Un Québécois à New
York
(MIND
THE GAP)
Roland Michel
Tremblay
Éditions T.G.
Voici un Extrait d'un Québécois à New York.
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sont distribués dans toute la francophonie : France, Québec, Belgique,
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livres ne sont pas sur les rayons.
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Présentation de l’auteur
Roland Michel Tremblay écrit depuis qu’il a dix ans, sérieusement depuis
ses 17 ans. Il a écrit plus de 16 livres de tous les genres dont 5 sont publiés
à Paris. Il est également scénariste, recherchiste et consultant scientifique
pour la télévision et le cinéma. Il a une maîtrise de littérature française de
l’Université de Londres, Birkbeck College.
Il est né à Québec en 1972 et habite maintenant Londres.
Il a joué un rôle important au niveau du développement de la série
télévisée Black Hole High
qui passe en ce moment dans le monde entier et plus spécifiquement sur le
réseau NBC aux Etats-Unis et au Canada. Il a
également travaillé sur un film de science-fiction à gros budget d’Hollywood
nommé Prometheus Rising qui devrait
sortir d’ici deux ans. Enfin, il a travaillé en tant que Development
Producer sur un important documentaire à propos
d’Albert Einstein pour
Roland Michel a écrit plusieurs scénarios et synopsis de films et de séries
télévisées, et plusieurs compagnies de productions se sont déjà montrées
intéressées. Pour plus d’informations lisez son CV sur son site anglophone et visitez ses deux sites
francophones :
http://www.lemarginal.com/pointdevue.html
Il a parlé récemment à la conférence Crossing Borders, Literary
Symposium à l’Université de Tulsa à Oklahoma à propos de ses écrits
et de la littérature québécoise. Il a également donné une entrevue importante à
propos de ses livres et Londres pour une série télévisée nommée Rose/Pink. Cela passera au Québec en janvier 2004 sur le Canal
Évasion et possiblement à Musique Plus/Much Music et
Télévision Quatre Saisons. D’autres articles et entrevues dont une à Radio-Canada peuvent être lus et entendus sur son
site dans la section Articles et Entrevues dans les Médias.
Dossier de presse en
trois formats :
http://www.lemarginal.com/tremblayrmpresse.htm
http://www.lemarginal.com/tremblayrmpresse.doc
http://www.lemarginal.com/tremblayrmpresse.pdf
Du même auteur publié
chez aux Éditions T.G. :
Du même auteur publié
chez iDLivre Éditeur :
L'Anarchiste (Poésie), Denfert-Rochereau
(Roman), L'Attente de Paris (Roman), L'Éclectisme (Essai)
Pour plus
d'informations veuillez visiter le site de l'auteur ou le contacter:
www.lemarginal.com et rm@themarginal.com
44E The Grove, Isleworth,
Middlesex,
Un Québécois à New
York © 2004, Roland Michel Tremblay
ISBN: 2-914679-12-2
Éditions T.G., Paris
pedro@textesgais.com http://www.textesgais.com
Un Québécois à New York
EXTRAIT (les 50 premières
pages de 270)
1
J’ai
passé la journée avec Renaud, il me faut l’éviter sinon je risque d’avoir des sentiments
pour lui. Il est vraiment temps que Sébastien arrive. Je pense que quelque
chose se passe. Il y a séduction mais nous sommes tous les deux dans une autre
relation. Il est impensable que je laisse Sébastien, et Renaud est, disons,
moins beau. Mais tout cela n’est-il pas relatif ? On parlait que je fasse un
strip-tease et qu’il me fasse un massage. Cela n’arrivera pas, mais si oui, ce
n’est pas moi qui dirai non. Le problème, c’est qu’il faut des sentiments pour
passer à l’acte, j’en ai, mais ils ne sont pas très forts. Le problème, c’est
que je ne veux pas les amplifier. Mais je ne veux pas de cul sans sentiment. Il
me faudrait me tenir tranquille, mais à chaque fois que je le vois, je le
désire un peu plus. On parle et je bande. Heureusement, il ne s’en rend pas
compte. On ne parle que de sexe, c’est affreux, et de
cela, on n’a pas l’air de s’en rendre compte.
Nous
sommes allés manger avec deux de ses amis, et c’était dur de ne plus pouvoir
lui dire ce que je voulais. Son copain, on l’a vu ce matin quand on est allés
chez lui prendre un café. J’ignore s’il s’imagine des choses ; il semblait ne
pas s’inquiéter outre mesure. J’ai lu ses dix pages sur la fidélité dont il
m’avait parlé. Ça semble plutôt être dix pages sur un gars qui lutte contre ses
désirs. C’est devenu une crise obsessionnelle. Le gars qui lui a permis
d’écrire ça, était, paraît-il, le plus bel homme jamais vu. Renaud voulait
coucher avec l’Apollon, Renaud l’a repoussé, et le regrette amèrement. Il
aurait mieux fait de coucher avec lui ; il aurait été inspiré pour écrire un
livre complet ensuite.
