NO WAY OUT
Version originale de
L'Attente de Londres
Roland Michel Tremblay
44E The Grove, Isleworth, Middlesex, London,
UK, TW7 4JT
Tél./Fax : +44 (0)20 8847 5586 Mobile : +44 (0)794 127 1010
www.lemarginal.com rm@themarginal.com
Téléchargez la version MS Word (doc)
NO WAY OUT
J'arrive de partout dans
le monde, partout j'ai été bien reçu et l'on désirait me garder plus longtemps.
Je reviens pour moins d'un mois ici et je comprends tout à fait ce qui a permis
mon départ voilà un mois. C'est Alice, c'est le rejet systématique d'elle et
probablement du copain de ma sœur qui en sont la cause.
Je ne compte pas le copain de ma mère André, lui je sais bien qu'il refuse que
je vienne, il a établi cette nécessité avant même de venir habiter avec ma
mère. Tout le monde est si bizarre. Est-ce moi ? Même dans l'autobus de
Québec jusqu'à Jonquière les gens semblaient loin de la bonne humeur
habituelle. Je comprends, c'est le mois de mars. Le fameux mois de mars. Quelle
folie de revenir ici au pire mois de l'année. Le mois des dépressions, des
suicides, des chicanes, des séparations et des divorces. C'est bien connu, les
gens n'en peuvent plus au mois de mars. C'est la fin de l'hiver qui n'en finit
plus et tous les gens qui sont aux études et qui travaillent en relation avec
des horaires de septembre jusqu'à la fin de l'année scolaire. C'est énormément de
gens quand on pense que les gens étudient souvent jusqu'à 28 ans. Il n'y a que
moi qui ne vit pas au même rythme, qui n'a pas subi l'hiver l'année d'avant et
qui cette année se promenait là où il faisait plus chaud malgré le froid. Moi
j'ai gardé toute ma bonne humeur, mais je crois que je vais apprendre ce
mois-ci à le passer dans ma chambre. Il faut à tout prix éviter de me laisser
démoraliser par tout et chacun. Mais ce sera très difficile. Gabriel, Alice et
Patricia m'ont fait subir tout un affront aujourd'hui. Patricia ne m'a pas
regardé une seule fois, elle s'est contentée de me saluer à mon arrivée. Cette
façon d'agir m'a vidé mon énergie complètement. Elle ne semble pas heureuse de
mon retour. Puis Alice paraît tellement mal à l'aise devant moi, n'osant pas me
regarder dans les yeux, qu'on dirait presque qu'elle se sent coupable de
quelque chose. Peut-être cela a-t-il rapport avec cette auto que je voulais
emprunter pour aller chercher mes choses à Ottawa. Pour moi ça n'a tellement
pas d'importance, mais pour eux ça semble avoir été la goutte qui a fait
déborder le vase et j'ai l'impression que cela a été le prétexte à de grandes
chicanes entre mon père et Alice. Je suis tellement démoralisé, c'est
incroyable. Alice m'a dit que mon arrivée ici impliquait les mêmes conditions
qu'avant, mais également une nouvelle : « Pas d'étrangers ici la
nuit ». En termes plus simples, pas de Gabriel dans la maison, je ne veux
même pas qu'il franchisse la porte d'entrée. Si c'est ce qui l'inquiète, elle
peut s'encourager à l'allure que prend ma relation avec lui. Je l'ai vu cette
après-midi. Jamais dans ma vie je n'ai passé à travers une si grande épreuve.
Jamais dans ma vie je n'ai eu quelqu'un en face de moi dont il m'était
impossible de déceler la moindre de chose qui se passe dans sa tête. Que
sait-il, qu'ignore-t-il, qu'a-t-il appris, quelles sont ses intentions. Il
s'est presque mis à pleurer en face de moi, me disant qu'il se sentait mal à
l'aise, qu'il n'avait pas été correct en couchant avec Philip (car ils ont
couché ensemble). Il est ressorti tout ébranlé dans la voiture, incapable de
dire un mot. Je lui ai dit que j'attendrais qu'il me rappelle, que je serais
énormément heureux qu'il me rappelle, quand bien même ce ne serait que de
l'amitié, mais que comme il disait qu'il ne voulait plus me voir pour arrêter
sa souffrance, je ne forcerai pas les événements. Bref, il existe tout un
paquet d'événements dans sa vie qu'il m'a cachés. Aujourd'hui j'apprenais tout
cela, chacune de ces choses étant pour moi une claque dans le visage. Dont le
plus important, il a décroché un emploi à temps plein dans un restaurant, payé
en dessous de la couverte, alors il fait beaucoup d'argent car il continue à
recevoir de l'assurance-chômage. Et moi qui s'inquiétait avec lui incapable
d'arriver dans ses comptes. Et moi qui l'aimais suffisamment pour me pousser à
repartir de New York pour retourner à Jonquière. S'il n'avait pas existé, lui,
j'aurais tout tenté pour demeurer à New York le plus longtemps possible.
Jonquière me rappelait tant, maintenant il ne me rappelle plus du tout.
L'autre, Jacques, est parti pour l'Ouest canadien pour les deux prochaines
semaines. Je doute fort que je serai encore ici lorsqu'il reviendra. Tous ces
événements m'ont tellement démoralisé que je ne trouve pas l'énergie pour
défaire mes bagages et je cherche des solutions à mes problèmes. Je n'avais pas
compris jusqu'à quel point tout le monde avait tiré un grand soupir de
soulagement lorsque je suis parti. D'autres ayant plutôt souffert, veulent
éviter d'autres souffrances et me rejettent tout simplement. Eh bien allez donc
tous chier calice ! J'appelle ma sœur pour tenter de lui expliquer la
situation, plutôt que de m'inviter chez elle à demeurer pour le mois, voilà
qu'elle me propose d'y aller pour une nuit en attendant que mon père revienne
et puis que l'on va discuter cartes sur table du problème. Ensuite ça ira
mieux, on trouvera les solutions qui me permettront de demeurer ici pour un
mois. Mais elle ne comprend rien, je n'ai aucune motivation à entrer dans une
série de compromis pour demeurer avec des gens qui ferait tout pour me mettre
dehors. Elle ne comprend pas ce que ça implique comme calvaire de demeurer ici
alors que tu sais qu'ils souhaiteraient que tu disparaisses. Je n'ai jamais
amené Gabriel coucher ici, il a franchi la porte d'entrée deux fois, restant
dans la maison moins de dix minutes chaque fois. Elle n'est pas du tout ouverte
au monde gai. Malgré son frère gai et confident Serge. Je me sens si mal que je
suis prêt à repartir sur-le-champ. Mais où irais-je ? Plus d'argent, plus
rien. Partout j'ai des problèmes, partout il y en a un qui me rejette et
m'empêche d'être bien. À Toronto, tout le monde insiste pour que je reste, mais
Rosario est à l'arrière plan. À New York, il y a le colocataire. Il me faut
absolument trouver un emploi et commencer ma vie indépendante. Mais voilà, il
faut de l'argent pour cela. C'est tellement stupide que Sébastien s'est pris un
appartement pour dans un mois, il me semble que mes problèmes seraient réglés. Que
vais-je faire mon Dieu ? Pour l'instant je vais aller chez ma mère, je ne
suis plus capable de demeurer dans la maison chez mon père, d'autant plus
lorsqu'il est absent jusqu'à demain soir, voyage d'affaires à Québec justement.
Bon, je suis revenu de chez
ma mère et je suis revenu sur la terre. Les conditions étant maintenant
claires, nous avons pu parler d'autre chose, de ses étudiants. J'ai remarqué
chez Alice et chez Marie un problème. Les conversations ne se font qu'à sens
unique. Elles ont besoin de parler, mais n'ont certes pas l'envie de
t'entendre. Alors je commence à parler, elles me coupent sans cesse. Alors je
comprends, je me tais, je subis l'écoute de leurs problèmes. Car ne pouvoir
parler, implique qu'il n'y a aucun échange. On ne peut pas me remplir ainsi
impunément, elles me mangent toute mon énergie et moi je ne puis faire la
pareille. Alors elles me vident et ne me laissent que le fardeau de leurs
problèmes qui deviennent miens. Quelle envie ai-je de partager leurs misères si
elles se foutent des miennes ? Des névrosés, je vous jure. Faites comme
les serins bon Dieu, regarder le miroir et parlez-vous à vous-mêmes comme si
c'était un étranger. Vous ne verrez aucune différence et cela vous soulagera.
Pendant ce temps moi je pourrai m'occuper à autre chose. Comme Gabriel par
exemple. Je me suis bien posé la question, pourquoi il se sentait coupable
alors que c'est bien moi qui devrais l'être. Mais il m'a lancé que Philip avait
vu que je lui avais écrit des lettres. Ainsi Jean-Pierre est venu chez Gabriel
plusieurs fois, il a dormi là. Ça me fait mal. De plus, il est retourné dans
l'auto chercher mon cahier, dans lequel je croyais trouver mon numéro
d'assurance sociale. Je crois qu'il a eu le temps et la curiosité de lire
quelques lignes. À la huitième ligne j'avoue d'emblée qu'Ed est le seul amour
de ma vie, que je l'aime comme jamais je n'aimerai personne et que lui me rend
la pareille. Après il fut tout bizarre. Ça ne m'a pas donné l'impression qu'il
l'avait lu, mais il semblait si désespéré que ce
serait bien possible. Ce pourrait-il qu'il ne me rappellerait plus ? Que
se passe-t-il dans sa tête ? Il a tenu à m'affirmer à plusieurs reprises
que lui et Philip, ce n'était que des amis. Bien. Mais ça paraît mal lorsque
cinq minutes après il me demande si Jean-Pierre cherchait quelqu'un avec qui
coucher lorsqu'il était à Québec. Surtout lorsqu'il me fait comprendre sans
même s'en rendre compte que si ça ne fonctionne pas entre lui et Phil, c'est la
faute de Phil, c'est lui qui est intéressé en autrui, en plusieurs partenaires.
Moi, le Gabriel, s'il est trop sensible pour me réinviter dans son lit, il
devra faire attention, car le Philip semble prêt à m'inviter dans le sien et je
ne dirais pas non. Il n'est pas laid, mais je regretterais. Juste à cause du
contexte. Il est d'Alma, il est l'ami de Maurice (avec qui il couche
probablement), et avec Jacques dans le décor, son jugement de moi s'il fallait
que je couche avec Phil, ce serait trop impossible. Il est beau dans ses
nouveaux vêtements le Gabriel. Je suis heureux car je vois que je ne suis pas
plus affecté qu'il ne le faut. Je souffre un peu, c'est normal, mais s'il
refusait de coucher avec moi, cela ne me dérange pas. Je n'attends pas après
lui pour vivre. S'il veut niaiser, c'est moi qui en ressors gagnant. Il souffre
plus que moi de toute manière. Moi je peux marcher la tête haute. Je suis imbu
de ma personne, c'est certainement une bonne chose. C'est une défense contre la
misère que tout cela m'apporte. Je suis tout de même rejeté, je ne suis pas
indifférent, alors ça fait mal. Mais ce rejet est pour une bonne cause, c'est
pour éviter qu'il se fasse mal. Ce n'est donc d'aucune façon un manque
d'intérêt soudain. Je parie que demain il m'appellera. Je parie qu'avant la fin
de cette semaine j'aurai couché avec lui, sans même faire aucun effort. Cette
histoire se complique de façon radicale. Je ne puis cacher tout cela à ma
famille. D'autant plus qu'ils sont tous au courant maintenant que je suis en
amour avec Ed et que je reviens d'un deux semaines de sexe en amoureux à New
York. Mon Dieu, quelle opinion se font-ils de moi ? Ça doit sans doute
expliquer pourquoi personne ne veut de moi sous leur toit. Cela me pousse donc
à partir d'ici pour enfin m'installer dans mes propres affaires, dans ma propre
indépendance. Ah oui, Christiane est dans la région pendant que son copain est
à Québec. Ça m'a énormément compliqué les choses, j'ai dit à tout le monde que
j'avais dormi chez elle à Québec. J'en ai ris, mais mes mensonges ne passeront
bientôt plus du tout inaperçu. C'est rendu gros comme le bras. À leurs yeux
cela fera de moi quelqu'un d'encore plus immoral. Je vais me tenir avec
Christiane, peut-être redeviendrons-nous les bons amis d'autrefois. En fait,
ces amis de jeunesse sont bien les seuls qui traversent le temps avec moi
malgré tout. On ne peut pas toujours compter sur eux, mais au moins on ne
risque pas de les perdre dans le prochain détour juste parce que nous avons
décidé de partir sur une go d'un mois à travers
l'Amérique. On verra.
Qui suis-je moi mes amis
pour venir au monde et venir vous dire ce qui est bien ou mal ? Et vous,
qui êtes-vous mes ennemis pour venir me dire que ce que je dis sur ce qui est
bien ou mal est bien ou mal ? Et toi, Dieu, qui es-tu pour venir nous dire
ce qui est bien ou mal de ce que ce qu'ils disent de bien ou mal sur ce que je
dis qui est bien ou mal ? Et toi, Dieu, qui es-tu pour venir nous dire que
ce qu'ils disent sur ce que je dis sur ce qui est bien ou mal, à propos de ce
qui est bien ou mal, est bien ou mal ?
Lorsque je suis ailleurs,
je ne pense jamais à partir vers l'ailleurs, car je suis ailleurs. Lorsque je
suis à Jonquière, je suis partout sauf ailleurs. Alors l'ailleurs m'attire
énormément. Pour compenser je repense à
lorsque j'étais ailleurs, j'écoute de la musique que j'écoutais lorsque j'étais
ailleurs. Cette passion de l'ailleurs me remplit d'énergie, je me motive à bloc
et suis prêt à construire des édifices entiers. Lorsque je suis ailleurs, il
est bien difficile de me motiver autant, tant de choses arrivent, je ne puis
que subir l'environnement, emmagasiner ce qui servira à construire l'ailleurs
une fois que je ne serai plus dans l'ailleurs. La question que je me pose,
c'est, Toronto sera-t-il considéré comme l'ailleurs ? Je crois que oui.
Mon but à moyen terme est de demeurer dans l'ailleurs, mais j'aimerais bien que
ce ne soit pas toujours le même ailleurs. Si Sébastien veut s'établir pour de
bon à Toronto, j'aurai bien de la misère à accepter. Ou
je me préparerai une porte de sortie.
Jacques est parti vers
l'ailleurs, l'Ouest canadien. Mais son message sur son répondeur est à l'image
de la deuxième lettre que je lui ai envoyée, complètement en anglais. En plus,
je cite une chanson de Lisa Loeb dans cette lettre et
il fait jouer une chanson de Lisa Loeb sur son
répondeur. Puis-je lire là un signe concret qu'il pensait à moi ? Ce
serait bien par pure perte, je serai probablement parti lorsqu'il sera de
retour. Ou alors il aura juste le temps d'insister pour que je reste alors que
je serai déjà sur la piste de décollage.
Je reviens de
Saint-Jean-Vianney, ou plutôt d'un village fantôme maintenant enseveli sous des
tonnes de terre. Les arbres ont eu le temps de recouvrir les parois de la
vallée. Je me demandais pourquoi il y avait autant de sécurité et maintenant,
je ne suis plus certain s'il s'agit bien de sécurité. Je crois que oui, mais il
y a autre chose. Tous ces gens qui attendent dans leur automobile, pendant un
instant je croyais qu'il s'agissait de la saison de la chasse. En effet, c'est
bien la saison, mais de la chasse à autre chose. Que j'avais honte en
ressortant de là ! Tout le monde me regardait, ceux de la sécurité, ils
devaient s'imaginer que j'allais cruiser sur les rives du Saguenay. Ils ont dû
me trouver bien jeune pour en être rendu à chercher du sexe dans ces coins
perdus où l'on ne retrouve probablement que des vieux laids. Mais j'ai vu des
jeunes dans la vingtaine. J'espère que je ne serais jamais réduit à en venir
là. D'ailleurs, avec les bars qu'il y a en ville, qui a besoin de cela ?
Ces choses doivent dater d'avant qu'il y
ait des bars en ville et les gens n'ont tout simplement pas perdu l'habitude
d'y aller. Enfin.
Lorsque je suis passé en
face de chez Gabriel, voilà que je vois l'automobile rouge de Jean-Pierre juste
en face. À ce rythme, je comprends bien que je me fourrais le doigt dans l'œil
hier. Je ne coucherai certainement pas avec d'ici la fin de la semaine, non
plus il ne me rappellera de sitôt. Ce sera difficile de garder la tête haute
lorsque je le rencontrerai au 2171 cette fin de semaine. S'il faut en plus
qu'il s'amourache de son petit Philip, qu'il se mette à l'embrasser devant moi,
ce sera même impossible de ne pas craquer. Cette fin de semaine, je crois que
je ne sortirai pas, seulement dans les bars hétéro de Chicoutimi avec
Christiane et son copain. J'espère lui faire mal par mon absence, mais je crois
que ma présence lui ferait encore plus mal. Mon absence passera inaperçu. Somme
toute, Jean-Pierre me vaut bien, il est certainement un très bon copain de
rechange. Peut-être même est-il mieux que moi ? Alors voyons si Gabriel
est capable d'en tomber amoureux en aussi peu de temps qu'en ce qui me
concerne. Si oui, alors son amour n'était que passion éphémère. Il n'aurait pas
reconnu en moi un amour de sa vie potentiel. Moi, c'est certain que je n'ai pas
vu en lui un amour de ma vie, même que je dirais que si j'ai été capable de
sacrer le camp, c'est bien significatif. Et maintenant je me demande si ce
n'était pas pour éviter qu'il souffre que je voulais revenir à Jonquière. Car
dès qu'il m'a lancé toutes ces choses à propos de Jean-Pierre, moi j'ai
décroché, deux jours de dépression, puis le renouveau complet, heureux de
vivre. J'ai déjà vécu des deuils plus marqué en amour (étrangement tous avec la
même personne : Sébastien). Maintenant que j'y pense, il avait tout gardé
son nouveau pour que je constate à mon retour une évolution marquée. Plutôt que
de retrouver le pauvre petit Gabriel misérable, voilà qu'il a des vêtements
tout nouveaux qui lui vont à merveille, il a un emploi, il se débrouille et
tout va bien. Il a même un nouveau quelqu'un dans sa vie, ma foi, certainement
le plus beau après les plus beaux que j'ai déjà nommés plus avant (fatigant par
contre, mais on ne peut pas être parfait). Ainsi il fallait que je voie le
contraste entre le misérable et l'inatteignable, tellement il est changé, qu'il
est mieux et qu'il est heureux. Bull shit, il a failli pleurer hier. Ça me
choque, mais ça ne change pas grand-chose à mes sentiments. Frustration, pas bon
pour ma santé. Prêt à déguerpir, voilà le seul résultat de son action. Je ne
vais pas me mettre à genoux pour lui redemander de me reprendre, encore moins
lui assurer ma présence au Saguenay jusqu'à la fin des temps pour ses beaux
yeux. Jonquière lui appartient, pas moi, moi on m'y rejette. Mais au moins,
moi, le reste monde m'appartient. Quand bien même tout ceci se passerait dans
ma seule petite tête. Quelle motivation encore pourrais-je m'inventer, je
souffre, c'est clair. Je ne le méritais pas le petit gars de Jonquière.
Accepte-le et continue à vivre. Mais que faire ? Je m'ennuie, ça fait
juste deux jours que je suis ici.
Mon père est finalement
revenu de Québec. On a discuté des problèmes d'Alice. Clairement, veut-elle de
moi ici ? Mon père insiste que oui. Après que je lui aie raconté ses
conditions, il a dit : « Ce que je n'aime pas, c'est qu'elle pose des
conditions à mon fils ». Voilà une phrase qui en dit long sur ses
discussions avec elle. Ensuite il a tenté de justifier le point de vue d'Alice.
-Écoute, tu couches avec
plusieurs personnes, tu trompes ton copain Sébastien. Ce n'est pas que tu sois
homosexuel, c'est que ta vie est dirigée par le sexe. Tous les soirs tu
sortais.
Tabarnack !
-Écoute, je n'ai eu qu'un
seul copain pendant que j'étais ici, je ne sortais plus avec Sébastien. Tous
les soirs, je les passais avec lui. Moi je peux compter sur une main le nombre
de personnes avec qui j'ai couchées, ce qui n'est pas du tout ton cas.
-Je n'ai jamais dit que le
sexe ne dirigeait pas ma vie également. Mais Alice son mari l'a trompée et elle
en est restée traumatisée.
-Et ma sœur, elle ?
Nous n'en aurions pas suffisamment des doigts de cinq mains pour compter le
nombre de ses copains.
-Ça m'a toujours fatigué
de voir ta sœur chaque matin avec un nouvel homme dans son lit lorsqu'elle est
revenir à Jonquière après son université.
Ah, voici que la vérité
fait surface. Ma vie est peut-être dirigée par le sexe, mais c'est certainement
encore moins pire que le vécu de mon père et de ma sœur. Tel père, tel fils,
telle fille. Comment peut-on me juger alors ? Et me juger en ignorant
vraiment tous les événements de ma vie. Je vais d'ailleurs me taire à l'avenir.
Si mes parents se mettent à parler avec Charlotte qui justement vient cette fin
de semaine de Toronto, ils pourront trop bien me détruire ensuite. Maintenant,
si je veux sauver les apparences, je dois me tenir tranquille pour le prochain
mois. Si je couche avec quelqu'un, il faut que ça se fasse à l'insu de tout et
chacun. Ou alors j'accepte ma vie de dépravé et je continue mon ascension vers
la perversion ultime en me foutant des autres et de leurs jugements. Mais ce
sera terrible une telle situation si je reviens avec Sébastien à 100 % et
qu'il vient se promener au Saguenay plus tard. En plus, j'ignore qui, mais on
m'a placé un tube de pâte dentifrice à côté de ma brosse à dent. Ainsi, ce que
je craignais, est bien réel. Ils ont la nette impression que je suis
séropositif et que ça ne prendra pas grand-chose pour qu'ils l'attrapent. J'ai
bien peur qu'à ce rythme ils vont craquer bientôt. Alice tombera à genoux en me
suppliant de partir. Elle n'en pourra plus de vivre dans la crainte que je lui
transmette une maladie mortelle. Pauvre Alice, qui ne prend même pas de condom
avec mon père. Si on se fit au passé de mon père en rapport aux infidélités
survenues lorsqu'il vivait avec sa femme, je crois qu'elle devrait plutôt
s'inquiéter de cela. En plus, à fumer et à boire comme elle le fait, même si
elle attrapait la fameuse maladie mortelle, elle mourrait d'un cancer ou autre
avant même de développer le sida. C'est con un humain, mais étant moi-même
humain, je peux comprendre sa position. Je me mets donc en quête de trouver des
solutions à mon problème : comment sacrer le camp d'ici ? Avec quel
argent et pour quelle destination ?
Mon désir de partir est
dix fois plus élevé qu'avant que je ne parte la première fois. Alors le départ
est imminent, à la première occasion, je décolle. Pour l'instant j'ai un
problème de communication avec l'extérieur. Je n'ose plus faire de longue
distance ici, les misérables cartes d'appel de Bell Canada sont impossibles à
trouver et ils ne vendent que des 10 $, alors il ne reste toujours que
quatre minutes pour parler, les appels sont toujours coupés sans que l'essentiel
ait été dit. Comment trouver des solutions dans ce contexte ? Nous sommes
à l'ère des communications, c'est-à-dire qu'en deux minutes je dis tout ce que
j'ai à dire sur le répondeur de Sébastien, ça évite les explications et les
questions stupides, ça permet de dire l'essentiel en un temps record. Sauf que
l'impact et la réponse viennent à retardement et pendant ce temps je
« capote ben raide ». Je ne tiens
plus en place, je flotte, me sens coupable d'être ici sans travailler,
sans stabilité, à jouir de la vie. Les
autres se meurent au travail, alors ils ne peuvent supporter me voir
jouir de la vie. Ils aiment mieux me mettre dehors, car ils ont l'impression
que c'est sur leur dos que je puis me permettre de vivre ainsi. Ce qui n'est
nullement le cas. Les pressions que je subies, effrayantes. Je veux partir, je
veux partir ! Voyons les solutions. Dans deux semaines je peux retourner à
Toronto chez Charlotte. Ce serait mieux trois semaines. Alors vais-je mourir
ici pendant trois semaines ? La survie est impossible. Une culpabilité
qu'Alice a réussi à me transmettre. Un simple petit professeur de secondaire,
je crois qu'elle est fière de cet emploi, elle dit qu'elle a réussi sa vie. Quelle misère, tant qu'à moi il ne
peut y avoir pire sur la planète. Mais je devrais faire attention, il y a de
fortes chances que je finisse au même endroit. Peut-être que j'en serai fier un
jour : Hourra, je suis un professeur de secondaire avec un salaire de 45,000 $
par année ! Une sécurité d'emploi et une pension garantie. Je comprends
qu'elle puisse croire qu'elle est bien, mais moi je voudrais plus. Mais comment
avoir plus ? Qu'est-ce qui pourrait être plus ? Moi-même ai une certaine misère à conceptualiser mon
avenir, incapable même de voir où je serai le mois prochain. L'argent ne
devrait jamais être un obstacle. Peut-être devrais-je sacrer le camp pour
Montréal avec mon imprimante laser. Si je suis tant dans le trouble, je pourrai
la vendra à pure perte, mais au moins j'aurai survécu et aurai une sécurité qui
me permettra de me permettre de retomber sur mes pieds. J'avais l'argent
nécessaire avant d'aller à New York, on dirait que j'ai brûlé mes chances de partir d'ici en partant un
mois. Ah non, je ferai tout en mon pouvoir pour changer radicalement la
situation où je me trouve. La poste est mon dernier espoir, une lettre
d'Angleterre peut-être, un retour d'impôt plus élevé que je ne le crois. C'est possible, mais peu probable. S'il me
faut attendre une délivrance de l'Angleterre, je pourrai certes attendre longtemps.
J'ai encore reçu une facture de près de cent dollars de la City of Westminster,
taxes impayées. Envoyez ça au nouvel occupant du 29 Marble
House, nous ne sommes plus là depuis plusieurs mois déjà. Et le CAF de
Paris, l'Allocation familiale qui a retrouvé
mon adresse et qui semble chercher à me donner des problèmes. Pas de danger que je les rappelle. Ils ont eu
connaissance de ma nouvelle adresse à
Londres, j'ignore comment ils ont fait. Bonne chance pour retrouver l'adresse
du trou où j'habite dans le fond du Québec. J'ai 49 francs dans mon compte
de la Banque nationale de Paris, une
première depuis un an. Ils ne semblent pas avoir fermé mon compte comme ils me
l'avaient si bien indiqué. Ce qui m'inquiète, c'est qu'ils trouveront alors le
moyen de me charger des frais pour ce compte ouvert et bientôt ils vont encore
m'envoyer une facture. Si je peux leur faire la pire des publicités, je vais le
faire. N'allez jamais à la Banque nationale de Paris, un coup embarquer dans
leur roue, il n'y a plus de porte de sortie. Vingt-cinq francs de dettes vous
coûtera 3000 francs en frais administratifs, en pénalité et en Dieu seul sait
quoi. Par contre, j'encourage tout et chacun à ouvrir un compte à la Banque Royale
de Scotland en Angleterre. Là j'ai été traité aux petits soins, sans aucun
problème. Vous voyez bien que c'est Paris le problème. Je n'ai jamais rien
expérimenté de pareil à la Banque royale du Canada. Seigneur, aidez-moi à
partir d'ici ! Je crois que je vais aller acheter les journaux de Toronto
pour envoyer des Curriculum Vitae. Je suis convaincu qu'il me sera impossible
de trouver de tels journaux dans la région, et si oui, alors ce sera une
édition de province où les informations importantes seront absentes, telles que
les emplois offerts.
Je viens de parler avec
Sébastien. Imaginez-vous qu'il vient de m'annoncer comme ça qu'il ne voulait
plus de copain. Il veut se concentrer sur son travail, to make
things going. Il m'annonce
cela comme ça, enfin il trouve le courage de me dire qu'il ne veut plus de moi.
Il lui manque cependant le courage de mettre un point final à sa phrase. Il
ajoute qu'il veut me garder près de lui, qu'il veut pouvoir me voir quand il le
désire, mais ne veut plus de copain. Il serait toutefois prêt à me recevoir à
Toronto, il ne veut pas faire comme mes parents, me laisser dans la rue. Je
viens de m'effondrer par terre. Il va me rappeler à 23h00 pour m'avouer qu'il
ne veut plus de moi à Toronto, je l'ai
poussé pour qu'il me dise clairement ce qui se passe dans sa tête. Moi, j'en ai
assez de baser ma vie sur du vent, ma vie est entièrement en suspension depuis
que nous sommes revenus d'Europe à cause de lui. Moi j'ai annoncé à tout le
monde que je retournais à Toronto, ils m'ont tous jugés comme une merde parce
que je trompais un homme qui en fait avait complètement disparu de ma vie et
qui me répétait que nous n'étions pas ensemble. Maintenant je veux mourir.
Ed est un amour
impossible. Pour Sébastien je viens de perdre Gabriel, et maintenant je viens
de perdre Sébastien. Soudainement je ne vois que le vide. D'autant plus que
j'ai reporté mes études et que je n'ai pas d'emploi, pas de stabilité, pas
d'endroit où demeurer. Je n'ai pas d'avenir, aucune expérience, aucune étude
qui me permettrait de trouver un bon emploi. Je n'ai plus l'amour de Sébastien,
ni celui de Gabriel, Ed je me pose la question, j'Ai perdu l'amour de mes
parents au fil de mes aventures. Je crois que je suis de trop en ce monde,
personne ne me veut. Je crois que je n'ai plus rien à accomplir de concret en
ce monde, je n'ai plus de motivation pour continuer. Je n'en peux plus de me
battre pour rien, d'espérer inutilement des choses tellement vagues et
incertaines qu'avoir la foi ne peut conduire qu'au désastre. Ma seule solution
est de m'établir seul quelque part, Montréal. Me trouver un emploi simple qui
me permettrait de survivre. Et là, rebâtir ma vie. Recommencer par le
commencement. Tout effacer le passé, oublier les études pour l'instant, tenter
une survie par une renaissance toute simple dans la solitude. Peut-être bien
que je suis prêt pour ma vie de monastère à développer une vie plus
spirituelle. Peut-être. Pour l'instant je vais aller me chercher un cognac ou
un whisky en attendant que Sébastien me rappelle.
Sébastien vient de
m'appeler. Sébastien et moi, c'est officiellement terminé.
Je reviens à la vie après
un long moment de réflexion. On peut s'apitoyer et pleurer. On peut également
radicalement changer son point de vue, l'angle selon lequel on voit sans cesse
notre misère. Qu'est-ce qui me retient en ce monde ? Qu'est-ce qui me
retient au pays ? Rien. Alors sacrons le camp. Où peut-on aller ?
Londres. En un temps trois mouvements je serai à Montréal. Je vendrai mon
imprimante à pure perte, j'achèterai un billet d'avion aller simple le plus tôt
possible sur stand by pour l'Angleterre. Vous verrai, tout ira très bien.
Sinon, ce sera bien de toute manière. Une misère à Londres, c'est une
littérature pour l'éternité. Comme je voudrais partir demain matin. Quelle
folie. Cette décision, étrangement la plus incroyable, sera plus facile à
prendre que toutes celles que j'ai prises depuis quelques années. Vive la reine
d'Angleterre ! Ce projet, je le garderai secret. C'est inavouable.
Personne ne sera d'accord. Tout le monde me fera une morale infernale. Désolé,
moi je vibre déjà à la Southpaw Grammar
de Morrissey.
Étrangement, je me lève ce
matin heureux. Avec des attaches en moins qui me retiennent sur la terre.
Autant pour le petit Gabriel. Si je pouvais me contrôler, je ne le rappellerais
pas. Il serait simple pour moi de lui dire que soudainement je ne pars plus, ou
que je ne vais qu'à Montréal et qu'il peut venir avec moi. Mais je vais tenter
de l'oublier. Au pire je ne lui dirai que la vérité et on verra ce qui
adviendra. Lui aussi s'est envolé dans la nature, maintenant je ne suis plus
certain de vouloir me rembarquer avec lui. Et puis j'ai bien réfléchi pour
Londres. I'm not so sure si je veux y retourner. Si
j'ai quelque chose à apprendre quelque part, il me semble que ce n'est plus à
Londres pour l'instant. Certainement dans le futur, mais pour l'instant je ne
le sens pas. Mais si Londres ne me tente pas, encore moins Montréal. Je crois
que je vais me mettre en position attente et observer l'univers me conduire là
où il voudra. J'ai juste peur qu'à demeurer à Jonquière trop longtemps je
risque fort d'y rester pour longtemps. Deux mois avaient suffit pour m'y
enchaîner drôlement avant Noël. Et si je reste chez moi, cette chance de me
ramasser au Japon me parviendra-t-elle ? C'est bien connu, il faut provoquer
les événements et demeurer ouverts et attentifs aux messages. Eh bien, c'est
une méchante tache qui m'attend. De toute manière je ne suis d'aucune façon
désespéré. Je puis me ramasser n'importe qui dans un bar gai, je peux
bénéficier de l'aide de bien des gens sans même que je ne couche avec, juste
par ma personnalité. Je l'ai déjà bien prouvé dans le passé, ainsi le monde
m'appartient. D'autant plus que je suis même ouvert à la prostitution. Qui
m'arrêtera ? Je vais rappeler mon vieux de 70 ans à New York, Henry, le successful doctor. Lui proposer
d'aller habiter chez lui pour quelque temps. S'il n'est pas à Fort Lauderdale,
il ne refusera pas. Et puis je vais le prendre mon courage à deux mains, je
vais appeler mon autre vieux M. Eastman, voir s'il est si riche et prêt à
m'aider pour je ne sais quoi en retour. Le monde appartient à ceux qui foncent.
C'est Jésus qui l'a dit. Je ne vaux rien, je suis déjà jugé comme tel, pourquoi
alors ne pas m'enfoncer davantage et apprendre davantage ? Si c'est la le
seul moyen à ma disposition pour connaître l'univers en un temps record ?
Sécurité et stabilité, ces mots sont synonymes de stagnation du point de vue de
l'évolution de l'être.
J'arrive de sortir au 21.
Devinez qui j'ai vu ? Gabriel et sa cousine Chantale.
Elle m'a sauté dans les bras, elle s'était ennuyée. Elle a une photo de
Jean-Pierre dans son pendentif en forme de cœur. Si le message n'est pas clair
après ça, il ne le sera jamais. Moi je n'ai pas laissé de photo qu'elle a dit.
Gabriel a attendu longtemps, qu'elle dit, jusqu'à la dernière seconde. Il était
content de me voir, mais où a t-il passé la soirée ? À fumer quelque part
dans le bar, au sous-sol la plupart du temps. J'ai fumé de la coke ce soir que
l'on m'a dit. J'ignorais que l'on pouvait en fumer. J'en fumais pas mal en
plus, tellement que Gabriel m'a arrêté dans mon élan. Il m'a bien embrassé,
mais s'est assuré que nous ne quitterions pas ensemble. Tant mieux. Moi parti,
il a subi toutes les mauvaises influences possibles. Drogué à mort, il n'y a
plus rien à faire avec lui. Je souffre, mais pas tant que cela. Je souffre car
j'aurais voulu dormir dans son lit. Mais cela, il l'a évité. Pour
Jean-Pierre ? Une insulte. Tellement que je suis prêt à partir le plus tôt
possible. Content de me voir, m'embrassant plusieurs fois, disparaissant le
reste du temps. Mais moi je n'ai pas perdu mon temps, je parlais au
propriétaire du bar.
-C'est quoi les jours
creux ?
-Je vois où tu veux en
venir, propose.
-Faire la musique
alternative les lundi et mardi soir.
-Pour gratuit cependant.
On fera de la publicité. Si ça marche, on te paiera.
Voilà, j'ai un emploi à
construire qui risque de payer à moyen terme. Moi, faire la musique alternative
dans un bar, c'est un plaisir. Mais je n'ai pas ma musique. Tout est à Ottawa.
Il va me falloir me débrouiller, il m'attend lundi soir à 20h00. Dans quel
bateau me suis-je embarquer ? Plus que jamais j'ai envie de partir.
J'ai parlé avec Ed ce
soir. Je ne crois plus qu'il me veuille tant que cela à New York. Il veut
célébrer sa liberté, je crois. Tout comme Sébastien. Eh bien, cela me permettra
de célébrer la mienne. Il m'a fourni le nom, l'adresse et le numéro de
téléphone de Stephen, celui qui habite à Londres et que j'ai rencontré à New
York. Un peu vieux, mais très beau. S'il m'accueille chez lui, mes chances de
partir pour Londres sont plus grandes. Mais Ed m'a mis en garde :
-Tu fuis ta vie, tu
cherches partout dans le monde ce que tu ne peux trouver qu'à l'intérieur de
toi.
-Fuck
you man ! Si c'est vrai, ne détruis pas mes
espoirs. En rien je ne regretterais de faire le tour du monde pour découvrir
ensuite, comme Candide, que l'on est si bien chez soi à cultiver son jardin.
Car pour comprendre ces choses, le voyage est nécessaire. Et moi je suis sourd,
terriblement sourd. Aveugle aussi. Là mon désir, ma foi en la vie. Je veux me
frapper partout, mourir étouffer là où il le faut. Mendier, c'est là où j'en
serai si je pars pour Londres. Mendier. Il n'y aura aucune autre solution. J'ai
besoin de réfléchir sur ma vie. De mourir aussi. Là où j'en suis. Ne faut-il
pas mourir pour renaître ? Non.
Gabriel appartient à un
autre univers que le mien. Il me faut l'oublier. Thomas a eu le temps de faire
l'amour avec Richard, Jacques me l'a confirmé ce soir. C'est terrible la vie.
C'est moi qui aurais dû coucher avec le beau Tom. Je suis parti trop vite. Au
moins je peux me contenter en me disant que j'ai bien joui avec Edward.
D'ailleurs, si je pars pour Londres, je pars de JFK, et non Mirabel. Alors je
vivrai quelques jours avec Ed, sans dépenser un dollar toutefois. Je suis lié à
lié, peu importe jusqu'à quel point il m'aime vraiment et qu'il me veut auprès
de lui. Je n'ai certes pas été gentil avec lui ce soir. Lui affirmant qu'il
n'était pas prêt pour une relation avec moi. Ses dettes, il en aura toujours. À
New York, même après quinze ans à sortir dans les bars, nous ne sommes jamais
écœurés. Car il y a une multitude de bars et de clubs, sans cesse de nouveaux
et du nouveau monde à satiété. Il n'y aura pas de meilleur temps. Il ne sera
jamais à moi, malgré que parfois il pense qu'un jour ce sera le nôtre. Il insiste
pour que je déménage à Montréal, ainsi il viendra me voir. Il aime la ville, je
pense qu'il a plusieurs hommes avec qui il couche lorsqu'il y va. Dont son ami
Peter, dont il me dit qu'il n'a jamais couché avec. Le monde gai m'écœure
énormément. Même si j'en fais partie et que je ne donne pas ma place. Je rêve
toujours à ma petite vie de couple isolée qui vit dans la fidélité. Malgré mes
manques et mes actions. Je suis prêt à tout donner pour celui en qui j'aurai
confiance et que j'aimerai. Encore faut-il le trouver. Encore faut-il être
stable pour cela. Montréal sans doute. Il me faudrait y déménager et y respirer
l'air des bas-fonds afin d'espérer y vivre le bonheur inespéré. La vie est une
vraie saloperie. Aujourd'hui tout le monde m'écœure et je m'écœure moi-même. Il
n'y a pas de porte de sortie à cet enfer. On y vit, on y meurt. La mort.
First
of March. Je dois définitivement sentir ma mort, la seule chose que j'ai envie
d'écouter ce matin, c'est Frank Sinatra. God help
me !
Au moins, si je pouvais
entendre ce Franklin Sinatra à travers ma radio en descendant les côtes de la
Californie, ça oui, je sourirais de mon sourire plein de dents cariées, la vie
serait géniale. Ici je ne vois que de la neige qui commence à fondre. Il n'y a
pas pire sur la planète. Une température de fin d'hiver. C'est l'achèvement
d'une œuvre de mort, sans pour autant que nous soyons convaincu qu'il y aura un
printemps cette année. On finit toujours par oublier ce genre de chose. Je
tente de penser du mieux que je peux, ce que je veux. Vouloir et pouvoir. Là sans doute mon obstacle. D'où vient cette
parole d'Edward, lorsqu'il me dit que c'est en moi que je trouverai ce que je
cherche. Ça me semble trop profond pour lui, peut-être que je ne le connais pas
autant que je le croyais. En fait, je cherche une inspiration, une motivation à
vivre. En effet, je puis certainement trouver cela à Jonquière. En effet, ce
n'est pas Gabriel qui m'amènera cette plénitude. Si j'ai besoin d'écouter
Franklin Sinatra aujourd'hui, c'est assez révélateur. Un besoin de lavage de
cerveau de l'enfer d'hier. J'avoue cependant qu'il s'agit d'un traitement de
choc assez excessif. Mais j'en ai besoin. Voir Gabriel courir un peu partout,
disparaître pendant des demies heures, réapparaître dans un état space absolu. Il sort tous les soirs. Lâcher les vaches
dans le clôt ! Elles iront s'électrocuter sur les fils électriques. C'est
ma philosophie. Je radote. Ça me tente ce matin d'inventer une nouvelle
idéologie régissante du monde. Le petit Jacques se fait insistant. Ce dimanche
on se fait une soirée musicale chez lui, il m'a spécifié que ses parents
seraient absents. Peut-être partira-t-il pour Sherbrooke, sinon ça tient
toujours et je crois qu'il en profitera pour provoquer les événements. Il ne
m'a jamais attiré sexuellement, Jacques, c'est un coup de foudre d'amitié. Un
de ma génération, je les croyais tous morts, du sida. Quelle drôle de maladie,
elle n'a épargné que les légumes qui adorent la dance
music. Dans ces conditions, elle aurait dû achever sa mission et me détruire
également. Dieu fait toujours les choses à moitié, comment pourrait-il espérer
que l'homme les fasse en entier ?
Ok. Là je viens d'atteindre
le fond. J'ai dit à mes parents cette possibilité de faire la musique au 2171.
Alice s'est mise à paniquer. M'exhortant à arrêter de compter sur eux pour
survivre. Que c'était le temps que je trouve un emploi qui me fasse vivre. Que
je prenne ma vie en main. À 23 ans, encore une fois elle me l'a dit, elle était
mariée, elle avait des enfants, des salaires à tout casser. Moi, à 23 ans,
rien. Alors, je téléphone Gabriel pour lui dire qu'il annonce au proprio du
2171 que je ne pourrai pas faire la musique. D'accord, justement il travaille
au vestiaire toute la fin de semaine. Et puis là il se met à paniquer. Il est
fatigué de ne pouvoir faire ce qu'il veut quand il veut. Il ne veut plus qu'on
le prenne comme s'il était un toutou, son prochain copain va l'accepter comme
il est.
-Comme quelqu'un qui prend
de la drogue et qui sors tous les soirs ?
-Oui, si j'ai envie de
prendre de la drogue, mon copain va l'accepter. Sinon il prend le bord.
-D'accord, je prends le
bord.
Alors je prends doublement
le bord. Je sens monter en moi l'injustice de parents incapables d'aider les
siens. Incapables de payer les études de leurs enfants avec des salaires de 65,000 $
par année, cadre dans un ministère. Des parents qui te jettent à la rue pour
savourer une intimité mythique qui ne se trouve justement qu'en rêve. Je m'en
vais rebâtir ma vie à Montréal avec aucune cenne, avec rien à attendre de ma
famille. L'altruisme familial à son meilleur. Il me semble que lorsque les gens
te rejettent, c'est une chose. Mais de te faire frapper au visage de la sorte,
c'en est une autre. Je suppose que c'est la conséquence de ma façon d'agir. Je
suppose que je ne suis pas l'enfant modèle, malgré un bac d'université de
quatre ans. Je suppose que je n'en ai
pas fait suffisamment. Probablement qu'il m'aurait fallu... je ne sais pas. Il
me semble que rien n'aurait pu les contenter. À 23 ans, moi, en 1995, vous
allez voir comment ça se passe. Je vais prendre un fusil, je vais en tuer
plusieurs et me tuer en un suicide spectaculaire. Je montrerai ainsi à la face
de la planète, et pour les générations à venir, ce que c'est vraiment que
d'avoir 23 ans dans une société capitaliste qui arrive au bout de ses
ressources. Ils pourront dire aux enfants futurs qu'à 23 ans, nous, on se
suicidait de façon spectaculaire. Alors ce n'est pas normal que toi à 23 ans tu
ne fasses pas la même chose. Je fais mes bagages, demain ou après-demain je
serai à Montréal à chercher un emploi. Je vais tenter de m'inscrire également
dans les universités, si jamais j'arrive à avoir une moyenne assez raisonnable
pour que l'on m'accepte. Société pourrie où, pour un 0.3 dans ta moyenne,
toutes les portes te sont fermées. Eh bien, j'attendais qu'un événement vienne
me fouetter le derrière, c'est survenu. Maintenant je n'ai même plus à téter
pour comprendre ce que je veux, je le sais et je n'ai plus le choix. C'est pour
ces raisons que d'habitude on ne devrait jamais trop se casser la tête. Le jour
est loin où je reviendrai dans la région pour plus de trois jours. Maintenant
je ne peux plus ni aller chez ma mère, ni aller chez mon père. Comme ma sœur
n'est pas très invitante non plus, à l'avenir j'irais chez des amis. Mais
encore là, il se trouve que je profiterais de Pierre-Jean Jacques et qu'il me
faut être autonome. Ainsi j'irai à l'hôtel, payé à même mon salaire de
concierge. Mais lorsque j'en suis rendu là, je peux franchement me questionner
à la nécessité que j'ai de revenir ici pour quelques jours. Dans le fond, cette
famille m'est plus étrangère que des amis que j'ai que je ne considérais même
pas comme de vrais amis. Et maintenant, c'est clair que Gabriel, on ne se
reparlera plus. C'est clair, maintenant que Jacques a couché avec Richard et
que je me rappelle comment il le regardait le jour où il a compris que je
partais pour de bon, que j'ai manqué ma chance. Et c'est tant mieux, car il
m'est impossible de vivre ici. Les vieux ont enfin compris qu'ils étaient
devenus vieux et maintenant ils ont l'intention de se payer du bon temps. Eh
bien, il est trop tard mes amis. C'était avant, qu'il fallait la faire votre
jeunesse.
Je vais quitter la région
en très mauvais termes avec ma famille. Ce n'est certainement pas une bonne
chose. Mais que voulez-vous, lorsque le moindre de tes petits droits est
disparu et que tu ne peux plus compter sur ta famille même pour t'héberger
quelque temps, et puis surtout lorsque l'on te réserve un accueil aussi froid
et que l'on te signifie clairement, explicitement, que la vieille voudrait bien
se débarrasser de sa fille, qu'elle pousse dans son dos pour qu'elle parte, et
que soudainement moi j'arrive alors je devrais comprendre que c'est normal
qu'elle ne soit pas heureuse de me voir... bull shit. Mon père qui m'a encore
dit ce soir que je n'aurais pas d'enfants. Je peux te jurer que je n'aurai peut-être
pas d'enfants, mais que si par hasard je viens qu'à en avoir, jamais, je dis
bien jamais, mon enfant n'aura droit à un tel traitement. Moi mes enfants je
leur sacrifierais tout. Je serais le père Goriot en personne. Et malgré qu'ils
pourraient « abuser » de moi, je me ferai un plaisir d'entrer dans
leur jeu. À travers tout cela, je verrai encore de l'amour. Alors qu'eux,
malgré tout ce que je peux faire pour leur signifier mon amour et les efforts
que je fais pour ne causer aucun dérangement dans cette maison, ils trouvent le
moyen de me sacrer dehors. Mais je suis habitué, c'est la deuxième fois.
Étrangement toujours en contexte où l'autre du couple, l'étranger, n'accepte
pas ma présence. Allez donc tous chier ! Je saurai bien arriver quelque part
dans ce monde... et puis non. Vous méritez que je n'arrive nulle part, que je
meure d'une overdose dans une rue d'une grande métropole. Car cela est très
probable, davantage lorsque l'on fout ses enfants à la porte. Voyez, hier je
fumais de la coke sans le savoir (si cela est possible). J'ai même la nette
impression, comme me disait ma cousine Christine voilà deux ans, que si la
famille apprenait que je suis mort du sida ou d'overdose, ils ne seraient pas
plus surpris. Ni même n'en pleureraient. Cela, s'ils l'apprennent un jour. Ils
peuvent bien me reprocher d'appeler rarement lorsque je suis au loin, mais il
faut bien préciser qu'ils ne m'ont jamais appelé une seule fois. Ma mère à
quelques reprises, mais seulement pour me signifier que mon maigre prêt étudiant
était rentré. Jamais pour prendre des nouvelles. Ce
qui me fatigue le plus dans cette histoire, c'est que je m'en vais encore
déranger quelqu'un à Montréal. Je vais cependant trouver un emploi le plus tôt
possible et me trouver un trou à moi où je pourrai habiter seul et survivre de
mon salaire. Alors je n'aurai plus aucun compte à rendre à personne. Et si je
travaille fort, je pourrai me payer des aller-retour dans le monde entier sans rendre de compte à personne ou habiter chez quelqu'un
qui me fera me sentir coupable de passer quelques jours à leurs dépens.
D'autant plus lorsqu'il s'agit de la famille. C'est bien connu, les familles ne
font que se chicaner. Aller voir dans les hôpitaux sur les lits de morts. Les
gens se battent pour des vases et des télés sans valeur intrinsèque alors que
le vieux n'est pas mort. Une chose est bien, au moins je n'aurai pas à payer
toutes les dettes que mon père à contracté dans sa
vie. Quel cadeau il m'offrirait. Mais maintenant que j'y pense, sa dette sera
indirecte. Le déficit va nous achever, sa pension de vieillesse, je la paie
indirectement. Et j'en paierai toute ma vie, bien davantage finalement que ça
me coûterait de lui verser une pension de vieillesse moi-même pour les quelques
années qu'il lui restera à vivre. Et j'aimerais avoir ses dettes que finalement
passer ma vie dans la misère parce que l'économie en est à la ruine à cause de
tous les programmes sociaux qu'ils se sont donnés et qui sont maintenant
disparus. Mon expérience me dit que l'aide directe à notre famille coûterait
moins cher à long terme que les impôts que l'on paie pour les programmes
sociaux tels que l'assurance-chômage, l'aide sociale et les fonds de pension
pour des vieux que l'on a jamais connus et que l'on ne connaîtra jamais, sauf
lorsqu'ils te crachent dessus dans un autobus de ville parce que tu as voulu
leur céder ta place, ils sont insultés parce qu'ils ne se jugent pas si vieux
que ça. Esti de vieux débris, reste debout, puis
pète-toi la fiole la prochaine fois que l'autobus freinera. C'est tout ce que
tu mérites.
Bon, je viens de terminer
cette soirée. Je dois avouer que comme reprise de la situation et preuve
d'amour, Sally Field ne pourrait faire mieux. J'ai vraiment ressenti l'amour
d'une vraie mère pendant l'instant d'un moment. Les frissons me passent encore.
Ma mère ne m'a plus reprit dans ses bras le jour où j'ai jugé que j'étais assez
vieux. Alice avait beaucoup bu, elle m'avouait que cela la rendait lucide et
faisait ressortir la vérité. Ce que je crois également. Son amour est
définitivement sincère, je crois qu'elle m'admire beaucoup. Elle en a même un
peu trop mis, me comparant moi et ma sœur à ses deux enfants. Cette comparaison
part du fait que dans le village de Desbiens au Lac-St-Jean, à l'origine, elle
aurait pu ne pas perdre douze ans de sa vie si elle avait tout de suite choisi
mon père plutôt que son autre mari. Elle considère cela comme perte de temps et
croit que si elle avait choisi mon père, ses enfants ce serait moi et ma sœur.
Dieu que j'espère que Patricia, sa fille, dormait lorsqu'elle parlait. Je
déteste entendre des choses que je n'aurais pas dû entendre. Comme elle
regrettera ce qu'elle m'a dit ! D'autant plus que je suis convaincu
qu'elle adore ses enfants, malgré certains manques peut-être, mais il ne faut
pas s'imaginer que moi et ma sœur ne lui aurait pas offert pire. Patricia,
cette enfant pur et irréprochable, parfaite et immaculée (pas vierge cependant,
hi hi hi), personne ne peut
regretter cela. En plus elle terminera bientôt son université. Sachant combien
ils valorisent cela, cette enfant est donc idéale dans sa beauté. L'autre a
bien prouvé son potentiel de leader en société, il sera d'ici quelques années
un député, puis probablement ministre. Le contraire est impensable lorsque l'on
a fait tout ce bout de chemin. Je le vois sincèrement premier ministre un jour.
Or, moi je suis instable, homosexuel, je n'ai aucun concept de ce que
représente l'argent, je vis à 200 %. Ma sœur, elle, ne semble pas s'être
remise de la séparation de mes parents, je crois qu'elle aurait besoin d'un
psychologue pour se comprendre. Elle n'en finit plus de lire quantité de livres
sur les relations avec les autres, elle se cherche, cela nuit à sa relation de
couple. Il est vrai que son environnement de travail n'est pas des plus
passionnants, lié à son copain et sa belle-famille. Il me semble qu'elle n'a
rien à envier chez moi et ma sœur. Elle dit que je suis tellement plaisant à
parler, que je suis sensible, avec une bonne écoute. Elle sourit toujours
lorsqu'elle arrive du travail et qu'elle voit le café prêt et les deux tasses
sur le comptoir avec le lait déjà dans les tasses. J'ai compris que c'est
vraiment pour mon bien qu'elle me pousse à prendre les moyens d'arriver quelque
part. Elle croit que j'ai perdu les deux dernières années de ma vie et que je
m'apprête peut-être à en perdre beaucoup plus si je passe à côté de Sébastien.
Car peut-être dans l'avenir je retournerai avec, et j'aurai comme elle cette
impression d'avoir perdu plusieurs années de ma vie loin de lui. Mais moi je ne
partage nullement sa philosophie de vie. Moi, peu importe ce qui survient dans
ma vie, ce n'est pas sans raison, j'ai des choses à apprendre. Jamais je
pourrais comme elle regretter tant d'années avec un autre homme juste parce que
nous n'aurons pas terminé nos jours ensemble. Quand bien même on m'enfermerait
dans un monastère, j'y verrai une nécessité pour mon développement personnel.
Enfin, je dois tout de même avouer qu'elle m'a fait prendre conscience que
j'aimais Sébastien et que lui aussi même. Je vais donc, probablement partir
pour Toronto de toute manière, demain je dois discuter avec Charlotte de la
possibilité de demeurer chez elle dans le sous-sol à Toronto, malgré son mari.
Ensuite, je vais trouver un emploi, m'inscrire aux universités. Ma décision est
prise. Si Sébastien ne veut pas de moi, c'est une chance à prendre. Je ne m'en
sentirai pas plus mal. Je ne pars pas avec l'idée que je vais certainement
retourner avec lui. Je pars pour moi. Si ça fonctionne avec Sébastien, alors je
serai heureux. Mais ce genre de situation est bien complexe. Comment en effet
lui faire avaler que je e reviens pas que pour lui ? Il se croira obligé de me prendre dans son logement. Aussi, pour que tout
aille bien, il faudrait que je trouve un emploi très rapidement. Ce qui n'est
pas évident. Bref, nous verrons. J'en ai encore appris des bonnes, des choses
que l'on m'a cachées. Lorsque je suis parti pour Paris, Alice a mis deux mille
dollars sur la table pour me permettre d'aller étudier là-bas et de bien vivre.
C'est maintenant légendaire, personne de la famille ne m'a même donné cinquante
dollars avant mon départ ou même après. Deux mois plus tard mon père
m'annonçait qu'il me donnerait 150 $ à chaque deux semaines. Or, ce 2000 $,
ma mère a refusé qu'Alice me le donne. Elle disait que ce n'était pas à elle de
payer pour les études de son fils. Cela a bien dégénéré je crois, Alice me dit
qu'il s'en est bien passé des choses en mon absence. De toute manière, je
n'aurais jamais accepté qu'Alice paie mes études. Bien qu'en vivant avec mon
père depuis tout ce temps, c'est clair que lorsque mon père m'envoie de
l'argent, elle contribue. Bref, je change la vision que j'ai des choses, mes
idées contre Alice. Mais je demeure conscient qu'il a fallu que l'on en arrive
à un extrême pour que tout sorte. En plus, je ne me sens tout de même pas
justifié à demeurer ici plus longtemps. Car en fait, si elle a eu la chance de
m'expliquer son point de vue et que je suis maintenant en mesure de le
comprendre mieux sans la juger négativement, n'empêche que son point de vue
implique une action immédiate de ma part pour enfin trouver la sécurité et la
stabilité. Or, c'est bien connu que je ne recherche pas ces choses, même que je
les fuis. Peut-être me faut-il un bon coup de pied dans le cul pour me remettre
sur la terre ? Tout ce que je sais, c'est qu'il me faut réfléchir sur ce
que je veux faire et les moyens à prendre pour ce faire. Parce que, en
définitive, Sébastien représente-t-il vraiment quelqu'un de bien pour
moi ? Il ne sera jamais fidèle, c'est bien connu. Mais regardez Thomas,
Gabriel, Edward, aucun de ces trois-là ne m'offre la fidélité. Gabriel m'offre
même l'instabilité et l'insécurité pure et simple. D'autant plus qu'il existe
tant de choses cachées sur lui que j'ignore. Comme tous ces livres de
bibliothèque volés dans le fond de son garde-robe dont il me demandait de ne
pas poser de questions. Et ces vieux hommes louches avec qui pourtant il
développe de bonnes relations au 2171. Hier encore, le vieux mongol avec qui il
est parti, ce genre de choses me dépasse totalement. Je ne sais plus où j'en
suis, c'est la plus simple des vérités.
La plus grande des question qu'il me faut répondre est la suivante : où
devrais-je aller. Hier, en pleine période de crise, Alice m'a ouvert les yeux.
Toronto. Il est si facile de voir le tout en action ensuite. Bien sûr, lorsque
la moitié du village de Saint-Jean-Vianney est maintenant dans le ravin et dans
la rivière, on peut enfin voir tous les signes avant-coureurs que notre
aveuglement ignorait tout simplement. Bref, je n'ai pas fait toutes ces
démarches à Toronto pour rien. En plus,
ma tante Charlotte est ici, je vais la voir demain. Le temps où jamais de
m'arranger avec elle pour habiter chez elle le temps que je trouve un emploi et
une chambre. Faire croire à Sébastien que je ne cherche pas une chambre, car
c'est très bien chez ma tante. Toronto éveille en moi des sentiments positifs.
Montréal éveille en moi une indifférence, même un sentiment négatif. La peur
peut-être. Mais peur de quoi ? Montréal est une ville particulière dans
mes idées. Plusieurs Anglais et Américains l'adorent, cela est étrange. L'idée
que je me fais de cette ville, probablement remplie de préjugés, me fait fuir.
Cette impression que je n'y serai pas heureux. Enfin, bref, c'est peut-être
juste une sensation momentanée, si rien ne fonctionne à Toronto, je suppose que
ce sera là ma destination. Alors je confronterai mes préjugés et je m'y
plairai. Aujourd'hui, cette impression n'existe pas sans raison. Elle me pousse
vers Toronto. Voilà une question de répondue. Maintenant, comme Alice me dit,
il me faut prendre les moyens pour accomplir mon idée. Demain, ma conversation
avec Charlotte m'éclairera. Elle aura
toutes les solutions à mes questions,
j'en suis convaincu.
Deuxième question qui me
ronge : que veuille-je faire de ma vie ? Un emploi stable, une
sécurité, continuer mes études. Je le dis très vite, ces besoins sont trop
nouveaux en mon esprit. J'ai même peur qu'ils m'aient été inculqués par Alice.
De toute manière, ai-je un autre choix au point où j'en suis ? À moi de
prendre les moyens pour arriver à ces fins.
La vie avec la blonde de
mon père est devenue infernale. Elle dit prendre fin. Elle est au bord de la
crise, bien que je n'aie aucunement l'impression d'être responsable de tant de
misère. J'ai tout le monde de mon côté, même mon père qui souffre de la voir
ainsi me rejeter alors que je prends si peu de place et que je sois si aimable.
C'est dans les détails qu'elle craque, j'ai de la difficulté à comprendre
pourquoi elle réagit ainsi. Deux crises aujourd'hui. La première, c'est que je
désirais aller à Val-JAlan avec Charlotte, ma tante
de Toronto en visite. C'est surtout elle qui voulait absolument me montrer Val-JAlan et le revoir, ainsi qu'Hébertville, la vieille
maison de sa mère. Elle souhaitait emmener grand-maman voir sa sœur, cela doit
faire une éternité qu'elles ne se sont pas vues (grand-maman ne sortant plus de
la maison depuis quelques années). Alors, pour que j'apprenne l'histoire des Ouellet
et des Poitras, mes ancêtres, nous avions prévu une
journée visite. Or, aujourd'hui ma mère voulait voir Charlotte, ainsi je devais
partir avec ma mère le soir, notre visite tombait à l'eau. Par contre, lorsque
nous parlions de notre projet, hier, L'autre Charlotte de la famille (celle qui
habite à Chicoutimi), trouvait l'idée bonne. Aujourd'hui ils se sont arrangés
pour aller à Val-JAlan. Alors ce matin je me disais
que j'allais embarquer avec eux puis ma mère viendrait me retrouver en soirée.
Mais voilà qu'Alice, sous prétexte d'être seule avec mon père, décide que je
vais demeurer à la maison. Moi, l'initiateur du projet, doit rester ici à me
ronger les sangs. Adieu pour l'histoire de la famille, la vie des ancêtres, la
famille Ouellet, Poitras et Tremblay. Ça n'a pas été drôle, je vous jure. Il
fallait voir Charlotte ce soi, surprise qu'elle était de ne pas m'y voir
aujourd'hui, nous organisions cela pour moi. Je crois en plus qu'Alice le
savait, je lui ai bien fait comprendre. Ainsi ce soir, Charlotte insiste pour
que je retourne demain et que nous allions au moins visiter Hébertville et la
maison de ma grand-mère (ils n'ont visité que Val-JAlan aujourd'hui). Voilà que ce soir je demande la
voiture à mon père, Alice explose et claque la porte de sa chambre. Toute
communication est maintenant rompue, il n'y a plus de retour possible. Elle ne
pourra jamais après cela venir s'asseoir à côté de moi pour expliquer son point
de vue. On ne peut pas éternellement justifier son égoïsme, sa non-reconnaissance du fils de son conjoint et sa volonté
qu'il décrisse au plus vite sans demander d'argent.
