dans ces termes, mais ça voulait dire ça, que Gaby me disait. Gabriel aurait ensuite déboîté sa chambre au complet. Pendant deux semaines il n’aurait plus rien mangé, ne serait plus sorti de sa chambre. Encore aujourd’hui il semble en avoir gros sur le cœur. Maurice à mes yeux vient prendre une dimension mythique, presque effrayante. L’avantage de Jonquière, c’est que tu as le temps de connaître le passé de ton futur copain avant de te retrouver avec lui dans le lit. Je suis presque tombé par terre lorsque Gabriel m’a dit que Sylvain donnait dans la prostitution. Heureusement que je le savais, me disais-je. Pourtant, je croyais avoir arraché ce dur secret à Sylvain, ce qui semble être su par tout et chacun. Moi-même je suis découragé de moi. Hier, j’ai bien arrêté Gabriel pour lui expliquer qu’il ne devait pas s’attacher à moi. Il me disait que justement il avait la mauvaise habitude de tomber en amour. Est-ce dû à son jeune âge ? À un besoin très grand d’affection ? Je lui ai clairement énoncé que dans ma vie j’en étais à me poser des questions, et que je ne cherchais pas une relation à long terme dans le moment, même si c’est pour moi un idéal à atteindre. Je lui ai dit que j’ignorais si lui et moi ça serait sérieux, mais que je n’avais aucune garantie à lui offrir. Qu’il sache que mes intentions sont que je peux le laisser n’importe quand. C’est difficile pour lui de prendre une telle chose. Il semblait tout mal, il croyait pendant un instant que je venais de lui annoncer que je ne voulais plus le revoir. Il me lance toujours des pointes comme quoi je ne le rappellerai plus. Pourtant j’ignore pourquoi je fais tout ce numéro. Je veux éviter à tout prix qu’il souffre. En fait, je prépare ma sortie. Quand j’y pense pourtant, c’est tellement ridicule. Thomas, cela lui fait ni chaud ni froid que je sois avec Gabriel, j’en ai la certitude, encore qu’il m’exhorte presque à ne pas le faire niaiser, que c’est juste une histoire de cul et que je devrais terminer cela. Je n’ai pas eu le temps hier d’expliquer à Thomas que je n’aurais jamais été avec Gabriel s’il ne s’agissait que d’une histoire de cul. À défaut d’avoir mon Thomas, je regarde quel parti m’intéresse, avec qui je pourrais peut-être développer une relation. Qui dit que je n’en tomberai pas amoureux, du Gabriel ? Avec le temps, peut-être. D’autant plus que si Tom et Maurice c’est pour la vie, comme n’arrête pas de le dire Jacques, alors moi j’ai intérêt à ne pas mourir dans l’ascétisme. En fait, c’est Jacques qui souffre peut-être, encore que j’ignore jusqu’à quel point il s’intéressait à moi. Je doute qu’il ait eu le temps d’avoir même un quelconque désir marqué, puisque presque immédiatement je lui ai mis, sous les instances de Thomas, les aiguilles à l’heure. Hier seulement il m’a avoué que ça avait été hard, et que son orgueil en a pris un méchant coup. Il aurait pu me renier complètement et ne plus me parler. Je suis bien heureux qu’il ait passé par-dessus. J’ai été bien trop direct, mais comment ne pas être direct lorsque ce que tu veux dire, c’est que je ne m’intéresse à toi qu’en tant qu’ami ? Il n’y a pas cinquante-six façons de faire comprendre cela, et lui aussi je veux lui épargner des espoirs déçus. Mais je ne crois pas qu’il ait eu le temps de s’en faire. Il dit que j’ai le look intellectuel. Gabriel m’a lancé la même chose. Quoi ! Moi ! Un look intellectuel ? Y’a d’quoi s’tirer din murs crisse ! Il va falloir que je ressorte mon gros look alternatif effrayant faut croire, je ne voudrais tout de même pas passer pour un intello. Lui, le Jacques, c’est ce qui l’attire. Peut-être que moi aussi, mais comme ami, pas comme copain. Sinon on risque de sortir ensemble pendant quatre mois et puis ce sera terminé ; envolé l’amitié, la communication, les conversations intéressantes, pour ne pas dire passionnantes. Lui pense qu’autant d’affinités devraient nous unir pour la vie et nous emmener ensemble très loin. J’y ai pensé. Peut-être a-t-il raison ? L’avenir nous le dira. Mais je doute que nous sortirons ensemble un jour. Avant lui, viennent Tom et Gaby. Les choses se tasseront peut-être, mais moi, pour l’aimer, il faudra que ce soit avec sa personnalité que je tombe en amour. Car un intello, au premier abord, c’est moins excitant. Mais si les sentiments viennent, ce sera peut-être l’extase, qui sait. J’ai beaucoup d’affinités avec Jacques également, mais moins. Ce qui serait peut-être un juste équilibre. C’est moins physique avec Jacques, mais combien passionnant en tant qu’ami. Mon vrai double qui débarque dans ma vie. Je croyais que je ressemblais un peu à Sylvain, mais maintenant que j’y pense je n’avais absolument rien en commun avec lui. Peut-être juste que je reconnaissais certaines choses par lesquelles je suis passé. Jacques est définitivement mon double. De ma génération, nous sommes passés à travers les mêmes étapes. Niveau bars, musique, culture, idées, philosophie de vie. Il me parle, je reconnais les quatre premiers livres que j’ai écrits. Est-ce un fait de génération ou de biologie, nous aurions peut-être les mêmes gènes ? Si nous établissions une liste des chansons qui nous ont fait capoter dans notre jeunesse, la liste serait identique à deux ou trois chansons près. On a parlé trois heures de temps sur notre passé, tout concorde. Je commençais à croire que ma génération était morte, en voilà un qui me surgit de nulle part, qui me dit que lui aussi croit qu’aucune vidéo et chanson n’est mieux que Bizarre Love Triangle de New Order. Hier, il l’a demandé en demande spéciale juste pour moi et je dois avouer que j’ai été touché. Gagnerait-il des points ? Venu de nulle part, à travers mille et un beat de Dance pourri et de revivals du disco des années 70, voilà New Order. C’est la seule chanson que Gabriel ne voulait pas danser. Lui il capote sur Céline Dion, son idole. Seigneur... Pourtant, il n’est pas venu danser le Jacques, et c’était bien ainsi. Il a dit qu’il observait, ma réaction je suppose. Un de ces instants magiques comme il y en a peu dans la vie. Mais cela ne change rien à mon attirance physique envers lui. J’ai été touché comme des fleurs ne me toucheraient pas. Existerait-il une lumière au bout de ce long tunnel culturel qui en a maintenant terminé avec le rap mais qui est incapable de se débarrasser du rave et du dance ? Indie Music, ça vient de sortir, tout frais de Londres. J’y étais en plein centre, j’y ai vécu la gloire d’un nouveau courant qui devrait surgir ici dans quelque temps. Je voudrais bien être DJ. Jonquière reprendrait sa place au firmament de la musique londonienne. Ambassadeur de la musique indépendante. Bon, je vais aller prendre ma douche pour au cas ou mon Tom viendrait ici ce soir, je l’ai invité à venir car il est un peu déprimé à cause de son Maurice. Mais je doute qu’il viendra. Il est dans une position un peu vulnérable ce soir. Mais je ne doute pas qu’il sait ce qu’il veut et fait.

 

 

 

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    Tom m’a téléphoné, s’excusant d’appeler aussi tard. Personne ne dormait ici. Dieu que son moral semblait bas. Ça m’a donné un choc, lui qui est si de bonne humeur d’habitude. Sa crise s’est entièrement communiquée à moi, j’aurais voulu l’aider, lui remonter le moral davantage. J’ai souffert avec lui, reconnu des situations que j’ai vécues dans le passé avec Sébastien. Ce n’est pas facile lorsque tu attends ton copain depuis trois jours, et qu’au lieu de vouloir te voir, il décide d’aller faire du ski et n’est pas encore rentré chez lui vers 23h30. Je crois que Maurice a téléphoné une seule fois, très tard, ne laissant qu’un message sur le répondeur. Le pire, c’est que son message, il l’a enregistré pendant que je parlais avec Tom. Je me culpabilisais un peu, mais c’est Tom qui m’a téléphoné. Je voulais bien l’appeler le Tom avant son appel, mais je n’étais pas la bonne personne pour lui parler si effectivement ses tracas par rapport à Maurice amplifiaient. J’ai tenté de demeurer le plus objectif possible, me reprenant pour tout ce que j’avais dit à Tom à propos de Maurice. J’ai tenté de lui faire comprendre qu’il s’inquiétait pour rien, que dans le fond aussitôt qu’il pourrait parler avec Maurice, les explications seront claires et deviendront évidentes. Il pourra lui reprocher de ne pas avoir appelé davantage, ou de ne pas avoir voulu le voir ce soir, mais dans le fond cela ne va pas de soi. On ne peut pas vraiment reprocher à Maurice de ne pas avoir voulu le voir dès son arrivée au lac, somme toute il n’est parti que trois jours. Tout de suite Tom croyait que Maurice avait appelé de chez Jean-Pierre. Mais je lui ai dit que ce serait peu probable, qu’il ne devrait pas vraiment se torturer avec cette idée. D’autant plus que, dans ma tête, je vois bien que c’est ma faute si maintenant Tom s’inquiète avec ce Jean-Pierre. C’est que moi j’ai appris à ne plus être naïf, j’envisage toujours toutes les possibilités et je cherche des indices. Je m’inquiète avec ce que je vois, comme s’il s’agissait de ma vie. Il me faut apprendre à me taire. J’ai dit à Tom qu’il serait peu probable que Maurice appelait de chez Jean-Pierre s’il avait été faire du ski. Il doit plutôt être avec des gens avec qui il est allé patrouiller. De toute manière, c’est ce qu’il y a de plus probable. Demain tout ira mieux, tout rentrera dans l’ordre, et je pourrai me féliciter d’avoir tenté l’objectivité et de ne pas avoir profité de l’occasion pour me rapprocher de Tom et l’éloigner de Maurice. Tom n’est pas fou, il ne s’intéressera jamais à moi s’il a le moindre doute sur le fait que j’ai influencé la destruction de son couple. En fait, c’est pour m’en éloigner que je vais à la rencontre de Gabriel. Tom disait qu’il savait que je n’étais pas la bonne personne à appeler ; il disait qu’il avait seulement le besoin de parler, d’entendre quelqu’un plutôt que de se morfondre à attendre un appel qui ne venait pas. Je lui ai dit que j’étais peut-être la bonne personne à qui parler. Il m’a demandé pourquoi. Je lui ai dit que je vivais peut-être plus proche de lui que ses autres amis à l’heure actuelle, et que je semblais m’inquiéter davantage pour lui que les autres. Je le pense. Je comprends pourquoi il m’a appelé. Lorsque je le lui ai dit, il m’a demandé pourquoi je comprenais. Je comprends, mais c’est difficile à expliquer. Ça vient des émotions, c’est un geste un peu désespéré que tu poses lorsque tu as besoin de parler, de te changer les idées, de te faire réconforter. Je crois être revenu près de Tom, même s’il ne s’agit que d’une amitié. Or, à quoi servent les amis ? Certainement à nous soutenir moralement lorsque quelque chose survient. Pourtant, je croyais qu’il était heureux hier le Tom au 1891, pendant que l’on regardait le spectacle de travestis. Selon Jacques et Réjean, il semblait surtout morne à cause de Maurice. Je ne me suis pas rendu compte, bien que moi aussi on lisait sur mon visage l’exaspération. J’avais pourtant mon Gabriel qui m’attendait quelque part dans le bar, seul. Je les avais tous deux à côté de moi à un moment donné, Tom juste en avant, et très près. Les efforts qu’il m’a fallu faire pour éviter que Gabriel ne pense que j’étais intéressé à Tom. Même Réjean et Jacques ignorent ce détail. Alors ça complique les choses lorsque Jacques me questionne sur ma crise existentielle alors que j’ai presque Gabriel dans mes bras. Il semblait croire que mes problèmes provenaient de Sébastien. Gabriel aussi est convaincu que je n’ai pas oublié mon ex et que ça explique pourquoi je demeure distant. Ça le change le pauvre Gabriel, si beau et si jeune, tout le monde a l’habitude de lui sombrer dans les bras sans aucune réticence. Or moi je l’ai pratiquement repoussé à partir de la première minute. Ça a eu pour effet de multiplier son intérêt pour moi. Il dit que je suis spécial. Je suis différent des autres qu’il a connus. Mon sourire serait un début d’explication, mais ne suffit pas à définir en quoi je suis spécial. Jacques semble affirmer à peu près la même chose ; il dit que le déclic s’est fait lorsqu’il m’a vu et qu’en plus il m’ait parlé. Je dois être spécial, mais j’ignore dans quel sens. Choses indéfinissables, je crois. On m’a beaucoup dragué, surtout les deux travestis lorsque je suis descendu retrouver Gabriel dans la salle où ils se préparent. Gabriel aidait au show, au maquillage, habillement, coiffure. Il n’a rien d’efféminé, mais il semble avoir un don pour ce genre de choses. Je commence à m’habituer à son visage jeune et pur, cela me ferait mal de lui annoncer que j’en aime un autre. Je lui ai dit qu’il serait peu probable que je prenne une envergure aussi importante que Maurice dans sa vie. Mais il m’a repris pour me signifier qu’on ne savait jamais. Il me signale que s’il s’attache, il va me le dire. Je suppose que c’est alors qu’il faudra agir, ou décider de demeurer avec lui. Je n’ai jamais laissé un copain, j’ignore tout des procédures et des conséquences. Moi-même, on ne m’a jamais vraiment laissé ; j’ai eu quelques mois pour me préparer psychologiquement à la fin de ma relation avec Sébastien. La vie est complexe et parfois difficile à vivre. Mais je ne peux certes pas me lamenter de m’ennuyer, au contraire, la vie est très divertissante. D’autant plus que demain je commence la maîtrise à l’université. J’ai beau n’être qu’au Saguenay, là d’où je viens, mais je suis parti si longtemps que je me rends compte que je ne connais rien de cette vie et que, somme toute, loin d’être une régression ou un retour en arrière, il s’agit d’un changement radical et un milieu bien différent de ce que j’ai déjà vécu. Beaucoup moins impersonnel, individualisé et froid. Je crois que je vais apprendre bien des choses ici.

 

 

 

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    Deux soirs en ligne j’ai découché chez Virginie, pour me retrouver dans les bras du petit Gabriel. Je me souviens de lui maintenant, il était tout jeunot et il se tenait avec un groupe d’enfants dans la rue voilà longtemps. Qui eût cru que je me retrouverais dans ses bras un jour. Quoi qu’il en soit, mes parents ont réfléchi, j’ai osé dire à ma sœur que la maîtrise à Chicoutimi c’est du vol, trois sessions à deux cours par session à 1,000 $ la session, et ça m’oblige à demeurer ici pour les deux prochaines années. Je lui ai dit aussi que j’aimais mieux partir, ma vie pouvait déboucher davantage ailleurs, des rencontres plus fructifiantes à Montréal niveau carrière. Elle a parlé avec mon père, lui aussi est d’accord que je devrais peut-être déguerpir et travailler un peu pour rembourser mes dettes qui cumulent les 20,000 $. En plus, mon père m’a parlé de stabilité, de retourner avec Sébastien. Je crois qu’il vient de comprendre ce que la mère de Sébastien n’a jamais compris. Si on se laisse, on sort comme des malades, on rencontre plein de monde, on couche à tort et à travers, on finit par attraper une maladie bizarre et on en crève. Ainsi ce n’est plus à cause de mes parents que je resterais ici, c’est définitivement ma propre décision. Ils ne me font pas entrave, ils souhaitent que je sois heureux et que j’arrive quelque part dans la vie, ce qui est peu probable si je reste dans la région. Ont-ils entendu des choses que j’ignore ? Il est vrai que je me suis retrouvé dans la salle de déshabillage des travestis cette semaine, on m’a même filmé. Je crois que j’étais en train d’embrasser Gabriel. Je suppose que si cette cassette se retrouvait dans le magnétoscope de mes parents, une crise éclaterait. Je pense encore à Sébastien, bien sûr. Je ne sais pas très bien où je partirais si je devais partir. Ce ne sera peut-être même pas en fonction de Sébastien. Dans ce cas je partirais pour New York. Je crois qu’il me faudrait une voiture. Ce serait ma petite maison mobile. Je l’achèterais à Montréal, une Saab si possible. Je suis libre de partir de par le monde, j’ai quelques centaines de dollars pour aller m’installer ailleurs ; manquerais-je cette chance ?

 

 

 

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    Plus que cinq jours à ma décision de rester et faire la maîtrise. Mon premier cours hier a été un vrai calvaire. Le prof nous a passé quelques feuilles et les a lues intégralement pendant deux heures. À chaque minute c’était : comment vais-je faire pour passer au travers la prochaine minute ? Je luttais pour ne pas m’endormir. Ils sont tous très humbles, nous étions neuf étudiants. Même le prof, lorsqu’il nous a dit que c’était lui l’auteur de tel livre qui était au programme, a dit : Je le mentionne en toute humilité. Plusieurs étudiantes ont cru bon d’ajouter, avant de parler de leur projet, qu’elles n’avaient pas la prétention de dire ceci ou cela, mais qu’elles tenteraient de... Voilà. Une gang de ratés dont j’ai bien compris que si j’ai le malheur de leur paraître prétentieux, je suis brûlé dans tout le département pour les deux prochaines années à venir. Or, je suis prétentieux, ce n’est qu’une question de temps avant qu’ils ne le comprennent et me détruisent. Ma seule chance de sortie serait de les convaincre que je suis effectivement un autre, mais va faire cela lorsque tu es comme les autres et que ta prétention n’est pas justifiée, qu’elle est juste une façade protectrice contre la misère de l’existence. Ils me semblent pas mal suffisants, ces étudiants. Ils se sont longuement lamentés sur toutes sortes de détails dont je me fous comme de l’an quarante. J’ignore encore si ça me plairait de passer quelques sessions avec ces gens-là. De toute manière, c’est bien beau leur petit discours sur l’humilité, ça se sent qu’ils sont tous des monstres de prétention, et je ne vais pas tarder à m’en rendre compte. Ils ignorent encore que je suis gai, j’espère que ça ne changera rien lorsqu’ils le sauront. Les trois autres gars m’ont semblé hétéros.

    Après l’université, je me suis retrouvé dans les bras de Gabriel. Je ne ressens encore aucun sentiment pour lui, mais je dois avouer que ça pourrait venir. Oublierais-je Tom ? C’est possible que ça arrive. Gabriel est tellement affectueux, il ne me lâche pas d’une semelle. On le croirait déjà en amour, je ne sais plus quoi faire pour l’arrêter dans son élan. Aucun doute, il est déjà attaché, il refuse même de me voir aujourd’hui parce que justement il ne veut pas s’attacher trop vite. Personnellement, ça ne m’est jamais arrivé de passer trois jours complets dans les bras d’un gars, à regarder la TV. Je sais maintenant qu’il aura beaucoup à m’apprendre. D’autant plus qu’il fait partie d’un club privé juste en face de chez mon père, et que ce sera une bonne occasion pour moi d’en apprendre davantage sur les actions cachées de ce club. Le problème, c’est que Gabriel étant au bas de l’échelle hiérarchique, il n’est au courant de rien. Je ne suis même pas certain s’il a bien compris que les bases de ces clubs sont assez religieuses et spirituelles. Par contre, il était surpris que j’en connaisse autant sur les fonctionnements de ce genre d’organisation. C’était le sujet de mon roman Denfert-Rochereau, les sociétés secrètes. Alors j’ai fait ma recherche.

 

 

 

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    Tom ne m’appelle plus depuis le fameux soir où il avait des problèmes avec Maurice. J’en déduis que les problèmes se sont aggravés et que je ne suis définitivement pas la bonne personne avec qui parler. Je savais bien que des problèmes entre ces deux-là surviendraient éventuellement, je ne me doutais pas que ça pourrait venir aussi vite. Je n’ai même pas l’impression d’en être la cause, puisque tout vient de Maurice qui soudainement semble perdre intérêt. Mais je fabule, j’ignore tout. Dans le fond, je crois que ce qui est le plus plausible, c’est qu’ils ont fini par se voir, ils se sont parlés, ils ont fait l’amour et maintenant on continue la vie. Si Tom ne m’appelle pas, c’est qu’il est occupé à autre chose ou qu’il a décidé de me mettre de côté pour que ça aille mieux avec Maurice. Mais je fabule encore. En fait, je devrais attendre de voir les événements se dérouler. Je me demande à quoi va ressembler ma prochaine rencontre avec Tom. Tout à coup je me sentirais mal de le toucher. Par respect pour Gabriel, alors qu’en fait celui-là je l’ai déjà préparé à une rupture brutale prochaine. Sort-on ensemble ? Je ne crois pas. J’aimerais bien faire l’amour avec Tom pour voir ce que ce serait. Je suis convaincu que ça serait l’argument final qui me prouverait qu’il est la bonne personne pour moi pour les quelques prochaines années. Car, en fait, moi et Gabriel sommes si différents, que j’ai peine à croire que le destin nous ait réunis pour longtemps. Comme ce serait drôle si je m’attachais à Gabriel et que ça se terminerait entre Maurice et Tom, et que ce serait au tour de Tom de tenter de me séduire.

    Gabriel me dit que je suis parfait. Je suis super beau, tout nu surtout, mis à part les quelques points noirs sur mon nez que j’ai déjà enlevés, et mes bras qui pourraient être un peu plus musclés. Il dit que je suis gentil, doux, affectueux, franc, honnête, intéressant à entendre parler, pas violent (un autre qui a déjà connu quelqu’un de violent). Pendant un instant je m’inquiétais, car il n’aime pas les intellos comme Jacques, qu’il juge un peu prétentieux. Lorsque je lui ai fait remarquer que lui-même m’avait déjà comparé à Jacques en me disant que j’étais un petit intello, il s’est repris avec un grand sourire pour dire que ce n’était pas la même chose : moi, j’étais attirant et intéressant à entendre. Ça devient complexe tout ça. J’ai vu sa mère hier, il partage un appartement avec elle et sa cousine. Ils semblent être du bon monde, même s’ils sont pauvres et que le réfrigérateur est vide. Sa mère travaille dans un bar et elle sort tout le temps. Une famille éclatée pas mal bizarre. Le pire, c’est que le père de Gabriel est riche, une compagnie qui fonctionne pas mal durant l’été. Ils ont une grande maison. Gabriel pourrait y habiter, mais jamais recevoir de gars. Alors il est parti et en subit les conséquences. C’est-à-dire que son frère, qui a un an de moins et qui reste chez son père, a full argent et une belle voiture neuve. Gabriel écope, mais au moins je suppose qu’il a l’amour de sa mère, qui regardait hier la cassette vidéo des travestis du 1891. Sa mère et sa cousine sortent souvent au 1891. Ça devient encore plus compliqué. Genre, des hétéros fuckés qui tentent d’être à la mode en sortant dans ces places-là. Mais je pouvais sentir qu’elle s’inquiétait que son fils pourrait devenir une drag-queen. Mais moi ça m’a rassuré de voir Gabriel sur cassette. Je ne crois pas qu’il ait fait le show pour un trip ou parce qu’il aime ça, mais plutôt parce qu’il est chanteur et que ce show lui permettait de se déguiser en son idole, Céline Dion. Il réussit très bien d’ailleurs. J’ai vu le petit Sylvain en travesti. Il est épeurant. Lui, de le voir, ça m’a traumatisé. Gabriel disait qu’il ne couchait jamais avec un de ses copains très rapidement. Il attendait généralement un mois. Deux jours après nous avions fait l’amour. Je lui ai demandé pourquoi il l’avait fait. Il m’a dit que je l’excitais trop. Bon. Ensuite, il n’emmène jamais chez lui quelqu’un qui ne serait pas sérieux, il apporte ses copains à la maison seulement si ça fait suffisamment longtemps qu’il sort avec eux. Moins d’une semaine après j’étais chez lui, avec une pizza de Pizza Royale. Seule sa mère en a mangé, les autres ayant déjà mangé. Elle m’aime, sa mère, maintenant... Alors, lorsque je lui ai demandé pourquoi il m’avait emmené chez lui, alors que ça ne fait même pas une semaine qu’on se voit, et que je lui ai déjà dit que ça ne durerait peut-être pas, il m’a répondu vaguement. En fait, sa mère et sa cousine auraient dû ne pas y être. Alors nous aurions dû partir avant que sa mère n’arrive. Je crois qu’il veut tout de suite m’intégrer car il a peur de me perdre. Il réussira peut-être, il est tellement naïf, il me fait presque pitié. Ce serait dur de lui annoncer que je ne le reverrai plus. Sa maison est d’une propreté exemplaire. C’est lui qui fait le ménage, sa cousine et sa mère étant des porcs autant que pouvaient l’être Sébastien et Martin à Londres. En blague, hier, il me disait qu’il disait à Valérie que maintenant il se mettrait à écouter de la musique alternative, qu’il écouterait des films français plates plutôt que des gros mastodontes américains, et qu’il se mettrait à lire de la littérature française (et puis qu’il arrêterait de fumer, qu’il deviendrait végétarien). Pendant un instant je me suis même demandé s’il blaguait. Il me lance cela juste après m’avoir dit que demain on ne se verrait pas. Il ne voulait même pas m’appeler. Je lui ai dit que dans ce cas j’appellerais Jacques pour le rencontrer ; il m’a regardé avec son sourire et m’a confirmé qu’il m’appellerait. Il voit Jacques comme une menace car, selon Valérie, il s’intéresse peut-être à moi. Moi, je sais déjà qu’il s’intéresse à moi.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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    Ce soir, je vais voir Jacques et Gabriel. Je vais probablement dormir chez ce dernier, il est incapable de ne pas me voir aujourd’hui. N’est-ce pas un signe de son attachement ? Il refuse de me voir pour ne pas s’attacher, mais est déjà incapable de ne pas me voir. Il s’inquiète aussi que je voie Jacques, alors qu’en fait, il devrait plutôt s’inquiéter lorsque je vois Thomas. J’ai d’ailleurs appris que ce dernier a rompu la communication avec tout le monde, moi, Jacques et Réjean. Ça me fait plaisir de voir que ce n’est pas que moi qui suis oublié de Tom. Aujourd’hui, je me demandais si j’étais bien moral de me faire un copain ici alors que Sébastien existe encore et qu’il risque de me rappeler à lui, sinon la semaine prochaine, du moins durant l’été après la session. Et puis j’ai compris que c’était bien terminé, qu’il parlait comme si j’avais le droit de le tromper, qu’en fait, on risque davantage de ne pas revenir ensemble que tout autre chose. Alors non, je ne devrais pas me sentir coupable, d’autant plus que lui aussi a certainement couché avec quelqu’un d’autre. Cette idée ne m’enchante pas. L’autre soir, où il n’a pas couché chez lui, c’est qu’il a dormi dans les bras d’un autre. Serais-je si naïf, et croire qu’il aurait dormi chez George ? Oh, God, je suis un peu déprimé maintenant. Je l’aime mon Sébastien. Je n’ai pas hâte de lui parler cette fin de semaine pour lui dire que c’est la dernière chance que l’on se retrouve ensemble, car il me dira encore que rien n’est stable dans sa vie et que pour le moment les choses devraient demeurer telles quelles. Comprend-il qu’il n’y aura pas de retour en arrière possible ? D’autant plus que j’aurai un copain ici, sinon Thomas, au moins Gabriel. Christ, s’il veut rien savoir d’être avec moi, pourquoi ne me le dit-il pas clairement ? Peut-être que c’est déjà clair et que moi j’agis en aveugle.