Renaud se
laisse séduire par moi, quelle erreur ! Je me laisse séduire aussi, quel
malheur ! Il ressemble tellement à Ed que je ne sais
plus faire
J’ai
l’impression que Renaud me fait oublier qu’il existe un univers extérieur à
Paris. C’est bien. J’aimerais m’en faire un vrai ami sans que cela aille
jusqu’au sexe. Les amis ne sont-ils pas doublement intéressants lorsqu’on les
désire ? Franklin et Antonin seront de vrais amis pour moi, et j’en suis
heureux. Croyez-le, j’ai l’impression qu’il est plus simple de se faire de
vrais amis sincères à Paris que n’importe où ailleurs. Ce me semble être des
gens intelligents, éveillés à la vie, simples et attachants.
Je m’en
vais à Pigalle, souper, que dis-je, dîner chez Franklin. Dorothée y sera avec
son bébé ; depuis le temps que l’on m’en parle, j’ai hâte de voir.
Je suis à
Je suis à
2
Anne
Hébert, une des plus grandes écrivaines du Québec qui vit maintenant à Paris,
sera le 9 février à
3
Je capote
littéralement. Je ne tiens plus à terre. Je viens de recevoir une invitation de
la directrice de
Je fais
des cauchemars toutes les nuits ; j’arrive dans des classes où les professeurs
me font comprendre que si je ne commence pas à étudier maintenant, c’est foutu.
Et là je regarde autour pour voir si Renaud est là, et Renaud n’est pas là. Et
je panique, car je ne fous rien. Et Sébastien qui arrive la semaine prochaine.
Mon beau petit ourson poilu qui arrive la semaine prochaine. Comme ce sera bien
de l’avoir près de moi, le toucher, l’embrasser, lui faire l’amour, ah ça,
aucun doute, je ne penserai même plus au petit Renaud.
La fin du
monde est à nos portes, c’est le 8 février, bientôt le mois de mars, le
calvaire aussi, je le sens. Aujourd’hui, je rencontre Renaud après mon cours de
M. Tapin. On se rencontre à Place de
4
Ma
journée a été illuminée hier soir tard, lorsque j’ai parlé avec Renaud. Je
savais bien que si je m’attendais à être illuminé, je le serais.
J’ai
présenté Renaud et Maurice avant le cours aujourd’hui. Je prends le risque,
lequel risque qu’il ne prend pas. Il s’est rasé lui aussi, le pauvre, ça
saignait encore. On va prendre un café... avec Maurice. C’est peut-être mieux
ainsi ? Un café, connerie, à Paris on passe notre vie à boire du café... et de
[
Aujourd’hui, il est venu dans ma chambre, mais nous sommes avec
Maurice, alors je ne sais pas si nous allons faire l’amour. Il n’a pas l’air
décidé. ]
C’est
Renaud qui a écrit cette phrase entre crochets. Il a lu mes écrits. J’ignore
s’il avait écrit autre chose, ça n’a pas enregistré. C’est du mépris cette
phrase. Et même si cela n’en est pas, je la veux méprisante. Je viens de relire
ce qu’il a lu. Je peux comprendre sa réaction. Il a fui et m’a fait comprendre
que Sébastien arriverait et que ce serait à moi de prendre une décision
ensuite. J’ai vu cela comme un échec et me voilà prêt à le balancer,
orgueilleux que je suis. Mais je crois qu’il est prêt à laisser son Habib pour
moi, puisqu’il me dit que j’ai une décision à prendre. J’ai même l’impression
que je lui ai fait comprendre qu’il était impensable que je laisse Sébastien.
Je regrette tout ce que j’ai fait. J’ai compris ce soir que je ne le voulais
pas, qu’effectivement il faudrait que je laisse Sébastien pour lui et que c’est
une décision que je ne pourrais prendre. Et du sexe, je suppose que ni lui ni
moi n’en avons besoin puisque nous avons chacun quelqu’un. Et ça aussi il me
l’a dit, qu’il était heureux et qu’il n’avait pas besoin d’aller voir ailleurs.
Plus personne ne lira ce que j’écris. Les gens connaissent soudainement ce que
je pense et moi c’est tout le contraire. Les gens changent toute leur façon de
voir les choses, changent leur comportement du tout au tout, et moi je dois
soudainement tenter de voir ce qui s’est passé, pourquoi ils réagissent de
5
Renaud
m’a téléphoné à 7 heures ce matin pour me dire d’arriver à l’avance au cours de
latin. Comme c’est drôle. Alors je suis arrivé 10 minutes à l’avance, en même
temps que lui. On s’est encore parlé sur papier, même s’il ne voulait pas, et
ça a été lourd. C’est moi qui commence à parler :
—
T’as fini de cruiser les filles ? Je sens que tu peux me faire des reproches,
je me sens mal à l’aise. Je m’excuse si je t’ai fait du tort, ce n’étaient pas
mes intentions. Si tu as quelque chose à me dire, vas-y, je suis prêt.