Sa seule bonne raison, acceptable je suppose : sa ménopause. Remarquons
que je ne doute pas qu'elle m'aime à sa manière à quelque part, je sais
également que nous sommes dans le mois de mars et qu'en tant que professeur,
c'est un des pire mois de l'année avec le mois de juin où l'école n'en finit
plus et que les enfants sont incontrôlables. Mais je ne perdrai pas trop de
temps à justifier son comportement et je ne me culpabiliserai pas sous prétexte
que André, le copain de ma mère, ait fait une crise similaire lorsqu'il est
entré dans la maison et qu'ils m'ont mis à la porte. Je vais partir d'ici dans
moins d'une semaine et je vais tenter de croire que seuls eux sont la cause de
tant de rejets. Mais c'est bien difficile, je me sens responsable. Mais
pourquoi ? Est-ce que je profite vraiment de mon père ? Je ne lui
demande pas d'argent en ce moment, rien depuis mon retour d'Europe. Je
n'emprunte pas sa voiture souvent, je ne sors même pas une fois par semaine en
ce moment. Il me semble qu'ailleurs il s'en passe bien plus. Les parents paient
les études de leurs enfants (moi j'ai 20,000 $ de dettes et j'ai travaillé
tout au long de mes études). Même que souvent les parents achètent des voitures
à leurs enfants. Si elle veut jouer salope avec moi, elle pourrait le
regretter. Je pourrais poursuivre mon père en justice et exiger de lui cinq
fois 8500 $, moins les quelques milliers de dollars qu'il m'a donné pour
m'aider au cours de mes années d'études. Car moi j'ai été coupé sur les prêts
et je n'ai jamais eu de bourses à cause de son salaire. Un chiffre qui pour moi
n'avait aucune signification et qui ne changeait rien à ma vie, ou plutôt à ma
survie. JE reviens chez moi pour moins de deux semaines, au plus un mois, Alice
trouve cela déjà trop. Il faudrait qu'en une journée j'aie pris une décision
sur mon avenir et que je parte accomplir ma destinée. Pour l'instant je
travaille sur des projets et je me renseigne sur la vie de mes ancêtres. Mais
toute cette passion, elle ne la comprend pas. Mes études en littérature, c'est
une perte de temps du début jusqu'à la fin. Additionnons le fait que je sois
homosexuel, voilà, vous avez le fils indésirable qui ne devrait même pas avoir
le culot de se présenter ici le jour de Noël. Pourtant elle accepte ça, bien
sûr, en société, en théorie, on est immoral si on n'accepte pas cela. Mais dans
ma cour c'est plus problématique, en pratique on les tolère, mais pas
longtemps. Également, il faut bien avouer qu'ils ont raison, il me faut un
emploi et survivre seul, indépendant d'eux. Mais je suis encore aux études que
diable, la vie n'est pas aussi simple. Sans compter que de partir à Montréal
chez les étrangers, François, ou Toronto, chez ma tante, c'est encore moins
évident. Imaginez, votre famille ne vous accepte même pas chez vous pendant
deux semaines, le temps que les étrangers au loin se retournent et peuvent vous
recevoir. Qu'avez-vous donc à attendre des étrangers ? Je demande un peu
de bonne volonté, pour l'amour du ciel. Laissez-moi un peu de temps pour que
les choses se mettent en place, et oui, j'agirai. Et s'il vous plaît,
laissez-moi respirer un peu jusqu'à que je sois prêt et que les autres soient
prêts à mon départ. Je suis un être humain, et même si je puis occuper très peu
de place, bien sûr, j'existe tout de même, je respire, je mange et je rencontre
des tantes à Desbiens pour visiter Val-JAlan et la
maison de ma grand-mère à Hébertville. Les temps sont durs, parce qu'il n'y a
plus d'emplois, plus de sécurité sociale facilement accessible, plus d'argent
qui tombe du ciel. Mais pendant ce temps, les mentalités sociales n'ont guère
changées, les enfants devraient être partis de la maison à 18 ans et avoir
commencé leur vie indépendante de celle des parents. Bien sûr, lorsque cette
stupide génération qui vient de banlieues aussi reculées que Desbiens
commençaient les grandes études, un simple bac de trois années d'université
t'ouvrait toutes les portes et tu quittais la maison très tôt parce que pour
étudier il fallait partir. Et puis, jamais les enfants n'avaient besoin de
revenir à la maison, car ils se trouvaient tous un très bon emploi avant même
de terminer leurs études. Ils disent qu'ils comprennent cela, mais en pratique,
ils ne comprennent rien. Croyez-vous que cela me rempli de joie de revenir ici
après justement être parti à cause de cette humeur massacrante que l'on me
sert ? Peut-être ne digère-t-elle pas mes voyages. Moi je vie, alors
qu'elle, elle sèche et ankylose à travailler dans une misérable polyvalente.
Jalouse. Car si elle croit que cela se fait à ses dépens, c'est le temps
qu'elle se réveille. Sa fille, lui a certainement coûtée plus cher à vivre sous
son toit toutes ces années. Et un enfant en général, ça coûte certainement plus
cher que l'argent que mon père, et non elle, m'a donné. Car veut ou veut pas, avec un salaire qui est le triple de ce que les
gens gagnent en moyenne, mon père a certainement pu me donner ce peu d'argent
sans le prendre dans la bourse de sa blonde. I am not
happy, mais je ne me laisserai pas abattre. Je vais partir, je vais
m'organiser, et ma vie, je ne la raterai pas. Je vivrai et je serai heureux.
Mais cela est si compliqué à accomplir lorsque tous les malheureux te freinent
dans ton élan.
Mon dieu la chambre
dépressive ! Jamais dans ma vie j'ai eu l'impression de me ramasser plus
bas. Il est venu un temps où ce genre de situation m'aurait bien fait plaisir,
lors de mon trip sur les romantiques, là où il faut mourir au bout de son œuvre.
Ou encore, Edmond Rostand et sa préface où il est dit qu'il écrivait son
premier chef d'œuvre dans une petite chambre d'étudiant, le ventre creux. Mais
moi je ne m'attendais pas à cela, je ne le désirais pas maintenant. C'est bien
beau de courir après la misère, mais un jour il faut s'en sortir. D'autant plus
que Sébastien m'a encore répété son discours aujourd'hui, je pourrais
maintenant lui répéter par cœur. Pourtant ça ne rentre pas dans mon crâne, je
ne puis concevoir qu'il me balaie ainsi de sa vie sans aucun regret. Il a parlé
avec sa sœur, je croyais qu'elle allait lui ouvrir les yeux : c'est un bon
jeune homme, il ne te fera jamais rien de mal, il est ta stabilité, ça fait
déjà quatre ans. Au lieu de ça, elle lui a dit ce qu'il voulait entendre :
il doit se brancher sur l'endroit où il veut vivre en enlevant le nom de
Sébastien dans l'équation, il doit trouver une stabilité et une indépendance,
il doit savoir où il s'en va. Pauvre conne, sais-tu où tu l'envoies ton
frère ? Dans la jungle gaie infernale pleine de parasites et de maladies.
La corruption, la drogue, l'infidélité généralisée, les psychopathes, etc.
Peut-être rêve-t-elle en couleur ? Elle croit peut-être que ça existe le
copain parfait à Toronto, beau, gentil, fidèle, riche, amoureux, affectueux,
romantique, honnête ? Si ça existe, c'est déjà casé, et on ne les
rencontre jamais.
Ma crise d'hier m'en a
fait faire en grand. Les back rooms du Bijou, je les
ai bien observées. En rentrant au Woody's, un beau jeune homme pas mal fucké m'a lancé : Hi, cute little guy ! Ou quelque
chose du genre. J'étais vraiment désinvolte. Je lui ai mis ma main sur la
hanche, lui demandant une cigarette. Il m'a demandé si je partais, j'ai répondu
par la positive. Alors il m'a donné rendez-vous pour samedi ou dimanche au même
endroit. Ce à quoi j'ai lancé : je serai là demain. Et puis je marche sur
la rue. Une Saab passe, la fenêtre s'ouvre, un des deux gars m'a crié quelque
chose comme de quoi j'étais beau. Je lui ai fait un signe de la main. Ils ont arrêté,
il a lancé son gant dehors, pour faire comme la femme qui jette son mouchoir.
Mais un couple en avant de moi l'a ramassé avant moi. Peu importe, je suis
arrivé à leur hauteur, il me dit de monter, ils vont me reconduire. Juste avant
d'embarquer, il s'écrie que je suis French. Oups, me souvenant soudainement de
la situation politique mouvementée, j'hésite à monter : do you have anything against French ? Il m'est venu à l'esprit que l'on
pourrait bien me retrouver quelque part dans un ravin. Je ne désirais pas finir
mes jours en première page de tous les journaux canadiens comme étant un
Québécois mort crucifié à Toronto par des anglo-saxons endurcis (car ils sont
bien anglo-saxons américanisés, j'aime bien). Mais après m'avoir dit que
j'étais aussi canadien que lui, j'ai embarqué. Il m'a offert d'aller coucher
chez lui. Non merci, je serai au Woody's ce soir. J'ai donc deux personnes à
rencontrer ce soir. James le premier, le deuxième, j'ai oublié son nom. James
pourrait peut-être m'intéresser, mais je vais apprendre à le connaître avant.
J'ai mal au ventre, je suis pourtant motivé à sortir. Mourir ici seul ce soir,
serait trop déprimant. Je devrais aller m'acheter de la bière, mais c'est trop
compliqué dans l'état fasciste de l'Ontario. Premièrement il faudrait que je
trouve un Beer Store, or, où sont-ils ? Ensuite,
il est 20h08, ils seront déjà fermé je crois. Puis comble de tout, ils
refuseraient de m'en vendre même avec un passeport pour prouver mon âge. Il
leur faut la carte d'identification délivrée par le gouvernement ontarien
lui-même. Cette chambre me tue. Ma tante Charlotte en entrant ici, son sourire
est disparu et son commentaire fut : Cette couleur grise sur les murs, cet
aspect triste, c'est vraiment déprimant.
Voilà, j'ai ma bière
froide, qui restera froide (il fait bien zéro degré Celsius dans cette chambre,
c'est plus froid que dans un réfrigérateur). Pour trouver le Beer Store, il suffisait de suivre de suivre les gens qui
tenaient une caisse de bière à la main. Je suis arrivé cinq minutes avant la
fermeture. Bien entendu, on m'a demandé mon passeport, cette fois ça a marché.
Un gars dans la rue, qui m'a parlé dans un français cassé, m'a demandé si je
désirais qu'il achète la bière à ma place, sous prétexte que je n'avais pas
l'âge et que je ne réussirais pas à les tromper. Ça commence drôlement à
m'insulter, ça ne m'inspire pas à trouver du travail, je vais souffrir de
discrimination.
Il est encore trop tôt
pour aller rencontrer James, encore qu'en Ontario ça ferme tôt, les gens
sortent tôt. Lorsque l'on m'a dit d'être revenu à l'hôtel pour deux heures car
ça fermait jusqu'au lendemain huit heures, je me suis mis à paniquer.
Cendrillon doit rentrer au bercail vers les 1h15, pour être certaine de ne pas
passer la nuit dehors. J'avais oublié que ça fermait à une heure du matin. Dans
ces conditions il n'y a aucun problème à jouer à la méchante marâtre et exiger
toutes sortes de règlements. De toute manière je compte bien ne pas dormir ici
ce soir, car après avoir voulu rendre jaloux Sébastien en lui disant que je
ramasserais quelqu'un, je suis convaincu qu'il se ramassera quelqu'un juste par
jalousie. Je lui souhaite de ne point être capable, ça fait du bien d'être
méchant. Il refuse de me voir et de coucher avec moi (alors qu'il coucherait
bien avec n'importe qui) car je suis trop émotif envers lui. Hier, paraît-il,
je l'ai traumatisé. Une erreur, il craint les crises, il ne me présentera
jamais à ses amis. Surtout que s'il les embrasse devant moi, il redoute
l'enfer. Va donc chier vieux christ, lorsque j'aurai rencontré quelqu'un
d'autres, tu verras combien rapidement je t'oublierai. En effet, quel avantage
j'aurais de revenir avec un bout de bois qui est impossible à exciter tant il
souffre avec moi ? Je crois que les chances de revenir avec lui sont
nulles. Il a tellement, mais tellement souffert avec moi ces quatre dernières
années, que maintenant il va savourer sa liberté : coucher avec tout ce
qui passe et attraper des crabes ou autres maladies vénériennes au passage. Me
forçant par la même occasion à faire la même chose. Ce soir, Toronto
m'appartient.
Un vieux miroir au teint
grisâtre, qui ne reflète que le mur gris. Le reflet d'une chambre sans vie, le
reflet de la mort, ou du néant. Raymond est venu dans cette chambre, en tant
que poète-philosophe, il a trouvé que j'étais bien,
malgré les odeurs bizarres. Il m'a encore payé un repas dans un restaurant
végétarien, ce fut excellent. Ça fait juste six mois qu'il ne mange plus de
viande, mais il est radical extrémiste. Aucun produit laitier ni d'œuf. À ce
rythme, je me demande s'il pourra tenir très longtemps. Il s'agit toujours d'un
processus graduel, pas d'un arrêt extrême soudain. Je me demande si c'est la
chambre qui me rend dépressif ou Sébastien qui ne donne plus signe de vie et
qui n'est jamais chez lui. Ce soir il refusera de me voir, il ne me dira rien
de sa soirée d'hier. Il voudra cependant savoir sur ma nuit d'hier, il sait
déjà qu'à cinq heures du matin je traînais encore dans les rues de Toronto. Il
n'en saura pas davantage, à moins qu'il me raconte sa soirée. Lui, il a au
moins la chance de m'en inventer, comme toujours. Raymond prend une place
importante dans ma vie, malgré moi. Il est vrai qu'il en sait des choses, âge
oblige. Il me dit qu'il est encore en train de traverser une phase importante
dans sa vie, sans compter qu'il a arrêté le café voilà deux mois (mais il passe
son temps à bailler, à mon avis il devrait se remettre à la caféine). Son
problème d'alcoolisme, ça ne me semble pas si terminé que cela. Il considère
cela comme une maladie héréditaire. Que l'on arrête jamais d'en prendre. C'est
très inquiétant. Mais pourquoi aurait-il négligé les AA s'il avait recommencé
ou jamais arrêté ? Alors j'ignore totalement quelle peut être la phase
qu'il traverse. J'ose à peine lui poser des questions à ce sujet, il m'en dit
un peu plus chaque jour. D'où vient cette confiance ? Pourquoi m'avouer
des secrets aussi lourds que celui d'un de ses amis qui se serait suicidé dans
son alcool en se tirant en bas d'un pont voilà quatre ans juste après avoir
voulu faire l'amour avec Raymond sans succès ? Ce secret, je serai bien le
seul de toute la famille à l'apprendre. Il m'a raconté sa vie de drogué et
d'alcoolique, qu'il sortait tous les soirs. Ce qu'il n'avoue pas facilement,
c'est qu'il a dû en passer énormément, d'autant plus qu'il a fait les saunas.
Il m'a raconté l'enfer qui régnait avant le sida. L'orgie perpétuelle qui
planait sur une partie du monde gai dans les saunas. Entre autres, un gars
couché sur son ventre avec un plat de graisse Crisco
à côté de lui, tous à tour de rôle éjaculaient dans lui, sans même qu'il ne
regarde qui entrait en lui. Je vois qu'il insiste pour me revoir, mais moi,
peut-être parce que j'étais fatigué, je n'avais plus rien à lui dire
aujourd'hui. On trouve toujours, mais là on parle de superficialité, on a fait
le tour de l'essentiel. Peut-être croit-il que cela me soulage de lui parler de
Sébastien, vu mon état de désespoir. Mais j'avoue que non, ne pas lui en parler
ne changerait rien, ça ne me soulage en rien, du moins que je sache. C'est
plutôt lui qui a besoin de moi. Il m'a répété plusieurs fois comment j'étais un
être profond et sensible, qui, en quelque sorte, l'illuminait. Je lui ai
téléphoné vers 18h hier soir, il a attendu mon téléphone jusqu'à 17h, m'avouant
qu'à 13h il s'ennuyait carrément de moi. Mais il m'a lancé cela avec
précautions, il a bien réfléchi au pourquoi. Il en déduit que je lui amène son
propre souvenir, lorsqu'il est arrivé à Toronto à 24 ans, avec presque le même
bagage que moi. Également je suis de la famille, je lui apporte quelque chose
de son village natal, Desbiens. Puis que je suis sympathique, nos conversations
enflammées, même que son œuvre philosophique de toute une vie (ça fait quinze
ans qu'il y travaille) se clarifie bien mieux depuis que l'on discuter. Je lui
ai apporté motivation et inspiration, à peu près comme avec Thomas de
Chicoutimi avec sa poésie. Il n'y a pas à dire, sans pouvoir affirmer en quoi,
je suis un être d'exception. À mon contact, les gens s'illuminent. Je n'arrive
pas à comprendre en quoi, mais c'est drôlement positif dans ma vie.
Certainement une conséquence d'un développement personnel, une philosophie du
bien que je développe depuis longtemps. Peut-être aussi qu'avec mes 23 années,
je dégage une sagesse hors du commun, sinon, comment pourrais-je aider tant de
gens en souffrance, des gens qui ont plus que deux fois mon âge et pas mal plus
de vécu que moi ? Écrire semble avoir raffiné ma pensée, m'avoir procuré
le don de discernement et la vision de sans cesse voir les choses sous un autre
angle. Mais comme je ne tiens pas en place, lorsque la magie se rompt, les gens
se fâchent. Ils commencent par les reproches avant le départ, puis le rejet.
Revenir dans leur vie ensuite est bien difficile. N'est-il pas ironique que
Charlotte et Raymond aient tous deux ressenti un grand bien à mon
contact - comme tous les autres que j'ai rencontrés ces derniers
mois - alors que Sébastien lui c'est tout le contraire ? Quand je
pense que c'est lui qui est ma seule source de culture. Par lui j'ai tout
appris, je lui dois beaucoup. Ça ne m'a pas empêché toutefois de subir le rejet
de bien des personnes ces derniers temps. Je ne le prends pas personnellement,
il s'agit sans doute de propres problèmes qu'ils ont dans leur vie. Tout le
monde est bourré de problèmes à plus finir, il semble même qu'il n'y ait aucune
porte de sortie à tout cela. Apprennent-ils à travers leur calvaire, voient-ils
une évolution ? Sinon, ça pourrait bien expliquer pourquoi l'enfer est
infini.
Parlant de mes problèmes,
je me demande ce que fait mon Sébastien. Aucune réponse, mort et enterré. Je
crois que Gaby repart ce soir pour Vancouver. Comme l'heure recule à chaque
fuseau horaire, s'il part d'ici à 21h, il arrivera là-bas à 21h. Qu'il soit
heureux d'ainsi arrêter le temps. Ce que je veux dire c'est que l'avion peut partir
n'importe quand, ce soir ou demain matin, ce n'est pas comme l'Europe où l'on
part toujours en soirée pour arriver là-bas le matin. Là on fait un bon dans le
futur. Ainsi Sébastien passe ses dernières heures avec Gaby, peut-être même
qu'il ne reviendra pas chez lui puisque Gaby pourrait partir demain seulement.
C'est raté je crois ma rencontre avec lui. Et puis, qu'aurions-nous fait ?
Des cafés chez Pam's, à me faire remplir le cerveau de ses reproches sur notre
vie passée et son désir de coucher avec tout le peuple de Toronto, je les ai
suffisamment souffert. Il faudrait commencer à agir comme de vrais amis, et non
pas comme un couple sur le bord du ravin de la séparation qui tente d'éclaircir
l'histoire de l'humanité depuis dix mille ans. Ça le fatigue, moi de même.
Voilà, mission accomplie.
J'arrive d'aller reporter Sébastien. Fascinant comme soirée. Rien de mieux que
de, et personne n'osera parler de coïncidence, rencontrer Richard à cinq heures
du matin sur Church Street. Sébastien est arrivé chez
lui paniqué vers les 21h00. Quoi ? Il était là à cette heure avec un autre
homme ? Tout de suite il voulait que l'on aille prendre un café. Nous
avons été chez Taco Bell manger un burrito et des nachos. Là il voulait savoir,
il brûlait de poser des questions. Bien sûr, il n'était pas question pour moi
de répondre sans lui faire remarquer qu'une journée avant il se lamentait que
je posais des questions. Ainsi il m'a raconté un peu ses deux dernières
journées. Le premier soir, il était au The Barn. Bien, la semaine prochaine je
serai au Barn. Hier il est sorti avec Marc, son agent de musique et
quelques-unes de ses amies hétéros. Tout le monde a couché là, il m'a bien
spécifié qu'il n'avait pas fait l'amour avec Marc, ce que je doute, mais I don't give a shit, Christ !
La soirée d'avant il serait sorti seul, aurait rencontré des gens
s'intéressants à lui, mais pas suffisamment beaux pour qu'il se décide à
coucher avec. Eh bien, je peux le croire. J'ai souffert lors de ce discours,
car je lisais entre les lignes. C'est bien possible qu'il ne veuille plus
coucher avec son petit agent de musique. Mais il me fallait tout écouter
religieusement, sans dire un mot ou dire quoi que ce soit. Si je montrais de
l'embarras ou de la souffrance, il arrêtait sec, prêt à me repousser. Bientôt
il pourra me raconter ses plans de cul en détails, et là j'aurai besoin de
penser très fort à la Vierge Marie pour ne pas entendre un mot de cet enfer.
Après c'était à mon tour de lui raconter ma soirée d'hier. The Woody's, Boots.
Ces deux bars, où je me suis fait des amis. Il n'a pas osé demander si j'avais
couché avec quelqu'un, ça je crois qu'il le savait. J'ignore s'il a couché avec
quelqu'un depuis mon arrivée, je pense que non, mais c'est bien possible. Il
faut que je me retienne de lui poser la question. Ça rassure de voir que toutes
mes réactions par rapport à lui, il les a en rapport à moi lorsque c'est moi
qui soudainement sors et rencontre du monde. Ce soir je savourais le pouvoir
que j'avais sur lui, ma supériorité sur la situation. Mais je n'ai pas aimé
l'idée où il ne considère aucunement de revenir avec moi. Il ne voit que
l'aspect d'avoir un genre de membre de sa famille ici, pour être moins perdu,
car le Sébastien est aussi perdu que moi, malgré son ami Richard. Il était fier
que l'on puisse ainsi échanger nos sorties et presque nos histoires parallèles.
En fait, lui dire que j'ai couché avec un autre ne semble pas l'affecter. Mais
ça a libéré certains fantômes. Il est venu dans la chambre. Il a refusé que je
le touche, mais il m'a pris dans ses bras. Je n'étais pas hystérique, j'ai pu
lui commencer un massage qu'il a arrêté. Puis je l'ai sécurisé, il s'est laissé
faire. Puis il s'est déshabillé, moi de même. Pas besoin de dire qu'avant la
fin du massage, voilà qu'il pénétrait en moi, et moi sur le dos plutôt que sur
le ventre. C'est la première fois que ça fonctionne dans cette position qu'il
préfère, ce fut génial. Rien de comparable avec l'autre d'hier, Alain. Après la
soirée Sébastien était heureux, moi de même. Il a dit comme cela : oui, on
pourra de temps à autres faire l'amour ensemble. À ce rythme, il comprendra
très vite qu'avec moi il jouit comme un malade. J'ignore s'il pénètre les
autres, il dit non, mais je ne lui fais plus confiance. Il ment plus que la
moitié du temps. Retourner avec lui, est une assurance que la fidélité
n'existera plus. En plus à Toronto, alors que l'on habite dans le red light district et que juste en face de l'appartement
sur Saint-Joseph, il y a un bar gai. D'autant plus que la seule raison pour
laquelle il m'a laissé, semble être ce besoin soudain de liberté, coucher avec
du monde. Mais cette envie soudaine ne semble pas futile. Cet agent de musique,
il pourra trouver des endroits pour Sébastien. S'ils n'avaient pas couché
ensemble, il n'aurait peut-être pas fait les efforts. Aujourd'hui Sébastien lui
a joué sa musique au piano, ainsi qu'aux autres filles. Patrick a dit qu'il
tenterait de trouver des endroits, mais ce n'est pas évident puisque ce genre
de musique, ce n'est pas toutes les places qui en jouent. Moi j'ai apporté la
pièce manquante au casse-tête. Ma seule et unique cassette démo de Sébastien
que j'ai traînée de Londres jusqu'à Jonquière, via Paris, emporté à Granada et
à New York, aujourd'hui montré à Raymond, et voilà pourquoi je l'avais par
miracle dans ma poche. La force qu'il m'a fallu pour me débarrasser de cette
seule cassette, ce seul souvenir que j'aurai de mon Sébastien lorsque je ne le
verrai plus. En plus, ma photo des rails de chemin de fer dans le parc
Montsouris, ça aussi ça me fait mal. Il dit qu'il m'en donnera une autre, mais je sais
qu'il n'en a plus de ces photos à Ottawa.
Il aurait peut-être la musique, mais dites-moi quand il pourra et voudra m'en
donner une copie ? Si important pour moi, voilà la cassette envolée. Mais
je suis fidèle à « mes » rêves de sa réussite dans la musique. Mon
courage à deux mains, je lui ai remis la cassette à la condition qu'il la
remette à son Marc. Ça devient lourd, cette histoire. Je remets la plus grande
de mes possessions à l'amant de mon copain. Il
me faut vouloir en christ, alors que j'aurais juste envie de lui dire DE
CREVER MON ESTI DE CALICE DE TABARNACK DE P'TIT
CHRIST D'ENFANT POURRI ! Mais je prends sur moi,
je crois en la destinée de mon Sébastien, et c'est moi qui suis le vrai agent
de sa destinée. C'est la raison pourquoi nous ne sommes plus ensemble. Les
parents de Sébastien l'ont ramené à la raison, les ordinateurs, c'est bien plus
sérieux et payant que la musique. On verra. Tandis que moi, ma destinée, je
l'ai presque sacrifiée à celle de Sébastien. Me voilà encore perdu à Toronto,
tentant de l'aider à faire déboucher sa carrière en musique. Convaincu que s'il
a le malheur de donner quelques concerts, son succès est assuré. J'ai eu
l'impression d'être venu à Toronto juste pour apporter cette cassette, la
sortir de ma poche comme par enchantement (alors que j'ignorais qu'elle se
trouvait là) pour la remettre le plus naturellement du monde à Sébastien. Ensuite
je me suis rendu compte de ce que je venais de faire, me séparer de cet objet
qui valait tout pour moi. Sa musique, c'est lui, c'est mon Sébastien à moi.
Maintenant je l'ai perdu en entier. Je n'ai plus de lien, sinon qu'il me fourra
à l'occasion, entre deux autres qu'il rencontra au Barn chaque fin de semaine.
Si je suis venu à Toronto que pour remettre cette cassette et repartir, ce sera
déjà ça. Si cela pouvait vraiment faire déboucher Sébastien dans les arts, je
ne regretterais rien. Ainsi je puis espérer un nouvel âge avec Sébastien, mais
j'ai bien peur que de coucher ensemble ne changera rien à son sentiment de
séparation. Il ne veut pas plus de moi qu'avant. Just
a nice little fuck, d'autant plus si notre recherche de sexe du week-end
n'a pas fonctionnée comme prévu. Je suis méchant, mais je me demande comment je
pourrais ne pas l'être dans le contexte. Parce que dans cette méchanceté, il y
a tellement de vérité. J'admets qu'elle est dite d'une manière excessivement
cynique, mais que voulez-vous, ce n'est pas une période très intéressante de ma
vie à l'heure actuelle. Je me sens comme un moins que rien, j'ai perdu toute
confiance en moi, mon estime, mon amour propre. Je couche avec plusieurs
personnes, je suis entre ciel et terre, j'avoue que d'attraper le sida, au
niveau où j'en suis, je m'en fous littéralement. Ce serait peut-être une bonne
chose. Mais la mort serait trop lente. Je ne veux pas attendre dix ans, il
faudrait que ce soit instantané. Surtout que là, attraper le Sida ne garantit
plus ta mort, ils ont enfin trouvé le moyen de te garder en vie toute ta vie,
probablement à l'état de zombi j'imagine. Je vis à l'heure d'un jeune qui boit
trop et qui sort, couche avec le premier du bord. Un jeune qui pourrait prendre
des drogues et mourir d'une surdose sur un coin de rue quelque part dans la
ville. Ça me rendrait heureux, j'en éprouverais un sentiment d'extase qui me
comblerait l'intérieur. Mon Dieu, je crois que je ferais mieux d'aller dormir
et de ne plus trop penser. Pourtant, j'aurai de quoi me réjouir. J'ai réussi à
capter toute l'attention de Sébastien, à l'emmener chez moi, à faire l'amour, à
lui faire dire tout ce que je voulais savoir ou presque sans même lui poser une
question. C'est une nouvelle ère qui s'ouvre, sur la bonne pente. Déjà ce soir
je voyais difficilement que je repartirais de Toronto. Pas après ce qui s'est
passé ce soir. Il y a tout de même de l'espoir. Les prochains jours m'en diront
davantage. La scène gaie joue pour moi, on ne rencontre pas tant que ça des
gens intéressants et c'est assez difficile de les avoir plus que pour un one
night stand. Je resterai certainement deux semaines. Les choses évoluent, c'est
bon signe. Mais il semble si assuré lorsqu'il m'assurait encore hier qu'il
serait seul pour une période qui irait au-delà de six mois. Wow,
il planifiait en sauter des petits gars de Toronto ! Oui, ne soyons pas
naïf et innocent. Et tâchons de bien dormir tout de même. Quelque chose me dit
que ce ne sera pas difficile, la nuit dernière je n'ai pas dormi. Ah le
Sébastien. Pourquoi nous donner autant de troubles ? Pour cet agent qui
t'ouvrira les portes de la musique ? Et maintenant tu vas revenir à
moi ?
Le temps passe, je m'en
fous. Ma vie est tellement en suspension dans le vide qu'il est inévitable que
quelque chose de radical surviendra et m'embarquera avec lui au loin. Je suis
prêt à tout, aucun lien ne m'attachant à quoi que ce soit. La vie torontoise
m'écœure, Sébastien m'écœure, je m'écœure. Un peu de normalité me ferait du
bien, une certaine stabilité avec l'impression de n'avoir rien à accomplir qui
demande des tonnes d'énergie. Je suis fatigué mort, mes nuits dans cette
chambre d'hôtel deviennent de plus en plus pénible, il fait si froid, bien en
dessous de zéro, que je me mets à tousser comme un malade vers les cinq heures.
Ne sachant plus quoi faire pour arrêter et me réchauffer. Le manque d'amis
commence à se faire ressentir. Sébastien pas du tout un ami, a pain in the ass, ça oui. À me mentir, à me cacher des choses, à me dire
que l'on ne sort plus ensemble et que l'on ne sortira plus ensemble dans le
futur. Mais faisons l'amour, je suis en manque ces temps-ci. Le sexe, plus on
en a, plus on en veut. C'est comme l'alcool et la drogue. De plus, chose
intéressante, les deux oncles et la tante que j'ai à Toronto sont tous plus ou
moins dérangés dans le cerveau, ma tante Charlotte en tête. Raymond se ressent
encore de ses problèmes d'alcool et de drogues, en plus que tous ses amis, au
lieu d'être gais, sont plutôt des alcooliques anonymes. Hier, chez Hélène, une
de ses grandes amies qui demeure sur Church Street,
ils parlaient de tous leurs amis en train de mourir un en arrière de l'autre.
C'est l'âge, une vie d'enfer, ça pète tôt, ça règle tous les problèmes. Il y en
a une à l'hôpital qui est sur la morphine, et il lui apporte deux bouteilles
d'alcool par deux ou trois jours. Ils disent qu'ils ne sont pas en train de la
corrompre, ils l'aident à partir plus calmement. Euthanasie donc. Comment
peut-il m'initier autant à tout cet univers ? Qu'ai-je fait au bon Dieu
pour être ainsi lancé dans un milieu de
drogués et d'alcooliques juste au-dessus de tous leurs problèmes, prêts à
replonger dedans à la moindre alerte ? Et là, Raymond ambitionne, hier il
disait que j'étais brillant, une lumière qui se comparaît à Dieu. Ok, je suis
imbu de ma personne, mais pas à ce point. L'ours, mon autre oncle italien, lui,
on les connaît ses problèmes. Il est sur les anti-dépresseurs et battait sa
femme. Ma tante Charlotte m'annonce en grande pompe que si elle a réussi à avoir
une pension d'invalidité, c'est qu'elle était violente et qu'elle était devenue
incapable de se contrôler avec les enfants. Elle m'annonce que je suis moi
aussi une personne violente, à cause de la conversation de l'autre jour sur la
séparation du Québec, où je me suis levé en disant que ça suffisait, je ne
voulais plus en parler. Ce qu'elle oublie, et ce qu'ils oublient, c'est que
toute la famille me criait après, eux aussi d'une nature très violente dans ce
cas. C'est juger un peu vite le monde tout cela. Il ne faudrait tout de même
pas me catégoriser violent pour cet épisode, c'est un peu fort. Il y a un bout
à chercher des poux chez les autres. Et puis, si on veut en chercher des poux,
moi, je puis en trouver. Mon père, Georges, Roméo, et d'autres, m'ont dit que
Charlotte déraillait et qu'elle inventait des histoires assez effrayantes. Je
n'y avais jamais goûté avant hier soir où le plus sérieux du monde elle
m'annonce que sa mère lui aurait avoué que mon grand-père aurait tué un homme,
cela, parce qu'il avait abusé sexuellement mon père. Mes grands-parents
auraient ensuite été l'enterrer le lendemain en allant aux framboises. Après
avoir parlé avec mon père, toute cette histoire est impossible. L'homme en
question est mort à Jonquière en 1990. Et puis, Charlotte elle-même me dit
qu'elle en a parlé à Marie le lendemain que grand-maman lui aurait conté cette
histoire et Marie disait que c'était impossible, ils n'avaient pas d'automobile
à cette époque. En plus, toute l'histoire de la confession où mon grand-père
pleurait car il voulait être pardonné, Marie dit qu'elle était toujours
présente et que jamais cela eut lieu. Bien, Charlotte m'invente des histoires fuckées maintenant, je devrais aller la voir plus souvent,
elle m'inspirera en plus de me divertir. Je me demande si de tels jeux peuvent
devenir dangereux. Est-ce que ce sont les drogues qu'elle prend qui lui
soufflent de tels épisodes créés de toutes pièces ? Aucun doute, ma vie à
Toronto s'annonce pas mal lourde. À qui donc puis-je faire confiance ?
Tout le monde me ment aller-retour. Raymond, je commence à voir sa vie par
bribes, souvent par les autres qu'il me
présente. C'est surprenant qu'il veuille bien me les présenter. Il méprise la
vie torontoise gaie, le sexe à tous les coins de rues, les gars qui vont
coucher avec trois personnes par jour pendant des années. Mais il m'avoue peu à
peu que c'était exactement son rythme de vie et qu'il y ait passé plusieurs
années dans ce calvaire. C'est facile de mépriser quelque chose dont, à 53 ans,
on n'a plus accès, et d'autant plus facile à mépriser pour me montrer une image
de lui assagie alors qu'il a vécu plus fort que tout ce monde que je rencontre
dans ces bars. Car il ne faut pas se leurrer, les back room de ces bars, le
Bijou, et tout cet enfer, il en était un
habitué. Mais cela, il me l'avoue petit à petit, un jour il pourra arrêter les
mensonges, lorsque je saurai tout. Et encore, en trente ans, des choses ont eu
le temps de survenir, je ne suis même pas certain de vouloir les connaître.
Tout le monde me ment à Toronto ! De quoi ont-ils peur ? La vérité,
cette bête noire. Raymond me racontait qu'ils avaient joué au jeu de la vérité
une fois lorsqu'il faisait ses études à l'Université Laval à Québec. Une série
d'étudiants se prenant pour le nombril du monde, comme il se doit dans ce genre
de contexte, s'étaient assis autour d'une table. Plusieurs avaient couchés avec
d'autres, certains avaient sortis ensemble, s'étaient trompés entre-temps,
d'autres avaient de l'homosexualité
inavouée, et puis d'autres avaient des problèmes inavouables comme cela en
public. La morale de l'histoire, c'est que la vérité ne se dit pas, la vérité
fait mal, elle apporte les mauvais jugements, les sous catégories humaines, les
détritus de la société, alors que tout s'équivaut, que tout le monde est aussi fucké que tout le monde, avec sa série d'actions
impensables que nous aurions crues impossibles venant de telle personne. La
pureté en ce monde n'existe pas, la vérité non plus. Et lorsque les problèmes
sont trop flagrants, alors les mensonges sont encore plus effrayants, et il
devient impossible de cacher entièrement la vérité. Triste monde où l'on vit.
La spiritualité ne nous sauve pas. Je m'en fous ! Ce monde m'écœure, j'espère qu'il y aura de
meilleur temps à l'humanité ! J'ai trouvé une Bible anglaise dans un
tiroir de la chambre d'hôtel, je relisais le passage sur Sodome et Gomorrhe,
pour ma part, il faudrait répéter cela pour l'humanité au complet. Et ne venez
pas me parler de Hare Krishna, j'en ai ma claque des
illuminés névrosés, quand ce n'est pas le sexe ou l'alcool et les drogues,
c'est la religion et la spiritualité poussées à outrance. N'y a-t-il pas de
juste milieu dans ce monde ? Peut-on encore être maître de sa propre
destinée et de sa propre conscience plutôt que de la remettre dans les mains de
Hare Krishna et ses pseudo-maîtres
guides spirituels, ou les remettre dans les
mains des drogues et des bas-fonds de la société ? Oui, mon Dieu,
vaut mieux demeurer chez soi à cultiver son petit jardin en ignorant le reste
du monde, ça évite de partager tous les problèmes de l'Univers. Et le pire, je
dis ici la vérité, lorsque j'aurai terminé une étape importante de ma vie, je
mettrai un point finale à ces 1000 ou 2000 pages de bull shit sur mes
expériences en société. Eh bien, s'il me faut publier cela un jour, la vérité
disparaîtra avec l'essentiel. On en ressortira 300 pages, et les gens en seront
découragés au possible. S'ils savaient combien la vérité est bien plus
effrayante encore...
I'm not happy. Même que je
n'ai pas dormi de la nuit. Même que là je n'en peux plus de Sébastien, j'en ai
plein mon casque. Il refuse de me voir, sort avec ses amis, hier souper au
restaurant, ce soir une pièce musicale avec Marc, ça va finir dans le lit. S'il
n'y avait que cela. Je suis seul, seul entre quatre murs. Un but à
l'existence ? Aucun, néant absolu. Franchement, j'attends vraiment pour
des jours meilleurs ? Mais lesquels ? Trouver un emploi sera le coup
de grâce, rien ne pourra me rendre plus malheureux encore. Poursuivre mes
études ? Plutôt mourir. J'hésite à sortir seul, peur de me faire rejeter,
peur de revenir seul encore plus déprimé. Je n'ai pas dormi de la nuit hier, à
six heures du matin je tournais dans mon lit, à huit heures je me suis levé.
Mais levé dans une nouvelle chambre. Je suis déménagé à l'hôtel Isabelle, les
murs sont beige jauni, mais c'est clair. Pour 10 dollars de moins j'ai
maintenant une toilette et une douche dans ma chambre. Eh bien ça m'a rendu à
la limite de ce que je pouvais supporter. Ça me coûte moins cher, mais ça
ressemble trop à un vrai hôtel, ainsi j'ai atteint le summum de ma culpabilité.
Comment puis-je vivre dans un hôtel, moi qui n'ai même pas l'argent pour me
payer une bière ? Mon père qui me reprochait ce matin d'être passé
dépenser 2000 $ à New York. C'était bien nécessaire qu'il me reproche
cela. Je n'ai pas manqué de lui dire que selon mes plans initiaux, ce voyage à
New York devait me conduire à Toronto où je devais trouver un emploi. Mais que
je ne pouvais pas y rester, je suis donc retourner un mois à Jonquière. Or, je
ne pouvais pas prévoir que, un, on me jetterait dehors de la maison, deux, que
Rosario ferait sa crise pour que je ne vienne pas chez lui, trois, que
Sébastien me laisserait et ne voudrait pas de moi dans son appartement. Allons
donc tous chier gang de calice. Gardez-les vos hosties de maisons aux
nombreuses chambres vides. Belle société qui arrive à la limite de ce qu'elle
peut offrir à autrui. Le pire, c'est que l'on peut croire en Dieu comme c'est
pas possible, aller à l'église, prêcher à tout le monde une morale de curé
jusqu'à en assommer plusieurs, et après, être incapable de se contrôler son
tempérament, incapable d'aider son prochain. Mon père m'aide pour ma survie.
Comment je me sens ? Je ne veux plus demeurer à Toronto, je souffre trop
ici. Je ne veux pas y travailler, il n'y a aucun avenir avec ce christ d'enfant
qu'est Sébastien. J'en éprouve vraiment de la haine, je passe à travers les
cinq étapes que traverse une grand-mère quand elle perd son mari. Je ne suis
pas où je veux être, je ne suis pas avec qui je veux être, je ne fais pas ce
que je veux, j'ai bien peur d'être pris à Toronto jusqu'à la fin de mes jours
si j'ai le malheur de trouver un emploi. Or, sans Sébastien, Toronto, c'est
sans intérêt. Une ville sans substance, colonie anglaise américanisée. C'est
vide, laid, froid, plate à mourir. Aucune personnalité, franchement, peut-on
être fier de vivre à Toronto ? Pardonnez-moi, dans le contexte je ne puis
vraiment être objectif. Je n'ai plus rien à manger, plus l'argent pour acheter
quoi que ce soit. Tant mieux, je vais me laisser mourir de faim. Je ne bouge
pas de la journée, je regarde le plafond, peut-être qu'après quelques heures
quelque chose surviendra, une idée, une folie, n'importe quoi. Là je sens que
je serai à Montréal pour le week-end prochain. Je vais me trouver un emploi,
n'importe quoi, même un restaurant. Je suis déterminé à partir, je vais partir.
Je ne peux pas moralement exiger de mon père autant d'argent, sans Sébastien ça
n'en vaut pas la peine. Je vais lui annoncer ma décision, dans l'espoir qu'il
se réveillera, il aura une semaine pour prendre une décision. Si j'étais
méchant, je souhaiterais qu'il regrette comme jamais il n'a regretté dans sa
vie. De toute manière je sais qu'il va regretter. Mais de quoi me serviront ses
regrets ? Il sera trop tard. Je n'ai plus motivation à rien. Je réfléchis,
on m'emmènera à la place de la Concorde à Paris, je serais terriblement
malheureux. S'il ne s'agissait que de Sébastien, ce serait bien, mais ma vie
n'a plus de sens à tous les niveaux.
Quelque chose m'a poussé
hors de l'appartement. La direction s'imposait d'elle-même, je marchais sans
savoir où j'allais, mais j'y allais avec détermination. Je suis entré dans la
Hudson Bay Center à Bloor & Yonge, j'ai trouvé un
WHSmith, je me suis dirigé instinctivement dans la section philosophie-religion,
j'ai pratiquement trouvé sans effort un livre de Richard Bach. Mes derniers
vingt dollars, alors que je ne mange rien. Nourriture de l'esprit, il me fallait
bien cela pour me maintenir en vie, puisque la bouffe ne sert à rien dans mon
cas. J'ignorais qu'il avait écrit un nouveau livre, Best-seller du New York
Times. Il faut dire que je suis vraiment déconnecté d'avec le reste du monde since I'm Running from Safety probablement davantage que Richard lui-même. Il a
peut-être fait faillite dans Un, mais aujourd'hui il a dû refaire sa fortune
avec Running from Safety.
Eh bien, j'ai engraissé sa sécurité aujourd'hui et contribué à détruire la
mienne. Il faut dire que Richard est mon guide spirituel par excellence,
inconsciemment le titre de son livre m'indiquait la route à suivre : prend
la première bouche d'égout et enfonce-toi sous la terre. Merci Richard.
J'espère que ton livre m'éclairera sur ma situation, à savoir si j'ai raison de
m'enfoncer ainsi davantage plus les jours avancent.
Alternons spiritualité et
tendresse. J'ai besoin de sécurité. J'ai besoin de quelqu'un qui me prendra
dans ses bras pour me faire oublier que Sébastien sera dans les bras d'un
autre. Je vais sortir ce soir, si j'ai le malheur de ne rencontrer personne
d'intéressant, j'ignore ce que je ferai. Ma vie est guidée par le sexe, c'est
mes parents qui le disent. Je peux me contenter en pensant à Richard qui nous
racontait ses nombreuses aventures avec des femmes à Key West, avant
d'embarquer avec sa Leslie Parrish, une actrice qui
n'est certes pas de ma génération, je n'en avais jamais entendue parler.
Oups, je crois que j'ai
déjà lu ce livre. Je me suis fait avoir, c'était écrit 1994, mais je crois que
c'est l'année de la réédition. À moins qu'il ne fasse qu'écrire la même chose
encore et encore. Quel était donc le titre français de ce livre ? Eh bien,
peut-être qu'il me fait le relire d'une lumière différente. Au stade de ma vie
où j'en suis, peut-être m'apprendra-t-il l'avenir ? Qu'est-ce que le vieux
Richard irait dire au jeune Richard pour l'aider à traverser sa vie et le
motiver à exister ? Tout ce que le vieux a à offrir est d'une négativité
étouffante : divorce, faillite, trente-six ans d'attente avant de marier
Leslie, l'amour de sa vie. Ainsi mon vieux moi dans le futur n'aurait
que de la bull shit à me communiquer ? Eh bien, il peut la garder sa bull
shit, je la connaîtrai bien assez tôt. En tout cas, mon moi actuel irait bien signifier à son jeune moi qu'il peut bien se
tirer une balle dès maintenant, sa vie des années plus tard ne signifiera pas
grand-chose. D'une dépression à une autre, d'un calvaire à l'autre, c'est ça ma
vie.
Tient, ça devient
intéressant au chapitre trois. Il parle d'un livre qu'il aurait écrit à son
jeune moi : Réponses- Quelques indices afin de vivre une vie réussie. Et
il pointe la table des matières : Famille, École, Études, Aller au
travail, Argent, Responsabilité, Obligations, Service, Prendre soin des autres.
C'est extraordinaire, c'est la première fois que je me rends vraiment
compte que je suis un vrai marginal. Là, noir sur blanc, c'est écrit les points
importants de la vie de chacun, et voilà qu'aucun ne semble me concerner. Je
suis en marge de tout, ma famille s'est envolée, l'école c'est abandonné, les
études ne m'ont pas appris grand-chose d'intérêt, je ne travaille pas, l'argent
pour moi est un concept très vague, je semble vivre sans avoir aucune
responsabilité ou obligation, le service, j'ignore ce qu'il entend par là,
l'armée peut-être, loin de moi tout cela, et faire attention aux autres, ça ne
me ressemble guère, je n'ai même pas d'amour de ma vie pour lui faire
attention. Est-ce que je pourrais vraiment stabiliser tout cela d'ici la fin de
l'année ? Ou alors c'est ça que ça signifie de fuir la sécurité ?
Sans doute il croit que je suis sur la bonne voie ?
Tout ce que vous faites
reflète sur votre famille. Avant de faire quoi que ce soit
qui pourrait les embarrasser, réfléchissez : Est-ce que ma famille sera
heureuse si je suis surpris à faire ces choses ? Oh mon Dieu, je les rendrais malheureux longtemps, moi, d'autant plus que
je n'ai pas d'amour propre, je me fous de tout. Dieu nous surveille. Le temps
viendra où il demandera : As-tu été un bon citoyen ? Dites-lui qu'au
moins vous avez essayé. Suis-je un bon
citoyen ? Non. Est-ce que j'ai essayé ? Non. Alors que puis-je
espérer en retour ? Rien. Mais je ne connais aucun autre bon citoyen,
alors… Sacrifiez-vous pour les autres, et ils seront gentils avec vous. Je
me sacrifierai pour les autres le jour où une seule personne se sacrifiera pour
moi, c'est-à-dire jamais. Je n'ai pas besoin de m'inquiéter avec ces idées
stupides parce que Richard lui-même avoue que ce n'est qu'une mass of vapid slurry, pour peu
importe ce que ces mots signifient.
Je dois admettre, toute la
journée je pensais au suicide, mais maintenant, à ma deuxième bière, je suis
fort psychologiquement. Prêt à tout confronter, prêt à sauter dans les bras du
plus beau. Du pou misérable qui ne méritait même pas la vie, me voilà
maintenant au centre du monde, antéchrist qui va tout changer des moeurs
humaines, du petit quotidien boiteux et plat du peuple. Qui suis-je ? Je
suis la conscience tourmentée du peuple, je réfléchis ici l'éternel malaise de tous. Tout mon entourage est malheureux, il n'y a
plus personne qui arrive à se comprendre, une vie pourtant si simple, je puis
la résumer un mot : néant. Comment pourrais-je être heureux dans un monde
qui ne connaît ni la joie ni la plénitude ? Car moi je crois au bien-être
absolu, pour l'avoir expérimenté à quelques occasions. Chaque fois j'étais
seul, à l'extérieur au grand air, et malheureusement, j'avais un walkman sur
les oreilles. Comme si la musique était nécessaire à un tel état. Mais en ces
temps je suis si bien, si heureux, je flotte dans les airs, j'aime toute chose,
en particulier la nature et la planète. Une vraie jouissance bien plus
passionnante que le sexe. Mais je dois avouer encore qu'il me faut être dans un
état euphorique et que souvent l'alcool facilite l'avènement de tels moments.
Parfois sur les pistes de danse, cette plénitude me parvient. Jamais il ne m'est arrivé d'entrer au Caméléon de Chicoutimi,
maintenant The Times, sans que cet état me vienne, que j'aie bu ou non. La
musique, cet étrange médium capable de te transporter vers l'ailleurs, te faire
voir d'un coup tout ce qu'il y a de positif dans ta vie. Oh oui, parfois je
suis si heureux de vivre, j'en ai des larmes qui me viennent aux yeux. Si toutes
mes journées pouvaient être ainsi ! Si j'arrêtais d'attendre après les
autres pour un quelconque bonheur qu'ils ne peuvent m'offrir, étant eux-mêmes
incapables de le trouver pour eux. Trois bières, The Smith, le voilà mon état
euphorique. Je suis le maître de l'Univers, ce soir je sors et je serai
quelqu'un qui aura quelque chose à offrir à autrui, considérant la vie tel un
jeu, où tout le monde gagne. Quand j'y pense, la dépression est si stupide, la
preuve en est que lorsque les événements se tassent et que l'on peut analyser,
le cours des événements est si logique que cela nous surprend que nous ne
l'ayons pas compris et que nous en sommes tombés malades juste à attendre la
suite. Il me faudrait vraiment faire attention, de ne pas me suicider dans un moment
de déprime trop fort, car ces temps se terminent, surtout lorsque je bois un
peu d'alcool, et alors, je regretterais peut-être d'avoir passé à l'acte.
Bien que si j'avais agi, je ne serais
plus là pour regretter, encore que, qui sait ? Oh Dieu, si la bière
n'existait pas, il faudrait l'inventer. Je suis si heureux ! Qui aurait pu
imaginer cela ? Au diable le monde entier, je ne suis peut-être rien, mais
l'important est de croire que je suis tout. Dieu sait que vous pouvez faire une
différence, et je vais faire une différence. Ce soir, Toronto m'appartient.
(Puisque je suis à Toronto, mais je n'en suis plus certain, peut-être suis-je à
New York ? Qui sait...) Je suppose que je ne puis pas cracher ainsi sur
Toronto sans me faire crucifier ensuite. Eh bien crucifiez-moi, moi j'endure
bien Mordicai Richler, vous
pouvez certainement m'endurer. Moi je suis juif, québécois et homosexuel. Tout
cela est du pareil au même. Je déraille, laissez-moi dérailler, je suis un
Juif ! Qu'est-ce que cela implique ? Je serais bien curieux de le
savoir. Je ris tout seul, c'est merveilleux. Pourtant j'aurai pleuré toute la
journée. Vive l'alcool ! Je vois tellement clairement tout à coup. Ce soir
je sortirai au Boots, je vais rencontrer quelqu'un, nous ferons l'amour. Sinon,
je vais au sauna, bon dieu, j'aurai bien
ce que je veux.
Voilà, Julian est venu
dormir chez moi, nous avons fait l'amour cette nuit pendant deux heures, ce
matin nous avons recommencé. Maintenant il est allé porter sa mère à la messe,
ils sont très catholiques chez lui, comme tous les Irlandais. Il dit que sa
mère parle beaucoup, ainsi, lorsque j'appellerai, elle me posera quantité de
questions. Alors je lui répondrai :
-Bonjour,
la nuit dernière j'ai fait l'amour avec votre fils, deux fois, c'était incroyable.
Êtes-vous arrivé à l'Église sans problème ?
Mais l'histoire de Julian est plus complexe
qu'on ne le croit. Premièrement, lorsque l'on s'est rencontré hier, il s'était
préparé une échappatoire. Il venait de terminer une journée de travail et il me
racontait qu'il devait rentrer travailler vers les 23 heures pour quelques
heures supplémentaires à quinze dollars de l'heure. Croyez bien que je ne l'ai
pas cru, mais je me suis tait, car sans doute voulait-il me connaître un peu
avant d'aller au lit. Alors nous avons bien parlé, bien ri, et il m'a lancé comme
cela que c'était rafraîchissant de rencontrer quelqu'un d'intelligent. Eh bien,
si ça ne lui prend qu'une petite conversation politique pour affirmer que les
gens sont intelligents, je n'aurais pas manqué mon coup. Puis soudainement il
regrettait un peu d'aller travailler. D'autant plus qu'il allait me perdre, car
moi j'allais sortir et rencontrer quelqu'un d'autre. Alors après plusieurs
téléphones à son travail, une femme supposément n'aurait pas rappelé son
service pour confirmer qu'il travaillait, ainsi il n'y allait plus. Alors je
l'invite à venir chez moi, il accepte, mais il veut que l'on se rende chez ses
amis avant. Alors il commence son discours sur la drogue, est-ce que j'avais
quelque chose contre le pot.
-Eh bien, oui, non, j'ai
déjà essayé, mais... tu sais...
-Bien,
j'avais peur que tu veuilles partir à courir.
Alors j'avais tout compris. Il voulait
probablement aller fumer du pot avec ses amis, voilà pourquoi il ne pouvait
plus me rencontrer. Puis, changeant d'avis, de peur de me perdre, il m'invite
chez ses amis. Un grand risque, mais somme toute, valait mieux que je le sache
qu'il fumait couramment du pot, ça ne se cache pas ce genre de chose, surtout
dans une relation. Alors, je me suis retrouvé dans un salon, avec quatre autres
gars dont trois m'auraient fait l'amour là sur ma chaise. Le quatrième était
trop saoul ou gelé. Les deux plus vieux, de vraies queens. L'autre jeune, un
vrai petit AC-DC en puissance, un petit Voïvod-Métallica heureux de respirer. Un peu gros avec ses
cheveux longs, mais attirant sexuellement, avec ses yeux insistants. Nous avons
donc fumé un joint. Aujourd'hui je prends la décision nécessaire de ne plus
jamais prendre de drogues. Mon système ne le supporte pas. Une cigarette me
fait déjà tellement d'effet, le joint m'a carrément gelé bien dur. Pendant une
heure je luttais pour ne pas perdre connaissance. En marchant pour revenir, il
y a de longues secondes où j'ai dormi en marchant. Cela ne m'est jamais arrivé
avant. J'ai tout de même invité Julian à venir, lui disant que je ne lui
garantissais pas que nous allions faire l'amour. Mais j'avais tant besoin qu'il
me prenne dans ses bras, puis j'ai bandé très rapidement. La drogue me rendait
incontrôlable dans le salon. Mes mains tremblaient, je n'en avais pas la
conscience. Je savais que je devais m'abstenir de prendre ma tasse de café,
j'aurais tout tiré par terre. J'étais incapable de terminer une phrase, ça ne
faisait aucun sens, en plus, lorsque quelqu'un me parlait, j'oubliais le sujet
de la conversation qui avait pourtant été mentionné trente secondes avant. Rien
de pire que de parler avec quelqu'un alors que tu as envie de t'effondrer et
que tu es incapable de suivre une phrase. Enfin, il fallait voir la tête de
Julian lorsqu'il a vu le livre écrasé qui tient la fenêtre ouverte : La
Sainte Bible. Je me suis défendu comme j'ai pu :
-Il faut bien que ça serve
à quelque chose.
-Fais attention pour que
le livre ne tombe pas en bas des quatre étages !
-Ah oui, je ferai un
effort pour le tirer en bas en relevant la fenêtre, qu'il repose dans la boue
quelques millénaires encore, peut-être que lorsqu'on la redécouvrira on sera
mieux positionné pour en ressortir seulement un message d'amour, et non de haine
prêt à justifier toutes les guerres saintes du monde. Car, soyons sérieux,
jamais une guerre ne sera sainte. C'est une insulte au monde sacré que
d'appeler sainte une guerre quelle qu'elle soit.
Je viens de téléphoner
chez Sébastien, Richard se fait plaisir, à tenter de me faire capoter :
-Sébastien est sorti avec
un de ses amis et il n'est pas rentré de la nuit.
Il sait très bien que
l'impact sur moi est toujours effrayant. Peut-être que son message est plus
clair que je ne le pense :
-Oublie ton esti de Sébastien, tu ne vois pas qu'il ne veut plus rien
savoir de toi ?
Mais que veux-tu. Lorsque
je couche avec un autre, le lendemain je me sens terriblement coupable, je me
dégoûte moi-même. Comme si c'est avec Sébastien que je devrais être, comme si
en fait je perdais mon temps avec ces aventures sans avenir. Si Sébastien a
couché avec son Marc, non, je veux dire, j'espère que ce matin, après avoir
fait l'amour avec son Marc, Sébastien s'est rendu compte comme moi que l'on
perd notre temps loin l'un de l'autre. Deux possibilités : qu'il ne se
réveille jamais, m'oublie complètement, rencontre quelqu'un d'autre ou
plusieurs autres qui le contenteront. Ou alors il se réveillera, comprendra que
c'est avec moi qu'il renouvellera un nouveau contrat de quatre ans, et il me
reviendra, m'invitant à demeurer avec lui. Or, c'est cinquante pour cent des
chances qu'il me revienne, en plus d'un autre facteur, le temps. Parce que s'il
prend six mois pour se réveiller à ce choix, il sera trop tard. Le temps, le
temps, le temps. Il n'influerait pas grand-chose si je n'avais pas l'intention,
comme Richard Bach, de fuir lorsque je vois que je n'ai pas ce que je veux. Au
moins, si je pouvais fuir en avion, ce serait toute qu'une aventure. Fuir en
autocar, ça limite mes horizons.
Alors, qu'est-ce que j'ai
appris hier ? J'ai certainement appris quelque chose ? Que je suis
intelligent, que je suis très beau (et je sais aussi que ça ne suffit pas
toujours à obtenir tout ce que je veux). Ensuite, la drogue me fige complètement,
chimie incompatible avec moi. Eh bien, je connais maintenant Nelson, Greg,
Kevin, un autre gars et Julian. Si je sors, il me sera plus simple de ne pas
être seul. Encore que, quel avantage ? D'autant plus que je n'ai pas envie
de sauter de ma petite vie instable avec Sébastien à une vie d'enfer dans la
drogue et l'alcool à satiété. Bref, je revois Julian demain. Peut-être que
c'est à moyen terme qu'il m'apportera quelque chose de concret. Je n'ai pas
envie de sortir ce soir, mais il faudrait que je sorte, pour rencontrer l'amour
de ma vie, juste au cas où. Peut-être réussirais-je enfin à rencontrer
quelqu'un qui vraiment changera ma vie ? Je ne suis tout de même pas juste
venu à Toronto pour apporter une cassette démo des chansons de Sébastien, pour
que son petit Christ d'agent l'écoute jusqu'à quatre heures du matin le
lendemain, pour l'appeler vers ces heures pour lui crier combien Heaven Inside est une chanson qui
pourrait l'emmener très loin. Son premier critique professionnel : c'est
génial ! Moi je parle toujours dans le beurre, j'espère que ce petit
christ d'agent qui a pris ma place la fera sa job et qu'il lui trouvera des
dates de concert et motivera Sébastien à pratiquer. Ce sera très difficile, je
me demande ce qu'il pourra lui inventer. Moi je ne puis plus parler, j'ai
tellement insister dans le passé que Sébastien ne veut plus rien entendre. Heaven Inside pourrait l'emmener
loin. Je l'espère, d'autant plus que cette chanson mi-négative mi-positive
m'est adressée et que j'en ai même composé quelques lignes. Alors c'est en
partie mon bébé. Et sans moi, cette chanson n'aurait jamais existée. Un jour
Sébastien me remerciera peut-être de lui avoir permis d'obtenir tout ce qu'il
voulait. Car pour lui la matérialité, le bien-être absolu, la reconnaissance
artistique, tout cela est primordial. Ce n'est pas avec son petit emploi de 9 à
5 qu'il arrivera à ces fins. Nous sommes bien différents. Moi je me fous de
tout, je veux juste être heureux à l'instant présent. Le lendemain n'a jamais
existé, n'existera jamais. Peut-être que je devrais me pencher sur la situation
et voir la logique des événements. Sébastien semble heureux sans moi. Si on
regarde sa vie du point de vue de sa réussite en musique, peut-être n'a-t-il
plus rien à attendre de moi. J'ai peut-être apporté le maximum que je pouvais,
l'ai conduit là où il devait aller, l'ai emporter tout cuit dans le bec à cet
agent avec qui il couche. J'étais une sorte d'agent non professionnel, il lui
en fallait maintenant un vrai qui lui ouvrirait plus de portes que la Maison
des Étudiants Canadiens à Paris et deux autres bars parisiens dont il a refusé
les dates par manque de confiance ou de pratique ou je ne sais quoi. De ce
point de vue, je suis d'accord que je lui ai apporté le maximum et que ce n'est
peut-être plus de mon ressort maintenant. Un couple gagnant en agent et
musicien, c'est peut-être comme Céline Dion et son agent René, il faut coucher
ensemble et se marier, ainsi on va loin. Je serai donc un obstacle à la
carrière de Sébastien, son agent sera moins enclin à l'aider si je suis dans le
décor et que je l'empêche de sucer la bite de mon bébé. La tabarnack !
Pardon. Ainsi la sagesse m'indiquerait la route de Montréal. Mais considérant
la vie selon un autre point de vue, si on oubli la musique, puisque Sébastien
semble s'en foutre complètement et que s'il réussit ce sera sans nul doute à
cause des autres qui l'ont poussé étape par étape, alors je ne vois pas comment
je puis être un obstacle à quoi que ce soit. Sinon que Sébastien rencontrera
peut-être des gens qui lui apprendront des choses essentielles à sa vie et que
moi je ne pouvais lui apporter. Mais Sébastien n'a jamais partagé ma
philosophie, tout au plus ce pourrait être inconscient dans sa tête : je
veux rencontrer du monde, je veux coucher avec du monde, je veux voir autre
chose. Ce qui revient à ma philosophie : je veux évoluer, je veux
apprendre davantage, être initié à de nouvelles choses pour mieux comprendre
l'univers qui m'entoure. Autres enseignements, autres mots. Ce qui en effraie
plus d'un. Mais heureusement je n'en suis pas au : Jésus-Christ, je veux
l'atteindre, entrer en communication avec lui à travers la multitude de
rencontres que je fais chaque jour. Dieu, je veux le transpercer de mon âme à
travers l'amour que je dégage autour de moi chaque jour. Même chose, mots
différents. Ou encore : je veux coucher avec la planète entière, me
vautrer dans le sexe par-dessus la tête, découvrir les affres des bas-fonds. Mêmes idées, mots différents.