 

 

 

 

 

 

 

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    Aujourd’hui, je suis content. J’ai encore dormi chez Gabriel et après avoir fini de faire l’amour, il a dit : « Christ, y’a jamais personne qui m’a fait jouir et éjaculer comme ça dans ma vie ! » Quand je repense au nombre de personnes avec qui il a couché (il n’arrête plus de me les énumérer), c’est certainement un gros compliment. J’étais tout mal à l’aise quand il a dit ça, d’autant plus que je n’ai pas l’impression d’en faire tellement. Ça me donne envie de m’enfler la tête, ça me donne énormément de confiance en moi. Je me sens tout à coup invulnérable, je partirais pour New York avec l’impression absolue de pouvoir ramasser qui je veux quand je veux. Et si l’on me rejette, je n’aurai qu’à me dire : « Ah ben toi tu sais pas ce que tu manques. » C’est à Thomas qu’il faudrait dire ça. Mais lui s’éloigne de moi chaque jour. Il a repris avec son Maurice, tellement bien qu’il a même couché chez lui à Alma malgré l’interdit des parents. Ce qui expliquerait son silence des derniers jours. C’est désespérant ! Hier, j’ai été surpris lorsque Jacques m’a montré son bedon poilu. Thomas a dû lui dire que j’aimais ça. Bel effort, mais ça ne changera rien. Moi, c’est Thomas, sinon Gabriel. Mais Gabriel fume, en plus il est en communication permanente avec le 1891, il s’y rend jour et nuit pour aider, je n’aime pas cela du tout. Aujourd’hui, il y va pour travailler sur les rénovations, il sera payé en consommations, j’espère qu’il ne sera pas payé en drogue. Il me dit presque qu’il est prêt à arrêter de fumer pour moi. Hier, il m’a dit qu’il était en train de tomber en amour et qu’il commençait vraiment à s’attacher à moi. Je lui ai dit qu’il était super beau, qu’il m’excitait en masse, mais que les sentiments n’y étaient pas. La déception s’est peinte sur son visage, le pauvre. J’ai ajouté que j’ignorais s’ils viendraient et que c’est ce que je cherchais à voir en demeurant avec lui. Alors il garde espoir. Je suis très franc avec lui. God, cet enfant a tellement eu de problèmes, ça n’a aucun sens. Ce n’est pas pour rien qu’il veut autant d’affection, que je ne puis même faire un petit mouvement sans qu’il me prenne dans ses bras. Si Sébastien avait été la moitié de lui, mon bonheur aurait été complet. Je me revois à mes débuts avec Sébastien voilà quatre ans. Sébastien avait 23, j’en avais 18, je m’en allais sur mes 19. Exactement comme avec Gabriel, il aura ses 19 dans un mois et demi. Hier, sa mère est arrivée complètement saoule vers 4h30 du matin. Elle parlait et sacrait toute seule dans la cuisine. Gabriel avait honte, elle n’était pas supposée venir coucher. Un moment donné, Gabriel l’entendait ronfler ; il s’est levé pour aller éteindre sa cigarette qui demeure toujours allumée lorsqu’elle revient saoule (tous les napperons sur la table sont brûlés, elle a déjà sacré le feu à son dernier appartement, mais heureusement elle a eu le temps de réagir avant que l’huile à patates frites achève la cuisine). Elle dormait assise sur les toilettes ! Il est venu me dire de demeurer dans la chambre, il allait la coucher. Il lui a dit de ne pas lui faire honte, il avait quelqu’un avec lui. Elle voulait danser, il disait : non, non, on va aller se coucher. Il prend soin de sa mère, elle fait de l’emphysème ou quelque chose, elle prend de la cortisone et des médicaments contre l’épilepsie. Elle risque la crise si elle oublie de prendre ses médicaments pendant deux jours. Gabriel joue au père avec elle. Il est vraiment un enfant responsable, il m’impressionne vraiment. Ah, il m’a tout raconté avec son père, c’est vraiment terrible. Un paquet de mauvaises décisions, de mauvaises circonstances, il se retrouve où il en est. Je crois que le réfrigérateur est complètement vide, je pense qu’ils n’ont même pas de biscuits au soda. Le pire, c’est que ça les oblige à manger au restaurant tout le temps, et je suis convaincu que ça leur revient plus cher. Gabriel insiste pour payer sa part partout où on va, il dit que je n’ai pas plus d’argent que lui. Ce qui est vrai. Je ne me vois pas payer pour lui, même si parfois c’est bien tentant. Il veut s’inscrire au cours des adultes pour finir son secondaire cinq, il n’a même pas les 60 $ requis pour l’inscription, et l’argent pour les livres. Je lui ai dit de demander à son père, et je me disais dans ma tête que si son père voulait rien savoir, je paierais cela volontiers, même si je ne sortais pas avec. Si j’avais un peu d’argent, je les aiderais, même si en fait le gros du problème, c’est que leurs priorités sont à la mauvaise place. Alcool et cigarettes. Fléau social. Mais cela ne m’empêcherait pas de les aider car, finalement, ce qui les motive à vivre, c’est cela. Dans un monde de misère où l’amour a toujours manqué, certaines choses semblent essentielles autant que la nourriture, le logement et les vêtements : l’alcool et la cigarette, qui priment sur l’essence même de la vie. Alors, oui, je les aiderais malgré tout. Mais moi je suis plus pauvre qu’eux ! Avec mes 25,000 $ de dettes, sans avenir avec ça. Monde de misère.

 

 

 

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    — Toé pis moé y va falloir qu’on s’assise pis qu’on parle. Tu m’as l’air d’avoir des problèmes de drogues pas mal plus graves que je pensais.

    — Oui, mais c’est pas de ma faute, tout le monde m’en offrait, tout le monde voulait que je fume. Y m’aident pas, eux autres, là-bas.

    — Ben, pourquoi tu penses que je me tiens loin d’eux autres ?

    — Ouais, y faudra pu que j’sorte, j’irai pu.

    — Ben, t’as pas besoin de toute couper. Mais hier tu m’disais que c’était dur de pas en prendre, on dirait que t’es vraiment devenu dépendant.

    — Oui, un p’tit peu. Hier, j’ai juste pris du hasch, ça m’a rien coûté, j’ai rien senti. J’sais même pas pourquoi j’en ai pris. T’es-tu fâché ? J’ai pas tenu ma promesse.

    — C’est pour la drogue que tu voulais pas que je vienne coucher chez vous ce soir ?

    — Non, pas du tout, c’est une coïncidence.

    Hier, au 1891, je suis reparti avec Cathy, la cousine de Gabriel. Lui, il voulait rester encore. Je ne me souviens plus pourquoi je suis parti en le laissant là seul, j’étais vraiment saoul. Mais aussi qu’il m’a demandé si je voulais partir, et je n’ai compris que plus tard que lui ne partait pas. Dehors, en marchant, j’ai réalisé mon erreur. J’ai trop bu parce que j’étais en crise existentielle, à savoir si je devrais partir ou rester, et là lui il m’annonce que ce soir il veut un soir off, et qu’il ne veut pas que je couche chez lui. Il me radote que c’est à cause de sa mère, etc. Bullshit. De A à Z sa soirée était planifiée. Effectivement, le travail qu’il fait au 1891, ça paye sa drogue. Je me demande même si ce n’est pas des dettes qu’il rembourse. En arrivant chez lui, avec Cathy, elle me conseillait de me coucher dans son lit en attendant qu’il arrive. Mais j’ai plutôt décidé de retourner au 18.

    — C’est inutile, tu vas le voir ben gelé, pis là, qu’est-ce que tu vas lui dire ?

    — Le sauver peut-être ?

    En arrivant, je ne le voyais nulle part. J’avais tellement bu que rien ne me dérangeait. J’ai dit au gars du bar qu’il fallait qu’il m’emmène dans le deuxième bar (illégal), en bas. On est descendu, il a cogné. Quand la porte s’est entrouverte, j’ai dit salut et je suis entré sans attendre que l’on m’invite. J’ai refermé la porte en arrière de moi, en fermant la porte au nez de l’autre qui m’avait emmené. Je l’ai remercié. Gabriel était assis à une table avec le propriétaire et une autre fille. Je vous jure que c’était hard. Il paniquait, il croyait que j’allais être fâché. Mais j’avais tellement bu que finalement je n’en voyais plus clair. Je suis entré dans une conversation infernale de tout et de rien, avec le proprio, à propos de son bar et de son nouveau restaurant qu’il tente de mettre sur pied. Il était gelé ben raide à la coke, un vrai dialogue de sourds. Gabriel paniquait parce que je ne lui accordais aucune attention. Il a voulu partir, nous sommes partis. À ce moment, Gabriel m’a dit ce qu’il a voulu me dire toute la soirée :

    — Tu t’fous de ma gueule, tu me ris dans face.

    — Qu’est-ce qui peut te faire penser ça ? Moi, je t’aime !

    — Pourquoi y faut que tu sois saoul pour me l’avouer ?

    — Je te l’dis pas quand j’suis saoul, j’te l’dis quand ça vient.

    — T’es trop magané pour aller chez vous, viens dans mon lit.

    Jamais passé une soirée aussi weird. Mais aussi, ça me donne un très bon avant-goût de la vie qui m’attend avec lui. Ce matin, je n’avais qu’une idée, le flusher là raide. Malgré sa beauté et sa jeunesse. Un plus vers mon départ. Je me demande si Thomas fait l’autruche avec son Maurice. Il doit bien avoir les mêmes problèmes, non ? C’est pas un cadeau la drogue. C’est un double problème de confiance. Peur de l’infidélité, peur qu’il prenne de la drogue. Et là, il va s’inventer un paquet d’histoires pour aller prendre des drogues avec ses petits amis. Très peu pour moi. Ce n’est même pas encore commencé, et les histoires sont déjà commencées. Il veut aller au 1891 ? Voilà que je vais commencer à me ronger les ongles, me dire qu’il va peut-être bien se faire entraîner à prendre de la cocaïne. Viarge d’enfant influençable, prends donc le contrôle de ta vie, hostie ! En tout cas, moi je vais la prendre, je vais partir pour Montréal quelque temps, et de là je verrai ce que je ferai.

 

 

 

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    Hier, par exemple, j’ai fait ma part de folies. Tom est venu chez moi, et nous sommes allés voir Gabriel animer sa guerre des clans, un Family Feud à la québécoise. Ensuite, Thomas est venu dans ma chambre.

    — Fais-moi un show.

    — Un show ? Tu veux dire un strip-tease ?

    — Non, hé, un show.

    Que pouvais-je faire, pour lui faire un show ? Je me suis déshabillé complètement, j’étais bandé ben dur. Il tentait de ne pas regarder, mais victoire, il m’a étudié un peu. Surtout ma bite. J’ai eu la chance de lui montrer ma circoncision, et ça l’intéressait. Maintenant il connaît la marchandise, mais ça ne changera pas ses idées. D’ailleurs, il est parti un peu fâché du 18, il n’aime pas que je me saoule comme hier, et qu’en plus je fume une cigarette. Cette cigarette m’a tellement fait d’effet, c’est pas croyable. Je me suis envolé complètement. Je parlais avec Réjean, il a dû prendre peur. Tom semblait découragé aussi, à propos que je parte. Il ne veut pas me perdre, comme ami cependant. C’est triste. En tout cas, lorsque j’étais nu à côté de lui, je lui ai embrassé le cou. Un homme nu, donc, l’a embrassé hier, et je suis certain qu’il n’a aucun problème de conscience. Un moment donné je lui frottais les jambes.

    — Arrête, j’suis pas fait en bois !

    — Non ? Ben prouve-lé christ !

    Je suis bien heureux, tout le monde m’apprécie et veut que je reste. Ma sœur est presque fâchée contre moi.

 

 

 

 

 

 

 

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    Ô Ed, j’espère que c’est vrai que ma photo est dans ton portefeuille depuis notre première nuit ensemble, j’espère que c’est vrai que je suis le seul gars de qui tu tiens une photo en permanence avec toi, car je m’en fous que tu me dises que tu n’es pas prêt pour une relation monogame, j’arrive dans deux semaines. Je dois être fou, mais je pars pour New York. Ma décision a été prise hier soir, aujourd’hui j’ai annulé mes deux cours à l’université, le tout déporté à septembre prochain. Mes relations sont pourtant très riches ici dans le moment. Tous ces nouveaux amis, ce nouveau copain qui s’accroche comme un malade et qui est presque prêt à tout lâcher pour me suivre, même le Sylvain qui me rappelle ce soir en crise de sexe, je suppose. Ça lui a coupé le souffle que pendant ses trois semaines d’absence à Québec et à Montréal, je me sois fait un copain et qu’il ait manqué sa chance. Non pas que je pense qu’il voudrait une relation sérieuse, mais il souhaiterait certes me revoir. C’est drôle, j’aurai au moins le respect envers Gabriel de ne pas m’y rendre même pour un café. Il y a un bout à vouloir faire souffrir quelqu’un dont je sais bien qu’il va entrer dans une grande dépression après mon départ. Sa meilleure amie Virginie ne cesse de me répéter de faire attention à lui, que c’est elle qui va le ramasser en mille miettes. Comment ? En deux semaines il est tombé follement amoureux. Que voulez-vous que j’y fasse ? En plus je suis tellement sorti dans les bars pendant le dernier mois, c’est à peine croyable. On dirait que je suis venu au Saguenay pour une escale éclair et qu’il me fallait tout vivre à vitesse rapide, trois fois plus vite qu’à la normale. Ainsi il me faudrait ingurgiter toutes ces nouvelles expériences et les digérer tout à la fois, avant d’enregistrer une suite rocambolesque à New York. Serais-je rendu au point que ma vie doive se dérouler à 300 km/heure, comme les TGV en France, et que maintenant il faudrait que j’apprenne tout en même temps sans même que ça ne décante ? Je n’arrive plus à tout raconter. Bon, par où commencer ?

    Gabriel est devenu bien bizarre, ce beau jeune homme qui semble avoir vu en moi l’amour de sa vie tant attendu. Puis-je être à ce point, sur tous les points, cet être différent qui apporte l’absolution sur les péchés du monde ? Jacques me disait que c’était bien triste, car on n’avait pas eu le temps de se connaître, et c’est bien vrai. Il affirme que c’est très rare de rencontrer des gens comme moi qui sont si intéressants. Je dois avoir un don, j’ignore lequel. Je découvre tout à coup que lorsque je me fais de nouveaux amis, s’ils ont le malheur de trop s’approcher, ils deviennent dépendants. Mais je ne dois pas oublier que j’en rencontre d’autres que je repousse radicalement. Martin à Londres, et tous ses amis. Un échec lamentable. Mais il est vrai que je leur semblais bien jeune, pour des gens qui sont déjà dans la trentaine. Ici tout le monde me donne à peine 17 ans. Tellement qu’au club, l’autre soir, un vieux laid m’a presque assommé en me disant : Salut, Jimmy ! Jimmy, c’est le frère de Gabriel, il a 17 ans et il a l’air d’en avoir 15. Je me plais à jouer le rôle de l’enfant innocent qui est beau et fin. Lorsque l’on me parle, on voit tout de suite le contraste cependant, j’ai bien 23 ans, et j’ai quatre années d’université dans le cul, suffisamment pour vous achever avec une morale intellectuelle débandante. Bien sûr, lorsque je rencontre de nouveaux amis, je parle comme eux, je m’adapte. Je parle de cul, sexe, voyages, des sujets insipides à la limite. Je joue le jeu du jeunot de 17 ans, mais je suis drôle. Quant à Thomas, il ne me parle plus tellement depuis qu’il sait que je vais partir. Je crois que je l’ai frustré l’autre soir, il n’appelle plus, alors que je suis rarement là. Ainsi, incapable de me dire que je vais demeurer ici tranquille pour les deux prochaines années, à sortir avec Gabriel, me voilà qui vole vers Ed, mon deuxième grand amour. Gabriel lui ressemble énormément, tellement que parfois ça me fait remonter les sentiments que j’avais pour Ed jadis. En fait, c’est un peu la raison pourquoi je suis avec Gabriel, c’est qu’en fait c’est Ed que je recherche. Ils ont un peu les mêmes yeux et la même bouche. Alors chaque fois que je me retrouve au lit avec Gabriel, je me dis : pourquoi ne pas avoir l’original, Ed, celui que j’aime vraiment ? Car effectivement, les fois où je jouis le plus avec lui, c’est lorsque j’imagine qu’il s’agit d’Ed. Il me semble que c’est la logique même des événements que je me retrouve chez Ed pour voir ce qui pourrait survenir. Il m’ouvre son lit, mais m’avertit qu’il a plusieurs amants avec qui il couche et qu’il couchera encore avec eux après mon arrivée. Peut-on autant être en manque de sexe ? Il me semble pourtant bien facile de sortir et de rencontrer du monde. Je me demande où je trouverai la force et l’énergie nécessaires pour faire l’amour avec Ed, malgré toutes ces personnes avec qui il a fait des choses. Ai-je vraiment un statut particulier ? Suis-je vraiment l’amour de sa vie ? L’aurais-je tant marqué avec notre seule et unique nuit ensemble à Ottawa ? Qui me dira dans quoi je m’embarque en partant d’ici ? Est-il bien possible de travailler illégalement à New York ? Je m’en vais faire du Anne Hébert, mais dans un autre pays. J’espère qu’ils ne sont pas aussi maniaques qu’en France au niveau de leur immigration. C’est terrible, je passe le clair de mon temps à me répéter : je vais faire ce que je veux, peu importe la loi. Si mon père a changé d’avis sur mon départ et qu’il l’accepte, c’est parce qu’il comprend que j’ai le droit de faire ce que je veux. Mais également qu’il faudrait que je travaille à rembourser mes dettes, et que sa blonde n’acceptait pas tellement mon rythme de vie. Je peux comprendre, ils ont l’impression que je sors tous les jours et que je découche à tort et à travers. Ils s’imaginent que je suis comme ça peu importe où je suis : Ottawa, Paris, Londres, New York, Montréal. Encore une fois je vais tenter d’enjamber Montréal. On dirait que je sais que je vais finir mes jours à Montréal et que pour l’instant je fais tout pour l’éviter, de peur d’y mourir.

 

 

 

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    Gabriel est bien découragé. Depuis que je suis débarqué dans sa vie, j’ai tout remis en question. Pouvez-vous imaginer qu’il a manqué ses mini-séries à la télé ce soir ? D’habitude, c’est la première chose qu’il met au clair avec ses copains : le lundi et le mardi, il écoute ses émissions à la télé. J’espère que j’aurai autant d’emprise sur Ed, car moi je risque d’avoir des sentiments pour lui, et c’est moi qui mangerai la claque cette fois-là. Ma possibilité de demeurer à New York dépend entièrement de lui. Il me présentera ses amis, je serai vite incorporé à cette nouvelle famille-communauté gaie de New York. J’espère que j’aurai autant de succès qu’à Jonquière. Mais ce sera bien plus ambitieux. Il me faudra user d’un savoir-faire absolu, pas question d’insulter qui que ce soit ou de me faire des ennemis. Comment faire pour qu’Ed évite de me dire, après deux semaines, que c’est le temps que je parte parce que ça dérange son colocataire que je sois là ? Ce sera difficile d’arriver à tout accomplir. J’ai pris un mois pour trouver du travail à Londres, et c’était légal. Il faudra un miracle à New York, ou de bonnes connexions avec Ed. En fait, ici à Jonquière, j’ai acquis l’expérience nécessaire à l’intégration dans un plus grand milieu, anglophone par-dessus le marché. De mon séjour dans la région du Saguenay, je pourrais dire que, loin d’avoir épuré mes amis, je n’ai fait que poser les bases de futures relations pour lorsque je reviendrai ici.

    Je viens de parler avec Thomas. Ça m’a littéralement ramené sur la terre. Il le prend si mal que je parte que j’ai l’impression que ça l’a déprimé. Ça lui a fait suffisamment de peine en tout cas pour qu’il décide de rompre contact avec moi ou presque. Il dit que l’on va continuer notre conversation un autre jour. Il va y réfléchir, s’il juge que l’on devrait se revoir. Il croit que c’est inutile d’investir dans une amitié qui va se terminer. C’est qu’alors mon concept de l’amitié diffère du sien. Quelle drôle de mentalité. Soudainement on dirait que je réalise que j’avais peut-être des choses à confronter ici et que je m’en vais passer à côté. C’est vrai. Quel rôle peut-on imputer à la destinée ? Ne m’emmène-t-elle pas là où elle juge que je dois aller ? Ou suis-je vraiment maître de mes décisions et je puis me tromper ? Il est bien difficile de revenir sur ma décision de partir, je viens de me désinscrire de l’université. J’ignore si je pourrais courir demain pour tenter d’enrayer ce processus et aller à mes cours cette semaine. Pourquoi réagit-il ainsi ? On le croirait au bord du gouffre, souffrant deux fois plus que Gabriel lui-même. Je pensais que finalement il avait développé des sentiments pour moi, mais il affirme que ça ne ressemblait pas encore à cela. Fallait voir Virginie partir dans les Alpes lorsque je lui ai annoncé mon départ : elle est devenue une zombie totale. Peut-on s’unir si fort à des gens en si peu de temps ? J’ai l’impression que l’on peut tomber en amour en deux jours, que l’on peut se lier des amitiés éternelles en deux jours également. De quoi partirait le principe que toutes ces choses prennent des millénaires à s’accomplir et qu’il est toujours trop tôt pour dire : je t’aime ? Jamais un départ ne me sera aussi difficile que celui-ci. Le pire, c’est que c’est chez moi et que je reviens toujours dans la région. Si je retourne à Montréal après New York, je pourrais descendre ici toutes les deux semaines, si j’y tenais vraiment. Ce n’est pas comme de partir de Paris ou de Londres, là c’est vrai que les adieux risquent fort d’en être des vrais. Thomas me fait souffrir, j’ai l’impression que je ne le laissais pas du tout indifférent, mais même aujourd’hui il s’obstine à me dire le contraire. Nous serons certes trois à souffrir de façon significative de mon départ ; j’y ajouterai ma sœur, un peu désespérée dans sa vie de chômeuse en région, et qui retrouvait en moi un ami de cet extérieur qu’elle a connu à Ottawa lorsque nous étudiions ensemble. La vie est complexe. Heureusement j’aurai New York pour me motiver, me revigorer, m’apporter une nouvelle vie passionnante, je suppose. Eux, ils n’auront que la routine d’avant mon arrivée. Peut-être s’emmerdaient-ils et que je leur ai apporté un vent de fraîcheur de l’extérieur. Alors c’est que je me serais vite emmerdé à mon tour. Mais je dois avouer que je ne m’enlignais pas du tout pour m’emmerder. Au contraire, rien ne semblait pouvoir m’arrêter dans mon élan, j’en étais encore hier dans la salle des travestis du 1891, je suis de la famille maintenant. Alors la grande question qui demeure c’est : pourquoi partir ? Souviens-toi de ta motivation première : je pourrais regretter de ne pas être parti, mais je ne pourrais pas regretter d’être parti, car si je regrette d’être parti, je n’ai qu’à revenir, tandis que partir, je ne le pourrais plus. Peut-on asseoir de telles décisions sur de tels idiomes ? Pourquoi partir ? Mais pourquoi ne pas partir ? Il n’y a aucune réponse possible à ces questions, tout est relatif.