Il
m’accuse de me servir de lui pour compléter mon œuvre, et du coup de ne pas
être naturel ou sincère.
—
Hier, je voulais tout effacer parce que j’avais honte. Je ne me sers pas de toi
pour mon œuvre. En ce qui concerne la sincérité, il me semble que de t’avoir
laissé lire mes pensées est une bonne preuve de franchise. Surtout qu’il y a
certaines phrases que tu pourrais interpréter de façon différente. Tu crois que
je ne suis pas naturel avec toi ? Je ne comprends pas, je ne t’ai rien caché,
je ne joue pas un jeu avec toi. Si tu vois des contradictions d’avec mes
écrits, c’est bien simple, les choses évoluent. Ce que je pense la veille, le
lendemain je pense à autre chose. Et je sais qu’un jour Sébastien lira ces
écrits, alors je modère ce que je dis. En quoi ne suis-je pas naturel ou
sincère ?
Il
affirme que je n’agis qu’en pensant à ce que cela pourrait donner dans mes
écrits. Que ce n’était plus une fin, mais un moyen.
—
Tu radotes, je ne m’abaisserais pas à agir en fonction de mes écrits, sinon mes
actions seraient beaucoup plus éclatantes. Je sortirais davantage. Je n’arrive
pas à croire que tu dises ça. Si j’ai retranscris notre conversation sur
l’ordinateur, de prime abord c’est qu’il me fallait faire disparaître le papier
et que j’aimais relire notre conversation. Et puis, je ne peux pas me battre
contre toi, tu es libre de penser, mais ça me désole que tu penses cela. Et si
effectivement tu en es convaincu, je m’inquiète vraiment pour notre future
amitié. Je ne vais quand même pas me mettre dans des situations franchement
éprouvantes afin d’écrire une page ou deux dans mes écrits, c’est absurde. Au
contraire, je ne t’ai rien caché et je crois que toi tu ne m’as rien dit de
toi. J’ai l’impression que tu vas m’arriver avec une foule d’autres choses.
Mais je ne te cache pas que le but de mon existence, c’est d’acquérir des
expériences de toutes sortes, pas pour mes écrits nécessairement, mais pour me
faire avancer dans
6
Ma
relation avec Renaud devient de plus en plus bizarre. Il devient distant. J’ai
l’impression qu’il est sur le bord de me dire qu’il ne veut plus rien savoir de
moi. Je l’ai poussé à bout. Il y a des amis comme cela avec qui ça ne marche
pas, on a exagéré quelque part et le tout s’est envolé. Je dois maintenant
l’extraire de mes écrits, alors je lui ai fait un fichier à part, le Chapitre
Renaud. Il faut qu’il ignore que je n’ai rien effacé de nos conversations. Il
m’a demandé aujourd’hui si je regrettais de ne pas avoir couché avec lui. Je ne
regrette pas, mais j’aurais voulu lui dire que oui. Compromis, je lui ai dit
que c’était difficile de répondre à cause des conséquences d’un tel acte.
Sébastien arrive après-demain, je l’ai réalisé aujourd’hui, car je commençais
mon déménagement dans la chambre plus grande. Mon beau Sébastien, je suis
demeuré fidèle tant que j’ai pu. Une semaine de plus et c’en était fini, je
crois. À moins que Renaud ne soit qu’un
allumeur, et je le pense, parce que Maurice m’a dit que Renaud le
draguait dans son cours. Cours où, sur 12 gars, huit sont officiellement gais.