La musique, il n'y a que
cela qui existe, il n'y a que cela pour me garder en vie. Au moins on a la
musique. Ma motivation à continuer, là où je puise toute mon énergie. Si
j'avais pu être composer de la musique et les mots, chanter comme Sébastien le
fait, j'aurais réalisé mon seul et unique rêve. Avec la détermination que
j'avais, je serais quelque part aujourd'hui, car la musique c'est concret. Tu
t'assois, tu l'écoutes, tu es conquis. J'ai travaillé ces dernières années à la
réalisation de ces rêves avec Sébastien.
J'aurais tant souhaité pouvoir chanter, mais il ne voulait pas. J'ai
composé des mots, il n'en gardait que très peu. Mais j'étais là à toutes les
étapes, soutient moral et tyran qui l'obligeais au
travail. C'était peut-être un peu mesquin de ma part de l'obliger ainsi, le
pousser à réaliser mes rêves comme il dit. Et maintenant qu'il en serait à
l'étape de faire déboucher les quinze chansons, il me balaie de la carte. Ainsi
il va réaliser mes rêves sans moi, et peut-être même que sans moi il ne
réalisera rien de ces rêves. Sauf si l'agent, motivé par l'argent et le cul, et
non par la venue au monde d'une création concrète qui sera un catalyseur pour
toute une créativité future, reprend où j'ai laissé. Et il est probable que
l'accomplissement d'un enregistrement professionnel de tout cela me sera
insupportable à entendre. Trop de souffrances entreront en ligne de compte.
J'ai toujours parlé comme si sa carrière en musique était concrète et sur le
point d'exister pour vrai. Lui il n'a jamais considéré cela comme possible.
J'ai pu le maintenir pendant un temps, mais à Londres il a tout lâché. Nous y
allions surtout pour cela, c'était tout
de même concret comme motivation, ça influait sur nos grandes décisions. De
même, n'est-il pas venu à Paris pour ce fameux concert, le seul que j'aurai réussi
à lui arracher ? Je peux être fier de moi, au moins il a offert à quelques
oreilles néophytes dont Anne Hébert, ses treize ou quinze chansons au piano
dans une atmosphère de salon de thé à l'anglaise. Une réussite, une salle
pleine (bien que l'on ait eux peur à un moment donné qu'elle demeure vide).
Musique éphémère, c'est parti dans les Alpes, mais ça a existé. Comme les
pièces de théâtre d'Antonin Artaud, dont personne aujourd'hui est capable d'expliquer de façon claire ce qu'il a vu de ce
théâtre révolutionnaire. L'idée d'aller loin dans la musique a déjà été bien
plus concrète, au point d'influencer des décisions radicales qui remettent
toute une vie en question, la mienne et celle de Sébastien. Il a toujours bien
eu une certaine volonté à un moment donné, un désir de réussir. Poussé par moi
pour acheter les machines, il s'est même fait une cassette démo rudimentaire
qui peut toutefois les ouvrir les portes. Travail nécessaire que Sébastien n'a
jamais considéré comme très utile. Il avance dans la vie en aveugle, les
événements pour lui arrivent comme des coïncidences alors que c'est comme ma
sœur qui rencontre son copain qui lui offre un emploi d'ingénieur mécanique du
jour au lendemain dans une région où il n'existe aucun emploi. Sébastien semble
trouver la voie de sa destinée sans trop s'en rendre compte. Peut-être que la
mienne aussi c'est le temps qu'elle avance d'un bon grand bon. Je ne pourrai
pas toujours demeurer entre ciel et terre. Peut-être que c'est à Montréal que
tout débouchera. À moins que Raymond soit celui qui, à Toronto, m'ouvrira
certaines portes, celles de la traduction. Une vie qui ne me déplairait pas.
Vaut mieux traduire d'insipides textes de lois que de faire des clubs sandwichs
et des pizzas pour toute une civilisation.
Je n'ai jamais lu ce livre
de Richard Bach finalement. Ça me semble une sorte d'analogie en rapport à ce
qui se passe dans sa tête, c'est peut-être même connu des psychiatres ou
psychanalystes. Il s'agit de s'inventer un enfant imaginaire, un moi du passé,
qui vient nous bien faire comprendre l'enfer que l'on a vécu étant enfant. Une
période que l'on a toujours tendance à mépriser parce qu'elle deux fois plutôt
qu'une elle est d'une noirceur à mourir. Je suppose qu'à la fin il en
ressortira transformé, un autre homme, qui, ayant compris ses origines, pourra
enfin devenir sensible, avoir un cœur. Car si l'on a pu traverser une vie sans
vraiment être sensible à la personne que l'on aime à moitié, avec un enfant par
contre, on n'a pas le choix. Il faut s'investir à chaque minute, car une minute
d'inattention et il te revient pour te le reprocher avec une innocence
désarmante. Richard n'a pas d'enfant, il s'en est inventé un. Un enfant
n'aurait pu lui en apprendre autant que si en fait il est un lui-même plus
jeune. L'idée est bonne, mais j'ai bien hâte de voir où il va en venir et ce
qu'il va vraiment apprendre. Soixante-douze pages et on dirait que l'avion n'a
pas encore décollé.
Sébastien n'est pas encore
revenu chez lui. Ma seule motivation, puisqu'il est maintenant quatre heures,
c'est que comme dimanche passé (ou était-ce samedi ?) il est demeuré toute
la journée à jouer au piano chez son ami Marc. Au moins s'il pratique le piano,
c'est une bonne chose. S'il est sorti seul et qu'il est avec quelqu'un d'autre,
je ne veux pas le savoir. Je suis à bout, je n'ai plus rien à faire ici.
Mercredi je pack mes petits et je décrisse. Je ne
vais pas passer ma vie à attendre un téléphone d'un homme qui m'ignore
complètement et qui refuse de me voir. Si c'est pas
obligation qu'il vient prendre un café avec moi, ça ne vaut vraiment pas la
peine de demeurer des amis. C'est vrai qu'en tant qu'ami je lui en exige
beaucoup. J'insiste pour l'emmener chez moi, je lui reproche mille et une
choses, même à travers mon silence, et puis je voudrais qu'il me voit tous les jours, qu'il m'appelle sans cesse. Je ne crois
pas être plus con qu'un autre, tout le monde, je suppose dans une situation de
séparation en viennent au même point. Jusqu'à qu'ils envoient tout le monde
promener et qu'ils reprennent leur vie en main. Pourrir ici ou pourrir
ailleurs, au moins je n'attendrai plus ces coups de fil qui ne viennent jamais.
Il ne m'a pas appelé une seule fois depuis que je suis arrivé à Toronto. Une
seule fois au Saint-Léonard hôtel. La veille j'étais sorti et il voulait tout
savoir. C'était justement le lendemain qu'il ait passé une journée complète
avec son amour de Marc. Ma vie doit bouger, pour l'amour de Dieu ! Je ne
vois pas comment cela pourrait arriver à Toronto. Peu importe qui je rencontre,
on ne parle pas le même langage.
Eh bien, quel bonheur. Il
me reste deux dollars cinquante, des cinq dollars que j'ai échangés pour des
jetons de métro à Julian. Hier je dépensais mon dernier dollar pour acheter un
thé Earl Grey au Second Cup.
J'ai mangé un muffin et j'ai bu un café, je devrai me contenter de cela pour
aujourd'hui. N'ai-je vraiment aucune notion de l'argent, ou alors tout cela est
normal ?
Comme c'est drôle. Je vois
ma destinée se dessiner à la minute où j'ai décidé de demeure à Toronto. J'ai
téléphoné la compagnie pour laquelle je travaillais à Ottawa avant de partir
pour l'Europe, ils ont un bureau à Toronto et ils ont un emploi plein temps de
nuit pour moi. J'ai envoyé illico mon Curriculum Vitae, j'attends des
nouvelles. Il est impensable que je n'aie pas l'emploi, c'est bien trop logique
que je l'aurai. En plus, il faut que je commence maintenant, genre peut-être
même ce soir. C'est toujours ainsi. Quelques événements se sont placés, j'ai
pris ma décision de rester, j'ai appelé mon ex-employeur au bon moment. Voilà.
Je reviens d'en bas, Mary
m'a appelé. Mon Dieu, j'espère que c'est pour me dire que j'ai l'emploi et
qu'elle veut me rencontrer ! J'en suis sûr. En plus c'est un emploi
tellement intéressant et tellement motivant, que je ne me vois pas en train de
faire autre chose. Il faut que je rappelle dans dix minutes. La fille au
téléphone me semble tellement gentille ! Je suis convaincu que je vais
retrouver la même atmosphère incroyable qu'à Ottawa. Peut-être même mieux. Et j'aurai
moins de compétition car je serai probablement un des seuls francophones à
travailler à Toronto. Je me souviens, ils m'envoyaient souvent du travail faute
de personnel compétent. Je ne tiens plus par terre.
Voilà, j'ai l'entrevue
demain matin neuf heures. C'est à
J'ai trois entrevues
demain. Si je ne décroche pas un emploi, il ne me reste plus qu'à me tirer en
bas de la tour du CN afin d'attirer l'attention de tout Toronto. Viarge, je suis bilingue, j'ai un diplôme universitaire, je
ne suis pas si cruche que cela, je pense l'avoir amplement prouvé dans ma vie,
comment pourrais-je être incapable de trouver de l'emploi ? J'ai vu des
conasses aujourd'hui dans des bureaux, je me demande comment elles ont eu leur
emploi. Je suppose qu'elle se sente en pleine confiance et sécurité parce
qu'elles travaillent là depuis quelques années. Au gouvernement, c'est rempli
de poches et trous de cul incapables de faire un mouvement sans alerter la
planète au complet. S'il faut que je saute là-dedans, ça va faire mal. Donc, la
première entrevue à Scarborough, la deuxième Central Toronto, la troisième
Mississauga. Un véritable petit voyage explorateur des environs. J'en
profiterai pour faire du touriste. Et me passionner pour les systèmes de
transport en commun TTC, subway, buses, streetcars, etc.
Ce soir, j'espère que
Julian ne me flushera pas comme d'habitude, ce serait
sa troisième tentative, dont la deuxième a fonctionné. S'il a le malheur de me flusher ce soir, moi je ne lui garantis plus rien et je
trouverai quelqu'un d'autre ce week-end. La grosse salope entre autres, Jonas.
Mon Dieu, que faire, il n'est que 3h25. Je ne puis plus attendre de voir
Julian, non plus que d'aller à ma première entrevue. Je devrais aller me balader
dehors, assommer une passante pour voir ce qui adviendrait. Jusqu'où cela
pourrait-il m'emmener ? En prison, j'en suis sûr. C'est drôle que l'on
peut vendre de la drogue, consommer, mourir intoxiqué, se prostituer, payer des
politiciens, acheter des policiers, contourner la loi pour extorquer le plus
d'argent des gouvernements, fausser nos rapports d'impôts, faire tout cela sans
problème. Mais assommer une passante, ma vie serait foutue. Police, quelques
heures ou quelques jours de prison, casier judiciaire criminel, vie
hypothéquée. Me verriez-vous en entrevue affirmer pourquoi j'ai un dossier
judiciaire ? J'ai assommé une passante pour le plaisir de voir où cela m'emmènerait.
Mais c'est toujours mieux que de dire : j'ai un casier judiciaire criminel
car je me trouvais dans un bar de danseurs nus homosexuels lors d'une descente
de police. C'est arrivé au Remington la semaine passée. Heureusement que Gaby,
l'ami de Sébastien, ne m'avait pas emmené là le fameux soir. Encore heureux
qu'au Bijoux, lors de mon deux minutes sur place, les Squads
ne sont pas débarqués en vrac par les égouts.
Certainement le pire de
mes mois de mars des cinq dernières années. C'est terrible, à chaque année je
m'enfonce davantage que l'année d'avant. Pourtant chaque année je vis des
choses encore bien plus passionnantes, je me retrouve partout où je n'aurais
même pas osé espérer me retrouver. Mais le mois de mars est une étape
nécessaire. Je suppose que plus il est insupportable, plus fort je vivrai
l'année qui commence durant le mois d'avril ou un peu après. J'écoute Portishead, la femme qui chante semble tellement
malheureuse. Elle va m'entraîner avec elle dans son gouffre. Je n'en peux plus
d'espérer retourner avec Sébastien alors que je comprends que ça n'arrivera
jamais. En plus, voyez ce que je peux vivre de passion et d'affection avec une
nouvelle personne, alors qu'avec Sébastien je n'ai droit qu'à un lot de
lamentations, de reproches et de repoussements. Maintenant, si je repars pour
Montréal, qu'il regrette ou non mon départ, cela ne me concerne plus. Peut-être
me fallait-il ce vain dernier espoir avec cet emploi que je n'aurai pas et que
j'aurais tant voulu pour m'ouvrir les yeux. J'avais beau dire qu'il serait
mieux ne pas retourner avec Sébastien, je ne l'acceptais pas dans ma tête.
Maintenant ça commence à s'éclaircir. Eh puis j'en ai assez de vivre au dollar
près. Depuis que je suis ici je mange des arachides au BBQ et je prends l'eau
du robinet. Je n'ai plus l'argent pour mes cafés. Mes derniers dix dollars me serviront
à acheter cinq jetons de métro cet après-midi. C'est terrible, je ne pourrai
même plus me déplacer dans la ville. À qui demander de l'argent ? Mon
père, c'est impossible, je ne peux lui en demander plus. Sébastien non plus, d'autant plus que je lui
dois déjà dix dollars. Si je demande de l'argent à Charlotte, elle m'obligera à
déménager chez elle. Quant à Raymond, je ne peux pas abuser de lui non plus, il
me paie déjà tellement de restaurant. Mais il me faudra faire quelque chose à
un moment donné, si j'ai une entrevue demain, j'espère que c'est dans le
centre-ville et que je peux marcher. On dirait qu'il me faut comprendre le
message. Je ne devrais pas renouveler pour une semaine. J'ai l'argent pour
payer, mais pas pour survivre. Je suis désespéré. Je dois pourtant demeurer ici
jusqu'à lundi, où on m'annoncera si j'aurai l'emploi. C'est tellement stupide
l'orgueil humain, le patron, Hernie (c'est pas le nom d'une maladie ça ?),
sait très bien qu'il ne me prendra pas.
Pourquoi ne pas me le dire immédiatement ? Son orgueil me coûtera cher en
temps, en argent, en gargouillements d'estomac, en lutte pour ne pas ronfler
lors de mes entrevues faute de café. J'ignore pourquoi l'eau nous vient par
tuyaux dans chaque maison alors que le café nous vient dans des machines qu'il
faut préparer. Bon Dieu ! Ne
savent-ils pas que le café c'est universel, que tout le monde est
intoxiqué et qu'il nous en faut quelques tasses chaque jour ? Pourquoi on
n'a pas encore installé les cafés courants, qui te viennent directement par
tuyaux jusque dans ta chambre ? Ça devrait être gratuit, ou on devrait
augmenter les taxes pour ça. C'est juste de l'eau de toute manière, avec
quelques grains moulus.
Ô God !
Help me ! Je m'enfonce, je m'enlise, je me noie, blup,
bloup, blp... solution, je
veux des solutions à mes problèmes ! La vie est un jeu, mais je le prends
trop au sérieux. Mais comment faire autrement dans le contexte. Je suis mauvais
joueur de me laisser ainsi abattre. Ma misère n'en a jamais été une, car je m'y
complais. En fait, je fais tout pour me mettre dans ces situations. Sans quoi
je ne serais jamais sorti de chez moi. J'aurais pu faire comme beaucoup, étudier
à Chicoutimi ou Montréal. Ç'aurait été une vie simple, depuis le temps j'aurais
un emploi stable, sinon l'aide sociale. Mais moi je suis perdu partout sauf où
je devrais être. Je suis à la limite d'avoir le droit à quoi que ce soit. J'ai
terriblement mal à une cheville dans le moment, ça dure depuis deux semaines et
je peux sentir que quelque chose comme un tendon est décollé. Je n'ose pas
aller à l'hôpital, ma carte d'assurance-maladie ne doit pas être transférable.
Si oui, il faudra que je paye sur-le-champ et le Québec me repaiera peut-être
la moitié l'an prochain, si jamais je fais une déclaration de revenu, je
suppose. Ou du moins, je n'y connais rien et je n'ai pas la possibilité de
prendre aucun risque.
Merde, je vais marcher
pour aller à ma seconde entrevue, c'est au moins à trois kilomètres d'ici,
peut-être quatre. M'en fous si je sens la transpiration à cent mille. Que
vais-je faire ? Il y aura encore des tests à passer, une heure à téter sur
un programme qui va vérifier si je suis capable de faire fonctionner Word Perfect 6.0 ou MS WORD 6.0. Alors que, bien
entendu, je ne connais pas toutes les fonctions, et je n'ai droit qu'à une
seule chance. Si je clique au mauvais endroit la première fois, c'est foutu. En
plus, ils veulent savoir si je connais les raccourcis. Mes raccourcis sont différents
des leurs pour le même programme et la même version (du français à l'anglais).
Encore heureux que je ne sois pas en Europe, même leur clavier les lettres sont
à des places différentes. Et puis il y aura sans doute un test de frappe, pour
voir à combien de mots par minutes je peux leur crier mes déboires. Ces genres
de tests me bloquent tout à fait. Je tape très vite, mais sans méthode. Il me
faut regarder le clavier. Alors retranscrire un texte en anglais, ce n'est pas
évident. En plus, j'ai avec moi les disques pour WP 6.0 et
MSWORD 6.0. Je n'ai malheureusement pas suffisamment de mémoire sur mon
ordinateur pour les installer et me familiariser avec. Est-ce que tout le monde
qui se cherche un emploi à l'heure actuelle passe à travers les mêmes étapes et
découragement que moi ? Maintenant, pour une simple secrétaire, ils
exigent la connaissance informatique de programmes tels que Excel, Corel Draw, Lotus 1,2,3, Quad Pro, Unix, et quoi encore. Qu'est-ce que ça mange en
hiver ces affaires-là ? Y a-t-il vraiment tout plein de monde sur le
marché du travail qui connaissent tous ces programmes ? Combien d'années
ont-ils sacrifié à ce savoir insipide qui leur offrira un salaire de
misère ? Il faut vouloir en maudit, je vous jure. Eh bien, il faut que
j'aille à ma seconde entrevue. Il y a encore de l'espoir, j'ai tout de même
deux autres entrevues.
Où suis-je ? À
Toronto. Plus pour longtemps peut-être. Ce n'est plus le cœur qui parle, c'est
la tête. C'est aussi davantage plus lourd à porter. Comme notre vie est remplie
de hasards qui n'en sont pas, pour ceux qui cherche la vérité ou la simple
poursuite de leur destinée. Supposé rencontrer Julian ce soir, incapable de le
joindre à l'heure prévue, l'instant d'une minute je regarde par la fenêtre. Qui
vois-je défiler ? Raymond, mon demi-oncle que je
considère comme mon oncle, de toute manière je n'ai jamais été aussi près d'un
de mes vrais oncles que lui. La preuve, lui il m'a très bien compris.
Aujourd'hui, après ma journée d'enfer à Toronto où j'ai dû porter sur ma
conscience le café et le muffin aux bleuets que je m'étais payé, j'ai constaté
presque 900 dollars dans mon compte de banque. Retour d'impôts d'Inland Revenue, cadeau de l'Angleterre. Le pire, je ne pouvais
autant penser à Londres qu'aujourd'hui, car malgré la pluie venteuse de cet
après-midi et la tempête de neige ce soir, ce matin c'était la première vraie journée de printemps. Il a
fait 12 degrés Celsius et ça m'a transporté dans mes souvenirs d'Europe. Ce
soir, oubliant Julian, qui de toute manière a annulé notre rencontre, je me
suis retrouvé avec Raymond qui m'a dit, au-delà de tous mes désirs
secrets : « Pars, vas-y ! Ta vie n'est pas ici, tu es venu
constater que Sébastien ne t'aimait plus, tu seras malheureux à Toronto. Tu as
déjà perdu ton inspiration, l'Europe c'est tellement riche. Tu peux y rester
plus qu'un an, Dieu seul sait tout ce qui peut arriver pendant ce
temps ! » Et c'est tellement vrai. Il va même me payer ma dernière semaine
d'hôtel, il me conseille d'appeler Londres demain matin pour confirmer si j'ai
mon emploi à l'aéroport d'Heathrow. C'est là que je vais atterrir en plus, ça
ferait changement de Charles-de-Gaulle. Mais comment peut-il vois aussi creux
en moi, ce Raymond ? Il me lance comme ça que ce serait maintenant mon
Londres à moi, et non celui où j'étais avec Sébastien et où je m'empêchais de
vivre en plus de souffrir. C'est tellement vrai. Sans compter qu'à demeurer à
Toronto, sans cesse en contact avec Sébastien, au risque de le rencontrer dans
les bars chaque semaine, peut-on imaginer pire torture ? J'aimerais
pouvoir apprécier pleinement l'idée de partir pour Londres. Mais je suis
tellement à bout de tout, tellement fatigué mort, que
ce soir je vais aller me coucher. La nuit porte conseil. C'est le cœur qui
dirige, mais c'est la tête qui transige. Et la tête, elle est brûlée
complètement. N'est-ce pas ironique que je prendrai ma décision de partir le
jour où l'on m'offrira un emploi ? Mais ce ne sont que des pacotilles. Rien
ne me retient ici, pas même le beau Julian. J'ai déjà fait pire, allons,
courage. Un coup installé à Londres, la vie sera différente. Les grandes
décisions, je sais bien que je finis toujours par les prendre. D'habitude c'est
difficile, car tous sont contre moi. Soudainement j'ai un allié inespéré, qui
se charge d'expliquer ma folie à mes parents. Mais hélas, il est aussi fou que
moi, et ils le savent trop bien. Je sais que je prendrai la décision de partir.
C'était la seule logique possible à toute ma vie, mais j'osais à peine me
l'avouer, tentant de trouver une certaine logique dans ma vie à Toronto, mais
constatant jour après jour que cela ne faisait pas de sens pour moi, en plus,
ma logique chaque jour changeait, rien ne fonctionne ici. J'attendais quelque
chose, j'ignorais quoi, je faisais passer le temps. Maintenant je sais,
j'attendais mon retour d'impôts du Royaume-Uni pour m'envoler sur les ailes de
British Airways. Mais il faut que j'aie tout de même l'impression d'être libre
de prendre mes décisions, même si dans le fond je n'ai pas le choix. Je
prendrais quelques jours pour réfléchir, me casser la tête, paniquer, me ronger
les ongles et enfin partir. Peu importe ce que je vivrai là-bas, ce ne sera pas
plus pire que ce que j'ai vécu ici. Rencontrer l'équivalent ou mieux que
Julian, c'est bien certain que c'est possible. La question qui demeure est la
suivante : est-ce qu'il me faut retourner à Londres pour apprendre
davantage, ou alors est-ce qu'il me faut retourner à Londres pour apprendre ce
que je n'ai pas su apprendre alors que j'y étais la première fois ? Alors,
comment faire pour apprendre cette fois ? Tout me tombera du ciel, bien
entendu. La première fois le contexte, ma vie partagée avec Sébastien, ne me
permettait pas l'aventure, je n'ai pas connu la vie des Londoniens, nous
n'avions que Martin. Maintenant je vais m'enfoncer pour vrai, je ne manquerai
plus la soirée d'anniversaire de ma jeune Japonaise. Je pars cependant sans mes
numéros de téléphone. Alors ce sera un renouveau absolu. Je parle comme si ma
décision était déjà prise. Réfléchissons... regretterais-je de ne pas être
parti ? D'autant plus si je récolte un emploi minable et misérable ?
Mets-en ! Alors la question est répondue. Mais il me faut tout de même
l'impression d'être libre, la nuit portera conseil.
C'est fascinant comment
quelqu'un qui n'a plus un dollar pendant des semaines, arrive à trouver une
autre 2000 $ pour partir (je vais vendre mon imprimante). Mais j'ai bien
réfléchi. C'est drôle, j'étais dans la rue et soudainement j'avais vraiment
l'impression que je pouvais partir. Ça m'a fait voir Toronto d'une façon
différente. Tout à coup je me suis mis à aimer Toronto non pas comme une ville
où je me retrouve par obligation, à défaut d'avoir mieux, mais plutôt la grande
ville canadienne par excellence. Je suis canadien et fier de l'être. Alors
pourquoi n'être à l'aise qu'à l'extérieur du pays ? Puis pourquoi aller se
perdre loin de notre famille, dans le fond de l'Europe ? Ah mais ça n'est
pas un argument, car Toronto est encore plus loin que Londres, question temps
(avion contre train et autobus). Enfin, j'ai tout de même téléphoné Anita, la
femme du personnel à l'aéroport d'Heathrow, en plus elle m'annonce qu'ils ont
fait une série de mises à pied. Mais elle va parler avec M. Hervey
pour voir s'il me reveut. Je dois la rappeler dans quatre jours. Bon Dieu,
encore une décision qui se prendra trois jours avant le départ. À moins que je
décide de partir même si on ne me garanti pas de travail à Londres ? Quel
enfer m'attendrait ? Car ça m'a pris bien du temps avant de trouver cet
emploi à Londres l'an passé, et regardez à Toronto, trois semaines de
recherches intensives dans le feu. Peut-être bien que j'ai mangé trop de
misère, peut-être bien que j'ai des choses à vivre à Toronto, même si
j'hypothèque toute chance de retourner à Londres un jour. Peut-être que je
voudrais une certaine stabilité pour une fois. Définitivement, si on ne m'offre
aucun emploi d'ici mercredi prochain, je pars, mais autrement, mon Dieu que le
choix sera difficile. En attendant, il ne me reste plus qu'à vivre au
quotidien. Je vois Julian cet après-midi. Ce qui me rends heureux. Si j'obtiens
l'emploi à 22,000 $ par année, je le prends. Mais s'il faut que je compare
avec une vie londonienne, avec des amis londoniens, ma vie sera bien plus
passionnante. Pourquoi, mais alors franchement, pourquoi faut-il que ma vie
soit toujours aussi compliquée ?
Toute l'avant-midi j'ai
sommeillé sur mon lit, à regarder le plafond de ma chambre d'hôtel. C'est
devenu mon sport favori. Ce matin, mon mal s'est amplifié, mon terrible
sentiment de culpabilité me prend au cœur, m'empêche de respirer, me tue.
Londres me ramène en quelque sorte l'enfer que j'y ai vécu, ces journées où je
me tordais du mal d'avoir abandonné mes études. C'est stupide, on a implanté en
moi cette nécessité de réussir ma vie, de poursuivre de grandes études, et j'ai
tout raté, tout abandonné. Il ne me reste que ce terrible sentiment de
culpabilité, de médiocrité incurable. Tout est probablement la faute de mon
père, son influence si grande sur ma personne alors que tout agit dans
l'inconscient. Je divague entre Toronto, Montréal, Londres, je rêve d'habiter
Paris et New York, puis tout s'effondre. Il n'y a plus rien pour me motiver, ni
même Londres où j'ai peur d'y retrouver ce mal étrange qui m'accable.
Heureusement que je suis encore jeune, ce sentiment me tuerais, crise cardiaque
assurée, c'est trop fort. Ils sont tous morts du cœur dans ma famille du côté
des Côté. Quel est le but de vivre dans ces conditions ? Tout le monde vit
sa vie, est malheureux à vivre sa vie. On m'apprécie peut-être, pas
suffisamment pour regretter mon absence. De toute manière je n'en ai plus rien
à foutre. La mort ça ne veut plus rien dire. Tout le monde meurt, c'est la simple
logique de toute vie. La vie n'est qu'une mort lente ou rapide. J'habite la rue
Isabella à Toronto. C'est sur cette rue qu'habitent
Raymond, Richard et Sébastien. Sur cette même rue, il y a une petite maison où
les sidéens en phase terminale viennent finir leurs jours. Chaque jour il en
meurt au moins un. Raymond a plusieurs amis qui y sont morts. Il m'a raconté cette impossible histoire hier. Son ami Jean, le seul amour
de sa vie qu'il a connu à Québec, il en est demeuré séparé toute sa vie. Il a
longuement regretté cette absence, mais voilà deux ans il a appris que Jean
était mort du sida. Tu vois, la vie continue, elle doit continuer. L'absence
n'est-elle pas une mort ? Une mort qui ne nous laisse pas tranquille car
le mort refait surface toujours au mauvais moment ? Demandant une aide que
l'on ne peut offrir. Il n'y a pas de fossé nulle part. Tout le monde est
pareil, identique. Peu importe leurs tracas, c'est le même chemin qu'ils
suivent. Peu importe leurs petites différences, c'est la même chose qu'ils
apprennent en bout de ligne. Un travestie, une prostituée, un médecin riche,
une simple mère de famille, tout ce monde vit la même la même chose. Ma vision
du monde va bien au-delà des lois qui régissent tout. Au-delà des ces
différences que l'on a soigneusement notées sur papier pour s'assurer que les
fossés ne s'élargissent pas. Mais où voyez-vous tant de différences qu'il
faudrait sans tarder éliminer une catégorie de cette société ?
Qu'attendez-vous au juste de cette vie collective ? Les gens travaillent à
classer des papiers dans des édifices, à boire des cafés au coin de la rue. La
vie peut être aussi simple, aussi vide, aussi vaine. Elle peut paraître complexe
lorsque l'on lit un journal, que l'on s'intéresse aux finances ou à la politique,
mais à s'isoler un peu de la ville, à perdre contact avec ce genre de vie, on
comprend que tout cela n'a aucun sens. Que personne ne peut exiger quoi que ce
soit de qui que ce soit au nom d'un certain idéal de société que l'on cherche à
construire. Il n'y a pas de fossé entre la femme et l'homme, ils sont
différents à certains niveaux, mais ce sont des détails. Regardez-les, ils sont
pareils. Il n'y a pas de différence si marquante entre les Français, les
Anglais, les Canadiens ou les Américains. Les différences culturelles ou de
mentalités sont si peu grandes, vous ne distingueriez pas au premier coup d'œil
la nationalité de la personne en face de vous. Russe, portugaise, italienne,
allemande, rien n'est évident. Les fossés que l'on se plaît à construire, sous
mille et un prétextes, servent des intérêts que j'ai une certaine difficulté à
identifier, mais qui s'identifierait certainement si l'on se donnait la peine
de creuser un peu. Je ne suis pas certain qu'il faille tant que cela se
protéger contre tout et chacun. Se protéger contre l'immigration, le commerce
international, les différentes langues, les gais, les femmes, tout. À la
limite, il faudrait s'enfermer dans une bulle de verre et se dire qu'il faut se
protéger contre autrui par tous les moyens. La mort est peut-être un bon
substitut à ce genre d'enfermement dans son chez soi. Je suis pour l'ouverture
de l'esprit sur la différence d'autrui, pour constater que cette différence ne
l'est pas si grande que l'on voudrait nous la faire croire. Nous sommes tous des
humains, nous venons tous au monde, nous respirons puis nous repartons. Il n'y
a rien de bien extravagant entre notre arrivée et notre départ, rien qui
mériterait que l'on tue pour améliorer un quelconque sort. Qu'en est-il du
fossé entre les générations ? Quelques idées différentes au niveau de la
religion, quelques avantages sociaux dont certains ont bénéficié. Mais ensuite,
où est-il ce fossé ? Y a-t-il une si grande différence entre moi et cette
vieille femme qui marche dans la rue ce matin ? Je n'y crois plus à la
différence de tout et chacun. Peu importe sous quel régime où il ou elle vit.
Un régime politique en vaut bien un autre, peu importe les conséquences
positives ou négatives. Certains sont mieux, d'autres pires, et encore, tout
dépend à quel niveau on se situe, si on retire certains intérêts d'une telle
situation de fait. Si on s'enrichit aux dépends du communisme, comment ne pas
aimer le communisme ? Le fossé entre les générations n'existe pas. Nos
vies sont trop similaires à tous les points de vue, que ce soit dans la misère
ou la richesse. Nous apprenons tous la même chose. Ce qui me reste de tous mes
voyages, c'est que tout et chacun vivent à peu près les mêmes situations entre
tout et chacun et que peu importe où tu es tu apprendras des choses absolument
similaires. Peut-on autant entendre des éditorialistes et des écrivains
construirent de si grands fossés, nommer ces fossés par des expressions qui deviennent
populaires, que tous les journalistes du monde reprendrons ensuite, juste pour
le plaisir de construire des fossés ? Mind the Gap, mais, Mind the Gap
the Mind. Ayez à l'esprit le fossé, faites bien attention, que l'on peut
lire et entendre partout. Mais moi je dis qu'il faut surtout faire attention à
ne pas se faire attraper l'esprit par autrui. Une certaine façon de penser et
de voir l'Univers limite la vie, limite l'évolution. Détruit autrui et
indirectement soi-même. Tout ce qui existe de négatif dans ce monde, ne peut
pas ne pas nous revenir d'une façon ou d'une autre. Inventer des fossés, se
protéger contre ces fossés, détruire ce que l'on croit si différent, entraîne
le mal, la dépression, la frustration, la guerre. Ces énergies négatives nous
reviennent, il ne peut en être autrement. Si tous souffrent d'une pauvreté trop
grande autour de soi, il sera impossible de soi-même habiter sa grande maison
dans la richesse. À un certain point, le tout éclatera. Les pauvres en auront
assez, ne verront pas le bien des lois, détruiront tout ce qu'ils verront,
prendront d'assaut la maison du riche pour manger une tranche de pain. Hier,
dans l'agence d'emploi, un immigrant est entré. Noir, peu importe d'où il
venait, on voyait qu'il était désespéré et qu'il cherchait de l'emploi.
Peut-être est-il aussi pauvre que moi (sans dette peut-être, ce qui le rendrait
plus riche que moi), j'avais pourtant un cote d'habit sur le dos, une cravate
empruntée, un Curriculum Vitae imprimé sur papier. Lui était mal habillé, pas
rasé, son frère devait probablement le soutenir au Canada en attendant qu'il se
trouve un emploi. La réceptionniste le méprisait ouvertement. Définitivement
elle ne voulait pas de lui. La seule chose qu'elle lui a dite : apportez-nous
votre CV et on vous contactera. Elle avait trouvé la réponse juste.
Premièrement il n'avait pas de Curriculum Vitae, je suppose que là d'où il
venait, il n'en avait jamais eu besoin. Or, se procurer ces trois feuilles avec
le résumé de ta vie dessus, ce n'est pas de la petite bière lorsque tu te
retrouves dans un pays étranger, que tu n'as pas d'expérience et que ta langue
n'est pas l'anglais. Ce simple bout de papier lui était déjà le plus infernal
des obstacles à franchir. Comment se le procurer ? Cette société blanche
avancée nécessiterait-elle un vain bout de papier pour que je puisse y
entrer ? Non mon garçon. Quand bien même tu apporteras un bout de papier
avec ton nom dactylographié dessus, la femme a dit qu'elle te rappellerait. Ne comprends-tu
pas que cela signifie qu'elle ne te rappellera jamais ? Il a demandé s'il
pouvait emmener un CV écrit à la main. Je me demande comment la femme à pu se
retenir d'éclater de rire, il n'y a plus un professeur de collège ou
d'université qui accepte un papier écrit à la main. Ils sont juste pour ne pas
exiger que notre écriture lors des examens soit exactement comme celle des
machines. La réceptionniste lui a dit oui, pas de problème pour un CV écrit à
la main. Bon Dieu qu'elle est bitch, elle sait très
bien qu'ils ne vont rien faire pour lui. De toute manière, pas un seul de leur
client ne voudrait de lui, c'est clair. Même moi, malgré mes études, mon bout
de papier, mon côte d'habit hypothéqué, tout cela est
inutile parce que mon anglais n'est pas suffisamment bon pour qu'un seul de
leur client me veuille. Cet homme était désemparé, perdu. Elle lui demandait un
simple bout de papier, il demeurait immobile et silencieux. Il voulait sans
doute de l'aide, quelqu'un qui lui dise, vient, on va t'aider à faire ton CV,
on va te le sortir, il y a huit ordinateurs dans ce bureau, quatre imprimantes
lasers, une dizaine d'employés qui ont justement rien à foutre dans cette
période creuse. Viens, tu es un immigrant, mais il y a des immigrants en ville
qui ont des business, on va voir si on peut te trouver quelque chose. C'est
sans doute ce qu'il aurait voulu entendre. Ainsi le gigantesque fossé qui
existe entre lui et un anglophone blanc aurait pu être oublié. Au contraire, on
l'a agrandit, on a eu peur, on a tenté de s'en débarrasser par tous les
moyens : emmène-nous ton bout de papier. On entend parfois des histoires
comme ça où la personne à qui on demande de l'aide va faire tout en son pouvoir
pour aider le malheureux. Fort souvent ça vient d'une personne religieuse qui
est bonne et considère que tout venant qui demande de l'aide mérite d'être
aidé. Ce n'est pas le cas de tous les gens impliqués dans les organisations
religieuses, mais je dois reconnaître que si la religion peut produire de tels
résultats sur certaines personnes, elle a au moins cela de bon que l'on ne peut
lui enlever. Je n'oublie pas jusqu'à quel point en religion on arrive aisément
à cracher sur son prochain, surtout s'il est le moindrement différent ou si sa
religion à lui diffère de la nôtre, mais il existe encore certaines personnes
de bien en ce monde. Je n'en vois cependant jamais sur ma route. Moi-même je ne
me considère pas comme une personne de bien. Je ne m'interposerais pas d'emblée
pour aider mon prochain. On dirait que ça ne se fait tout simplement pas dans
notre société, aider son prochain. C'est chacun pour soi, bonne chance.
Tellement que j'en arrive à croire que c'est normal, c'est à moi de me
débrouiller par tous les moyens, je n'ai rien à attendre d'autrui. Mais tout
pourrait être si différent, et encore, ce ne serait pas si différent.
J'ai téléphoné
l'Angleterre aujourd'hui. L'avenir ne m'appartient plus, je n'ai plus de
décision à prendre. C'est simple. Ce vendredi je rappelle en Angleterre, et si
mon ancien manager me veut, je pars. Sinon, je reste. J'ai téléphoné Stephen,
l'ami de Ed que j'ai rencontré à New York, il sera content de me recevoir les
quelques jours que ça prendra pour que je me trouve une chambre à louer avec
l'aide du Switchboard Gay and
Lesbian. Ainsi, vendredi je serai fixé sur mon sort,
à savoir si ma vie se passera à Toronto ou à Londres. L'un ou l'autre, j'avoue
que cela ne me fait plus grand différence. Londres me semble logique, encore
que j'ignore tout de ce que Toronto est susceptible de m'offrir. Raymond m'a
aidé à voir clair, Toronto semble être pour Sébastien et non pour moi. Moi je
suis venu vérifier que c'était bien mort entre lui et moi, ce qui m'évitera
bien des soucis et de la souffrance dans l'avenir. M'éviter des regrets aussi.
Ensuite j'ai connu Raymond et je me suis rapproché de ma tante Charlotte, ce
qui est certainement une bonne chose pour l'avenir. Voilà, me faut-il explorer
davantage ces personnalités, de même pour Julian, mon nouveau copain ? Ou
alors est-ce que j'ai un tas d'autres aventures qui m'attendent au Royaume-Uni ?
La décision ne m'appartient pas, je le répète, elle appartient à M. Hervey. Peu importe quelle sera sa décision, je la
respecterai comme un signe du destin. Je suis ma destinée.
J'ouvre la radio, 102.1
FM, The Edge. You get me closer to God, Nine Inch
Nails. Je suis dans le beat, en ce vendredi soir où
je ne sors pas. J'ai vu Julian, cela me suffit. Une heure trente ensemble avant
qu'il n'aille travailler. Je crois que malgré ses simagrées que l'on ne peut
tomber en amour très rapidement, il s'est attaché bien plus qu'il ne le pense.
Moi pas. Malgré que j'aime bien être avec lui et que certainement nous aurions
développé une relation officielle si j'étais demeuré ici. Encore un qui me
rappellera vers Toronto. Peut-être serait-il bien de m'assurer, comme avec tous
les autres, que justement il ne devrait pas m'attirer à lui une fois que je
serai parti. À Jonquière je pense à Sébastien, à New York je pense à Gabriel, à
Toronto je pense à Ed, à Rouyn-Noranda je pense à Thomas bien qu'avec celui-là
presque rien n'est survenu, à Londres je penserai à Julian. Ça fait beaucoup en
peu de temps. Peut-être était-ce une étape nécessaire dans ma vie. À l'heure
actuelle je suis contenté comme ce n'est pas possible. Je ne regarde même plus
les beaux gars dans la rue, n'espère plus aucune rencontre fortuite. Car je
n'ai qu'à sortir si vraiment j'en veux. Je puis même sans trop insister revoir
la personne plusieurs fois alors que le plus souvent les gens doivent se
contenter de one night stand en ce qui concerne les beaux mecs. Au moins ça de
gagné, je m'en retourne à Londres sans être désespéré, sans vouloir un
Sébastien indépendant. En fait, je crois que j'ai exactement vécu ce que
Sébastien souhaitait qu'il lui arrive après m'avoir laissé. À l'entendre, il n'aurait
couché qu'avec ce Marc qui serait laid. Ma version est qu'il a couché avec
davantage de monde et qu'il couche encore avec son Marc. Que le diable
l'emporte, il est déjà historique, préhistorique après quatre ans et demi, car
ma vie, je la commence. Je tente d'imaginer où je vais arriver à Londres. Les
possibilités sont infinies. Juste Marc, l'ami de Ed où je m'en vais rester,
m'ouvrira tout un univers à Londres. J'ignore encore si je coucherai avec, pour
l'instant je ne puis me souvenir s'il est beau. Je sais que Ed a couché avec.
Mon Dieu, j'achève de coucher avec la planète. J'espère pouvoir me stabiliser
bientôt, comme je l'étais avec Julian. Je ne suis pas ressorti une seule fois
depuis notre première rencontre. J'ai la volonté d'être fidèle et d'avoir une
vie tranquille, ou du moins wild autrement que par
les bars gais et le sexe avec la multitude. Julian est très près de moi, un peu
plus il me suivrait à Londres. Son éternel sourire me fera mal bientôt. Tant de
sacrifices pour un sentiment de liberté qui n'est possible que lorsque l'on
marche dans les rues d'une de ces trois villes : Paris, Londres ou New
York. Mais je dois avouer que j'aime Toronto. Je m'y suis incrusté de façon
assez radicale durant le dernier mois. Je regrette de partir. Il faut dire que
lorsque tu demeures dans un hôtel en plein centre-ville, en plein centre du
village gai, tu ne peux pas faire autrement que de vivre à plein. C'est
inconscient, mais tu te réveilles un matin et tu deviens dépendant de ta petite
routine quotidienne. Mais je n'ai pas la
prétention de dire que je connais la vie de Toronto. Tant de choses il me reste
à découvrir, mais on ne peut pas vivre partout à la fois et connaître tout à la
fois. Est-ce que je pourrais changer de cerveau ? Oui, si le vieux Robert Jonhston de son agence d'emploi m'offre quelque chose en
haut de 25,000 $ par année, j'annule tout et je reste à Toronto (il veut
me rencontrer ce lundi). Si le destin veut encore changer mes idées, c'est
encore le temps. Le pire c'est que Londres c'est l'instabilité totale pour
encore tout le temps où j'y habiterai. Sachant qu'après un an ils me mettront à
la porte du pays, tout n'est que temporaire. Ça change toute une vie. Tu
accumules rien, tu fais tout sauf t'installer. Dans un an je serai encore aussi
perdu qu'aujourd'hui, à courir entre Montréal et Toronto pour trouver un
emploi, les deux seules grandes villes au monde où j'ai vraiment le droit de
travailler. Stupides lois anti-immigrants, ce que je donnerais en argent pour
avoir le droit d'habiter où je veux. S'il existe une seule cause à défendre sur
cette planète, c'est bien l'abolition des frontières. Bien avant
l'environnement, en ce qui me concerne. J'aimerais bien sacrer le camp pour la
Chine ou le Japon, ça n'arrivera pas de sitôt, à moins qu'un miracle ne
survienne, comme d'habitude. Si je le veux très fort, je suppose que ça arrivera.
Je ne dois pas le vouloir tant que cela alors, pas encore du moins. Sinon je
ferais peut-être des démarches. Ce serait facile de devenir un professeur
d'anglais, ils en mangent là-bas. Mais je n'ai aucune qualification, mon
anglais fait trop pitié. Ainsi, que ferai-je à Londres la semaine
prochaine ? Tout dépend de Marc. Je sais cependant que je serai à
l'aéroport d'Heathrow, à travailler sur une caisse enregistreuse. Prenant
l'Underground tous les matins pendant plus d'une heure, à regarder les stations
dévaler. On dirait une régression. Je chercherai de l'emploi, ça urgera.
Peut-être le marché sera meilleur, mais j'en doute. La mad cow disease,
la maladie de la vache folle, vient de faire perdre vingt milliards de dollars
à l'Angleterre, des millions de mises à pied. Probablement que ce sera un enfer
là-bas. Ce n'est pas tous les jours que le monde entier se lève pour crier au
bannissement de toutes exportations d'une de nos plus grandes industries. Eh
bien, de toute manière je suis végétarien. Alors même si pour la première fois
de toute leur existence McDonald's, Burger King et Cie ne servent aucun
hamburger, Big Mac ou Whopper,
ça n'affectera pas trop ma vie. Au contraire, je serai le seul à sauter chez
Burger King pour avaler un de ces succulents Bean
Burger que l'on ne retrouve nulle part ailleurs dans le monde. Peut-être
pourrais-je me frayer un chemin dans le grand monde londonien, qui sait ?
Je suis libre de me retrouver n'importe où n'importe quand. Et ce n'est plus un
secret pour personne, je suis amorale jusqu'à l'os, la prostitution ne
m'effraie pas. Sans Gabriel qui me rappelait à Jonquière, j'aurais peut-être
mon sugar daddy à New York.
On ne me ramène pas à Londres pour rien, il existe une raison à cela et je
l'ignore encore.
Je suis comme Jésus Christ
qui sait qu'il va se faire crucifier, mais qui n'a pas le choix et qui continue
à avancer. Je ne sais plus où j'en suis. J'ignore si c'est une bonne idée de
partir. Ça implique tellement de choses, et à la fois je ne suis pas certain
des gains que j'en retirerai. Il y a autre chose, mon terrible sentiment de
culpabilité. Je me lève le matin tout paniqué, cherchant où je suis, réalisant
ma terrible situation et ne voyant aucune porte de sortie. Cet impossible
sentiment qui me tort le cœur, je l'ai eu à Paris durant tous les derniers
mois. J'ai réussi à l'oublier quelque peu à Londres, mais les derniers mois
m'ont achevés. Je ne vois pas très bien pourquoi je retournerais là où mon cœur
risque de flancher. Mais j'ai comme l'impression que même si j'habite à
Toronto, ce sentiment n'arrêtera pas. Dois-je poursuivre mes études pour qu'il
arrête ? Où en suis-je venu à un degré si monstrueux de culpabilité parce
que j'ai tout raté que ce sentiment terrible me poursuivra jusqu'à la fin de
mes jours, écourtés par ce noeud dans le cœur ? J'ai définitivement un
problème psychologique profond. Ce qui est drôle c'est que je suis d'un naturel
très fort psychologiquement, ainsi je ne suis pas invulnérable. Si je pouvais
identifier exactement pourquoi je me tracasse autant, alors je pourrais
travailler dessus et régler ce problème. Mais en ce moment, même si je crois
l'avoir identifié, je suis incapable de changer quoi que ce soit. Tu peux
comprendre que ta dépression vient de ce que tu as subi l'inceste étant jeune,
n'empêche que ça ne va rien changer à tes problèmes, il n'y a rien que tu
puisses changer ou régler. Seulement ta façon de voir les choses, te placer
sous un autre angle. Te dire en fin de compte que ce n'est pas si important, la
vie continue, il faut s'en foutre. Mais tout cela relève du miracle. Dieu merci
je n'ai jamais subi d'inceste, je suis déjà si instable, ç'aurait été le coup
de grâce. Voilà, je me retrouve à la case départ, je me demande si je devrais
partir. Si Sébastien m'offre d'habiter chez lui, je ne dirai pas non, je ne
partirai pas. Mais je ne peux pas le forcer d'aucune façon, et lui hésite trop
à le proposer, en fait il ne veut pas de moi, même pour un temps. Je crois
qu'il ne veut vraiment pas revenir avec moi, moi non plus de toute manière. Le
contraste entre lui et tous les autres que j'ai rencontrés dernièrement est
trop grand. Je peux bien croire que la magie peut disparaître après quatre ans,
mais je n'accepterai pas que tout le positif soit disparu et qu'en plus le
négatif prenne le dessus. Il n'y a plus d'espoir dans une telle relation. Mais
que ferais-je de Julian si je déménageais chez Sébastien ? Il faudrait
qu'il vienne lorsque Sébastien n'y serait pas, ce qui serait facile. Ne serait-ce pas terrible d'habiter chez Sébastien
et de devoir subir lui en train de faire l'amour avec un autre ? Je ne
survivrais pas à une telle épreuve. Je ne sais plus quoi faire, mais de toute
manière, Toronto ne semble pas avoir d'emploi à m'offrir. Pourquoi ma vie
doit-elle sans cesse être aussi compliquée ?
Je ne suis pas sorti
finalement, j'ai plutôt eu ma première vraie bonne conversation avec Andrew. Je
crois qu'il a énormément de problèmes en ce moment, et je crois que je suis la
seule personne de son entourage prêt à être objectif et à lui montrer qu'il a
raison (même s'il a peut-être tort). Pour l'instant, il s'agit de lui remonter
le moral, ensuite il verra mieux et pourra régler ses problèmes plus aisément,
même qu'ils disparaîtront peut-être. Il n'était donc pas question de faire de morale.
D'ailleurs, je n'aurais pas pu. Cette discussion fut un véritable tour de
force. Car il ne voulait rien me dire, il ne faisait que m'expliquer des
sentiments, des impacts de conversations qu'il a eut qui lui ont fait
comprendre certaines choses, une influence tellement négative que quelqu'un a
eu sur sa vie. Bref, rien de concret sur quoi travailler. C'est la première
fois que je tentais d'aider quelqu'un sans savoir rien de ce qui existait
vraiment. Alors à chaque fois que c'était son tour à parler, il tentait
d'identifier plus clairement ses sentiments et émotions, et pourquoi ils les
ressentaient. Quelqu'un qui nous aurait écouté aurait été tellement perdu,
justement parce que l'on ne parlait de rien de concret, il n'y avait pas de
sujet de discussion, juste une vague mise en situation. J'ai tout de même
l'impression que je l'ai aidé, j'ai du moins l'impression de m'être surpassé.
Il semble vivre la même chose que moi par rapport à mon père. Comment des gens
sur cette planète peuvent avoir tant d'influence sur chacune de nos décisions
alors qu'on leur parle à peine, sinon même pas ?
On dirait que je suis
encore tombé mal. Ou bien ça va toujours mal partout, ou bien c'est vraiment
une mauvaise période que l'on traverse. Est-ce juste le mois de mars qui
déborde dans le mois d'avril, ou alors c'est l'époque, la fin du millénaire.
Tout le monde se chicane, d'un bord à l'autre de l'Atlantique, j'arrive pour
freiner cet enfer, mais souvent ils sont incapables de se contrôler et j'ai
droit à des scènes assez intenses. Parfois je me demande s'ils ne préfèreraient
pas que je ne sois pas là pour pouvoir se disputer en toute intimité. Parfois
je me dis que ma présence les empêche de se détruire mutuellement. Enfin, hier
on a discuté les problèmes de Andrew, sans même que l'on aborde un des sujets.
Tellement que lorsqu'il parlait de quelqu'un qu'il ne connaissait qu'à peine
puisse venir ainsi en quelques phrases détruire sa vie et repartir, je me
demandais s'il parlait de moi tellement je pouvais interpréter de toutes les
manières. Patrick m'a demandé ce matin si nous avions couché ensemble. Je lui
ai dis que non, mais il m'a répondu que ce n'était pas un problème, que je
pouvais coucher avec lui quand je voulais. Par contre, le ton sur lequel il a
posé la question était assez négatif. Il dit que son Andrew est fort intéressé
à coucher avec moi, il le voit dans ses yeux. Mais qu'il est trop timide pour
faire quoi que ce soit. Je devrai donc faire les premiers pas. Mais seulement
lorsque ce sera le bon moment, ce qui risque de ne jamais arriver. Andrew est
beau, un vrai British, mais c'est plus pour une relation à long terme qu'il
m'intéresserait que pour une soirée de cul. Car il est beau et impressionnant,
mais il ne m'attire pas d'emblée, tellement que je ne pourrais plus me
contrôler et je lui sauterais dessus. Tim, peut-être.
Il m'a fait deux grands sourires hier, je cherche encore à interpréter ces
sourires. La vie est compliquée si les gens ne disent rien de ce qu'ils
veulent, et moi je ne veux pas me faire rejeter sans cesse, c'est dur pour le morale. Encore que je n'ai pas à trop m'inquiéter,
ordinairement je peux avoir qui je veux. Même le Tim,
si mon orgueil ne m'arrêtait pas dans mon élan. Il suffirait d'insister, il
cèderait. Il est d'ailleurs intéressé. Mais nous n'aurons plus jamais la chance
à moins qu'il me le laisse savoir explicitement. Je déménage mercredi soir et
je doute que je ressortirai un jour au L.A., à moins
d'être avec eux pour un souper et qu'ils sortent, mais même là, j'éviterais
cette place. Elle me rend malade. Jeff et Tim, les
deux détestent Los Angeles. N'est-ce pas
ironique ? Moi qui me pose la question depuis un bout de temps, en quoi Los Angeles diffère de ce que je connais et si c'est
impressionnant, voilà que les commentaires que j'en reçois sont d'un négatif
significatif. La superficialité semble venir en tête, le rejet systématique de
toute personne qui n'est pas très belle, riche et connue. Alors vous comprenez
que personne n'a d'avenir là-bas. Car personne n'est très beau, riche et connu.
Ils ne sont qu'une petite minorité que tout le monde cherche à atteindre. Or,
moi je me fous bien de tout cela, il est probable que je n'aimerais pas Los Angeles. Mais maintenant j'ai la piqûre. Je crois que
je vais ramasser de l'argent et que j'irai avant de retourner à Toronto. Enfin,
au moins je suis heureux de ne pas avoir à me battre avec Sébastien et de ne pas
avoir à m'inquiéter avec lui. Tout le monde m'apprécie et sont excessivement
gentils avec moi. C'est un très grand poids d'enlever sur mes épaules. Hier je
travaillais à l'aéroport et pendant une pause, je me suis levé carré, pensant
qu'il était temps que j'appelle Sébastien, question d'habitude. En temps normal
j'aurai téléphoné sur Elgin Avenue, Marble House,
pour découvrir qu'il était sorti, sorti pour toute la journée. Alors ma journée
devenait noire, je me demandais avec qui il était, ce qu'il faisait, s'il
n'était pas dans les bras d'un autre. Ce qui en fait était tout à fait vrai,
c'était le cas. Je suis malheureux avec Sébastien, mais je suis malheureux sans
Sébastien. Je suis heureux à Londres, mais je souffre tout à la fois d'y être.
Je suis heureux de ne pas être aux études, mais je me meurs de culpabilité car
je ne cherche pas à faire carrière, à réussir dans la vie. Je suis heureux
d'exister, mais en même temps ma vie est infernale. Je voudrais mourir, mais je
ne suis pas si désespéré pour passer à l'acte. Ils parlent de réincarnation, ce
qui signifierait que tous nos problèmes sont infinis, nous aurons à les
confronter indéfiniment, jusqu'à ce que nous surmontions toutes ces épreuves
insurmontables. N'est-ce pas horrible ? There is no way out.
Patrick m'avoue qu'il n'en
veut plus de sa marionnette de 32 ans. Il est devenu un peu trop vieux je
suppose, et insupportable. Il a fait de Patrick un esclave. Patrick travaille
toute la journée, revient à la maison pour faire le lavage, le ménage, le
repassage, le repas, la vaisselle, etc. Un peu comme moi avec Sébastien. Sauf
que moi et Sébastien travaillions tous les deux. Pendant un an et demi, à New
York, Andrew ne foutait rien de ses journées. Probablement il ne faisait
qu'avoir du sexe aller-retour avec tout un harem d'amis. Patrick me disait qu'il
s'était fait un copain pendant ce un an et demi. Patrick a dû souffrir. Il dit qu'il
va s'en sortir de cette relation un jour. C'est drôle, ils sont ensemble depuis
quatre ans. Exactement comme moi et Sébastien. Ma mère me disait que les gais
demeuraient ordinairement ensemble pendant cinq ans, après c'était fini. Je lui
ai fait remarqué que chez les hétéros c'est exactement la même chose si c'est
hors mariage. En mariage, plusieurs ne durent que cinq ans, mais plusieurs
peuvent faire jusqu'à dix ans. Après c'est terminé. La seule chose qui pourrait
faire qu'une relation irait au-delà de ces cinq à dix ans, c'est si les personnes du couple se trompent mutuellement
et sont capables d'accepter se fait, vivre avec. Sinon ils explosent à un
certain moment donné et il n'y a plus de retour possible. Moi et Sébastien,
c'est terminé. Même que Julian ne sera pas une motivation pour me ramener à
Toronto. J'ai grandement l'impression que je vais tout faire pour demeurer à
Londres. D'autant plus que ma vie sera bien moins misérable que je ne le
pensais, car mon salaire sera plus élevé. Vingt-cinq livres sterling de plus
par semaine que je ne le croyais. C'est un bonus qui vient lorsque tu es plein
temps, à cause des heures impossibles (trois douze heures en ligne), ils
doivent payer un extra. Ça veut dire qu'en étant à temps partiel pendant les cinq
mois où j'ai travaillé pour eux, chaque fois que j'ai travaillé des semaines à
plein temps, je me faisais exploiter de ce vingt-cinq
livres. Mais c'est intéressant de savoir maintenant que je serai payé davantage
que je ne le croyais. Heureusement que je ne savais pas cela lorsque j'ai
appelé Visa, j'aurais à l'heure actuelle un plafond de deux milles dollars et
je ne pourrais jamais plus le repayer. Mille cinq cents, c'est encore
acceptable.
J'entends tellement que je suis si beau ces temps-ci, je ne peux tout de
même pas croire que j'embellis en vieillissant. À moins que de m'être
débarrassé de Sébastien me va à ravir. Je crois que de vieillir effectivement
marque mes traits davantage et j'ai moins l'air d'un enfant. Mes plus belles
années sont donc à venir, à moins que l'on me brûle le visage avec une
cigarette, ce qui est bien possible, avec Andrew qui fume comme un trou dans le
lit. Il a rencontré son petit danseur hier, je paris qu'il a couché avec lui.
J'espère que Pedro va m'appeler. Le premier qui m'appelle m'a pour la journée,
cela vaut pour tout le monde sans exception, même les amis. Hier le Rick avait bu comme un malade, pissed
comme il aime dire. On ne dirait pourtant pas. Il est cependant venu dans mon
lit, m'a pris dans ses bras et m'a embrassé plusieurs fois. Sans la langue
toutefois, je suis malade. Je lui ai rappelé ses principes, les propriétaires
ne couchent pas avec les locataires, alors il est revenu à la réalité et m'a
laissé. Il m'écœure maintenant. Il a gagné sa cause, son ex-copain a accepté de
transférer l'hypothèque au nom de Rick. C'est triste
lorsqu'il faut prendre la cour et les avocats, à un prix impossible à payer,
pour avoir une simple justice. Je prenais pour l'autre, mais peut-être Rick avait raison de vouloir avoir l'hypothèque à son nom.
Bref, j'ignore tout du débat et j'ai jugé Rick. Ça me
ressemble. Il a enfin enlevé la photo de ses parents qui était sur la table et
que je ne pouvais regarder ailleurs en travaillant ou en mangeant, je me sens
mal qu'il l'est déplacé sur le mur, mais finalement je suis bien content. Je ne
lui en reparlerai pas. Hier il m'a dit que si nous couchions ensemble, il
faudrait que je déménage. Je me demande s'il impliquait que maintenant qu'il a
gagné sa cause avec son copain et que ça ne lui coûtera plus de montant
astronomique pour l'avocat, si cela impliquait qu'il me faudrait maintenant
déménager. Bref, je m'en fous si c'est le cas, je vais retourner au centre de
Londres, quitte à payer 65 livres par semaine. Il a dit qu'il m'achèterait des
fleurs. Pourquoi ? Parce que lorsque quelqu'un est malade et qu'il va à
l'hôpital, on achète des fleurs. Il devait vraiment être saoul, ça ne fait
aucun sens. Je ne peux pas aller à l'hôpital, ça me coûterait 10,000 $ que je n'ai
absolument pas, vaut mieux mourir que d'aller à l'hôpital dans mon cas. Ensuite
je ne serai pas si malade que l'on aura besoin de m'acheter des fleurs. Il me
fatigue, il fait tout mon lavage, il plie tous mes vêtements, il fait ma
vaisselle, j'en ai ma claque. Qu'il me laisse en paix, je suis encore capable
de m'occuper de moi. J'ai peur qu'il me revienne ensuite avec ça, que je fous
rien, que je me laisse traîner. En tout cas, quand quelqu'un est saoul et qu'il
vient à toi, il dit la vérité et tu vois ses motivations. Celui-là
m'embrassait, je n'ai donc rien à craindre pour l'instant. Je vais recevoir mon
numéro de carte de banque demain, je vais détruire cette lettre aussitôt que
j'aurai retranscris les quatre chiffres ailleurs. Je le dis haut et fort, c'est la première fois
de ma vie que je crains que quelqu'un connaisse mon numéro de carte. La
première fois que je me dis qu'il me faut cacher ces choses. Il pourrait bien
voler ma carte un jour, se servir dans mon compte s'il juge que j'aurais dû
payer davantage à un certain point. Je calcule comme perdu le dernier mois de
loyer que je lui ai donné. Je ne vois vraiment pas comment il pourrait me le
redonner. Enfin, nous verrons.
Je suis désespéré. Depuis
un mois et demi je vie au penny près. Je ne gagne pas suffisamment pour payer
les 184.68 livres que je dois à mon propriétaire, c'est pourtant la chambre la
moins cher que l'on peut trouver à Londres. Je commence à travailler au café
The Box aujourd'hui, je viens à peine de terminer mes trois jours de douze
heures en ligne à l'aéroport. J'espère que tout va bien. Tout le monde comprend
que je puisse changer d'emploi même si je vais gagner encore moins. Tout le
monde est tellement écoeuré de WHSmith, tous ils cherchent de l'emploi ailleurs
mais ne trouvent rien. C'est que les emplois payés à moins de quatre livres de
l'heure fourmillent en Angleterre, puisqu'il n'y a aucun salaire minimum. Du
côté amoureux aussi je suis désespéré. En un mois et trois semaines je n'ai
rencontré que des copains de sous catégories et ça marche juste à moitié.