 

 

 

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    Je vais tenter de décrire ce qui m’est arrivé ce soir, mais je ne crois pas que je serai en mesure d’y voir clair. Je n’aurais pas cru que j’en arriverais à vivre des choses qui me font perdre la raison à un point tel que, finalement, je n’arrive pas à m’expliquer mes réactions. Je suis parti chez Tom, avec aucune arrière-pensée, vraiment. Avec l’espoir de le toucher un peu, pas davantage. Je me suis calmé quelque peu depuis que je suis avec Gabriel. Mais arrivé sur place, Tom m’a dit, pratiquement directement, déshabille-toi. On aurait dit que cette fois ce n’est pas moi qui faisais la folie de le faire alors qu’il ne voulait pas trop, au contraire, il me le demandait et ça impliquait beaucoup. Je bande en ce moment juste en y pensant, mais là j’ai gelé complètement. Pourquoi ? C’est ça le mystère. On aurait dit que je n’attendais que cet instant opportun où franchement il avouerait ouvertement quels étaient ses désirs et qu’enfin je pouvais entrevoir un avenir avec lui. Mais quelque chose me bloquait. Premièrement, il se demandait pourquoi je ne bandais pas aussi rapidement que les autres fois, me disant qu’il ne me faisait pas d’effets. Il fallait rien de moins pour m’empêcher de bander encore plus. C’est totalement ridicule en plus, je bande juste à penser à lui, je bandais juste à le regarder dans le centre d’achats hier. Je peux bien croire que je fais l’amour deux fois par jours depuis deux semaines avec Gabriel, mais ce n’est pas une raison pour ne pas bander lorsque je me retrouve nu devant Thomas, celui pour qui j’ai des sentiments. Et c’est là je crois que l’on trouve la clé de cet événement. Je suis demeuré tellement surpris qu’il se laisse ainsi toucher, que je regarde dans son gilet, que je puisse le prendre un peu plus, j’ai cru pendant un instant que nous allions faire l’amour. Mes sentiments pour lui se sont décuplés, et ce n’est pas sexuel ça, c’est plutôt un genre de romantisme, un besoin de le prendre dans mes bras, je sais pas, ça m’a comme tout à fait revirer de bord. Mais je n’arrive pas à comprendre. Peut-être me sentais-je coupable par rapport à Gabriel, mais cela je ne m’en suis vraiment rendu compte que rendu chez lui, j’étais comme un peu bizarre en face de lui. Mon Dieu, j’ai vu la bedaine de Tom, c’est vraiment beau. Il est un peu gros, mais c’est une de ses qualités. Pourtant c’est un peu ça qui m’excite, j’y repense et je sais que faire l’amour avec lui serait extraordinaire. Ça je le sais. Si je pouvais l’avoir nu dans mes bras, ce serait incroyable, mais ce ne serait pas juste sexuel, ce serait l’amour. Si j’avais pu bander comme du monde ce soir, cela aurait été incroyable, au moins je ne l’aurais pas déçu. Que va-t-il s’imaginer ? Pourrait-il croire qu’il ne m’excite pas, après toutes ces fois où je bandais juste à lui toucher la main ? Bien sûr, ça tombe mal que j’aie fait l’amour avec Gabriel vers trois heures du matin hier et ce matin. En plus, ça m’a tout fucké. Y avait-il de l’espoir en définitive avec Tom ? Aurais-je manqué ma chance ce soir ? J’ai envie de pleurer. Soudainement je me demande si je ne regrette pas de partir, et c’est l’idée qui m’a hanté toute la soirée. Là, j’écoute Nine Inch Nails, il m’a prêté son CD, j’écoute la chanson Closer, j’ai envie de sauter au plafond, faire sauter toutes les fenêtres de la maison en mettant le système de son au maximum. Retourner en arrière, me déshabiller à nouveau et cette fois bander. Et qu’est-ce que cela aurait changé ? Peut-être ne voulait-il justement que me donner un peu espoir pour que je reste ? Je capote littéralement. Pourrais-je rester ici après avoir annulé mes cours ? Quel désastre. Pourrais-je laisser le petit Gabriel pour Tom ? Quel calvaire cela serait, lui qui pleure pour que je ne parte pas. Sait-il que si je ne pars pas, ce n’est pas pour lui mais pour Tom ? Toute cette histoire me rend malade ! J’ai envie de partir aujourd’hui pour fuir tout cela. Je veux revoir mon Tom dans une bonne intimité ! Je veux l’avoir bien au chaud dans mes bras ! J’ai pu l’embrasser dans le cou comme j’ai toujours voulu. God, comment pourrais-je en avoir plus ? Comment pourrais-je l’embrasser pour vrai ? Sa conscience joue encore, mais moins. Moi, je vois son copain avec Jean-Pierre. Si ces deux-là n’ont pas encore couché ensemble, ce n’est qu’une question de temps. C’est peut-être une motivation de Tom à venir vers moi. Mais j’ignore ses sentiments. J’ignore tout de ce qu’il pense. Si je pouvais savoir le moindrement ses sentiments, il me semble que je demeurerais moins surpris et que je pourrais contrôler mes réactions. Car ce soir j’ai figé. Le cœur m’a tordu, parce que soudainement j’entrevoyais une possibilité avec lui et puis je pars dans exactement une semaine. La panique me prend. Ce soir, au 1891, j’étais littéralement en crise existentielle. En plus, j’ai fait un de ces cauchemars cette nuit. Je suis arrivé chez Ed à New York et là il m’avouait être en amour par-dessus la tête avec un autre gars qui était si beau que dans le fond je comprenais que, Ed et moi, les sentiments que jadis nous avions eus ne pouvaient faire autrement qu’être complètement morts. Et c’est vrai, je n’ai rien à attendre d’Ed. Je sais bien qu’il a ses amis avec qui il couche, je ne peux pas m’interposer comme ça et tout chambarder. Je ne sais plus où j’en suis, je suis tout mêlé, je ne me souviens pas d’avoir été aussi mêlé depuis longtemps. On dirait que je ne sais plus reconnaître les conséquences de quelques innocentes actions. Comme de sortir un peu avec Gabriel pour combler mon manque d’affection. C’est allé trop loin. Là, il m’appelle son Bé, il m’avoue être en amour avec moi comme un malade, comme un fou. Il se dit prêt à me suivre n’importe où. Alors là, il est mon copain officiel et j’ignore comment j’ai pu me mettre dans une telle situation. Est-ce que je l’aime finalement ? Bien sûr, ces choses ne se voient que lorsque nous sommes loin et que tout devrait être oublié. Comme j’étais déprimé ce soir ! Et j’ai tellement tenté de figurer pourquoi. Et j’espère tellement que ce n’est pas parce que je regrette de partir, maintenant que je sais que Tom s’intéresse définitivement à moi ! Parce qu’alors là, je pars pour New York, mais j’y serai malheureux comme ce n’est pas possible. Ce soir, j’étais déjà malheureux, ou du moins pensif. J’aimerais que l’on m’éclaire sur mes sentiments. Serait-ce l’amour pour Tom ? Mais alors ce serait grave, je serais vraiment atteint. C’est drôle, soudainement je vois le jour où je pourrai mettre sa bite dans ma bouche, me semble que de le voir jouir ce doit être quelque chose qui me rendrait fou. L’idée de l’embrasser me rend malade, j’ai peine à croire que cela se pourrait. Je suis tellement bandé en ce moment, j’aimerais tant pouvoir lui communiquer toutes ces choses. Je crois que je vais demeurer ici au moins encore deux semaines. Je veux voir jusqu’où il est prêt à aller, s’il veut faire l’amour avec moi. Si oui, je crois que je resterai. J’achèterais une voiture, trouverais de l’emploi, continuerais de sortir avec Gabriel en attendant que Tom et moi ce soit plus officiel et que les choses se tassent avec Maurice. Moi il ne me resterait qu’à tenter de payer ma session et de rembarquer sur ma maîtrise. Si cela est possible. Un tour de force, mais ces choses me connaissent. Dieu, que la vie est compliquée ! Tom ! Je veux te voir demain ! Abandonne-toi pour l’amour de Dieu ! Allez, prends tes responsabilités, fais l’amour avec moi, affirme-le, fais-le, on verra après. Il me semble que l’on verrait tellement plus clairement ensuite. Tu n’aurais aucun doute sur moi, je n’aurais aucun doute sur toi. Que la vie est compliquée.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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    Je crois que je viens d’atteindre le point culminant de ma crise. Ed vient de me téléphoner de New York, pour me faire une série de mises en garde. Je ne peux pas demeurer chez lui plus de deux semaines, son colocataire est hyper sensible, il faut que je me ramasse, que je sois tranquille, que je ne fasse aucun bruit, que je m’entende bien avec lui, que j’apprécie la musique classique et sa cuisine. Selon Ed, si je m’entends bien avec lui, je pourrai rester plus longtemps. Il me faudra tous les jours être dans la rue à chercher de l’emploi, selon Ed, si je veux vraiment demeurer là. Il fera tout pour m’aider, mais il se dit très nerveux. Le ton qu’il emploie m’effraie. Il dit que ça fait deux ans, il m’avait en fantasme et il a peur que la réalité détruise les fantasmes. C’est un très grand risque, personne ne peut savoir comment ça va fonctionner. Je crois qu’il a peur que je le juge, il dit qu’il a beaucoup changé. Il s’est affirmé sur la scène gaie de New York et il en a peut-être trop fait. J’ai l’impression qu’il me voit comme une vierge frustrée qui ne pourrait accepter une telle chose. Dieu, j’ignore vraiment comment ça pourrait tourner. La vie est si simple ici ; si ça ne marche pas à New York, je crois que je vais voyager un peu avant de revenir définitivement dans la région. Pourquoi irais-je à Montréal et à Toronto ? Avant ça faisait de l’allure, je n’avais rien qui me retenait ici, maintenant j’ai de nouveaux amis. Je suis en crise absolue, je ne tiens plus en place. Il faudrait maintenant que j’appelle Tom, plutôt mourir, j’ignore ce que je lui dirai.

    Je viens de l’appeler, c’est bien, j’étais sur un high, grâce à Nine Inch Nails, Closer. Let me violate you, let me penetrate you, help me I’ve got no soul to sell, I want to fuck you like an animal, I want to feel you from the inside, you get me closer to god. Il se sent terriblement dépressif pour hier, il se sent énormément coupable. Il fallait s’y attendre, avec ma réaction, ça impliquait presque que c’est lui qui était l’inhibiteur de la scène alors que c’est moi, moi, uniquement moi. C’est drôle, le sujet brûlant, c’était également la peur de l’infidélité entre Maurice et Jean-Pierre. Hier, Tom cherchait à savoir, à en apprendre, à découvrir des bugs dans leurs versions. Il tentait de voir s’ils avaient couché ensemble, il croit que non. Moi je les voyais hier, franchement il ne faut pas être naïf. Je crois que de là peut venir une motivation de Tom vers moi. Ce n’est pas moi qui ai mis ce doute dans Thomas, je crois qu’il devient de lui-même un peu moins naïf. Il dit que si lui a pu résister avec moi, son copain aussi. My God, jamais de la vie. Il faut être fait en téflon pour résister autant. En téflon, parce qu’éventuellement, le téflon finit toujours par décoller et on s’abandonne à la menace qui risque de briser notre couple. Je lui ai dit qu’il valait peut-être mieux que je parte finalement. Il m’a répondu : j’sais pas. Il me semble que si je devais lire entre les lignes, il y a là un message clair. Mais il se contredit encore. Il m’affirme que mes idées qu’il ait soudainement des sentiments pour moi et tout le tralala, ce n’est pas le cas. Je crois qu’il est temps que je parte, si je veux m’éviter de souffrir davantage.

    Je me suis renseigné pour les horaires de train et d’autobus, ça me coûte moins de 100 $ pour arriver à New York, ce n’est pas très cher. Je partirai jeudi, je coucherai un soir à Montréal chez François, je partirai le lendemain. Dix heures de route jusqu’à New York en train, huit heures trente en bus, mais ça coûte deux fois plus cher. Cinq heures en auto, j’ignore encore par contre combien me coûterait une auto. Malgré tout, Ed m’attend et ça ne me coûte rien d’aller chez lui pendant deux semaines, une quinzaine de jours. Au pire je peux revenir ici pour repartir ensuite. Rien ne m’attache nulle part, tout peut me retenir, toute décision peut être remise en question.

 

 

 

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    J’ai acheté mon billet Montréal-New York aujourd’hui, il n’y a donc plus rien qui va m’arrêter. À moins d’un coup extraordinaire de la destinée, ce qui serait bien dangereux. Deux jours encore, une journée à Montréal, bien des choses risquent d’entraver mon projet. Tom m’a fait la gueule, j’aurais bien voulu aller plus loin avec lui, pour voir si je devrais revenir ici si ça ne fonctionne pas à New York. Malheureusement il s’est vite retourné, et devant les faits accomplis de mon départ, a pris la décision de garder son Maurice en s’épargnant les problèmes de conscience. Je crois qu’il a pris la bonne décision. Dans cette histoire je n’ai que des choses à me reprocher. Je regrette et je comprends qu’à la fin il devenait un peu frustré devant mon insistance. Mais il faut tout de même avouer qu’il m’a laissé m’approcher très près de lui, et que oui, il m’en a donné des espoirs. Je crois même qu’il avait développé des sentiments pour moi, mais jamais il n’aurait pu me l’avouer, son masque serait tombé et il n’y aurait plus eu de raison de ne pas me sombrer dans les bras. Too bad, maybe in another life, at least my life after New York. Pour l’instant, moi, j’ai rendez-vous avec mon destin. Ici, ça sent la routine ennuyeuse des fonds de régions. Je marche du fond de Kénogami jusqu’aux limites de Jonquière, c’est-à-dire la rue Sainte-Famille et Saint-Dominique, de chez moi jusque chez Gabriel, et cela me donne toutes les raisons du monde pour partir. En commençant par le crématorium et le salon mortuaire. Chaque jour il y a un ou deux nouveaux noms sur les pancartes, un corbillard, une fleuriste. Je regarde les vieux qui se déplacent pour aller voir la mort et leur avenir, moi je projette le mien avant d’en arriver là. J’ai bien vu le nom de mon père et celui de ma mère sur le même petit panneau, ça m’a fait mal, un choc. Que ma vie ne soit pas ruinée en misère à attendre que le messie arrive, c’est bien connu, il ne vient jamais. Ed m’attend, il me présentera son monde, son univers, je coucherai dans son lit, je développerai peut-être des sentiments pour lui, ou mieux, je ferai renaître ceux que j’avais pour lui voilà deux ans. Il me garantit l’infidélité, que cela soit, mon ami. Je te la garantis également, si c’est là la vie moderne à laquelle il me faut être initié. Je téléphonerai à mon vieux monsieur Westman également, je ne blague pas à moitié. S’il me faut passer par là pour demeurer aux États-Unis, je le ferai. Je ne vaux plus rien, je n’ai jamais rien valu. Je suis une merde au même titre que tous les humains qui m’entourent et je n’ai plus aucun orgueil. Les grandes décisions, moi je les prends, j’ignore où cela me conduira, mais je n’ai plus le temps de me scandaliser de rien.

    Hier, Sébastien m’a appelé pour me faire une morale à propos de Gabriel. Ça l’a rendu très jaloux et ça le fait souffrir. Sa morale, qu’il la garde donc. On a passé quinze minutes à se lancer des pointes à propos de nos deux infidélités de ces derniers temps, moi Gabriel, lui Zen, l’Indien de Londres qui est venu sonner à la porte de notre appartement alors que Sébastien n’y était pas. Ça m’a donné un goût amer de ce que serait notre relation dans le futur. Je me suis alors souvenu de tout le calvaire qu’il m’a fait subir, et pour la première fois j’ai compris qu’un retour avec Sébastien, ce n’est pas évident et ce n’est peut-être plus ce que je souhaite. Son indifférence à Paris et à Londres, m’interdire que je puisse le toucher ou même m’approcher. Qu’il veuille sans cesse sortir sans moi, qu’il me trompe. Nous étions toujours de mauvaise humeur, nous nous chicanions sans cesse. Prendre le risque d’en revenir là, j’appelle ça un suicide. Il ne changera pas, il n’y aura pas de revirement soudain où il me donnera toute l’attention que je veux, où nous serons heureux tous les deux quand bien même ce serait pour être isolés dans une petite maison sur le bord de la mer dans le sud de la France. Je crois que j’ai appris de lui tout ce que j’avais à apprendre. Maintenant ma vie doit évoluer dans un autre sens, je dois être ouvert à un changement radical absolu. Il serait logique que je demeure au moins quelques mois à New York. Ce serait triste, avoir bougé autant de montagnes ici à Jonquière, pour un maigre deux semaines à New York. Ah, si l’on pouvait connaître ce qui nous attend, on se tracasserait moins avec l’avenir. Je sais de toute manière que je vivrai quelque chose de bien spécial. Ce sera sans doute éprouvant, mais j’apprends énormément ainsi. Si j’avais une certaine sécurité financière, ce serait déjà mieux, mais je trouverai peut-être cela à New York. J’ai annoncé à Sébastien que je doutais que l’on revienne ensemble un jour. Nos passés sont trop lourds, nous avons trop de choses à nous reprocher l’un l’autre, nous passerions encore notre temps à nous battre l’un l’autre. Nos vies ne méritent-elles pas un peu de positivité ? Nous avons raccroché plutôt brusquement, il ne semblait pas de très bonne humeur. Peut-être même est-il vraiment déçu. Peut-être vient-il enfin de comprendre que la décision que l’on revienne ensemble n’appartient pas qu’à lui ? Peut-être a-t-il compris enfin que je ne serai pas toujours là à l’attendre, qu’il se branche, qu’il décide si oui ou non il me reveut dans sa vie. Quelle belle sécurité il avait, moi aux études à Jonquière, il pensait allégrement que je ne rencontrerais aucun copain. L’idée qu’il se fait des bars gais ici, c’est qu’il n’y a que des vieux laids. Erreur, je suis tellement surpris de voir combien de gens il y a, et qui sont pas mal plus beaux que ce que j’ai vu à Paris et à Londres. En plus, tu n’as pas besoin de paniquer si tu n’oses pas leur parler le premier soir, la semaine d’après ils seront encore là, ils ne disparaîtront pas dans les rues d’une ville trop grande tout de suite après. Ils seront toujours accessibles. S’ils ont un copain, peut-être un jour ils le perdront et tu auras ta chance. C’est un peu décourageant d’embarquer là-dedans, j’avoue que c’est une bonne chose pour moi de partir. Je ne voudrais pas devenir un de ces habitués du monde gai de Jonquière. Lorsque je serai parti de la région, je ferai un bilan de mes derniers deux mois. C’est très riche, bien plus positif que Londres lors de mon travail à l’aéroport d’Heathrow. Heureusement, ceux-là je les ai vite oubliés. Ma vie est trop pleine, même mon quotidien est trop rempli pour que je me retourne vers mon passé ne serait-ce que plus de cinq minutes. Mon organisation du temps est devenue si précise et calculée qu’à la minute près j’organise quantité d’éléments, de décisions et d’actions, sans perdre une seconde. Je ne prends plus le temps de respirer, les jours se succèdent sans que je m’en rende compte. C’est terrible, d’autant plus qu’à l’heure actuelle je ne travaille pas ni ne vais à l’université. Tout ce que je sais, c’est que mon départ pour New York tombe juste à point. J’aurais voulu mieux organiser le tout, cela aurait été impossible. Est-ce bien moi qui calcule tout ainsi ? Est-ce bien mes décisions ? Comment quelqu’un qui était si pauvre en Europe voilà moins de deux mois, trouve soudainement deux mille dollars sinon trois pour repartir à l’aventure ? Comment quelqu’un qui était pris dans une relation depuis quatre ans, arrive-t-il en moins d’un mois à se libérer complètement pour commencer une vie d’exploration d’un monde plutôt incertain mais passionnant ? Libre à tous les niveaux, j’aurais tendance à dire. Est-ce bien moi qui suis à la tête de tous ces changements ? Plutôt les circonstances, dirait-on. Je serais prêt à retourner dans une petite vie de routine avec Sébastien, même à Ottawa. C’est tout dire. Mais maintenant j’entrevois une vie aventureuse peut-être plus passionnante encore. Il me faudrait oublier mes études pour toujours et ne plus avoir de destination particulière où je m’installerais. Mais je ne sais plus, je suis fatigué pour le moment. Je devrais aller dormir.

 

 

 

 

 

 

 

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    Commençons par le début, mon arrivée à la gare sous le Madison Square Garden. Je cherchais Ed, déjà deux pouilleux m’avaient accosté en me demandant de la monnaie. Je n’avais même pas un dollar américain sur moi, con que je suis. Arriver dans un nouveau pays à huit heures du soir avec aucun argent sur soi. Lorsque je l’ai vu, ça a été le choc. Plus beau, ça oui, il l’était. Il avait l’allure d’un gars pas mal cool, tellement cool que ça faisait artificiel. Gros manteau noir en cuir, grosses bottes noires en cuir, et la démarche assez impressionnante. Cependant, pas un centimètre de graisse, un visage soudainement bien mince et très beau. Le problème, c’est que moi je l’ai idéalisé étant un peu plus gros, j’avais l’impression de ne pas retrouver le même homme. J’avais peur que soudainement il n’ait plus aucun sentiment pour moi, mais à peine étions-nous dans le taxi (en tant que new-yorkais, il refuse de prendre le subway, il aime héler des taxis) que déjà il m’avait sauté dessus, m’affirmant que ses sentiments, loin d’être morts, sont encore plus forts. Allez, la grosse embrassade dans le taxi new-yorkais. « Come on, on est à New York, j’ai déjà baisé dans un taxi, moi ! » Il a déjà fait des démarches pour me trouver de l’emploi, aujourd’hui nous sommes allés demander à deux personnes dans le quartier gai, dont le restaurant The Paris Commune. Sa sœur s’en venait et on allait sortir. Elle dit qu’elle est le mouton noir de la famille. Son colocataire et son ami Colin capotent sur les Absolutely Fabulous et les musicals qu’ils connaissant tous par cœur. On est sortis dans un bar presque mystique. Pas de nom, mais un dessin sur la pancarte d’entrée : un corbeau noir, ça s’appelle The Crow bar. Une vraie boîte noire, tellement remplie de monde qu’il n’y avait pas de place pour danser. J’avais énormément peur de deux choses : qu’Ed ne m’aime pas, que moi je ne l’aime pas. J’avais même peur de ne pas bander hier soir. Eh bien, on dirait que la magie s’est installée. On a fait l’amour comme jamais cela m’est arrivé dans ma vie. Des sentiments pour lui, j’en ai comme jamais je n’en ai eus pour personne. Lui de même, je crois. Je pense qu’il est vraiment sincère lorsqu’il dit que je suis la seule personne qu’il a aimée et qu’il aime. Il est incapable de se contrôler, il me saute dessus et finit toujours par me faire mal. Il affirme que c’est parce qu’il me veut tant, et qu’il voit trop bien les limites de cet amour. Je le comprends si bien, je le tiens dans mes bras et je voudrais me fondre dans lui. Devenir une seule entité, et c’est un désir tellement fort, nous sommes si unis l’un à l’autre, que je jurerais que son corps et le mien étaient définitivement destinés à s’unir. On dirait qu’ils ont les mêmes entailles et coches qui font que les deux parties forment un tout. Un sentiment si fort, un sentiment de bien-être tellement incroyable, que j’ignore ce que je devrais faire pour ne pas éclater. À un moment donné j’ai dit que je ne comprenais pas pourquoi je l’aimais ainsi, et pourquoi il m’excitait autant. En effet, pourquoi lui plutôt qu’un autre ? C’est inexplicable.