Il y en a partout, partout, partout. Le gars en face de ma chambre, il est
encore dans le placard. Il a vu tous les films gais que j’ai vus dernièrement,
moins Les Roseaux sauvages qu’il veut d’ailleurs voir. Il connaît de A à Z tous
les producteurs de films de notre siècle avec tous les acteurs, les titres, en
musique aussi, effrayant. C’est juste un indice de plus qui s’ajoute à la façon
bizarre qu’il a de regarder les hommes qui l’entourent. Il vivait avec un gai à
Ottawa, il fallait qu’il lui rase le poil du dos. Heeurk
! Peut-être qu’il aimait ça !? Mon nouveau voisin l’est aussi ; selon Maurice,
c’est écrit dans sa face, il est du type que l’on rencontre à Montréal. Il
étudie en théâtre. En plus j’en ai partout dans mes cours, le Renaud en a
dragué un au Queen qui est justement dans notre cours
de latin. Je lui ai demandé comment il avait pu draguer au Queen,
danser avec le gars alors qu’il désire rester fidèle ? Il a dit que ce n’était
pas une contradiction. Allumeur ! Allumeur ! Et il m’accuse de me servir de lui. C’est plutôt lui qui va se servir de moi
pour terminer sa nouvelle sur l’infidélité. Il en a écrit une page et
demie hier, et il en écrira autant aujourd’hui, puis ce sera terminé. Ça lui
prenait une heure d’écrire un paragraphe avant. Depuis huit mois il a beaucoup
de problèmes avec ses parents, ils sont en crise parce que l’enfant modèle de
la famille est gai. Ils lui ont proposé un psychologue, un psychiatre, une
automobile flambant neuve et n’importe quoi d’autre pour qu’il change
d’orientation sexuelle. Le meilleur, paraît qu’en ville il y a un imbécile qui
affirme qu’avec des pilules on peut redevenir hétérosexuel ; les parents de
Renaud l’ont exhorté à les essayer. Renaud a tout refusé, il ne leur dit
surtout pas que son copain est arabe, ce serait la fin du monde, ils sont hyper
racistes. Bref, Renaud est convaincu qu’ils vont être au courant bientôt ; il
croit que ses parents ont payé un détective privé pour enquêter sur son cas.
Quel beau roman tout cela ferait.
7
Sébastien
est encore sorti dans un bar tapette d’Ottawa hier. Il a été au restaurant Mother Tucker, a dû manger un
gros steak, il a reçu des roses aujourd’hui de ses amis, ils lui ont payé un
danseur nu hier. Ça m’a mis en christ. Tu vas dans une salle en arrière avec le
gars et il te fait un strip-tease. J’ai une certaine misère à croire que ce
strip-teaseur ne te touche pas, j’ai longtemps entendu parler que c’était du
sexe, que tu pouvais les toucher et les sucer. Sébastien me dit tout ça et il
s’imagine que je vais rire. Ça me donne juste envie de coucher avec le premier
du bord. Quel est donc le problème de ses amis ? Il part pour quatre mois, c’est pas la mer à boire ! Un strip-teaseur, pourquoi pas un
prostitué ? Quel genre d’amis a-t-il ? Ils veulent accélérer notre rupture ? Ça
va marcher, parce que moi les sacrifices inutiles j’en ai plein mon casque. Je
ne sors pas au Queen parce que mon Sébastien
paniquerait, il sort deux fois en deux semaines, il se fait même payer un
strip-teaseur. Le sacrifice est inutile, j’aurais mieux fait de coucher à droite
et à gauche, profiter de
J’ai bien envie de raconter ma rencontre d’hier
avec Anne Hébert, mais je suis trop en maudit et je détruirais tout le
monde, les méprisant à tort pour ce qu’ils ne
sont pas. Une petite journaliste téteuse de Radio-Canada entre autres, un autre con d’un journal
quelconque. Le délégué aux Affaires culturelles de
8
Je ne
reviens pas à la vie, je m’enfonce encore plus, n’ayant pas plus de deux heures
à ma disposition chaque jour. Sébastien, par sa seule présence, à vivre dans la
même pièce, rien n’est plus possible. Mourir à faire une seule action, une
demi-journée de perdue. Encore à trois heures nous irons courir dans le parc
Montsouris, ce parc qui emplit ma vue de la fenêtre, heureusement cette vue ne
m’appelle pas à elle. Je n’ai aucun remords à demeurer enfermé dans
Je passe ma vie à faire des cauchemars ces
temps-ci. De
Quelle
joie de marcher dans Paris et n’être rien, pas même un écrivain en devenir. Le
parc Montsouris nous appartient, nous appartenons à
—
Vous écrivez, m’a-t-elle dit.
—
Ce que j’ai dit ce soir, madame Hébert, tous les étudiants de la planète
auraient pu élaborer davantage, lui ai-je répondu.
—
Non, il y a plus, ça se voit que vous êtes écrivain.
J’ai une aura qui se déplace au-dessus de ma
tête, semble-t-il. Serait-ce mon adaptation cinématographique des Enfants
du Sabbat qui la pousse à vouloir me rencontrer ? J’aime mieux
croire qu’il s’agit de la curiosité d’une grande écrivaine, qui en chaque
personne va rencontrer son prochain personnage de roman, ou du moins quelques
détails qui le feront devenir plus humain que les humains ne le sont. Une
allusion au monde gai depuis que je la lis, à part les deux sœurs au couvent
qui voulaient mourir toutes les deux sur la croix, ensemble et dans la
jouissance, et qui sont mortes le même jour. Les Fous de Bassan : « Les deux garçons coiffeurs recommencent à
chuchoter contre
Elle est
comique
Serais-je
que j’appartiens à la vie active de Paris, je me morfonds de lire Céline, j’en
ai lu une page au hasard, ça m’a impressionné. J’en entendais partout parler.