J'espère que The Box va m'apporter le copain idéal, mais j'en doute. En plus,
je crains d'avoir attraper une maladie vénérienne. Ça me gratte comme ce n'est
pas possible à la mauvaise place et on dirait que mon système d'anticorps ne fonctionne
qu'à moitié. Je saigne comme de l'eau tellement facilement. Je saignais du nez
voilà trois jours, puis de chacune des deux mains pour des coupures si
miniatures que j'en suis demeuré surpris. Ce n'est vraiment pas bon signe.
Pendant un instant j'ai cru que c'était le sida. Eh bien, je travaille
tellement en ce moment et ma vie n'a tellement aucun sens que ça ne m'a pas
impressionné plus qu'il ne le faut. Je me disais bof, je m'en fous, mourir tout
de suite ou plus tard, le plus tôt sera le mieux. Et je le croyais vraiment. En
un sens c'est une fin logique et souvent j'ai l'impression que mourir serait
peut-être ma seule solution à une vie tranquille et aisée que je suis incapable
d'avoir. En fait, ma vie a un sens, c'est plutôt que je trouve que ça n'en vaut
pas la peine. Je crois que de travailler avec des gens complètement écœurés de
vivre ça n'aide pas. J'espère que l'atmosphère sera mieux au The Box. Il n'y a
pas de porte de sortie à cette sorte de vie, there is no way out, pas même la mort.
J'ai envie en ce moment de m'enfermer au Popstarz et de me saouler jusqu'à ce
qu'on me retrouve sur le plancher en train de ramper. J'ai acheté mon premier
paquet de cigarettes hier, Benson & Hedges, 0.9 mg de drogue, les plus fortes. Je suis vraiment
à bout de souffle pour décider comme ça de commencer à fumer alors que les
paquets valent presque dix dollars à Londres en cette fin de millénaire. J'ai
besoin d'oublier que je travaille sans cesse et que je n'ai pas suffisamment
d'argent pour vivre et qu'il n'y a aucune lueur à l'horizon que ça pourrait
aller mieux dans le futur. Personne ne m'attend au Canada, j'y retournerais
pour être sur l'aide sociale. J'ai peine à croire que Sébastien me garderait
chez lui, du moins plus de deux semaines. À quoi ça sert les ex-copains de
quatre ans s'ils sont incapables de te dépanner lorsque tu en as besoin. Dieu
qu'il est intelligent, il s'est débarrassé de moi la journée où il a appris
qu'il avait ce poste à 46,000 $ par année. Le voilà riche maintenant, il
va se payer un Steinway de 50,000 $ le mois prochain, à crédit, bien sûr.
On vit dans une société de crédit qui vit bien au-delà de ses moyens et on peut
sentir que ça va s'écrouler ou exploser très bientôt. Je suis définitivement
malade, mais je n'ai pas d'assurance maladie et je n'ai pas les moyens de me
payer une visite chez le médecin. Aah, et je m'en
vais travailler avec mes amis riches qui me paieront des cacahuètes pour
travailler pour eux. Mais ils ont beau avoir de l'argent, le stress les ronge
tellement que les boutons leur poussent partout dans le visage et ils ne
dorment plus la nuit. So, qu'est-ce qui est le
mieux ? Sans compter qu'ils se chicanent tout le temps, leur dernier
locataire n'en pouvait plus de cette atmosphère, Tim
déménage très bientôt et ils vont essayer de me prendre dans leur belle maison
à Clapham South. Je voudrais bien, mais c'est loin du centre et c'est trop cher
pour mes moyens. Je ne serais certainement pas rentable pour eux, ils chargeaient
à Tim exactement le double de ce que je paie ici.
Mais ils doivent bien être conscients de cela, ils me chargeraient moins cher.
Mais est-ce que je veux habiter où on voudra coucher avec moi, sans compter
l'atmosphère infernale de leurs scènes de ménage ?
Je suis allé en
enfer ! J'ai enfin découvert ce qui me mangeait le cul depuis deux
semaines : des crabes ! En un sens c'est rassurant, j'ai acheté deux
petites bouteilles, j'ai tout aseptisé mes vêtements et mes draps, paniqué
complètement pour anéantir toute la colonie de bibittes qui avait eu le temps
de se bâtir une société organisée sur les poils de mon corps. Je suis en
processus de destruction des anciennes colonies qui n'ont plus rien à offrir
sinon la multiplication des œufs, bientôt ils seront 250 millions et ils me
contrôleront en entier. Heureusement qu'on a inventé le Malathion
liquide, ils sont tous morts maintenant. C'est Andrew qui ma refilé ça, je le
sais. Alors Andrew, c'est fini. Si je le vois, c'est ailleurs que dans son
appartement. On ne couchera plus jamais ensemble et j'ai bien hâte de lui
lancer ça au visage. (Oh merde, je viens de mettre Marianne Faithfull,
ça me fait penser à lui...) Le pire c'est que j'ai refilé ça à Duane, c'est
certain. Voilà pourquoi il ne m'appelle plus. J'ai honte. Mais le pire c'est
comment j'ai découvert le premier. Je faisais tranquillement l'amour avec Alan,
puis probablement qu'un de mes crabes s'est ramassé
sur lui. Lorsque je l'ai vu j'ai crié : a bug ! Le pauvre voulait
mourir, d'autant plus qu'il n'a effectivement pas couché avec tellement de monde
ce dernier mois. Un seul con l'a sucé voilà deux semaines, il semble hésiter à
le blâmer. Je n'ai réalisé qu'après coup que cela venait de moi, alors sans
mentir je lui ai donné tous les arguments pour lui expliquer que ça ne pouvait
pas venir de moi. Je ne trouverai jamais le courage de lui avouer que ça vient
de moi (tiens oui, j'avais oublié que ça me grattait depuis deux semaines).
Pauvre Alan, d'autant plus qu'il était ici parce qu'il devait aller retrouver
son copain zillionnaire à l'aéroport, Leonardo. Dans
les prochains mois il sera numéro un sur les chartes de Techno-dance
de l'Angleterre et je le crois. Un de ses disques est en neuvième position chez
Virgin record, Alan me l'a fait entendre, aucun doute que ça roulera sur toutes
les pistes de danses. Je n'arrive pas à figurer comment il se peut que mon
petit Alan ait un copain italien plusieurs fois millionnaire. Découvrir qu'il a
des crabes une heure avant que Leonardo arrive, c'est le cauchemar. Trouver des
bibittes sur soi, c'est un choc. Tout à coup de savoir que ces petits monstres
poilus à pattes et à fortes mâchoires me bouffent tout et me pondent ça
aller-retour, c'est terrifiant. Ma décision unanime c'est : drop Andrew,
ne plus rappeler Duane, se débarrasser de Pedro avant même que quelque chose
n'arrive (il était supposé venir ce matin, mais il n'a pas appelé, de toute
manière je ne l'aurais pas reçu). Désormais je ne coucherai plus à torts et à
travers, c'est terminé. Je ne vais coucher qu'avec ceux dont je suis certain
que ça peut fonctionner. Il n'y en a qu'un pour l'instant, Alan. S'il s'avère
qu'il veuille encore de moi. Il semble se demander, je crois qu'il pense que je
suis celui qui lui a refilé ça. Lui aussi a pris des décisions radicales, il va
laisser tomber Sofia sa blonde, terminé qu'il a dit. Comme c'est triste, elle
était si coquette et fragile (qu'elle crève oubliée dans le fond d'un puits,
oui !). Il n'y a plus que Leonardo dans le décor. Comment se débarrasser
d'un riche excentrique encore trop beau et trop jeune pour être balayé trop
facilement du revers de la main ? Quand il apprendra que son copain est
intouchable pour les prochains deux jours, je crois que ce sera déjà
convainquant. Lorsqu'il me verra ce lundi soir lorsque nous sortirons au
Popstarz, il comprendra que moi et son petit copain Alan on a fait l'amour
ensemble pendant qu'il travaillait à faire des millions en Italie. Ça aussi ce
sera un choc. Mais peut-être n'aura-t-il aucunement la conscience de toutes ces
choses, ils vivent davantage de drogues que de sexe. Les deux ne consomment
même pas les mêmes choses. Ils sont sortis hier soir et ils ne rentreront que
lundi dans la journée. Clubbing, clubbing,
clubbing, trois jours durant, sans manger ni dormir, être
high sur différentes drogues. Je ne serai pas capable
de faire cela. Alan n'est définitivement pas quelqu'un pour moi. Il est trop
dedans alors que je suis trop dehors. J'ai peut-être cru trop rapidement qu'il
m'emmènerait dedans avec lui, m'ouvrant à tout cet univers, mais cela
n'arrivera pas, quand bien même je commencerais à prendre de la drogue. J'ai
déjà une étiquette impossible à effacer : étudiant universitaire,
végétarien, non fumeur, venant de famille aisée, travailleur, intelligent,
intellectuel. C'est la pire de mes souffrance cette étiquette, il me semble que jamais je ne pourrai m'en
séparer. Quoique en ce moment, je fume, je travaille dans un bar, je couche
avec tout le monde, j'attrape des bugs, mes amis sont les plus drogués de
Londres, je suis même à la veille de me procurer une carte d'identité nationale
illégale italienne offerte par des maffioso qui roulent en limousine. C'est Leonardo
qui peut m'avoir cela, pour à peine 200 livres Sterling (je n'ai pas cet
argent, ni même les 600 livres que ça me prend pour épouser à bon marché une
lesbienne, ni même le million de livres nécessaire au bon développement de
l'enfant que j'aurai avec cette lesbienne).
Oh God !
Après le travail au Box, je suis retourné à Hounslow pour me laver et repartir
immédiatement pour Camden Town, station Angel, Leisure Lounge, 1/5 Parkfield, Popstarz special party pour le bank holdiday. Je suis arrivé après minuit et ça a fini à deux
heures. En moins de deux heures, il m'est tellement survenu d'événements que ce
matin mon cerveau ne sait plus à quoi penser.
Cette histoire a maintenant trois amants. Of course, le premier que j'ai
rencontré c'est Duane, le proprio du Popstarz et de tous les bars Indies en ville. J'essaie de figurer s'il est riche, c'est pas son habillement Adidas qui va m'éclairer. Dieu
qu'il était content de me voir ! S'il est riche, c'est encore un obstacle
entre lui et moi. Je n'ai déjà pas tellement envie d'être la nouvelle
marionnette du patron, que s'il est riche en plus, ça paraît encore plus mal.
Il a parlé de moi à tous ses amis, ils m'ont déjà adopté. Pourquoi ? Parce
que la marionnette Mark est un monstre d'arrogance et qu'il est une barrière
entre Leigh et ses amis. Ils se battent ouvertement. Kirsty
et Mark ne s'entendent tellement pas que Mark lui a même lancé un verre
d'alcool au visage. Alors c'est hystérique. Moi j'ai pris le temps de parler
avec le monstre. Il s'habille en complet cravate et a exactement le look de Jarvis, le chanteur de Pulp.
C'est l'image que Londres exporte actuellement. Il a étudié la philosophie à la
plus prestigieuse université de Londres, il fait un trip sur Nietzsche et il
écrit de la poésie : un renouvellement de l'art par la poésie. Bien sûr on
s'est tout de suite entendu, je suis adaptable à tout ce que je rencontre. J'ai
étudié la philosophie, j'écris de la poésie dans mes heures creuses, je connais
Nietzsche. Prenez n'importe qui dans le bar, j'ai toujours des choses en
commun, je peux parler d'à peu près n'importe quoi et m'ajuster à leur niveau.
Leigh, c'est une cruche vide. Seule les cruches vides se lancent dans des
missions impossibles et réussissent. Les plus grands hommes d'affaires ne sont
pas toujours les plus intelligents. Les plus grands chirurgiens sont souvent
des légumes. Je le juge vite le pauvre Leigh et je ne le connais pas. Il me
prenait le derrière devant tout le monde, même devant son copain Mark. Il y
avait de l'hystérie dans l'air. Ils voulaient m'emmener avec eux à Clapham
Junction pour continuer la soirée, mais leurs yeux m'ont clairement fait
comprendre le pourquoi de cette rencontre. Tous, du premier jusqu'au dernier,
avaient les pupilles très grandes ouvertes, signe qu'ils ont tous pris des
drogues. Je suppose qu'ainsi ils peuvent voir chaque détail qui compose la vie,
wide awake in London, mais
ils sont trop amorphes pour réagir à quoi que ce soit. Je n'allais donc pas
aller consommer des drogues alors que je travaille aujourd'hui. Déjà ses amis
Paul et Kirsty parlaient comme si j'étais le nouveau
copain de Leigh, Paul m'a avoué qu'il m'aimait beaucoup. J'ignore où va
m'emporter cette histoire de fous.
J'ai rencontré Leonardo,
l'archi millionnaire ami d'Alan. Celui qui est en neuvième position chez Virgin
Mégastores, mais dont sa musique Techno ne me dit absolument rien. Il est beau
en Christ ! Je le prendrais tout de suite. Dans son cas sa fortune ne
serait pas un obstacle. De toute manière je ne pourrais pas vraiment en
profiter, quand bien même je resterais avec lui pendant deux ans. À la fin je
me retrouverais tout nu dans la rue. Je crains que je n'aie pas fait une bonne
impression. Ils étaient sur la drogue eux aussi, tous ont consommé
des drogues différentes et ils vivent leur calvaire de manière différente.
L'essentiel, c'est la musique. Il faut que la musique soit entraînante, qu'ils
l'adorent, ainsi ils dansent jusqu'à ce que mort s'ensuive. Ce n'était donc pas
l'endroit. La seule chanson qu'ils ont dansé c'est You oughta know d'Alanis
Morrissette. Alanis Morrissette est la seule qui ait réussi à briser la
barrière entre le pop et l'Indie music. Son album Jagged little pill a presque passé en entier. C'est que Leigh
l'adore, mais je me demande s'il ne l'adore pas justement parce que je lui ai
dit que c'était ma petite cousine qui venait d'Ottawa et qu'elle était
canadienne française (!). Chose certaine, c'est pour moi qu'il fait jouer Alanis. J'ai eu beaucoup de choses à dire à Leonardo, c'est
bizarre. L'alcool aide tellement à sauter sur les gens en se foutant de tout.
Je crains que je n'aie pu l'impressionner parce que je couche avec son copain Alan.
Ça il le sait, Alan le lui a dit. Ce qu'il ne lui a pas dit, c'est qu'il a
ramassé des crabes avec moi. Ce n'est pas la joie. Je veux le revoir ! Je
veux qu'il m'emmène loin d'ici ! Loin de cet enfer. Mais je ne prends pas
de drogue et je n'ai pas l'intention de commencer. Ça aussi c'est triste. Sur
la drogue, tu te fais des amis instantanés. Tu t'agites comme un malade avec
eux et le lendemain ce sont les meilleurs amis du monde. Ils ont vécu à 300
Km/heure pendant deux jours, ils ont chanté, ri, dansé, jouis, pleuré, paniqué,
claqué tout leur argent et puis quoi encore. C'est ça la vie, certains la
vivent plus intensément, d'autres pourrissent toute leur vie à rouler à 5 Km/heure.
Le problème c'est que c'est très épuisant et très vite ils deviennent des
loques humaines. Comme Andrew que j'ai rencontré hier, tout en sueur. Dieu
qu'il était horrible. Comme il m'a menti. J'ignore quelles drogues il prend,
mais c'est certes très forts. Il est maintenant malade. Je l'aime bien, mais je
ne peux plus rien pour lui. Il s'enfonce, il continue, je me demande parfois si
ce n'est pas la mort qui l'attend dans le prochain détour. Il me demandait
pourquoi je ne l'appelais pas. Ce à quoi je lui ai demandé pourquoi il ne
m'appelait pas. Leigh m'a poigné le derrière devant Andrew. Il sait quand il doit
le faire, pour s'assurer que justement je ne puisse ramasser personne. Le
problème c'est que Andrew n'était pas un gars que j'allais ramasser ce soir-là.
Andrew s'est mis à paniquer, il croit maintenant que je couche avec Leigh. Il
sait que c'est la fin. Je lui ai dit en plus que j'avais des crabes, et que
c'était le temps qu'il aille s'acheter une grosse bouteille d'anti-crabes. Que
ça va résoudre beaucoup de ses problèmes de grattage, sinon tous. Il ne vit
tellement plus dans ce monde qu'il est incapable de se rendre compte qu'il a
des bugs partout sur lui. Il ne se rase même plus, ne dort plus, ne travaille
plus et voit maintenant un
psychanalyste. Quelqu'un l'a abusé sexuellement, tout découlerait de ça. Il va
m'appeler aujourd'hui. J'espère qu'il le fera bientôt car je vais partis
travailler dans deux heures. Dernière personne avec qui j'ai parlé, je ne puis
me souvenir de son nom, travaille au National Theater
ou quelque chose du genre. À l'entendre parler, il en était le propriétaire. Si
ça se trouve, il ne fait que placer les gens dans les rangées. Mais ça semble
sérieux, il connaît personnellement Robert Lepage. Alors bien sûr, j'ai fait un
tour de 360 degrés et je l'ai emporté dans un coin noir du bar pour lui avouer
que Robert Lepage c'était mon idole (même s'il n'a plus un cheveux sur la tête
et qu'il a trois perruques différentes qui le rendent ridicule à ce qu'on en
dit). La semaine prochaine, mon ami s'en va à Bruxelles pour assister à la
première du nouveau One man show de Lepage. Le génie en action s'active partout
en même temps. Là il est à Bruxelles, on annonçait déjà son spectacle en
anglais à Toronto lorsque j'y étais et voilà qu'il sera bientôt à Londres. Son
film Le Confessionnal (un classique), remporte tous les prix. Mon ami va le
voir demain. Je l'ai vu à Toronto. Voilà, que ce soit théâtre, poésie,
philosophie, musique, sexe, chaque personne que je rencontre m'apporte tout un
univers. Seule la drogue m'est tabou ou inconnue (je ne considère pas le hasch
et la mari comme des drogues, et je n'en prends même pas). C'est drôle, j'ai
tellement refusé le regard de gens tellement intéressants hier. Au travail, à
Popstarz. Des chances incroyables me passent sous le nez, mais j'en ai trop
dans ma vie en ce moment, il y a une limite. Ceux qui finissent dans mon lit ne
sont pas toujours les plus beaux, mais ils sont certes les plus intéressants.
Lorsqu'ils sont un peu plus vieux, ils ont du vécu et ils ont un paquet de
choses à raconter. Mais je dois admettre que mon petit Alan me fait énormément d'effet.
Dieu que je l'aime. Je ne crois pas qu'il me fera disparaître de sa vie très
vite, il ne semble pas coucher avec tout le monde. Je crois que je lui ai
vraiment tombé dans l'œil. C'est bien surprenant qu'il soit venu hier, avec Leonardo
en plus. Sachant que le riche monsieur ne voulait pas venir, mais somme toute,
il voulait voir la chose avec qui Alan couchait. J'espère qu'il n'est pas trop
découragé, sans me vanter (certes non), je pourrais facilement être le plus
beau gars de tout le bar (trois étages, 3000 personnes). Si j'étais musicien,
j'aurais déjà réussi. Avec les connections que je me suis fait. Elles
serviraient pour Sébastien, pas pour moi.
Je pense encore à lui, Alan.
Il est venu au Box avec Leonardo hier. L'un et l'autre, je les voudrais dans
mon lit. Le ménage à trois fonctionnerait car il ne semble pas y avoir de
jalousie et je serai suffisamment conscient que je suis le troisième pour
m'assurer qu'aucun des deux ne me donnent trop et que l'autre se mette à
paniquer. Leonardo m'a finalement sourit plusieurs fois. M'a parlé longuement.
M'apprécie. Sans Alan, je serais dans son lit dans son hôtel de luxe. Jusqu'à
quel point s'empêchera-t-il de m'atteindre pour cause d'Alan ?
Laissera-t-il traîner le cours des événements, espérant pour une occasion qui
ne viendra jamais ? Il faut provoquer les événements mes amis !
Allez, Leonardo, vient me voir au Box avant de partir, emmène-moi à Milan avec
toi, je te suivrai au bout du monde dans ton ascension vers les numéros un des chartes
de l'Europe. Je parle argent et succès, mais en fait, ce qui m'attire chez lui
c'est surtout sa personnalité. Il est calme, beau, simple, bien habillé, et son
sourire est frappant. Il est ce que j'ai rencontré de mieux depuis Sébastien
et... Alan. Si on me donne le choix entre Alan et Leonardo, malgré les millions
du deuxième, je choisis Alan. Le problème c'est qu'Alan ne me garantit rien de
concret au niveau de ses sentiments, s'il veut développer une relation. Du jour
au lendemain je m'attends à ce qu'il m'évite, ne m'appelle plus, disparaisse
complètement ou presque. Passant parfois au Box pour me convaincre qu'il existe
encore. Je souffrirai alors. Je m'attends à cela parce que le premier jour où
je suis allé chez lui, je l'ai vu mentir à sa blonde Sofia comme un malade.
Depuis une semaine et demie il ne l'avait pas vu et là il défilait un paquet de
mensonges pour justifier pourquoi ils n'avaient pu se voir. Ça paraît très mal,
d'autant plus que je ne puis m'empêcher de penser que chaque fois qu'il me
parle, il radote des conneries. Il a beau dire que je suis trop intelligent
pour qu'il commence à me mentir, moi je crois que je suis trop paranoïaque pour
qu'il me dise même la vérité, car celle-là même je la considère comme fausse.
Ce n'est pas drôle d'avoir ainsi détruit ma confiance en lui le premier jour.
Il vit trop lui aussi. Drogue et histoire pas claires. D'où vient tout son
argent ? Comment peux-t-il laisser son emploi misérable au Box et survivre
sans problèmes à consommer des drogues qui lui coûtent une fortune ?
Pourquoi veut-il payer pour moi sans cesse (ce que je refuse
obstinément) ? Que me cache-t-il ? Il est vraiment mystérieux. Mis à
part sa double identité Alan/Aldo, que je me considère comme chanceux qu'il
m'ait au moins avoué cela, je perçois tout un univers
noir probablement inconcevable pour moi et certainement effrayant. Il
m'effraie, mais lorsqu'il place son visage près du mien, je le sers dans mes
bras et je l'emmènerais avec moi ailleurs que dans notre misère londonienne. Leonardo
serait-il plus stable ? Moins mystérieux ? J'en doute, connecté ainsi
avec la maffia, je comprends quelles étaient les ficelles qu'il a tiré pour en
arriver où il est. Drogues, clubbing, succès, argent,
maffia, où sont les portes de sortie ? Sont-ils liés par de quelconques
obligations jusqu'à la fin de leurs jours ? L'un ou l'autre, si l'un me
veut, je le prends. Si les deux me veulent, je les prends. J'embarque dans
n'importe quel bateau sans même connaître la destination. C'est ce que j'ai
fait en abandonnant ma sécurité à l'aéroport d'Heathrow. Maintenant je n'ai pas
du tout les quarante heures que l'on me garantissait et je sais que chaque fois
que je travaille de soir, je n'ai aucun pourboire. J'aurai définitivement moins
d'argent, j'en manquais déjà. Mais je continue ma descension vers les bas-fonds
de Londres. Bientôt ils vont m'emmener au DTPM et au Trade.
Deux endroits où tu t'emmerdes (comme au Vortex) si tu n'es pas sur la drogue. Trade, selon Leonardo, est impossible à apprécier si on
n'est pas sur la drogue. C'est fait pour ça. Alors je peux imaginer quelle
sorte d'atmosphère ce sera. Lumières aveuglantes dans toutes les directions,
musique de rave de malade qui tourne au 78 tours par
minute. Et sur le top, un paquet de queens qui
dansent comme des Star Treks, tous drogués aux suppositoires et qui ne voient
plus à un mètre devant eux. Ça vaut la peine de se payer une visite dans ces
endroits. Cela me donnera la chance de sauter sur Leonardo, l'embrasser partout
sous prétexte que j'étais saoul et lui voler ses millions par en arrière. Je
blague, je ne veux pas ses millions. Je le veux, lui. Mais j'avoue qu'il est
beaucoup plus facile d'apprécier quelqu'un qui est riche. Il est beau, comme
plusieurs autres, mais il est riche en plus, alors le choix est plus simple.
Mais je n'aurai même pas ce choix. D'autant plus qu'il retourne à Milan avant
la fin de la semaine. Je ne suis même pas certain de le revoir d'ici là.
Peut-être qu'Alan justement craint que je lui vole. Je le ferai si je peux.
Mais je vais essayer d'avoir Alan avant, et si ça marche, j'oublierai Leonardo.
Après ma journée de
travail d'hier et après avoir visité une chambre à Wood Green à l'autre bout de
la Piccadilly Line, je suis revenu au Box pour voir Alan. Il discutait avec
deux filles pas mal intéressantes. On a ri toute la soirée jusqu'à la
fermeture, puis nous nous sommes transportés à un café sur Old
Compton Street à Soho. Puis juste avant que je ne
manque le dernier train, on a parlé avec deux filles hétéros qui travaillent à
la crêperie à côté du café en question. Alan connaît tout le monde, partout. On
dirait même que c'est sa seule occupation, rencontrer les gens, faire du
social. Parfois je me demande ce qu'il en retire. En tant qu'immigrant qui
n'avait aucun ami, voilà qu'il est entouré comme jamais. Mais il n'est jamais
seul, il ne s'arrête jamais deux minutes. Encore ce week-end, trois jours dans
les clubs, jour et nuit. Drogue, drogue, drogue. Je l'ai laissé aux portes du
DTPM avant-hier. À aucun moment il ne m'a proposé d'entrer avec lui. Mais c'est
normal, je ne prends aucune drogue et ce n'est pas la musique que j'aime. Je
risque l'intoxication et l'asile si j'entre là-dedans. Je vois l'avenir. Je
sais qu'il ne cesse de me proposer de déménager avec moi à la fin du mois car
il n'a pas le choix de se trouver un appartement. Moi, étrangement, je suis
incapable de trouver une chambre Central London pour moins de 60 livres par
semaine. C'est normal en fait, pour ce prix. Ça existe tout de même, mais il
n'y a rien en ce moment sans compter que je n'ai pas l'argent pour déménager et
que même 60 livres c'est trop pour mon maigre salaire. J'ai la nette impression
que je vais emménager avec lui et apprendre énormément de ce que je juge être
son calvaire, mais dont lui semble heureux comme jamais là-dedans. Il a
toujours eu beaucoup d'argent, mais là il dit qu'il en a besoin. Il a commencé
à travailler chez Mezzo, un restaurant français à côté du Freedom.
Comment sera la vie avec lui ? Il sera toujours sorti, il ne rentre
jamais. Mais peut-être justement il ne rentre jamais car ça devient difficile
en ce moment de partager l'appartement avec sa sœur ? Le pire c'est que je
ne serai plus libre d'emmener qui je veux chez moi, car nous serons
implicitement ensemble, même si on ne fait pas l'amour vraiment puisqu'il n'a
pas de sexualité. Ou du moins le sexe est le dernier de ses soucis, il pourrait
vivre sans. La drogue est un merveilleux substitut à à
peu près tout. Je conseille à tous les gros laids incapables de se trouver
quelqu'un pour leur donner de l'affection de sauter dans la drogue à deux
mains, ils auront bien autre chose à penser, beaucoup à danser pendant des
jours et des nuits à perdre leur graisse. Et c'est là également un autre
danger. Je me crois invulnérable, je me pense au-dessus de tout le monde, mais
je suis exactement comme tout le monde. Il y aura une première fois et après ce
sera une habitude. Comme la cigarette. Si j'habite avec Alan, c'est certain que
je vais commencer les drogues. Si on m'en offre, je ne dirai pas non, je le sais.
Sa sœur donnait une soirée à la cocaïne ce vendredi soir. Cela signifie, elle
fournit la coke pour tout le monde. Combien coûte une telle soirée ? Il y
a des choses que je ne comprends pas. Se peut-il que son Leonardo descende
d'Italie une fois par mois pour lui apporter de la coke qu'Alan est chargé de
vendre au DTPM et au Trade ? Mais je l'ai
entendu dire au téléphone qu'il devait aller au DTPM justement pour acheter de
la coke pour sa sœur d'un homme aux cheveux teints en blond. Je ne sais plus
quoi penser, mais il m'a donné de sérieux indices. Italie, faux papiers
d'identité achetés à la maffia, gigantesques automobiles dans des coins noirs.
Je suis peut-être paranoïaque, mais il existe des questions non répondues et il
m'est peut-être dangereux d'en connaître les réponses. Cette obsession de Leonardo
de vouloir venir à Londres à chaque mois, plus spécifiquement aux deux endroits
les plus drogués en ville. Cet argent qui semble tomber du ciel lorsque mon
salaire à moi ne me permet même pas de payer une chambre dans le centre de
Londres. Et pourquoi offrir des soirées à la cocaïne si justement ce n'est pas
dans l'intention de se faire de nouveaux clients qui deviendront dépendants et
qui achèteront de nous par la suite ? Et pourquoi il veut déménager avec
moi, ce con ? Je sais qu'il veut se sortir de son enfer des drogues, il a
cette volonté. Peut-être croit-il que je pourrai le sauver ?
Malheureusement je ne suis pas là pour lui faire la morale, je sais bien qu'il
est tout à fait inutile de tenter de le dissuader. Moi je ne suis qu'un
observateur qui risque davantage d'être engouffré par lui. Il me donne tant
d'indices, mais j'ignore comment résoudre le puzzle. Dois-je m'attendre au
pire ? Que ferais trois enfants pour aider leurs parents en détresse dans
une Yougoslavie en péril ? S'il faut payer le château adoré, d'une vie
riche dont l'on ne peut plus se passer, alors le monde de la drogue est une
avenue pour ramasser vitement bien des livres sterling. La troisième sœur est
en Allemagne, elle aussi fournit aux parents. C'est beau la solidarité
familiale. Mais ça ne vient que lorsque les Serbes débarquent dans nos vies et
prennent tout. Alors l'instinct de survie dans une jungle soudainement inconnue
est la motivation première à ce rapprochement soudain. Il n'y en qu'en période
de crise que l'on comprend qu'il faut aider les nôtres. Parfois il serait
peut-être mieux d'être en période de crise, ainsi mes parents m'aideraient un
peu dans ma période de détresse intense que je vis depuis au moins cinq ans. Ils
ont tous des maisons et des voitures, des réfrigérateurs pleins à craquer, ils
dépensent comme des fous partout où c'est possible de dépenser. Pendant ce
temps je compte mes pennies pour prendre l'Underground. Je n'ai plus fait
d'épicerie depuis un mois. Je mange la bouffe de Rick.
Il me présentera bientôt ses multiples factures et me demandera la moitié de
tout cela. Je vais lui rire au visage et sacrer le camp durant la nuit. Il sait
où je travaille, il me poursuivra en justice. Son avocat, qu'il paie grassement,
se chargera de l'affaire. Ce jeune homme me doit 300 livres sterling, fait sûr
qu'il fera de la prison. Triste univers. Oh, je suis en train d'écouter Black Celebration de Dépêche Mode, ça me ramène quelques années
en arrière, alors que j'écoutais cet album vingt-cinq fois par jour. Je crois
avoir entendu dire à la radio que le chanteur Dave Gahan
était mort d'overdose, mais je n'ai eu aucune confirmation depuis, et puis il
n'y a rien de spécial à propos de Dépêche Mode chez Tower
Records à Piccadilly. J'espèere qu'il n'est pas mort,
j'ai besoin de leur prochain album et remixes afin de
survivre. Quoiqu'ils nous laissent une discographie assez impressionnante et
que Martin Gore et Alan Wilder continueront à faire de la musique intéressante.
My weakness
You know each and every
one (it frightens me)
But I need to drink
More than you seem to think
Before I'm anyone's
Extrait de A question of lust. Très profond.
Ce matin avant de partir
pour Covent Garden, j'ai décidé de mettre Beau Dommage. Je dois être le seul
sur les 75 millions de personnes au Royaume-Uni qui écoute Beau Dommage ce
matin. Après quelques chansons il m'a fallu l'arrêter, ça me rendait malade. Un
peu de Nine Inch Nails pour me ramener sur la terre. Le Québec n'est pas
mort, mais c'est tout comme. Je n'en entends jamais parler, il est à des
kilomètres de moi. Beau Dommage, c'est ce que chaque chansonnier perdu dans le
fond de n'importe quelle ville du Québec chante. J'ignore pourquoi ça me rend
malade. Je crois que c'est parce que ça me rappelle mon enfance de calvaire
dans la ville de Québec lorsque j'avais 4-5 ans. C'est les années 70, et c'est
tout, sauf ma génération et mon bonheur.
À qui je pense ce
matin ? Obsédé par l'image de Jonas. Sa voix si douce, son sourire, son accent
de jeune riche qui habite un château à Islington.
J'ai peine à imaginer qu'il attendra la fin de ses examens pour me revoir.
J'ose espérer que lui aussi pense à moi aujourd'hui. Maintenant que j'y pense,
ça ne me semble vraiment pas évident d'intéresser quelqu'un sur une longue
période. J'ignore ce qui se passait dans la tête de tous ceux que j'ai
rencontrés, mais très peu ont fait d'efforts pour me revoir. Enfin, ce n'est
pas si vrai. J'ai revu Neil plusieurs fois, Andrew également, Leigh me laisse
tranquille car il ignore si moi je veux le revoir. Duane a toujours vécu sur
une autre planète. Sans les crabes, peut-être serions-nous ensemble. Tout ce
que j'espère, c'est de revoir Jonas et de l'accrocher pour vrai.
Je pense que je suis allé
en enfer. Ou du moins je ne puis imaginer l'enfer pire que ce
que j'ai vécu ces derniers temps. Je viens de
dormir douze heures, je reviens de très loin. Penser, penser et penser. Que
vais-je faire ? Je suis très limité par l'argent. Oublions Paris. Les
chances de trouver un emploi après avoir passé à travers le calvaire de
l'immigration, à tenter de les convaincre que je suis inscrit dans une
université parisienne, et je serai mort de faim. Chercher un emploi à
Londres ? Je sais ce que c'est. Au moins quelques mois. Je serais dans la
rue à quêter avant d'avoir mon premier chèque. Pôpa !
Ton fils a besoin d'argent ! No way, Il faudra
que je sois vraiment désespéré pour lui demander quoi que ce soit, et lorsque
je dis désespéré, c'est vraiment perdu dans la rue sans avoir rien mangé depuis
des jours. Montréal. Habiter chez François, au moins un mois avant de trouver
un emploi, ce n'est pas la joie. Toronto. Une possibilité. Ottawa, une autre. Je suis tellement écœuré de vivre dans la misère,
tellement fatigué de travailler comme un malade pour en fin de compte être trop
pauvre pour payer mon logement, que je suis prêt à retourner à Ottawa s'ils ont
toujours un emploi pour moi.
Je viens de dormir un
autre quatre heures, cela fait seize heures en tout. Cet emploi m'achevait. Je
suis tellement fatigué, tellement amorphe. Hier, rendu à la station
d'Underground à Hounslow Central, j'ai manqué perdre connaissance. Je me suis
assis sur le banc et me suis dit que ça commençait à être grave, je ne suis
même plus en état de me rendre jusqu'à la station. D'habitude je monte les
escaliers roulants deux marches par deux marches, maintenant je me laisse
traîner jusqu'en haut et souhaite ne pas arriver pour ne pas recommencer à
marcher. Je parlais avec Chuck Fournier, l'Américain
de la Louisiane, c'est la même chose pour lui. Pas étonnant que je le rencontre
sur Old Compton Street à
trois heures du matin alors que nous travaillons tous les deux le lendemain.
Evening Standard :
Emploi de rêve
Compagnie américaine de mode offre amusement, voyage et une montée rapide
dans une carrière fascinante en administration. Aucune expérience nécessaire.
Pour entrevue immédiate, appelez Marco et habillez-vous pour impressionner.
Alors je vais arriver là
demain matin avec mes bermudas noirs, mes gros souliers d'alternatif, une
chemise blanche sortie de mes culottes, une cravate non attachée autour du cou,
un ruban rouge qui indique que je suis gai et mes lunettes de soleil Ray Ban.
Mes cheveux stylisés à l'extrême et une bouteille de Porto de qualité
supérieure et deux verres à vin. Je déposerai mon CV sur la table en affirmant
qu'il est inutile de le regarder, je n'ai aucune expérience. Buvons et amusons-nous, nous sommes à Londres et il y a une fin à nos
vies. Je déposerai un paquet de Gauloises et trois paquets
de condoms sur le bureau et j'annoncerai que je suis prêt à aller au lit. S'ils
ne me donnent pas l'emploi, je me demande bien ce qu'il faut faire afin de
décrocher un emploi sur cette planète. Je sais, j'ai l'air d'avoir 16 ans, mais
je suis très intelligent. Donnez-moi un contrat immédiatement ou je me tire une
balle dans la tête. Vous ne voulez pas avoir cela sur votre conscience,
n'est-ce pas ? Je suis prêt à vous suivre n'importe où, je suis
votre esclave.
« Félicitation,
vous êtes invité à une deuxième entrevue demain matin ! »
Yahoo ! « Impressionnez-nous encore ! » Comment vais-je
accomplir cela ? Mêmes vêtements, mais cette fois très bien arrangé. Je veux dire, je vais leur montrer le contraste. De
funky, je peux avoir l'air tout à fait présentable en cinq minutes. Ça va avoir
l'air bon marché, comme si je n'avais qu'un seul habillement, mais c'est le
cas ! Pourrais-je vraiment avoir cet emploi ? Moi ? Ce serait
trop drôle. Je retournerais demain au Box chercher mon misérable chèque de 100
livres pour deux semaines infernales de travail où j'ai été sacré dehors
ensuite, pour leur annoncer, avec mes remerciements, que j'ai décroché un
emploi à 25,000 livres par année, voyages dépenses payées, et que mon prochain
chèque pour deux semaines de travail sera de 1500 livres. Quinze fois le
salaire du Box. Quinze fois le salaire de la bitch
qui m'a mis dehors, parce qu'elle a à peu près le même salaire. Trop beau pour
être vrai. Mon premier chèque paiera deux fois le plafond de ma carte de crédit
que je suis incapable de repayer depuis cinq ans. Ce genre de chose doit bien
parfois survenir ? Ça arrive toujours aux autres cependant. Peut-être que
c'est à mon tour ? Hey Poupa !
Je t'appelle de Londres, je pars à l'instant pour New York, j'ai un nouvel
emploi avec la plus grande compagnie de mode du monde entier. Mon salaire ?
Le même que le tient ! Sans hypothèque, sans auto, chambre bon marché, je
serai riche ! C'est Marco qui m'a parlé au téléphone. Je parie que mon
petit ruban rouge pour soutenir ceux qui sont HIV+ a bien marché. En plus, tous
les hommes que j'ai vus là aujourd'hui sont hyper beaux. Alors si j'ai besoin
de coucher avec qui que ce soit, pas de problème ! Maintenant, mon seul
obstacle pourrait bien être mon visa qui va s'éteindre dans un an. J'espère
qu'ils ne poseront pas la question, s'ils la posent, il me faudra les rassurer
sur le fait qu'une grande compagnie comme la leur peut certainement aisément me
procurer une prolongation de visa, d'autant plus que je serai un directeur. Ce
sera à mon tour à faire souffrir les petits mécréants et à les mettre à la
porte sans solde et sans préavis. Non, je vais tenter de rendre l'endroit
vivable et sain. Jamais je ne pourrais fabriquer un enfer si c'est moi qui
étais le patron. Mais il faudra que tout fonctionne et que personne ne s'en
permette trop. Mais je serai large. Inutile de parler de tout cela, ils ne me
prendront pas de toute manière. Mais j'ignore ce que je ferai jusqu'à demain.
Je ne peux penser à autre chose. Un changement plutôt radical. Peut-être que
j'ai besoin de sortir d'ici. Appeler quelqu'un, n'importe qui. Ou espérer que quelqu'un va m'appeler. Ce qui serait bien
surprenant, ou ce ne seront pas les bonnes personnes.
Dans un cas désespéré de
ne pas demeurer seul toute la soirée, j'ai appelé Stephen, un gars que j'ai
connu à l'aéroport mais que je n'ai jamais osé appeler parce qu'il était trop
vieux. Eh bien, on se verra ce week-end, et comme d'habitude, quelqu'un plus
vieux vient toujours avec une histoire. Il se tient avec plein de gens huppés,
il se tient à Covent Garden et sur King's Road, un endroit très à la mode. Il
veut me présenter à son petit univers, il semble bien connecté. Il pourrait
même m'aider à trouver un emploi. Son appartement est juste de l'autre côté
d'Osterley Park. Ça a au moins ça d'avantageux. J'espère juste qu'il est plus
beau que le souvenir que je garde de lui. De toute manière il m'apprendra
énormément de choses. J'ai appelé Mark aussi, il va me rappeler la semaine
prochaine. Il est très occupé. À quoi ? Puisqu'il est sans emploi et que
l'université est terminée ? À chercher de l'emploi. Alors tu as des entrevues ? Non, mais
j'espère en avoir bientôt. Pauvre lui. Moi je les collectionne les entrevue,
trois en deux jours, pour deux appels téléphoniques. Mais ça ne veut pas dire
que j'aurai l'emploi. Ça ressemble à quelqu'un qui ne veut pas me rencontrer.
Mais c'est OK, je ne suis pas si intéressé à lui. Mon choix s'est arrêté sur
Stephen avant de s'arrêter sur lui. Bien que Mark doive avoir 21 ans et que
Stephen doit en avoir 31, sinon 35.
Voilà, il est déjà l'heure
de téléphoner pour apprendre la bonne nouvelle. Car que je sois choisi ou non,
c'est une bonne nouvelle. C'est logique que si j'ai été sacré dehors du Box, c'est que soudainement quelque chose s'en venait. Serait-ce
cet emploi ? Ou l'autre entrevue que j'ai ce soir ? Cela m'irait
mieux, ils veulent des gens bilingues et ça implique certainement davantage de
déplacements que cette compagnie de parfums qui fait tout son argent en volant
les recettes des parfums des autres. Enfin, ce que j'ai besoin c'est un emploi dans
un bureau où je n'aurais absolument rien à faire. C'est ça que je veux. Oh mon
Dieu, je dois appeler. Quel calvaire. Ring... ring... « Félicitation !
Vous avez l'emploi ! » Merci, mais je vais le refuser. Je viens juste
de parler avec mon père. C'est de l'engagement pyramidal, à la limite de la
légalité. Ils t'engagent pour que tu vendes du parfum de 5 à 7 semaines,
ensuite tu deviendrais un directeur ou quelque chose du genre, mais en fait, ce
que tu fais, c'est recruter 80 personnes, ou ce que tu peux, pour vendre du
parfum de 5 à 7 semaines avant qu'ils puissent eux aussi devenir des
recruteurs. Voilà pourquoi c'était si jeune et que j'ai eu l'emploi et qu'on
n'a pas voulu me dire combien de gens qui étaient là ont eu l'emploi. C'est
clair qu'ils ont tous eu l'emploi. Je suis heureux que mon père connaisse
suffisamment tout pour avoir vu, avec le peu d'information que je lui ai donné,
que c'était une passe qu'ils nous faisaient. Bien sûr, il y a une limite à ce
qu'ils peuvent ouvrir comme bureau. En moins d'un an, c'est sursaturé. C'est de
l'exploitation pure et simple, surtout pendant l'entraînement, où je vendrai du
parfum (heurk). Je n'irai même pas lundi. Je téléphonerai
pour leur dire que j'ai décroché un autre emploi. Je ne vois certainement
mentir à tout et chacun, leur faire miroiter un paradis qui n'existe pas. Deux
jours de perdus. Mais au moins j'ai découvert un coin impressionnant, Kingston
est vraiment bien. J'y retournerai un jour, en amoureux. On devrait toujours se
méfier de compagnies américaines qui font trop d'argent. Espérons que ce soir
ce ne sera pas la même chose avec Herbal Life.
J'ai passé une journée
merveilleuse avec Jonas. Ce jeune homme me remplit d'énergie et c'est bien la
première fois que je ne puis m'empêcher de toucher quelqu'un, lui prendre la
main, l'embrasser dans le cou. Partout dans Londres. Même dans le parc rempli
de hétéros. Il dit qu'il aime ça, je ne voudrais pas devenir fatigant. On va se
voir ce dimanche à Miss-Shapes (qui est le nom d'une chanson de Pulp) puis mercredi on va au cinéma (on a eu des billets
gratuits aujourd'hui, promotion avant-première, quelque chose sur Marylin Monroe). Mais il est dur d'accès. Il n'a pas voulu
venir chez moi, mais je n'ai pas du tout insisté puisqu'il m'a fallu attendre
jusqu'à seize heures pour avoir mon chèque du Box et courir à la banque avant
que ça ferme. Résultat, ça va prendre six jours avant que je n'aie accès à cet
argent. C'est vraiment un calvaire les banques londoniennes. Je lui ai menti
deux fois. Il m'a demandé si j'avais couché avec Leigh, je lui ai dit non. Il
m'a même demandé si j'étais en amour avec (of course not). J'ai l'impression
que des gens lui ont parlé. Je m'en fous, je peux nier toute l'histoire
jusqu'au bout. Mais ce sera difficile à Miss-Shapes ce dimanche. Leigh sera là
toute la soirée, peut-être même Duane et surtout Andrew. Cette histoire
deviendra très complexe bientôt. Jonas me dit que le sexe ne l'intéresse pas
vraiment. Ensuite il tente de me faire croire qu'il n'est pas gai. Il dit qu'il
aime flirter avec les gais et coucher avec juste parce qu'il est
exhibitionniste et qu'il aime qu'on le regarde et l'apprécie. Bull shit. Il
était bandé comme un cheval et il a éjaculé. C'est vrai, qu'il dit. Alors il se
proclame bisexuel, les filles l'attireraient davantage. J'espère que c'est
faux. La deuxième fois que je lui ai menti, c'est lorsque je lui ai lancé que
mon quotient intellectuel était dans le 1 % supérieur à tout le monde
alors qu'en fait je suis dans le 4 % supérieur. Ça l'a bien impressionné,
ils sont tellement impressionnables à 18 ans. Il m'a menti aussi lorsqu'il m'a
lancé qu'il a rencontré deux fois Jarvis Cocker de Pulp. Alors, je m'en fous. Je me demande si je vais téter
longtemps autour d'un jeune qui s'amuse à me faire languir. Je m'en vais te
l'envoyer chier dans le prochain tournant. Là j'ai Stephen qui va me rencontrer
demain probablement et j'ai le cuisinier du Box (incapable de me souvenir de
son nom). Merde, pourquoi ce flot de Jonas s'amuse-t-il avec moi s'il ne veut
plus coucher avec moi ? C'est moi qui joue à ces jeux stupides d'habitude.
J'ai au moins la décence de ne pas vouloir rencontrer les gens avec qui je ne
veux pas coucher. Je dois avoir un problème d'affection, je voudrais être sans
cesse collé à quelqu'un que j'aime. L'unité, comme dirait Rod l'hindouiste.
Un hippie, je dirais même
un yuppie ou quelque chose du genre. Le genre de jeune riche qui roulait en Jaguar
et qui habitait une maison gigantesque. Maintenant il roule en Renault 5 et il
habite un petit appartement. Il a déjà eu des tarentules et des singes,
maintenant il a trois chats burmeses dont s'était
échappé hier. On n'a pas fait l'amour, parce qu'il a tellement peur de
sacrifier notre amitié qu'il aimerait mieux ne pas y mêler le sexe (il sait
très bien qu'à l'âge qu'il a, on ne développera certainement pas une relation).
Je l'ai embrassé lors de mon départ, je suppose que maintenant il pense que
l'on va faire l'amour la prochaine fois que l'on se verra. Il était supposé ne
pas m'appeler ce soir, maintenant il va m'appeler. Il se dit très spirituel,
mais pas vraiment. Il veut devenir végétarien, mais c'est trop difficile. Son
appartement est rempli de gris-gris de toutes sortes, même des portes bonheurs
Amérindiens. Un gris-gris supposé faire partir tes mauvais rêves et garder les
beaux rêves. Il a un Bouddha dans sa maison, mais il n'est pas bouddhiste. Il a
une passion insensée pour le bambou et le liège. Tout se veut exotique. Il va
me présenter Melissa, une femme mystérieuse et extraordinaire qui est membre
d'un club très Underground appelé Black. C'est dans le red
light district à Soho et il n'y a aucune pancarte. C'est sur trois étages de
gens hyper accueillants. Surtout des écrivains et des poètes (des ratés je
suppose). Il dit qu'il va me présenter cette femme. Je suis bien curieux de la
rencontrer. Elle est riche, tout comme lui-même, qu'il me dit. Je ne crois pas
qu'il soit riche. Une Renault 5 ? Essayez encore ! Il dit que ça
coûte cher pour être membre de ce club noir. Je serais curieux de voir à quoi
ça ressemble. La personnalité de Stephen est assez impressionnante. Il m'a
pratiquement envoûté. La première minute que je l'ai vu, j'ai cru apercevoir un
extra-terrestre avec des lunettes Oakley. Puis dans
l'automobile, je me disais, non je ne coucherai pas avec. Puis une heure plus
tard, sa personnalité m'a charmé. Soudainement je le trouvais très beau.
J'avoue que ça m'inquiète. Je ne voudrais pas tomber en amour avec lui. Car non
seulement deux générations nous séparent, mais en plus, il est une génération
en retard sur son temps (les yuppies-hippies sont
morts et enterrés). Tout cela me semble bien artificiel.
Ce que je craignais avec Rick vient juste de commencer. Il commence ses petits jeux
avec moi et je sais très bien qu'il n'y a pas de porte de sortie. La semaine
passée je lui ai donné 60 pence de moins car je n'avais pas de change. Il est
parti en peur. Cette semaine, je lui ai donné 10 livres de moins parce que je
ne peux pas toucher mon chèque avant mercredi. Aujourd'hui il a déboulé dans ma
chambre, m'engueulant que c'était son argent que je lui ai volé et que
maintenant j'abusais de lui parce que je mange ses choses. Fuck !
Il garde tous ses coupons de caisse, croyez-vous que je suis sans savoir qu'il
va me pointer cela sur le nez bientôt ? Je n'ai jamais eu la moindre
intention de ne pas payer ma juste part des choses, et je sais très bien qu'il
fait un compte assez hardi de tout ce que je consomme. Il est incapable de
comprendre que je n'ai plus d'emploi, il dit que ce n'est pas ses affaires. Il
a une hypothèque à payer et maintenant il dit qu'il a décidé d'augmenter le prix de mon loyer. Fuck you man ! Je déménage le plus tôt possible et tu pourras
aisément t'amuser à trouver un locataire qui voudra bien demeurer aussi loin du
centre-ville et des stations d'Underground. Bonne chance avec ton hypothèque.
Dorénavant il veut que l'on mange nos propres choses, que l'on achète notre
propre épicerie. J'ignore pourquoi il a décidé de me tomber sur la tête
aujourd'hui, sans compter son ton. Même mon père ne m'a plus parlé ainsi depuis
longtemps. Pour qui se prend-t-il ? Soudainement il pense que je n'ai plus
d'argent et il a décidé de se débarrasser de moi ? Ou cela lui donne le droit de m'insulter et de me traiter
comme de la merde ? J'ai terriblement peur qu'il ne veuille pas me donner
mon argent de dépôt : 185 livres. Dieu sait que j'en ai besoin et je suis
convaincu, mais totalement convaincu qu'il ne me le donnera pas. Tout
simplement parce qu'il n'a pas d'argent et qu'il ne peut plus payer son
hypothèque. Il s'est payé des avocats pour faire de la merde à son ex et voilà
que c'est à mon tour. Il fait bien trop d'heures supplémentaires, ce qui signifie
qu'il ne pourra pas me payer. Nous avons signé quelque chose, je devrais le
photocopier. Mais le problème c'est que je n'ai ni le temps, ni la force, ni
l'énergie pour tenter, en cour de justice, de ravoir mes 185 livres. Il ne me
reste plus qu'à oublier tout cela. Pourquoi ai-je autant de problèmes ?
Pourquoi soudainement je n'ai plus d'emploi et en plus je dois déménager ?
Ça me tue. Je ne suis plus capable de respirer. Il y a des gens sur cette
planète qui sont venus au monde juste pour faire chier la planète. Par où
commencer ? L'emploi ou le logement ? Le suicide peut-être. Le temps
n'a jamais autant été si bien choisi.
Ô Seigneur ! Je suis
perdu ! Comme prévu, voilà que j'ai déménagé chez Stephen, comme si la
chose était tout à fait naturelle. Ça fait très bizarre. J'ai dormi jusqu'à
11h20, ses trois chats collés sur moi. Je me sens un peu coupable de ne pas
chercher d'emploi aujourd'hui ni de chambre, mais il n'y a pas grand-chose que
je puis faire. Je vais me renseigner à Osterley Park s'ils ont de l'emploi.
Demain j'aurai de l'argent. Ne suis-je pas trop extrême ? Déménager ainsi
à la moindre petite alerte. On dirait que la crise de Rick
m'a plutôt servie de prétexte à changer ma vie complètement. Et ça a marché.
Mais je ne pouvais plus l'endurer. J'ai fait énormément d'efforts, mais
lorsqu'il commence à me faire sa morale, il y une limite : « un jour
il faudra bien que tu t'arrêtes et que tu prennes tes responsabilités ». Fuck off ! Je n'ai nul besoin de cet enfer. Il en
était à vouloir m'exploiter parce que j'étais dans une mauvaise posture. Il est
vraiment écœurant. Il ne méritait plus une livre de moi, à lui maintenant de
peut-être me redonner de l'argent après qu'il ait calculé tout ce que je lui
dois (parions que ce sera exactement 185 livres, ou pire, ce sera davantage. Je
n'emporterai pas d'argent ni de chèque avec moi lorsque j'irai le rencontrer.
Surtout pas ma carte de crédit, il risque de la garder jusqu'à ce que je lui
apporte son argent. La première descente de bagages, il m'a redemandé mes clés
en tirant mon sac à l'intérieur. Il doit être la seule personne dans le monde
qui n'a pas confiance en moi, et il a eu toutes les chances de mes connaître en
deux mois et demi. Je suis tellement heureux de l'avoir fait disparaître de ma
vie, car avec lui il n'y a pas d'espoir. Ça s'est bien terminé je suppose, mais
j'ai encore à le rencontrer. Je ne discuterai pas très longtemps avec lui. S'il
a la moindre impression d'avoir perdu, il me cherchera des problèmes
éventuellement. Il voulait savoir le nom de famille de Stephen, il voulait
savoir s'il travaille pour British Airways. Lorsque je lui ai donné son numéro
de téléphone, il s'est mis à paniquer, disant que je lui cachais son vrai
numéro de téléphone, que je ne lui donnais que le numéro d'un mobile, alors il
lui serait impossible de me retracer. De quoi a-t-il peur ? Pourquoi
voudrait-il me retracer ? Qu'est-ce qu'il s'imagine ? Il est vraiment
dangereux. Stephen n'a pas de téléphone, il n'a qu'un mobile. Et d'ailleurs,
pourquoi avoir un téléphone de British Telecom si on
a déjà un mobile ? Un homme appelé Stephen, travaillant au terminal 4 à
Heathrow, demeurant à Osterley, Isleworth. C'est déjà plus d'informations qu'il
n'en a besoin pour me retracer. J'ai intérêt à le quitter en bons termes, même
si je perds tout.
Stephen est un homme
extraordinaire. C'est assez impressionnant comment j'ai pu changer mes préjugés
après une seule rencontre. Il est un éternel enfant et oui, il est un vrai naughty boy. À 18 ans il volait une compagnie d'assurances
et roulait en Jaguar. Il la stationnait dans une gigantesque maison qu'il avait
achetée dans les environs. Maintenant il a un petit appartement très bien et se
promène en Renault 5. C'est difficile pour son Égo,
mais il survit. Bientôt il m'emmènera voir ses amis, il me paiera des
restaurants, il m'emmènera au Neil's Yard, son coin favori à Covent Garden. Il
est presque déjà en amour avec moi, je suis heureux qu'il soit si content que
je sois ici. De mon côté je l'apprécie beaucoup, donc ce n'est pas un problème.
Son âge n'est pas un obstacle, contrairement aux autres que j'ai rencontrés
dernièrement. Bien sûr, il est le seul avec qui je peux faire l'amour pour le
moment, je ne peux tout de même pas m'absenter une nuit. Mais c'est OK, il n'y
a plus personne dans le décor de toute manière. Sa personnalité est assez impressionnante.
Il sourit sans cesse, il parle toujours, il remplit tous les vides, il te fait
aisément croire que là où il est, tu ne manques rien de ce qui est ailleurs. Ça
fait longtemps que je voulais rencontrer quelqu'un comme ça. Si je décide de ne
plus coucher avec lui après coup, je vais certainement le garder comme ami
proche. J'aime l'idée qu'il se prenne pour riche et à la mode, à la limite, il
est probablement riche et il semble à la mode. Et le mieux de tout cela, c'est
que je n'ai pas l'impression d'être celui qui profite de lui (même si c'est le
cas), mais je me vois comme son égal. Malgré tout je me sens perdu. J'habite
maintenant avec un étranger, je n'ai plus d'emploi ni d'argent. Je considère
cependant que la situation dans laquelle je me trouve, je l'ai en quelque sorte
choisie. Je la voulais, pour apprendre des choses. Et bien sûr, ça fonctionne.
Hier j'ai vraiment atteint
le fond du baril. Vraiment, si j'avais eu à ma portée un moyen quelconque de me
suicider, je n'aurais même pas hésiter. Ce matin je respire mieux, mais je ne
regretterais pas d'avoir mis fin à mes jours. J'ai toujours fait ce que j'ai
voulu, je me demande si je n'en viendrai pas à ça. Il me semble que c'est ma
seule porte de sortie, à moins qu'il n'y en ait absolument pas. Hier j'ai vécu
l'enfer. Ça a commencé à midi et demi chez Caffé Uno en face de cinéma Odéon à Marble
Arch. On y rencontrait Melissa, Nigel et une amie de ses amies. Alors on a payé
une fortune, 169 livres sterling, pour deux misérables pointes de pizza et un
bout de cannelloni. Ils n'ont jamais arrêté de commander du vin. Ensuite nous
sommes allés acheter de la bière puis on s'est retrouvé au bureau de Melissa.
On a bu, on a rencontré le copain de Melissa qui lui a avoué qu'il ne pouvait
pas endurer qu'elle ait des amies gais (et
probablement qu'il ne pouvait pas se payer une femme aussi dispendieuse), puis
on s'est retrouvé au pub au coin de la rue. Quatre Pimm's plus tard, nous
étions au Hilton's Hôtel sur Hyde Park Corner, au
Trader's Vic. Après nos cocktails exotiques (déjà je ne voyais plus clair),
nous nous sommes ramassés dans un club sud-américain, avec musique espagnole
folklorique plate en face de la station Bayswater, et
quelques margueritas plus tard, j'étais complètement
endormi sur le divan. Jamais dans ma vie je n'ai eu un tel mal de tête. Alors
que je voulais partir, tout le monde s'est ramassé dans un restaurant chinois.
Alors non seulement il me fallait endurer que l'enfant de Melissa veuille toujours
s'amuser avec moi, Stephen, lui, pendant ce temps, draguait Nigel. Fuck ! Tu as le plus beau jeune homme que tu n'auras
peut-être jamais plus dans ton lit, et tu trouves le moyen de draguer un plus
laid qui ne s'intéresse même pas à toi, mais qui s'intéresse plutôt à ton jeune
copain ? Je peux bien croire qu'il était saoul lui aussi, mais quand même.
Ah oui, j'ai oublié une destination, un autre restaurant chinois durant la
journée où on a encore mangé. J'ignore la chronologie des événements. Après il
y a eu les discussions de mariage au Hilton. Moi et Melissa. J'ignore pourquoi
elle veut se marier avec moi, elle dit que ça l'aiderait à cause de son premier
mariage. Je crois plutôt qu'elle est fêlée dans la tête et que son rêve a
toujours été d'épouser un gai. Elle veut qu'on la trouve extravagante, je
suppose. Excentrique. Son fils disait que je serais le père parfait, que je
suis le meilleur mari que sa mère pourrait avoir et qu'il fallait le
croire : il a beaucoup regardé autour. C'était gentil de sa part et
effectivement, je serais le père parfait pour lui, même si c'est juste pour le
protéger du monde d'enfer que sa mère lui fait subir. Il nous a suivi partout
où nous sommes allés, tous les clubs et tous les pubs. À la fin de la soirée,
je n'en pouvais plus. Au restaurant chinois, voilà que seuls Melissa mange, M
un petit quelque chose. Je commande un verre d'eau du robinet. Voilà que la
carte Barclay, Master Card, de Melissa n'est pas
acceptée, ils ne prennent qu'American Express (ce qui
est assez surprenant). La facture, avec tout ce qu'elle a commandé pour
emporter, s'élève à 46 livres. Elle n'a plus d'argent, il me reste à peine 20
livres, toute ma fortune pour survivre le plus longtemps possible. Stephen
commence à faire de la marde, il dit que c'est
inacceptable qu'ils ne prennent pas Master Card et
demande pratiquement de partir sans payer. Le directeur a envoyé une de ses
employés dans un restaurant en face afin de prendre l'argent. Cela a pris
tellement de temps qu'ils ont décidé de partir sans payer et d'annuler la carte
le lendemain. Là je n'étais pas de très bonne humeur. Stephen exagérait, ils
rêvaient en couleur s'ils s'imaginaient qu'ils pourraient ainsi partir, et bien
sûr, ils avaient torts. Bon Dieu, je suis peut-être le plus pauvre de tous,
mais au moins je ne suis pas con comme ça. À la sortie on a vu une armée de Chinois
se lever contre nous pour s'assurer que nous ne sortirions pas sans payer.
Jamais je n'ai autant été humilié de ma vie. Finalement la fille est revenue
avec la carte : sans fonds ! Alors là j'étais définitivement enragé.
J'ai sorti mes derniers vingt livres et j'ai dit à Stephen de payer la
différence, que je le rembourserais s'il faut : payons et sortons
d'ici ! Jamais plus je ne voudrai me retrouver dans une telle situation.
Et là j'ai l'autre, Nigel, qui nous invite à sa soirée ce samedi. Il
s'intéresse à moi et Stephen s'intéresse à lui. Et moi je ne m'intéresse plus à
personne et je suis définitivement convaincu que Londres ne me rendra jamais
heureux. Eh puis, je n'ai même plus une livre. Que faire ?
Je reviens de la chambre,
Stephen m'a dit bonjour, mais c'était froid et il n'a pas voulu me parler
davantage. Je ne sais pas à quoi m'attendre. Pourrait-il soudainement m'annoncer
quelque chose de vraiment terrible ? Genre, il faut que je parte. Il n'a
pas l'air de bonne humeur. Je me sens soudainement bien mal à l'aise d'être
ici. Mais je n'ai plus nulle part où aller. Je n'ai plus la capacité de me
rendre ne serait-ce qu'au centre de Londres.