 

 

 

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    Serait-ce un mélange de ce qu’il représente ? C’est-à-dire Paris, New York, etc. ? Je ne crois pas, car lorsque je me retrouve dans ses bras, comme la première fois, il n’y a que lui, pas les souvenirs. À quelques reprises il était confus avec l’idée qu’il serait peut-être temps de se ranger. Il m’aime tant qu’il serait prêt à arrêter de coucher à droite et à gauche. Je ne lui demande rien pourtant, j’ignore même s’il sait que moi je n’ai aucune intention de m’installer avec quelqu’un s’il n’y a pas la fidélité comme base. Il m’annonce qu’il en a assez de ces relations multiples, mais que si j’étais arrivé l’an passé, c’est certain que la possibilité d’être fidèle n’aurait pas été envisageable. Je lui demande c’est quand la dernière fois qu’il a eu du sexe : deux jours avant que je n’arrive. Un de ses amis, Francis. Il m’a montré un album de photos et m’a pointé tous les gars avec qui il a couché. C’est effrayant. Mais il y en a tant que finalement ça m’inquiète moins. Aucun ne semble plus important qu’un autre. Il y en a même un qui me ressemble de façon assez frappante, surtout lorsque j’ai les cheveux un peu plus longs. Avec lui ça a duré un mois, donc plus longtemps qu’avec les autres. Les sentiments ne sont pas venus et mon semblable est devenu un vrai parano. Je peux comprendre, Ed ne devait pas être fidèle du tout. Le gars le suivait dans les rues de New York, c’est pire que moi, ça. Mais il l’a laissé aussi parce qu’il était trop affectueux. Justement Ed me reproche ça aussi. Ça commence bien. Mais moi j’ai un avantage, il m’aime. Par contre, lorsque je vois tous les beaux gars avec qui il a couché, je me dis : mon Dieu, il couche avec qui il veut, ils sont tous extraordinairement beaux. Soudainement je me sens laid à côté de ces choses que l’on est susceptible de rencontrer à New York. Ed m’a confirmé qu’il y en a qui sont un peu plus musclés que moi. Mais s’il peut m’aimer ainsi, je dois tout de même avoir quelque chose de plus, mais j’ignore quoi. Il me dit que c’est impossible d’avoir une relation stable à New York et je n’ai aucune misère à le croire. Lui-même n’en veut pas, même si tout à coup, si je trouve de l’emploi, il se dit peut-être prêt pour ce genre de relation. Mais moi ma naïveté est morte. Qu’il ait ce désir est déjà une bonne chose, sinon ce serait terrible, il me dirait que tel soir il ne peut pas me voir parce qu’il doit coucher avec Francis, le lendemain avec George. En plus, il s’inquiète de moi ici à New York. Lorsque nous sommes sortis au Crow, il paniquait parce qu’il pensait qu’il allait me perdre chez les beaux bébés de New York. Il est convaincu que je serai très populaire. Comment peut-il s’inquiéter de cela alors que l’on connaît sa philosophie ? Il a juste peur de me perdre, peut-être. Pour ma part, je n’ai pas l’intention de coucher avec qui que ce soit d’autre que lui, mon Ed à moi (l’instant d’un moment du moins). Personne ne m’intéresse ; au contraire, j’ai là un homme tout collé contre moi que j’aime, que pourrais-je demander de plus ? Parfois je me demande, lorsque je vois la sensation que j’ai quand je couche avec Ed, si j’ai bien aimé Sébastien ? Sûrement, mais pas autant qu’Ed. À se demander si les personnes qu’on aime à la folie ne sont pas justement dues pour n’offrir que des amours impossibles. Tout nous sépare. Jusqu’à Roger, son colocataire, qui n’arrête plus de faire ses petites crises. Hier, il m’en a reproché pas mal, indirectement. J’étais prêt à faire mes bagages et à partir. Ce fut une dure épreuve, je me sentais tellement mal à l’aise. En plus Ed paie plus que la moitié de l’appartement car l’autre ne gagne pas suffisamment. Quelle sorte d’ami ce Ed est-il ? Roger est vraiment antisocial, il n’a aucun ami, il est toujours grognon, sans cesse à reprocher des choses à Ed. Comment peut-il vivre avec ça ? Ils sont grands amis depuis longtemps et ils ont traversé ensemble de dures épreuves. Ils sont donc maintenant unis à la vie à la mort, même s’ils n’ont jamais couché ensemble. Il serait devenu grincheux avec le temps parce que tout ne va pas aussi bien qu’il le voudrait dans sa vie sociale. Il voudrait un meilleur emploi, je suppose, et ça détruit son moral. Il a l’air de s’emmerder pas mal et il ne nous lâche pas d’une semelle. Heureusement qu’il couche en haut, et que moi et Ed, nous pouvons encore faire l’amour le soir. Mais durant la journée, c’est impossible. Il ne nous laisse jamais plus de cinq minutes seuls. Ed me dit qu’il va tout essayer pour nous séparer, et j’avoue que hier il a presque réussi. Je croyais qu’il avait raison et je me sentais mal. Maintenant, je sais que ce gars a un gros problème et je vais me battre contre lui et m’imposer. C’est-à-dire que j’accepte de faire les efforts nécessaires pour qu’il perde ses préjugés. Je n’ai pas le même statut que tous ces hommes qui passent dans la vie d’Ed une nuit ou deux, sinon trois. Il ne peut donc pas m’envoyer promener ainsi. Mais je n’ai aucune misère à croire que si Ed doit choisir entre moi et son Roger, c’est moi qui prendrai le bord. Alors je dois éviter de me retrouver dans une situation de conflit. De toute manière, je ne suis pas venu pour chambarder la vie d’Ed ni même pour lui demander de changer sa vie du tout au tout. Je ne suis même pas en position de lui dire d’arrêter de coucher avec tout le monde. J’espère que les quelques jours où je serai là il sera fidèle, quelle souffrance cela m’occasionnerait, même si je n’ai aucun droit. Souffrira-t-il, lui, s’il doit s’abstenir ? J’aime Ed, je l’adore, mais j’avoue que j’aimerais mieux continuer à l’aimer à distance pour m’éviter des souffrances. Ed, il sera toujours là lorsque lui et moi prendrons des vacances. Car, comme j’ai dit, tout nous sépare. Les frontières, les lois sur l’immigration, nos philosophies sur la vie, son colocataire en dernier ressort. Un amour impossible. Nous n’avons pas la chance de nous marier et ainsi d’acquérir la nationalité de l’autre. Le seul moyen serait d’avoir suffisamment d’argent pour que six mois par année je vienne vivre à New York, et l’autre six mois il vienne vivre à Montréal. Ce qui est impensable.

    Sébastien a téléphoné deux fois ici, je n’y étais pas les deux fois. Finalement on s’est parlé aujourd’hui, il s’inquiète, je me demande pourquoi. C’est clair que c’est terminé, mais il considère la possibilité de revenir avec moi un jour et calcule que ça commence à devenir difficile à imaginer. Il m’a demandé si je dormais dans le lit d’Ed, je lui ai dit que oui, mais qu’on ne faisait rien. Je n’étais tout de même pas pour lui dire que lorsque nous faisions l’amour (deux à trois fois par jour), il y a un édifice de quarante étages juste à côté, trois cents fenêtres, quelque trois mille personnes peut-être, qui nous observaient crier comme des malades. On est à New York.

    Les amis d’Ed ont déjà pas mal plus de style qu’à Londres ou à Paris. Hier, au souper, je me serais cru avec des vedettes connues de la scène musicale ou des arts ; pourtant, malgré leur allure, ils ne sont que des inconnus, mais avec énormément de personnalité. Moi je regarde et j’analyse. J’emmagasine. Ils sont tous riches, les amis d’Ed, ou du moins ils se donnent le genre. Ed exagère vraiment. Il vit comme un véritable roi. Il prend sans cesse des taxis à dix dollars la fois alors que ça ne lui coûterait rien de prendre le métro. Il fait faire son lavage par une Chinoise au coin de la rue, plutôt que de le laver lui-même sur les machines en bas dans son bâtiment. Il paie un prix exorbitant pour son appartement seulement parce que c’est situé dans un quartier bien coté de Manhattan. Où trouve-t-il l’argent pour tout ça ? Il a un bon boulot, c’est son unique réponse. Pas d’aide de ses parents, qu’il me dit. Je lui fais honte devant ses amis. En ce moment je mets ses chemises de marque qui valent une fortune. Je ne suis pas assez queen pour lui, je n’ai aucun goût. Mon manteau est laid, affreusement laid. C’est cheap, selon lui, ce polystyrène de similicuir. Mais je ne vais tout de même pas porter un manteau de cuir pour lequel on a tué quatre ou cinq vaches ! Je suis végétarien. Ses amis ont bien de la classe. Ça il faut l’admettre. Lorsqu’ils ont vu hier au Caffé Torrino que je ne mangeais pas de viande, ils ont décidé de ne commander que des plats végétariens. Au moins c’est à la mode à New York d’être végétarien. Pourquoi ne suis-je pas une tapette comme les autres ? Je n’ai pas l’air ringard comme eux (genre Barbra Streisand qui joue en ce moment) et je n’ai aucun goût artistique, vestimentaire et de décoration intérieure. Qu’est-ce qu’on va faire avec moi ? Encore heureux qu’Ed me pardonne ce manque de goût et qu’il accepte de me parler, et même de me montrer à ses amis. J’ai un peu honte de moi finalement, alors qu’en temps normal, je devrais me battre pour ce manque de goût pour les belles choses, imposer mes idées sur le monde à propos que ces choses ne sont pas importantes. Mais elles le sont, car si je ne puis atteindre le grand monde afin d’apprendre davantage, seulement parce qu’il existe ces barrières de préjugés, alors je serai malheureux.

    On arrive de sortir au Rome. Une place très bien, qui rappelle vraiment un peu l’Italie. J’y ai rencontré plusieurs ex-copains d’Ed et plusieurs de ses histoires d’un soir. En particulier Patrick, qui vient du nord de l’Angleterre, et deux autres Anglais. J’ignore pourquoi, j’ai un lien privilégié avec eux. L’un d’eux vient manger demain et m’invite à aller demeurer à Londres avec lui. Si je ne puis rien faire à New York, c’est une possibilité. Mais je doute que j’y aille, bien que ça m’intéresse. Demain, il faut que je rappelle le patron du Paris Commune, il a peut-être trouvé quelque chose pour moi. Ed est soudainement bien bizarre, je me demande si c’est parce que j’ai parlé cinq minutes de temps avec un Américain qui est demeuré trois ans en France et qui parle un français impeccable. Ça a rendu Ed un peu dépressif. Mais je crois que c’est autre chose. Demain il se prépare un plan de cul et là il se sent coupable. Il dit qu’il va revenir vers huit-neuf heures du soir, et là il y a un gars qui vient de l’appeler et Ed parle d’un endroit où ils vont se rencontrer downtown près de son bureau, mais que le gars devrait l’appeler demain au bureau parce qu’en ce moment Ed ne peut pas parler. Ed et son ami Colin me disaient bien naïf ce soir pour affronter ainsi New York. Je pense qu’Ed s’imagine que je comprends moins bien l’anglais que je ne le comprends vraiment. Car, en fait, je ne perds rien de tout ce qu’il ne veut pas que j’entende.

 

 

 

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    Peut-être que je me fais des idées à propos d’Ed et ses plans. Il ne pouvait rien prévoir pour ce soir puisque son ami Marc vient souper. Je crois qu’il parlait qu’en général il revient vers 20-21 heures parce qu’il rencontre toujours des amis. De toute manière, sa réputation ne fait aucun doute, tout le monde confirme qu’il couche avec n’importe qui, n’importe quoi, presque un nouveau chaque soir. Il faut être en manque pour vrai ! Il m’en faut je vous jure de l’amour pour me garder à New York avec ça.

    J’ai enfin trouvé un fou pour m’engager en tant que serveur illégal dans son restaurant de Soho. George est mon nouveau patron. Il est grec, hétéro, marié par-dessus le marché. Sa philosophie est bien simple :

    — Nous sommes dans le village gai, nous sommes en affaires, gais ou hétéros, tous doivent ressortir satisfaits. Ce que tu es et fais en dehors du travail, je ne veux rien savoir, mais ici au travail, tu dois être hétéro et professionnel. Si les clients commencent à te faire des avances ou des blagues, tu fais semblant de rien et tu continues à servir ou à desservir. Je t’exploite peut-être, mais ce sera la même chose partout ici, bienvenue à New York.

    — Est-ce que j’aurai suffisamment d’argent pour payer une chambre ?

    — Oui.

    Eh bien, nous verrons à tout ça, je dois maintenant partir sous les rues et les avenues de Manhattan.

    Il neige en ce moment comme ce n’est pas possible, plutôt mourir que de travailler ce soir à cinq heures dans ce trou de restaurant dans le village. Moi aussi on pourra lire sur mon visage le malheur qui me ronge. Dans l’espace de douze mois j’aurai eu quatre adresses en quatre pays différents. J’aurai fait Paris, Londres et New York. C’est pour ça que je suis ici ? Juste pour être en mesure de dire ça ? Pour impressionner les petits gars lorsque je retournerai dans la région du Saguenay ? Non, je ne crois pas. En fait, j’ignore ce qui m’a poussé à venir ici. C’est bien difficile à comprendre et à expliquer, c’est comme les sentiments qui existent entre moi et Ed. Il est certainement hors de question que je reste ici plus de six mois, c’est bien beau vivre dans l’illégalité, mais je dois à tout prix éviter de me faire expulser des États-Unis à coups de pied dans le cul, avec interdiction d’y remettre les pieds un jour. On pourra lire mon nom avec une petite inscription juste à côté : criminel, immigrant illégal, a travaillé sans permis, refus d’accès aux U.S.A. Et les États-Unis deviendront pour moi ce que la France est devenue, un immense trou noir où je ne suis pas libre de respirer. J’ai tellement de pression en ce moment que, si j’avais un fusil, je tirerais peut-être. En tout cas, si j’ai compris une chose, c’est que je suis très bien au Saguenay et que c’est le seul endroit où j’irai si je dois vraiment repartir de New York. Pas de Montréal, et je puis même oublier Sébastien et Toronto. La vie est tellement simple à Jonquière. Mon Dieu, que je suis stressé, je ne puis plus me contenir. Il me semble que je devrais me montrer plus fort devant l’épreuve. Ça ne me coûte rien d’essayer, si je n’aime pas, je les envoie royalement chier, avec tous les compliments du Premier ministre du Canada. De toute manière, il faudra bien que je me reprenne en main et que je me contrôle. N’est-ce pas ce que je voulais, un emploi ici à New York ? L’amour de ma vie dans mes bras, quelqu’un que j’aime et qui a au moins la volonté d’être fidèle ? New York devrait m’inspirer autant que Londres et Paris, il me faut arrêter de me lamenter. On confronte ou on meurt. Tu as pris tes décisions, assume les conséquences.

    Anyway, dans six petits mois tu les reverras tes petits amis, ton Tom et ton Gabriel. Ils seront toujours là à t’attendre dans la région, rien n’aura changé. Et si ce n’était pas le cas ? Tant pis. J’ai comme un peu le sentiment d’avoir pris une mauvaise décision en venant ici pour m’installer. Ce n’est pas bien d’avoir cette impression. J’étais heureux et fier à Londres, rien ne m’appelait ailleurs, comme quand j’étais à Paris en fait. C’est drôle, on dirait qu’il n’y a aucune grande ville américaine qui vient chercher dans mon cœur ce qu’une ville européenne arrive à m’arracher. New York me laisse indifférent.

    Nous étions dans le taxi le premier soir de mon arrivée, Ed en train de m’embrasser alors que nous passions à côté du Time Square. Ça, oui, ça m’a marqué, et ça avait une puissance de mythe suffisamment grande pour que je me souvienne de cet instant toute ma vie. Mon Dieu, ça fait juste deux jours que je suis ici, je devrais me donner le temps de voir ma vie passer, même si justement c’est cela le problème, je suis maintenant incapable d’analyser tous les événements qui surviennent dans ma vie, je dois prendre des décisions sur le pouce, entre deux stations de la ligne 6, entre la 86e Rue et Lexington-3e Avenue-51e Rue. Si je continue à ce rythme, j’atteindrai les quarante ans sans même m’en rendre compte. Ed, Ed, Ed ! Help me ! J’aurais besoin de me saouler un peu, je crois que ça me réchaufferait et ça irait mieux, me rendrait prêt à affronter et à conquérir mers et mondes. Ce que l’alcool peut faire tout de même. Qu’est-ce que je ne ferais pas en ce moment pour un double Jack Daniel’s au bar 1891 de Jonquière. Tout le monde est misérable, autant à Londres qu’à New York que dans le tiers monde. Tout le monde est malheureux, peu importe leur occupation. Je suis bien trop conscient d’être mortel. Il est vrai que je fuis ma vie, fuis la vieillesse, que je me fuis moi-même. Oui, j’agis comme si j’allais mourir dans six mois et que je devais tout accomplir en cette petite période de temps. Il est vrai que ce que je recherche à New York est un peu une sorte d’immortalité dans ce monde, même un peu l’immortalité de Milan Kundéra. Je souhaiterais avoir un bilan de fin de vie bien rempli, en aucun temps pouvoir dire que je n’ai rien accompli, rien foutu de ma vie, rien fait de ce que j’ai toujours rêvé d’accomplir. Quand bien même cela me conduirait à une mort prématurée, si mon bilan est positif, je n’aurai aucun regret. Living on the edge, I guess. Mind the Gap.

 

 

 

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    Eh bien, Ed est encore parti et il est minuit vingt. Il travaille demain matin, il se lèvera à six heures. Alors nous nous abstiendrons de faire l’amour, il sera complètement mort. D’autant plus qu’il est probablement avec ce gars d’Angleterre ou un autre, et cela m’inquiète. Encore que je n’ai aucun droit sur ses agissements en ce moment, et qu’en plus je savais bien à l’avance qu’Ed ne changerait pas du tout au tout à la minute où je mettrais les pieds à New York. Je trouve cela triste que Roger soit demeuré à l’appartement, car ça semble bien organisé leur jeu. Parce que Roger m’avoue qu’ils se sont encore chicanés ce soir, pas de problème, ça justifie qu’il soit là, mais il m’affirme qu’Ed est avec Emma, la belle blonde avec qui on a mangé au Paris Commune. Il me semble que ce soit impossible. Ed aurait-il déjà commencé à me mentir ? Après trois jours, je trouve cela aberrant. Alors rien ne l’arrêtera, il me mentira à tour de bras, sans complexe ou sentiment de culpabilité. Mais je dois arrêter ma paranoïa, je dois lui laisser le bénéfice du doute. Somme toute, il est peut-être bien avec elle, et non avec un mystérieux copain encore inconnu de moi.

    Je dois également avouer que ce soir je me suis vraiment amusé. C’était bien au restaurant, d’autant plus que la température s’est réchauffée et qu’il y avait une senteur d’été dans l’air. Je me sentais bien d’être à New York. Sauf que je me suis encore perdu en sortant de la station pour me rendre jusqu’ici, allant complètement dans la diagonale opposée. Je me pressais d’arriver, espérant y retrouver mon bébé, Ed. Je suis bien heureux d’être canadien, ça m’ouvre des portes. On m’apprécie et on veut m’aider, comme le proprio du Paris Commune que j’ai rencontré aujourd’hui et qui m’a donné plein de conseils, bien qu’il ne pouvait pas m’aider ni m’engager. Je suis peut-être un immigrant illégal, mais je ne suis pas un indésirable. Au contraire, je suis un esclave de qualité, je crois bien que George est heureux d’avoir un parfait bilingue avec un accent français. Ça rehausse la qualité du service, ça fait très chic pour un restaurant pourtant très minable. Aucun doute, je parlais avec Jimmy ce soir, il faudrait bien peu de chose pour ajouter à ce restaurant deux étoiles. Ça nécessiterait très peu d’investissements et ça assurerait une clientèle active habituelle pas mal plus impressionnante. Même Jimmy ce soir m’a surpris en refusant à deux clientes de prendre une soupe et un café. Il les a mises à la porte en leur affirmant que ce restaurant ne servait que des services complets. Elles ne reviendront jamais. À ce rythme, ce n’est pas deux clients de perdus et dix de retrouvés, c’est plutôt deux clients de perdus et vingt autres qui seraient revenus de perdus. C’est d’autant plus triste que le nom du restaurant implique que notre spécialité c’est la soupe. Or, il faut absolument prendre un repas principal pour en avoir une. Encore chanceux qu’on ne les oblige pas à prendre un dessert, d’ailleurs on n’en a vendu aucun ce soir. Je devais en rapporter chez moi, mais j’ai évité de redemander, parce que je suis à la diète stricte, j’ai énormément de compétition à New York. Je me demande ce que diront mes parents et mes amis dans le fond du Québec lorsque je leur apprendrai que j’ai décroché un emploi à New York en moins de deux jours dans des conditions pourtant impossibles, alors que tout le monde est au chômage de façon immanente au Saguenay.

    C’est vrai que les New-Yorkais sont mêlés et qu’ils exigent mille et une choses sans faire attention à la politesse. Ils sont bien éduqués et savent très bien ce qu’ils commandent. Bref, ils font chier. Je comprends un peu Jimmy qui n’hésite plus à leur refuser des choses pourtant simples, comme de leur réchauffer leur pain. Ils ambitionneraient tant qu’ils pourraient. Enfin, je dois arrêter de me lamenter, car ce soir j’ai mangé une assiette de pâtes avec une coupe de vin rouge. Si j’avais voulu, une belle pointe de gâteau mousse au chocolat ou des éclairs à l’érable, sinon une belle tarte aux pommes. C’est l’avantage. Le patron se sentirait un peu coupable de nous payer si peu, alors il est heureux si nous mangeons, c’est du moins ce que me dit Jimmy. Enfin, demain je vais voir ce qui m’attend. Mais où donc est Ed, il est presque une heure du matin. Va-t-il rentrer coucher ?

 

 

 

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    Voilà, le plus simple fut de me téléphoner de chez Emma et de lui demander : « Dis, bonjour, Emma. » Alors il y était. Quelle délicatesse de vouloir éviter à n’importe quel prix que je doute de quoi que ce soit. Je suis probablement trop parano, bien qu’il soit arrivé chez Emma tard le soir. Avant il est allé souper avec plusieurs amis et, enfin, j’ignore s’il s’est retrouvé avec quelqu’un. De toute manière, c’est impossible. Il m’affirme que lorsque je suis près de lui, il n’a aucune envie d’aller ailleurs. Je peux comprendre, un amour si jeune et si amoureux, d’ailleurs mouvementé dans le lit. La question demeure, à savoir s’il est prêt à tenir le coup à long terme. Eh bien, hier c’est ce qu’il a fait, il a discuté avec tous ses amis de ses projets futurs, ses désirs, son style de vie, moi et sa perte de liberté et d’espace. Bien sûr, il n’emploie pas ces termes, mais c’est un peu de ça qu’il s’agit. Il me répète d’ailleurs qu’il a besoin de cette liberté, et qu’il est confus justement parce que c’est la perte de cette liberté qu’implique une relation avec moi. Comme c’est triste qu’il faille voir un si bel amour freiné par cette façon de voir, mais freiné plutôt par un mode de vie libertin que l’on a choisi et que l’on a réussi à mettre en pratique avec succès au cours des ans. Non, Ed est loin d’être prêt pour ça. Je suis venu pour deux semaines, ce sera très bien. Nous nous reverrons dans six mois, même si nous avons des copains. Car effectivement nous sommes âmes sœurs, sauf que tout nous sépare. C’est lui que j’aime, et je souhaite qu’il ne sera pas le seul que j’aimerai ainsi.

    Colin est son meilleur ami, il est en amour avec Ed. Il a fait de multiples efforts pour le gagner, mais sans succès. Ils n’ont même pas couché ensemble. Or, ce Colin se surprend de me voir débarquer à New York un beau matin et de littéralement lui voler son Ed. Le voilà en amour par-dessus la tête, qui néglige tous ses amis, ne voit plus clair, n’a d’yeux amoureux que pour moi. Hier, ils ont eu une bonne discussion et il a tenté par tous les moyens de faire comprendre à Ed qu’il ne pouvait pas embarquer avec moi. Je crois qu’Emma, la belle et douce Emma, allait dans le même sens, puisqu’Ed semblait me dire hier que l’avenir l’effrayait et que sans doute il serait plus sage si je repartais. Mais cette phrase n’est pas sortie aussi distinctement, il est tellement mêlé dans ses idées. Hier, il a fallu que je mette les pendules à l’heure, lui affirmant que de travailler illégalement aux États-Unis était une chose, mais demeurer plus de six mois aux États-Unis en était une autre bien plus dangereuse. Au risque de ne pouvoir y remettre les pieds jusqu’à la fin de mes jours. Ainsi, il est presque hors de question que je demeure ici plus de six mois, dès lors, un contrat de mariage de six mois n’est pas la mer à boire, il pourrait très bien vivre le parfait amour seul avec moi pendant ce temps, et retourner à la masse ensuite. Cette idée fera son bout de chemin.

 

 

 

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    Le petit Gabriel a téléphoné hier, de Jonquière. Le pauvre est incapable de se débrouiller en anglais, heureusement Ed parle très bien le français. Si bien qu’il a compris que le petit Gabriel lui en voulait énormément, sa jalousie ne pouvant plus se contenir. Ça lui a fait un choc, à Ed, de comprendre jusqu’à quel point ce jeune homme m’aimait (Ed a vu la photo où Gabriel est en boxer à moitié nu et il l’a trouvé très beau). Ça, oui, après quatre jours, Gabriel me dit qu’il n’en peut plus, il ne se comprend plus et il achève de tout débâtir dans son appartement. Moi aussi ça m’a fait un choc. C’est drôle, parce que je m’ennuie de lui en définitive, et que je suis convaincu que je serais mieux avec lui qu’avec Sébastien. Je suis maintenant pratiquement certain de ne plus revenir avec Sébastien. Premièrement, il ne fait pas suffisamment d’efforts, et je juge que j’en fais beaucoup malgré mes torts. Ensuite, il me voudrait à Toronto. Or, je n’ai même pas le cœur de demeurer à New York avec l’homme que j’aime, croyez-vous que j’irais à Toronto pour un autre qui m’aime à moitié, et qui est dans l’incapacité de m’affirmer qu’il veut revenir avec moi à 100 % ?

    Je dois avouer aussi qu’il n’y a pas que Gabriel qui me rappelle au Saguenay. Il y a que je n’ai aucune intention de tenter la survie à travailler comme serveur dans un restaurant. Je suis peut-être au-dessus de mes affaires, mais si j’ai le choix de retourner chez mes parents à attendre de recommencer l’école, je ne vois aucunement pourquoi je ne le ferais pas plutôt que de devenir le plus misérable des misérables sur la planète. Et puis il y a Thomas, mais je vois de moins en moins quel avantage j’aurais de l’échanger contre Gabriel. En arrivant par le train, il n’y a qu’à Thomas que j’avais besoin d’écrire afin de lui signifier mon amour (moins fort qu’avec Ed). Mais, maintenant, c’est de Gabriel que je m’ennuie, cela est étrange puisque je suis avec Ed et que je sais que lui je l’aime énormément. Mais Ed me donne mal au ventre, il me fait souffrir même en étant à côté de moi dans mes bras et que je saurais qu’il est fidèle. Mon sentiment avec lui est bien l’amour, très fort, mais à la fois il m’effraie, il appartient à un monde qui n’est pas le mien, qui ne sera jamais le mien, il y retournera sans doute et cela me fait peur et provoque la souffrance. J’aime mieux alors m’éloigner de lui. Un vrai cauchemar toute cette histoire. Le pire sera de retourner dans les bras de mon Gabriel alors qu’il me demandera si j’ai fait l’amour avec Ed. Le pauvre, il me sera bien difficile de lui avouer tout l’amour que je porte à ce gars de New York. J’espère que la seule chose qu’il pourra vraiment intégrer en lui, c’est que je l’ai choisi lui plutôt qu’Ed, que je suis revenu en partie pour lui et qu’effectivement je me suis ennuyé davantage que j’aurais pu le croire de prime abord. C’est presque une infidélité flagrante mon histoire, mais c’est autre chose. C’est un abandon puis un retour après s’être rendu compte de l’erreur. Mais tout cela n’est que du blabla.