Ça paraît bien à Paris quand tu dis que tu lis Céline, Renaud disait. Alors je
ne voulais rien savoir, mais il semble que sa crise existentielle va trouver
preneur chez moi. Je vais changer de sujet de maîtrise, d’Artaud à Hébert : le
changement est radical mais nécessaire, je connais maintenant son œuvre en
entier, ou presque. Je ne sais cependant pas ce que j’inventerais à ce propos.
Peut-être qu’elle pourra elle-même me guider. Je n’emporte rien avec moi, seule
la lettre remise à l’éditrice du Seuil à propos du scénario. Je ne veux pas
qu’elle pense une minute que je vais me servir d’elle. Renaud l’a cru et
maintenant il fuit. Tant pis, le sot, jamais je n’ai compté sur lui. Je sais
très bien qu’on ne devient pas quelqu’un comme ça à Paris.
9
La
semaine passée Renaud m’a bien fait comprendre qu’il ne voulait plus trop
entendre parler de moi. Le café qu’on a pris chez Majestic,
lui, moi et Sébastien, ne semble pas avoir aidé. On a discuté de religion, et
il est tellement croyant qu’on dirait qu’il en est devenu homophobe. À se
demander comment il peut encore vivre un tel paradoxe en son esprit. Il est
contre les revendications des gais, contre la reconnaissance du couple gai,
contre le mariage ou les bénéfices sociaux auxquels ils auraient droit.
Pourtant son copain Habib n’a pas la nationalité française, et il sera
peut-être expulsé de
10
Cher
François,
Je
t’écris cette lettre aujourd’hui, j’ai le temps. C’est moi, lié à toi par nos
idéaux, nos goûts, nos orientations, nos vies, puisque je me lance dans
l’écriture d’un scénario avec nulle autre qu’Anne Hébert. Je suis vraiment à
zéro, ne connaissant rien, je vais me payer des livres sur le scénario pour en
connaître la forme et le vocabulaire. Je ne puis prendre la chance de me
fourvoyer dans ce projet, trop de choses entrent en ligne de compte. Je t’avoue
que si tu veux m’aider et que le projet t’intéresse, j’en serai ravi. Sinon je
ferai mes propres démarches, et on verra.
On a déjà
travaillé ensemble, tu te souviens ? Ce minable travail de sociologie où tu
n’avais rien osé dire, qui t’a servi ensuite à montrer que nous étions
incapables de travailler ensemble. Ou cette pièce de théâtre, De par les sept lieux, Cégep en spectacle,
expérience que tu as trouvée traumatisante. Nul doute, nous étions faits pour
accomplir une grande œuvre à nous deux, qui cette fois sera
À
nous deux, je pense que l’on peut en faire une réussite, car tu connais les
moyens et nous admirons les mêmes productions. Probablement que Stephen Frears m’inspire et t’inspire aussi. Une autre poésie que
se retrouve dans le style du film Swoon, que je t’invite à aller
voir si tu peux. Mort à Venise aussi, un peu. Un style pas comme les
autres, suggestion, insolite, ne donnant pas toutes les réponses, aucune à la
limite, surprenant, étrange, fucké. Mais il ne faut
pas sombrer dans l’effrayant, drame d’horreur
ou récit narratif du livre, cela n’aurait aucun intérêt. Comment
retrouver ce style, ô François, toi qui t’y connais
? Le style des grands du théâtre italien, le grandiose, la prétention des
personnages à la limite, un style bien similaire au mien et au tien. Cela
serait-il possible ? Dans la grâce et
Dans
trois heures je rencontre Anne Hébert. Je pourrai t’en dire davantage de ce
qu’elle pense du projet. J’ignore à quoi m’attendre. Je t’avoue que j’ai un peu
peur. Elle me semble plus occupée que j’aurais pu le croire. Je ne sais même
pas ce qu’elle pense de moi. J’ai lu toute son œuvre dans la dernière semaine,
une vraie indigestion. Je n’ai même pas envie d’en parler, surtout pas à elle.
Le petit téteux qui a tout lu et qui maintenant veut
les clés et les réponses. Mais voilà, de quoi parlerons-nous ? De moi, bien
sûr. En long et en large, je vais lui raconter mes déboires, mes insuccès et
infortunes, mes histoires d’amour, mes fantasmes. Et puis je deviendrai son
amant, je coucherai avec elle, elle en mourra et j’habiterai son appartement.
Scénario simple, me diras-tu, irréaliste peut-être, mais elle est ma night-mère ! comme elle dit.