Tout va bien en ce moment
entre moi et Stephen, mais je ne pourrai pas tenir très longtemps. Je commence
à en avoir ma claque d'être obligé de l'embrasser et le sexe n'est plus ce
qu'il était au début. De plus, il est vraiment bizarre. Si j'ai connu des gens
qui me cachaient des choses avant, celui-là c'est le jack pot. Parce que c'est
la fin du mois, il doit trouver de l'argent. Son chèque ne viendra que dans
quelque temps, bien que je croyais qu'il venait juste de l'avoir. Il dit qu'il y
a plusieurs possibilités de faire de l'argent, il va d'abord visiter des amis
puis si ça ne fonctionne pas, alors... il ne veut pas m'en parler. Je ne serais
pas surpris qu'il s'agisse de quelque chose de bien malhonnête. Il m'a avoué
avoir volé une banque par un procédé assez intelligent. Sur le tiroir de dépôt
à l'extérieur de la banque, ils ont placé un papier pratiquement officiel de la
banque affirmant que les dépôts ce soir devaient s'effectuer dans la boîte aux
lettres. Alors tous les petits magasins du coin, après leur journée de travail,
ont déposé leur argent dans le mauvais tiroir. Pour atteindre cet argent
ensuite, ils ont tout simplement rempli la boîte aux lettres de balles de ping-pong.
Bien sûr, ce genre d'exercice n'est possible que si la banque est perdue, non
surveillée, etc. Aujourd'hui ce ne serait peut-être plus possible de faire ça,
trop de caméras. Mais ça ne fait pas très longtemps qu'ils ont fait leur coup,
peut-être moins de deux ans, car il dit avoir acheté son automobile avec cet
argent et je crois qu'elle n'a pas deux ans. Bientôt j'aurai un ami en prison.
Le gars avec qui il faisait ses coups, lui, est allé en prison pour deux ans.
Pas mal, deux ans de prison pour avoir profité de tout cet argent volé pendant
des années. En plus, ils ne t'enlèvent même pas ton argent. Fraude d'au moins
300,000 livres sterling. Ça c'est quelque chose. Interception de lettres de
compagnie en prenant leur courrier directement dans leur boîte aux lettres.
Là-dedans tu as des numéros de compte de banque, des signatures, toutes les
informations nécessaires pour te prendre 5,000 livres sterling en chèques de
voyage, argent pris directement dans ton compte, ou le compte de la personne
dont tu imiteras la signature. Si c'est au nom d'une compagnie, genre WHSmith,
c'est encore mieux. Tu te fais passer pour le manager, tu appelles la banque
pour voir si tes chèques de voyage sont prêts, tu paies un gars pour aller à la
banque à ta place sous prétexte que tu es trop occupé. Voilà, tu as full
argent. Tu veux le doubler ? Oh non ! J'ai encore perdu mes chèques
de voyage. Appelle American Express, on va doubler
notre argent. C'est ça le genre de business de Stephen. Assez impressionnant.
Hier il me racontait comment il avait déjà tué une jeune fille au Maroc. Frappée
sans faire exprès avec un camion. Il ne s'est jamais arrêté pour vérifier
qu'elle était vraiment morte, parce que les prisons au Maroc, si tu en
ressorts, tu es un légume accompli. Au moins il en a
toujours eu des problèmes de conscience. Il dit qu'il n'était ni sous
l'influence de l'alcool, ni sous celle de la drogue.
Le petit con d'Australien
m'en a fait manger toute une. On a fait l'amour en quatrième vitesse parce
qu'il est arrivé très en retard, puis nous sommes ressortis avant que Stephen
ne revienne. Un coup dehors, voilà qu'il me reproche d'être encore vierge (et
encore, je dirais une vierge).
-Quoi ? Mais on vient juste de coucher ensemble !
-Mais ça ce n'est pas avoir du sexe. Ces petites choses ne sont rien. Je faisais cela lorsque j'avais
16 ans.
Alors le con est non seulement pas vierge, mais en
plus, il voulait se faire fourrer lui aussi, tout comme Jonas, le flot de 18
ans. Mais qu'est-ce qu'ils ont tous à vouloir se faire pénétrer alors qu'il
n'ont que 18 ans ? Et moi qui croyais que de prononcer le mot pénétration
le ferait paniquer parce qu'il est encore trop pur. Trop pur mon cul, il a
certainement plus d'expérience sexuelle que moi. Alors, pourquoi il ne s'est
jamais fait fourrer par d'autres ? Jamais les bonnes personnes, qu'il dit.
Ainsi moi je suis la bonne personne. Désolé, je vais essayer samedi prochain de
t'arracher les tripes, espérant que cela fonctionnera. Je peux le faire, oui,
même si ce n'est pas ce qui m'excite moi. En plus, avec des statistiques aussi
élevées sur le sida, j'hésite à le faire avec tout et chacun. Je dois être dans
une situation de confiance et me sentir confortable, sans compter qu'il me faut
vraiment être excité. Le jeune m'a fait me sentir
tellement nul, naïf et innocent, c'est incroyable. Tellement avoir eu l'air
d'un fou parce que je n'ai pas su comprendre que d'avoir du sexe signifiait
pénétration. J'ai tellement honte ! Et le voilà qui me reproche ensuite
d'être encore vierge. Eh bien, t'avais qu'à parler, t'avais qu'à le dire que tu
n'attendais que cela, que je te fourre. Tes condoms, pourquoi ne les as-tu pas
sortis ? J'aurais compris. En plus j'étais assez excité pour le faire,
même suffisamment excité pour qu'il me le fasse. Enfin bref, nous sommes allés
finir l'échec dans la salle de thé d'Osterley House dans Osterley Park. Deux
scones avec crème et confiture de fraise. Une très belle journée d'été.
Maintenant j'hésite à coucher avec le monde. Ils veulent tous quelque chose que
je ne puis leur offrir. Et ils me reprochent ensuite que le sexe est plat avec
moi, que je ne sais pas ce que je veux, pour reprendre les paroles de Neil qui
m'a d'ailleurs justement téléphoné avant-hier. Il peut aller chier celui-là.
D'autant plus qu'il est peut-être celui qui m'a refilé des crabes. Eh bien je
me fous de tout ce petit monde. Je n'en ai plus que pour Michael et celui-là je
vais le fourrer et je vais le laisser me fourrer, quitte à réessayer chaque
soir jusqu'à ce que je me sente en confiance totale. Mon jeune Australien prend
de la drogue, de la marihuana fort souvent, Ecstasy de
temps à autres. Michael lui est sur les speeds. Et moi, les cigarettes, le sexe
spirituel, la sublimation du cul en sentiments nobles. La vie est complexe. Ne
pas faire la même erreur avec Michael. Ce n'est pas sans raison que cette
question est surgit très tôt en début de connaissance. Il lui importait de
savoir si c'est moi qui allais le fourrer ou si c'est lui qui me fourrerait.
Semble-t-il, dans une relation, ce n'est jamais aller-retour, c'est toujours
sens unique. J'espère que je n'aurai pas à choisir, moi je souhaite les deux.
Lui, je l'ignore. Il m'a dit qu'avec son copain d'avant, il était actif. Mais
avec Nigel, il était passif. Normal, ces vieux croûtons de trente ans veulent toujours
être en contrôle de la situation. Moi, c'est décidé, seuls les personnes du
même âge que moi ou plus jeune vont me pénétrer. Parce que je déteste cette
attitude chez les vieux qui fait que nous devrions toujours être passifs parce
que nous sommes jeunes. Alors, croyez-vous que Michael veut continuer sa
passivité ou il veut devenir actif ? Mystère.
Ce soir c'est samedi soir,
je reste seul à la maison, Stephen est allé voir ses amis. Je suis bien heureux.
Mais je suis si peu habitué à me retrouver seul ici
que finalement je me sens tout drôle. Je crois d'ailleurs qu'il arrive. Mais ce
serait bien surprenant, il ne travaille pas demain. Il devrait normalement
rentrer tard. Mais plus rien n'est normal chez quelqu'un de trente ans. Ils
sont fatigués des clubs, alors tout ce qu'ils font c'est s'enfermer dans les
pubs et boire jusqu'à ce qu'ils tombent ou fassent des conneries. Michael, lui,
ça fait trois mois qu'à chaque soir il va s'enfermer avec Nigel à l'intérieur
du bar code. J'y suis allé, c'est bien terrible comme endroit. Je ne pouvais même
pas y demeurer plus d'une minute. C'est vieux, laids, musique dance effrayante, et puis on y étouffe. Michael avait
besoin de moi et j'espère bien ne pas le décevoir. Voilà, je vais aller me
coucher en pensant à lui. Puisque ordinairement, le samedi, il doit demeurer
avec Nigel toute la journée. Une obligation. C'est assez terrible. Il dit qu'il
ressent des choses pour moi. « Les sentiments que j'ai pour toi, juste à
te regarder, sont différents de tout ce que j'ai expérimenté avant. » « OK. L'heure de la vérité.
Je n'ai jamais senti ce que je ressens pour toi - même
si je viens juste de te rencontrer. De toute manière j'ignore ce que tout cela signifie. Je sais que je ne peux m'arrêter de
te regarder. Je déteste le mot amour. » « Je ressens un sentiment très
fort pour toi. Je ne mens pas, tout ce que je te dis est vrai. » Serait-il possible que tout cela soit
vrai ? Il faut le voir me regarder, c'est certes bien évident qu'il se
passe quelque chose dans sa petite tête. Je suis tellement chanceux de pouvoir
ainsi intéresser quelqu'un en si peu de temps. Le pire c'est que jamais je
n'aurais cru qu'il puisse être gai. En plus il avait l'air du jeune de la
place, le point central de tout, attirant toute l'attention. Alors je m'en
méfiais, ignorant si je devais le craindre pour sa désinvolture ou alors m'en
faire un ami. Secrètement je me demandais s'il était gai, espérant comme
jamais. Il est si beau et si jeune. Souvent, lorsque je me retournais, il m'observait
mais très vite il regardait ailleurs. Me regardait-il vraiment ? Serait-il
gai ? Et puis je l'ai vu à la Gay Pride. À
travers des dizaines de milliers de gens, je l'ai vu, et tous mes préjugés sont
tombés. Soudainement il était devenu un cœur sensible, bourré de problèmes avec
son copain, amoureux de moi. Ce premier lundi où nous savions, ça lui a pris
tout le courage imaginable pour me demander on a date : tu vas luncher à
quelle heure ? Puis il était si embarrassé et timide, qu'il n'arrêtait pas
de rire, sourire, faire des faces bizarres, parler de travers, paniqué
complètement. C'était on ne peut plus charment. Et il fait voir ce beau petit
derrière bien rond et ce cou de petits poils blonds. J'aime ses mains, c'est
important ça les mains (et les orteils). Il n'est malheureusement pas circoncis,
mais enfin bon.
Tiens, c'est la fête des
Français aujourd'hui. Les pauvres, en plein dimanche, ils ne pourront profiter
d'une journée de congé payée. Mais connaissant les Français, ils ont dû se
débrouiller pour avoir le lendemain de congé. Stephen devient de plus en plus
astucieux pour être certain que je ne vais pas sortir de la maison. Sous
prétexte qu'il n'a plus une livre, il ne m'a rien laissé. De peur que je
téléphone quelqu'un comme hier, qui pourrait finalement venir ici, il a emmené
son téléphone portatif. En plus, pour ne rien laisser au hasard, il me dit
qu'il reviendra ici cet après-midi. Ce qui est totalement faux. Son horaire de
la journée est trop chargé, toutes les personnes qu'il doit rencontrer sont au
centre de Londres. Il reviendra tard ce soir. En fait, il a full argent. Mais
il a enfin compris que s'il me le disait, alors il devrait sans cesse me donner
10 à 20 livres par jour. C'est ce que je dépense chaque fois que je sors de la
maison. Il n'a même pas voulu me donner £ 2.40 pour que je me rende au
travail pour imprimer des choses avec Rachelle. Je
suis son prisonnier. Exactement comme Michael l'est avec Nigel. Ils se sont
pris les doigts dans le piège. Le danger lorsque l'on est vieux et que l'autre
est jeune, c'est que le vieux n'a plus les mêmes intérêts que le jeune et définitivement
le jeune voudra vivre autre chose. Le brimer, c'est terminer la relation.
Qu'allons-nous faire moi et Michael ? Tout faire pour se sortir d'un
univers où on veut nous empêcher de respirer, puis les oublier totalement.
Alors qu'ils auraient pu prévoir que ça en viendrait là. Tout ce qu'ils auront
fait de bien ne comptera pas dans la balance du mal qu'ils ont fait. Le moins
je peux avoir Michael, le plus je le veux. C'est une situation parfaite pour
tomber en amour. J'ai l'intention d'investir beaucoup dans cette relation, si
l'on m'en donne la chance. En commençant par la fidélité absolue. Ce ne sera
pas difficile, il est ce qu'il y a de plus beau à Londres. Fuck,
je le sais, ça fait trois mois que je traîne dans les clubs et les bars, même
que j'ai travaillé plein temps dans le monde gai. S'il veut de moi, j'abandonne
tout pour lui. Ça n'a pas fonctionné avec Ed, non plus avec n'importe qui
d'autre. J'écoute Portishead, ça me ramène à New York
et à Toronto. Ahh, j'étais
tellement heureux dans ma déprime, sans argent, à boire et à fumer tout le
temps. Je n'ai plus cela maintenant. Londres n'a plus de
secret pour moi, semble-t-il. Je m'y sens trop à l'aise. Même si je suis dans
la même situation. Sans argent, même si je travaille comme un malade. Ma
liberté en moins. Battersea Park, avec Michael,
Victoria, dans les conférences. Vivrais-je une nouvelle ère ? Une nouvelle
relation à long terme ? Il prend seulement des speeds. Il écoute de la
musique pas mal triste. Dance et etc. Mais bon, je
crois que l'on peut passer par-dessus cela. L'amour connaît-il la
musique ? L'amour bat certainement au rythme de la musique.
J'ignore si j'ai bien fait
ou non, mais ce soir j'ai avoué à Stephen que j'étais tombé en amour avec
quelqu'un au travail et voilà que je suis délivré de faire l'amour avec lui et
qu'il ne me demande plus l'argent que je lui dois immédiatement. Ainsi il me
laisse le champ libre pour déménager. C'est-à-dire que demain je pars en
croisade pour trouver quelque chose près de mon travail. Je n'ai que 130
livres, plus peut-être 40 que Sébastien me donnera demain. Il me faut vraiment
être désespéré pour demander à Sébastien de l'argent, moi qui ne lui ai rien
demandé même dans mes pires moments à Londres. Je n'ai pas suffisamment pour
déménager, mais je devrais pouvoir m'arranger avec la nouvelle place où
j'habiterai. Je me demande si ce serait possible de trouver comme à Toronto des
chambres à louer à la semaine. Ça m'arrangerait tellement, je crois que je suis
demeuré traumatisé à l'idée d'emménager quelque part qui n'est pas chez moi
avec quelqu'un qui garde tout mon argent et établit toutes les règles. D'autant
plus que je n'ose rien faire, même pas sortir de ma chambre ou cuisiner.
Sébastien justement m'annonçait ce soir qu'il s'ennuyait énormément. Pour la
première fois il parlait de revenir avec moi. Il disait que j'étais le bienvenu
chez lui et que l'on pourrait essayer de recommencer. Il dit qu'il a changé et
que probablement que moi aussi. Je serais normalement plus mature. Encore lors
de notre dernière conversation, il parlait de m'aider, d'habiter chez lui, mais
clairement dit qu'on ne reviendrait pas ensemble automatiquement. Ce n'était
que pour m'aider. Stephen ne me regarde plus, ne m'adresse plus la parole. Je
ne suis plus le bienvenu chez lui. Son aide n'était donc que conditionnelle.
Mais c'est vrai qu'il souffre énormément et il n'y a rien que je puis faire.
C'est très difficile. J'ignore pourquoi je lui ai parlé. Mais maintenant le
problème se résoudra plus facilement. Sébastien parlait de revenir avec moi,
disant qu'il ne faisait même plus de cuisine. Que cela n'était intéressant
qu'avec les gens que l'on aime. Quel romantique moment. C'est ce moment que
j'ai choisi pour lui demander de l'argent. Dieu qu'il est réticent. Je lui
demande 200, il me dit qu'il déposera 100 dollars. Sur cela je serai capable de
toucher 40 livres, c'est toujours ça. Je ne crois pas qu'il ait changé tant que
cela. Je ne crois pas qu'il ait changé du tout. Je crois qu'il s'emmerde parce
qu'il est incapable de rencontrer quelqu'un qu'il apprécie le moindrement tout
en le gardant à ses côtés plus de deux semaines. Moi je vais tenter ma chance
avec Michael et si rien ne fonctionne (il n'a que dix-huit ans, il y a peu de
chances que ça fonctionne), alors je retournerai peut-être avec Sébastien. Je
ne sais plus quoi faire de ma peau, je ne sais plus où aller. Je n'ai plus
d'attaches, plus de points de repères. Je suis perdu complètement. Je devrais
arrêter de penser, ça irait mieux. Demain je dois me mettre en quête de trouver
une chambre. Comment faire cela ? Où trouver l'argent ? Et je suis
vraiment traumatisé maintenant. J'ai peur de d'emménager avec d'autres. Y
a-t-il des endroits où je pourrais habiter seul pour pas cher ? Et encore
là, il y aura un paquet de règlements à respecter. Genre, retour avant 11
heures, pas de personne qui passe la nuit là, et puis quoi encore ? Là je
dois aller me coucher. J'espère que Stephen aura compris que je ne coucherais
plus avec lui. Tant que je voulais faire l'amour, d'accord. Dès que je me sens
obligé, ça devient de la prostitution. Alors ça, non. Sébastien m'a d'ailleurs
posé la question, à savoir si je m'étais prostitué. Enfin, c'est à la limite de
ressembler à cela.
Me voilà, seul, perdu, au
milieu de Londres, dans une chambre d'hôtel misérable à 84 livres la semaine,
c'est à dire 25 dollars la nuit. Enfin j'ai ce petit pincement au cœur lorsque
je me réveille soudain à 22h30, fatigué de ma semaine de travail et que c'est
vendredi soir et que l'on peut sentir le pouls de Londres. Je sors ce soir au
Popstarz, me voilà à nouveau libre. Michael est venu dans cette chambre
aujourd'hui, 4G, de l'hôtel Albion, alias Bertassso,
alias Southway hôtel sur Gillingham Street dans le SW1. Je me suis retrouvé en caleçon, il m'a
même frotté la mauvaise place, on s'est embrassé comme des malades, je lui ai
touché la bite, mais on n'a pas fait l'amour. Il m'a annoncé ensuite qu'il a
compris aujourd'hui qu'il ne pourrait pas faire l'amour avec moi tant qu'il
habiterait avec Nigel. Alors c'est un peu un cas désespéré. Ce soir il est allé
à son éternel Bar Code à Soho. Son vendredi soir achève, alors que le mien
n'est même pas encore commencé. Il me faut d'ailleurs penser à partir si je
veux arriver quelque part. Mon jeune Australien a rencontré quelqu'un à
Miss-Shapes ce dimanche. Alors ce soir il m'a flushé
pour cet autre. Il m'affirme être encore vierge, tant pis pour lui. Jonas ne
semblait pas très enjoué de me parler au téléphone ce soir. Normal, ça l'a fait
chier la semaine dernière que je l'ai remplacé avec Philippe. Le problème c'est
que ce soir il me faudra payer pour cela, c'est moi qui serai seul comme un rat
et qui sera après lui, tentant presque de me faire pardonner. Oh oui, je me
sens seul et perdu ce soir. Et j'ai bien l'impression que c'est la ma seule
motivation à vivre. Triste que je n'aie pas l'argent pour me saouler
complètement ce soir.
Quelle soirée sans intérêt
j'ai passée à Popstarz. Bien sûr que j'ai rencontré tous mes pseudo-amis. Mais je dois avoir une certaine façon de les
considérer comme mes amis, parce que tous, plus ou moins m'ont fuient, sauf
Duane, celui qui est responsable de Popstarz et qui s'attend à ce que je lui
téléphone aujourd'hui ou demain. Leigh me parle, est bien gentil, mais refuse
de demeurer à côté de moi. De même pour Jonas que maintenant je méprise. Mais
il est vrai que je l'ai insulté dès la première minute. Il m'a demandé s'il était plus grand maintenant
qu'il avait 19 ans. Je lui ai dit que non, mais qu'il était maintenant plus
stupide. Puis j'ai rencontré Rod, fallait bien s'y attendre. Il était bien
gentil lui aussi, il tentait je suppose d'attirer mon attention, bien difficile
de voir ce qui se passe dans sa tête. Néanmoins, je suis allé m'installer à côté
de lui mais nous n'avons parlé que cinq minutes. Je n'ai pas osé l'inviter à
coucher avec moi ou attendre la fin de la soirée et partir avec. Je sais qu'il
n'aurait certes pas refusé, mais ça devient trop compliqué avec Michael au
travail. Trop risqué que l'histoire n'explose et que je ruine mes chances avec
Michael. Car si je réussis à développer quelque chose avec Michael, ce sera une
relation à long terme ou du moins à moyen terme. Mais ça, c'est seulement si je
désire le suivre en septembre ou en octobre là où il ira continuer ses études.
Ce qui est bien difficile pour moi, car je n'aurai pas d'argent et les
possibilités d'emplois ne pleuvent pas de ce temps-ci en Angleterre. Puis la
soirée passa. Je m'emmerdais royalement. Alors que j'étais prêt à partir, voilà
que je vois une petite tête ronde rousse. Mon Australien était là. Philip
dansait seul, son ami étant déjà parti. Lorsqu'il s'est enfin assis, j'ai sauté
à ses côtés en chantant Alanis Morrissette.
Ses yeux se sont illuminés, il était content de me voir. Ouf, je me disais.
Enfin, peut-être ma soirée ne sera pas une totale ruine à me faire rejeter par
tous mes amis. Mais la musique à cette heure devient moins bonne (car ce n'est
plus Leigh qui est en contrôle) et très vite on a commencé à s'emmerder à deux.
À plusieurs reprises il m'a embrassé et on s'est frenché.
Ce qui est très positif. Ce qui m'inquiète c'est qu'il veut que je le pénètre,
et cette idée ne me ravit pas. Enfin, je suis retourné seul chez moi, ce qui
est certes une bonne chose. Je crois que mon amour pour Michael, si on peut
l'appeler de l'amour, ne me motive plus à aller vers personne. Ce qui est
certes positif. Si seulement je pouvais le voir au moins. Mais il n'a aucune
chance de se défiler de son copain. Hier, lorsque l'on a presque fait l'amour,
on pouvait lire sur son visage ses regrets et son sentiment de culpabilité.
Pendant deux heures il est demeuré à l'extérieur de l'édifice, marchant un peu
autour. Il dit que c'est parce qu'il a énormément de problèmes et qu'il doit réfléchir. Semble-t-il, il est en
dépression. C'est peut-être parce que l'université s'en vient et qu'il sait
qu'il n'aura pas l'argent et qu'il devra déménager. S'inquiète-t-il qu'il
n'aura pas son degré pour justement entrer à l'université ? Il y a aussi
la possibilité qu'il cherche à se sortir de cette relation pourrie avec Nigel,
mais ne voit aucune solution à l'horizon. Il part pour la Finlande la semaine
prochaine pour toute la semaine et c'est une libération totale tellement
désirée que je ne comprends pas que Nigel ne puisse voir cela chez son copain.
Je me demande combien je pèse dans la balance. Si en fait il se tracasse
également parce qu'il voudrait me voir mais ne le peut pas ? Lorsqu'il me
dit qu'il désire marcher avec moi de Victoria jusqu'à Charing Cross juste pour
être une heure de plus avec moi, c'est assez imposant. En fait, la vie
s'organise très bien. Elle a fait en sorte que personne d'autre que Michael,
vraiment, ne me soit accessible. C'était ça qui était drôle hier. Mais attendre
après Michael, c'est vouloir ma mort. Je n'ai aucun moyen de le voir en dehors
du travail.
Nous sommes lundi soir.
Demain j'aurai enfin accès à mon stupide argent que la Royal Bank of Scotland, je ne le dirai jamais assez, retient
depuis jeudi après-midi. Je suis en train de mourir de faim pour des stupides
lois bureaucratiques. Tellement que je songe à toutes sortes de choses et
d'idées pour réussir à m'approprier n'importe quoi à me mettre sous la dent. Il
est 21h30, je crois que je vais aller marcher dans la station Victoria. Sait-on
jamais, peut-être que si l'on désire quelque chose violemment, on réussit par
se le procurer ? Je pourrais par exemple rencontrer quelqu'un que je
connais, mais encore là, je n'oserais pas lui demander de me payer un Burger
King. Je pourrais trouver de l'argent par hasard, ce qui serait possible, mais
bien surprenant. Tout le monde sait que l'on trouve de l'argent seulement
lorsque l'on n'en cherche pas. Je pourrais regarder dans les téléphones
publics, ça ne fonctionne tellement pas à Londres que l'on trouve toujours de
l'argent là-dedans. Mais la honte me rongerait. Quant aux poubelles de
McDonald's, on n'y pense même pas. C'est tellement absurde cette situation.
Parce que j'ai un emploi pour l'amour du bon Dieu. Qui paie plus que tout ce
que j'ai eu jusqu'à maintenant dans ma vie. Mais il est vrai que je n'ai jamais
autant payé pour une chambre et que je dois de l'argent à tout le monde. De
plus, cette stupide qui prend des jours et des jours pour encaisser mon chèque.
Fallait me voir mendier des pintes de bières au Miss-Shapes. Je n'ai plus d'orgueil.
C'est même étrange de constater comment les gens hésitent à te payer un verre.
Et ne t'en paieront certes pas un deuxième. On ne vit pas dans une société très
sociable. L'altruisme n'existe pas vraiment. Je me suis rendu compte jusqu'à
quel point mes amis à Londres sont si
éloignés de moi et ne seront jamais prêts à m'aider vraiment. Mais je parler et
j'oublie que Stephen a tout fait pour me maintenir en vie ce dernier mois. Puis
Michael au travail m'a payé plusieurs Filet-o-Fish
chez McDonald's. Peut-être j'exige trop de la société ? Enfin, demain tout
devrait rentrer dans l'ordre.
Ah oui, Seigneur,
j'oubliais. Jonas, hier, le jeune con de 18 ans inatteignable, m'annonce en
grandes pompes qu'il est tombé en amour avec Duane, le responsable de Popstarz
et Miss-Shapes. Ah bien c'est le comble. Jeune aveugle innocent, qui se
réveillera je l'espère d'ici deux semaines, va dormir chez Leigh tous les jours
depuis mardi. Il est en amour par-dessus la tête. Quelle insulte ! Moi qui
n'ai réussit qu'à coucher avec lui une seule fois. Venez
pas me faire croire que c'est la beauté et la personnalité de Leigh qui est en
cause, il m'écœure et il n'a aucune éducation. Il est même incapable de s'exprimer,
je ne comprends même pas son dialecte. Moi je m'en fous, mais c'est tout de
même surprenant que Jonas s'intéresse à ça. Parce que lui ne jure que par la haute
société, Oxford University, la grande classe. Et
c'est exactement ce qu'il croit aller chercher chez Leigh et c'est exactement
ce qu'il comprendra que Leigh n'est pas. Il n'est rien, il est un nobody. Il ne pourra pas emmener Jonas nulle part et en
plus il n'est même pas riche. Alors j'ignore qu'est-ce que Leigh lui a inventé,
moi j'ai été suffisamment lucide pour comprendre la situation et Leigh n'a pas
réussi à m'en trop inventer. Mais Jonas est tellement con. Ne sait-il pas, le
pauvre innocent, que me sentant coupable que Leigh me mette sur la liste des
invités sans cesse, je m'organisais pour lui faire croire que j'allais coucher
avec lui alors que je n'en avais aucune intention ? Ignore-t-il que Leigh
répondait à mes invitations assez ouvertement et qu'il allait coucher avec moi
si j'en aurais eu envie ? Ça a trente ans, c'est laid, ça réussit à se
trouver des jeunes de 18 ans et en plus ils sont infidèles et prennent de la
cocaïne aller-retour. Pauvre Jonas, lui qui est si pur qu'il ne boit même pas
de bière, encore moins la cigarette. Je lui ai dit que j'étais tellement déçu
et que c'est certain que ça ne fonctionnerait pas. Je lui ai dit que je serais
là lorsque ce sera terminé. Lui avouant que je l'aimais et que je souffrais
(même si ce n'est pas vrai, en fait il me fait tellement chier que je le
déteste pour mourir). Je me demande comment ils ont fini par tomber en amour,
où ils se sont rencontrés, comment la séduction s'est faite, et puis quoi
encore. Me faire ainsi voler mon amant, par un vieux croûton laid en plus,
c'est la pire des insultes. Garde-le ton
Jonas souillé ! Moi je n'ai pas envie de mettre ma bite là-dedans après
Leigh. D'autant plus que le jeune doit vouloir se faire fourrer. Il est comblé
le Leigh. J'espère qu'il me mettra sur la liste des invités au moins. Et je ne
me sentirai pas coupable de l'appeler juste pour cela. En fait, je crois que je
viens d'en finir avec Popstarz. Mais
non, innocent, attends vendredi et tu verras si tu peux te passer de
musique. D'autant plus que je n'ai plus de walkman, ma vie se passe
désespérément sans musique, pour
la première fois de ma vie depuis mes quatre ans. Une vraie cure de
désintoxication de tout. Car je n'ai même pas de sexe non plus. Désespérément
seul. Il est vrai que j'ai couché avec Stephen lorsqu'il est venu samedi soir.
Il m'a payé deux pintes de bière, un Burger King et m'a donné cinq livres.
C'est presque trente dollars. Ça valait la peine de le voir, je serai mort de
faim aujourd'hui sans lui. Je ne serais pas sorti au Miss-Shapes, je n'aurais
pas eu suffisamment à boire pour
m'amuser et danser et j'ignorerais la terrible nouvelle qui plane sur le
ville : Jonas est amoureux de Leigh. Mais si j'ai couché avec Stephen,
c'est parce que j'en avais envie, par pour son argent. Il est vrai qu'il fait
vraiment pitié, parce qu'il souffre tellement de notre rupture, alors que moi
je ne considère même pas qu'il y a eu une union. Mais il faut avouer une chose.
Il est prêt à me donner le monde si je couche avec lui. Mais il me fait tune
fasse de cochon s'il doit me donner de l'argent et que je ne couche plus avec
lui. Son aide est donc conditionnelle. En plus, je vais le rembourser et il ne refusera pas cet
argent. Car chaque fois que je l'ai remboursé dans le passé, il a vite pris l'argent. Alors c'est vraiment désolant.
Et puis lorsque je lui aurai remis 100
livres, on pourra définitivement dire que ce n'était pas de la prostitution ou
que je profitais de lui. Voilà, je vais
aller me coucher. Demain je
travaille. Il est à peine 22h00, je m'emmerde pour vrai. Il est urgent que je
rencontre quelqu'un. Ah oui, malgré tout ce qui se passe dans ma vie, j'ai vu
entrer à Miss-Shapes le plus beau des jeunes hommes qui ait passé cette porte
depuis que j'y mets les pieds. Ça devenait impossible de l'approcher parce
qu'il me fallait me méfier de Leigh, de Jonas (avant que je n'apprenne la
terrible nouvelle), de Philip l'Australien et de l'Espagnol qui m'a payé un
verre et qui est le meilleur ami de Leigh que je lui ai avoué aimer encore et
vouloir revoir. Je me demandais s'il était possible pour moi d'atteindre le plus bel homme de la place. Eh bien, moins
d'une heure après il dansait, je dansais, je l'ai regardé, fait un sourire, il
m'a fait un sourire, puis un peu plus tard, je l'ai arrêté pour lui demander
son nom. Moins d'une demi-heure après je l'embrassais. Mais malheureusement il
m'a donné rendez-vous dimanche prochain à Miss-Shapes. Moi qui voulais
justement m'épargner Miss-Shapes la semaine prochaine. Alors je vais m'emmerder
toute cette semaine. Ensuite, malgré sa beauté et sa grandeur, il sort au Fridge, comme Michael. Bon Dieu, j'aime mieux quelqu'un de
plus laid mais qui aime la même musique que moi et qui sort aux mêmes endroits.
These is no way I will put
my feet back at the fridge, the London Apprentice, Heaven or G.A.Y.
Ainsi, mon jeune ami (de 24 ans peut-être), risque fort de ne pas me revoir ce
dimanche prochain. Je crois que demain je vais rappeler Rod. Je me fous un peu
de Michael, il me semble tellement soumis à son Nigel que j'en ai ma claque. Je
ne vais pas attendre le mois d'octobre pour pouvoir le prendre dans mes bras.
Il y a une limite. J'éprouve peut-être quelque chose pour lui, mais je ne suis
pas prêt à devenir un martyr. Ah Dieu que je m'ennuie de Val-JAlan !
C'est l'été. Je voudrais tellement planter ma tente là-bas et aller me baigner
dans le Lac-St-Jean chaque jour ! Je me demande si je ne devrais pas
repartir pour le Toronto en passant par Val-JAlan d'abord. Et que penser de l'idée de me prendre
mon propre appartement à Chicoutimi et de continuer mes études en
septembre ? M'ennuirais-je énormément de Londres ?
Je l'ignore, pour l'instant je suis sursaturé.
Moi qui m'ennuie du
Lac-St-Jean, le voilà inondé. Alors je n'ai plus à m'en faire, je ne manque
rien. D'autant plus que je viens de parler avec Sébastien, j'ai juste eu le
temps d'entendre qu'à l'arrière il y avait du monde ou au moins une personne,
puis voilà qu'à ma deuxième, puis troisième tentative d'établir la
communication, il m'a placé sur son répondeur. C'est une véritable insulte. Ça
m'a presque enragé. D'accord s'il prépare des poulets cassoulets avec des
Charlottes pour un nouveau venu qu'il a rencontré ce samedi et qu'il ne reverra
plus dans deux semaines, mais ça ne lui permet pas de me manquer de respect
ainsi. Si c'est le 100 $ qu'il m'a donné qui le fatigue à un tel point
qu'il aime mieux ne plus me parler, fine, il ne mérite peut-être pas que je le
rappelle. Oh God, il trouve encore le moyen de me
faire chier et nous ne sommes même plus ensemble. Et vous croyez que je
pourrais retourner avec lui ? Hypocrite, infidèle, en manque de sexe et
d'amis comme c'est pas possible alors que je suis là juste à côté de lui. Plus
jamais personne ne me fera sentir ainsi. Plus jamais il ne me refera sentir
comme un moins que rien, un poids sur son dos. Ça va m'en prendre du temps
avant de le rappeler celui-là. Mais qu'est-ce que tout le monde a ces
temps-ci ? Tout le monde me rejette systématiquement sauf Stephen.
J'essaie de voir où cela me conduit, à quoi cela me prépare. Je croyais que
c'était pour Michael. Mais Michael s'envole pour Helsinki en Finlande et refuse
même de me donner un petit baiser. Qu'il crève le con. En plus je lui ai donné
mes lunettes de soleil Ray Ban. Mon avant-dernière possession s'est envolée.
Maintenant il ne me reste plus que mon ordinateur. J'ai d'ailleurs l'étrange
sensation que je vais le perdre également. C'est la dernière chose qu'il me
reste. J'ai beau regarder tous mes bagages, j'ai tout
perdu. Il ne me reste que des papiers de formalités, deux livres usagés sans
intérêt. Tous mes T-shirt sons ruinés par la folle du lavage qui a mis de l'eau
de Javel et voilà que je me retrouve presque nu dans un hôtel misérable de
Londres, avec comme d'habitude, aucun argent pour survivre. Aujourd'hui j'ai
dépensé cinq livres pour nourrir Michael chez McDonald's. Un Big Value Meal Big Mac + un autre Big Mac, les
deux complètement nature. Maintenant il me reste cinq
livres pour survivre jusqu'à mardi. Nous sommes jeudi. Oh mon Dieu, encore une
semaine de calvaire sans manger, sans boire et sans fumer. À moins que je parte
effectivement pour Paris demain avec Stephen. Il paye pour tout, nous y allons
pour le week-end. Ne me dites pas que c'est pour me garder avec Stephen que
plus personne d'autre dans ma vie n'est accessible. Étrangement, Rod serait
accessible, mais une force inconnue m'a poussée, dans les deux dernières
semaines, à ne pas l'appeler. Alors que bien souvent, j'en ai eu bien envie.
Stephen voulait me présenter Omar, un Arabe-Libanais
plus que millionnaire, supposé m'aider avec ma carrière. Mais je vais le
manquer à cause de Paris. Il repart bientôt. Il est à Londres pour partir une
compagnie de montres avec Melissa. Ils ont engagé Stephen pour atteindre les
marchés londoniens. C'est une entreprise qui me semble vouée à la faillite. Ils
veulent d'ailleurs m'engager comme modèle pour des photos. Je vais promouvoir
la montre Slag, spécifiquement dessinée pour
atteindre le monde gai. Ce sera un gros flop. Il y en a qui ont des millions à
perdre. Tant mieux pour eux. Je me demande combien d'argent ils investiront
dans la publicité. Ils ont dit prendre une agence pour ce faire, alors pourquoi
m'engager comme modèle ? Il me semble que c'est peu professionnel de
prendre des amis comme modèles là où une quantité incroyable de gens
expérimentés et bien plus beaux que moi feraient l'affaire. Où finiront ces
photos ? Dans des magazines, des affiches dans les rues
londoniennes ? Au prix que cela coûte, je me demande si j'en vaux la
peine. Je suppose qu'ils savent ce qu'ils veulent, je suppose que j'ai une
image trop négative de moi-même. Je vaux peut-être ces hommes incroyables qui
annoncent pour Calvin Klein, qui sait ?
Où suis-je ? Est-ce
que j'ai un avenir ? Ma vie semble s'en aller nulle part. Je rencontre des
amis pourtant. J'ai fait l'amour avec un gars de Newcastle avant-hier que j'ai ramassé
à Popstarz. Hier j'ai pris un café et
une bière chez Harvey Nicols. Avec des gens qui veulent ta présence, te paye le
repas, puis ne peuvent avoir la décence de s'empêcher de te faire sentir
coupable ou de montrer leur dégoût face au fait qu'ils leur faillent payer pour
toi. Dans ces conditions, fuck off ! Et ne m'invitez plus. En plus, M. Rinan, riche comme crésus, gras comme Bacchus, ose flirter
avec moi.
-Mais je suis inatteignable moi monsieur.
-Personne ne m'est inatteignable. C'est parce que tu ne me connais pas
encore.
-L'argent ne m'est d'aucun intérêt.
-Ne me lance pas un défi...
Non mais, que me veut ce porc gras Libanais qui
se nourrit de Kebab ? C'est riche et ça croit posséder le monde ? Ils
me veulent encore aujourd'hui, je crois. Je dois appeler Stephen cet après-midi
pour savoir où ils se rencontrent et si c'est autre chose que de business
qu'ils vont parler. Alors ils m'inviteront et cette fois je me saoulerai et je
mangerai. Ne faut-il pas profiter de la
vie et de la richesse des autres ? La vie m'est bien
pénible dans le moment. Rien à manger,
quêtant deux livres à Stephen qui me les donnent à contrecœur, s'imagine que si
je suis venu hier c'est pour ce deux livres et non pour le voir. Je fais mon
lavage à la main avec des cristaux de soda qui m'ont coûté à peine 59 pence
mais qui ne fonctionnent pas du tout. Je me demande s'ils vont nettoyer ma
chambre un jour, le tapis est tellement rempli de graines et mes draps sont
assez sales. Je me demande s'ils ont fait le ménage avant que je n'emménage
voilà presque deux semaines. La fin de l'été s'en vient. Je suis inscris pour
aller à l'université à Chicoutimi, je risque d'avoir un emploi à Toronto et je
puis demeurer ici. Que vais-je faire ? Sans compter que si Sébastien commence
déjà à me courtiser au téléphone pour que je revienne, c'est qu'à la fin d'août
il s'attend vraiment à ce que je revienne. Et si je ne reviens pas alors, je
risque fort de ne plus jamais pouvoir revenir. En moins d'un mois à Toronto
j'ai rencontré Julian et nous avons développé quelque chose qui semblait
durable. À Londres, depuis quatre mois, je n'ai pas été foutu de rencontrer
quelqu'un d'aussi intéressant que Julian, et je n'ai jamais été dans la
capacité de garder ces personnes plus de quelques nuits. C'est peut-être une
bonne chose si je ne rencontre personne. Alors je pourrai peut-être plus
facilement repartir pour le Canada à la fin de l'été. Je sais qu'en un mois à
Londres, me mêlant à tout le monde comme je le fais, quelque chose risque de
survenir. Je le souhaite. Mais je n'y crois guère. Comme disait Rod, il
semblerait qu'à Londres rien ne t'arrive. C'est toi même qui doit tout
provoquer, et encore, ça ne t'emmène jamais très loin. Mais je déteste Toronto.
Il n'y a pas une ville plus dépressive que Toronto. Tout le monde le sait, tout
le monde le dit. Je n'ai rencontré personne en Europe qui n'ait vu Toronto sans
dire que c'était plat. Londres ne me rend pas plus heureux, mais au moins
Londres ne m'emmène pas dans les affres de la dépression. Car habiter le Canada
me rend malade. Je le sais, je l'ai expérimenté pendant quatre mois cette
année. Le cœur me lâche, chaque matin je suis incapable de respirer, je veux mourir. Cette réaction
est tellement étrange, est-ce vraiment le fruit de ma faillite totales dans la
vie sociale, ma carrière ? Ou est-ce tout simplement l'air canadien qui ne
me fait pas ? À Londres je ne connais pas de telles sensations horribles. Avant de
repartir, je devrai y repenser à deux fois. Avec Sébastien cependant, je
mangerais c'est certain. J'aurais un bel appartement à Toronto. Une maison
éventuellement en banlieue. Puis certainement le meilleur sexe que je n'aurai
jamais avec aucun Anglais. Car je dois avouer que je n'ai jamais rencontré plus
beau que Sébastien et que je n'ai jamais autant joui qu'avec lui. Et puis
toutes ces sorties et ces voyages et ses souvenirs depuis quatre ans, tout cela
est impossible à oublier. C'est plus qu'un ami, c'est plus qu'un frère. Si
c'était le répondeur que j'avais l'autre soir, ce n'est pas qu'il avait
débranché, c'est qu'il essayait de m'appeler. Je l'ai mal jugé, mais c'est que
l'on m'a tellement fait chier ces derniers temps à Londres, à m'ignorer dans
les bars pour peu importent les raisons, Rick, mon
ancien propriétaire, qui me redirigeait à son répondeur pour éviter de me
donner l'argent qu'il me devait et puis quoi encore. Je n'ai pas d'amis à
Londres. Je veux dire, de vrais amis où le seul intérêt n'est que l'amitié, ta
présence, puis c'est tout. Il n'y a toujours que le sexe qui guide le monde.
Aussitôt que le sexe n'est plus dans le
décor, les amitiés se défont, n'existent plus. Sinon, il y a la souffrance, la
frustration, et puis toutes ces choses. Stephen est encore plus dégoûtant
chaque jour. Je ne peux même pas m'imaginer que je vais encore coucher avec
lui. Il va essayer aujourd'hui, je me demande si je pourrai inventer quelque
chose pour l'empêcher. Vaut mieux alors ne pas le voir. Mais aller manger avec
ses amis, boire et sortir de cette chambre pourrie n'est pas pour me déplaire. Que faire ? J'ai
besoin de quelqu'un et je sais maintenant que ce ne sera pas Michael. Quelqu'un
de beau, jeune, intelligent et avec moi assez souvent. Michael s'est volatilisé
ce vendredi au travail. Pendant deux heures il est disparu et n'est jamais
revenu, laissant toutes ces choses sur son bureau. Quel embarras à 17h30,
lorsque Elisa ramassait ses choses que je tentais de lui expliquer que Michael
avait beaucoup de problèmes en ce moment. Mais lesquels ? Je n'en ai
aucune idée. Où est-il ? Je n'en ai pas la moindre idée.
Reviendra-t-il ? Alors là j'ai la nette impression qu'il n'aura pas besoin
de se faire mettre dehors, je crois qu'il va lui-même quitter cet emploi. Je
serais bien surpris si je le revois
revenir à son retour de Finlande la semaine prochaine. On lui a donné la pire
des listes à faire puis toute sa motivation s'est désintégrée. Ainsi je
comprends comment les gens finissent par
lâcher cet emploi. C'est qu'à un
moment on se coince les doigts pendant deux semaines avec des listes
impossibles à rechercher puis on en
a assez. On lâche notre emploi. Car
c'est beaucoup de stress de réussir à maintenir leur taux de succès, qui est
d'ailleurs impossible à atteindre. Je l'ai fait cette semaine, avec beaucoup de
chance (j'ai eu une liste facile), mais aussi, beaucoup de tricherie. J'ai joué
avec tous mes chiffres, mentant à tour de bras sur mon véritable emploi du
temps. Et c'est grave, car je charge
davantage d'heures à certains départements alors que c'est à d'autres que je
devrais charger.
Voilà, Stephen m'a
téléphoné, on sort au cinéma, puis on mangera, il me paiera des bières, il
voudra faire l'amour, on fera l'amour, je lui demanderai cinq livres, je
sortirai à Miss-Shapes, tentant de rencontrer la personne que je veux rencontrer.
Il semble considérer qu'entre lui et moi c'est reparti, juste parce que Michael
est en dehors du décor. Ce qu'il ne comprend pas c'est que même si Michael
n'est pas dans le décor, je ne veux rien savoir de coucher avec lui.
Dieu que je m'emmerde cet
été ! Pourtant je suis à Londres, j'ai un très bon emploi qui ne paie pas,
je sors chaque semaine au moins trois fois, je bois en masse, je mange comme je
peux, je fais mon lavage à la main, je couche par-ci par-là avec de beaux
jeunes hommes, pourtant je m'emmerde. Je sors encore ce soir à Popstarz, tout
juste de quoi me payer trois bières. Demain c'est le festival gai à Kennington dans le SE11. Tout juste les trois livres
qu'il me faut pour aller là et revenir.
Boire ? Pas de mon vocabulaire. Ce
soir je suis déterminé à rencontrer quelqu'un de durable, et puis j'aurai
toujours le jeune arrangeur de lumière qui part pour Edinburgh si jamais ça
flanche. Tout le reste m'ignorera encore et j'en souffrirai. Jonas, Leigh, et
puis c'est tout, l'Australien est reparti (enfin, quand je pense que la semaine
passée il m'a clairement dit qu'il avait besoin de faire l'amour avec quelqu'un
de nouveau et que ce quelqu'un de nouveau c'était Stephen, ce gars qui
m'écœurait mais avec qui j'ai couché voilà un mois et demi. Il est très beau,
il n'y a pas à dire, mais pas du tout mon style. Enfin, peut-être que Phillip a trouvé cela plus intéressant que moi. J'espère
qu'il n'a pas été déviergé par lui, parce qu'il avait
une méchante grosse bite. Michael revient lundi. Quelque chose me dit qu'il ne
reviendra pas au bureau. Le crétin de Chris a fait courir dans tout le bureau
qu'il avait été mis dehors, ça m'a flanqué la trouille. Mais semble-t-il, il
ignorait que cette semaine il devait aller en Finlande et il se basait sur un
téléphone d'Elisa à l'agence qui emploi Michael pour en déduire qu'il ne
reviendra pas. Mmh, c'est possible. Mais ce qui est
également possible, c'est qu'elle a appelé l'agence pour avoir d'autres
employés, parce qu'il y en a un paquet de nouveaux. Mais cela est également un
mauvais signe, un nouveau est maintenant assis au bureau de Michael. Enfin, je
serai fixé dans trois jours. Moi ce serait du genre qu'il m'a tellement manqué
que je lui sauterais dans les bras en lui offrant ma vie pour l'éternité. Je suppose
que lui sera soudainement bien distancé et qu'il aura pris certaines vagues
décisions entre lui et Nigel et moi et lui. Il a dit qu'il réfléchirait et
qu'il prendrait du recul. Qu'il aurait le temps de décanter et reviendrait
transformé. Je le crois, après une semaine de bonheur libre en Finlande,
Helsinki. Depuis trois mois qu'il suit à la queue leu leu
son Nigel et qu'il ne déroge jamais de son devoir conjugal. Souffrant de ne
pouvoir aller se reposer à la maison si
son copain veut aller au Bar Code et
également souffrant de ne plus jamais sortir dans les clubs. J'en pense qu'il
aura effectivement pris une décision en ce qui concerne Nigel, mais j'ai peur
qu'il m'ait mis dans le même bateau. C'est-à-dire que s'il s'en sort d'avec
Nigel, ce n'est pas pour revivre la même chose avec moi. Il me disait qu'il
vivait un vrai cauchemar. Le soir c'était Nigel, le jour c'était moi. Je
faisais donc partie de son cauchemar. Je contribuais à rendre sa vie infernale.
Alors, il n'y a pas grand-chose à espérer de ça. D'ailleurs il ne reviendra
peut-être plus au travail. Je soupçonne même qu'il pourrait lui-même avoir
quitté son emploi. De toute manière il part dans moins d'un mois et sa dernière
liste des PR du monde entier l'a tellement écœuré que je ne serai pas surpris qu'il ne veuille
revenir. S'il n'est pas là lundi, je pourrai commencer à aller avec Ed prendre
une bière au pub chaque jour. J'aurai aussi la chance de cruiser tous les gais
du bureau, au moins une dizaine déjà identifiés. Alex est un cas bien spécial.
Il est à la tête de notre département avec Elisa, même plus haut qu'elle. Il
est pourtant en bas de 25 ans. Il est un peu efféminé et jamais il n'a osé
m'adresser la parole. Pourtant je le rencontre chaque semaine à Popstarz. En
plus, une petite queen noire a commencé à travailler
la semaine passée et déjà elle est bonne amie avec Alex. Faut croire qu'il a
plus de facilité avec les efféminés qu'avec les petits Indie
comme moi. Car j'ai l'étiquette Indie, je suis un
label Independent. Alors je n'ai pas besoin d'Alex,
qui lui, est un vieux de la vieille qui passe ses soirées dans la salle des
1980. Nous sommes en 1990, non de Dieu ! Et d'ailleurs, à la fin. Nous
sommes en l'an 2000, nom de Dieu ! Il est 18h30, j'ai commencé à boire du
vin, je m'allume une cigarette à l'instant, et je me fais davantage de fun que
lorsque je serai là ce soir à Popstarz. Dieu merci l'Espagnol était là les deux
dernières semaines à Miss-Shapes, avec lui je me fais vraiment du fun. Pourquoi
ne vient-il plus à Popstarz ?
Londres, c'est petit,
petit, petit. Hier j'ai rencontré : Leigh, Duane, Gabriel, Rod, Christine,
Andy, sa femme, Stewart, Jeff, l'Allemand, et puis qui d'autre, j'en oublie
tellement. C'est vrai qu'il s'agissait d'un événement important, le Summer Rites 96, appelé à devenir un festival gai
d'importance dans le futur. C'était la première année et ce fut un énorme
succès. Il n'y avait même pas de place pour marcher dans tout le périmètre de Kennington Park. J'y suis allé avec Stephen, on a bu et je
me suis vraiment amusé. Nous sommes même sortis au club Heaven.
J'ignore pourquoi je désirais y aller. J'ai la mémoire courte semble-t-il, elle
m'est vite revenue une fois à l'intérieur. Nous sommes demeurés moins de quinze
minutes, tout juste le temps de découvrir une file d'attente phénoménale. Comme
si tous, après le festival, c'était donné rendez-vous au Heaven.
La personne que je m'attendais le moins de rencontrer, c'était Tim. Je savais que je rencontrerais au moins une personne
du bureau, genre, dans la tente de Fist, c'est normal
de rencontrer ton patron habillé en cuir avec le fouet. Ça confirme qu'il est
gai, il était aux premières loges de la scène principale. Il m'a regardé, on
s'est sourit, et puis comme avec Michael, on se reparlera lundi. Le pire c'est qu'il
m'a insulté l'autre jour, affirmant devant tout le monde en face de l'ascenseur
que j'étais gai. Curieusement, apparemment, je suis le seul à ne pas l'avoir
entendu. Alors, comment peut-il
m'insulter ainsi si lui-même est gai ? Très bizarre. Il prend beaucoup
trop de drogues, il a l'air malade, d'ailleurs il est malade. Il prend des
médicaments très forts et je crois qu'il est drogué en permanence au bureau. Il
est mon seul élément négatif au bureau et j'espère maintenant que ça va
changer. Il ne semblait pas m'aimer beaucoup, mais pourquoi cela
changerait-il ? Parce qu'il savait déjà que j'étais gai. La seule chose
qui est changée, c'est que je sais qu'il l'est également. Alex non plus ne
semble pas m'aimer beaucoup. Suis-je donc une menace ? Il est vrai qu'Elisa
est partie en peur au début, me vantant trop pour des qualités que je ne
possédais même pas, du moins durant les trois premières semaines. Maintenant ça
semble se stabiliser, j'atteins toujours mon taux de succès. Peut-être qu'Alex
s'est senti attaqué ou a développé des sentiments contre moi parce qu'Elisa m'aime
bien. Quant à Tim, peut-être est-il jaloux parce que
c'est avec Michael que je suis sans cesse et qu'il sait que je ne m'intéresse
pas à lui. Maintenant que j'y pense, il a tenté de communiquer avec nous, il a
voulu nous le dire qu'il était gai. Il s'est même permis de se rapprocher de
moi suffisamment près qu'il m'a fallut m'éloigner pour assurer Michael que je
ne m'intéressais pas à Tim. Ah Michael, demain je le
verrai peut-être, à moins qu'il n'ait été mis à la porte ou qu'il ait quitté. Je me souviens de
nos longues heures de travail où on se regardait dans les yeux, incapables de
regarder ailleurs. Ses yeux charmeurs de jeune homme en amour, son sourire
innocent, voilà de bons souvenirs. Il ne peut pas m'avoir oublié si vite. Je
mourrais pour être dans ses bras, je tomberais en amour par-dessus la tête. Il
est le seul capable en ce moment de provoquer de quelconques sentiments en moi.
Avec lui je me laisserais pénétrer et je le pénètrerais. Je lui jurerais même
fidélité et ce serait certes facile, avec une beauté pareille. Ô Michael !
Je me refuse à voir Rod aujourd'hui juste au cas où tu reviendrais tout
amoureux et déterminé à passer du temps avec moi. Ne me déçois pas ! J'ai
tellement besoin de stabilité, de me retrouver avec la même personne, ne plus
attendre ou espérer inutilement. Nous ne sommes pas encore ensemble, déjà tu me
fais souffrir. Me permettre ainsi de te prendre dans mes bras à plusieurs
reprises, venir chez moi, jusqu'à me laisser te toucher là où ta culpabilité
s'en ressent le plus, et puis tout couper. Me fuir comme si j'étais un paria.
Éviter même de m'embrasser. J'aime bien t'embrasser, toucher tes doigts, tes
cheveux blonds, ton visage simple et naïf, mais à la fois intelligent. Seras-tu
là demain ? Me fuiras-tu à 17h30 comme d'habitude ? Et qu'en
sera-t-il du lendemain ? C'est stupide, il me semble que je devrais
téléphoner Rod aujourd'hui. Il dit qu'il m'a laissé deux messages à l'hôtel
pour décommander son rendez-vous, ils ne me sont jamais parvenus. Avec Michael
je n'ai pas ce problème, il ne peut même pas garder mon numéro de téléphone sur
lui, de peur que Nigel le trouve. Voilà que je me remets dans le bassin. Demain
on verra. Pour l'instant, ce soir il y a Miss-Shapes. Mais je n'y vais pas.
C'est la première fois que je manque Miss-Shapes depuis longtemps. Bien, j'ai soufert là-bas. Que faire ? Une marche dans Battersea Park seul, ou avec Rod ? Je n'ai plus besoin
de sexe, j'en ai fait une surdose. Mais, ai-je besoin d'un ami autre que
Stephen ?
Hier, j'étais avec Rod. On
a passé une très belle soirée sauf qu'il est un vrai alcoolique et on a trop
bu. Nous étions à Q-Dos puis à Paradise.
Pendant un instant j'ai cru qu'il ne voulait pas faire l'amour, mais à Paradise il m'a carrément embrassé. C'était le feu vert, il
a couché chez moi. Mais je n'ai pas bandé. On a fait l'amour le lendemain
matin. Il a une bite aussi grosse qu'un concombre. Je suis bien mal à l'aise
avec une telle chose. Mais j'aime le fait qu'il soit très grand, et il est
tellement beau, nu surtout. Je suis très bien dans ses bras. Puis il a un très
beau visage, d'un jeune de 21 ans. Il a les yeux bleus et il a les cheveux
blond foncés. Certainement le plus bel homme avec qui j'ai eu la chance de
coucher. Puis il n'est pas comme Jonas et compagnie. Il est très mature. Mais
ça se comprend, il a un jeune garçon de trois ans et demi qu'il a eu avec
Tania, la fille avec qui il est sorti pendant cinq ans et qu'il a planté là à
Sheffield dans le nord de l'Angleterre. Elle habite encore l'appartement de Rod
et les quatre grands-parents aident la jeune fille. Il aime beaucoup son fils,
il dit que c'est la plus belle erreur de sa vie. Il en faut du courage pour
affirmer une telle chose à 21 ans, lorsque son fils est aveugle et plein de
problèmes. Il est toujours malade et risque de mourir bientôt. Chaque année
qu'il survit, c'est un cadeau. Ils doivent lui procurer des soins spécialisés
en permanence. Il a tout laissé derrière
lui voilà six mois pour vivre sa vie à Londres. Son automobile, son très bon
emploi également. Il faut vouloir la vivre sa vie gaie pour agir ainsi. Et
c'est moi qui l'avais hier dans mon lit. Il parle en dormant, mais c'est
incompréhensible. J'ai distingué un mot : drugs.
Il prend de la drogue, deux jours avant il était sur l'acide. Mais ça l'a
presque tué qu'il dit. Car 24 heures plus tard, lorsqu'il a fini de voir des
étoiles et l'univers totalement en mouvement, c'est la mort en pilule qu'il
souffre. Comme si quelqu'un lui plantait un couteau dans la nuque. Huit heures
durant il est demeuré immobile sur son sofa à pratiquement vouloir pleurer.
Est-ce que ça vaut la peine ? Maintenant il dit qu'il va se contenter de
fumer des joints. Sa Tania prend beaucoup de drogues également, plus
spécifiquement lorsqu'ils avaient 17, 18 ans, c'est-à-dire lorsque Leonardo est
venu au monde. Je n'ai pas voulu demander si c'était une conséquence des
drogues si l'enfant était venu au monde dans des conditions plutôt précaires.
Si oui, c'est criminel. Mais allez savoir qu'elle était enceinte. Il a annulé
notre dernière rencontre car il a dû entrer d'urgence à Sheffield parce que son
fils était en état critique. C'est touchant. Je suis bien heureux avec lui.
D'autant plus qu'il dit ne pas être capable de se faire fourrer, il a essayé
une fois et c'était trop souffrant. Ensuite, il ne semble pas vouloir
s'attendre à me fourrer. Avec une bite si grosse de toute manière, ce serait de
la folie d'essayer, à moins de vouloir me détruire l'intérieur. Bref, on se
reverra très bientôt, et ça m'embête, parce que Marl est toujours dans le
décor. Mais il est hors de question que je me débarrasse de Stephen, il m'a été
d'une aide essentielle ces dernières semaines où j'ai
littéralement crevé de faim. Et je sais que ce n'est pas terminé. Encore que,
au travail aujourd'hui Rachelle m'annonçait le départ
de huit personnes d'ici un mois. Elle m'exhortait à aller voir la femme au bout
du couloir, pour lui demander par exemple un emploi dans le département du
service à la clientèle. Ça a tellement bien tombé, car je n'osais pas trop
passer par-dessus Elisa, d'autant plus que ce serait à elle de faire une
appréciation de moi. Surtout qu'elle a mis Michael à la porte, je n'étais même
pas assuré de mon emploi. Or, voilà qu'elle vient me voir aujourd'hui pour
m'annoncer une entrevue prochaine avec le mec en haut qui s'occupe du
département du service à la clientèle. Paraît que c'est pas mal mieux payé, je
signe un vrai contrat et j'ai des bénéfices qui vont avec. Ça fonctionne au
bonus également, mais ce système je n'ai croit guère car les bonus sont
inatteignables. Ce n'est plus une
motivation car il est déjà bien stressant d'atteindre le taux de succès minimum
qu'ils demandent. Paraît que c'est plus de boulot, ça non plus je n'y crois
guère. Mais j'ignore en quoi ça consiste encore. Répondre au téléphone, je
crois. Contacter les conférenciers peut-être, dealer avec les paiements des
invités. J'espère que le tout se déroulera vite. Entrevue demain, commence le
jour même. Alors c'est certain que je demeure au sein de cette compagnie au
moins six mois, pour ensuite tenter d'être basculer dans un meilleur
département ou même, dans leurs bureaux de Toronto. Je savais que quelque chose
allait se produire, mais je me demandais si cela devait venir de moi ou
d'ailleurs. Le monde évolue, semble-t-il. Michael fait le mort, c'est un peu
malheureux. Mais c'est peut-être mieux ainsi. Stephen est bien heureux de cela.
Il ignore que Rod est dans le décor. Ce n'est pas moi qui le lui dirai, ce serait
trop souffrant inutilement. De toute manière, je lui ai dit que j'avais passé
la soirée avec lui hier, mais j'ajoute toujours Christine, qui, bien sûr,
n'était pas là. Rod ne voit plus tellement Michael et Nigel, mais il les
rencontre parfois au Brief Encounter.
Il m'a fallu bien du courage pour demander à Elisa ce qu'il était advenu de
Michael. Elle semblait désolée pour moi, elle m'a même dit qu'elle
téléphonerait l'agence pour avoir son numéro de téléphone. Aujourd'hui elle m'a
appris que l'agence avait refusé de le lui donner. Elle m'a alors fait une face
de pitié avec un sourire, m'affirmant qu'elle comprenait entièrement que
c'était mes sentiments qui me poussaient à communiquer avec lui. C'était donc
fort évident pour tout le monde ce qui nous unissait moi et Michael. Mais on se
regardait dans le blanc des yeux pendant des heures. C'est certes une bonne
chose qu'Elisa sache que je suis gai. C'est nécessaire à mon avancement dans
cette compagnie où un très grand nombre d'employés sont gais. En commençant par
Graham Hill, celui qui va me faire passer l'entrevue pour le service à la
clientèle. Elisa m'offrait d'écrire une lettre à Michael qu'elle ferait suivre
à l'agence qui la ferait suivre à Michael. Je lui ai dit que je savais où
sortait Michael, que je m'arrangerais plutôt pour le rencontrer. Mais cela est
une mission impossible, il ne sort
jamais sans son Nigel. Paraît qu'il est thick. En bon
français québécois, un christ d'épais. Selon Rod, il a un beau physique. Il
fallait bien, pour que Michael soit avec lui alors que onze années les
séparent. Cette histoire devient très complexe et implique bien des gens. Elisa
est une vraie fag hag. Tous
ces petits gais qui lui tournent autour. Elle doit se sentir bien coupable pour
avoir mis à la porte mon amant. C'est grâce à
mon français que je vais enfin décoller dans cette compagnie avant tous
ces autres qui étouffent encore après un an sans jamais avoir monté plus haut
que team leader, ce qui ne les paie même pas davantage que nous. Moi, au customer services, je me ferais le même salaire qu'Elisa.