 

 

 

 

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    Ed, c’est la haute société de New York. Il connaît toute la ville, il a couché avec tout le monde, le fruit de ses multiples relations lui a valu un riche éventail d’amis dans à peu près tous les domaines de la société new-yorkaise. Il a tous les contacts possibles, mais ne semble pas s’en rendre compte. De toute manière, son emploi paie bien, qu’il m’affirme. Cependant, comme dans toute haute société riche, il existe une faille. Chez Ed, la voici : 20,000 $ U.S. de dettes. Ses dettes aussi sont un facteur qui le fait hésiter à venir avec moi. Maintenant, c’est clair, il aimerait mieux que je reparte, drôle à dire, bien qu’il m’aime. Ça n’a pas clairement été dit, mais c’est compréhensible dans le contexte. New York nous détruira, c’est certain. Il a peur que notre relation ne fonctionne pas et que l’on détruise ainsi un amour de rêve qui devrait pourtant durer toute une vie. Je pense la même chose. L’homme avec qui il est sorti pendant quatre mois, il l’a laissé parce qu’il suffoquait. L’autre prenait toute la place, voulait l’enfermer chez lui. Lorsque j’y pense, je crois qu’effectivement je souffrirais trop avec Ed, car ma mentalité en amour, c’est tout le contraire de la sienne. Et ça, il le sait. J’ai bien tenté de lui faire comprendre que je n’avais aucunement l’intention de l’enfermer chez lui et l’empêcher de voir ses amis, bien au contraire, cela me fera plaisir si je sais que je peux avoir confiance. La seule chose sur laquelle on peut se raccrocher, ce serait qu’il m’aime et que je l’aime, et que, vraisemblablement, il n’a aimé aucun de ses autres copains. Alors, bien sûr, il est difficile d’avoir quelqu’un que nous n’aimons pas nous suivre partout et nous coller sans cesse. Selon lui, il n’a jamais été capable de demeurer de longues soirées dans les bras d’un gars juste à se reposer. Avec moi, il veut le faire. Comme il n’aimait pas que ses copains le touchent, moi il n’arrête pas de me toucher partout. En fait, à voir ses réactions profondes, j’ai de très bonnes preuves de son amour. Je crois qu’il est en amour plus que moi. Je pense qu’il souffrira davantage que moi de mon départ. Oh, bien sûr, il m’oubliera très vite en couchant avec d’autres, mais il manquera ce petit sentiment qui fait toute la différence.

    Je crois qu’il n’y a rien de surprenant à ce qu’Ed ne soit jamais tombé en amour à New York ; les relations ne durent jamais si longtemps pour qu’un tel sentiment se développe à long terme. Alors, ce qui ne fait aucun doute, c’est qu’Ed est amoureux comme il ne l’a jamais été. Ça, tous ses amis me le confirment. Ce qui est également certain, c’est qu’il a terriblement peur de perdre ce rêve du seul homme qu’il aura aimé. C’est l’espoir qui fait vivre le monde, la foi en un monde meilleur. Je représente un peu ce goût d’exotisme pour Ed ; je suis d’ailleurs, nulle part en particulier, je reste dans ses pensées en permanence, je suis son seul amour perdu quelque part sur la planète, à Paris, à Londres. N’est-ce pas étrange qu’Ed m’associe énormément à Montréal, alors que je n’y ai jamais habité ? C’est qu’il y est allé à plusieurs reprises, pensant peut-être m’y retrouver. Si je demeure maintenant avec lui à New York, ce rêve ou cet espoir de me revoir, cet état absolu d’excitation lorsque l’on se revoit après une longue période, tout cela vient de mourir. L’exotisme devient routine, et la routine, ça finit toujours par blaser, au risque de tout détruire. En même temps il constate que j’ai tout abandonné pour lui, jusqu’à mes études. Peut-il ainsi impunément me remettre dans le train ? Il en a longuement discuté avec ses amis, dont Emma. Certaines décisions sont dures à prendre, parfois elles semblent incompréhensibles, elles vont à l’encontre de ce qui serait logique dans une situation où l’amour existe et qu’il est fort. En aucun temps il m’a suggéré ou conseillé de partir ; au contraire, il veut que je continue à chercher un autre emploi, puisque celui-ci sera peut-être insuffisant. En vérité, il ne fait qu’envisager l’avenir, sans prendre de décision, il regarde aux possibilités. Dans le fond, j’ai peut-être tort d’interpréter le tout comme s’il voulait vraiment que je reparte. Il est entièrement partagé sur la question. En ce moment, tout comme moi, il passe la journée à s’ennuyer et à attendre patiemment la minute où l’on se retrouvera le soir. Jamais je n’aurais pu souhaiter que les choses aillent mieux. Je ne suis peut-être pas cet homme musclé en forme, mais au moins je réussis à attirer toute l’attention que je souhaite et les gens sont capables de tomber en amour avec moi, ce qui est assez surprenant dans le monde gai, du moins à New York. Certes, je ne me lamenterai pas.

    Je me demande jusqu’à quel point mon petit Gabriel à Jonquière a effectivement tout déboîté dans l’appartement. Aurait-il vraiment brisé des choses ou alors il s’agit d’une figure de style ? Je sais que lorsque c’était fini entre lui et Maurice, il a effectivement tout brisé dans sa chambre.

    En tout cas, si c’est la neige et l’hiver rigoureux que je fuyais en venant à New York, c’est vraiment raté. Ici il fait froid et je congèle. En plus il neige à manger debout et c’est une tempête de neige qu’ils ont annoncée pour les deux prochains jours.

 

 

 

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    Lorsque je repartirai d’ici, Ed aura atteint le niveau de mythe. L’amant imaginaire que j’aime et qui jouit de la vie à New York. J’ignore s’il pourra en jouir longtemps, à 20,000 $ de dettes ; je crois que son emploi, qu’il l’aime ou non, il y sera bien accroché. Peut-être que c’est le temps que quelque chose change, effectivement, dans sa vie. Il ne peut tout simplement pas continuer à ce rythme, il se dirige vers la faillite. Je suppose qu’il devra se calmer lorsqu’il arrivera aux plafonds de ses cartes. De toute manière, moi aussi j’ai le même montant de dettes que lui, sauf que le taux d’intérêt est beaucoup moins élevé que le sien. Si ça se trouve, il ne réussit pas à les rembourser, mais juste à payer les intérêts. C’est triste la vie en un tel contexte. Reste plus qu’au père à mourir et à l’héritage à venir effacer ces dettes. Ou alors : « Poupa, j’arrive pu dans mes comptes, paye mes dettes ! » Ce qui est bien probable qui arrivera. Cependant, il faudra bien qu’Ed avoue à ses parents ces dettes et où l’argent est passé. Je doute qu’ils soient au courant d’un tel fatras de dépenses. C’est bien beau tous ces vêtements et ces parfums DKNY, sauf que lorsque c’est à crédit, ça fait mal. Encore que, au salaire qu’il fait, s’il fait attention et qu’il s’y met, en trois ans il aura tout payé. C’est comme s’il s’était acheté une voiture, mais qu’il ne l’avait pas. Rien n’est désespéré donc. Je me questionne cependant comment quelqu’un réussit à se procurer suffisamment de cartes de crédit pour en arriver à cumuler 20,000 $. Moi, je suis incapable de faire augmenter mon plafond de Visa à 2,000 $. Il doit avoir un paquet de cartes de tous les magasins de New York. « La carte DKNY, la carte qui vous assure la faillite ! »

    Enfin, je viens de me mettre à écouter un peu de Nine Inch Nails, The Downward Spiral, ça me change un peu du classique de Roger. Non pas que je n’aime pas le classique, mais en ce moment ce n’est pas de l’ordre dont j’ai besoin dans ma vie, mais bien d’action. De l’action, en voilà. Je commence à voir plus clair dans les activités du propriétaire du restaurant où je travaille. Je tairai les noms pour la protection des gens concernés ainsi que ma propre protection. C’est la maffia qui est prise là-dedans. Pas mal pour un petit perdu du fond du Canada, un peu de Nine Inch Nails et me voilà au beau milieu d’un enfer à New York. À part les rats gigantesques qui finissent toujours par manger tout le pain que l’on sert au client, et les coquerelles dans la cuisine, la saleté du restaurant en tant que telle ne m’inquiétait pas outre mesure. Que tout soit en train de tomber en charpie, murs, peinture, panneaux métalliques, plaques, poignée de la porte d’entrée, nappes tachées mal recouvertes de feuilles de papier, desserts dégueulasses, une seule sorte de vin rouge ou blanc, interdiction d’en servir durant le jour, refus de clients qui ne mangent pas le service complet, et quoi encore... les clients vont aux toilettes, c’est dans la cuisine, c’est tellement sale et affreux que j’en ai honte. J’arrive à peine à comprendre comment j’ai pu y manger quelques repas, le cœur me lève. Ainsi, ce restaurant est en train de tomber en ruine. Cela inquiète-t-il le propriétaire ? Pas le moins du monde, au contraire, il faut que ce soit sale, les clients ne sont pas importants. À la limite, il n’y en aurait pas et ce serait parfait. Il me semble que c’est clair qu’il y a quelque chose qui ne tourne pas rond. Sa femme est d’une beauté extrême, blonde naturelle, digne du Playboy. J’en suis tombé à la renverse. Qu’est-ce qui peut attacher ce beau bébé à ce vieux croûton qui possède un restaurant en décomposition ? Mais je vois de façon encore plus claire, lorsque je vois tous ces gens, au moins trois par heure, qui viennent demander si George est là. D’autres au téléphone veulent savoir quand il sera de retour. Étrange, en effet. Et puis là je me demande pourquoi il m’a engagé. Au début, je me disais que ma beauté, si beau et si jeune, dans un quartier gai, l’homme n’est pas fou, il s’assure une clientèle, il veut remplir sa place. Mais tous les gais qui défilent dans la rue sont hyper beaux, il n’aurait aucune misère à s’en trouver un plus beau encore, qui lui au moins serait légal et parlerait sans accent. Et puis, il n’a aucun désir de remplir ses huit tables. En fait, moi en tant qu’immigrant illégal, je ne suis pas dangereux. Si j’entends des choses, si j’apprends des choses qu’il faut que j’ignore, alors je ne risque pas de courir à la police, étant déjà bien trop dans le trouble. Pour Jimmy, lui-même se drogue comme un malade, alors j’en déduis que George est son fournisseur. Et puis les deux Espagnols dans la cuisine qui travaillent pour lui depuis cinq ans et qui n’ont jamais réussi à apprendre l’anglais, cela aussi fonctionne dans ses plans. Je me sens si libre de parler dans ce foutu restaurant, que moi et Jimmy ne faisons que parler de sexe, de grosses bites, de drogues, de beaux pétards qui passent dans la rue. Les cuisiniers ne comprennent rien de nos discussions, et même s’ils comprenaient, ils sont tellement à leur affaire, que si un malade débarquait pour tirer tout le monde au fusil, je crois qu’ils continueraient leur petit travail sans même regarder de l’autre côté du rideau. George doit faire partie d’une de ces organisations internationales qui fait des millions sur le dos de ces pauvres New-Yorkais en manque. Ça expliquerait également pourquoi le patron veut lui-même travailler tous les soirs. Je voudrais bien continuer à travailler là un peu pour en connaître davantage, mais si j’ai le malheur de poser une seule question, et Dieu sait comment ça me brûle les lèvres, je ne donne plus cher de ma peau.

 

 

 

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    Hier, le sexe avec Ed, franchement impressionnant. Devant la grande baie vitrée, avec les trois cents fenêtres juste à côté. Nous avons éjaculé comme des malades, tellement que nous sommes presque tombés endormis juste après. C’est que la veille on avait fait l’amour jusqu’à trois heures trente du matin. Le réveil fut brutal, je vous jure. Plusieurs cafés, cela m’a pris, pour me mettre en fonction. J’ai bu un pot complet à moi tout seul. J’ai dormi tout le long du trajet de la ligne F. Ça a d’ailleurs pris une éternité pour franchir quelques stations. Il n’y a pas à dire, Paris de ce côté-là, sans les mouvements de grèves, ça fonctionne davantage. Je n’aimais pas tellement ces wagons gris qui manquent de fenêtres, mais depuis qu’Ed m’a dit que c’était de la technologie québécoise, il n’y a pas plus beau dans le monde. De toute manière, c’est définitivement la personnalité de New York, les stations les plus sales que j’aie vues et senties dans ma vie. Ils n’ont vu que l’aspect fonctionnel de la chose, le reste on s’en fout.

    Ma décision est prise : la prochaine fois que mon employeur m’appelle, je vais lui dire que je quitte. Je partirai dans le courant de la semaine prochaine, avant le week-end, car dans l’autre semaine Ed et ses amis partent pour Cleveland. Je voudrais y aller ! S’il y a une possibilité, je vais la prendre. D’autant plus que le colocataire d’Ed commence à bien m’aimer et il multiplie les sourires. Il était si méchant que je crois que c’est miraculeux. Il est vrai que dans tous les différends qu’il a eus avec Ed, je l’ai défendu. Et puis, je prends très peu de place, je ne mange même pas le matin, j’ai même peur de me reprendre une tasse de café. Aujourd’hui je suis libre, après mes trois jours de travail plutôt tranquilles. Je ferai un peu d’épicerie, mangerai comme un malade, puis dormirai un peu sur le sofa. Peut-on imaginer plus belle vie ? Pas vraiment. Le calvaire s’en vient. Des décisions à prendre, encore. Tout semble logique et calculé par la destinée, mais elle est bonasse, elle nous laisse croire que nous pouvons tout de même prendre nos propres décisions, et par conséquent, j’en ai pour quelques jours d’analyse avant de pouvoir me prononcer sur la poursuite de mes plans. C’est que Sébastien a téléphoné hier, il a finalement trouvé un emploi à Toronto pour une compagnie de téléphone. Il commence lundi et m’invite à passer quelque temps à Toronto pour voir à quoi pourrait ressembler notre retour ensemble. Je me sens peut-être perdu à New York, mais à Toronto je le serai davantage. Car je n’aurai pas ce petit pincement en me levant chaque matin qui me dit : « Je suis peut-être misérable, mais au moins je suis à New York. » De plus, avec la crise qui a éclaté hier, je me demande jusqu’à quel point un retour avec Sébastien sera possible. Il y a que Sébastien a téléphoné Ed à son bureau, et qu’Ed ne comprenait pas comment Sébastien pouvait ainsi exiger des choses de moi, parler comme s’il avait de quelconques droits sur moi. Par exemple, Sébastien affirmait que je devais être malade pour avoir laissé mes études pour aller trouver un emploi à New York. Que je n’avais rien à trouver ici sauf un emploi de serveur, rien qui ne ferait avancer une quelconque carrière, si du moins j’avais même une idée de faire carrière. Et puis Sébastien semblait croire que je n’avais pas vraiment le droit de partir ainsi pour New York, que dans le fond, ça signifiait pratiquement qu’un retour avec lui devenait de moins en moins possible. Alors Ed lui a lancé de façon fendante, d’après ce que j’ai pu comprendre, que j’avais trouvé un emploi dans un restaurant gai dans le village, que j’avais l’intention de demeurer à New York, que je ne considérais plus vraiment la possibilité de retourner avec lui, et comble de tout, il lui a dit : « Son copain de Jonquière a téléphoné en larmes hier, c’était tellement beau à voir, tu aurais dû entendre ça. » Ed ignorait que j’avais déjà dit à Sébastien que j’avais rencontré Gabriel à Jonquière. Après avoir entendu ça, il n’y avait plus aucune chance que Sébastien revienne avec moi, ni même qu’il ne me parle. Il m’a fallu en escalader des obstacles pour expliquer que jamais je ne m’étais contredis dans ce que je lui avais dit avant sur mes intentions de venir à New York, et que Gabriel, bien qu’il m’ait appelé, ne change rien au fait que je n’ai aucun sentiment pour lui et qu’il n’a jamais été un copain. Il me reprochait de ne pas lui avoir téléphoné immédiatement pour lui annoncer que j’avais trouvé du travail. Or, rien n’était certain avec cet emploi, d’ailleurs je le lâche aujourd’hui. Aussi, de quel droit peut-il affirmer que je me devais de l’appeler pour lui dire ? Il est vrai que nous ne sortons plus ensemble. Ed le lui a rappelé. Mais je comprends la réaction de Sébastien, il agit comme si j’avais toujours eu l’intention de revenir avec lui, et soudainement il est incapable de comprendre que finalement j’agis comme si nous ne reviendrions jamais ensemble. Que je fais tout pour être certain que l’on ne reviendra pas ensemble. Et c’est vrai en fait, je m’en balance. J’en ai eu assez d’attendre, maintenant je vais vivre. J’irai peut-être à Toronto, peut-être. Ça aussi je le lui ai dit, en ajoutant que s’il me voulait vraiment à Toronto, j’aimerais bien qu’il insiste un peu plus. Parce que ce n’est pas très convaincant, c’est plutôt vague cette peut-être réunion de nous deux dans cette ville perdue. D’autant plus que je viens de lire La Peste d’Albert Camus, et que Toronto me donne à peu près le sentiment qu’éprouvent ceux qui étaient pris dans cette ville mise en quarantaine, jusqu’à ce que la moitié de la population meure et que Dieu lève son châtiment. Sébastien aura une vie vide à Toronto s’il doit vivre seul dans son appartement et qu’il doive faire du 9 à 5. Il insistera davantage une fois qu’il sera installé. Mais, selon Ed, c’est certain qu’il a couché avec du monde depuis qu’il est revenu au Canada. Selon moi, il couchera avec du monde à Toronto même si nous revenions ensemble, puis finalement, je ne lui fais plus confiance. Comment peut-on espérer rétablir notre relation d’avant-guerre ? Si je retourne au Saguenay, chose que Sébastien veut éviter à tout prix (il m’exhorte à demeurer à Montréal), ce sera bien difficile de m’y déloger. Un voyage à Toronto, tout au plus. Je crois que je n’ai pas à m’inquiéter, les décisions se prendront d’elles-mêmes en temps et lieu. Les événements me conduiront là où je devrai être, ou m’indiqueront la route à suivre selon mes sentiments du moment.

    Oh et puis j’avoue tout ! J’ignore quoi faire, je panique, je suis en crise ! Encore une fois il me faudra trancher entre l’idée de revenir à Jonquière et celle de partir pour Toronto. Je tente de me souvenir ce qu’était la vie avec Sébastien. Les derniers mois à Londres furent si terribles que la seule idée qu’il me fasse subir ces choses une journée de plus me fait vomir. Je tente de me souvenir des bons moments à Londres, ils sont bien difficiles à trouver. Chaque fois que nous allions quelque part, il passait son temps à regarder les gars et à flirter dans ma face. Non, je pense que c’est terminé. Même dans la chaleur de l’appartement, il ne me donnait pas d’attention ni d’affection. Une éternelle indifférence, avec tout ce que ça implique. Je puis comprendre qu’il n’insiste pas tant que ça. Je crois que ce sera une décision difficile, mais que je saurai la confronter. C’est-à-dire qu’entre moi et Sébastien, c’est terminé.

    Christ qu’il fait froid à New York. Il fait froid autant à l’extérieur qu’à l’intérieur. Je suis devenu non fonctionnel. J’ai presque hâte de retourner à Jonquière pour être bien au chaud dans la maison, parce qu’au moins, au Canada, on chauffe nos maisons.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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    Le colocataire d’Ed m’aime tellement que maintenant il crie partout qu’Ed retournera au Canada la semaine prochaine et que moi j’emménagerai de façon permanente à New York avec lui. C’est assez incroyable, car il est toujours de mauvaise humeur. Hier, il a couché avec quelqu’un, Nicolas, un très beau New-Yorkais noir qui est encore couché en haut. Après cela je croyais bien qu’il se lèverait heureux, pas du tout. Toujours prêt à sauter à la gorge d’Ed. Mais, pour moi, il n’a que des sourires. Il faut dire que c’est rendu, que je fais la vaisselle pour tout le monde, je pousse Ed à faire le ménage, et j’ai acheté pour 60 $ d’épicerie hier. Ça, je l’ai fait davantage pour moi, je me sentais si coupable de manger que je mourais littéralement de faim. Ça l’a métamorphosé complètement. Même les monstres les plus effrayants, je puis en venir à bout. Mais qu’est-ce que ça peut devenir souffrant ! Je n’en peux plus de me payer le poste de radio de musique classique toute la journée, Tchaïkovski semble être à la mode de New York, ou du moins l’animateur de radio en mange le matin, le soir, la nuit. Non pas que je n’aime pas Tchaïkovski, mais pourquoi pas un petit Brahms de temps en temps ? Un Beethoven, un Mozart, un Chopin ? Moi, les marches d’armées à gros rythmes et à coups de cymbales répétés, je trouve cela désordonné et je m’en fatigue vite. Mieux vaut un vrai désordre à la Nine Inch Nails dans ces cas. Et à se concentrer un tant soit peu sur ce qui semble désordonné dans Nine Inch Nails, on se rend compte qu’il y a bien, comme chez Beethoven, plusieurs petites mélodies qui s’entrecoupent et qui font un tout très cohérent. Oui, je souffre beaucoup, mais j’ai tout de même réussi à me le gagner ce monstre de colocataire. Moi, personnellement, ça ferait longtemps que je l’aurais crissé là.

    J’ai compris hier que le père d’Ed, ça vient tout de l’Allemagne. Sa mère, tout de l’Italie. Un de ses oncles a fait de la prison pour avoir fait partie du nazisme et d’avoir été un peu trop zélé. Alors Ed disait à la blague que sa famille, c’est les enfants de Mussolini et d’Hitler. Fascisme jusqu’à ce que mort s’ensuive, jusqu’à ce que le monde entier en crève. Ed n’est pas antisémite, sauf que c’est fatigant parce qu’il parle sans cesse des Juifs. Je suppose que c’est à peu près comme nous au Québec, on parle sans cesse des Anglais. Sauf que nous on a souffert des actions anglaises dans notre histoire, dans le contexte ce sont plutôt les Juifs qui ont souffert des actions d’autrui. Bon, je ne peux pas vraiment élaborer là-dessus. Ed connaît ma position sur le sujet, il n’en parle plus. Je suis près à faire énormément de concessions pour faire partie de leur univers, m’intégrer complètement, mais en aucun temps je pourrais même laisser planer un doute sur si oui ou non j’aime les Juifs ou les Noirs. En fait, ils me laissent indifférent ; tous ceux que j’ai rencontrés sont très gentils et même sont du monde très intéressant. Lorsqu’ils m’ont directement posé la question, presque une heure après être entrés dans l’appartement, je leur ai dit clairement que oui j’aimais les Juifs et que j’ai un très bon ami juif à Montréal, probablement la personne la plus passionnante avec qui parler que j’aie rencontrée dans ma vie. Ils n’ont pas élaboré, j’ignore ce qui se passe dans leur tête. Peut-être sont-ils antisémites mais que devant moi ils se calment. Mais ça me rappelle ce que me disait Gabriel à Jonquière. Il disait qu’il n’aimait pas beaucoup les Noirs, mais le problème, c’est qu’il n’y a aucun Noir dans la région du Saguenay-Lac-Saint-Jean, ou du moins très peu, et qu’il n’est jamais sorti de Jonquière-Chicoutimi. Comment peut-on ne pas trop aimer une race que l’on ne connaît même pas ? En plus il est conscient que c’est un racisme relatif (je parle surtout de xénophobie dans le contexte), car il affirme que s’il voit un Noir en train de se faire battre dans la rue par des Blancs, il sauterait à sa rescousse. Et je suis bien convaincu que si un de mes bons amis serait noir et que je lui présenterais, ils deviendraient de très bons amis. C’est, dirait-on, un racisme qui nous vient des générations précédentes mais qui ne signifie plus rien. Nous avons un fond de racisme, mais il n’est plus du tout actif. Sur une base tout à fait individuelle, nous pouvons apprécier des gens de n’importe quelle race. Ce à quoi il faut faire attention, et qu’il faut sans cesse se battre, c’est que ce fond de racisme est cependant bien présent et il demeure sans cesse un danger potentiel. Il peut facilement être réactivé. Du jour au lendemain on peut refaire la guerre aux homosexuels et leur enlever tous les droits. Ce n’est pas du tout comme si tout devenait acquis avec les années. Il faut continuer la sensibilisation.

 

 

 

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    Hier, je suis allé retrouver mon bébé sur l’heure du midi, nous avons mangé ensemble au Rockefeller Center. Un restaurant italien assez chic où il faut dépasser la limite de vitesse permise lorsque l’on mange. Assez impressionnant. Nous ne sommes même pas encore assis sur nos chaises que déjà il prend la commande. On n’a pas encore eu le temps de retourner dans notre tête ce que l’on vient juste de commander, sans même avoir regardé le menu, que déjà trois Italiens sont autour avec nos salades, notre pain et notre bouteille d’eau minérale. Même pas le temps de finir la salade, il me demande si j’ai terminé, il a déjà mon plat principal dans son autre main. Je n’ai pas la dernière bouchée de pizza dans ma bouche, il a le plateau de desserts dans une main et le café dans l’autre. L’art de dîner à New York un jour de semaine, là où il y a même une file d’attente. Mission accomplie, on a mangé un service complet en quinze minutes, soixante dollars, j’en ai été malade toute la nuit. Mais pendant ce quart d’heure, j’ai ressenti le cœur de New York. Avec tous ces travailleurs qui travaillent à je ne sais quoi qui ne s’explique pas. Ils ont bien du mérite, je vous le jure, quand bien même ils n’auraient que des papiers à transférer d’une table à une autre. Bien plus de mérite qu’un bûcheron qui coupe du bois toute la journée, ou qu’un travailleur d’asphalte qui se crève le dos et les mains à la tâche. Parce qu’il faut bien du mérite à New York pour faire comme Ed, se lever à six heures le matin, prendre le métro bondé et bouché à chaque matin, aller au travail, subir l’humiliation et le stress infernal de ses supérieurs, friser la dépression et avoir des boules qui nous poussent dans le visage et dans le dos. Ça devient très inquiétant, surtout s’il faut y ajouter le repas avalé en cinq minutes, la facture de soixante dollars et les dettes à ne plus finir qui nous enchaînent à notre emploi.