Si
je te racontais ma vie sentimentale, je me répèterais. En résumé, j’ai couché
avec Edward, tu le sais, Sébastien a couché avec Ken, j’ai flirté à peine
depuis que je suis à Paris. L’arrivée de Sébastien fut difficile, il a tout
chambardé mon petit univers, brisant une par une chacune de mes habitudes,
comptant pour moi chaque dollar que je dépensais. Ainsi je ne vais plus au
cinéma, encore moins au théâtre, n’achète plus de sandwichs, me couche à 23
heures au plus tard, me lève à 13 heures le lendemain, je fais le lavage et la vaisselle
pour deux, non pas que je sois la femme du couple, mais Sébastien est vache et
si je ne le fais pas, personne ne le fera. Notre chambre est une vraie
porcherie de toute façon. Je n’ai plus le temps pour mes projets, moi qui y
passais 24 heures par jour de mon
temps. C’est assez infernal, mais j’arrive maintenant à ne plus me chicaner
avec lui. On recommence à vivre, avec l’été, bien qu’il n’y ait pas eu d’hiver
à Paris. Tu vois à peu près le tableau, je suis à la veille de le foutre dehors
ou changer de chambre. M’en fous de payer plus cher, il me faut travailler
plein temps sur mes projets, sinon je n’arriverai nulle part. Tabarnack, aucun moyen de s’en sortir. Pendant ce temps
Sébastien pratique son piano quatre heures complètes par jour et m’affirme
qu’il n’a jamais travaillé autant. Qu’est-ce qu’il foutait, lui, à Ottawa ? Je
ne veux pas le savoir.
Pour tes
amours avec Jean, et ce que j’en sais, je t’approuve sous tous les points de
vue. C’est tout ce que j’ose en dire dans cette lettre ; ainsi tu pourras la
laisser traîner où tu voudras, dans les égouts de la ville de Montréal par
exemple.
Je suis
vraiment fier de toi et heureux que ton court-métrage remporte ce succès et que cela ne fasse que commencer. Je sais que tu vas
aller loin et que, même, tu écriras les deux autres projets de scénario
qui en font la suite et en feras un long-métrage. Nous allons construire
l’histoire, nous sommes la nouvelle génération : que les vieux crèvent, notre place, nous allons
Bon, je
dois me préparer pour partir chez Anne Hébert. Je vais lui parler de toi, de
tes amours tumultueuses, elle sera contente.
Je
reviens de chez Anne Hébert. Son appartement n’en est pas un de riche, elle
habite la même place depuis 25 ans, avec son chat de 12 ans qui s’appelle Petit chat, alors qu’il est
gigantesque. Elle avait acheté des gâteaux à la pâtisserie du coin, nous avions
apporté une belle tarte aux cerises à 105 francs. On a acheté des fleurs,
orchidées, j’espère qu’elle ne pensera pas qu’on cherche à l’acheter. Bref, son
univers est tout de même bien, bel appartement, elle a certainement passé une
belle vie, je ne crois pas qu’elle se soit ennuyée. Quelques clés ne nous ont
pas été données, c’est-à-dire comment elle a
réussi à publier ses premiers poèmes au Seuil, si elle a déjà eu des amants et
des enfants. Apparemment aucun amant, aucune photo, aucun enfant, sinon ceux du
sabbat. On a discuté de religion, elle ne semble pas croyante une
miette, ça me soulage. Je l’ai peut-être insultée, qui sait ? Mais revenons aux
réalités. On a parlé du film, il ne faudra pas s’enflammer, elle ne semble pas
chaude à l’idée de voir ça à l’écran. Elle a déjà refusé à un certain Gaston, metteur en scène je crois, d’en
faire une pièce de théâtre. Elle dit qu’il n’a jamais été question pour
elle d’en faire un film. Elle semblait vouloir me dire non, mais elle en était
incapable. Elle a terminé la soirée en me disant qu’elle réfléchirait et
qu’elle rouvrirait le livre. Elle m’a dit
qu’elle devait travailler sur d’autres projets en ce moment, ce à quoi j’ai
répondu que je peux écrire le scénario et qu’elle pourra le relire ensuite et
me dire, si elle n’est pas satisfaite, quoi changer. Elle a dit qu’elle ne
voulait pas que je travaille pour rien. J’ai l’impression que je vais recevoir une lettre du Seuil sous peu m’affirmant que
c’est non. Bref, elle ne doute pas de ma bonne volonté, elle a peur que je perde
le contrôle sur le projet et que le tout finisse en un film d’horreur où
règnent l’inceste et l’exorcisme. Elle dit que le monde du cinéma est très
ingrat et qu’on se fout de l’auteur, que l’argent arrive avec toute une série
d’obligations qui vont conduire à l’échec du film par ces sacrifices. Je lui ai
donc dit que nous faisions toi et moi du cinéma indépendant, que nous n’avions
donc personne pour nous dicter quoi faire (je lui ai dit n’importe quoi). Je
lui ai dit aussi que certaines scènes étaient extraordinaires, par exemple
Julie chez le docteur qui trouve que la coiffe des sœurs
Elle
viendra au concert de Sébastien ce 18 mars, on va aller la reconduire après. Je
me demande si elle va se désister.