C'est tout dire. Environ de 13,000 à 15,000 livres par
an, selon Rachelle. Mais j'ai de la misère à
concevoir un tel salaire. Il doit y avoir une attrape.
Par où commencer le récit
de mes deux dernières semaines ? Je n'écris plus, je ne lis plus, je ne
fais que sortir, boire à me saouler, travailler, me battre pour m'acheter un
œuf McMuffin™®© à £ 1.59 le matin avec un hash brown™®© et un café
McDonald's™®©. Car nous sommes jeudi et je n'ai déjà plus d'argent.
C'est-à-dire que je vais crever de faim jusqu'à mercredi prochain, sans compter
que je ne pourrai pas boire cette fin de semaine (sauf samedi, Stephen
m'invite, en retour d'une partie de fesses). Je ne suis pas fidèle, le
sait-il ? Nous ne sommes pas dans une relation, le comprend-t-il ? Si
j'avais quelqu'un d'autre, je le planterais là, s'en doute-t-il ? Son amie
Melissa fait bien pire en ce moment avec son jeune italien de Milan, 22 ans,
elle lui paie chaque soir un restaurant luxueux, elle y met le paquet. Alors je
ne devrais pas me sentir coupable lorsque Stephen me paie un Bean Burger™®© chez Burger King™®©. Voyez, je mendie des
burgers au coin de la rue. Londres m'a emmené bien bas. Mais je dormais dans
les bras d'un jeune de 19 ans vendredi passé. Nous avons fait l'amour deux fois
en deux heures. Je ne l'ai même pas rappelé. Plus tard je m'en mordrai les
doigts. Mais je suis tellement dans la misère que rien ne me tente. Sauf
qu'hier je suis allé voir Rod travailler au Paradise.
Je me suis retrouvé saoul mort à Substation jusqu'à
quatre heures du matin. Aujourd'hui au travail c'était l'enfer. Ma vie est un
enfer, je voudrais m'en sortir. Mais comment ? Cette chambre d'hôtel ne
fait que m'inviter à sortir. Nous sommes le 15 août. J'ai un retour pour le
Canada dans cinq jours. Ça te tente de quêter trois livres pour te rendre à Heathrow ?
Pour aller où ? Chez Sébastien à Toronto ? Comme je serai malheureux,
je le sens. Je ne suis pas encore prêt à retourner. Je suppose qu'il me
faudrait manger encore plus de misère. Mais j'en mangerais à Toronto également.
Quelle erreur ce serait de vivre sur le dos de Sébastien, ça le fatiguerait
énormément. Puis j'ai l'impression que je ne reviendrais que pour lui enlever
sa liberté de sortir à Boots chaque fin de semaine. Le pire bar que j'aie vu dans
ma vie en ce qui concerne la drague. Bonjour Sébastien, tu paies pour moi, tu
ne sors plus sans moi, tu ne regardes plus les autres comme si tu étais une
vache en chaleur qui manque de sexe devant moi, je reprends maintenant toute la
place dans ta vie. Comment pourrais-je croire que cela fonctionnera ? Sans
compter qu'il risque de me lancer en pleine face que l'on refait une tentative,
which mean que l'on peut
coucher encore avec d'autres. Fuck man, vaut mieux
pourrir à Londres. Ce n'est pas à Toronto que l'on rencontre ces jeunes de 18
ans qui ressemblent à des dieux et qui veulent se faire fourrer. Dans les deux
dernières semaines, je suis pratiquement sorti tous les soirs. Jeudi soir passé
j'ai bu avec Stephen, puis je suis allé à Raw, un
club Indie hétéro où la bière était à 50 pence.
Résultat, j'ai dragué inutilement toute la soirée, puis la police m'a retrouvé
dans St James's Park à cinq heures du matin, penché seul au-dessus d'une maigre
corde, la tête prête à m'emporter dans la rivière. Ils croyaient que je voulais
me suicider, mais j'étais bien trop saoul pour penser à cela. Je serai tout
simplement tomber et on aurait pu dire que c'était alors inconscient. Ils m'ont
assis sur le banc, m'ont demandé où j'habitais, je leur ai dit que je demeurais
en arrière de la station Victoria, ils ont du croire que je vivais dans la rue.
J'ai ajouté que je travaillais dans moins de trois heures. La femme police
semblait ne pas vouloir en revenir. D'autant plus qu'ils semblaient me regarder
en se demandant quel âge j'avais pour être aussi saoul en plein milieu d'un parc
de Londres la nuit. J'ai l'air d'avoir dix-sept ans, on n'arrête pas de me le
dire. Pendant un instant j'ai cru qu'ils allaient m'emmener. Même, juste pour
me ramener chez moi, de peur d'avoir ma mort sur leur conscience. J'ai dormi
chez Rod avant hier, très bel appartement à New Cross Gate.
Dieu que j'étais bien dans ses bras. Le Français d'hier me disait que Rod
disait de moi que je n'étais que son sex toy. Il pensait m'insulter, au contraire, ça m'a ravis. Peu
de gens peuvent ainsi se vanter d'être le sex toy d'un si beau jeune homme. Ah, quelle horreur, dimanche
passé j'ai couché avec le meilleur ami de Leigh, l'Espagnol. Je crains d'avoir
bousillé mes chances avec lui, mais il semble l'ignorer encore, on se verra
dans le courant de la semaine prochaine. Ma vie est tellement remplie que je me
demande comment le fossé entre ma vie d'avant et ma vie actuelle est possible.
Pourtant je ne demande pas une telle vie. Je veux une relation stable et
durable. Avec Sébastien ? Dieu merci, je n'ai plus de cigarettes. J'achève
de me brûler l'intérieur au complet. Je fume ces cigarettes américaines
appelées Kent, fabriquées en Belgique, alors c'est encore français. Mais elles
sont vraiment fortes.
Je ne
puis plus supporter Popstarz, non plus les gens qui sortent là, non plus Miss-Shapes.
Ce qui me faisait songer que mon billet d'avion,
c'est pour dans deux jours. Ainsi je me retrouvais encore face à cette idée de
changer radicalement ma vie dans un autre pays. Repartir pour Toronto. Je suis
sur les montagnes russes. Chaque six heures je change de décision. Maintenant
je crois que j'en suis venu à un compromis, repousser mon départ jusqu'à la fin
août. La vie londonienne s'organise bien. Alors que j'ai perdu tout espoir et
que les seules personnes que je souhaitaient avoir se sont tout simplement
évaporées dans le néant, voilà que hier avec Marc, après avoir vu la pièce de
théâtre de Sam Shepard, on
rencontre Aldo avec Chris au Q-Dos et qu'en plus ils
se sont assis devant nous et on a parlé pendant au moins 45 minutes. Mais on
n'a aucun moyen de rentrer en contact à nouveau. Sauf qu'ils seront à DTPM ce
soir et que nous sommes invités. Stephen dit qu'il est prêt à m'y emmener.
Alors allons-y ! Mais ça reste à
voir. Le bar le plus techno en ville, le plus drogué aussi. Mais c'est à titre
sociologique que j'y vais, pour y étudier l'espèce humaine, en particulier Aldo
sur la drogue. Ça faisait drôle de les voir là à nouveau. Des gens avec qui
j'ai travaillé au Box et avec qui j'ai eu bien du fun. Stephen les a tout de suite
adorer, on comprend bien, ils ont expérimenté les mêmes choses : la drogue
au Trade et au DTPM Mais le clou de la soirée, juste
en face de Charing Cross station, qui on rencontre ? Michael !
Michael ! Michael ! Avec son éternel Nigel ! Heurk !
Un ours, un hippopotame, un porc, un monstre ! Poilu, gras, beaucoup plus
épais que Michael ne me le laissait supposer. Un gros sourire mongolien, il
s'est même mis à me draguer dans la face de Michael ! Pouvez-vous
croire !
-Aha,
Aha, Aha... tu es tellement
beau, Dieu, tu es tellement, mais tellement beau... Aha,
Aha, Aha...
Avec des yeux qui en disaient long. Bon Dieu !
Trop con pour faire le lien entre moi et la lettre qu'il a trouvée dans les
pantalons de Michael ! Dieu que je m'inquiétais pour rien. Ce gars-là ne
sera jamais jaloux si je suis en sa présence, il voudrait sans doute justement
encourager que Michael couche avec moi dans l'espoir de coucher avec moi aussi.
Avoir su je me serais rendu au Bar Code avant. Je me suis enfin décidé vendredi
à y aller pour la première fois, croyant que Nigel sans doute ne me
reconnaîtrait pas. Et comment, moi qui avait peur de me retrouver avec un œil
au beurre noir et qui tremblais là-bas à les attendre inutilement. J'ai parlé
avec Michael ! Après l'avoir vu souvent en cauchemar, où il était dans mes
rêves sans que je puisse lui parler ou même l'atteindre. Il a trouvé un autre
emploi misérable dans un bar, puis il a quitté le jour même de notre nouvelle
rencontre. Il paniquait à cause de son Nigel, mais c'était inutile, Nigel
lui-même a dit :
-Laisse les filles
parler !
Puis Stephen aussi a été
compréhensif, il s'est mis à parler avec eux. C'était inespéré, certes pas une coïncidence
alors que je promettais justement de repartir au Canada dans moins de deux
jours. C'est drôle comment soudain les événements peuvent tourner aussitôt
qu'un danger guette ce que le destin nous réserve. Semble-t-il, il me faudrait
demeurer encore à Londres. Mais alors, vaut mieux qu'il m'appelle ce crétin ce lundi au travail. Sinon je vais te le hanter
au Bar Code tous les soirs. Stephen a été doublement compréhensif car je lui ai
annoncé mon départ prochain. Alors il a vu en Michael quelqu'un susceptible de
me garder ici plus longtemps. Selon Stephen d'ailleurs, Nigel est un de ces êtres
immondes qui n'a rien dans la cervelle. Et c'est tellement vrai ! Ce qu'il
a dit ?
-Nous
retournons tous à la maison pour une orgie.
Il y
avait deux autres personnes avec eux. Vont-ils vraiment le faire à
quatre ? On en apprend des choses soudainement ! Pauvre Michael. Dieu
qu'on le plaignait soudainement. Il est profondément enfoncé. Stephen cherchait
à comprendre, mais ce n'est pas moi qui pouvais lui expliquer pourquoi ils
étaient encore ensemble, ça ressemblait trop à notre propre histoire. Un drame
d'horreur. Un vieux qui a de l'argent qui entretient un plus jeune instable qui
n'a nulle part où aller. Bref, une soirée très mouvementée en l'occurrence.
Je suis encore à Londres,
risquant la perte de mon billet de retour. Seul à Victoria, la soirée m'a
semblée bien longue. J'ai une toux de tous les diables, semble-t-il à cause de
ces cigarettes. Je n'ai plus de Walkman, je suis allé le retourner chez Argos
(magasin genre Distribution aux Consommateurs) aujourd'hui, dans l'espoir de
pouvoir m'en acheter un meilleur d'ici peu. Mais le problème est que je dépense
trop et je vais vite me retrouver sans argent pour m'acheter même la moins cher
des radios. Je passe mes journées à sillonner l'Internet pour trouver les adresses
de compagnies diverses, hier j'ai ressorti les données de Microsoft dans le
monde entier. Il va me falloir téléphoner tout ce monde-là. Parfois je me
demande ce que Stephen fait lorsque nous ne sommes pas ensemble. Je ne serais
pas très surpris que lui-même ait du sexe avec d'autres. Il n'ose jamais
aborder la question, à savoir si moi-même je couche avec d'autres. De peur,
peut-être que je ne lui redemande. Je ne lui ai jamais menti, s'il demande, je
lui avouerai. Il m'a lancé une de ses pointes hier en affirmant qu'il y en avait
de ces gens-là qui étaient tes bons amis tant que tu as de l'argent et que le
jour où tu n'en as plus, pfuit, ils disparaissent. Je
n'ai pas su quoi répondre. Ça ressemblait fort à ce que Leigh disait lorsque je
me cherchais un emploi. Il m'a lancé en pleine face que lorsqu'un vieil ami
comme celui qui était sur la deuxième ligne te rappelait après deux ans
d'absence, c'est qu'il devait vouloir quelque chose de toi, genre un emploi.
C'est très bien messieurs de me faire remarquer que je profite de vous, moi au
moins j'ai la décence de ne pas vous faire remarquer que vous êtes payé en retour par le sexe avec un beau jeune
homme. Je vous épargne les détails dégueulasses que la prostitution implique.
Et c'est triste, parce que j'ai ma
fierté et qu'aussitôt que les choses
iront mieux dans ma vie, effectivement, il va me falloir me débarrasser de mes clients
pourvoyeurs, plutôt que de simples amis comme j'avais la stupide tendance à
vous considérer. Car des amis s'entraident de bon cœur, mais des sugar daddy, même s'ils sont
jeunes, c'est insupportable. J'ignore pourquoi Stephen m'a lancé une telle
chose, ça m'a coincé les tripes et ça m'a juste donné l'envie de courir, de le
planter là et de lui dire qu'il valait mieux en rester là. Comme il aurait été fier après cela de m'avoir reprocher de vivre dépendant de
lui. D'autant plus que moi sortir tous les soirs comme lui pour me saouler et
fumer, ça n'a jamais vraiment été mon rythme de vie. Voyez, on a exagéré et
maintenant je crache des caillots de sang. Ce n'est pas vrai, mais presque.
Duane m'a téléphoné aujourd'hui pour me dire qu'on ne pourrait se voir avant la
semaine prochaine. Mais on voit qu'il est sincère, qu'il veut me voir,
autrement il ne m'aurait même pas appelé. Alors il y a peut-être de l'espoir de
ce côté. Rod m'a fait chier comme ce n'est pas possible voilà deux jours. Je me
suis rendu à notre rendez-vous, il était complètement saoul. Il était là depuis
trois heures de l'après-midi et il m'annonce que dans moins d'une heure il va
rencontrer les gars avec qui ils déménagent dans un mois pour finaliser les
détails de la location de leur maison. Alors il m'a littéralement flushé pour aller boire encore et probablement prendre des drogues avec ses
amis. En plus il était incapable de me parler, trop saoul. Plus tard, je suis
entré au Village Soho parce que je ne savais plus quoi faire et que je ne
voulais pas retourner à l'hôtel. Ils étaient là à une table, mais heureusement,
ils ne m'ont pas vu. Là j'ai rencontré le plus beau jeune homme jamais vu. Il vient
de Manchester, 22 ans, avocat. Ça fait un peu lourd tout ça. Je l'ai sauvé d'un
vieux laid qui lui parlait. On est sorti au Freedom
puis au Box. Rien ne s'est finalement passé entre lui et moi car son copain de
20 ans l'attend patiemment à l'appartement à Manchester où il retourne
d'ailleurs dans deux jours. Alors pourquoi sortir seul, imbécile ! Ainsi,
je crois que le Rod je peux faire une croix dessus. Et parfois je me demande si
ce n'est pas ce stupide Français, avec qui Rod travaille, qui ne lui a pas
monté la tête pour ainsi pouvoir accéder à moi. Pauvre tarte, jamais je ne
m'intéresserai à toi, plutôt mourir. Maintenant que j'y pense, je n'ai jamais
couché avec un Français, oups, j'oublie que Sébastien est genre français
d'origine. D'ailleurs il me reveut au Canada, celui-là, mais seulement quand un
de ses amis, qui vient à Toronto pour travailler et se chercher un appartement,
sera parti de chez lui. Ainsi il me demande d'attendre encore un mois,
peut-être. Ça semble le brûler pour vrai que je revienne à Toronto, il ne me
semble pas très convainquant. Je suppose qu'il y a quelqu'un d'autre dans le
décor. Et dans ce cas, son Toronto, il peut se le garder. J'en ai un mauvais
souvenir, où j'ai souffert l'enfer dans une relation morte en une température
de congélateur. Mais je garde de bons souvenirs de Michael. Ce jeune blond aux
yeux bleus à moitié Irlandais. Il me faudrait retourner au Canada pour lui, et
non pas pour Sébastien. Mais que dis-je, je prendrai Sébastien comme mari et
Michael comme amant. Car je ne crois plus que Sébastien puisse être fidèle.
Pauvre Michael, il devra endurer toute la merde qui vient avec les tricheries
de couples. Il aimait me sucer une heure durant, affirmant : « Je
pourrais faire cela comme emploi à temps plein ». Mon Dieu, est-ce que ça fonctionnerait vraiment entre moi et Sébastien ? Pourquoi
reviendrions-nous ensemble ?
Stephen est venu ce soir.
Il m'a ramené un cadeau, une paire de jeans noire, celle qu'il avait et que je
portais lorsque j'habitais avec lui. Elles me vont très bien car elles sont
serrées et ça met en valeur mes longues
jambes, autrement mieux que mes trois autres paires qui s'en vont chez
le diable et qui sont bouffantes, faisant de moi un véritable bouffon. Il m'a
ramené du Brie avec des biscuits, puis, après avoir payé pour mon
lavage au Laundrette du coin de la rue, il m'a invité à manger chez Mövenpick, ce restaurant suisse très bon à côté d'où je
travaille sur entre Buckingham Palace Road et Victoria Road. J'ai mangé une
assiette de pâtes pas très bonne, plutôt que mon habituelle quiche imbattable.
Tout va trop bien dans ma vie, mais je n'ai plus l'amour de ma vie,
c'est-à-dire Jason, mon jeune de 19 ans qui pourri encore à Stockport dans un
emploi minable à la quincaillerie du coin : Do it
all, à £ 4.50 de l'heure. Qu'est-ce qui le retient là ? Il est en
amour, le con. Et je l'ai vu son amour, Anthony, dans les manèges du Mardi
Gras. Comprenant son état, je crois l'avoir aidé en me présentant à Anthony et
en lui disant que Jason voulait le revoir, qu'il devrait donc l'appeler.
J'espère ne pas avoir ruiné ses chances, mais de toute manière, c'est moi que
je veux qu'il regarde. Mais j'avoue que nous sommes loin. Et qu'un retour à
Manchester me coûterait au moins 100 livres, car je devrais me payer une
chambre à 18 livres la nuit à l'UMIST, l'Université
de Manchester Institute of Sciences and Technology, ou quelque chose
du genre. C'est une bonne chose que j'aie couché avec le vieux laid là-bas, je
sais maintenant où j'habiterai lorsque j'y retournerai. Jason dit qu'il viendra
à Londres après le 15 septembre, car alors il sera payé. Il veut emporter sa
petite amie, grosse, jeune et fatigante. D'accords, je la supporterai, en
autant que je puisse me retrouver dans ses bras. Ce fut très difficile au début
dans le bar New York New York. Il disait que ses parents revenaient ce soir des
États-Unis et qu'il ignorait quand. Puis après que l'on se soit embrassé, il
m'a avoué que ce n'était pas vrai et que je pouvais aller dormir chez lui. Mais
en cours de route il se met à paniquer, à m'affirmer qu'il n'a couché qu'avec
deux personnes et qu'il ne veut pas faire l'amour avec moi (ce qu'il ne m'avoue
pas, c'est qu'il est en amour avec Anthony). Mais on arrive au Two Thumbs à Stockport, un pub
hétéro don le responsable est gai, et les employés là-bas commencent à faire
des blagues comme de quoi il couche avec un nouveau chaque semaine. Mais je ne
crois pas que ce soit vrai. Puis on est allé dans un pub gai où tout le monde
qu'il connaît va chaque jour. Deux jeunes hommes seulement à travers une bande
de vieux laids dont plusieurs se sont liés d'amitié avec Jason. Puis là il se
met à me manger sur place, en face de la table de billards, où tout le monde
nous regarde comme ce n'est pas possible. Et il veut que je lui fasse une
grosse sucette dans le cou, pour qu'il puisse se promener fièrement ensuite
dans les rues du quartier. J'avoue que c'était bien difficile pour moi de
comprendre la situation. Mais il disait fièrement à tout le monde que nous
allions coucher ensemble, pour se revaloriser aux yeux de tous, mais d'un autre
côté il m'affirmait que nous n'allions pas faire l'amour. Le lendemain, son ami
Dennis au Two Thumbs était
plein de sucettes dans le cou, alors voilà pourquoi mon jeunet en voulait une
grosse que j'espère d'ailleurs qu'il ne regrettera pas (elle est assez
impressionnante). Puis il m'a avoué avoir couché avec les deux jeunes du pub
gai, alors c'était une façon de les rendre jaloux de m'embrasser ainsi devant
tout le monde. Ainsi, même les jeunes de 19 ans se servent de moi pour leurs
propres intérêts. But who cares quand ils sont des
Dieux de jeunesse et de pureté. Le tenir dans mes bras était toute une
expérience, je me rends compte qu'avec
les autres, il n'y a plus aucun intérêt. Je tomberais amoureux facilement de
lui ! Mais le lit fut une autre histoire. Bien que nous sommes demeurés
nus toute la nuit dans les bras l'un de l'autre et que nous ayons fait l'amour
pendant deux heures sans éjaculer, ce qui a ruiné le tout c'est lorsqu'il m'a
lancé en pleine face, exactement comme l'autre jeune dont je ne me souviens
même plus qui : nous n'allons pas le faire, n'est-ce pas ? Alors
dormons. Pour qui ils se prennent ces jeunes fluets qui te lancent en pleine
face qu'ils sont trop purs pour coucher avec toi, et qui un coup dans le lit,
te font chier parce que tu ne veux pas les fourrer. En plus, il était prêt à le
faire sans condom ! J'en avais, mais finalement il m'a proposé d'attendre
le matin. Et le matin, lorsque l'on a commencé à faire l'amour, je me suis levé
pour aller me brosser les dents et lorsque je suis revenu, il s'était rhabillé.
Je ne ferai plus jamais cette erreur d'aller me brosser les dents en plein
milieu du sexe, d'autant plus qu'il m'excite tellement que de le fourrer, j'en
aurais certes pris plaisir. Je regrette de ne pas l'avoir fait la nuit même
lorsqu'il insistait tant qu'il m'écrabouillait le pénis tant qu'il pouvait. Ah
oui, c'est le stupide Australien qui m'a également fait chier en me lançant
après que tout soit fini : eh bien, je suis encore vierge ! Ça les
fâche que je ne veuille pas les fourrer et après ils sont prêts à ne plus le
refaire avec moi, parce qu'ils savent qu'ils peuvent aller chercher ailleurs
cet essentiel élément du sexe. Néanmoins, on a passé de très bonnes heures
ensemble avant que je ne retourne à Londres, à s'embrasser partout lors du
Mardi Gras de Manchester. Et qui sait, on se reverra peut-être, et cette fois
je lui mettrai ma bite dans le cul. Au moins avec les vieux, ils sont si
contents que tu couches avec eux, qu'ils ne songent pas une minute à te
reprocher quoi que ce soit. Ils adorent cela, eux, au moins. Tout ça me fait
paniquer, je devrais me rentrer dans le cerveau la prochaine fois que je dois
le faire absolument, sinon c'est terminé. Comme Neil d'ailleurs qui s'est assis
avec moi après la première fois pour me dire que, sans doute parce que j'étais
trop jeune (et je suis un an plus vieux que lui), que je ne savais pas ce que
je voulais et que j'étais « boring » dans
le lit. Demandez donc à mon ex-Sébastien et à Stephen ce qu'ils pensent de
cela. Tombez donc en amour avec moi et vous verrez que le sexe sera bien mieux.
Et revenez donc plus d'une fois, et déjà je me sentirai beaucoup plus à l'aise
pour vous faire monter au plafond. Bande de taupes. Je ne voudrais tout de même
pas passer pour cette femme frigide qui a peur de se faire pénétrer. D'autant
plus que je les suce, je les mange, les avale, leur fait le 69, puis quoi
encore ? Suis-je donc si à chier juste parce qu'il n'y a pas pénétration ?
Alors il faut vraiment que je me guérisse de mon problème psychologique en
rapport à cela. Mais j'aimerais attendre d'avoir un vrai copain pour cela. Le
problème c'est qu'il est impossible de se faire un copain si justement ils
craignent que cela pourrait ne jamais se produire dans le futur. Je ne serais
pas surpris que ça ait fait fuir le petit Michael également, d'autant plus
qu'il préfère son gorille à moi. Rod j'espère qu'il te défoncera les tripes,
ton vieux singe ! Non, je ne le pense pas, mais tout presque. Demain
Stephen m'emmène visiter tous ses amis, pour la première fois. C'est
l'anniversaire de deux d'entres eux et ils vont sortir quelque part. Comme
c'est drôle qu'ils célèbrent cela un mercredi, alors que tout le monde
travaille le lendemain. Peu importe, je vais faire la connaissance de Johnny,
un des DJ les plus connus de Londres, qui a 39 ans, qui est sorti pendant douze
ans avec la même fille et qui vient de se déclarer gai. Peu de temps après il
avait un nouveau copain de 20 ans, une beauté qu'il a rencontré au Trade, mais que maintenant il regrette car l'autre n'est là
que pour voler son argent pour la cocaïne. Je n'aime guère que Stephen m'en
parle, car ça me rappelle vaguement quelque chose, moi et lui par exemple. Mais
je serais incapable de coucher avec Stephen juste pour ce qu'il m'apporte. Le
sexe était très bien ce soir, mieux qu'avec le jeune Jason, malgré sa jeune
beauté. Mais seulement parce que je suis inconfortable lorsque c'est les
premières fois. Et puis si j'aurais voulu, Patrick, propriétaire du The Box, ou
même Leigh, celui qui fait rouler Popstarz et même Popstatic
à Manchester, auraient été bien mieux. Patrick est bien plus beau et il est
vraiment riche. En plus il n'aurait jamais été question d'une relation dans la
fidélité. Alors je n'aurais pas eu à tout cacher, comme avec Stephen. Mais
celui-là est sorti seul samedi soir au G.A.Y. puis seul à Popstarz Vendredi
soir. Ne venez pas me faire croire qu'il n'a pas ramassé quelqu'un. Du moins au
G.A.Y., l'endroit où c'est le plus facile de rencontrer quelqu'un en ville.
J'ignore d'où me vient mon sentiment de jalousie, regardez ce que moi je fais
dans son dos. Je ne peux surtout pas lui poser de question, car alors c'en est
fait, il me posera lui-même des questions, à savoir, suis-je fidèle ?
Heureusement qu'il n'a pas osé me demander si j'avais coucher avec quelqu'un à
Manchester, je lui aurais avoué le jeune Jason. Car autant qu'il le sache, nous
ne sortons pas ensemble, même si toutes les apparences en surface vont dans le
sens contraire. J'espère que ses amis ne seront pas sur la coke demain, car moi
j'en ai ma claque de ses drogués qui vivent à un autre niveau que soit. Il
fallait nous voir courir les vendeurs de drogues de Manchester. Je suis arrivé
en plein milieu d'une transaction entre mes deux amis et un noir qui craignait
la police. Heureusement j'ai tout de suite compris de ce quoi il s'agissait et
j'ai vite prétexter devoir aller aux toilettes dans un pub à côté. Enfin bref,
à nouveau ma vie est remplie. Et puis j'ai un nouvel ami, David, un gars pas
mal fucké avec qui j'ai passé une partie de la
journée du dimanche et la soirée au Popstatic. C'est
le plus bizarre de tout Popstarz, et il fallait bien juste que l'on se retrouve
à Manchester pour que l'on se parle. Il n'y a pas à dire, cette nuit à Popstatic a provoqué des liens privilégiés entre moi et
tous ceux qui venaient de Londres. Ça a renforcit ceux avec Leigh également. Un
paquet de coïncidences m'ont emporté à Manchester, un
vrai aveugle qui suit sa destinée sans s'en rendre compte. Mais ça a changé
beaucoup de choses dans les mondes subtils. En commençant par Stephen qui
m'offre sa plus belle paire de pantalons, il s'est énormément ennuyé. Et
maintenant, triste à dire, il est prêt à dépenser encore plus pour moi sans
regarder à la dépense. Ce pauvre diable, ce n'est pas pour rien qu'il est sorti
partout sans moi, plus spécifiquement au Popstarz. C'est qu'il me cherchait
sans doute, ou qu'il voulait éviter de trop s'ennuyer pendant qu'il savait que
je me faisais du fun à Manchester. Il n'est pas dupe, il sait que je couche
avec d'autres, et s'il évite de demander, c'est pour éviter de lui-même
souffrir, ou éviter d'être obligé de me dire qu'il couche avec d'autres lui
aussi. Cette disparition soudaine dans le nord lui a fait réaliser mon départ
prochain pour le Canada. Cette idée le rend malade. Que voulez-vous que j'y
fasse. J'ai quitté de bien meilleurs amis que lui. Je ne dirais pas de bien
meilleurs amis, mais plutôt de bien plus appétissants. Car Stephen est certainement
le seul vrai ami que j'ai rencontré, celui qui a tout fait pour m'aider et qui
ferait n'importe quoi pour moi. Toujours sous condition que l'on fasse l'amour
je suppose, mais je crois que même si je lui disais que le sexe c'est terminé,
il serait encore là. Mon amitié, dit-il, est encore plus importante pour lui.
Car il souffrirait bien davantage à ne plus me revoir qu'à ne plus avoir de
sexe. C'est complexe la vie à Londres, et je suis en plein milieu de tout cet
univers. Demain je vais rencontrer le centre de Londres en dehors du monde Indie, dont plusieurs personnes de chez London Records. Ah,
si seulement j'avais cette stupide cassette de Sébastien. Il manque toutes ses chances le con. Pourquoi
le lui ai-je donné cette stupide cassette à Toronto ? Je suppose que ce
qui est, est ce qui doit être. Ainsi je ne devrais pas m'inquiéter. Il semble
bien motiver à y travailler dans le moment, il m'en parle sans cesse. Peut-être
cela débouchera-t-il à Toronto ? Peut-être reviendra-t-il à Londres, ou reviendrons-nous
à Londres avec une meilleure cassette et alors c'est là que tout va
déboucher ? Parce que définitivement, notre vie ensemble serait bien
différente s'il revenait à Londres comme il me disait qu'il voulait. Car moi je
n'arrêterais pas de vivre pour lui et j'ai maintenant de très bons amis bien
placés. Malheureusement, je ne compose pas de musique. Quelques paroles tout au
plus. Londres n'a rien à m'apporter de ce côté, mais tout à apporter à
Sébastien. Travaillerais-je donc pour lui, ici, seul à Londres ?
E. Mon premier Ecstacy, ce samedi soir avec Stephen. Je n'ai pas écouté la
musique, je l'ai vécue. Ou du moins je l'ai entendue d'une manière bien
différente. Nine Inch Nails, The Downward Spiral, en
particulier les trois dernières chansons en bonus que le CD en Angleterre
possède. Ensuite Portishead, un incroyable album que
ce Dummy. Puis Tory Amos, Boys for Peel, Marianne Faithfull, Radiohead, The Bends. Voilà pour la musique. Pour le buzz,
voyons voir si je peux décrire en mots cette expérience. Pendant un bon moment,
je me voyais vraiment dans l'espace. Y étais-je ou alors ce n'est que mon
imagination ? Peu importe, j'étais dans le néant total et c'était bien.
Une conscience absolue de tout. Ce n'était pas de l'héroïne ou du LSD, comme Stephen
me disait que soudainement il y avait des animaux autour de lui et qu'il
pouvait ressentir ce qu'ils ressentaient. J'avais l'impression qu'il y avait
quelque chose là à ma portée et qu'à me concentrer davantage, j'aurais pu
l'atteindre, voir plus loin, communiquer avec quelque chose ou quelqu'un
ailleurs, dans un autre monde. Mais n'était-ce qu'une impression ? Je me
suis soudain senti tellement stupide d'ignorer cet autre univers. Mon trip n'a
pas été des plus hyper. Je ne me suis pas mis à danser comme un malade, au
contraire, je suis demeuré sept heures
dans les bras de Stephen, les yeux fermer, à parler comme jamais on avait
parler. Mon trip a surtout été intellectuel. Après coup, lorsque je me suis
retrouvé seul sans musique, je pouvais entendre des chansons entières dans ma
tête, comme si j'avais moi-même été un lecteur de CD. Entendant tous les bruits
et les instruments au complet dans ma tête, et des images accompagnaient le
tout au gré de mon imagination. Ma mémoire était définitivement décuplée.
Comment expliquer cela ? Des visages inconnus, des images déformées
diverses, une femme même que j'ai eu l'impression que je tuais assez
sauvagement. Puis Stephen, lui il a été comme moi, plutôt affectueux. Sauf
qu'il était très excité physiquement, il a éjaculé trois fois alors que moi,
bien que je bandais, je n'ai jamais été capable d'éjaculer. Mais c'est surtout
la longue discussion que l'on a eue sur le E. Toute la vérité est sortie. Dieu
que ça a fait mal, dans les deux sens. Je lui ai répété plusieurs fois que
je l'aimais, et sincèrement, je le
croyais. Aujourd'hui je suis encore sur le choc et j'ai l'impression que je
l'aime pour vrai. Il me faudrait faire attention, car c'est connu que l'Ecstasy
décuple les sentiments, et l'effet dur quelque temps par la suite. Je lui ai
avoué tous les gens avec qui j'avais couché. Dieu, il y en avait ! Et lui,
il m'a enfin dit son âge. Il n'a pas 29 ans, il en a 36 ! Ça m'a
littéralement traumatisé. Et il m'a avoué ses coups criminels, genre, accompagner
dans sa propre voiture des gars qui transportent des grosses quantités de
drogues dans une autre auto. Si la police les arrête, c'est à lui de foncer
dans la voiture de police pour attirer l'attention sur lui et non sur les
autres gars. Puis ces lunettes volées où il travaille, qu'il tente par tous les
moyens de se faire rembourser chez Selfridge sans
coupon de caisse. Et ces histoires de ventes d'héroïne, oh misère, voulez-vous
bien me dire ce que je fais là ? Le cœur me débat encore et j'ai
l'impression que je confonds cela avec l'amour. Je lui ai dit que je l'aimais
vraiment et que je devrais revenir habiter chez lui. Que Dorénavant il pourrait
dire à tout le monde que je suis son vrai chum et qu'à l'avenir je serai
fidèle. Encore vendredi soir passé, un gars avec qui je travaille est venu me
demander s'il y avait des pubs gais autour de Victoria. Je lui ai répondu que
non, mais qu'au bout de Buckingham Palace Road, à Trafalgar Square, il y avait Q-Dos, Halfway to Heaven et Paradise. Une
demi-heure plus tard nous buvions, une heure trente plus tard nous couchions
ensemble. Je suis venu dans la douche. Celui-là a vraiment 29 ans, et il est
exactement mon style. Grand mince avec une grosse poche. Aujourd'hui il avait
un concert et demain j'ai l'impression qu'il voudra peut-être me voir. Mais demain je dois moralement voir
Stephen. Après demain seulement je pourrai le rencontrer. Mais si j'emménage
chez Stephen, c'est hors de question. Puis ce sera bien difficile de justifier
à Stephen que je ne rentre pas un soir. Il saura que je coucherai avec
quelqu'un, il souffrira et moi je me sentirai coupable au possible. Je crois
que le plus simple serait de ne pas revenir chez lui. C'est beau la volonté de
fidélité, mais il a 36 ans et c'est surtout morale mon amour, pas physique. En
plus, je lui dirai qu'il n'est aucunement question de fidélité entre lui et
moi, bien que je n'aie pas du tout l'intention de coucher à droite et à gauche.
Il souffrira, mais ce sera clair. Bon, il semble que j'aie pris ma décision.
C'était aussi une question d'argent, j'économiserais 85 livres, c'est quelque
chose. Mais le train me coûterait déjà 40 livres par semaine. Puis il y a la
nourriture aussi. Là-bas je peux manger quelque chose de chaud. Et je puis
prendre un bain, écouter des vidéocassettes, dormir dans un vrai lit. Que faire
mon Dieu ? Puis j'aime sa compagnie de toute manière. C'est plus facile
dans ma chambre, car on sort le soir, on s'amuse, puis on revient dans ma
chambre, on fait l'amour et il s'en va. Chez lui c'est plus compliqué. Je dois
le confronter sans cesse, soutenir ses regards lorsqu'il se met à trop rêver ou
à me déclarer son amour. Puis il veut toujours faire l'amour. Le problème c'est
qu'il ne m'excite pas tant que cela, à comparer à tous ces jeunes que j'ai eu
dernièrement. Il me faudrait passer davantage de temps chez lui, mais alors,
est-ce que ça vaut la peine d'avoir une chambre d'hôtel ? Puis il y a
autre chose, mon retour prochain au Canada (et même une possibilité d'aller
travailler à Bruxelles, la femme va me rappeler demain). Peut-être serait-il
bien de tout simplement aller demeurer avec Stephen, quitte à d'ici un mois
déménager au Canada. Ça me permettra de ramasser de l'argent et je pourrais
tout de même me tenir tranquille pendant quelques semaines. Ce n'est pas la fin
du monde. D'autant plus que question sexe dans le moment, il n'y a que le
nouveau au travail et je ne suis même pas certain que l'on va recoucher
ensemble. Car je n'insisterai pas et j'ignore si lui ira de l'avant. Puis il y
en a un que j'ai dragué au Popstarz ce vendredi, mais il ne semble pas décidé. Misère de misère. Et je
ne parle pas des amis de Stephen qui ne cessent de
nous parler ironiquement de leurs deux autres amis gais de quarante ans qui ont
tous deux des copains de 19 et 21 ans. Toute une gang de drogués en plus. Ils
ne croyaient pas que j'avais 23 ans, ils croyaient jusqu'à ce que je montre mon
passeport que je n'avais que 17 ans. Je vois d'ici les conversations qu'ils ont
eues. D'autant plus qu'ils doivent bien savoir que Stephen me paie tout,
partout où on va. Encore 10 livres ce matin. Lorsque je vais repartir de
Londres, Stephen sera anéanti. Je le détruirai en entier, car il est vraiment
en amour par-dessus la tête. Que puis-je faire ?
Je suis seul à Bruxelles
et je m'ennuie grandement. Pas un seul ami. Ce soir j'ai fait le tour des bars,
je n'ai osé entrer que dans deux. Tous les autres étaient trop vides et trop vieux. Et quand je dis
vieux, c'est 50 en montant. Bref, il n'y a pas de club, juste des petits bars
grands comme ma main. Aucun journal ou guide du monde gai de la ville, rien qui
puisse m'orienter le moindrement. Heureusement j'ai trouvé une liste sommaire
des bars de la ville sur Internet. Je sens que je vais m'emmerder au possible.
J'attends patiemment que Stephen vienne, je n'en puis plus d'attendre qu'il
arrive samedi prochain. Il sera avec moi huit jours, grâce, je n'aurai jamais été aussi heureux de le voir. Il
faudrait que je me garde de l'argent que je retourne en visite à Londres la
semaine d'après, ou deux semaines après. Car je ne crois plus que je me ferai
des amis ici. Je viens de me rendre compte de
la chance que j'ai eu cet été de
pouvoir coucher avec tout ce beau monde,
car maintenant tout est fini. À un feu rouge, où il n'y avait aucune voiture,
j'ai traversé la rue. Une toute petite rue, en trois secondes j'étais de
l'autre côté. Soudainement, par un gros haut-parleur, une voix m'a soulevé de
terre : le feu était rouge ! Était-ce pour moi ? Soudainement un
camion de police fait sonner ses terribles sirènes et se lance à
ma poursuite. J'ai perdu
patience, je leur ai crié en pleine face ma façon de penser, et pendant un
instant j'ai cru qu'ils allaient m'embarquer. Je leur ai lancé qu'hier je me
suis fait attaquer par trois jeunes qui m'ont volé 1700 francs belges, et
qu'aujourd'hui je me fais arrêter par la police parce que je traverse la rue
sur un feu rouge. Là ils se sont mis à paniquer, m'affirmant qu'ils n'étaient
pas la police, mais bien la gendarmerie de Bruxelles. Quelle est la différence ?
leur ai-je demandé. Et plutôt que de me répondre, il m'a dit que c'était bien
différent. Tant mieux, et christ ton camp mon tabarnack.
Occupez-vous donc de ceux qui se font voler ou violer dans les places publiques
plutôt que de perdre vingt minutes à me faire la morale parce que j'ai marché
sur un feu rouge. Le pire de toute cette histoire, c'est que j'ai eu davantage peur d'eux que des trois voleurs
de la veille qui auraient bien pu me frapper et même me tuer. Lorsque je le
gars de la gendarmerie m'a demandé pourquoi je n'avais pas déposer plainte, je
leur ai répondu que j'ignorais où était les
postes de police, que je n'avais pas trois jours à perdre en
dépositions, discussions et puis quoi encore, juste pour 1700 francs. Ce que
j'ai omis de dire c'est que j'ai davantage peur de la police que de trois flots cons de la rue qui
me volent en fait 200 francs belges. Demain mardi. Que vais-je faire en
attendant que Stephen arrive ? J'ai l'impression que tous les gais de
Bruxelles ont déjà sacré le camp à Amsterdam. D'autant plus que la majorité
parle déjà à moitié cette langue bizarre. Alors voulez-vous bien me dire ce que
je fais ici ? Aucun doute, Bruxelles, c'est vraiment la même atmosphère
que Paris. Et je viens de me rendre compte que j'aime mieux vivre en anglais et
que j'adore définitivement Londres. Parfois en prenant le métro, ça me fait
penser à Toronto. Ce qui me fait penser que Sébastien m'attend d'ici un mois ou
deux. Ce qui me fait penser que je crois bien que je vais retourner à Londres.
C'est ma drogue, je ne peux plus vivre sans. Partout ailleurs je ne serai pas
heureux, je vais vivre dans l'attente d'y retourner, je ne ferai que regretter
de ne pas y être. Je serais mieux d'aller au lit, demain je me lève à six
heures et c'est en fait cinq heures par rapport à Londres. Ils ne prennent même
pas de pause et ils espèreraient que je n'en prenne pas. Fuck
off, je ne suis pas payé £ 19,000 par année, moi.
Verlaine a beau avoir tiré
une balle sur Rimbaud à quelques rues de mon hôtel Dolphy en face de la gare du
midi, moi en Belgique je vis une misère terrible et solitaire. Je dois avouer
que Stephen est venu passer huit jours ici et que ça a été très bien. On a
visité Bruges (Brugge), Anvers (Antwerpen) et Liège. Définitivement, j'aime
Stephen. Et ça devient de plus en plus problématique du fait que Sébastien m'a téléphoné
aujourd'hui de Toronto. Or je prévois encore demeurer à Bruxelles pendant un
bon mois, même si je suis pour en souffrir tout le calvaire du monde. Puis mes
intentions sont un retour à Londres, pas à
Toronto. Il s'ennuie à Toronto
le pauvre. Parfois j'ai peur de
le perdre si je ne reviens pas
très bientôt. Il risquera de
rencontrer un autre amour important, qui sait. Mais il m'a tant fait souffert.
Et si j'ai vraiment peur de me retrouver avec lui à Toronto à m'emmerder.
Surtout à m'ennuyer de Londres au possible. Tant que j'aurai Londres, la vie
sera viable. Je ne peux pas en dire autant de Toronto, avec un Sébastien qui
risquera de sauter dans la rue pour rencontrer des copains on the rock. Me
refusant affection pendant des semaines voire même des mois. Je n'ai pas connu le même Londres avec
et sans Sébastien. Je l'aime, mais je ne suis pas prêt à souffrir pour lui.
D'autant plus que j'ai un Stephen tellement affectueux qui est prêt à me
suivre en Nouvelle-Zélande. Bon Dieu qu'il fait froid dans cette chambre
d'hôtel. Mes doigts craquent sur l'ordinateur, ça devient grave en ce premier
octobre. Je suis à quinze jours de mes 24 ans. Un anniversaire seul perdu dans
les rues de Bruxelles. Il fait si froid que mon walkman et mon ordinateur
prennent une demi-heure avant de se mettre à fonctionner de façon convenable.
Il est vrai que pour e prix que je paye, mais tout de même, c'est plus de la
moitié de mon salaire qui y passe. En plus je travaille avec des misérables qui
n'arrêtent pas de se lamenter. Une femme avec deux enfants, Arabe, avec un
diplôme d'ingénieure mécanique qui se tue pour des cacahuètes. Je suis tout de
même sorti voilà deux semaines. J'y ai rencontré une bande de vieux en manque
de sexe intéressant qui couchent avec tout ce qui bouge et qui se paient les
saunas aller-retour. J'ai même attrapé des crabes avec l'un d'eux, qui devait
bien avoir au-dessus de quarante ans. Je me décourage moi-même. Je devais vraiment
être en manque, d'autant plus que Stephen arrivait le lendemain et que je lui
ai tout avoué avant même que l'on découvre les petites bêtes. Dumpas, le crétin avec qui j'ai couché m'a lancé une série
de mensonges pour arriver à dormir avec moi. Croyais-je vraiment retirer de
quelconques avantages avec lui ou bien il était là dans ma chambre pour prendre
mes livres et que finalement j'avais envie de le prendre dans mes bras ?
Bref, il aurait déjà publié quatre livres chez Gallimard, il serait directeur d'un
comité de lecture pour cette même compagnie. Or, l'ordinateur de la FNAC me
confirme que ce nom n'existe pas, Gallimard que j'ai téléphoné à Paris n'a
jamais entendu parler de lui et même son numéro de téléphone était faux. Jamais
dans ma vie je n'ai été si bien trompé. C'est un art chez certains. Je crois
encore qu'il me dit la vérité tellement il sait bien mentir, bien que j'aie
toutes les preuves du contraire et qu'en bonus j'ai eu des crabes de lui. Ça
fait une bonne réputation des directeurs de comité de lecture de chez
Gallimard. En plus il ne s'est pas arrêté là. Il me dit appartenir à la Franc-maçonnerie,
m'a montré deux petites bagues qui confirment son trente-troisième degré dans
la hiérarchie, le dernier niveau qui le fait fils du Soleil. (Une petite bague
en or avec des petites croix gravées tout autour qui reflètent la lumière tels
des diamants. Puis une autre en argent avec son nom initiatique écrit dessus.
Quand on peut aller aussi loin dans ses mensonges, la vie ne peut être que
belle, vivre dans un monde d'illusions. Lorsque la vérité éclate avec évidences
moins de trois jours après, c'est plus compliqué. D'autant plus qu'il est tout à fait hors de question que quelqu'un qui appartiendrait à
la franc-maçonnerie en inventerait ainsi pour le plaisir de coucher avec
quelqu'un. Sinon on a plus la franc-maçonnerie que l'on avait. Il voudrait m'y
initier d'ailleurs, je l'ai pratiquement insulté en lui disant que ça ne
m'intéressait pas. Demain il va m'appeler, je vais aller prendre un café avec lui,
évitant de lui toucher mêmes les mains de peur de reprendre ses petites bêtes.
Je me demande jusqu'où il poussera la sottise humaine, et moi jusqu'où je l'endurerai
avant d'exploser et de lui demander un compte-rendu de la vérité dans toute sa
bull shit. La vie est décourageante. Et bien que Bruxelles soit d'un dépressif
impressionnant, j'arrive à m'y retrouver et à m'y plaire. J'ai marché
suffisamment dans le centre-ville pour déjà comprendre que cela me manquera un
jour et qu'il me faudra y revenir (mais pas seul, seulement avec l'amour de ma
vie). Mais c'est définitivement dangereux. Avec Stephen un soir, en marchant
sur la rue du Midi, on a entendu des cris d'une femme et d'une bande de jeunes
arabes. On s'est retourné, il était déjà trop tard. Un vieux couple de
touristes flamands venait de se faire voler tout leur argent de vacances, la
femme le visage gisant dans le sang. Nous les avons emporter au poste de police
tout près, s'inquiétant que même avec la police peut-être n'étaient-ils pas en
sécurité ? D'autant plus que ces policiers ne semblaient pas tellement se
préoccuper de nos deux touristes. Enfin
bref, je prends le tram autant que je peux et j'évite de sortir. Ce
n'est pas bien difficile, il n'y a rien à voir et à faire en ville. Même les vendredi
et samedi. C'est vide et la musique est loin d'être celle que j'écoutais à
Londres.
Voilà, c'est définitif, je
repars pour Londres ou bien vendredi ou bien mercredi de la semaine prochaine,
dépendant de si Stephen a déjà acheté ses billets de train pour venir quelques
jours. Il était temps que je parte, aujourd'hui la grosse Isabelle s'est assise
avec moi pour discuter tous les problèmes que j'ai causés la semaine passée et
s'assurée que cela ne se reproduirait plus. Cause toujours vieille peau, moi je
roule vers Londres. Je quitte surtout à cause de l'argent et de la solitude. Je
n'ai rencontré aucun ami potable et les bars sont de ce qu'il y a de plus
ennuyants. La preuve, je m'enferme dans ma chambre tous les soirs. C'est assez
impressionnant pour quelqu'un qui voilà pas très longtemps sortait tous les
soirs, même quand il travaillait le lendemain. Je vais tenter de survivre un
peu à Londres et quand j'en aurai ma claque, je retourne avec Sébastien à
Toronto. S'il ne veut plus de moi, alors je reste en Europe. J'aimerais bien
qu'il ne soit pas là à m'attendre. Il ruine mon séjour en Europe. Je dois par
tous les moyens me convaincre que la vie était infernale avec lui et que je
m'en vais m'emmerder à Toronto avec lui. Comme c'est drôle, si Sébastien me
disait Viens, je te paye tout, j'hésiterais encore. Si Edward à New York me
disait la même chose, dans une heure je serais dans l'avion qui m'emmènerait à JFK. Pourtant, c'est avec Sébastien que je retournerai.
Mais si je tarde trop à revenir, j'ai l'impression qu'il ne voudra plus de moi.
Il aura rencontré quelqu'un d'autres, qui sait. Ça m'a fait chier lorsqu'il me
racontait son amitié avec le petit blond. Il me disait qu'il ne mangeait rien
lui non plus, de toute sa cuisine. Ainsi ils se sont retrouvés en amoureux
ensemble, à se cuisiner des petits plats, puis à faire l'amour ensuite. Et tous
ces crétins seront encore là en tant qu'amis lorsque je débarquerai. Et chaque
fois que Sébastien ne rentrera pas, je me poserai mille et une questions à savoir
où il est, avec quelle pétasse il couche. Et même si ce n'est pas le cas, ce
sera ce qui me rongera l'intérieur. Quelle sorte de vie cela sera-t-il ?
Car je ne lui fais plus confiance. Et dans ce cas, moi-même n'ai même pas envie
d'être fidèle. Mon petit Michael, je le reverrai. Alors dans ces conditions,
pourquoi retourner ? D'autant plus que je ne puis plus confronter les
parents de Sébastien, depuis que j'ai tout coulé la Sorbonne. Ils me
considèrent comme un trou sans fond, une épave humaine (et ils ont bien raison,
voilà pourquoi c'est si terrible de les confronter). Je me répète sans cesse : retourne à
Londres, puis là tu verras. Si tu t'emmerdes, alors pars. Si tu es heureux,
alors reste. La vie pourrait-elle être aussi simple ? Pas vraiment. La Banque
Royale du Canada me cherche. Elle veut que je recommence a
rembourser mes dettes d'études. Or, je ne fais même pas suffisamment d'argent
pour manger à ma faim (demain c'est le jeûne absolu), alors croient-ils que je
pourrai les rembourser ? Et ils ont passé une nouvelle loi, les étudiants
n'ont pas le droit de déclarer faillite.
Eh bien, que vais-je faire ? De la prison ? Aujourd'hui, cette idée
suffisait à me rendre dépressif à mourir. Je ne sais plus où aller, je ne crois
pas que je serai heureux dans aucun endroit, je suis misérable à mourir sans
aucune possibilité d'améliorer mon sort, et voilà que ces dettes me tombent sur
le dos. Il ne me reste plus qu'à mourir, mais ce n'est pas la quarantaine de
pilules que j'ai dans ma chambre qui suffiraient. Puis me lancer par la fenêtre
me semble bien héroïque. There is
no way out. J'ai beau fuir jusqu'en Belgique, ma
misère me court après et ne me laisse aucun répit. Au moins mon estomac ne se
tord plus comme autrefois, bien qu'aujourd'hui c'est exactement ce qu'il
voulait faire. À Toronto, c'est certain que chaque jour je vais me réveiller
avec un point terrible dans le cœur. Et je le sais, cela serait suffisant pour
me tuer. Londres m'a sauvé en quelque sorte. Car lorsque je me lève le matin,
ce n'est pas à tous ces problèmes et à ma misère que je pense. Mais il me
faudra bien confronter la vie un jour ou l'autre. LE problème c'est que
j'ignore comment et je ne vois aucune solution à mes problèmes. Londres me fera
sans doute du bien, mais la routine terrible de la compagnie me rend déjà
malade. Le train à prendre chaque matin de Isleworth jusqu'à Victoria via
Clapham Junction, avec tous ces travailleurs encore plus misérables que moi, il
n'y a rien de pire. Au moins je me suis organisé pour ne travailler que quatre
jours. J'ignore encore ce que dira Stephen, je l'ai fait pour lui, pour être
ses deux jours de congé ensemble. Mais peut-être verra-t-il cela comme de
l'exploitation de ma part. De la vacheté, et il sera
trop poli pour me dire quoi que ce soit à propos de ma paresse. S'il n'est pas
content, je repars pour le Canada. Et c'est ça le problème, c'est que je le
menace sans cesse de partir pour Victoria, Bruxelles, la Nouvelle-Zélande ou le
Canada. Oh Dieu, allons dormir, demain je me lève à 5h30 du matin. Et mon
ventre va gargouiller si fort que le monde de Bruxelles en sera soulevé de
terre.
Je m'emmerde. En plus je
n'ai plus motivation à rien. Ce qui n'est pas nouveau. Être en Belgique ou à
Londres me laisse tout à fait indifférent. Comme de visiter Gand, Bruges,
Anvers, les plages belges. Cela me fait ni chaud ni froid. Le problème c'est
lorsque je reviens au Canada, dans le fond de ma région perdue. Alors là je
sens le poids de la vie m'écraser. Je ne suis plus du tout indifférent, je
souffre chaque jour davantage. Alors je ne suis peut-être pas si indifférent
que cela à la vie. Le problème c'est que pour m'en rendre compte, il me faut
retourner au Canada. Je vais longtemps me souvenir du quartier Montgomery de
Bruxelles. Quel beau coin, quel beau parc aussi. Puis les sandwiches gruyère
vont me manquer. Les bruxellois, eux, ne me manqueront pas. Il faut creuser loin pour en trouver des
potables, je vous jure. C'est vrai que c'est
à peine si j'ai fait des efforts. Je repars de la Belgique avec tous mes
préjugés tout à fait intacts. Vous voulez pariez que si j'avais au moins
rencontré un de ces beaux mecs que l'on a vu au Brupark,
Bruxelles aurait pour moi représenté tout. Malchance. Je repars, mais cette
fois je reviendrai avec une certaine nostalgie d'un coin que j'ai habité
suffisamment longtemps pour m'être développé de bons souvenirs. Le retour à
Londres est-il une régression ? Si c'est pour retourner exactement comme
j'étais avant, oui, bien sûr, quelle régression. C'est pourquoi Toronto me
semble prévisible pour dans quelques semaines. Mais chaque fois que je suis parti et que j'ai cru revenir dans une
certaine stagnation, c'est une vie tout à fait différente qui m'attendait. Et
puis la vie avec Stephen sera certes
déjà bien différente. Encore que,
n'ai-je pas déjà vécu là pendant quelque temps ? Et le Saguenay et Londres
ont complètement changé lorsque je suis retourné une deuxième fois. J'ignore à
quoi m'attendre. J'ignore même dans quel pays je vais aller me retrouver. Qui
sait ce que Stephen me prépare, avec lui
je peux m'attendre à tout. Et il est si amoureux qu'il ne regarde jamais à la
dépense. Et ce n'est pas Sébastien, il ne me présentera jamais la facture
ensuite. Par contre, lorsque je serai vraiment disparu de sa vie, j'ai comme
l'impression qu'il va lui un rester un goût amer de tout ce qu'il a osé faire
pour moi alors qu'il était aveuglé par l'amour. Je l'entends déjà dire qu'il a
fait ceci, qu'il a fait cela, et que je n'étais là que pour ces avantages et
puis voyez comme je ne l'aimais pas malgré ce que j'ai osé lui dire, je suis
déjà parti pour la Belgique et bientôt ce sera le Canada. Il souffrira, ses
amis amplifieront comment immoral j'ai été et combien stupide il a su faire
profiter de lui. Est-ce que tout cela est vrai ? Encore une série de faits
qui sont difficiles à contredire. En fait, une donnée explique le tout. C'est
qu'en pratique, semblerait qu'effectivement je ne suis qu'un profiteur qui
détruira Stephen éventuellement, avec cruauté si possible. Sauf qu'en pratique,
il existe un paquet de nuances. Les événements se succèdent sans planification,
sans désir réel de ma part ou de la part de Stephen. Le tout se décide sur le
pouce, selon les possibilités. Ou bien je repars pour le Canada, ou bien
Stephen m'aide. S'il me l'offre et que cela me décourage d'accepter, bien sûr
je me laisserai convaincre et oui je profiterai en un sens de lui. Puis je
l'aime, c'est vrai, mais est-ce que je l'aime suffisamment pour finir mes jours
avec lui ? Est-ce que je n'aime pas davantage Ed ou Sébastien ? Même
ça je l'ignore. Chose certaine, il faudra bien que quelque chose change. Car
aller travailler chaque matin, aller prendre quelques pintes de bière tous les
soirs dans les pubs du coin ou du centre-ville, sortir à Popstarz malgré la
bonne musique, puis Miss-Shapes, vous savez, ça ne me motive plus du tout. Et
puis il y a là une petite marmaille qui se prend pour le nombril du monde et
que je ne puis plus sentir. J'aurais besoin d'évoluer un peu, sinon avoir
l'impression que j'évolue. Le problème, encore une fois, c'est que j'ignore en
quoi je puis évoluer, qu'est-ce qui pourrait me donner l'impression que
j'évolue. Que faire ? Ou cela arrive par
lui-même. Ah, j'ai définitivement un problème. Six mois est la période maximale
avant que je ne me mette à paniquer, à tourner dans tous les sens jusqu'à ce
que j'éclate et qu'une ouverture me permette de changer radicalement ma vie. À
moins que tout ne change à mon retour à Londres, je crois bien que la prochaine
grande étape est la confrontation de Toronto et la confrontation en un retour
avec Sébastien. Bien sûr, Bruxelles m'a renforcit. Je me sens très fort, peu de
chose réussit à m'atteindre aujourd'hui. Je ne prends rien très au sérieux non
plus. Si parfois je donne l'impression de me tracasser et que cela me rend
d'une humeur très basse, une heure après je suis tout à fait libérer et prêt à
confronter la planète entière. Peut-être encore plus motivé à me battre avec
l'Univers. Est-ce que j'aurai une vie normale un jour ? Ma mère est bien
découragée. Elle ne sait plus quoi dire pour me calmer et me ramener à des
valeurs et à une vie plus communes, plus normales. Mais pire, serai-je heureux
un jour ?
Voilà, je suis de retour à
Londres. C'est presque la fin du mois d'octobre, je brasse vaguement des idées
de repartir vers le Canada, mais comme je vois cette décision très loin et
qu'en fait, c'est très près, je doute que soudainement comme cela je reparte
vers le Canada. Pendant que j'étais en Belgique, Stephen s'est mis à boire
comme un fou, Vodka. Ainsi il aurait empiré son état d'alcoolisme immanent. Ce
n'est pas très difficile dans son milieu, tous ses amis sont des alcooliques
invétérés qui passent davantage de temps dans les pubs que n'importe où
ailleurs. Hier il m'a lancé qu'il avait définitivement un problème d'alcoolisme
et me demande de l'aider dans son processus de désintoxication. Il dit qu'il
sera de mauvaise humeur et bête mais que ça n'a rien à voir avec moi. Au
travail il n'a jamais eu autant de stress ces temps-ci. Alors moi je ne sais
plus où me mettre. Je recommence à travailler dans quelques jours, ça aussi
j'ignore à quoi m'attendre. C'est drôle qu'avant je savais bien qu'il prenait bien trop
d'alcool, continuant bien longtemps après que j'aie décidé moi-même d'arrêter.
Je disais toujours à la blague qu'il était un alcoolique parce que même à deux
heures de l'après-midi il commençait à boire. Mais jamais il m'était venu à
l'esprit qu'effectivement c'était un problème. Je voyais cela comme normal.
Trente-six ans de vie poussée aux limites, ce sont les résultats que cela
apporte, tout de même banal comparé à sa vie de drogué invétéré, aux prises
avec l'héroïne. Quand on regarde le film Basketball Diaries ou Trainspotting, et
qu'il me dit qu'il est passé par tout cela et que ça lui fait plaisir de voir
qu'il n'est pas le seul, ouf !, je vous
jure ! Bref, maintenant qu'il l'a affirmé comme un problème, voilà que je
comprends qu'il s'agit vraiment d'un problème avec lequel il va falloir vivre.
Or, moi ça me débalance complètement. Je n'aime pas
l'idée que l'alcool puisse être un problème. Mais il m'a dit que ça affectait
son emploi. Il perdait patience trop rapidement maintenant et cela rend ses
relations avec ses supérieurs assez difficiles. Je ne voudrais pas qu'il décide
de couper l'alcool complètement, mais du moins qu'il se modère, ça oui, c'est
une bonne idée. Il m'aurait dit simplement qu'il faudrait faire attention à ne
pas trop boire dans le futur que j'aurais dit oui et n'aurais pas réagis.