    En revenant le soir, nous avons attendu trois métros avant de pouvoir embarquer dans un. Une fois à l’intérieur, le train a pris trente minutes avant de repartir, arrêtant pendant dix minutes à chaque station. Il devenait impossible de fermer les portes parce que tout le monde voulait embarquer, et il y avait toujours des trains en avant de nous. Comme si cela ne suffisait pas, nous ne sommes même plus libres de parler français en croyant que personne ne nous comprend. En sortant du 6 Express hier, un vieux m’a lancé une phrase bien surprenante : « Vive la France ! » Pourquoi vive la France ? Ça n’a aucun rapport. Je lui ai répondu : « Peut-être, mais moi je suis québécois. Alors je suppose que vous vouliez dire : Vive le Québec libre ? » Il m’a regardé sans trop comprendre, moi je disparaissais déjà dans la foule. Je le savais qu’il me comprenait tout au long du parcours, ses yeux s’illuminaient et il me regardait. Quand Ed en est venu à parler de faire l’amour, masturbation, etc., je l’ai pincé très fort en lui disant tout bas que je croyais que certaines personnes comprenaient.

 

 

 

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    Ed s’est chicané avec son copain Colin, ce jeune homme qui est en amour par-dessus la tête avec mon Ed. Ils se sont retrouvés assis à une table, l’autre pleurant. Qui suis-je, moi, pour débarquer de nulle part et venir arracher Ed à tous ses amants et amis ? Qui suis-je, moi, pour avoir un tel pouvoir sur un Ed d’habitude sans pitié, qui fait mal à tout et chacun par sa nonchalance et son indifférence ? Je dois avouer qu’Ed m’inquiète. C’est vrai qu’il est en train de négliger tous ses amis, là ils se sont chicanés lui et Colin, ils ne se parlent plus. Tout cela est de ma faute. D’habitude, Ed demeure au travail jusqu’à sept ou huit heures du soir. Depuis que je suis là, il est sans cesse en retard le matin, il finit avant l’heure. Lui qui n’a jamais voulu coller un homme de sa vie, il est devenu plus affectueux que moi. C’est tout dire. Son amour pour moi ne cesse de grandir. S’il suggérait voilà deux jours que je devrais partir, aujourd’hui il me reproche carrément de partir. Il me propose maintenant de demeurer jusqu’à la fin du mois de février. Mieux que toutes mes espérances. Croyez-vous que Roger serait un obstacle à mon séjour ? Hier, il regrettait que je parte la semaine prochaine, il me demandait de demeurer plus longtemps. Il n’y a pas à dire, c’est miraculeux. Ce n’est pas de la politesse, Roger en serait incapable, il n’est point capable de gentillesse. Les premiers jours, il m’a accroché de front, pour me montrer où était ma place. C’était clair, ma place n’était pas dans son appartement. Le patron du restaurant ne me rappelle pas. Ce sera peut-être plus facile que prévu pour lui dire que je quitte. Il n’ose pas m’appeler, moi non plus. À moins qu’il veuille me faire travailler ce week-end, et si c’est de soir, je ne dirai pas non. On verra. Bon, je dois prendre ma douche, aller porter le linge d’Ed chez la petite lessiveuse chinoise du coin de la rue, revenir ici pour manger de la bouffe, maintenant que j’ai fait l’épicerie.

 

 

 

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    Je voudrais revenir sur nos sosies identiques qui existent en d’autres lieux en même temps que nous. C’est important, car je vois maintenant quelques photos du jeune homme qui me ressemble énormément, l’ancien copain qu’Ed a aimé pour finalement le laisser un mois plus tard, faute de liberté et d’espace. Entendons-nous, je ne parle pas de gens qui se ressemblent un peu, qui ont certains airs d’autres personnes plus connues. Je parle de gens qui ont, à quelques X ou Y près, la même combinaison de chromosomes. Lorsque je suis allé dans l’Ouest canadien voilà quelques années, j’ai trouvé trois sosies identiques de certains de mes amis. Dont une qui était chinoise, cela n’enlevait rien au fait qu’elle ressemblait énormément à mon amie Caroline de Jonquière. Comme mon ami Michel qui est une copie intégrale d’Andy Bell, chanteur du groupe Erasure. Ils sont tellement pareils que l’on peut prévoir les réactions de Michel selon les connaissances que l’on a d’Andy Bell. Mon père et mon prof de chimie du secondaire 5 étaient tellement identiques qu’une fois j’ai appelé mon prof pa pour papa (heureusement personne n’y était). Ils avaient les cheveux de couleur différente mais peignés de la même façon. Ils écrivaient de la même manière, lettres exactement identiques alors qu’il s’agit d’une écriture particulière. J’ai fait l’expérience. Mon père m’aidait dans mes calculs, le prof également. Or, j’ai montré à mon prof des problèmes que mon père avait écrits, il croyait sans aucun doute qu’il s’agissait bien de son écriture à lui. De même pour mon père. Et puis maintenant je regarde ce jeune homme qu’Ed avait, je ne puis nier qu’il me ressemble. Il se tient de la même manière, il prend son verre comme je le prends, il porte mes goûts en vêtements, à regarder les photos il semble autant affectueux que moi, son corps est exactement comme le mien, ni plus ou moins musclé. Même ses dents avant ressemblent aux miennes, même dentition, sauf que lui c’est plus droit. À croire qu’il a peut-être porté des broches. Même grosseur de nez, mêmes oreilles, mêmes yeux, mêmes sourcils, même sourire, mêmes mains, c’est à faire peur. Je vois Ed le prendre dans ses bras, il le prend bien mieux que tous les autres dans l’album photos, je vois qu’Ed l’aimait, cette autre version de moi. Maintenant, ce qui devient intéressant, c’est, si ça n’a pas fonctionné entre lui et Ed, n’est-ce pas un signe que ça ne fonctionnera pas entre moi et Ed ? Car Ed m’a expliqué pourquoi rien n’avait marché, comment il était parano et compulsif. C’est tout moi ça ! Comment cela pourrait-il fonctionner plus avec moi ? La question aussi, c’est : est-ce qu’Ed aurait été attiré par lui s’il ne m’avait pas rencontré deux ans auparavant ? Si oui, c’est qu’il est fait pour aimer un certain type de personne, et la journée où il rencontrera ce type en particulier, alors il tombera en amour ou deviendra son ami. Sinon, c’est que par hasard il m’a aimé, et maintenant il recherche la même chose par pure nostalgie ou mélancolie. Ce qui est terrible dans toute cette histoire, c’est qu’on dirait que l’humain n’est libre de rien, en définitive. Libre seulement de croire qu’il est libre et qu’il pourra prendre des décisions lui-même, alors que sa personnalité a déjà tout fait en sorte que l’on sait déjà quel sera son choix. La décision ne devient alors qu’une question de temps. Combien de temps les variables et facteurs impliqués prédisposeront les circonstances pour que la décision se prenne. Car ce que moi je décide en telle circonstance, peu importe tout le processus impliqué, je suis bien certain que mon double prendra la même décision. Ensuite, si vraiment je ne fais qu’être à la recherche de cet être parfait pour moi, et qu’il s’agit de telle combinaison de chromosomes, jusqu’à ce que je tombe sur celui qui a la combinaison gagnante absolue, alors je ne suis libre que de perdre mon temps en attendant de le rencontrer, jusqu’à ce que finalement je me retrouve avec lui. Si ça ne fonctionne pas ou si je ne le rencontre jamais, alors j’apprends à d’autres niveaux, ou je suis tout simplement malheureux dans la vie. Ou encore, je vis avec cette impression qu’il me manque quelque chose. Mais si nous fonçons un tant soit peu, à mon avis, il sera bien facile d’atteindre ces êtres qui nous semblent destinés et qui sont là pour, je suppose, nous apprendre des choses que d’autres ne pourraient pas nous apprendre. Ou du moins, avec qui une chimie se fait, un lien particulier, qui fait que l’on est tout à fait métamorphosé et que l’on change radicalement notre vie. Un peu comme ce qui arrive à Ed en ce moment. Bien que le changement radical dans sa vie, ce sera peut-être pour dans quelques années, quand justement lui ou moi serons plus libres de voyager ou de vivre dans d’autres pays sans avoir besoin d’y travailler, si cela se peut. Toute hypothèse est ouverte.

 

 

 

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    Sébastien vient d’appeler, voilà une heure environ. On parlait comme si j’allais partir pour Toronto de façon certaine. Hier, ça a fait paniquer Ed. Jalousie totale, pendant un instant il a cru que jamais je n’avais eu l’intention de laisser Sébastien, que je l’aimais peut-être même plus que je l’aimais lui. Il est convaincu qu’un retour avec Sébastien serait une grave erreur qu’il faut éviter à tout prix. Il me compare à cette femme avec qui il travaille, elle se laisse tout à fait contrôler et se fait un peu battre. Elle continue à sortir avec son mec même si celui-ci la trompe en permanence avec une autre femme qu’il a d’ailleurs mise enceinte l’an passé. Oui, Ed, c’est exactement ce qui se passe entre moi et Sébastien. Très belle analogie, ou peut-être devrais-je parler de métaphore filée à l’extrême ? Maintenant, c’est à savoir s’il faut que j’attende que Sébastien s’installe dans son propre appartement, ce qui pourrait prendre de deux à trois semaines, ou alors aller chez ma tante Charlotte quelques jours et même aider Sébastien à trouver un appartement. On s’est laissé là-dessus, sans prendre de décision. Ça me brûlait de retourner à Jonquière, mais plus maintenant. N’y pleurais-je pas de partir pour New York ? Ou de retourner à Londres ? Ce Londres qui me manque tant. Semble-t-il, j’ai fait encore exactement ce que je voulais faire. Tout abandonner, mes nouveaux amis, mes parents, mes études, mon imprimante (je suis devenu hautement dépendant de cette petite machine à imprimer des caractères, il faudrait me guérir de cette maladie). Ne suis-je pas parti retrouver Ed à New York ? N’ai-je pas trouvé un emploi et y ai-je travaillé trois jours ? Je partirais bien pour la Californie, mais je n’en ai plus envie. Déjà deux amis d’Ed y vont la semaine prochaine, là ma chance de partir. Mais rien ne m’appelle en ce moment à cet endroit, tandis que partout ailleurs on m’appelle. Toronto, New York, Jonquière, Londres, Paris. Mais est-ce que des choses m’appellent dans ces villes justement parce que je m’y suis rendu, y ai vécu et y ai rencontré des amis ? Alors, oui, la Californie m’appelle, autant que la Chine, mais laissons-la appeler encore. Je veux y descendre en voiture, pas y débarquer en avion ou en autobus, ou dans l’auto d’un autre. Peu importe, ça ne me tente pas dans le moment. Il faudrait plutôt que je sache ce qui s’en vient dans ma vie pour la semaine prochaine. Comment peut-on vivre autant au jour le jour, sans savoir ce que le lendemain nous réserve ? Justement, ce soir, c’est vendredi et dieu seul sait où Ed a l’intention de m’emmener ce week-end, et qui il va me faire rencontrer. Chose certaine, j’aurai besoin de me saouler, sinon je serai raide comme une planche, coincé dans mes pantalons. Aujourd’hui, on attend encore la tempête de neige annoncée voilà deux jours. Il y a de la neige dehors pourtant, et il fait très froid. La semaine passée, Patrick, celui qui est maintenant retourné à Londres, m’a pris dans ses bras en disant quelque chose comme : « Quel est ce beau jeune Québécois ? Comment se fait-il que je n’en rencontre pas lorsque je suis à Montréal ? » Ce à quoi j’ai répondu que le Québec était rempli de jeunes Québécois comme moi. Il affirmait que moi et Ed allions bien ensemble, nous formions un beau couple. Ce qui a fait fantasmer Ed un peu. Aurait-il vraiment trouvé l’homme de sa vie ? Hier, il voulait me sortir juste pour me montrer à ses amis, leur dire : « Regardez ! C’est mon copain ! » Il disait qu’il était fier de me montrer à tout le monde, de dire que je lui appartenais. Moi, ça m’a fait bizarre qu’il me lance ça. C’est comme s’il voulait rendre ses amis jaloux, en leur disant : voyez ce que je suis capable d’aller chercher. Mais ça ne fait aucun sens, il peut coucher avec qui il veut, il a couché avec tout le monde, et ce monde, moi, je le juge plus beau que moi. Je donnerais cher pour savoir s’il faisait ça avec chacun de ses copains qu’il trouvait très beau. J’ignore de quel qualificatif le qualifier. Mais je peux comprendre, j’étais fier d’embrasser Gabriel dans le bar 1891, c’était le plus beau de Jonquière. Le problème, c’est que tout le monde était déjà sorti avec Gabriel, je devais donc être fier d’une chose que tout le monde avait déjà bien connue. Mon seul avantage était que tout le monde la voulait encore cette chose, mais que Gabriel (personnifions-le tout de même) les a tous rejetés. Alors peut-être me regardaient-ils avec de gros yeux parce qu’ils m’enviaient ? Peut-être aussi ne faisaient-ils qu’attendre que Gabriel me rejette à mon tour. Ce qui m’a fait le plus mal, c’est quand mon ami hétéro de Chicoutimi, Gaston, a vu l’instant d’une minute un Gabriel tout mal rasé et mal habillé. Il l’a jugé et ça a été cinglant. Il s’attendait à quelque chose de pas mal plus beau. Il impliquait qu’il était laid. Moi, ces stupides hétéros, plus tapettes et efféminés que les gais en général, et qui se permettent de tels commentaires, ça me fait chier. Parce qu’il est franchement beau le Gabriel. Et lui, Gaston, le PD frustré incapable de s’avouer, s’habille comme une grande folle, a des goûts tout à fait bizarres (trois de ses quatre dernières blondes n’étaient que des monstres gras aux cheveux blonds, sa dernière, une belle petite brunette toute gentille), vient me détruire par un simple commentaire toute l’admiration que je pouvais avoir envers Gabriel. Ça m’en a pris pour me remettre sur pied et m’avouer qu’il radotait le Gaston. Que dans le contexte, ce qu’il voulait dire, c’est qu’il n’était pas du tout de son genre. Lui, il chercherait pour cheveux noirs, poilu et plus vieux. Ou alors son échelle de valeurs est complètement inversée. Ça doit être ça le complexe freudien d’Œdipe inversé. Il le trouve si beau, censure totale, il me lance qu’il s’attendait à plus beau. C’est la seule explication possible. Ou alors, à force d’être gai et de se forcer avec les filles, on devient tout mêlé dans la tête et on ne sait plus reconnaître un beau jeune homme. Voilà. Mais je crois que c’est parce que son ami de Québec, qui connaît Gabriel, lui avait dressé un tableau grandiose de Gabriel, alors qu’en fait c’est vrai qu’il est super beau, très excitant, mais pas une œuvre d’art tout de même.

 

 

 

 

 

 

 

 

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    J’ai vu huit cartes de crédit Visa, plusieurs autres Master Card, de chaque banque de New York. Je n’ai pas vu la vingtaine de cartes de magasins qu’il a coupées dernièrement. J’ai vu des dettes effrayantes, une pile de lettres de paiement en retard, des chiffres à faire friser les cheveux. J’arrive à peine à comprendre pourquoi il est si franc avec ça, pourquoi il me montre tout ça. C’est le genre de choses qui fait fuir. Peut-on vraiment s’embarquer avec quelqu’un capable de se procurer une vingtaine de cartes de crédit, les remplir complètement, une autre vingtaine de cartes de magasins, les remplir au maximum ? Bien sûr, 20,000 $ U.S. ce n’est rien. Il pourrait prendre un prêt à la banque pour rembourser tout cela en trois à quatre ans, dix s’il faut. Le problème commence lorsque la personne n’apprend pas d’un tel excès ; peut-être continuera-t-il ? Il ne semble pas vouloir changer son rythme de vie. Je crois qu’au lieu de rembourser, il va s’engouffrer davantage.

    Hier est venu ici un jeune homme, 25 ans, il parlait français. On devait aller manger ensuite, Ed et moi aurions été à une danse à l’Université de Columbia. Mais j’avais mal au ventre (Dieu seul sait ce que j’ai mangé, probablement des maudits choux de Bruxelles), alors Ed en a profité pour annuler le souper au restaurant à Chelsea. De même, parce que j’étais un peu malade, même si ça allait mieux ensuite, il a voulu que l’on reste ensemble ici plutôt que d’aller rencontrer ses amis à la danse. Là, je me sens véritablement coupable, il est en train d’envoyer tout le monde promener pour moi. Mais qu’adviendra-t-il la semaine prochaine lorsque j’aurai disparu ? Il déteste les émotions et les sentiments. Tellement que c’est la raison pour laquelle il a coupé tous les ponts avec Colin. Selon lui, Colin serait devenu trop émotionnel, même un peu trop jaloux. Plutôt que de discuter et régler le différend, il lui a lancé qu’ils ne sortiraient jamais ensemble et que leur relation d’amitié était terminée. C’est presque effrayant, ça. Je peux bien croire qu’il m’aime, mais me connaissant, moi et ma paranoïa, je comprends bien que notre relation est impossible. On dirait que je me trouve des raisons pour m’aider à partir. C’est vrai. Profitons donc de New York.

    Du côté de la mère d’Ed, la famille italienne est dans la construction. La maffia italienne en action dans la construction. Un est en prison, quelques-uns sont morts, des règlements de comptes, des hommes coulés dans le ciment de ces grands édifices de New York. Le père d’Ed voulait entrer dans la construction, mais il s’est vite rendu compte que sa vie venait de devenir dangereuse. Ils ont surpris un homme dans leur maison en train de les espionner. La mère d’Ed a téléphoné à son frère qui est venu le tirer au fusil. Est-ce monnaie courante ces histoires, ou suis-je vraiment tombé sur une coïncidence ? Un des frères de la mère d’Ed tente de se sortir de son emploi, impossible. Il est tenu par contrat, par promesses, il doit faire des choses illégales, cela n’annule pas les contrats. La seule issue, c’est la mort. J’ai tenté de comprendre comment cela fonctionnait, peut-être la drogue est impliquée, mais Ed n’est pas certain. C’est au niveau des syndicats que ça fonctionne. La maffia contrôlerait tout ça, comme elle contrôle tout New York d’ailleurs. Comme par exemple Ed disait que pendant deux ans ils rénovaient une station de métro. Chaque jour il est passé devant, jamais il n’a vu concrètement quelque chose changer. Des petits détails seulement. Après deux ans il n’y avait rien d’accompli, rien de changé dans la station. À Paris, il a vu en deux semaines une station changer radicalement. Murs, peinture, plâtre, réaménagement, chemin de sortie et d’entrée, le tout très bien pensé. Ici, à New York, ça marche dans toutes les directions, tout le monde finit par se croiser, se rentrer dedans de front, deux foules à contre-courant qui tentent de traverser les corridors. Le maire de la ville s’est lancé contre la maffia. Il s’est occupé du port de mer, des réseaux de prostitution, il veut attirer le tourisme, il va tout remplacer par Mickey Mouse et Walt Disney, ce qui a fait de l’Amérique la capitale mondiale du tourisme (après la France et l’Espagne, selon les dernières statistiques du journal France-Amérique). Le maire a aussi pris une compagnie ou je ne sais quoi, il a mis tout le monde dehors et a réembauché d’autre monde sans les syndicats. Ed a une certaine misère à comprendre comment il se peut qu’il ne soit pas encore mort. Un seul homme ne devrait pas être responsable pour un tel ménage, toute une branche des services secrets et une police spéciale devraient s’en occuper à plein temps. Tout un service que pour cela, avec toutes les précautions pour qu’il n’y ait aucun responsable particulier, aucun policier qui puisse être acheté. Aucun policier qui demeure dans ce service trop longtemps. De toute manière, si les gouvernements voulaient vraiment se débarrasser du crime organisé, il est clair que ce serait possible. S’ils ne le font pas, c’est que c’est définitivement déjà très corrompu dans les gouvernements. Le problème semble trop généralisé, on commence à comprendre que la situation ne se réglera jamais. S’il faut un comité d’action, il semblerait qu’il faudrait que la décision et l’argent viennent d’ailleurs que du gouvernement qui est déjà acheté. Le gros obstacle, c’est que seul le gouvernement semble pouvoir prendre cette décision et fournir l’argent.

 

 

 

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    Je suppose que l’on peut vivre à New York tout en étant pur et innocent. Ignorer tout de ce qui se trame autour, avoir sa petite blonde, ses deux enfants, son petit emploi de 8 à 4. Lisa me prenait en pitié car, à cause du sida, moi et ma génération ne connaîtrons jamais ce que c’est vraiment que de partir sur la go à New York. Orgies, coucher avec le peuple en entier, mourir sur la drogue dans des soirées de cul dignes du Marquis de Sade. J’ignore où elle a été chercher que je pourrais être intéressé à toutes ces choses même si le sida n’était jamais venu. En ce qui concerne ces soirées Big Dick Contest, il semblerait qu’il y a des danseurs nus avec de grosses bites, tu peux toucher et te masturber. Tu peux aussi commencer à jouir avec les gens à côté de toi, tu peux finir le tout en orgie paradisiaque ou en calvaire infernal. Tu peux aussi demeurer habillé et regarder tout cela sans t’y mêler. Moi je m’en fous, la pureté n’existe plus dans ce monde, la fidélité non plus, la vie non plus. La seule chose qui compte, je ne veux plus être malheureux, je ne veux plus souffrir dans une relation à m’inquiéter pour des pacotilles. Ce qui vraiment m’éloigne de Sébastien. C’est vrai, sans lui à côté de moi, je suis toujours de bonne humeur, ou du moins je suis indifférent à la vie. Avec lui je souffre sans cesse, je me pose mille et une questions, j’ai toujours peur qu’il fasse ou veuille faire quelque chose avec un autre. Ce n’est pas une vie ça. Avec les autres que j’ai rencontrés, ces choses ne m’inquiètent pas, je ne sens pas que j’ai un droit sur personne, alors je m’incline devant leur agir. Je fuirai si c’est pour me faire souffrir. Je parle, mais demain je penserai autrement. Je le sais.

 

 

 

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    Moi et Ed venons de passer à l’instant un moment inoubliable. Le genre d’événement qui me reviendra lorsque je me souviendrai de lui, loin d’ici. Nous avons dansé sur quelques chansons d’Édith Piaf, La Vie en rose en anglais, mais surtout notre chanson commune, Les Feuilles mortes, ce poème de Prévert. J’ignorais qu’Édith Piaf en avait fait une version bilingue, à croire qu’elle ne l’a faite que pour moi et Ed. Des souvenirs magiques, un samedi tranquille avec vue sur un vieux High School en décomposition. Depuis que je suis ici, il ne cesse de m’inonder de chansons françaises, Boris Vian, Charles Aznavour, Georges Brassens. Alors moi je suis maintenant prêt à m’acheter un billet pour Paris. Mais en ce moment je suis bien à New York. On vient de faire l’amour sur le divan, comme ça sur le pouce. Il a éjaculé sur moi partout, comme s’il faisait exprès pour ne laisser aucun centimètre carré sans sperme. Ensuite, il m’a mis plein de mouchoirs sur ça, même sur la tête, et s’est mis à me photographier, moi tenant encore ma bite, essayant de l’essuyer sans que le tout ne dégoutte sur le divan. J’ignorais si le produit final de cette photo serait ou bien respectable ou bien dégradant pour la race humaine. Alors je me suis levé, j’ai couru comme j’ai pu pour lui enlever l’appareil, il continuait à photographier, et puis je me suis enfui dans les toilettes avec mes pantalons pris dans mes jambes, en laissant dégouliner le tout partout sur les planchers et les meubles. Il a bien pris une dizaine de photos. Je le voyais déjà montrant ces photos à tous ses amis, avec grande fierté : « Ça c’est l’homme que j’aime en train d’éjaculer, de s’essuyer, de me sauter dessus, de s’enfuir vers les toilettes en salissant toute la maison. » Lorsque je suis revenu, il n’y avait plus de film dans l’appareil. Il me dit qu’il n’y a jamais eu de film, mais j’ai une certaine misère à le croire. Il a dû enlever ce film très vite. Heureusement, je ne verrai jamais ces photos.