Je te
remercie pour tes affiches, elles sont très belles, je les ai accrochées à mon
mur chenu et vide. Ça me sacre un bon coup de pied pour me motiver dans mes
projets. Ta lettre est très profonde, maintenant
que je
Tu me
sembles bien à Montréal, bien sûr à Paris on fait toujours plein de rencontres.
À chaque nouvelle personne tu es certain de t’ouvrir à un nouvel univers. Par
exemple, hier on est allés à un concert en bas, on a rencontré un gars qui a
déjà enregistré trois disques compacts pour de la musique de films et de pièces
de théâtre. Il a un petit studio d’enregistrement maison et il ne chargera que
50 francs de l’heure pour que Sébastien puisse faire une cassette démo
digitale. C’est une ville qui a beaucoup à offrir quand tu prends le temps de
t’y incruster, mais Montréal aussi, je suppose. Vois-tu, tu ne pourrais pas
demeurer ici indéfiniment. Le mieux, c’est de s’inscrire dans une école, ça
semble relativement simple d’être accepté. Ça ne coûte rien et tu peux rester
au moins deux ans sans problèmes. Je ne saurais cependant te conseiller de
venir ici. Je vois déjà Sébastien me tomber sur la fripe s’il se rend compte
qu’il est venu pour rien et que rien ne débouche. Mais je suis convaincu que
tout ira bien. Avec le monde qu’il y a ici, je te jure, tout projet trouve son
public et ses mécènes. Mais l’ailleurs est-il vraiment meilleur ? Cela pourrait
bien dépendre de tes rencontres. Les bars sont bien garnis en tout cas, il y a
des gais partout, même en dehors des bars. J’ai rencontré une seule personne
qui n’était pas gaie, et je t’avoue que je n’en reviens pas encore. Comment ? Tu
n’es pas gai ? Impossible, tu es l’exception. Probablement que tu ne t’acceptes
pas encore.
En ce qui concerne le jour de l’an, c’est
vraiment terrible. Je suis demeuré un mois au Canada et je n’ai passé que trois
jours au Saguenay. Je n’ai même pas vu mes parents, puisque je demeurais chez
ma sœur et que nous avons passé notre temps à tenter de voir tout le monde. Je
n’ai même pas appelé Gaston, il ne me parlera plus jamais après ça. Bref, j’ai
des remords immenses, mon père m’a donné 650 $ pour que j’aille le voir. On a
passé une soirée ensemble, tu te rends compte ? Le problème, c’est que je
voulais absolument emmener Sébastien, et que celui-ci travaillait, avait des
cours de piano, de voix et pratiquait avec Gordon au violon. Ô triste univers,
comme j’aurais dû laisser l’enfant à
À
bientôt !
11
Il
est temps que je parle de mes nouveaux copains et copines d’étage. J’ai appris
dernièrement que les couples hétérosexuels aussi se demandaient parfois qui
était la femme dans le couple. Entre autres, nos deux guitaristes un peu plus
loin. C’est la femme qui est en contrôle de tout et qui prend les décisions
devant son copain plutôt mou et passif. Ce pauvre, lui, a-t-il encore une vie
ou vit-il en fonction de sa blonde ? L’autre à deux portes de moi me fait chier
parce qu’elle a toujours un grand sourire et que c’est hypocrite, quand nous
savons ce qu’elle dit dans notre dos. Les deux autres de chaque bord, c’est la
même chose. Celle d’en face doit avoir 40 ans, ne me dites pas que ça étudie au
doctorat, ça. En plus elle semble se permettre de nous juger, nous la jeunesse,
et de me chialer parce que la veille il y a eu une fête dans la cuisine et je
n’ai absolument rien à voir avec cela. Le plus beau morceau, il s’agit d’André.
Ce gars me méprisait tellement, j’ai bien vu à parler un peu avec lui qu’il
n’était plus de notre monde. Un gros rejet de notre société qui se revalorise
dans sa prétention et ses études, s’y accrochant comme s’il s’agissait de sa
dernière motivation à vivre. Alors il me dit qu’il est l’élite de la société et
qu’il ne peut pas s’abaisser à parler à ceux qui ne sont pas l’élite. Je lui
fais remarquer que ça le limite complètement, puisque c’est impossible alors de
parler avec l’élite qui a étudié une autre branche que la sienne, l’histoire de
l’art par exemple. Ensuite, il me dit qu’il
étudie en littérature, et comme par hasard nous sommes incapables de
communiquer puisque nous avons étudié des auteurs différents. Le voilà bien mal
pris. Mais lorsque je lui ai dit qu’Anne Hébert viendrait peut-être au concert
de Sébastien, le voilà qui fantasme tout haut, qu’en tant que grand responsable
du comité qui organise les activités culturelles, quelle gloire ce serait pour
lui d’avoir Anne Hébert en conférence et pouvoir prendre une photo d’elle avec
lui pour que ça se retrouve sur le mur de
12
Ne
suis-je pas en crise parce que le mois de mars est commencé ?