Maintenant, c'est différent. Je vis avec un alcoolique, ex-drogué, criminel,
tueur. On me balancerait cela en cour de justice que je ne pourrais pas le
nier, bien qu'en réalité les choses semblent être à nuancer de façon assez
importantes. Et je ne crois pas qu'il m'ait dit toute la vérité, je dirais
qu'un humain raconte en moyenne 50 % de la vérité. Bon, tueur, j'exagère,
c'est un accident de voiture. Mais il a fui sur le spot. Bon, on comprend qu'au
Maroc tu n'as pas intérêt à être dans une de leur prison, d'autant plus qu'ils
devaient avoir sur eux de la drogue et que peut-être qu'ils étaient sous
l'influence des drogues ou de moins de l'alcool. Il y a un petit article sur le
mur qui dit que son copain, lorsqu'il a été arrêté, il l'accusait de fraude
atteignant 300 000 livres sterling. Or, Stephen m'a affirmé qu'il s'agit
d'un montant que l'on peut multiplié par cinq facilement. Ils volaient des
banques ! Des vols que l'on entend même pas parler dans les journaux, mais
dont certains très ingénieux ont terminés en première page de tous les journaux
londoniens. On passe devant les banques et voilà qu'il me dit : on a volé
cette banque. Est-ce la raison pour laquelle je l'apprécie ? J'aime
certainement son côté Street Kid qu'il a gardé même à
trente-six ans. Il croit qu'il est en sécurité maintenant. Il rêve. Il n'est
jamais trop tard pour te faire payer tes fautes. Je suis son opposé absolu. Je
ne volerais même pas 10 pence à qui que ce soit, même pas au gouvernement alors
que le gouvernement, au rythme où il nous vole, je devrais avoir une conscience
claire. (Je considère que le
gouvernement nous vole parce qu'il prend abusivement et ne fait pas une
utilisation intelligente de cet argent.) Je n'ai qu'une vague idée de la vraie
personnalité de Stephen. Parce qu'il m'aime tant qu'il est tout à fait
différent avec moi que lorsque je suis absent. Il a un très mauvais
tempérament, toujours prêt à tout confronter, à se battre s'il faut. Les années
l'ont assagies, mais il en reste beaucoup à assagir. Il ne prend de merde de
personne et il a développé l'art de se procurer tout ce qu'il veut par la
confrontation. Une des lois les plus simples de la nature. En société, on a été peu habitué à ce
genre de confrontation. Lorsque tu vois un homme dans une banque qui fait toute
une scène pour encaisser des chèques de voyages, qu'il demande à parler au
manager, qu'il crie, panique, effraie tout
le monde, tu lui donnes ce qu'il
veut et il repart ensuite. Tu réalises ensuite qu'il vient de te voler 10,000
livres.
Moi et Stephen on ne
s'entend plus très bien. Souvent je fais la tête et il panique pour le reste de
la journée. Peut-être parce que je ne suis plus libre de faire ce que je veux,
peut-être passons-nous trop de temps ensemble. Ma vie est un vrai cauchemar en
ce moment. Elle ne s'en va nulle part et je ne vois pas de porte de sortie.
J'ai déjà 24 ans, et si en 24 années tu n'as encore rien accompli de concret,
comment veux-tu que cinq ou dix années de plus fassent toute la
différence ? Je pourrais oublier toute idée d'accomplir quelque chose de
concret, retourner au Canada et vivre une petite routine bien ordinaire.
Lorsque tu acceptes cet état de fait, je suppose que la vie se digère mieux. Le
petit mécréant au travail, m'a fait comprendre qu'il avait déjà quelqu'un dans
sa vie et qu'il veut pousser cela plus loin. Ainsi il me fuit un peu et il ne
veut qu'une amitié. Cela est arrivé vendredi, une journée chargée en
l'occurrence. Après le travail je suis allé prendre un verre avec les français
puis on s'est retrouvé au Flanagan's Wake à Victoria, où toute la compagnie
prenait une bière après le travail. Pratiquement une soirée de Noël, ce qui me
fait me demander pourquoi on en a deux dans les deux prochaines semaines. Le
problème c'est que j'étais saoul et que j'ai trop parlé. J'ai dragué certaines
personnes de mon département, avoué à plusieurs autres que j'étais gai.
Sincèrement, je me serais passé d'une telle stupidité. Je suis sorti au
Popstarz ensuite, sans Stephen. Je n'ai pas vraiment dragué, plutôt perdu mon
temps. Puis j'ai attrapé une grippe à marcher dans le froid. Je suis entré pour
gratuit, ce qui est une bonne chose, Leigh était bien heureux de me voir, il
m'a payé une bière, la fille également. Jonas m'a sauté dans les bras,
m'avouant que ce n'est qu'après mon départ qu'il s'est rendu compte comment je
lui manquais. Cela ne veut pas dire que soudainement il veut coucher avec moi,
alors qu'il aille se faire foutre. Et même s'il voulait faire l'amour, qu'il
aille se faire foutre. L'autre petit Tom y était aussi, pas très heureux de me
voir, mais demandant pour ses deux livres qu'il m'avait prêtés. Enfin, la
musique était la même que cet été, signe de problème dans un club. Pas
d'innovation, pas de nouvelles chansons, juste une stagnation. Stephen n'est
plus très heureux avec moi, j'ignore si c'est effectivement ma faute ou si
c'est lui le problème. C'est vrai que je déprime un peu ces temps-ci. Je sais
qu'il m'aime trop pour vouloir une séparation, mais en même temps il nous rend
la vie misérable avec sa mauvaise humeur. Tellement que des jours comme
aujourd'hui je me demande si je devrais retourner au Canada. Le problème c'est
que je crois bien retrouver le même style de vie monotone avec Sébastien à
Toronto. Sans compter que celui-là risque de m'offrir bien plus de souffrances
à cause de toutes ses relations à droite
et à gauche. Je n'ai pas envie de souffrir cela. Je n'ai plus envie de souffrir. Je ne sais plus quoi faire de ma
vie, mon travail est nul, je n'en puis plus. J'ai atteint un point où même la richesse
et la reconnaissance d'autrui ne me rendraient heureux. Je croyais que Londres
me rendait heureux, en fait, Londres ne me rend pas heureux. Il ne fait que me
soutenir un peu plus dans ma détresse. C'est-à-dire qu'il rend ma misère un peu plus soutenable. Mais il
vient un temps où tout s'écroule et que même Londres n'u peut plus rien. Un
retour au Canada, dans ces conditions, serait le coup de grâce. L'an passé à
pareille date j'étais à Jonquière, sortant tous les soirs au 2741 et au Caméléon,
puis dormant ensuite chez mon petit Gabriel qui m'a renié pour son propre
orgueil. C'était bien, même si c'était terrible à la fois. Car l'ombre du
départ planait toujours. Puis il a eu les problèmes avec Alice et le copain de
ma sœur, tous deux incapables de me supporter dans leur petite maison qui est
l'accomplissement de toute une vie. Puis il y a eu New York après le nouvel an,
Toronto, le nord du Québec, puis le retour à Jonquière jusqu'à ce que le tout
explose. Curieusement parce que je demandais trop la voiture et que je ne
rentrais plus le soir, et puis quoi encore, tout cela n'est que du vent de
toute manière. La jalousie d'Alice, le désir de tranquillité du copain de ma
soeur dans leur maison aux murs de papier. Je n'avais de place ni à Montréal
chez François, ni à New York chez Ed, ni chez Sébastien et ma tante à Toronto,
ni chez Marie dans le nord, perdue dans sa méditation et son silence de
cimetière. Il me fallait mon propre chez
moi, mais on ne se construit pas un nid dans une nouvelle ville en deux
semaines, d'autant plus qu'un nouvel emploi peut prendre jusqu'à deux mois
avant de te payer une première fois, si tu réussis à en trouver un en un mois,
ce qui s'est avéré impossible à Toronto. Je ne fais qu'exister et les gens
finissent par exploser. À Londres, j'étais de trop chez Rick,
même en payant 54 livres par semaine.
Stephen commence à ressentir le poids d'une présence permanente dans son petit
appartement vide et froid, je crois qu'il aimerait bien savourer un peu sa vie
de célibataire d'antan, mais souffre dès que je ne suis pas là pour une soirée.
Comme vendredi où il m'a attendu jusqu'à cinq heures et demie du matin et qu'il
dit avoir compris comment il m'aimait et combien il importait que l'on trouve
un moyen pour moi de demeurer en Angleterre au-delà du mois de mai prochain.
Mon petit poste d'assistant en marketing vient de prendre le bord. Ce n'est pas
trois personnes qui sont dans la course, c'est une dizaine. Ce n'est plus la
décision de celle qui m'a fait passer trois entrevues déjà, mais une autre du
département du personnel, Lara, la bitch qui me
disait qu'aller en Belgique était impossible et que finalement c'était
possible. John, celui qui est maintenant à la tête du département, Dieu sait
comment, veut cet emploi, il a fait l'examen qu'il faut maintenant passer. Il a
eu 100 % dans la partie mathématique et il a une formation de marketing.
Ça n'est que un sur les dix qui veulent le poste. Alors je ne rêve plus en
couleur, d'autant plus que maintenant l'examen propose une partie grammaire
anglaise et correction de texte. Je suis nul en anglais écrit. Mais on me dit
de garder espoir juste parce qu'Elisa disait au téléphone, probablement à la
mauvaise personne, que dans tout ceux qui courraient pour l'emploi, je suis le
plus qualifié et le plus performant. John me disait que j'étais le meilleur de
tout le département de recherche. Ce qui ne me fait pas un pli sur les fesses.
Je méprise tous ces gens, je méprise cet emploi et cette petite hypocrisie de
bas de clocher pour avoir une position qui donne à peine 50 pence de plus par heure
et qui te demande trois à quatre soirs de temps supplémentaires par semaine.
Sans ces heures supplémentaires, je me retrouverais à gagner moins qu'en ce
moment à cause de mon 25 livres de bonus que je réussis à avoir en mentant
comme un déchaîné sur ma feuille de temps à ka fin de la semaine. Je n'ai
d'ailleurs aucun complexe, c'est très clair que je raconte de la merde à tour
de bras. Cinq heures de données perdues la semaine passée, additionné d'un six
heures d'imprimerie. Qui est assez fou ou aveugle pour avaler cela ? Voilà
comment on réussit à devenir le meilleur de son département. Et c'est comme
cela que ça marche dans le gouvernement. On pense que tel ministre à bien
réussit parce que ceci ou cela puis on se rend qu'en pratique tout flanche, la
pauvreté est immanente et les gouvernements bien inutiles. Bien sûr, donnez-moi
un budget de 100 millions, à la fin de l'année j'aurai tout dépensé. Mais
qu'aurai-je fait ? Rien pour vous aider vous. Que fait la ville avec les
taxes qu'elle ramasse ? Elle organise des événements qui ne concerneront
toujours qu'une minorité. Elle a des centres de loisirs qui ne concerneront
toujours qu'une minorité. Enfin, elle asphalte à nouveau ses rues chaque année
à coup de milliards alors que c'est prouvé qu'il existe une nouvelle sorte de
ciment qui coûte plus cher à court terme, mais économiserait des milliards au
bout de 100 ans parce qu'au moins cela dur plus que quatre ans, c'est-à-dire le
temps d'un mandat en politique. Il ne faudrait jamais accordé de budget à qui
que ce soit en lui disant, voilà, dépense tout, mais du mieux que tu peux. On
ne devrait qu'avoir un fond pour payer l'essentiel avec personne pour tout
dépenser dans le vide. On ressent chaque jour un peu plus le fardeau de cette
dette qui paralysera la planète entière dans moins de quelques années.
Sans le vouloir, je crois
que je suis devenu très proche de Stephen. Je dis que je serais prêt à repartir
n'importe quand, même si je n'en ai pas l'intention, mais je suis loin de me
rendre compte que je suis attaché à lui et que de partir ne ferait que
provoquer un retour précipité. Ce soir nous avons vu Jaz et William. Ce dernier
me semble gai, davantage depuis que l'on m'a raconté certaines histoires. Leur
vie sexuelle est nulle dans le moment. Jaz s'est presque déjà désistée pour
notre mariage. Je suppose que mon retour au Canada sera plus facile lorsque
l'immigration m'obligera à partir. Nous avons vu des photos ce soir,
l'ex-copain de Stephen y était, Douglas, personne n'a osé me le pointer. C'est
maintenant ici que Stephen vient de me l'avouer. Trop tard, je ne l'ai pas vu.
Tout ce que je peux me souvenir c'est d'avoir vu des grands bien bâtis dont
aucun ne me semblait si beau, mais Stephen m'affirme qu'il était vraiment beau.
Jaz passait rapidement sur certaines photos, voilà sans doute pourquoi je n'ai
rien vu. C'est toujours souffrant de voir que la personne que l'on aime a un
passé heureux et amoureux et qu'elle souffre encore de cette relation qui s'est
terminée selon le vouloir de l'autre. Stephen a beau me dire qu'il m'aime comme
il a jamais aimé personne et que je suis cent fois mieux qu'un homme qu'il a
tant désiré mais qu'il a eu seulement quelques fois, alors qu'ils étaient bien
drogués et saouls. Suis-je vraiment à la hauteur ? Au travail je ne le
suis certes pas. J'ai passé l'examen de marketing supposé prouver notre bonne
connaissance des mathématiques, d'Excel et de l'anglais. Eh bien, je l'ai raté
cet examen. Non seulement je n'ai pas eu le temps de terminer, mais elle va
bien voir que mon anglais est celui d'un primate, même si je le parle très bien
jusque dans les moindres expressions que le British moyen emploi à tour de
bras. Le pire, j'arrive dans les toilettes et Bill m'annonce que si je désire
vérifier mes réponses avec le corrigé, il en a une copie. Quoi ? Le p'tit christ de con de John a eu 100 % dans l'examen,
voilà pourquoi il a eu l'emploi que je reluquais avant même que je ne passe le
test et tout cela par tricherie ? Elle pouvait bien être impressionnée par
de tels résultats, tellement qu'elle ne m'a même pas laissée ma chance, la
vieille peau de Lara. Inutile de dire que j'ai sauté dans son bureau pour lui
affirmer qu'elle ne devrait pas trop se fier aux résultats d'un examen qui
circule depuis six mois dans tous les départements et dont tout le monde a une
copie. Ce genre de dénonciation habituellement n'aide jamais celui qui ose
parler. Mais je n'avais rien à perdre. Cet examen est si important qu'il me
fallait tout faire pour le discréditer. J'ignore où tout cela va me mener, mais
encore une fois, d'ici cinq mois je suis parti. Comme je voudrais me rendre à
New York plutôt que Toronto ! Mais comment faire ? Le mépris à la
compagnie a atteint son paroxysme. Lorsque tu te contentes d'être dans le
département de la recherche, tu le ressens déjà, mais tu es tout de même
capable de venir, accomplir ta journée, repartir. Moi je travaille pour les Tailor Made, j'établis la Mail Merge
de la recherche directe de chaque producteur de conférence. Ainsi je dois
chaque jour aller dans tous les départements et souffrir un mépris qui est tout
simplement inexplicable. Lorsque tu rencontres une conasse qui, par mépris, ne
te salue même pas et dont cela t'enrage tellement que l'on puisse te prendre
pour si bas que tu te sens obligé de la détester pour ne pas t'enfoncer
davantage. C'est ce regard que je ne peux plus supporter. Le plus grand des
stress est aussi celui de tous ces cons qui ont eu des promotions, qui sont
fiers d'être plus haut, sur d'autres étages avec des contrats signés par la compagnie
pendant que toi tu pourris encore dans un emploi qui ne te permet pas de t'offrir
deux bières lorsque tu sors avec eux. Elisa a même promu Justin à la place de
John à la tête du département. Justin plutôt que moi. Il n'est pas ici depuis
deux mois, il ignore encore comment faire sa feuille de temps à la fin de la
semaine, il n'a jamais été capable d'atteindre son taux de succès. Comment
voulez-vous que je me rende au travail et subir une telle humiliation ? Je
me suis dit qu'il me fallait trouver un autre emploi autour de l'aéroport par
exemple. Plusieurs compagnies ont leurs quartiers généraux européens ici à
Hounslow. Mais je me rends compte que de trouver un autre emploi n'est pas si
simple, sans compter que de trouver quelque chose qui me paierait mieux que ce
que j'ai en ce moment, cela relève du miracle. Ainsi, en plus de souffrir un
mépris et une humiliation sans borne, il me faudrait les remercier à genoux de
me laisser cet emploi minable insupportable. J'ai rendu service à Elisa en lui
offrant une montre Dunhill à plus que moitié prix, au
lieu de m'être reconnaissant, on dirait qu'elle évite de m'aider de peur que
les autres croient au favoritisme. Dans ces conditions j'aurais dû l'envoyer
promener, on aurait tout aussi bien pu vendre cette montre à n'importe qui
d'autres pour le même prix. Comble de malheur, Mary, la conne qui m'a tout de
même choisi pour TM, n'arrête pas de se lamenter que son travail ne paie pas et
que l'on est misérable. Toute la journée, une telle source de négativité ne peut
faire autrement que de te convaincre que tu es le dernier des misérables sur
cette planète. Comme c'est drôle que partout autour de moi les gens aient
tellement de chance. Ils gagnent toutes sortes de choses, ils obtiennent des
emplois incroyables, ils bénéficient de faveurs presque miraculeuses et moi, de
telles choses ne m'arrivent jamais. Je suppose que je vois tout du mauvais
angle. On pourrait me croire heureux d'être à Londres, en fait c'est tout ce
qui importe. Et j'avoue que je dois me le répéter dort souvent pour accepter ma condition. Seulement dans cinq
mois cela sera fini et déjà cela me démotive tellement que je serais tenté de
partir plus vite juste parce que je me demande sincèrement pourquoi je dois
retarder quelque chose d'inévitable. Mais je reste, je me dis qu'il me faut
durer le plus longtemps possible. Car je regretterai ce départ, je le sais trop
bien. Si c'est un départ obligé, la décision ne m'appartient plus et les
regrets disparaissent. Tous mes rêves d'être écrivain un jour ont disparus. Mes
derniers manuscrits se font tous refusés chez les éditeurs et je crois que pour
la première fois de ma vie j'arrive à comprendre qu'un jour il faudra que
j'abandonne. D'ailleurs je n'ai plus la motivation d'écrire, j'ai deux livres
commencés qui sont tout simplement en jachère permanente. Je n'en vois plus
l'utilité. À force de vouloir plaire, on fini par écrire des conneries qui
n'offrent aucune motivation. En plus on ne plaît pas davantage. C'est clair que
toute critique est archi fausse, elle cache les vraies raisons du refus. Ça me
fait penser à la femme qui reçoit une lettre de son amant lui expliquant
pourquoi la relation doit se terminer. Elle lit le tout et perd sa vie pendant
deux ans à analyser des justifications qui n'ont rien à voir avec les vraies
motivations de la rupture de son amant. Ainsi mon rêve de pouvoir être si mois
à Paris ou à New York à travailler dans ma littérature s'évapore. Il me faudra
bel et bien travailler de 8 à 4 sept jours par semaine pour des compagnies comme
celle pour laquelle je travaille, dans des villes où je n'ai nullement l'envie
d'habiter. Ainsi, tous les sacrifices que j'ai fait à ma littérature, tout cela
ne portera jamais fruit et n'est que pour rendre mon échec encore plus
éclatant. Mes parents avaient donc raison dès le départ. Et je ne peux même pas
apprécier l'idée que l'on pourra me reconnaître en tant qu'écrivain une fois
que je serai mort, car même mort, personne ne voudra me publier, d'ailleurs
personne ne ferait l'effort de tenter de faire publier mes livres après ma
mort. J'ai donc bien perdu les sept dernières années de ma vie et maintenant
j'ai bien l'intention de commencer à vivre et d'oublier l'écriture. Stephen est
bien pour cela, il ne peut demeurer en place. Il est toujours prêt à sortir de
l'appartement pour faire quelque chose. Il est toujours rempli d'idées. Donc je
n'ai plus le temps d'écrire de toute manière. Jamais je n'aurais cru possible
que l'écriture qui m'était un si grand besoin, même s'il était bien pénible,
puisse me passer un jour. C'est comme de se désoler de Rimbaud qui n'a écrit
que deux ou trois années de sa vie. On est désolé, mais ce que les gens ne
comprennent pas c'est que s'il avait continué à écrire, Rimbaud ne serait pas
Rimbaud, il serait autre chose de peut-être bien moins mystique et profond. Ce
n'est donc pas une perte. Et puis on est passé bien près de jamais en entendre
parler de ce Rimbaud, si Verlaine n'avait pas envoyé un de ses poèmes bien
longtemps après à un magazine qui a bien voulu le publier presque par charité.
Combien de ses Rimbaud construit étouffe-t-on chaque jour ? Parce que
Rimbaud est définitivement une construction. En lui-même il est bien
insignifiant, pour employer un terme de Roland Barthes. Tant qu'à moi, j'estime
laisser derrière moi une œuvre suffisante. Ajouter deux ou trois livres à cela
ne serait que parler pour parler. De bonnes trouvailles peut-être, mais
nullement essentielles à mon œuvre. Sans doute je me trompe. Le jour où je
publierais un livre, je pourrais commencer une grande carrière d'écrivain et
publier des œuvres impressionnantes qui vaudront tout comparées au reste de mon
œuvre actuelle. Sans doute aussi on peut rêver des années à ce genre de choses
et détruire sa vie en illusions. Peut-être ai-je également de la difficulté à
accepter qu'en fait, c'est ce petit espoir qui m'a gardé
en vie si longtemps. La fin n'est pas le suicide, ou plutôt oui, le suicide de
ma carrière d'écrivain. Une vraie libération demanderait que je brûle mes huit
ou neuf livres. J'y ai réellement sérieusement songé. Et c'est un geste si
grandiose que je me promettais bien de ne jamais le regretter. Car j'ai accordé
une trop grande valeur à ces futilités
depuis tant d'années que cette bêtise mériterait de se terminer par une autre
bêtise. Si un jour tout cela devient connu, et bien sûr je l'ai encore à
l'esprit, on verra ceci comme des menaces. Pas du tout, j'en suis vraiment à ce
point. Si bas et si désespéré que finalement j'en ai la conscience que tout ce
travail est bien vain et toute cette œuvre bien ridicule. Je pourrai toujours
me dire à moi-même combien au moins ce ridicule m'a bien motivé toutes ces
années.
Je suis entré dans le mois
de mars avec une idée effrayante et voilà qu'aujourd'hui je m'en vais à Camden pour fixer la date de mon mariage pour
dans trois semaines si possible. Si je peux avoir l'Église à Soho, ce sera un
vrai mariage, sinon le tout sera civil. Je vais même regarder aux bagues de
fiançailles et les robes de mariées. Samedi j'y retourne avec France, ma future
femme. Dans un monde de bureaucratie, il fait employer tous les moyens pour
contourner les lois. Une entreprise n'arrivera jamais au sommet sans cette
incroyable capacité de contourner les lois. C'est implicite, c'est dans la
Constitution. Je vais rester à Londres et je vais m'assurer un avenir en
Europe. Mes seules chaînes étant Sébastien et ma famille. Ainsi je n'ai aucune
chaîne. Ma seule question est, va-t-elle m'emporter un mois de mars débouchant
dans le mois d'avril d'enfer ? Ce pourrait bien être ma pire erreur, la
chose que je n'aurais jamais dû faire. Eh bien, il faut être prêt aux risques
et je ne crois pas que ce puisse être si terrible. Mais sa motivation est celle de soutirer de
l'argent à la ville, avoir son propre appartement avec deux chambres, tous
frais payés et louer la deuxième chambre à quelqu'un d'autres. Ainsi se faire
de l'argent sur le dos des contribuables. Je n'irais jamais jusque là et je
crois même que cela ne fonctionnera pas. Mais c'est sa motivation et je la
respecte. D'autant plus que cela est suffisamment gros qu'elle ne se désistera
pas une journée avant le mariage. C'est beaucoup d'argent de perdu, ma nouvelle
carte de crédit Star Trek de la Bank of Scotland va
amortir le choc de mon porte-monnaie, rendre le mariage possible, je n'aurai
qu'à vivre avec mes dettes ensuite. Mais 1250 livres de plus à tout ce que je
dois, qu'est-ce que c'est ? Ce que j'aime, c'est qu'elle est française.
Elle veut porter mon nom. Elle porte même le nom de la France. Elle a son
domicile en Normandie. Je crois bien qu'elle du sexe féminin, mais je ne
pourrai jamais confirmer ce fait de façon certaine. Mais sincèrement, je crois
qu'elle a le cœur à la bonne place et que ses problèmes de drogues ne sont pas
vraiment des problèmes majeurs. Tout devrait bien aller.
Voilà, je suis au bout du
rouleau. Le mariage a eu lieu voilà à peine quatre jours que ma femme m’a déjà
menacé trois fois de courir à l’ambassade de France pour annuler notre union. Ne
fais pas la folle que je lui ai dit, nous avons fait
quelque chose d’illégal et tu seras dans le trouble. La première erreur c’est
d’avoir aveuglément signé mon nom pour avoir un compte de banque conjoint avec
son compte de banque avec la Barclays. Or, soyons réaliste, son solde est à
moins 600 livres et la banque lui a redemandé sa carte et son carnet de chèque.
J’ai signé, pour aller annuler le lendemain. Pour me justifier j’ai dû inventer
une histoire de fou comme quoi ma banque au Canada me demandait 1250 livres
tout de suite pour remboursement de mes études depuis janvier. Ensuite j’ai
abordé la question des impôts sur le revenu. Je ne veux pas de compte jumelé où
je perdrais tout car partagé entre l’épouse et le
mari. Ce fut la crise ! Et puis le pire c’est que pour justifier mes
décisions j’ai dû lui dire que je faisais face à la faillite. Qu’il me faudrait
signer tous les papiers. Mais ça l’a effrayée plus que tout car soudainement
elle ne voyait plus comment elle aurait son visa, car il est impossible qu’elle
ait un quelconque visa ou que moi je puisse demeurer en Europe si un des deux
reçoit de l’aide financière à n’importe quel niveau ou qu’il a des problèmes
d’argent. Ainsi ce mariage est totalement inutile puisque qu’il est impossible
de prouver qu’elle puisse me soutenir si je perdais mon emploi. Ainsi je dois
reposer mes espoirs sur ce visa de travail que ma compagnie m’a promis, mais ça
n’a pas l’air qu’ils font quelque chose, d’autant plus qu’ils savent que je
suis marié avec elle et qu’ils ont l’impression que le reste se fait tout
automatique. Le problème avec toute cette merde du mariage c’est qu’il me faut
toute sa coopération et que cette coopération, elle ne peut même pas me la garantir.
Au contraire, elle me menace sans cesse de tout dénoncer et je la crois capable
de le faire si cela signifie qu’elle vont te la parachuter en France en même
temps qu’ils vont m’emporter à l’aéroport d’Heathrow pour me catapulter sur un
avion d’Air Canada (et encore, ce sera un de ces avions pour groupes étudiants
qui ne coûtent rien mais dont à chaque voyage l’avion perds des morceaux).
Sans compter que Stephen, avec son
contrat d’Halifax (une sorte de banque qui fait encore des millions sur le dos
de tout le monde), il lui est impossible de sous-louer et même d’avoir
quelqu’un d’autre qui habite la place et paye. Ainsi c’est sa place mais il ne
peut rien faire. La seule solution c’est de trouver un appartement à deux
chambres où elle habiterait et sous-louerait l’autre chambre, mais tout cela
coûterait au-dessus de 1500 livres avec les dépôts. Avant de déclarer ce mariage
une faillite, je crois qu’il me faut laisser le tout reposer et voir plus tard
ce que cela emmènera. Pour l’instant, dans moins de trois heures et demie il y
a un livre à Montréal qui sera lancé avec huit pages que j’ai écrites. C’est ma
première publication, la première fois que le public entendra parler de moi. Je
devrais m’en réjouir, mais au contraire j’ai l’impression que ça va mourir là
et que dans le fond c’est plus une honte qu’autre chose. Parce que c’est le
livre complet qui devrait être publié et tous mes autres livres qui devraient
être lus par d’autre monde que les comités de lecture de ces maisons
d’éditions. Sincèrement je suis convaincu que je n’aurais aucun feed-back de
cette publication, puisque personne n’a jamais entendu parler de ce magazine-livre déjà sur le marché depuis deux ans, je
crois, et que finalement, qui lit ces foutaises ? J’aimerais croire que ce
sera là le début d’une grande carrière d’écrivain, que les gens appelleront
pour en savoir plus sur mon compte, voudront lire le livre, qu’ils décideront
de publier le livre au complet et que voilà, une étoile est née exactement
comme Rimbaud est né après la publication de quelques poèmes envoyé par
Verlaine à un magazine. Mais franchement, ça relèverait du miracle. D’autant
plus que pour un Rimbaud découvert, il y en mille autres qui meurt dans le
silence absolu. Même s’ils ont écrit une douzaine de livres comme moi.
Je sens qu’aujourd’hui
sera une journée terrible avec Stephen. Je suis pratiquement enragé moi-même et
lui ne sait plus contrôler ses humeurs. Lundi passé a été un désastre, il m’a
fallu aller marcher dans le parc après lui avoir dit que je déménagerais
bientôt hors de son appartement. Il me reproche tous ses problèmes d’argent en
premier lieu l’épicerie et donc le fait que l’on mange trop. Pendant que je
croyais que l’histoire de trop manger ne tenait qu’à l’argent, je comprends
maintenant que son problème est que je suis gros et qu’il n’a jamais eu un copain
gros dans le passé. Il a toujours eu ces grands minces avec un beau petit
nombril de bébé qui ressort comme une bille sur la bedaine au duvet blondinet. Tabarnaaaaaaaaaaaaack ! Moins bien sûr j’ai deux
petites boules de quilles de chaque côté et bien que ce ne soit pas critique et
que je ne paraisse pas si gros, il est vrai que sexuellement ça manque
d’attirance. Surtout si on a été habitué à tous ces beaux minces veloutés
drogués à pleine capacité, ce qui explique une certaine ligne du corps. Bon
Dieu, parfois je me demande si je ne suis pas avec Stephen justement parce que
je croyais qu’un homme de 37 ans, avec une petite bedaine lui-même, ne pourrait
refuser un jeune de 24 ans pétillant de santé. Or, il ne me montre pas la
porte, mais il me fait fuir inconsciemment par tous les moyens. Il me met à la
diète, mais lui continue à manger du chocolat et des Pop Corn dans ma face. Il
m’interdit de cuisiner et me fait des crises, mais il ne se passe pas deux
jours avant qu’il ne me demande de cuisiner quelque chose. Il voudrait aller au
sauna tous les lundis alors que je travaille, mais je n’aime pas cette idée.
Alors il y va tout de même mais ne me le dit plus. Comme il dit, il ne me ment
pas, il fait juste ne pas divulguer volontairement les informations. Il est
toujours de mauvaise humeur et j’en suis au point où tout ce qu’il dit je dois
dire, oui maître, et embarquer dans ses projets tout aussitôt. Sinon c’est la
crise pour le reste de la journée. Il y a une centaine de films et une centaine
de pièces de théâtre que l’on pourrait aller voir ce soir à Londres, eh bien celui-là choisirait Arnold Schwarzenegger
et Marcel Marceau le clown français qui mime des choses aussi stupides que
quelqu’un qui chie sur les toilettes. Mon Dieu, qu’est-ce que je vais faire de
lui ? D’autant plus que c’est également clair que si je le laisse, c’est
sa crise existentielle que je lui donne. Il a mis deux ans à se remettre de la
fin de sa relation avec Douglas, il a même fuit jusqu’au Maroc pour oublier, là
où il a rencontré Melissa et qu’ils ont commencé à vivre comme des défoncés. Or,
il m’affirme que je suis son meilleur copain, qu’avec moi c’est le meilleur
sexe qu’il n’a jamais eu et qu’il n’a jamais autant aimé quelqu’un comme il
m’aime. Je pourrais rejeter tout ça en bloc, mais comment pourrait-il mentir
sur cela et soudainement, sur tout autre sujet délicat, ne veut plus répondre
plutôt que de mentir, cherche à changer le sujet ou à me faire comprendre qu’il
vaut mieux ne pas en parler. D’autant plus que je suis parti quelques mois en
Belgique et Monsieur est devenu un véritable alcoolique, à la Vodka en plus. Et
puis, il a peut-être eu des bedons en velours satiné, mais aujourd’hui il a
tout de même 37 ans le cancrelat, il peut tout de même pas être si exigeant et
en même temps se foutre de son image personnelle. J’ai bien l’impression que ça
achève cette histoire. Je n’en peux plus de supporter sa mauvaise humeur, son
indifférence (il me refuse maintenant l’affection que je demande en
permanence), ses caprices d’homme qui était riche, célibataire qui a droit à
tout et ses idées de ce qu’est d'avoir du bon temps. Je suis debout à 5h30 ce
matin parce qu’hier, après qu’il m’ait lancé tout ça en pleine face, et la
diète forcée et tout, j’ai fumé deux paquets de cigarettes en entier. Alors ce
matin je toussais comme un malade vers 5h et Stephen m’a forcé à quitter le
lit. Lorsque je suis revenu chercher quelque chose de plus chaud à mettre sur
mon dos, il avait un air un rien plus mielleux. J’aimerais bien que les gens,
plutôt que de regretter et de vivre dans la culpabilité le reste de leurs
jours, réfléchissent deux petites minutes avant d’agir. Je ne veux pas des
parents et des amis qui vivent dans la culpabilité pour ce qu’ils m’ont fait ou
justement pas fait, mais je voudrais un peu de compréhension et d’acceptation.
Parce qu’hier c’était la fête de Sébastien à Toronto et que celui-là je l’avais
oublié complètement (son anniversaire). On se parlait comme si on sortait
encore ensemble, même si on a été séparé depuis un an et demi. On parlait de
projets de revenir ensemble, ce que je ne récuse pas, mais m’acceptera-t-il
plus qu’avant ou il deviendra exactement le monstre
que Stephen est en ce moment ? Et si je regarde autour de moi, les autres
couples, tout le monde argumentent et viennent qu’à ne plus s’entendre. Ce
n’est donc pas moi, c’est un fait humain. Parfois je me demande si je ne
devrais pas apprendre à vivre seul, du moins pour quelque temps. Mais ça aussi
c’est difficile et parfois fatal. Sébastien regrettait surtout la période où
j’étais moi-même à Toronto. Le salaud, je peux comprendre. J’étais là pour lui,
au-dessus de deux mois, et il se forçait pour me voir, moins d’une fois par
semaine. Je ne pouvais même pas lui prendre la main, il évitait que l’on se
retrouve seuls quelque part, il ne voulait même pas me voir plus de deux
heures. Et Dieu que ces deux heures étaient souffrantes. Mais ensuite, je crois
que c’était encore pire. Je sombrais dans un tourbillon, perdu dans Toronto à
me demander ce que j’allais faire de ma vie, et si ça en valait encore la
peine. Faut-il encore mentionner que je vivais sans argent et que plusieurs
jours je ne mangeais pas, et que malgré mes insistances pour qu’il m’aide, me
dépanne de deux dollars, il refusait obstinément alors qu je venais juste de
lui rembourser 2000 dollars que je lui devais, argent de mon prêt
étudiant ? Quelle sorte de monstre est capable de tant d’atrocités ?
Oh, bien sûr qu’il y a toujours moyen de tout déformer hors contexte, il n’est
pas si pire, et certainement pas un monstre. Il a un cœur, il était mon gros
toutou que j’ai aimé pendant quatre ans et que j’aime encore, malgré tout. Il
faut comprendre sa situation (et quand je pense en plus qu’il a dépanné son ami
Richard de 100 ou 200 dollars alors que je ne demandais que deux dollars pour
m’acheter un pain...) vaut mieux enterrer tout cela derrière. Les relations
avec autrui sont très difficiles, si difficiles que je me demande parfois
comment le tout peut encore fonctionner dans une illusion de tranquillité. Je
me surprends que le tout n’éclate pas dans l’atmosphère avec toute cette
tension prête à sauter n’importe quand. Maintenant je vais aller prendre un
bain. Stephen se lèvera bientôt et demandera pour aller à la piscine. Or, je
suis déjà de mauvaise humeur et la piscine ça ne me tente pas. Ainsi va
commencer notre journée d’enfer et Dieu seul sait où elle se terminera.
Comme c’est drôle qu’une
administration si grasse que peut être l’immigration anglaise soit incapable
d’agir pendant un an pour me donner un visa et que pendant cette année je suis
prisonnier de ce pays, sans passeport pour entrer et sortir et que
soudainement, après m’avoir dit que si je voulais ravoir mon passeport en
annulant toutes les procédures, je n’avais qu’à leur confirmer par écrit et que
le lendemain j’aurais mon passeport, comme c’est drôle que soudainement ils
aient parler avec ma femme et que, même sans confirmer quoi que ce soit par
écrit, la femme m’a tout renvoyé. Je dis que France lui a confirmé qu’elle
voulait tout annuler et qu’elle m’a bien joué la
salope. Ainsi je n’ai plus le choix, je pars pour le Canada dans un mois et je
risque gros de ne plus être capable de revenir. Ce sera à l’aéroport de Gatwick que l’on signera mon arrêt de mort ou à l’Ambassade
anglaise au Canada où l’on refusera de me donner le visa de famille nécessaire
pour que je revienne au pays. Comme c’est drôle également qu’ils aient appelé
France et que je ne sois pas au travail aujourd’hui pour avoir répondu au
téléphone à sa place. C’est plus la destinée qui me pousse vers le Canada que
mes actions. Il faut que j’y aille, c’est certain, mais j’ignore pourquoi et
j’ignore même s’il s’agit de mes propres intérêts ou ceux d’autrui. Sans
mariage, je n’aurais pu rester à Londres jusqu’à maintenant, je n’aurais pas pu
soudainement canceller la demande du visa de famille et je n’aurais pu revenir
à Londres. Maintenant, je pourrai probablement revenir à Londres et attendre un
visa de travail d’où je travaille. Voilà pourquoi je me demandais pourquoi il
semblait si difficile de demeurer à Londres et que soudainement j’avais
deux chances d’y demeurer. Pourquoi deux
moyens lorsqu’il ne m’en faut qu’un ? Parce que le premier me permettait
d’aller au Canada et que le second me
permettait de demeurer au pays ensuite. La question maintenant c’est, que
va-t-il arriver au Canada ? N’empêche que la France s’enligne pour me causer bien du
trouble avec cette annulation du mariage et que j’ignore où cela nous conduira,
même si ce sera possible de l’annuler. De
toute manière, je n’ai plus aucun intérêt en ce mariage, ce ne sera plus
possible d’avoir un visa par la suite. Autant pouvoir terminer cette union sans
trop verser de sang.
Salut François, je t’écris aujourd’hui parce que je
me morfonds tout simplement dans la
chaleur de l’été londonien. Je ne sais plus quoi faire de ma vie alors
que voilà pas longtemps, à travailler plein temps, j’étais tellement plus
productif. Je devrais travailler à la traduction de mes textes, au moins
l’Anarchiste, mais je n’ai aucune
motivation. Je devrais extirper de mon journal Mind The Gap et No Way Out pour
suivre la tradition de l’Underground, puis les transposer en des romans
ordinaires hétérosexuels comme ce qui a donné L’Attente de Paris, mais j’ai
l’impression que c’est vain et inutile. Il me faudrait terminer ce stupide
roman Le Box sur le Seven Dials à Londres, mais même si c’était publié, je n’en
verrai pas l’intérêt. La seule chose qui me motivait encore, c’était d’écrire
Éclectique dont j’ai déjà 70 pages (ce qui donne plus qu’une centaine de pages),
à ce niveau d’habitude j’en vois la fin et j’y travaille tous les jours, mais
cette fois-ci je pense réellement à
arrêter d’écrire complètement. Je suis prêt à reprendre un stupide emploi comme
en marketing pour des conférences. Cette idée à elle seule me tue d’autant
plus. Mais sinon, que faire ? Mes journées sont absolument vides, alors que c’est ce que j’ai
toujours souhaité. Peu importe ce qui se passe dans ma vie,
j’ai l’impression de perdre mon temps.
Mais voilà, comment est-il possible de
perdre son temps ? Puisqu’il me
semble que nous soyons sur la terre justement juste pour passer le temps
avant la mort. J’espère que ta pièce de théâtre va bien, que tu joues le bon
rôle et que ce sera un succès. Moi je
semble incapable d’atteindre qui que ce soit et mes projets n’intéressent
personne. J’ai, semble-t-il, déjà tout abandonné. Je me complais même à lire
des livres de Star Trek et à regarder tous les épisodes à la télé, songeant que
tout cela est tellement de travail et que le résultat est tellement futile que
ça me décourage encore plus. Mon problème est peut-être celui d’être coincé à
Londres, à attendre que Stephen revienne du travail, juste pour entendre ses
lamentations et ses problèmes. Son stupide tempérament et ses reproches s’il
s’avère qu’il n’y a plus de café, de lait, de beurre, d’œufs. Il est maintenant
obsédé par l’argent et la bouffe, on
dirait qu’il faudrait que l’on arrête de manger. Sans compter qu’il m’arrive
avec ses idées de fraudes où il pourrait se faire 60000 dollars du jour au
lendemain et que je lui reproche que
s’il se ramasse en prison, ça n’aidera rien. Alors je me sens encore coupable
de l’empêcher de devenir riche.
Sébastien m’a téléphoné hier, je ne suis pas certain si ce serait mieux avec
lui. Il est encore bien centré sur lui-même et ses petits problèmes, mais il a
son groupe de musique, il a son premier concert rock-punk
bientôt et je suis convaincu que du jour au lendemain il signera un contrat et
deviendra automatiquement riche et reconnu. Alors pourquoi ne suis-je pas avec
lui ? La vie serait peut-être tout aussi pénible même s’il était riche.
Puis il a ce copain d’Hamilton qui le fait marcher et souffrir. Il est en amour
le pauvre con, davantage qu’il ne l’a jamais été avec moi. Il pleure, le con.
Tu penses que ça ne me fait pas chier ? L’autre, Andy, semble l’utiliser
juste lorsque soudainement il est en manque de sexe et que Sébastien par hasard
a encore loué une voiture pour aller le rejoindre à une heure de Toronto.
Pendant ce temps j’ai les papiers pour m’inscrire dans une université londonienne,
Birbeck College, et faire
ma maîtrise à temps partiel pendant deux ans. Mais ça,
c’est encore pire que tout ce que tu
peux imaginer. Non seulement ça me coûtera près de 3000 dollars par année (12,000 $
à temps plein), mais le formulaire d’inscription est bourré d’embûches qui
semblent non seulement faire tout leurs pouvoir pour que je ne puisse
m’inscrire, mais un coup inscrit, je risque d’être balayé du jour au lendemain
peu importe si j’ai payé. Je dois prouver que j’ai un visa de travail pour étudier à temps partiel, ce que je n’ai pas, depuis
que France a sacré le camp en France sans laisser d’adresse ni de numéro de
téléphone, me laissant seul avec l’impossibilité de travailler et même de
rester à Londres. Sans compter que je ne sais plus ce qui se passe avec
l’annulation du mariage ou le divorce, encore moins si elle n’a pas l’intention
de mettre mon nom comme père de son enfant. En plus, l’Université demande que
je travaille à temps plein, sinon, impossible
d’étudier à temps partiel. Quelle connerie ! Maintenant, pour payer pour
une éducation, il faut remplir des exigences tout à fait impossibles ! Je
ne travailler pas, je ne sais même pas
si je peux travailler et j’ignore si je pourrais même trouver du travail.
Ce projet est une faillite complète. Je me demande pourquoi je voudrais
me donner tant de mal pour un diplôme que je n’aurai jamais. Et tu imagines
ces heures de classes à ronfler pendant
qu’un professeur radote la vie d’André
Gide pour demander ensuite un travail de 25 pages chaque semaine et des
examens de trois heures et puis quoi
encore ? Tout ça me rend malade. Mais tout me rend malade. Seul Jonquière
pourrait me revigorer un peu, mais j’ai déjà tenté l’expérience, après trois mois
l’an passé, j’étais prêt à repartir pour Tombouctou ou la Sibérie. C’est
simple, peut importe où je vis, peu importe ce que je fais, peu importe la
situation mondiale, je n’ai plus aucune motivation. N’as-tu pas une lueur
d’espoir à me donner ? Une drogue peut-être ? Je suis prêt à tout.
Je suis si découragé de
cette vie de misère. Incapable de trouver un emploi depuis un mois et demi,
avec de mauvaises perspectives pour mon visa et des études de deux ans pour une
maîtrise dont je suis certain de ne pouvoir accomplir après avoir payer les yeux
de la tête. Et Stephen. Stephen qui semble répéter les mêmes erreurs que dans
son passé, je ne suis que le double de ce Douglas qui l’a tant affecté.
Aujourd’hui j’ai sauté dans les lettres qu’il a écrites à Stephen voilà quatre
ans. Je n’ai plus le choix de tenter de voir plus loin dans le passé de Stephen
car ce n’est plus moi qui pourra régler ses problèmes
avec l’enfer du quotidien. C’est enfermé dans son passé dont il ne veut rien me
révéler. J’ai vu des photos effrayantes de fêtes où il était
complètement hors de sa tête, drogué à pleine capacité. Son petit
Douglas de 19 ans qu’il a tenté par tous les moyens de freiner dans son avènement
dans le monde, après lui avoir offert une brochette d’amis avec qui le pauvre a
appris à prendre des drogues et à vivre dans les clubs. Le jeune me
ressemblait, exactement né en 1972 comme moi, un peu moins expérimenté que moi
peut-être, de son propre aveu. C’est que hier nous sommes allés au pub du
vendredi, le Town Wharf à Isleworth, et son copain
Charles avait de la cocaïne, et Stephen aussi. Ainsi de ma perspective je
n’aurais rien su si Elizabeth ne m’avait pas dit comme cela que son copain
Philip était dans les toilettes à sniffer une ligne. Il était clair dans ma
tête que Stephen en avait pris aussi et au retour à l’appartement je lui ai
dit : alors, c’était bien la coke ce soir ? Il n’a pas nié pour la
simple raison qu’il croyait que quelqu’un me l’avait dit. J’ai fais une crise
monumentale que je ne regrette pas. Il ne se débarrassera pas de son passé
d’alcoolique et de drogué pour moi, mais malheureusement, s’il ne comprend pas
maintenant, je disparaîtrai et sa peine d’amour durera aussi longtemps que
celle qu’il a subie pendant deux ans à cause de Douglas d’Uxbridge. Qu’il
prenne une sacrée sniffé de coke n’est pas le point de notre discussion, mais
qu’il me mente, fasse cela dans mon dos, alors que je suis le seul à l’ignorer,
j’ai l’impression d’être trahis, et maintenant je regarde dans le passé et une
seule question me parvient : combien de fois il était sur la drogue sans
me l’avoir dit alors que tout le monde le savait mais que tout le monde avait été
averti de ne rien me dire ? Je suis un con, un naïf de premier ordre,
ridiculisé au maximum par mes opinions sur les drogues. Alors je l’ai menacé de
sacrer le camp, que je ne pouvais plus lui faire confiance parce que à chaque
fois que l’on va se retrouver avec ses amis, ses petits jeux vont recommencer
et je serai encore le dindon de la farce. Mais je vois clair, rien ne changera.
C’est à moi de l’accepter et à continuer de vivre ma vie comme si rien n’était.
Ou alors trouver ce foutu emploi et déguerpir pour le laisser sombrer dans la
Vodka et probablement les drogues, de désespoir. Il faut dire qu’il ne m’aide
pas. Si Douglas semblait plutôt frigide au lit et Stephen toujours prêt à faire
l’amour, avec moi c’est un peu différent. Je supplie pour un peu d’affection et
dois attendre une éternité pour enfin faire l’amour. Il me faut lui tordre le
bras et je n’en peux plus. Ses sautes d’humeur par ce que ça va mal au travail,
ça non plus je ne puis plus le supporter. Ne manqueraient plus que les
reproches parce que je ne travaille pas et ça c’est
déjà là sur la toile de fond. C’est qu’il ne peut pas trop paniquer, je cherche
comme un malade, à plus de deux entrevues par jour depuis un mois et demi. Il
va arriver bientôt de sa journée à l’aéroport et j’ignore comment agir.
Continuer mes jeux et le repousser de la main ? Ou bien être affectif et
de lui pardonner ? En fait, je voudrais bien être indifférent. C’est ses
damnés problèmes au travail qui le pousse dans les drogues et l’alcool et moi
je ne pourrai pas supporter cela trop longtemps. Voilà pourquoi pour la
première fois en un an et demi j’ai enfin ouvert un tiroir pour lire ses
lettres (il y avait un vrai gros coffre au trésor dans l’armoire que j’ai
ouvert également, mais malheureusement pour moi il n’y avait là que des livres
sur les lézards et les hamsters). J’ai appris que Stephen a menacé d’envoyer
les Dogs après Douglas s’il ne lui remboursait pas
l’argent qu’il lui devait (drogues peut-être ?) Les Dogs
sont ses amis de la maffia de Feltham/Hanworth qui en ont envoyé plus d’un à l’hôpital dans un
piteux état, la fin d’une vie, d’une carrière, d’une famille. C’est ça les Dogs, et Stephen les a envoyés pour un autre de leur ami et
Douglas croyait fermement que si Stephen avait osé faire ça à cet homme, il
oserait certainement faire cela à lui-même. Qu’est-ce que ça me fait
d’apprendre cela ? Douglas, dans chaque lettre, mentionnait qu’il le
paierait le plus tôt possible, une somme de 186 livres. Quoi ? 186
livres ! Stephen allait détruire sa vie pour un montant aussi
ridicule ? Je dois bien davantage à Stephen depuis quelques mois déjà, il
n’a jamais utilisé ses menaces encore pour la simple raison que je suis encore
là dans son lit, alors qu’avec Douglas c’est le sexe qui manquait. Douglas
s’était tapé de fraîches jeunes filles et Stephen ne l’aurait pas digéré. Je
vis avec un monstre ! Et le monstre revient du travail et je dois
prétendre que tout va bien ! Il m’a portant offert un briquet Dunhill de 370 livres pour mes 25 ans, il l’a gagné à Noël,
alors ça perd sa signification. Je pense d’ailleurs à le vendre pour une
centaine de livres sur le marché noir... non, je blague. Mais je pourrais bien
en arriver là un jour, tout vendre, avec ma montre de 875 livres et mon
imprimante de 1000 livres pour disparaître loin d’ici à la sauvette avant que
l’on ne me retrouve mort dans mon sommeil. Et encore, fuir sera mon arrêt de
mort, il va m’envoyer ses Dogs peu importe où je
suis. La maffia est une organisation interplanétaire aujourd’hui, où l’on se
rend service d’un coin du monde à l’autre par purs principes incompréhensibles
à autrui. Eh bien moi, ses Dogs, je les recevrai à
bras ouverts, ils me déchireront le trou du cul, les tripes, la gorge, et s’ils
me dévisagent, je porterai à jamais la marque de ce qu’est la réalité dans ce
bas monde. Et cela ne sera rien en comparaison de la conscience de Stephen, que
je torturerai pendant des années après coup. Mais a-t-il seulement une
conscience ? Mes armes ont toujours été les mots et j’ai toujours eu
confiance en le Verbe, il n’y a rien de plus puissant. Même s’il sert à
fabriquer et à façonner de nouvelles consciences. Les erreurs argumentatives,
c’est mon point fort. Je sais comment tout tourner à mon avantage, même lorsque
je suis tout à fait en dehors du sujet. Je ferais un trop bon politicien, on
m’enverrait les Dogs pour m’intimider et encore, je
dénoncerais le tout, que ça se sache tout ce qui se passe dans les coulisses du
théâtre ! Je suis un redoutable adversaire, car ce que j’ai à perdre, pour
ce que cela vaut, je suis prêt à le perdre. Je ne reçois que des menaces de
partout, surtout des gouvernements, alors je ne m’en fais point, tout cela me
semble bien naturel dans la jungle. Je ne suis pas le plus fort, je ne serai
jamais le plus fort, mais je causerai des dommages avant de sombrer et
j’éclairerai de nouvelles voies à suivre. Sinon j’éclaircirai les manigances
d’autrui, si l’opinion publique existe encore et la volonté d’une révolte,
alors il existe peut-être encore un petit espoir.
Qui eut cru que ça prenait
trois mois à trouver un emploi. Chaque jour j’envoie six lettres, j’ai des
entrevues tous les jours depuis deux mois, parfois deux par jour, et il existe
toujours un problème. Le plus souvent est que j’ai des aptitudes, non pas
d’expérience. Ils pensent que je m’ennuierais trop vite et que six mois plus
tard ils devront me remplacer. Bande de cons, d’habitude c’est le contraire, je
suis trop crétin pour être employé. Si j’avais mis autant d’énergie à être
publié, je serais certainement publié à l’heure actuelle. Mais c’est Stephen
mon vrai problème. L’argent pour ne pas en dire plus. Il n’est pas heureux au
travail et maintenant c’est la crise en permanence. Il m’accuse à tort de toute
sorte de chose, je ne sais plus où donner de la tête. C’est Sleeping with my ennemy
revisité. Ce film avec Julia Roberts qui vit avec un maniaque de la propreté
qui veut que tout soit plus qu’en ordre. Chaque objet à sa place, chaque canne
de soupe rangée, tout éclatant de propreté. Je travaille comme un malade, mais
ce n’est jamais suffisant. Il trouvera toujours un détail pour que la crise
éclate parce que le problème est ailleurs. Malheureusement il ne sait pas le
voir. La semaine passée j’étais prêt à quitter l’appartement, hier je suis
parti trois heures à l’avance pour une entrevue dans le Canary
Wharf parce que je n’en pouvais plus de le supporter. Maintenant j’ai passer la
balayeuse, repasser les chemises, je vais nettoyer la salle de bain de bord en
bord puis je vais travailler à envoyer des CV aussitôt qu’il rentrera. Tout
pour qu’il ne trouve rien à me reprocher, surtout pas l’idée que je n’ai rien
foutu de la journée, d’autant plus que j’ai eu deux entrevues aujourd’hui, pour
BSI, the British Standards Institution. Hier c’était SMi
Conférences dans de luxueux bureaux genre taverne juste à côté du Tower Bridge et du Tower of
London, alors que ça me prendrait une heure trente pour arriver au travail
chaque jour, dont trente minutes de marche pour arriver à la station de train
et de marcher à l’autre bout jusqu’à Concordia Wharf.
Eh bien, avec tout cet accomplissement qui a commencé à 7h20 ce matin, l’heure
où il part et que j’attends avant de me lever pour l’éviter, il reviendra en
crise du travail et me reprochera mille et une choses. Malgré toute ma
prévoyance, c’est tout inutile. Peut-on vivre ainsi ? Avant je me sentais
coupable, maintenant j’en suis à m’insurger contre l’ennemi. Bon Dieu, ce n’est
pas comme si je n’essayais pas de trouver de l’emploi, je vais tout ce que je
peux. Mais il est en train de tout détruire, je le déteste encore plus que
Sébastien lors de nos derniers jours à Londres. Il est toujours grincheux et il
m’est impossible d’avoir de l’affection, sans mentionner que l’on ne fait plus
l’amour. Pourtant s’il me perd, ce sera la fin du monde pour lui, si j’en crois
mono expérience passée. La question maintenant c’est, même si je trouve un
emploi, ¸a prendra du temps avoir d’être enfin payé une fois et peut-être même
qu’il ne changera pas ? Les crises que l’on a aujourd’hui, nous les avions
également lorsque je travaillais, mais moins souvent. Je dois être prêt à
m’inventer une raison pour sortir de l’appartement ce soir lorsqu’il reviendra.
J’irai prendre un café si je puis trouver la livre nécessaire pour ce café. Mon
Dieu, que faire ? J’ai même gratté le bain en entier, le lavabo, les robinets,
j’y ai passé trois heures. Le
verra-t-il ? Cela changera-t-il
quelque chose ? J’en doute.
Bonjour tout le monde,
Cette lettre n’est pas
personnalisée parce que le temps me manque énormément. Où suis-je, que fais-je, que se passe-t-il dans ma
vie ? Voilà ce que je vais tenter de répondre. Ça fait probablement
longtemps que l’on ne s’est pas parlé, c’est que je suis toujours à Londres et
qu’il semblerait que je pourrai y demeurer au-delà de l’expiration de mon visa
dans trois mois. En effet, ma compagnie est en train de remplir les formulaires
pour un visa de travail et je me marie le 4 avril prochain. Je vis encore à
Isleworth avec Stephen, près de l’aéroport d’Heathrow, et je vais travailler
chaque jour en train jusqu’à Victoria. Voilà pour l’introduction, les détails
sur ma vie suivent.
Mes études en France
Après le désastre de mes
études en France dû au fait d’un décalage entre les institutions françaises et
canadiennes, je suis parti, comme plusieurs le savent déjà, à Londres. Je
dirais qu’il m’était impossible d’apprendre le latin de A jusqu’à Z au niveau
de professionnalisme qu’ils me demandaient, cela, en moins de 10 mois. Non plus
j’avais la capacité d’apprendre par cœur la grammaire entière de chaque siècle
depuis le début de la grammaire, ni les différentes définitions que tous les
mots du dictionnaire ont pris depuis avant Jules César. Ainsi j’aurais eu
besoin d’une deuxième année, mais que voulez-vous, les lois d’immigration
française sont si chiantes et les Français si chiants que j’étais bien content
de quitter pour Londres. Je vivais à la Maison des Étudiants Canadiens, une
bande de séparatistes mal placés qui étaient partis en guerre contre la
directrice de la maison. Je vous jure que ça ne valait pas la peine de voir ce
que sera la haute société de demain, car ils étaient tous en maîtrise ou au
doctorat. Ma chambre par contre me semblait confortable. J’avais un lit simple
avec un bureau sur lequel mon ordinateur et mon imprimante fonctionnaient à
pleine capacité toute la journée. J’écrivais matin, soir et nuit, sans cesse.
Et lorsque Sébastien est venu me rejoindre et que nous avons eu une plus grande
chambre à l’avant du bâtiment, ma place de prédilection était devenue la
librairie aux grandes fenêtres superbes qui donnent sur la terrasse de la
Maison. Une vraie petite villa et toute la nuit la librairie m’appartenait.
C’est dans la grande salle à côté qu’ils tenaient leur cinq à sept, là où j’ai
été initié à la bière d’Alsace. Un petit goût terrible, en petite bouteille de
250 ml, mais qui avec le temps devient une obsession. Si l’on me croyait
prétentieux, je puis vous garantir qu’à ces 5 à 7 on rencontre les cieux mêmes.
La directrice, Mme Claudette Hould, est une femme
charmante. Elle est mariée à un homme riche d’Outremont et ils ont de la
classe. Ils accomplissent un peu le rôle d’ambassadeur québécois et eux aussi
ils sont séparatistes, bien qu’au moins ils aient une tête sur les épaules et
que leurs intérêts soient davantage justifiés que ceux des étudiants qui, à
force de vivre dans leur petite chambre, arrivent à ne plus voir clair et à ne
plus se comprendre. Sébastien a donné son premier concert de piano dans la
grande salle, sur un Steinway qui a été donné par l’Ambassade du Canada. Mlle
Anne Hébert, l’auteure célèbre qui est devenue notre grande amie après que
j’aie été au lancement de son livre, est venue au concert et on a terminé la
soirée au Champagne dans les appartements de la Directrice. Et puis Paris a son charme que Londres n’a pas, le cœur m’en souffre
chaque fois que j’y marche dans son architecture, ou que je prends le
métropolitain pour me rendre à Saint-Michel. Je n’exclus certes pas la
possibilité d’y vivre un jour et mon mariage avec France va me permettre cette
alliance avec Paris, tout comme elle aura la chance de vivre au Canada un jour.
Je dois avouer que la misère dans laquelle je vivais à Paris, me la fait détester,
malgré les deux romans que j’ai écrits pendant que j’y étais, en m’inspirant
des Jardins du Luxembourg et du Parc Montsouris, deux merveilles en soi. Je
n’avais pas suffisamment d’argent et la faillite dans mes études me rongeait
l’estomac au point où j’ai cru en mourir plusieurs fois tôt le matin où je me
réveillais en crise. C’est que j’ai en moi ancré l’idée de la réussite que mon
père a su si bien implanter en moi et qu’il regretterait certes aujourd’hui
cette obstination si j’avais mis à exécution mes idées de suicide. Ma sœur au
moins a réussi et j’ose croire qu’elle est heureuse, bien que j’aie la
certitude que d’être ingénieure ne l’a pas rendu plus heureuse. Elle est aussi
atteinte de cette maladie de réussite. Enfin, tout est bien qui finit bien et
aujourd’hui je vois une lueur à l’horizon. Je réussirai dans l’écriture et
n’ayant que 24 ans, j’ai encore beaucoup de temps devant moi.
Mon premier séjour à Londres
Londres était encore mieux
que tout ce que j’avais espéré. Totalement différent que les sites touristiques
que j’avais vite visité à mon premier voyage en 1990. J’y vivais, j’y
respirais, j’y rencontrais du monde, j’y avais mon appartement et mon adresse
faisait sonner les cloches dans mes oreilles. Ce n’était plus 29 boul. Jourdan,
75014 Paris, mais 29 Marble House, Elgin Avenue, Maida Vale, London, W9. J’y
vivais heureux avec Sébastien et un colocataire qui venait de Wales. Je
travaillais à l’aéroport d’Heathrow dans un WHSmith avec une bande de jeunes
branchés qui riaient et s’amusaient toute la journée.
Certains de nos patrons étaient terribles, mais en fin de compte tout
s’arrangeait. Je travaillais dans six branches différentes, Air Side ou Land Side. C’est-à-dire
avant et après les douanes. Je rencontrais des touristes du monde entier, qui
parlaient toutes les langues du monde et payaient avec 36 différentes monnaies
étrangères. Ma place privilégiée était aux arrivées du Terminal 4 où je
travaillais souvent seul le soir. Tellement d’événements sont survenus, il me
serait impossible de tous les décrire ici. Des histoires de vol d’au-dessus de
250 livres où tout le monde était accusé, même moi, des alertes à la bombe où
on a retrouvé cinq bombes non explosées dans le plafond du magasin central où
je travaillais, des clients Indiens avec qui je me suis littéralement battus
parce qu’ils prenaient leur air autoritaire affirmant que je n’étais qu’un
enfant et qu’ils étaient mon père. Et puis quoi encore. Je me suis lié d’amitié
avec quatre Indiennes d’Hounslow, toutes de la même famille, qui ont une personnalité extraordinaire. On a travaillé ensemble
pendant plus d’un an et je me souviendrai toujours comment elles m’ont supporté
dans ma détresse en tout temps. J’étais un parfait étranger, mais elles
lisaient dans mon cœur et elles me connaissaient mieux que personne ne m’a
connu. Elles m’auraient donné le monde et tout l’argent qu’elles possédaient et
Dieu merci je n’ai eu besoin ni du monde ni de leur argent. Nous avons été voir
KD Lang en concert à Wimbledon, à deux reprises, et ça aussi c’était émouvant.
Il fallait nous voir courir dans l’Underground et sur les étages du stade. Et
KD Lang est une fière canadienne, j’ai énormément de choses en commun avec elle
et le végétarisme et l’Alberta où j’étais pendant un semestre lors de mes quinze
ans sont les moindres. Parfois je m’asseyais à l’extérieur pour observer les
gros avions de British Airways, l’univers d’un aéroport pourrait sembler
stérile à certains, c’est vrai que c’est d’une propreté éclatante. D’autant
plus que BAA considère ses aéroports comme des centres d’achats luxueux. Ainsi,
entre Harrod’s, Dunhill et la maison du Caviar, un
plancher miroir immaculé s’étend du comptoir 1 jusqu’au Concorde Lounge, où les Concordes volent vers Paris et John F.
Kennedy Airport à New York. Semble tout désigné pour
moi ces concordes, mais à cinq mille dollars le vol (et paraît que ça vaut la
peine de payer ce prix selon les hôtesses) je ne crois pas que cela arrivera.