 

 

 

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    Hier, nous avons fait Tower Record, HMV, Kate Paper, toutes sortes de magasins impressionnants sur Broadway. Malheur à moi si j’avais eu une carte de crédit à plafond illimité ! Je comprends Ed qui peut remplir quarante cartes facilement. Je crois que je n’ai jamais eu le goût des belles et des bonnes choses, tout simplement parce que ce que je voyais dans les magasins au Saguenay et à Ottawa n’avait rien de particulièrement attirant. À Paris et à Londres, sans doute aurais-je pu être initié à la beauté de certains meubles, lampes, vêtements, gadgets, mais je crois que je n’ai jamais vraiment été dans ces magasins. Enfin, à New York ils sont là, sur Broadway, et j’étais prêt à tout acheter. J’ai dû dépenser environ deux cents dollars, ce qui est effrayant. J’ai comme l’impression qu’après avoir téléphoné à Visa, ce sera le retour en catastrophe à Jonquière. Papa ! Je n’ai plus d’argent ! J’étais bien téméraire de me lancer ainsi à l’aventure, mais dans moins de dix jours j’ai une rentrée d’argent, mon remboursement d’université, presque 900 $. Nous sommes allés à un brunch chez Marion’s Continental, un restaurant qui a connu ses heures de gloire dans les années 50. C’était le dimanche de la mode : Marion’s world-famous Fashion Brunches. Je me suis bien amusé avec les amis d’Ed, Trancy et Matt, ceux avec qui j’avais mangé au Caffé Torrino. Ils ont tous deux les mêmes lunettes de soleil et le même manteau, de couleur différente cependant. Gris éblouissant et noir flashant, ce n’est pas peu dire. Ça a beau valoir cher, on dirait vraiment qu’ils ont eu ça pour du deux pour un. Enfin, je crois qu’ils n’ont pas plus d’argent que moi, bien qu’ils partent la semaine prochaine pour un voyage à Londres et à Paris. Ils avaient l’air moins pire hier, moins superficiels. On a pu gratter la surface pour voir ce qu’il y avait en dessous. Il s’agit bien d’une simple devanture repoussante au premier abord, mais invitante lorsque tu connais la personne. Ça donne une personnalité. Si davantage de gens s’habillaient de manière folle, je n’hésiterais pas, je me laisserais aller au plus extravagant. Le plus intéressant du défilé de mode n’avait rien à voir avec les trois mannequins qui présentaient une collection d’été sans intérêt, l’intérêt de ce show réside en les spectateurs eux-mêmes. En effet, j’ai vu là la plus folle peteuterie de New York. Tous avaient un genre bien particulier, des chapeaux bizarres originaux, des vêtements à ne pas mettre un chat dehors. Je n’ai jamais eu autant honte de n’avoir été habillé que normalement. Je représentais la société extérieure bien terre à terre, alors que là on célébrait la mode, ou plutôt l’absence de mode, tant le tout me paraissait disparate (ce qui est aussi une mode). Un des mannequins nous faisait de l’œil, cinq hommes à une table. Elle devait bien savoir pourtant que nous étions gais, j’étais pratiquement allongé sur Ed pendant le défilé, et les deux autres passereaux s’embrassaient de temps à autre. Tout cela n’était pas déplacé dans le contexte, bien que la majorité des clients étaient hétéros. Au contraire, dans l’univers mêlé de la mode de New York, à tout le moins, le fait d’être gai m’incorporait à leur monde. Malgré mes vêtements bien ordinaires, au moins j’avais quelque chose d’exotique qui faisait de moi quelque chose d’acceptable. Le propriétaire ou un gérant nous a pris en photo, moi et Ed, lorsque j’étais étendu sur lui. J’ignore où finira cette photo. Ce n’est pas la première fois que l’on me prend en photo depuis que je suis à New York, de purs étrangers en plus. Où donc finiront toutes ces photos ?

 

 

 

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    On a eu une petite tempête de neige, il fait encore terriblement froid dans l’appartement. Je suis vraiment mal tombé pour la température, à moins qu’à Jonquière ce ne soit moins 50 oC. Ce qui est bien plausible, je n’y avais pas pensé. Ed est encore amoureux, très mouche également. Hier, il a eu une longue conversation avec Roger, son colocataire. Il a le même âge que moi, pourtant il fait bien trente ans. Il est grand et fonctionne au ralenti. N’empêche qu’il fait énormément chier et que moi, je n’accepterais pas toute la merde qu’il donne à Ed. Mais à les écouter je vois qu’Ed a causé sa part de problèmes. C’est un peu inespéré que j’arrive en ce moment, en ce qui concerne Ed. Car moi je sais demeurer objectif et j’aide Ed à y voir clair. Depuis que je suis ici, je suis celui qui, sans le vouloir, le calme dans son élan. D’habitude il sortait tous les soirs et rencontrait du nouveau monde sans arrêt. D’ailleurs, le mal de ventre m’a pris lorsqu’ils en sont venus à discuter de leurs one night stands, de ceux qu’ils ont partagés, de ceux avec qui ils ont couché tandis que c’était l’ex-copain de l’autre. Ah, mes amis, la complexité de ces relations dépasse largement ce que l’on peut retrouver dans le théâtre de boulevard sur Broadway.

    Finalement la communauté gaie de New York ne semble pas plus grande que celle de Jonquière. Ils se connaissent tous, ils ont déjà tous couché les uns avec les autres. Je me demande vraiment où est l’intérêt. Comme son ami Colin, Ed couchait avec lui sur une base régulière, un genre de copain que Ed avait cependant le droit de tromper à droite et à gauche. Or, moi je débarque, Colin prend le bord, Ed ne sort plus, en plus il me garantit fidélité sans même que je ne la lui demande. Je comprends que Colin ait pu exploser et qu’Ed ne puisse plus lui parler. En ce moment il en est au stade de décompression et de recul. Bientôt ils redeviendront amis, ils pourront même recommencer à coucher ensemble lorsque je serai parti. Or, moi je n’aurais pas couché avec Colin. Je n’aurais pas couché avec la plupart de ceux qu’Ed a mis dans son lit, de ceux que j’ai vus sur les photos. Il en est rendu à un point où il couche avec n’importe qui, n’importe quoi. Est-il tant en manque que cela ? Je l’ignore ; peut-être est-il normal et que moi je sois à côté de la voie.

    Hier, à la table, le cinquième ami sortait avec un gars qui s’appelait Randy. Il est beau, semble-t-il. Mais voilà que ce Randy a déjà couché avec Ed dans le passé, ainsi qu’avec Matt et Trancy. Eh bien, une moyenne de quatre sur cinq, il me faudrait vite le rencontrer. Je dois être la seule tapette de New York à l’heure actuelle qui n’a pas dormi avec ce gars. Ça a tellement découragé le cinquième, de voir que son copain tout beau tout nouveau avait couché avec tout le monde, que finalement il en est venu à la conclusion qu’il allait devoir le laisser. Ils lui ont dit que jamais ce gars n’aurait l’intention de demeurer fidèle ou même d’avoir une relation. De quoi d’autre avons-nous parlé... de sexe, de sexe, encore de sexe. Ed en était fier, il m’a même demandé si j’avais eu la chance avec mes autres amis de parler ainsi aussi ouvertement de sexe. Bien sûr, on ne parle que de ça à Paris, à Londres et au Saguenay. J’ai parfois l’impression qu’il s’imagine que je viens d’un trou perdu et que je n’ai jamais rien vu. C’est peut-être l’image que je projette. Il s’imagine que je suis pur, et en fait, comparé à lui, oui, je suis pur.

    Les amis d’Ed en sont venus à parler d’un bar où au premier étage c’est calme et ça sirote sa bière, au deuxième ça s’embrasse et ça sirote la salive de l’autre, et au troisième ça se mange en des orgies effrayantes et ça se sirote autre chose que je ne veux pas savoir. Alors, comme par hasard, Ed s’est retrouvé dans ces endroits, mais, dit-il, il n’a fait que regarder. Bullshit. Ah, je suis découragé, complètement découragé. C’est une image bien négative que je transmets des gais de New York City. J’ose croire que ce n’est pas le cas de tous, que ce n’est qu’une minorité qui est impliquée dans toutes ces choses ou qui vit à un rythme épuisant. Et que comme par hasard je suis tombé sur Ed qui en fait partie.

    Il me reste moins de cinq jours à passer ici, je suis incertain sur ma destination. Il me semble assez plat de revenir directement au Saguenay, je suis parti depuis si peu de temps. Enfin, je verrai. Le mieux est de rejoindre Montréal, après on verra. Mais si je suis pour aller à Toronto, vaudrait mieux que je me branche immédiatement, car il y a une autoroute directe New York-Toronto.

    God, je viens de fucker le répondeur automatique en voulant prendre en note un numéro de téléphone pour Ed au cas où il appellerait. Je viens d’entendre par erreur un message de Colin. Horreur. Il semble complètement saoul, il reproche à Ed de ne pas appeler ni de répondre. Il suggère que nous sommes peut-être déjà au lit, et que s’il ne dort pas, c’est parce que... (avec moi). C’est vraiment horrible comme message de désespoir. Quand je pense que ce pourrait être moi, Ed serait bien capable de m’emmener là. J’ai au moins l’avantage d’avoir son amour, mais certainement pas la garantie de sa fidélité. Oups, maintenant que j’y pense, ce message de Colin a été enregistré avant que j’arrive, car le répondeur vient juste de revenir de chez le réparateur. C’est encore pire que je croyais, c’est qu’Ed ce soir-là couchait avec un autre gars qu’il avait dû ramasser quelque part, Dieu seul sait où. Let’s get out of here ! pendant qu’il en est encore temps.

 

 

 

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    Ça avait pourtant bien commencé, cette soirée où on a mangé chez Carmella’s, un restaurant italien du village. J’y ai rencontré du nouveau monde, dont un gars qui écrit de la poésie, qui s’attaque à son premier roman et qui étudie en maîtrise de création littéraire à l’Université de Columbia. Je lui demandais à tout hasard s’ils avaient un département de français. Bien sûr, mais ça coûte presque 20,000 dollars US par an. Comme d’habitude, monsieur a une bourse tous les ans qui lui paie non seulement ses études, mais qui lui donne de l’argent pour vivre. Alors il étire les années pour vivre le plus longtemps possible en tant qu’étudiant. Certainement que moi aussi je me plairais à aller à l’université tous frais payés, avec un salaire par-dessus le marché, pour faire à peu près rien. C’est ça les études supérieures dans les universités. Ensuite, j’ai rencontré le fameux Francis, celui avec qui Ed couchait deux jours avant mon arrivée. Or, ce que j’ai découvert, c’est que même s’ils ne sont que des amis qui couchent ensemble, ils m’ont semblé très proches. Au début, lorsque je voyais Ed l’embrasser et lui mettre les bras autour du cou, je n’éprouvais rien. Plus tard, lorsque nous sommes sortis au Splash, à un moment donné il en avait trop fait. J’ai littéralement explosé à l’intérieur, ne gardant qu’une façade externe plutôt froide ou impassible. Il le prenait dans ses bras, le massait, lui caressait le cou, l’embrassait à la française, il y avait tout de même une limite à ce que je pouvais endurer. Je peux comprendre qu’Ed avait en gros deux personnes avec qui il couchait assez couramment. Colin et Francis. Il a perdu Colin, et évidemment ne souhaite pas perdre Francis. Je peux donc bien comprendre qu’il faut qu’il lui montre de l’affection, pour bien lui montrer que même si je suis débarqué pour deux semaines, même si Ed n’en a plus que pour moi et qu’il refuse de voir tout le monde, malgré tout cela, oui, Ed est encore intéressé à coucher avec Francis. Mais moi dans tout cela ? Tu sais que la personne que tu aimes le plus au monde couche avec un autre. Tant que tu ne le vois pas concrètement, cela demeure une idée vague. Lorsque tu le vois en action en train d’en regarder un autre comme il te regardait une heure avant, lui sauter dessus, l’embrasser, etc., il me semble qu’imaginer la scène de sexe n’est plus très difficile et est très souffrant. J’ai dit à Ed que ça m’avait fait trop mal et que je partirais le lendemain. Je n’ai pas le droit de lui reprocher quoi que ce soit, ni le droit de lui demander quoi que ce soit (il me répète que sa vie devra bien continuer après que je sois parti), mais j’ai au moins le droit de fuir si je souffre trop. Même Sébastien en quatre ans ne m’a jamais mis en une telle position. Je ne sais pas, peut-être que dans le contexte je n’ai vraiment pas le droit même de m’indigner, mais je l’aime, il m’aime, et voilà, ce me semble être un manque de respect envers ces sentiments. Je crois que tout a été trop vite. Cette stupide scène d’amour entre les deux a décuplé mon amour pour Ed tout en provoquant ma fuite. Il voulait que l’on sorte pour me montrer à ses amis, une fois là-bas, le voilà qui passe la soirée à embrasser un autre con qu’il m’affirme ne pas aimer. Dans le taxi du retour, j’étais froid, il regrettait, mais pas vraiment. Il se sentait pleinement justifié. Que pouvais-je dire ? Je ne pouvais pas lui faire une crise de jalousie tout de même, surtout dans le contexte. D’autant plus que lui, s’il voit ce genre de crise, le voilà qui fuit et qui ne veut plus rien savoir de la personne. En voilà un qui ne se casse aucunement la tête. Lorsque je lui parle de Sébastien, il n’en revient pas de nous voir aller. Il pense que nous sommes dans l’erreur sur toute la ligne, notre façon d’agir n’a aucun bon sens. Peut-être a-t-il raison, mais peut-être aussi arrivera-t-il lui aussi un jour à comprendre certaines choses qui font que les relations peuvent durer quatre ans. Lui, il n’a établi aucun record dans le domaine, quatre mois de calvaire avec un gars est son plus haut sommet. Il est vrai que dans sa philosophie de vie, il n’a jamais été question de s’établir en un mariage. Hier, j’arrivais à peine à comprendre les événements. Soudainement, plus que jamais, j’ai remis en question son honnêteté. Ment-il lorsqu’il dit qu’il m’aime, qu’il voudrait que je reste à New York, que jamais il n’a rencontré de gars plus beau que moi dans sa vie ? De toute manière, hier, tout sonnait faux. À plusieurs reprises je lui ai demandé de se taire, de demeurer dans mes bras sans rien dire. Alors il m’a demandé si j’avais l’impression qu’il me mentait. Je lui ai dit que non, bien que c’était exactement le pressentiment qui me rongeait. Mais, bon Dieu, peut-on mentir en ayant l’air si sincère, en affirmant à ses amis, même Colin et Francis, que je suis le seul homme de sa vie, le seul qu’il a aimé ? Peut-il vraiment ne pas être sincère lorsque même ses amis me confirment ce qu’il me dit ? Alors pourquoi cette scène avec Francis ? À la minute où nous sommes entrés, le téléphone sonna. C’était mon petit gars de Jonquière qui appelait, Gabriel. Il ne pouvait pas mieux tomber celui-là. Je ne me suis pas gêné pour lui affirmer que j’étais vraiment heureux de lui parler, qu’il me manquait énormément, lui et le Saguenay, et que je serais de retour bientôt. Je le pensais d’ailleurs. Ma seule erreur fut que lorsqu’il m’a dit qu’il m’aimait, je ne pouvais pas lui répondre. Je lui ai dit moi aussi, pour éviter de fausse note et qu’il ne s’inquiète. Or, rien n’est pire que de dire je t’aime à quelqu’un si ce n’est pas le cas, même si je lui ai déjà spécifié que je ne l’aimais pas énormément, cela viendrait sans doute avec le temps. Mon erreur est même double, car il était évident pour Ed que lorsque je disais « moi aussi », ça voulait dire que moi aussi je l’aimais. Ce à quoi j’ai plutôt répondu qu’en fait je disais que moi aussi il me manquait. Piètre façon de s’en sortir. Il ne faudrait tout de même pas qu’Ed s’imagine que je dis « je t’aime » à tout le monde, ce qui somme toute est faux.

    Ed vient de me téléphoner d’ailleurs pour me signifier que ce soir, après le travail, il va prendre un verre avec un de ses amis qui ne serait pas gai. J’ignore si je peux le croire, de toute manière je m’en contrefous éperdument. Dans trois jours je ne serai plus ici et ça aussi je commence à le ressentir très fortement. Je n’ai aucunement l’impression que Sébastien m’épargnerait ce genre de situations souffrantes et je pense sérieusement que mon retour à Jonquière s’impose, même si je n’ai pas vraiment envie d’y retourner tout de suite.

    Ed se sentait mal hier soir, il avait le besoin de tout me répéter, ses sentiments des derniers jours, pour s’assurer que tout était vrai et que je ne doutais d’aucune façon de son amour. Même là au téléphone, voilà deux minutes, tout sonnait faux. Le nuage de magie est mort, écrasé au sol avec les trois cigarettes que j’ai fumées hier. Ce matin, il voulait absolument que je rentre en lui, j’aurais dû tenter de tout lui défoncer, bon Dieu, pour lui enlever cette manie qu’il a de toujours vouloir se faire fourrer. J’ai l’impression que je ne vais rien faire de la sorte avec lui, il n’en vaut pas la peine. Je l’aime encore tout autant, mais dans le moment, il n’est pas prêt. Je le savais, mais hier ça m’est venu dans la face de manière assez flagrante. On a tout de même essayé, il m’a mis le condom, je bandais comme un cheval, sauf à la minute où c’était le temps que je le pénètre. Alors là ça débandait comme par enchantement, pour rebander une minute après. Alors j’ai plutôt entré mon doigt, il a bien joui et moi je ne suis même pas venu. Premièrement j’avais envie de chier, il faisait excessivement froid et en plus j’étais tout à fait épuisé de la crise de la veille. En un mot, il ne me met pas à l’aise du tout. C’est drôle qu’il y a des gens que l’on voudrait qu’ils pénètrent en nous, et d’autres que l’on ne veut rien savoir. Ça ne va même pas à la personne que l’on aime. Ainsi je sais qu’Ed ne rentrera jamais dans moi, mais j’aime bien que Sébastien me le fasse et je fantasme à l’idée que Gabriel me le fasse. J’adore pénétrer en Sébastien, j’aimerais bien le faire à Thomas, mais Ed et Gabriel, non. Bref, on a manqué notre coup ce matin, bien qu’il ait joui assez fort. Tant mieux, je serai excité ce soir et l’on pourra retenter l’expérience avec succès. Mais parfois je me demande si ce n’est pas un signe du destin si l’on n’a rien fait encore à ce sujet. Peut-être est-il séropositif, et peut-être bien que je ne puis me fier à ses condoms et sa colle lubrifiante à base d’eau ? Alors sans doute il arrivera encore quelque chose pour éviter qu’on le fasse ce soir, ou avant que je ne parte.

    Il m’invite à manger au restaurant demain soir. Je n’ai plus envie des restaurants, on ne fait que cela, manger au restaurant, italien en plus. Je n’en peux plus des Il Festino di Pasta, moi, mon ventre recommence à croître avec les pâtes, et mon foie me fait des misères. Je me demande même s’il pourra me rembourser tout l’argent qu’il me doit. Vingt dollars pour la livraison de ses chemises fraîchement repassées au coin de la rue, trente dollars pour le restaurant italien au Rockefeller Center, trente dollars d’épicerie que je lui ai dit de laisser faire, quinze dollars d’épicerie que je voudrais bien ravoir, et bien d’autres choses que j’ai et qu’il a, comme d’habitude, déjà oubliées. Dans le contexte, ses problèmes d’argent sont plus grands que les miens ; cependant, il a l’emploi pour rembourser le tout en peu de temps s’il s’y met vraiment. Et cette prétention aussi de dire à ses amis qu’il vient de Worcester plutôt qu’une autre banlieue, parce que sa banlieue a un peu trop de logements pour les pauvres et que c’est moins bien coté. Tous ses défauts me frappent en plein visage ce matin. Mais il m’est bien inutile de lutter, je l’aime, il m’attire sexuellement d’une façon bien étrange. Je suis tellement bien dans ses bras quand je le prends et que je l’écrase tout contre moi. Sommes-nous vraiment faits l’un pour l’autre, ou alors son corps se moule tel un élastique sur n’importe quelle tapette qu’il rencontre ? Alors cela ne vaut rien, la magie est encore morte. Que la vie est compliquée ! Mon Dieu, que j’aime le prendre dans mes bras, mettre mon visage sur son dos. Je suis bien certain que je vais souffrir de partir, je vais m’ennuyer de lui comme jamais. Que je reste ou que je parte, c’est l’enfer assuré.

    Vers six heures, alors que je ramenais avec moi de quoi faire à manger pour Ed, en plus de m’être acheté des enchiladas au fast-food mexicain juste à côté, voilà qu’Ed m’appelle tout paniqué, son ami Henry est revenu de Fort Lauderdale. Cet ami est un vieillard dans les soixante-dix ans qui aime payer des repas au restaurant à des jeunes hommes, ne demandant en retour que quelques baisers et la chance de mettre sa main sur nos genoux. Il me faut donc laisser tout ce que je fais, sauter dans un taxi, me rendre au 160, 8e Avenue, coin 18e Rue, au restaurant Viceroy. Mais avant, il me faut passer chercher Henry au 4 Est, 77e Rue, entre la 5e et Madison. Me voilà donc sautant seul dans un taxi dans la ville de New York, ramassant un vieux de soixante-dix ans sur un coin de rue (mon Dieu, ce que le chauffeur de taxi a dû imaginer). Henry a été dans la Navy durant la deuxième guerre mondiale. Bien qu’il ait plus de soixante-dix ans et qu’il soit incapable de lire l’addition au restaurant, il pratique encore la chirurgie. Vive l’Amérique ! Ainsi il m’a fallu subir toute une conversation en semi-français durant ce voyage interminable. Comme j’avais un accent et qu’Henry s’est tout de suite mis à parler français en embarquant, le chauffeur de taxi a pris des routes isolées, passant même par le Lincoln Center alors que c’était en plein l’heure où l’opéra, le théâtre et le ballet commençaient. Henry n’en revenait pas ; il disait que le chauffeur a profité de son inattention pour allonger radicalement le trajet. Il dit même que c’est parce qu’il était accaparé par un beau jeune homme frais, moi, et qu’il aimerait bien m’ausculter les yeux. Dans le restaurant, où Ed et Roger nous attendaient, lorsqu’il a voulu me regarder les yeux, il m’a plutôt donné un baiser sur les lèvres. Heurk ! Parce qu’il payait le repas, il m’a fallu lui donner quelques autres baisers. Dans le taxi du retour, le voilà qui met une main entre mes jambes et l’autre entre celles d’Ed. Vive l’Amérique ! Demain il opère sur une Française, la semaine prochaine il retourne à Fort Lauderdale où quantité d’autres jeunes hommes l’attendent. Jamais de sexe cependant, de ce qu’il dit. Je comprends, à cet âge. Je me demandais s’il allait me proposer de demeurer chez lui, puisque je ne puis me trouver d’emploi. On lui a expliqué ma situation, il a même parlé à la blague qu’il me faudrait bien emménager chez lui. Quelle horreur, mais s’il suffit juste d’être avec lui, l’écouter radoter, le laisser me donner un baiser de temps à autre et le laisser mettre sa main sur mon genou, d’accord, je suis prêt à emménager là. Mais ça ne fonctionnera pas car il retourne dans ces pays chauds bizarres où on attrape toutes sortes de maladies comme la malaria et le besoin de se payer des jeunes. Le pire, c’est que j’ai bien vu qu’il me considérait comme une merveilleuse victime, m’affirmant de temps à autre que j’étais formidable (à croire que ça sortait d’une chanson de Charles Aznavour). En plus, j’étais la victime parfaite, puisque j’ai joué le jeu et que je suis prêt à en recevoir plus et à jouer davantage. On est à New York, ma vie s’en va chez le diable, aucune possibilité de carrière à l’horizon, aucun endroit ne m’attache nulle part, les études semblent interminables et ne me garantissent pas nécessairement une carrière. Je suis à bout de ressources, je voudrais bien demeurer à New York. Bref, je suis rien, rien, rien. Vaut mieux alors profiter de ce qui passe. Prêt à la prostitution donc, on évolue rapidement à New York. Je n’ai pas rappelé mon M. Westman, Ed me l’a déconseillé, d’autant plus que l’on est incertain sur les mensonges qu’il nous a racontés à propos de sa richesse. Peut-être devrais-je l’appeler ce samedi juste avant de prendre le train, après qu’Ed et Roger soient partis pour Cleveland. On verra. Je devrais revoir Henry avant de partir, selon les conversations d’hier. Vendredi soir, il m’invite à un grand concert français donné par l’Alliance Française. Nous irions, Roger et moi, pendant qu’Ed se rendrait chez ses parents pour fêter l’anniversaire de sa môman. Mais il faudrait sans doute un smoking pour ce genre de soirée, encore une fois les codes de cette société m’arrêtent dans mon élan. C’est clair que ce simple détail, smoking, en arrête plusieurs. Juste là on élimine tout ceux qui ont peut-être de l’argent, mais pas suffisamment pour commencer à s’acheter des vêtements chers pour une soirée. De là à louer un habit pour une soirée, il faut vraiment être motivé par de quelconques intérêts, ce qui n’est pas tout à fait mon cas. Encore que je suis peut-être Eugène de Rastignac à New York, et si je veux comme lui devenir riche en société, il me faudrait prendre les grands moyens, c’est-à-dire mettre mes parents sur la paille. En fait, je n’ai aucun besoin d’être riche, et autant que je puisse aller où je veux quand je veux, ce sera suffisant. Je le fais déjà avec des ressources plus que dans le rouge.

 

 

 

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    Ed et moi ça s’est stabilisé. L’épisode de son ami Francis nous a fait comprendre bien des choses. Comment en fin de compte on s’aimait vraiment et qu’il faudrait éviter une nouvelle séparation. Moi aussi maintenant je suis incapable d’attendre toute la journée qu’Ed revienne du travail, il me le faudrait toujours autour, pouvoir l’embrasser et le prendre dans mes bras. Hier, selon ses insistances, on a tenté qu’il pénètre en moi. Mais ça n’a pas marché. Je ne suis pas suffisamment habitué, ni détendu. Chaque fois qu’il était enfin entré (le plus difficile) et que je commençais à aimer ça, il ressortait pour vérifier si le condom était encore en état. Alors par quatre fois il a fallu recommencer le calvaire de se faire rentrer une affaire comme ça dans le cul. C’est un peu trop gros pour moi, son willy.

    — Avec les autres, ça rentre tout seul.

    — Mais alors vas-y avec les autres si ça rentre tout seul, pourquoi veux-tu absolument me le faire ?

    — Parce que je t’aime et que ce sera tellement différent, ce sera incroyable !

    — Ouais, bon. Tu dois avoir l’impression que je suis un gars très compliqué ?

    — Non, je t’aime !

    — Ouais, bon.

    Avec lui je pourrais faire l’amour quatre fois en ligne.

    — Comment ça se fait qu’avant tu venais cinq fois en ligne et que maintenant tu es mort après une fois ?