Le grand manager, M. Hervey, était trop gentil. Mais
il savait se faire respecter. Sheila, la décrépie, celle-là on l’avait dans
notre poche. Elle n’avait même pas besoin d’avoir le dos tourné que déjà on
arrêtait de placer les barres de chocolats de sur les étagères et on parlait de
mille et une choses, comme des Îles de Madeira un peu au large du Portugal, là
d’où venait une des filles. Une autre directrice faisait tellement chier que
l’on a toujours cru qu’elle était dans ses
périodes 365 jours par année. Une vague ressemblance avec un dinosaure
qui crache du feu nous est également venue à l’esprit pour la définir. Et la
plus grosse, celle-là serait celle qui volait de l’argent depuis deux ans et
qu’ils n’ont jamais été capables de prouver. Elle aurait même tenté de me faire
accuser d’un vol assez impressionnant. Cela a ruiné mes derniers jours à
Londres. Être sous investigation, se faire interroger trois fois par semaine
par un inspecteur et l’avant-dernière journée sous surveillance évidente par
deux inspecteurs. Mais enfin, ils ont bien dû se rendre compte que je n’avais
rien à voir avec ces vols puisqu’ils m’ont repris quatre mois plus tard lorsque
je suis revenu du Canada. Mais à cette époque j’avais Sébastien qui s’éloignait
de moi et notre retour au Canada fut son retour à Ottawa puis à Toronto. Moi, à
Jonquière.
Mon retour au Canada
Je suis arrivé à Jonquière
vidé complètement. Pour la première fois je pouvais faire un vrai bilan. Des
études inutiles en littérature et en philosophie. Des sacrifices immenses à une
littérature qui ne déboucherait jamais. Aucune expérience d’emploi, la dernière
qui s’est terminée en fiasco monstre, comme si on était bien heureux de se
débarrasser d’un voleur et enfin je me retrouvais seul. Comme Raymond à Toronto
me l’a si bien fait comprendre, ma vie, sur les trois plans principaux, venait
de prendre le bord. Je n’avais aucune sécurité financière, aucune stabilité de
logement et une vie affective comme un trou noir qui aurait tout aspiré.
Et puis un retour à Jonquière avait pour
moi toute la notion d’une régression, je croyais revenir en arrière, retourner
au même point misérable où j’étais avant de partir étudier à Ottawa. Mais au
contraire, je me retrouvais dans un nouveau Jonquière. Plus rien de ce que
j’avais connu n'existait, tous mes amis étaient partis vers Montréal, je me
suis donc fait de nouveaux amis et connu une région différente. La nouvelle
maison de ma sœur était une nouveauté attirante et je m’y sentais chez moi. Je ne crois pas qu’ils aient pu
comprendre comment l’impeccabilité de cette maison et la clarté a fait le ménage dans mon cerveau
et m’a inspiré plusieurs pages. Mon père avait aussi une nouvelle maison et là
aussi j’ai développé certaines familiarité avec les lieux qui aujourd’hui me
rendent nostalgique. C’était la première fois en cinq ans où je pouvais enfin
jouer de la musique très forte, de quoi faire sauter le quartier. Et jamais je
n’aurais cru que cela puisse me manquer. La
maison de ma mère, cependant, c’est autre chose. C’est un endroit plus
que privilégié pour moi parce que j’y ai grandi. Je me souviens de marcher dans
la rue pendant que la neige tombait, il faisait si froid mais comme je n’avais
pas expérimenté l’hiver depuis longtemps, c’était pour moi un plaisir immense.
J’ai découvert que j’étais vraiment canadien et que l’hiver m’affectait
positivement. Évidemment, c’est le printemps qui nous tue, car l’hiver, c’est
bien beau, mais ça ne veut plus finir. Mais il y avait autre chose qui ne
voulait pas s’éteindre. C’est mon désir de partir. Je me suis tellement ennuyé
de Londres que c’est indescriptible. Chaque chanson m’y ramenait, chaque vidéo
m’en présentait les images. Soudainement la crise des Beatles revenait, avec un
nouveau vidéo-clip où on me montrait en entier mon existence des derniers mois.
Et puis lorsque je suis tombé sur Duran Duran, The Chauffeur, et que je
reconnais les images de Paddington où je vivais, c’en était trop. Tous les
soirs je rêvais d’y repartir. Je n’arrivais pas à saisir pourquoi il était si
impossible de repartir et même, comment j’avais réussi à y aller une première
fois. Le tout me semblait comme un rêve qui peut-être n’était jamais survenu.
Il s’agissait du résultat d’un enchaînement d’événements et bien sûr, tous les
derniers événements m’emmenaient si loin d’un départ, j’étais déjà inscrit à
l’Université de Chicoutimi et même que j’avais assisté à un cour d’une
platitude extraordinaire où la seule chose dont je me souvienne c’est le nom de l’auteur qu’on allait disséquer, un
certain Roussel, un auteur raté qui a tout publié à compte d’auteur. Oh mon
Dieu, je n’avais pas besoin de cela pour confirmer mon échec. Et puis je
revenais de Londres, de Paris, d’Ottawa même, et voilà que j’étais à Chicoutimi
avec des jeunes qui attendent encore une porte de sortie, qui espère un jour
accomplir ce que moi je venais de terminer. Ainsi il ne semblait plus y avoir
grand-chose au programme. J’étais au même point qu’eux, moins les espérances de
partir pour la France qui peuvent
motiver quelqu’un. Ainsi, et j’ignore encore comment, j’ai réussi à partir pour
New York.
Mon séjour à New York
Qui a dit que la vie ne
pouvait pas encore nous divertir ? Et si vous aviez la moindre idée
comment tout cela était prévu et que rien n’a été laissé au hasard, parfois je
me demande pourquoi toutes ces décisions ont
été si difficiles à prendre alors qu’il semblait si évident qu’il me
fallait les prendre, ou que j’allais les
prendre. Le plan de mon roman, Denfert-Rochereau, avait été écrit une année
avant. Là dedans j’avais Paris, Londres, Paris, Londres, Jonquière, New York et
Londres à nouveau. C’était l’ordre dans lequel tous les événements allaient se
développer. Or, je venais d’arriver à
Paris lorsque ce plan a été fait. Et toute ma vie s’est organisée presque inconsciemment en
fonction de ce roman. C’est un peu triste à dire, d’autant plus que le roman
n’a pas remporté de grands succès auprès des éditeurs (il est vrai que je ne
leur ai envoyé que les 25 premières pages et qu’il est inconcevable que je
puisse payer pour leur envoyer davantage). Il est vrai que ce roman ne sortira peut-être jamais de la mémoire de mon
ordinateur et pire encore, tout cela ne semble qu’être du vent, que des petits
points noirs sur un écran. Ce n’est pas un film, ni une peinture, ni un disque,
ce n’est pas concret de prime abord. Ainsi ça semble vraiment désolant de voir
une vie sacrifiée à l’avènement d’un roman ou deux. Un jour peut-être j’espère
que je pourrai dire que tous ces sacrifices n’auront pas été vains, aujourd’hui
je ne peux que pleurer et tenter de voir qu’il y a autre chose et que ma vie en
a tout de même été changée. Lorsque je construis un roman, c’est moi que je
construis, c’est moi que j’apprends à comprendre et c’est moi qui s’en retrouve
grandi avec de nouvelles expériences et prêt à confronter la planète entière.
Pas aux dépends des autres cependant, et je ne crois pas que je pourrai faire
disparaître mon sentiment de culpabilité envers mon père, pour tout l’argent
qu’il m’a donné et que je compte bien
lui rendre au double sinon au triple plus tard. Pour Sébastien, je ne lui dois
plus rien. Je lui ai tout rendu jusqu’au dernier dollar et j’en suis bien
heureux. Pour le Banque Royale du Canada et le gouvernement du Québec, eux ils
peuvent aller au diable avec leur facture de 25 000 dollars pour des études
insipides. J’ai vu en France un système assez impressionnant qui garanti un
emploi à l’étudiant qui termine ses études. Et même que cet étudiant sera payé
à rien faire si le gouvernement ne lui trouve rien. Et les
études sont gratuites. En fait, bien qu’au début je croyais le système
français et de la Belgique totalement
fou, sur tous les points de vue, sur chaque détail, j’ai appris à découvrir
qu’ils ont raison sur tout. Les conditions de travail, les lois, l’organisation de leurs institutions,
leur immense bureaucratie, leurs bizarres coutumes, leur impossible système
scolaire, leurs politiques intérieures, je crois que le Canada a beaucoup à
apprendre des pays latins. Le Québec a peut-être gardé la langue, la
littérature et la musique de ses ancêtres français, mais ça s’arrête là. Même
en Angleterre c’est général et reconnu, la France fait toujours mieux,
elle est meilleure à tous les points de vue et j’avoue qu’à un certain niveau
ça fait chier. Parce qu’ils sont prétentieux et rejettent systématiquement
toute notre façon de faire. De toute manière je ne suis pas prêt à dire qu’il
faut adopter la manière de faire française, il est vrai que les résultats sont
indiscutables, mais la fin ne devrait jamais justifier les moyens. Les études
par exemple. Sans doute si j’avais été habitué à un tel régime dès mon enfance
j’aurais pu accomplir quelque chose à l’Université, mais j’ai vu l’aliénation
là-dedans. Des jeunes qui essayaient et réessayaient de réussir leur cours de
grammaire depuis trois ans alors que seulement 20 % passeraient. Alors bien sûr
que l’on produit des spécialistes qui connaissent tout de la littérature, mais
qui ignore tout du reste et qui n’ont pas de vie sociale. Bien à eux s’ils
peuvent se satisfaire de leurs titres. Enfin, je parlais de New York, retrouver
mon ami Ed qui m’a fait découvrir un univers que je croyais n’avoir rien à
m’apprendre après Paris et Londres. Au contraire, j’y ai développé des
nostalgies très puissantes, que je ne croirais pas possible d’expérimenter à
nouveau. Ce simple petit appartement sur la 88ième rue de Manhattan avait un
parfum qui m’a inspiré plusieurs chapitres. Le thé à la vanille à lui seul y
est pour quelque chose. Comme le shampoing aux pommes me ramènent sur Cambridge
Street à Medicine Hat en Alberta (ne me demandez pas pourquoi). J’y ai vu des
restaurants, des cafés, des amis, un Londonien entre autres qui allait me
recevoir chez lui à Londres quelques mois plus tard. Drôle de coïncidence qu’il
me fallait venir à New York pour provoquer le retour à Londres, ou le rendre
possible. Ed m’a fait découvrir un livre qui a changé bien des chapitres dans
Denfert-Rochereau et m’a permis de le terminer ou presque. The Celestine Prophecy de James Redfield. Non pas que j’accorde une grande croyance aux
chapitres mêmes de ce livre, je dis simplement que ce ramassis d’informations
trouvées un peu partout dans plusieurs livres de psychologie m’a nourrit
amplement pour élaborer l’histoire de mon roman. Mais le plus beau de mon
voyage à New York, c’est un petit restaurant sur la 10ième avenue, The Black
Café, ou quelque chose du genre. J’y ai travaillé pendant quelque temps et j’y
ai découvert deux employés avec qui j’ai partagé une expérience irremplaçable.
Puis le patron et sa femme, ça valait le détour. L’homme faisait partie de la
maffia et ses deux cuisiniers ne parlaient que l’espagnol. J’aurais donné cher
pour savoir ce qui se tramait dans le sous-sol du restaurant, là où c’était
interdit d’aller mais où le patron recevait énormément de gens. Sans même que
l’on sache par où ils entraient et sortaient. La volonté d’acquérir de
l’expérience, quand bien même l’inhibiteur serait d’écrire de la bonne
littérature, je dois admettre que ça m’a rendu très fort. Si fort que je suis
prêt à souffrir de vivre dans une simple chambre d’hôtel en décomposition avec
aucun argent pour manger pendant des semaines juste pour la volonté d’acquérir
toutes sortes d’expériences. Et en fin de compte, je ne souffre pas, c’est pour
moi la seule façon d’être heureux. L’insécurité absolue, c’est pour moi, c’est
mon tremplin vers l’Univers.
Mon premier séjour à Toronto
Alors que je croyais
retourner à Toronto pour Sébastien, c’est là où j’ai compris que la vie
s’organisait très bien pour m’emmener là où elle croyait que c’était le mieux
pour moi d’aller. À moins que tout simplement je sais profiter de toutes les
circonstances et que c’est seulement lorsque l’on agit que tout se présente à
nous. Encore faut-il pouvoir foncer, voir, découvrir et apprendre. Ainsi
Sébastien a été un grand absent. Je ne l’ai point vu, enfin presque. J’ai plutôt
découvert deux joyaux de la famille dont je dirais que la distance a préservé
leurs qualités. J’ai renoué les liens avec la famille d’Italiens dont j’ai
adoré les coutumes. On peut grincher un peu sur l’attitude incompréhensible de
la famille de Rosario, moi j’ai su comprendre et apprécier. J’ai été initié à
un univers dont je n’avais pas la conscience. J’ai rencontré la mère de Rosario
et on a discuté de langage, de coutumes familiales, on a pris un verre de
Cinzano ou quelque chose du genre et cela a eu pour moi une signification
franchement spéciale. La mentalité italienne me semble ressembler à la
mentalité juive et je pense que nous en tant que québécois nous sommes encore
très loin de les comprendre. Puis j’ai eu de longues conversations avec
Charlotte, et ça, c’est la rencontre de ma vie. Ne me demandez pas de quoi nous
avons parlé, cela n’a pas d’importance, c’est tout l’effet de cette rencontre
qui doit être pris en compte. Elle a lu Denfert-Rochereau, l’a pris comme
quelque chose de concret, elle l’a vécu comme moi j’arrive à le vivre lorsque
j’y suis et que je l’écris. Mon père a toujours eu une haute opinion de sa sœur
Charlotte, ma mère l’adore, surtout que Charlotte a été son professeure
lorsqu’elle était jeune, mais moi je n’avais jamais eu la chance d’être avec
elle, de lui parler en profondeur, de comprendre bien des choses qui ne me
seraient jamais venues à l’esprit. Et ça c’est essentiel non seulement pour les
livres que j’écris mais aussi pour le développement de ma vie, que parfois j’ai
un peu l’impression de considérer comme une construction. Je suis jeune, 24
ans, elle est une ou deux générations au-dessus de moi. Alors pour moi ça
représente énormément de voir que je puis prendre toute son attention, avoir sa
confiance et pouvoir apprendre d’elle. Et puis j’étais dans cette maison vingt
ans auparavant, on avait été à Toronto alors que j’avais à peine 4 ou 5 ans. Eh
bien, je ne reconnaissais pas la maison. Par contre, soudainement, comme un
déclic, un flash, tout m’est revenu. Je me souvenais de tout, comme si c’était
hier. Alors j’ai su apprécier à cet instant la redécouverte d’un lieu 20 ans
plus tard. Alors que je croyais avoir fait la découverte d’une vie, voilà qu’il
m’en tombe un second du ciel. Raymond, l’autre aîné de la famille. Avec lui,
croyez-le ou non, je me suis amusé. Et j’ai découvert la vie torontoise,
quelques-unes de ses amies et puis un tout nouvel univers. Comment décrire ce
qui reste de ces rencontres. C’est un grand sentiment de nostalgie rempli de
chaleur et de vie. Entouré d’une expérience complète, de vies qui ont été
vécues loin du Lac-St-Jean et qui soudainement m’ont été transférées en
l’instant d’un mois et demi. Partiellement sans doute, mais au moins c’est là
et j’ai l’impression d’avoir partagé plusieurs années de leur vie. Prenez
n’importe qui de votre entourage, allez prendre un café avec comme je l’ai fait
avec Raymond ou que je le prenais dans le salon avec Charlotte, et je suis convaincu
que vous ne pourriez comprendre l’effet que cela peut avoir. Mais je crois que
cette nostalgie se retrouve chez Charlotte et Raymond, je crois qu’ils m’ont
bien apprécié et qu’ils étaient désolés de me voir repartir pour Londres. J’ai
bien aimé également mes deux petites chambres d’hôtel misérables à Toronto,
même si la famille a eu de la misère à comprendre pourquoi je tenais à habiter
là où l’action se passait. Il est bien de n’être dépendant de personne, de
vivre dans son trou où l’on peut écrire et vivre selon ses propres lois. J’ai
rarement eu cette chance, j’ai toujours habité chez les autres et je crois que
c’est connu que je ne suis pas si facile à vivre avec. C’est que les gens sont
habitués à vivre dans leurs petites habitudes et que moi j’ai les miennes
également et que souvent le tout n’est pas compatible. Un jour sans doute
j’aurai mon propre chez moi et je ferai mes propres lois et ce jour, j’ignore
vraiment quand il sera. Peut-être plus vite que je ne le pense. Toronto a eu un
autre effet sur moi, c’est Sébastien qui en est la cause. J’ai beaucoup
souffert d’avoir perdu son amitié, que l’on puisse voir son meilleur ami, avec
qui on a toujours tout partagé, soudainement nous ignorer totalement alors que
l’on a franchi des océans et des pays entiers pour aller les rejoindre, cela
peut sembler incompréhensible. Mais je vois aujourd’hui que je devenais un
obstacle à sa carrière en musique. Qu’il devait se faire de nouveaux contacts
et que maintenant il semble sur la bonne voie. Un jour peut-être vous entendrez
ce qu’il est capable de créer et vous saurez qu’il y a beaucoup de moi
là-dedans, à tous les niveaux. Nous sommes encore en contact, nous sommes
encore bons amis aujourd’hui et nous comptons revenir ensemble un jour, en des
temps plus appropriés. J’aurais pu retourner à Toronto voilà longtemps, mais ça
ne m’a jamais semblé être le bon moment. En ce moment la vie évolue d’une façon
bien différente. Me voilà Coordinateur en marketing avec possibilité de devenir
directeur de marketing bientôt, marié et à Londres. Mais qui me dira quelle est
la meilleure des évolutions ? Celle où je serai heureux sans doute. Le
problème c’est que ce qui me rend heureux aujourd’hui, peut changer six mois
plus tard. Il faudrait plutôt agir sur ce qui semble être approprié pour le
moment en question.
Mon séjour à Granada (nord du Québec)
Enfin, après ce premier
séjour à Toronto, j’avais comme envie d’éviter un retour trop rapide vers
Jonquière. J’étais déjà parti une fois, ça m’avait tellement pris de courage et
de détermination (ce qui a été la plus difficile décision de ma vie, car lorsque
tu as un papier d’acceptation pour une Université, tout le monde accepte ton
départ. Même pour Londres, Sébastien avait un contrat pour travailler à la BNR
à Maidenhead, alors on se sentait justifié d’y aller). Alors revenir trop
rapidement allait me remettre dans la même position. Et puis j’avais le cerveau
plein, en fusion absolu, de tous les derniers événements. C’est alors que je me
lisais The Celestine Prophecy
et l’idée d’une vie plus spirituelle. Alors, même si je n’avais jamais eu une
quelconque idée de vivre une vie plus spirituelle, le déroulement de ma
littérature m’ouvrait cette porte grande ouverte et j’avais soif d’en apprendre
plus long sur le sujet. Mais il est clair que là où j’en étais dans ma vie, un
retour à une vie plus simple, dans le nord du Québec, m’était souhaitable.
Partager la vie de gens qui ne se compliquent pas l’existence à l’extrême comme
seul moi peut le faire, cela allait renouer certains liens avec un côté de moi
plus spirituel qui atteint son apogée alors que je suis inspiré pour écrire.
Car il s’agit presque d’un rituel, croyez-moi, et fort souvent j’ai la
conviction que ce n’est pas moi qui écrit, et souvent lorsque je me relis je
vois bien davantage que ce que j’avais d’abord cru y mettre. Enfin, je suis
allé retrouver Joseph et Marie dans leur petit sanctuaire situé tout près d’un
lac d’une beauté incroyable, même en hiver. Jamais je n’aurais cru possible de
découvrir un lieu si paisible si au nord du Québec. J’entendais les histoires
de grand-papa Girard lorsqu’il allait dans le nord et je me disais dans quel
trou perdu il s’en va encore travailler. Mais au contraire, il devait retrouver
là-bas un univers bien particulier. La nature, les arbres, les forêts. Mais
c’est bien plus que ce que j’arrive à dire. Un lieu particulier nous parle, vie
comme nous, devient un avec nous-mêmes et on s’y sent tellement à l’aise qu’on
voudrait y mourir. Enfin, c’est ce que j’ai trouvé dans le réconfort de la
maison de Joseph et de Marie. Et c’est un mode de vie que j’adore, le silence
comme personne ne sait l’apprécier. Pourquoi il faut toujours une radio ou une télévision
qui fonctionne full blast, alors qu’il existe ce silence qui me semble une
denrée si rare. Réussir à recréer les émotions et les sentiments que j’ai vécus
là-bas, je ne suis pas certain d’en être capable. Eh puis nous avons eu de
grandes conversations passionnantes, avec eux aussi j’ai énormément appris et
c’est certainement à long terme que je découvrirai encore davantage tout
l’impact que cette rencontre a eux sur ma personne. Je n’oublierai jamais
Joseph et Edith que je considère comme mes grands amis proches et dont je suis
fier d’avoir leur confiance. (Soudainement je me demande si je devrais envoyer
cette lettre collective, je devrais peut-être garder le silence, le tout à
l’intérieur de moi, ou écrire une petite lettre qui ne dit rien, comme à mon
habitude, mais peut-être alors vous ne verriez pas comment je peux apprécier
une rencontre, peut-être penseriez-vous que je suis ingrat, j’arrive dans votre
vie, je prends ce que je veux puis je disparais pour revenir cinq ans plus
tard, et peut-être même pas ? Je crois que j’ai une bonne idée du
déroulement de la vie. Je crois voir enfin qu’il y a une fin aux relations que
l’on partage avec autrui et je crois qu’il est important de communiquer ce qui
est. Et je vous en prie, il est très important que vous tous sachiez que je
sais que c’est bizarre et difficile à comprendre pourquoi j’emprunte un tel
chemin dans ma littérature. Peut-être me faut-il terminer ce que j’ai commencé,
peut-être que je tente de rejoindre un certain mythe de Rimbaud, je ne sais
pas, mais ne laissez pas détruire ce que nous avons construit sur de simples
pages qui ne reflètent en rien ce que je pense ou vit. J’espère ne pas heurter
personne, surtout Sébastien, je l’estime trop pour cela et le tout n’en vaut
peut-être la peine en fin de compte. Mais qui sait où cela m’emmènera, nous emmènera. Bref, j’avais besoin de renouer avec Joseph et
Marie et j’espère pouvoir les revoir bientôt. Ce qui me fait songer à Véronique
à Québec. La seule avec qui je ne suis pas entré en contact à mon retour.
J’ignore si c’est parce que c’est ma marraine, mais j’ai aussi beaucoup
d’affection pour elle. J’ai la chance de connaître des gens vraiment spéciaux,
mais la malchance de ne pas pouvoir les voir plus souvent. Mais c’est peut-être
ce qui construit la magie de nos rencontres. On se dit tout ce que l’on a à se
dire puis on retourne vivre davantage avec un plus grand bagage d’expériences
qui nous emmènera encore plus loin.
Mon retour à Jonquière
Après cela, inutile de
vous dire que je ne pouvais demeurer à Jonquière bien tranquillement. Un tour
autour du Québec peut m’apporter tant, alors qu’à Jonquière je stagne un peu.
Puis j’avais encore Sébastien qui semblait me vouloir à Toronto sans crier trop
fort. J’ai quand même renoué les liens avec la famille immédiate et je dois
dire que c’est là que je me sens le plus à l’aise, un peu trop à l’aise
cependant. Mais j’aime bien l’atmosphère de la famille. Lorsque l’on joue des
jeux où que l’on écoute la télévision, je dois admettre que nous avons de très
bonnes conversations, même si mon père et ma sœur m’attaquent plus souvent
qu’autrement, mais je les attaque également sur leur vie et c’est ce que la
famille est. Il n’y a rien comme la famille directe. Mon père, ma mère et ma
sœur, c’est une relation tout à fait différent, où on est libre de tout dire
sans être poli et c’est cela qui nous unis d’une façon si particulière. Ainsi
ils ne me connaîtront peut-être jamais comme Charlotte, Véronique, Raymond,
Joseph et Marie me connaissent. Parfois j’ai l’impression qu’il existe
plusieurs versions de moi-même et que finalement personne ne connaît la même
personne. Peut-être ai-je une aptitude pour m’adapter, qui sait. Parfois la
crise semble éclater, puis tous on se sent un peu coupable, on pense que
certaines paroles ont pu influencer des choses. Comme ma mère qui se sent
responsable si je suis si loin dans un autre pays. Je regrette de dire que j’ai
su profiter de sentiment de culpabilité de certaines situations dans le sens où
cela me justifiait de partir si loin, car bien sûr que personne ne voudrait me
voir si loin et que ma famille m’aime énormément, comme je les aime énormément,
ainsi ils s’interposeraient et m’empêcheraient de partir. Mais je serais parti
tout de même, la décision n’aurait été que plus difficile à faire. Alors vous
pouvez oublier vos sentiments de culpabilité, je ne suis pas en Europe à cause
de vous, j’y suis parce que j’y suis heureux. Que si j’ai failli à devenir un
avocat ou un ingénieur, au moins la poésie d’être à Londres ou a Paris plutôt
qu’à Montréal me maintient en vie. J’ai beaucoup parlé avec Alice et
ironiquement un soir on s’est assis et elle a fait le point sur ma vie. Où m’en
allais-je, qu’allais-je faire de ma vie ? C’est bien beau tout cela, mais
je n’ai pas d’études en cours, il n’y a pas d’emploi au Saguenay, ma
littérature ne vaut rien puisque rien n’est publié et que ça ne rapporte pas
d’argent. Elle m’a fait comprendre que j’avais un espoir avec Sébastien et
qu’il me fallait poursuivre cet espoir. Et je me suis senti bien privilégié de
partager sa propre expérience et j’ai cru voir bien des similitudes entre nos
vies. Effectivement, il me fallait retourner à Toronto. Mais peut-être pas pour
voir Sébastien, mais plutôt continuer cette conversation avec une extension
d’elle-même qui connaît un autre côté de la médaille. Son frère Raymond à
Toronto qui lui ressemble beaucoup.
Mon second séjour à
Toronto
De toutes les personnes
que j’ai rencontrées, tous sont sensées, bien
éduquées, mais bien ancrées dans leur vie stable et sécuritaire. Or moi je suis
insensé et tout le contraire d’eux. Comment toutes ces personnes sensées
peuvent-elles influencer ce que j’ai de profondément ancré en moi ? Je les
écoute, j’assimile, j’apprends et je prends des décisions. Or, Raymond est la
seule personne insensée qu’il m’ait été donné de rencontrer. L’excentrique de
la famille, celui qui est parti pour New York à je ne sais plus quel âge et qui
vit maintenant à Toronto par son bon vouloir. Le petit étudiant artiste
idéaliste qui a étudié à Laval à Québec et qui semble avoir partagé le même
désir de vivre que moi. Avec lui, plutôt que de refouler ce que je voulais
vraiment faire lorsque j’ai vraiment découvert que Sébastien et moi ça ne
fonctionnerait pas, il m’a carrément dit : écoute, tu as la chance de
partir pour Londres, tu le désires ardemment, prends-en mon expérience, si
j’étais toi et que j’avais ton âge, je partirais. Alors maintenant vous savez
qui est le vrai responsable. Mais ne lui en voulez pas trop, en fait j’ignore
comment je pourrai le remercier. Il est la seule personne sur cette planète qui
a vraiment entendu mon message de détresse, et qui, au lieu de me dire que
c’était mal, m’a fait comprendre que c’était bien. Je me réveillais le matin à
Toronto avec les tripes qui voulaient exploser et un regard vide face à ces
édifices qui ne me disaient rien. Et à ce niveau Sébastien n’avait plus rien à
faire avec ces émotions. Il s’agissait de ma vie et du point où j’en étais. Et
Londres m’a ramené la vitalité et la joie. Le piquant dans ma vie. C’est triste
que ce ne soit qu’après la décision prise et le billet d’avion acheté que
j’aurais avoué à ma famille que je repartais. Il est clair qu’ils étaient
l’obstacle, j’avais peur de les décevoir et je voulais m’épargner tous leurs
arguments. Comme lorsque j’ai quitté le droit pour la littérature. Mais
Charlotte a vendu la mèche. Heureusement que Toronto ne semblait pas m’offrir
d’emploi alors qu’à Londres j’en avais un garanti. Ainsi, avec la main sur le
cœur, je m’en allais rejoindre Anne Hébert en suivant ses traces en Europe. Une
auteure qui pour moi est un modèle parfait. La plus grande influence sur mon
œuvre, sur ma vie, et encore, il faut lui avoir parlé pour comprendre. Car ça
c’est vraiment la rencontre d’une vie.
Mon retour à Londres
Mon Dieu que j’étais
perdu. À mon arrivée à Paris j’étais avec Sébastien pour les deux premières
semaines. À mon arrivée à Londres la première fois, j’y ai déménagé avec
Sébastien. Cette fois j’y étais seul et maintes fois dans l’avion d’Air Canada
je me demandais ce que je faisais, mais j’étais vraiment heureux. J’arriverais
où ? Chez Marc, l’ami d’un ami (Ed) que j’ai rencontré à New York une
seule fois. En plus il allait venir me chercher à minuit à une station de
l’Underground perdue dans le sud de Londres appelée Clapham South. J’ignorais
alors qu’il possédait un café appelé The Box au Seven Dials et que j’y
travaillerais et que j’en écrirais un roman (que je n’ai pas encore terminé).
Où travaillerais-je ? À l’aéroport, là où l’avant-dernière journée j’avais
deux inspecteurs qui me surveillaient pour être certains que je ne volerais pas
leur livres sterling. Où allais-je habiter ? Eh bien, Patrick possédait
également, ô coïncidence, une agence au sous-sol de son café qui s’occupe de
trouver des chambres pour le monde. Ainsi je ne pouvais mieux tomber. Toutes
les variables non identifiées se sont avérées résolues sans même que je n’aie à
faire d’efforts, comme quoi, les pires projets qui donneraient des cauchemars à
tout le monde, ont toujours un paquet de solutions dans le prochain tournant et
qu’il fallait juste tourner le coin de la rue pour voir un peu plus loin, alors
que trop souvent les gens ne tourneront jamais le coin de la rue, de peur de
découvrir on ne sait quoi. Alors très vite j’ai emménagé à Heston à Hounslow et
j’ai commencé à apprécier ma vie de célibataire qui soudainement me laissait
bien du temps libre pour écrire.
Le premier appartement sur Old Park Mews à Hounslow, le travail à l’aéroport
J’ai découvert un club qui
s’appelle Popstarz et où on joue de la musique Indie
(pour Independent Label, Groupes de musique qui n'ont
signé avec des maisons de disques indépendantes et qui n’auront jamais la
chance de réussir en dehors de Londres). La musique a redonné un sens à ma vie,
la musique Indie a fait de moi un Indie
Kid. J’étais devenu un vrai petit londonien en puissance, m’habillant comme
eux, me liant d’amitié avec un certain Jonas avec qui j’ai redécouvert un
Londres que je ne connaissais pas. Je revenais le soir à ma chambre sur Old Park Mews et le plus beau
c’est que je devais traverser un grand parc pour me rendre de la station
jusqu’à l’appartement. C’était devenu mon parc, Lampton Park, et mon coin,
Hounslow (un peu en retrait de Londres, près de l’aéroport d’Heathrow). Puis à
un moment donné Patrick m’a offert un emploi comme serveur au Box. Moi qui
avais déjà commencé mon roman, comment pouvais-je refuser ? Ainsi c’est
son histoire que je peints dans ce roman. À Covent Garden, en plein centre de
Londres, il y a sept rues qui se rejoignent. Au milieu il y a un monument avec
sept petits cadrans solaires qui donnent sur chaque rue. Les chiffres sur les
Seven Dials sont arrangés pour que peu importe où est le Soleil, elles
indiquent toutes la même heure. J’ai donc repris la vie de Marc, devenu
maintenant Raymond, qui aura sept chances d’améliorer son sort. Mais alors
qu’il pense améliorer son sort avec une meilleure position sociale, plus de prestige,
plus d’argent et de succès avec son café juste autour du Seven Dials, il
apprend à voir que c’est justement ses
relations avec autrui qu’il doit régler. Un peu l’histoire de mon expérience,
mais certainement rien à voir avec ma vie. (Vous comprendrez peut-être un
jour). Enfin, la manager du Box ne m’a pas trop aimé et elle m’a mis dehors
après un mois et demi. Mais ça n’avait plus d’importance car j’avais appris
tout ce que j’avais à apprendre et j’ai accepté le tout avec philosophie. Par
contre, sur Old Park Mews,
j’ai commencé à avoir des problèmes avec le propriétaire. Parce que je lui ai
donné dix livres en moins sur mon loyer à un moment donné et que je lui devais
déjà trente livres pour la bouffe, il s’est mis à paniquer et s’est imaginé que
je ne pouvais plus payer mon loyer. Non seulement il a soudainement augmenté le
prix du loyer juste comme ça, mais il m’a fait une crise hors de proportion et
j’ai vraiment eu peur. Pendant un instant j’ai cru qu’il allait me battre. J’en
ai parlé avec un ami avec qui je travaillais à l’aéroport, Stephen, et le soir
même j’emménageais chez lui, il habitait juste de l’autre côté du Park
Osterley, un autre Park qui m’a énormément marqué. Avec un château au centre et
une grande rivière (et je pense à écrire une série télévisée en ce moment un
peu à la Sherlock Holmes, mais les mystères de la maison Osterley, parce que
j’ai rencontré un gars de la BBC (l’équivalent de Radio-Canada) qui veut des
idées de mini-séries et qui veut des résumés traduits de ce que j’ai déjà
écrit).
Stephen. Isleworth, Osterley
Stephen était juste un bon
ami à cette époque et peu longtemps après avoir emménagé chez lui, j’ai
rencontré une fille dans l’Underground qui était allé chercher un canadien à
l’aéroport (il avait des drapeaux canadiens partout, un vrai nationaliste).
Naturellement nous avons commencé à parler, puis elle m’a donné ses coordonnées
au travail. Semblerait qu’elle pourrait m’avoir un emploi dans le merveilleux
monde des conférences. Moins d’une semaine après je me retrouvais à Victoria
avec un emploi meilleur que tous ceux que j’avais eu auparavant. Ainsi tout
s’arrange toujours dans la vie. J’étais dans le département de la recherche, je
téléphonais dans le monde entier pour trouver les bonnes personnes susceptibles
de venir à Londres pour assister à nos conférences. Un bureau assez moderne et
luxueux, je travaillais au sixième étage. La fenêtre donnait une vue superbe
sur Londres et la location est premium. Les jardins de la Reine Élizabeth
II, c’est notre vue directe. On a pensé à inviter notre voisine à prendre le thé avec nous, et considérant
qu’elle est toujours partout, elle pourrait peut-être un jour accepter notre
invitation. Buckingham Palace est au bout de la rue, parfois on la voit arriver
en hélicoptère ou alors en automobile avec une armée pour la protéger. Mon
département n’était pas si bien vu et les gens s’habillaient plutôt en jeans.
C’est que nous étions les seuls à ne
pas être permanents. Demain matin, s’il
n’y avait plus de travail ou si nous n’étions pas si bons, ils pouvaient nous
mettre à la porte. Mais c’est faux. Il y avait tant de travail que nous ne
suffisions pas à la tâche. Il y avait des bonus de 25 livres par semaine que
j’ai toujours eus et un bonus de 50 livres à la fin du mois que pratiquement
tout le monde avait. Tous nous avions notre ordinateur, et au centre, il y
avait Elisa. La directrice. Belle blonde qui fait tourner la tête à tous les
hommes (et même à ma future femme) mais qui sait très bien devenir suffisante.
À la fin il était vraiment temps que je monte un étage plus haut avec ma
promotion, car elle devenait très familière et sans cesse elle m’attaquait.
C’est qu’on finit par s’ennuyer et qu’à un moment donné, il ne reste plus qu’à
parler de banalités et de vanités. J’avais une ennemie, elle m’a fait plusieurs
coups chiens, heureusement je n’ai plus rien à voir avec elle, elle aurait sans
doute réussi à me faire mettre à la porte. Mary a signifié à Elisa que
j’utilisais les ordinateurs à d’autres fins que le travail, et c’était vrai, parfois j’imprimais, parfois je retravaillais
des textes, mais toujours sur mes heures de pause. Enfin, je n’ai plus rien à
voir avec elles. Et maintenant je ne prends plus aucun risque, depuis que j’ai
racheté dernièrement une imprimante usagée pour prévenir toute tentation.
La chambre d’hôtel à Victoria
J’ai ensuite emménagé dans
une minable chambre en arrière de la station de train à Victoria. Ça me coûtait
si cher que pendant des semaines je ne mangeais pas. Je ne faisais que payer ma
chambre et manger les trois premiers jours de la semaine. Ensuite je comptais
sur mes amis et Dieu merci, j’en avais de bons. Je m’en gardais un peu en
réserve pour de la bière au pub avec mes amis, mais ça, que vous le
vouliez ou non, surtout lorsque nous sommes dans une telle situation,
c’est aussi essentiel sinon davantage que la
bouffe. J’aurais pu me retrouver une chambre pour bien moins cher qu’un
hôtel, mais l’autre propriétaire a volé
mon dépôt et je n’avais plus l’avance pour me procurer une nouvelle chambre.
Stephen avait déjà suffisamment fait et j’hésitais à redéposer un autre 200
livres que je ne reverrais peut-être jamais. Malgré toutes les difficultés
endurées, et la chambre en décrépitude absolue (probablement pleine de bibittes
de toutes sortes), j’ai de remarquables souvenirs de toute cette époque.
C’était l’été, c’était Victoria, entre le Big Ben et
St. James’s Park, c’était tous les touristes à la station, pour moi, cela
représentait la vraie vie, à la dure. Plus je souffrais, moins je mangeais,
plus je jouissais. Puis un jour j’en ai eu assez. C’était la fin de l’été, le
cycle semblait être passé, il me fallait agir, changer ma vie radicalement. Or,
comment changer radicalement ma vie ? J’ai trouvé une liste des numéros de
fax de toutes les différentes branches de la compagnie dans le monde entier et
j’ai faxé mon CV partout. Le premier qui me répondait et m’offrait un emploi,
je partais. J’étais prêt pour la Nouvelle-Zélande et Singapore, finalement il y
en avait trois en liste. France, New York et la Belgique. Tous trois j’aurais
pu pousser jusqu’au bout et probablement j’aurais eu la chance d’aller où je
voulais. Mais je connaissais déjà New York et Paris, il me semblait approprié,
malgré tous mes préjugés, de partir pour la Belgique. Et je ne regrette rien.
Le départ pour la Belgique
La compagnie en Belgique
avait des bureaux assez luxueux situés à Montgomery, à l’ouest dans Bruxelles.
J’ai fait la découverte des Flamands et de leur différence linguistique avec
les Français. Je me suis bien amusé et j’ai surtout bien appris quelque chose.
C’est drôle qu’en Belgique ce sont les Français qui ont écrasé les Flamands, ce
sont eux qui étaient la famille royale et qui contrôlaient tout, enfin, ils
sont les monstres que nous au Québec on considère être les Anglais. Alors j’ai
bien sympathisé avec la cause flamande, de toute manière je n’avais pas le
choix, le bureau en entier n’était composé que de Flamands, sauf la femme qui
m’a engagé et j’ai bien compris que la seule façon qu’elle avait d’emmener
quelqu’un qui n’était ni Flamand ni Français, était d’importer un Québécois-Londonien, spécialiste dans la langue anglaise.
Je dois admettre que bien qu’ils étaient exquis, il y avait bien des frictions.
Mais c’est bien moins les Français qui en souffrent que les Flamands. Eux je
dirais qu’ils souffrent énormément de xénophobie, une sorte de racisme. Mais
comme il n’y a que les Flamands qui soient prêts à apprendre le français, ils
ont plus de chances de trouver un emploi. Ils souhaitent une sorte d’indépendance
et moi, je la leur donnerais. Ce qui me fait penser qu’ainsi je serais prêt à
donner l’indépendance au Québec. Vaut mieux en demeurer là, je ne veux pas
commencer un discours constitutionnel ici. Il y avait un gigantesque et
incroyable parc juste en face de nos bureaux, le parc Montgomery, et j’y allais
tous les jours avec mon sandwich gruyère, ils m’ont tellement manqués depuis
que j’ai quitté Paris. J’avais
l’impression d’être à Paris parce que toutes leurs institutions, leur
cuisine, leur architecture, leur culture, tout cela est français. J’étais au
paradis et ça a été un changement important de Londres. Je me suis rendu compte
que j’avais besoin de ce dépaysement, que j’ai besoin de Paris. J’ai profité de
quelques journées où pour 10 dollars tu peux prendre le train pour aller
n’importe où en Belgique. J’ai visité les plages belges, Gand, Anvers, Bruges et tout le reste. C’est vraiment
impressionnant. Mais le coin où j’habitais à la gare du Midi, c’était le coin
des immigrants et des Algériens. Très dangereux et je me suis d’ailleurs fait
attaquer par trois jeunes la première journée de mon arrivée. Je me souviens
d’en avoir parlé immédiatement avec mon père et Alice au téléphone, je
paniquais, j’étais dans une station de tramway et je surveillais partout
autour, j’étais convaincu que quelqu’un allait encore m’attaquer à tout
instant. Je me suis enfermé dans ma petite chambre d’hôtel (qui me coûtait la
même chose qu’à Londres sauf que j’avais ma salle de bain avec douche et que
c’était plus propre) et il m’a fallu attendre que Stephen vienne me visiter de
Londres avant que je me décide à ressortir le soir après 8 heures. Deux mois
plus tard, toute peur était disparue. Là encore je n’avais pas suffisamment
d’argent pour vivre et à la fin c’est ce qui m’a fait revenir à Londres.
Le retour à Londres à Isleworth avec Stephen
Stephen m’a offert
d’habiter chez lui et j’y suis encore en ce moment. Je n’ai pas davantage
d’argent, malgré ma promotion, mais au moins je mange à ma faim et j’ai acquis une
certaine stabilité/sécurité. Je peux maintenant aller au cinéma et j’ai même
assisté à un musical (Les Misérables) et quelques pièces d’Oscar Wilde. Mais
souvent nous avons les tickets gratuits par des amis. Son appartement n’est pas
si grand, les murs sont bruns foncés avec un genre de tuile en carton et il y a
deux portes dans le salon qui donnent directement dans un petit jardin. Il y a
onze autres appartements dans le bloc, six en haut à deux étages, six en bas
avec accès à un petit morceau de terrain. À côté nous avons des problèmes avec
une femme un peu folle qui appelle la police à chaque instant
et qui a trois chats qu’elle maltraite. Heureusement on ne se mêle pas trop de
ses affaires, ainsi on peut encore respirer. J’ai repris le travail dans les
conférences, comme si rien n’avait changé, sauf que plutôt que d’être à la recherche, je suis devenu un TM. Je faisais des Tailor Made.
Il s’agissait d’envoyer des lettres aux personnes qui ont participé à la
recherche avec les producteurs des conférences, pour les inviter à venir. Ma
vie à ce moment était depuis longtemps devenu très tranquille. Je ne sortais
plus du tout, me rendre au centre-ville me semblait souffrant et on a passé
bien des mois à écouter Star Trek en vidéo loué chez
Block Buster. Enfin, une vie tranquille jusqu’à ce
qu’on me propose un projet de marketing et que je rencontre France.
Mon nouvel emploi
Mon mariage avec France, une Française
Ainsi j’ai passé au
travers un foutu projet de marketing sensé me faire devenir un manager en
marketing avant la fin de l’année, possiblement avant six mois lorsqu’ils vont
élargir le département des Télécommunications, Broadcasting
and Technology. Pour
l’instant j’apprends la besogne et j’ai le titre de Coordinateur en marketing.
Ça ne me paye pas tellement plus cher qu’à la recherche, comme j’ai déjà dit,
mais au moins c’est permanent, j’ai un contrat, je suis payé si je suis malade,
ainsi c’est mieux et ça promet pour l’avenir. Ma nouvelle patronne est aussi
une belle blonde un peu moins pouponnée qui est stricte et qui veut le travail
fait toujours durant la journée. Elle a gagné le Award
de la meilleure employée à travers toute la compagnie dans le monde entier,
alors j’attache ma ceinture et j’attends les montagnes russes. J’ai maintenant
mon propre bureau avec des tiroirs et tous les outils nécessaires pour faire du
bricolage, comme à la maternelle. Dès qu’elles auront le dos tourné, je crois
que je vais construire des chats en carton. Le problème c’est que j’ai le
bureau du grand patron régional juste en face de moi et que ça c’est un stress
infernal. Chaque fois que je ne fous rien, le voilà qui sort de son bureau et
qui me regarde. Puis il y a le grand directeur général de la compagnie à
Londres qui tourne autour de nous comme une mouche ces temps-ci et lui je suis
incapable de rire de ses blagues. Enfin, j’ai tout de même une vue superbe sur
Buckingham Palace, ma petite carte de sécurité et je travaille très fort malgré
les apparences. Je vais toujours en pause avec France qui a accepté de m’épouser,
elle travaille à la recherche. Jusqu’ici ce mariage m’a coûté une fortune, mais
rien à comparé du petit Indien en face de moi qui se marie deux semaines après
mois et qui a déjà dépensé 20 000 dollars. Moi au moins ça ne m’a rien coûté
pour la salle de réception et la nuit de noce (il n’y en aura pas). Et la robe
a coûté 400 dollars plutôt que 2000. Nous allons nous marier à Camden, au
Camden Old Town Hall et
c’est la place la plus à la mode de Londres. La réception se fera au Black Cap,
la place la plus à la mode de tout Camden, de tout
Londres. Il y a de quoi être fier, même s’il s’agit peut-être (probablement) de
la pire erreur de ma vie. Je suppose que tous les hommes qui se marient doivent
à peu près éprouver ces mêmes sentiments. Il y aura un contrat prénuptial signé
au Consulat Français à South Kensington et bien que ça coûte 200 dollars, au
moins c’est moins cher que chez un notaire. Enfin, je ne vous assommerai pas
avec les chiffres, je peux juste dire que tout semble indiquer qu’il s’agit d’un
mariage heureux où les intérêts de chacun des partis seront comblés. Mais c’est
sûr que c’est une grande décision et qu’il me faudra vivre avec jusqu’à la fin
de mes jours. Elle parle même de se prendre une hypothèque (ils en donnent
maintenant même si nous n’avons pas de dépôt), je possèderais donc mon
appartement à Londres. Mais je la laisse rêver, lorsqu’ils verront l’état de
mes comptes, je ne crois pas qu’ils vont accepter. Vous n’avez pas besoin de me
dire de me méfier et de tout calculer, je crois que toutes les précautions ont
été prises et j’espère juste que tout ira bien. En cours de justice, il n’y a
pas de pitié pour l’homme et il y l’amnistie pour la femme. Et si je deviens un
écrivain reconnu (ce qui relèverait du miracle), Dieu sait ce qui arrivera. Peu
importe, il est presque trop tard pour changer d’avis, et probablement trop
tard pour changer d’avis à l’heure où vous lirez ces lignes. Je m’excuse de
partager avec vous mes peurs avant le mariage, je suppose que si vous êtes
mariés vous avez dû éprouver les mêmes tracas, malheureusement je n’ai personne
à qui en parler, je n’ai que la mère de Stephen pour me pointer tous les cas de
divorces de l’Angleterre (elle est juge), alors que mon problème sera justement
celui de cette impossibilité du divorce. Enfin, voilà la conclusion.
Le futur
Conclusion
Eh bien, c’était le résumé
de ma vie de ces deux dernières années. Si vous voulez plus de détails, je puis
vous envoyer la version allongée (trois mille pages contenues dans Underground,
Mind The Gap et No Way Out qui ont chacun une version romancée à la troisième
personne où Sébastien devient Clélia). Je vois le futur s’ouvrir devant moi
avec une perception bien différente. J’ai vingt-quatre ans et c’est peut-être
la première fois que j’en prends conscience. J’ignore si c’est positif ou
négatif. Mais ce n’est probablement pas une question d’âge, c’est plutôt que je
me marie, je serai directeur de marketing, j’habite définitivement à Londres
(j’ai déjà perdu mon billet de retour pour le Canada, c’était ouvert sur un an,
vous avez passé un bon Noël ?), et je serai publié pour la première fois
le 8 avril dans les Saisons Littéraires par les Éditions Guérin. Je suppose
qu’il s’agit là d’une nouvelle ère et je la prends avec modération et sérénité.
Je suis paisible, il est vrai. Ce qui est bien étrange pour un mois de mars. Je
vous souhaite une bonne vie et j’espère vous voir bientôt. (J’ai plus de
chances de vous voir si vous venez à Londres, car moi je ne crois pas pouvoir
retourner au Canada de sitôt).
Bye !
Et soyez heureux !
Bonjour tout le monde !
Enfin des nouvelles de
moi. Encore une fois cette lettre sera collective parce que ma base de données
au cours des ans et des nombreux pays que j’ai visités et habités, ne me permet
pas d’écrire à chacun. D’autant plus que je n’ai plus le temps de voir ma vie
passer de toute manière (mais avec l’Internet c’est tout autre chose, je vais
communiquer beaucoup plus souvent). Enfin, cette mi-novembre semble être un
tournant décisif dans mon existence puisque étrangement j’ai réussi à changer
ma vie londonienne du tout au tout depuis mon mariage. Ma femme habite
maintenant la Normandie jusqu’à ce qu’elle ait son fils au mois de février
(non, je ne suis pas le père, et apparemment elle a accouché hier) et moi j’ai
entrepris des études et j’ai trouvé un nouvel emploi. Sous les prétextes de mon
visa expiré et les rumeurs sur notre mariage, là où je travaillais, cette
compagnie de conférences, n’était que trop heureuse de se débarrasser de moi
(l’histoire de mon visa est réglée, ce qui est d’autant plus incroyable).
Ainsi, après une recherche intensive de trois mois (jour et nuit et ça a tout
de même prit trois mois), je commence dans deux jours à travailler pour
Campbell Distillers, une compagnie qui vend de l’alcool et du jus, dont
Jameson, Pernod et Orangina. Je suis un
administrateur de marketing (mais je commence bientôt un nouvel emploi comme
producteur de conférences). Je vais remplir des factures et des commandes,
faire des mémos, fabriquer des posters que les gens de la promotion vont placer
dans les clubs de nuit et je vais m’assurer qu’ils ont tout ce qu’ils ont
besoin côté promotion. Je m’occuperai également des présentations sur Power
Point des différents Quarter meeting (dont justement j’arrive de Dublin où
j’étais responsable de tout ça). Les bureaux sont bien situés, à Brentford, Middlesex, ce qui
signifie que je n’aurai plus besoin d’aller à Londres et dépenser 2500 $
en train et Underground, je vais marcher pour aller au travail (et dire que je
retourne maintenant travailler à Londres, en plein centre). Je croyais que je
n’aurais pas l’emploi parce que j’ai fait une gaffe monumentale à la fin de ma
troisième entrevue avec la compagnie, je suis entré directement dans le bureau
du grand Chairman de la compagnie, pensant y trouver l’escalier de service pour
sortir de l’édifice. Enfin, je dois tout de même commuter à Londres deux soirs
par semaine où pendant toute cette année et l’année prochaine je vais enfin
terminer ma maîtrise en littérature française à temps partiel
à Birkeck College, University of London. J’aime les cours, j’aime les profs,
j’aime les étudiants, j’ai déjà lu bien des livres, c’est facile sans trop
demander de travail, j’ai donc l’impression que cette fois ça y est. J’ai la
sécurité financière et je ne suis pas perdu comme je l’étais à Paris où on me
demandait l’impossible. En effet, je n’ai pas à Londres à apprendre par cœur
tout le langage latin et ses sources et ses différentes branches et différentes
inclinations selon les siècles depuis 1000 ans avant J.-C. et non plus
apprendre la grammaire française et tous les mots du dictionnaire de tous les
siècles depuis le Moyen-Âge. Mais je dois avouer que cet échec à Paris me
poursuit toujours. J’ai encore ce noeud dans le cœur qui se noue et qui me fait
tant souffrir, et je croyais pouvoir oublier ce sentiment d’avoir tout raté
dans ma vie alors que je fais enfin ma maîtrise à Londres et qu’il est hors de
question de laisser tomber cette fois. Dussé-je mourir, je vais terminer cette
maîtrise. Mais Paris ne s’effacera jamais de ma mémoire. Je souffre tant que je
me demande si c’est la nostalgie de la vie que j’y ai vécue qui me rappelle à
Paris ou cet échec qui me le fait détester à mourir. Pourtant, alors que je
lisais Balzac, les Illusions Perdues, l’illumination s’est faite. Il semblerait
que le tout s’enrobe dans un paquet et que la nostalgie m’étouffe, une
nostalgie mythifiée qui ne serait plus seulement en littérature puisque j’ai
vécu moi la même chose que ce petit Julien d’Angoulême qui arrive de province
pour s’installer à Paris avec sous le bras son premier roman et son premier
recueil de poème et qui s’imagine qu’il aura le succès et la richesse du jour
au lendemain. La lettre que ce Julien envoie à sa sœur, j’aurais pu l’envoyer
intégrale à ma sœur. Tout y est. Je me suis retrouvé moi aussi à Paris à
l’hôtel de Cluny (ou quelque chose du genre) rue de la Sorbonne lors de mon
arrivée, dans une misérable chambre du quatrième étage si je me souviens bien.
J’étais vraiment mal habillé, je crois avoir fait honte au Canada et au Québec
avec mes jeans là où on ne s’habille qu’en costume à la dernière mode. Sur la
place même de la Sorbonne il n’y avait pas de restaurant Flicoteaux,
mais certainement ce Bakers Dozen
où j’achetais mes sandwiches gruyère à prix de fou. Et mon espresso
tôt le matin au café de la place avant d’aller souffrir dans mon cours de
Latin. Et c’est vrai que ce pays est
celui des écrivains, des penseurs, des poètes et qu’à Paris, il y a dans l’air et dans les moindres détails un esprit
qui se respire et s’empreint dans les créations littéraires. Je m’ennuie de
Paris terriblement, mais je n’ai pas tellement eu le choix de partir,
l’immigration était devenue paranoïaque et me traitait comme le dernier des
déchets parce que je n’avais pas faits mes examens finaux. Enfin, on m’a jeté
en dehors du pays à coup de pied au cul. Et voilà que je me retrouve à Londres,
entouré d’anglophones qui n’ont pas la moindre idée de ce qu’est la littérature
française. Bien que je sois mieux ici qu’au Canada, croyez-moi, je suis coincé
en Angleterre ! Immigration encore une fois, je n’oserai plus sortir du
pays jusqu’à ce que mes études soient terminées, sinon ce sera 5000 $ dans
le feu, je ne pourrai plus jamais revenir au pays avec mon visa temporaire
obtenu au Canada cet été (encore une fois tout ça est maintenant réglé).
À trois heures de train avec le tunnel sous la
Manche, Paris m’est encore inatteignable, comme si l’année que j’y ai vécue,
elle n’aurait existé que dans mes rêves, que dans mes romans Denfert-Rochereau
et l’Attente de Paris. Un jour sans doute, comme Lucien, je perdrai mes
illusions. Mais au moins je vis à Londres, et ce n’est que lorsque je me suis
remis aux études que j’ai finalement compris que Paris me manquait, jamais
auparavant je considérais Londres comme une solution de rechange, un pâle
substitut. Au contraire, Londres, c’est tout un univers, celui de la musique.
Mais je ne vais pas me
plaindre de ma condition et partager avec vous ma nostalgie de Paris. La
plupart de ceux qui recevront cette lettre sont tous déjà allés à Paris (sauf
pour ma sœur) et sans doute ils ne comprennent pas ma nostalgie. C’est que
c’est le mythe de Paris que j’ai d’ancré dans ma tête, celui qu’on a construit
dans la littérature, en particulier cet Honoré de Balzac qui, même dans ses
romans de provinces, a toujours son petit étudiant innocent écrivain qui arrive
à Paris et qui espère atteindre les sommets de la vie sociale (c’est du
masochisme que de lire ces livres en ce qui me concerne, mais c’est aussi
l’élément déclencheur qui me fait écrire cette lettre).
Il me faudrait parler de
moi et de Stephen je suppose, mais il ne se passe pas grand-chose. Nous ne
sortons jamais, et c’est probablement plus mon choix que le sien. Parfois c’est
l’anniversaire de l’un de ses amis, ils sont devenus mes amis également, ils
sont biens. Ils sont tous connectés à de grandes maisons de disques et des
clubs londoniens, ce qui n’est pas pour m’aider dans mon entreprise d’édition.
Il y en a même une qui travaille chez Warner Brothers, mais je ne suis pas dans le cinéma non plus. Bien
que François se promène quelque part en Europe pour l’instant (Napoli, Italie) et que je l’attende ici à Londres aux
environs de mars prochain. Puis une autre amie, Caroline, qui me tombe du ciel
et qui est venue s’installer dans le nord londonien avec son copain pour au
moins un an ou deux. Bientôt il ne manquera plus que Christine et Alexis et
nous serons tous réunis à Londres comme dans le bon vieux temps à Jonquière. Où
l’on s’enfermait dans ma chambre avec Dépêche Mode et Erasure
au maximum à boire notre bouteille de vin à bon marché avant d’aller finir la
soirée au 37.2, ce bar de la St-Dominique (voyez,
j’arrive presque à écrire comme Balzac). En fait j’aurais pu dire : ...où
on crissait la musiq’ full blast à boére not’ vin
cheap avant d’aller finir d’se saoûler
‘a gueule su’a maine. Oui, ça faisait longtemps que
je l’avais pas vue la Isabelle qui a eu le temps d’aller rencontrer son copain
en Israël avant de faire la moitié de la France en vélo et de venir me
rejoindre dans les bas-fonds londoniens avec son petit Working
Holiday Visa obtenu à Ottawa et valide pour deux ans. Dernier bien fait de la
vie coloniale en Amérique que l’obtention de ce visa de travail, par contre
Isabelle se fait exploiter complètement à travailler dans un café comme
serveuse, sept jours sur sept, à 60 heures, payée trois livres de l’heure. En
comparaison, je serai payé 7.50 livres de l’heure, + benefits,
+ 200 livres en bouteilles d’alcool diverses en bonus. Pourtant, avec ce
salaire de 14500 livres par année, on vit tout de même pauvre à Londres. Alors
elle va vivre la misère londonienne comme je l’ai vécue et j’espère qu’elle
saura en tirer profit comme je l’ai fait en transposant le tout en littérature.
Je devrais les revoir bientôt, elle et son copain qui vient de Wales.
Aussitôt que je pourrai,
je devrais être sur l’Internet, même que probablement que cette fois au travail
j’aurai les emails. Alors, si vous avez une quelconque adresse où nous pourrons
communiquer via l’Internet, il faut me le communiquer. Je devrais d’ailleurs
bientôt avoir mon petit site de l’Anarchiste Couronné, cette maison d’édition
que je projette de mettre sur pieds et qui pourra pour l’instant être virtuelle
sur l’autoroute électronique (j’ai 10 mégabits de mémoire pour ce site sur
Virgin). Qui sait, ce sera peut-être là que je me ferai ces amis parisiens qui
étaient supposés m’aider et qui n’ont rien pu faire pour moi. Je vous tiens au
courant !
J’aime bien recevoir vos
nouvelles, certaines lettres du Québec me réconfortent et m’aident à comprendre
mes origines, mes racines, car je me réveille encore parfois le matin à Londres
me demandant ce que je fais ici. Il est toujours difficile de conceptualiser
ces choses. (L’Internet a été un gros avantage, figurez-vous qu’hier je lisais
le Progrès Dimanche et le Quotidien via l’Internet. Ça faisait drôle de lire
les publicités de Potvin Bouchard et Perron Auto ou quelque chose du genre). Je
suis encore en contact avec Sébastien à Toronto et nous parlons d’un retour
ensemble, à Toronto ou à Londres. Il est maintenant dans un groupe de musique,
ils font des concerts à Toronto et qui sait bientôt il sera un nouveau Elton John. Mais je suis avec Stephen pour l’instant et
cela est bien également. L’avenir appartient au futur et aucun signe ne semble
me venir du ciel pour m’indiquer la route à suivre, alors je continue ici. Cela
me plaît, me donne l’impression d’évoluer vers quelque chose, même si d’aller
deux fois par semaine le soir à Londres pour ces cours longs et plats est
souffrant. Le problème c’est que je ne fais pas un MBA, BBA ou ces programmes
sérieux et que je n’aurai pas de débouchés ensuite, sinon la faculté et les
aptitudes d’un meilleur écrivain. J’écris encore, moins souvent cependant. Je
suis en perte de vitesse et surtout de motivation. Si j’avais l’impression que
ce serait publié, j’y travaillerais jour et nuit. Pour l’instant ma seule porte
de sortie est de partir ma propre maison d’éditions. Ce sont mes objectifs,
trouver un emploi, ramasser l’argent et publier mes livres et ceux d’autres.
Une écriture étrange, nouvelle, originale, je vais offrir à la postérité une
brochette de nouveaux auteurs qui révolutionneront peut-être le monde de la
littérature française et anglaise.
L’Éclectisme est ce sur quoi je travaille ces temps-ci (ce livre est enfin terminé,
encore un peu de correction, mais c’est tout), c’est une écriture très près de
moi qui donne des explications sur mes sentiments un peu désespérés des
derniers temps. L’Éclectisme est une
sorte de parodie de l’Existentialisme de Jean-Paul Sartre, bien que je suis
loin d’inventer mon propre dictionnaire de la philosophie, au contraire, ma
philosophie est celle de l’éclectique et qu’ainsi dire, personne ne saurait
définir une quelconque philosophie valable pour l’éternité. Toujours quelqu’un
sera là pour contredire le tout. Je m’amuse encore une fois, avec un livre tout
à fait impubliable, mais comme les auteurs du Nouveau Roman, je ne vais pas
changer mon style et écrire du Balzac alors que ma seule motivation est la
recherche d’une nouvelle écriture. Je suis pourtant bien parti en ce qui
concerne mon nouveau vrai roman appelé Le
Box sur le Seven Dials à Covent Gardens. C’est un
roman comme tant d’autres, j’ai eu un paquet de bonnes idées, le plan en entier
est fait, j’ai même plus d’une centaine de pages d’écrites. Je pourrais le
terminer en trois semaines de travail acharné, parfois je pense que même trois
jours suffiraient si je me convaincs que je puis prendre le rythme de Balzac.
Mais je n’en ai pas la moindre motivation. Ce ne sera pas publié, ça me
prendrait une éternité pour le corriger, puis je m’emmerde à écrire ces romans
d’action et d’amour, cette littérature à un seul niveau de compréhension, cette
littérature tout à fait non inspirée. J’y perds la grâce du mouvement, la
satisfaction de me relire ne serait-ce qu’une troisième fois. Enfin bref, il me
faudrait faire reconnaître le style RM, et l’Internet sera peut-être l’endroit,
d’autant plus si je peux trouver un traducteur ou une traductrice pour
quelques-unes de mes œuvres, avis aux
intéressés...
Téléchargez la version MS Word (doc)
www.lemarginal.com rm@themarginal.com