    — Ça c’était avant que je me mette à travailler.

    Aujourd’hui, il faut que je parle avec Sébastien, je ne détesterais pas de me retrouver dans ses bras à Toronto. Sébastien est tout de même le plus beau de tous ceux que j’ai rencontrés dernièrement, j’ignore si lui a rencontré plus beau que moi. À un moment donné j’avais Ed qui me disait que j’étais le plus beau et qu’il m’aimait, Gabriel me disait la même chose. Thomas et Jacques me lançaient des fleurs sur mes qualités, pendant que Sébastien au téléphone me reprochait mille et une choses et me trouvait une foule de défauts. Alors je lui ai demandé pourquoi il était le seul à ne pas voir mes qualités ; il m’a répondu qu’il était le seul qui me connaissait vraiment. Je pense que c’est faux. Il est quelqu’un effectivement qui m’a connu sous un jour différent, mais de là à dire que c’est vraiment moi, un autre côté de ma personnalité qu’il a connu, ça non. Car avec personne d’autre je n’agis de la sorte ; au contraire, je suis toujours paisible, souriant et heureux. Si ce n’était plus le cas avec Sébastien et que cela engendrait des crises, on ne peut pas en déduire pour autant que c’est là ma vraie personnalité. Au contraire, ce n’est pas moi, ce ne sont pas mes habitudes. Je dirais plutôt qu’il est le seul qui m’ait poussé suffisamment à bout pour me faire perdre le contrôle de ma raison, alors là je ne réponds plus de mes actes. N’importe qui sur la planète peut en arriver là, les plus faibles peuvent en faire des dépressions, ne pas s’en remettre et en mourir dans des cas extrêmes. Nous en étions vraiment aux limites. Je peux bien comprendre que d’autres côtés de notre personnalité peuvent surgir, mais de là à en déduire qu’il s’agit vraiment de notre vraie nature, une nature monstrueuse, cachée sous des devants de jeune enfant innocent, là, c’est non. En vérité, c’est que poussé à bout, même les jeunes enfants innocents en ont assez de se faire cracher dessus et ils se retournent contre leurs maîtres. Mais cela doit effectivement faire partie de la nature humaine. Rébellion, révolte. C’est moi.

 

 

 

 

 

 

 

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    Enfin, je suis reparti pour Toronto pour aller demeurer chez ma tante Charlotte. Oui, je suis bien surpris par Toronto. J’aime bien l’endroit, ils sont demeurés un rien en marge des autres grandes villes, pour ne pas dire alternatifs. Ils ont un beau style, ils sont bizarres à souhait, un peu comme Montréal, mais celui de voilà dix ans. Enfin, j’ai retrouvé mon Sébastien. Première chose que l’on a faite en arrivant chez son ami, je me suis lavé et il s’est ramassé avec moi dans la salle de bains, on a fait l’amour. Fallait s’y attendre. Je le voyais là, nu, devant moi. Bien étrange comme sensation. J’ai eu le temps de l’oublier un peu depuis ces deux mois et demi. Ça faisait d’autant plus bizarre qu’entre-temps j’ai couché avec deux autres gars tout à fait amoureux de moi, attentionnés, affectueux. Là, je me retrouvais avec mon ours qui ne me prend même pas dans ses bras et qui arrive difficilement à affirmer qu’il m’aime. C’est qu’il a encore des problèmes qui l’empêchent de dormir, il doit trouver un logement. Ensuite, tant qu’il n’aura pas sa première paie, il est un être très pauvre. Il a douze dollars pour aller jusqu’à mardi. Nu devant moi, je dois avouer qu’il est beau, très beau. Mais de façon bien différente de Gabriel et Ed. Sur le coup je me demandais si je n’étais pas un peu moins excité avec Sébastien. Mais bien au contraire, je crois qu’il m’excite énormément. J’ai beaucoup souffert avec lui, il est bien certain que ce n’est pas au niveau physique que les décisions vont se prendre. Ce soir, on parlait de la possibilité que je demeure ici avec lui dans son appartement. Il m’a avoué qu’il voudrait que l’on demeure un peu ensemble et que l’on voie si l’on devrait continuer. C’est-à-dire que si on voit que les problèmes sont pour recommencer, alors on arrête tout, c’est bien normal. Moi, je me demande si je reviendrai avec lui. Je lui a lancé qu’il aurait peut-être besoin que je reparte pour Jonquière et que si on voit dans le futur que j’ai besoin de lui et qu’il a besoin de moi, alors je reviendrai. Étrangement il répond qu’il a besoin de moi et qu’il m’aime. Je lui dis qu’il a peut-être besoin de sortir un peu pour rencontrer d’autre monde, il me répond qu’il n’a pas besoin de cela, il sait ce qu’il veut. Dans le fond je crois qu’il craint que je retourne à Jonquière, car il sait que je sauterai dans les bras de Gabriel. Et moi, si je dois choisir entre les deux, bien sûr, j’ai définitivement envie de choisir Sébastien. Ça fait bien plus sérieux, Sébastien est plus vieux, plus mature, plus masculin. En plus, ça fait déjà quatre ans et quelques mois que cette relation dure. Mais il reste que le Saguenay me rappelle à lui, et que Sébastien et moi ça me donne l’impression que c’est de la vieille histoire. Mais il est vrai que Jonquière devient moins important lorsque je suis avec Sébastien. Je me sentais perdu à New York avec Ed, mais ici à Toronto avec Sébastien j’ai l’impression d’être là où je dois être, là où je suis justifié d’habiter. Nous verrons comment ça ira, pour l’instant je devrais ne pas trop m’en faire et tenter d’oublier l’instant d’un moment le petit Gabriel et la région du Saguenay. Heureusement, la famille de ma tante Charlotte est merveilleuse, surtout les deux cousines. Probablement les seules dans toute la famille avec qui je m’entends très bien. D’ailleurs, je suis déjà un peu lié à elles, car lorsqu’elles venaient au Québec, elles venaient toujours chez nous, et moi et ma sœur étions les seuls avec qui elles parlaient (sur soixante-quinze petits-enfants, c’est tout de même passionnant). Elles n’ont pas oublié ce lien, et cela m’aide aujourd’hui. On parlait de leur relation avec les gars ; lorsque mon tour est venu de dire à quoi ressemblait ma vie amoureuse, ça s’est corsé. Je n’ai rien dit, je sais qu’elles ignorent que je suis gai. Ma tante le sait peut-être cependant ; de toute manière elle le saura bientôt, car je lui fais lire quelques-uns de mes textes où c’est clairement évident. Je ne crois pas qu’elle en parlera à son mari, italien catholique comme il est, il ne manquerait pas de me mettre à la porte de sa maison.

 

 

 

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    Eh bien, mon séjour à Toronto s’avère plus fructifiant que je ne l’aurais cru. Loin de moi était l’idée que je serais initié à une famille italienne et que cela me toucherait autant. Mon oncle, dont je ne partage à peu près aucune de ses idées, commence à bien m’apprécier. Je me montre intéressé aux vieilles traditions italiennes ; je m’intéresse grandement à ma descendance, et voilà qu’il m’aime bien. Il faut dire que ce soir il m’a emmené voir sa mère, la Nona Séraphina. C’est elle qui voulait absolument me rencontrer, intéressée à savoir comment un jeune peut avoir le cran de partir ainsi à l’aventure un peu partout, et se ramasser à Toronto comme ça un jour en voulant poursuivre des études et trouver de l’emploi. Alors moi et mon oncle sommes partis marchant dans la rue, il me montrait toutes les maisons de sa famille, ils habitent dans le quartier juif et italien de Toronto. Sa mère s’est assurée qu’il me nourrirait avant que je ne reparte vers le downtown chercher un appartement avec Sébastien. Il m’a versé deux petits vers de Vermouth, il m’a exhorté à manger les biscuits italiens que sa mère a faits avec une petite presse à gaufres. Nous avons discuté leur dialecte italien très similaire au français, bien qu’il me soit impossible de comprendre sa mère. Elle ne parle ni le français, ni l’anglais. Je suis bien surpris que mon oncle s’occupe ainsi de moi et que sa mère dénote un tel intérêt pour moi. Lui il fait son devoir, ce que sa mère demande, il faut le faire. Il croyait qu’il m’emmenait de force ; au contraire, j’y allais avec tout l’intérêt que l’on peut porter à ce genre de tradition italienne assez éloignée de ce que nous, Québécois, pouvons avoir. En fait, c’est un peu ce que nous reproche mon oncle. Dans la famille de seize enfants de ma grand-mère, tous s’ignorent, personne n’aurait l’idée de s’entraider. Pour lui, ses cousins sont des frères. Encore que le concept de ce mot, frère, implique bien davantage que ce qu’on peut s’imaginer au Québec. Cependant, tout ne va pas si bien. Ses idées catholiques, presque orthodoxes, me compliquent l’existence. Dans un élan assez impressionnant, il me reproche la séparation de mes parents, leur décision de ne pas avoir divorcé malgré la séparation, et leur totale insouciance en rapport à un éventuel remariage. Parce que le mariage, il n’y a rien de plus important. Le sexe avant le mariage, rien de plus inacceptable. Il me reproche également le fait que ma sœur cohabite avec un homme, qu’elle pense même avoir des enfants, mais l’idée du mariage semble ne jamais lui avoir traversé l’esprit. Je sais bien qu’il voudrait aller plus loin dans son élan. Les rumeurs sur mon homosexualité ont frayé leur chemin jusqu’à Toronto. Dans le métro, ma cousine Antonia a passé à l’attaque :

    — Tu ne m’as rien dit sur ta vie amoureuse.

    — Dis-moi ce que tu as entendu, ce sera plus facile pour moi de te raconter les vrais faits.

    — J’ai entendu des rumeurs qui disent que tu pourrais être gai.

    — C’est vrai, et mon copain, c’est Sébastien, le gars dans la photo que je t’ai montrée.

    — C’est correct avec moi, mais mon père… il est incapable de comprendre ça. Il n’acceptera pas que vous fassiez l’amour sous son toit. Mais tu sais, il n’autoriserait pas ça pour moi et mon copain non plus.

    Pourtant, malgré ce terrible secret, mon oncle m’apprécie. Je crois que si je restais plus longtemps, je pourrais devenir très près de lui. J’incarne peut-être ce fils qu’il aurait tellement voulu avoir. Toute sa vie ça a été son obsession. Ce fils qu’il n’a jamais eu. Quatre filles sont sorties du sein maternel, malgré quantité de trucs qu’ils ont essayés pour multiplier les chances d’avoir un garçon. De toute manière, en ce qui concerne mes deux cousines, Liane plus spécialement, j’incarne définitivement ce frère qu’elles auraient toujours souhaité avoir. Même pour ma tante Charlotte, je crois que ma présence est réconfortante. Nous avons parlé tout l’après-midi de ses problèmes. Sa dépression qui dure depuis six ans et qui semble vouloir la poursuivre jusqu’à sa mort. Tendances suicidaires. Je tente d’identifier les problèmes, mon oncle a un mauvais tempérament. Mais ses problèmes remontent à bien avant, lorsqu’elle avait cinq ans. Histoire d’inceste, événements si courants dans ces villages éloignés de tout où seize enfants viennent au monde. Plus particulièrement en ces temps reculés où la lumière du soleil ne semblait pas encore nous avoir atteints. La religion étant en partie responsable pour cet aveuglement et cette ignorance. Je suis également le lien entre le Lac-Saint-Jean et Charlotte, il faut dire que ça fait longtemps qu’elle habite Toronto. Une sorte de pont qui lui prouve que la famille existe toujours. Je sais bien qu’elle a énormément souffert de cet exil à l’étranger, quand bien même il s’agit du même pays. Entre elle qui est du Québec et son mari italien, je crois bien qu’elle est autant une immigrante en terre étrangère que lui. Elle a dû apprendre l’anglais et l’italien en quatre mois afin de fonctionner dans la famille de mon oncle et dans son nouvel emploi. Elle en a gros sur le cœur, et je crois que c’est bien que ce soit moi qui sois débarqué ici plutôt qu’un autre de mes cousins. Je ne désire pas les dénigrer, mais je doute qu’ils auraient un quelconque intérêt à s’asseoir avec Charlotte pour écouter l’envers de l’histoire de la famille ainsi qu’une envie de rencontrer la grosse mama italienne. Celle qui exerce à sa manière un contrôle sur la famille, malgré son incapacité à marcher et à communiquer. Je sais que j’ai un don pour écouter et bien conseiller, sinon Charlotte ne m’aurait pas raconté en détail sa vie et celle des autres. J’espère qu’elle ne regrette pas de m’avoir ainsi avoué des choses que je vais taire ici. Par expérience, je sais que ça fait toujours du bien de se vider le cœur. Pendant ce temps j’apprends les manières italiennes. Il me fallait emmener un cadeau, ce que j’ai complètement oublié. Il me faut donc leur faire un cadeau d’adieu lors de mon départ. Ensuite, il me faudrait ne manquer aucun repas, car c’est important pour eux de manger en famille, de bien recevoir, de nourrir ses invités. Il me faut éviter de les insulter, ou plutôt de l’insulter, lui, mon oncle. Comme dimanche, je suis arrivé deux heures en retard à mon rendez-vous avec Sébastien, parce qu’il me fallait rencontrer mon autre cousine Joanne. Ça semblait tellement important pour lui que je la voie, quand bien même ce n’aurait été que dix minutes. J’ai donc pris le temps. Hier, au lieu de passer la soirée avec Sébastien, je l’ai passée avec eux. Je sais maintenant qu’il me fallait venir ici, je ne regrette nullement d’avoir quitté New York. Combien riches m’ont été ces quatre jours.

 

 

 

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    En ce qui concerne Sébastien cependant, c’est triste. Il est aussi indifférent à moi que lorsque nous étions à Londres. On s’engueule encore lorsque nous cherchons des appartements. Trop de pression encore une fois ? Je l’ignore, mais ce soir je lui ai dit qu’il y avait peu de chances que l’on revienne ensemble. Que mon petit Gabriel à Jonquière me donnait bien plus d’affection que lui et que je pouvais effectivement sentir son amour. Je ne lui ai rien dit d’ailleurs de toute mon aventure avec Ed à New York. Je sais bien que le bonheur que j’ai vécu à New York, tout cela ne sera jamais plus avec Sébastien. Mais nous sommes comme mariés, auprès de lui je me sens justifié d’exister et de vivre. Avec lui, je dois avouer que plus rien ne m’appelle ailleurs. Pas même le Saguenay. Si je repars, ce ne sera plus de ma nostalgie, mais bien de ma certitude que cela ne pourra fonctionner. Mais je crois que de repartir à Jonquière m’aidera à y voir clair. Mais seulement s’il réussit à trouver un appartement et que j’ai la chance de vivre un peu avec lui. Je veux tout de même lui laisser sa chance, voir si on peut s’aimer comme avant. Personnellement je ne me vois pas commencer une relation à long terme avec Gabriel. Je n’aurais jamais dû le laisser s’approcher autant de moi, je vais lui faire terriblement mal si je dois lui avouer que je ne reviendrai plus à Jonquière. L’indifférence de Sébastien me tue. L’impossibilité de le prendre dans mes bras l’instant d’une seconde, l’impossibilité de l’embrasser lorsqu’il passe tout près. Même pas la chance de le coller lorsque nous écoutons la télévision. Je m’excuse, mais je viens de passer deux semaines à former une seule entité avec Ed ; avant cela, trois semaines à former une seule entité avec Gabriel. Voilà que mon mari ou pseudo serait le seul avec qui j’ai cette impression que nous formons deux corps bien distincts qui se repoussent l’un l’autre. C’est un peu ce que ma tante me dit expérimenter avec son mari. Que faire, mon Dieu ? Seul le temps me dira ce que j’ai vraiment envie de faire. Mais ce temps est court, à peine quelques jours encore. Si Sébastien trouve un appartement avant que je ne parte, je crois bien que je vais l’aider à peindre et à installer le tout. Mais alors je serai comme lié à lui par ces expériences que nous aurions partagées. Comment pourrai-je partir ensuite ? Ce soir il m’a encore dit qu’il m’aimait, qu’il souhaitait que je demeure avec lui, qu’il n’avait besoin de personne d’autre. C’est drôle qu’il puisse affirmer ça alors que nous nous sommes encore chicanés ce soir. Mais s’il ne faisait pas si froid aussi, je fais bien du stress avec cette idée de trouver un logement. Je devenais impatient ce soir. Mais n’est-ce pas ironique que je n’aie pas été impatient du tout dans les derniers deux mois loin de Sébastien, c’est-à-dire depuis notre retour d’Angleterre ? Pourquoi ma vie doit-elle toujours être si incertaine ? Sans cesse je me retrouve devant de grandes décisions à prendre, je sais bien que d’habitude je les prends. Mais je sais également que les événements me conduisent toujours au bon endroit. Il n’existe plus de doute sur mes décisions dès lors que je les ai prises. Alors je ne dois plus m’inquiéter. Juste vivre au jour le jour.

 

 

 

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Salut, Ed, l’amour de ma vie !

    Je pense à toi sans cesse, toujours, encore et encore ! Je t’aime, je t’aime, je t’aime ! Maintenant, après Toronto, je voudrais repartir pour New York. Mais je vais plutôt repartir ce lundi pour Montréal. J’y passerai environ une journée ou deux avant de retourner à Jonquière. Moi et Sébastien c’est plutôt très froid comme relation. Son indifférence n’a pas changé, j’ignore si nous pouvons être heureux ensemble. Je l’ai aidé à trouver un appartement, il a enfin trouvé. Mais il ne l’habitera que le 1er avril. J’ai pris les dossiers d’inscription des universités de York et de Toronto, il est possible que je vienne habiter avec Sébastien dans le courant de l’année et continuer mes études à Toronto. Mais je sais qu’à la minute où je ne serai plus à Toronto, cette idée me perdra et il y a très peu de chance que je revienne ici. Nous n’avons même pas la possibilité de faire l’amour, puisque je demeure chez ma tante et que mon oncle est un Italien conservateur ; de plus, son ami chez qui il habite ne quitte jamais son appartement. Sébastien emménagera bientôt chez un ami de son beau-frère jusqu’au 20 mars environ, avant de prendre son appartement. Je n’ai pas le droit d’aller là où il habitera. Alors ça ne va pas trop bien. On a parlé cependant. Des conversations qui ne vont nulle part. Je passerai probablement prendre mes affaires chez lui à Ottawa pour les ramener à Jonquière.

    Alors, le sexe avec Francis, c’est bien ? Moi, je devrai me contenter de Gabriel en arrivant à Jonquière. Mais c’est toi que je voudrais. Je garde de très bons souvenirs de New York. De toute manière, je reviendrai te voir aussitôt que je pourrai et que j’aurai l’argent. Jamais plus je ne voudrais être séparé de toi trop longtemps.

    Je suis maintenant à Granada dans le grand nord du Québec. À la dernière minute j’ai décidé de visiter mon oncle et ma tante que je n’avais plus vus depuis longtemps.

    Ed Ed Ed ! Amour de ma vie ! Je ne puis plus me contenir, il me faut te voir, il me faut être dans tes bras, je veux t’aimer, te sentir à côté de moi ! Je veux même que tu rentres en moi, je veux rentrer en toi, et je bande juste à le prononcer ! La vie avec Sébastien sera terriblement ennuyante, nous vivons une fin de relation, et le pire c’est que je risque d’aller le retrouver au mois d’avril lorsqu’il entrera dans son nouvel appartement à Toronto. Peut-être même autour du 20 mars. Car je ne puis plus vivre au Saguenay, je n’ai plus de place chez mes parents et je ne veux plus continuer mes études. En plus, le petit Gabriel, avec qui j’ai parlé au téléphone, me dit qu’il a tellement souffert et qu’il a si peur que je reparte, qu’il ne veut plus me voir, ou du moins il ne veut plus coucher avec moi. En plus, il s’est trouvé un nouveau copain. Aide-moi à ne pas me retrouver avec Sébastien, aide-moi à retourner à New York ! Je prie tous les jours pour que quelque chose me tombe du ciel, de l’argent ou une possibilité de retourner à New York pour toi. J’espère de tout cœur qu’avant de retourner avec Sébastien, quelque chose de radical surviendra dans ma vie et me permettra de venir te rejoindre. J’ai la foi que quelque chose va arriver et que l’on se retrouvera ensemble. Mais comment faire ? Si on m’assure que je serai bientôt un Américain naturalisé (je n’ai pas encore été capable de me renseigner à l’ambassade américaine, ils font tout pour te compliquer l’existence au maximum), je crois que je m’en vais te retrouver, et tout simplement je ne sortirai pas et n’irai pas manger au restaurant lorsque vous irez. La vie à New York peut ne pas être aussi dispendieuse que votre rythme de vie. Mais il y a une limite, je suppose que toi-même ralentiras ce rythme, tu n’auras plus le choix bientôt à cause de tes dettes. Ah, mon Dieu, Ed, trouve une solution. Je te veux près de moi, je veux t’aimer, je suis tellement bien dans tes bras. J’ai passé deux semaines de rêves ainsi couché dans ton lit, à te voir venir te coller tout contre moi. Quel bonheur nous vivions alors. Je regrette tellement d’être parti si vite, ma vue était engluée par je ne sais trop quoi, l’incertitude et l’insécurité de l’argent. Mais maintenant je me dis que j’aurais dû demeurer à New York le plus longtemps possible. Ed ! Tu me trouverais une solution aujourd’hui même pour que je retourne tout près de toi à New York, et demain j’y serais. J’abandonnerais tout, une deuxième fois, même s’il ne s’agissait que de se retrouver ensemble deux semaines de temps. Je t’aime !

    Ed, je suis dans une période creuse de ma vie. Je n’ai plus vraiment d’amour pour Sébastien bien que j’irai demeurer avec lui, je n’ai personne qui m’attend à Jonquière, je n’ai pas d’études à poursuivre et aucune envie pour le moment de les continuer. Je ne suis pas plus avancé qu’avant mon départ pour les États-Unis. Avant j’ignorais tes sentiments, j’ignorais que nous pourrions être heureux ensemble, j’ignorais quel était ton univers à New York. Maintenant je sais tout ! Et je suis incapable de penser à quoi que ce soit d’autre. Il me semble que ma vie maintenant ne sera qu’attendre d’avoir l’argent pour venir me promener chez toi. Tu me conseilles de déménager à Montréal, ainsi je serais plus près de toi. C’est une possibilité, j’y penserai. Mais je déteste Montréal, et tu n’es pas à Montréal, tu es à New York. J’ai l’impression que l’on ne se verrait pas très souvent. En fait, je me retrouverais tout à fait seul et perdu à Montréal. Écoute, j’ignore tes sentiments, moi je t’aime et je veux me retrouver avec toi. C’est un problème identifié, maintenant il faut chercher les solutions. Mais cela est impossible, il faudrait un miracle.

    Ah, Ed, n’avons-nous pas eu de bons souvenirs à New York ? Collés l’un contre l’autre, je me couchais sur ton épaule. Et lorsque je me retournais, tout de suite tu te réveillais et te serrais tout contre moi. Je me souviendrai toujours de la première journée, lorsque nous étions dans le taxi. Tout de suite je t’ai aimé, tout de suite je voulais t’embrasser malgré mes réticences à cause du chauffeur. Et puis au Crow Bar, j’aimais bien ta jalousie, ta peur que je ramasse un autre garçon et que je te plante là. Et comme j’aimais te voir revenir du travail, te sauter dessus, t’entendre dire mouche-mouche. Et puis on s’étendait sur le divan, avec ta grande couverte, j’aurais pu demeurer ainsi dans tes bras pendant des heures. C’était tellement tout le contraire avec Sébastien. À Toronto, la dernière journée on s’est retrouvés seuls dans l’appartement de son ami ; non seulement on n’a pas fait l’amour, mais en plus il ne voulait même pas que je m’approche de lui. Mon retour avec ce morceau de glace ne m’inspire pas. Il faut à tout prix que je trouve une solution pour être avec toi.

    J’ai bien aimé tes amis, même Roger et Henry. Si je pouvais revenir en arrière, j’accepterais l’invitation d’Henry. Sait-on jamais, il m’aurait peut-être inspiré un roman complet. S’il est intéressé à me prendre chez lui à son retour de Fort Lauderdale, dis-lui que cela me fera plaisir d’habiter son appartement pour quelque temps. Cela pourrait-il être une solution ? Pour être avec toi à New York, je suis prêt à habiter chez lui.

    Bon, je vais te laisser, j’espère de tout mon cœur te revoir bientôt. Sache que malgré tout, tu es le seul amour de ma vie, la seule personne que j’ai autant aimée, le seul que j’ai l’impression que j’aimerai toujours. Ce n’est qu’une question de temps avant que l’on ne se retrouve.

    Je t’aime !

 

 

 

Note de l'éditeur : Un Québécois à New York (Mind the Gap) est la deuxième partie d'une trilogie. Vous pouvez lire Underground (Un Québécois à Paris) et No Way Out (Un Québécois à Londres) en ligne sur le site de l'auteur : www.lemarginal.com

rm@themarginal.com

 

 

Du même auteur, publiés chez l’éditeur iDLivre :

 

L'Anarchiste (Poésie)

Denfert-Rochereau (Roman)

L'Attente de Paris (Roman)

L'Éclectisme (Essai)

 

Publié aux Éditions T.G. :

Un Québécois à Paris

 

Pour plus d'informations veuillez visiter

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www.lemarginal.com

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44E The Grove

Isleworth, Middlesex

Londres, TW7 4JF

Angleterre

 

 

Underground/Un Québécois à New York

© 2004, Roland Michel Tremblay

 

 

ISBN: 2-914679-12-2

 

 

Éditions T.G., Paris

pedro@textesgais.com

www.textesgais.com

 

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