Aujourd’hui
avec Renaud j’ai discuté. Ça touche à sa fin, la conversation fut cinglante,
directe, intenable. Ça me rappelle la crise de François dans le temps, quand on
s’écrivait. C’est peut-être moi le problème, je devrais être plus hypocrite et
ne pas provoquer les conversations franches. Plutôt laisser couler le temps et
voir les sentiments des gens changer. Bref, j’ai des choses à apprendre, que je
ne discerne pas pour le moment, mais je sais que cela fait deux fois que je me
retrouve dans cette situation. Enfin, voici ce que j’ai dit à Renaud au cours
de latin :
—
M. Renaud, qui êtes-vous ? Vous êtes fier d’avoir eu 83 % à votre examen de
latin ? Vous avez bien travaillé. Je suis fier de vous, M. Renaud. C’est votre
copie qu’elle cite sans cesse ? Alors, vous vous êtes bien reposé de moi ?
C’est bien connu que je suce l’énergie de mes amis. Cette semaine, c’est
l’alerte anti-moi sur Paris : « La semaine prochaine je veux rester seul. » «
Après le cours je dois m’enfuir. » La vie est difficile lorsqu’il y a le rejet,
même d’une amitié. Voilà pourquoi ma dépression. Ne te serait-il pas plus
simple de me dire que tu ne veux pas de mon amitié ? Ou restons superficiels,
nous nous dirons bonjour au cours, voilà. Selon Maurice, je suis un paranoïaque
convulsif. J’avoue que c’est peut-être vrai, et même j’espère que c’est vrai.
De toute façon, il est évident que c’est moi le problème, si je t’ai effrayé à
quelque part. À moins que toi aussi sois paranoïaque, tu crois que je veux me
servir de toi, ce qui est absolument faux. Je me fous bien d’où tu travailles
et je n’ai pas besoin de toi pour écrire un livre. Mais c’est vrai que
j’exagère peut-être. Qui sait, peut-être suis-je plus exigeant que toi en
amitié. Peut-être aussi tu m’as laissé m’approcher trop près de ton intimité
avant de couper les ponts ensuite. Mais peut-être que tout se tassera au retour
d’Habib, et sincèrement je l’espère. Tu me sembles vouloir fuir et cela
m’affecte moralement. Mais peut-être n’est-ce que de
—
Jaloux ?
Quand
Renaud a écrit « jaloux » sur la feuille, j’ai éclaté de rire dans
13
Renaud a
rencontré Maurice à la biblio, paraît qu’il est en panique puisque je semble fâché contre lui. Comme c’est bizarre. J’émets une
hypothèse : je crois qu’il veut être ami avec Maurice et que, malheureusement
pour lui, c’est moi qui fais le pont. À moins qu’effectivement il ait encore une quelconque intention d’être
mon ami. Comme s’il pouvait n’être en rien effrayé par ma paranoïa,
puisqu’on s’amuse à me trouver des névroses.
Je propose également que les gens sont devenus tellement renfermés socialement,
que la simple demande de la vérité rend fou, et aussitôt t’apporte des
remarques telles que tu es névrosé et devrais être enfermé. On doute, mais on
se tait. Quand on cherche à voir plus loin, à comprendre certaines actions,
c’est déjà trop pour le peuple. Jusqu’où allons-nous pousser la sottise de nos
conversations ? On pourrait nous croire en chicane de couple, comme dirait
Maurice, voilà pourquoi ça ne vaudrait plus la peine que nous tentions d’être amis. L’avenir nous dira ce qu’il en est. Je
devrais le revoir mercredi prochain, il dira sans doute que je lui fais
la gueule, et ce serait vrai. Je ne le supporte plus, mais en même temps je
dois aller m’asseoir près de lui. M’asseoir ailleurs implique trop de choses et
c’est de l’enfantillage. Belle société, faut continuer à être superficiel et
hypocrite. Le problème, c’est qu’il connaît Maurice, c’est déjà plus difficile
pour moi de couper les ponts. Franklin me dit de ne rien couper, puisqu’il
travaille chez ce grand éditeur. Comme si cela pouvait m’arrêter de l’envoyer
chier, au contraire, c’est une motivation de plus. Je suis rempli de préjugés,
parce que j’ai l’impression que tout le monde est rempli de préjugés. Que nous
réserve donc l’avenir ? Je me demande s’il y aura une évolution. Moi, les
évolutions qui avancent à pas de tortue pendant des semaines, ça ne m’intéresse
pas. Si c’est pour me présenter la stagnation, fuck
it. C’est le temps de fermer le Chapitre Renaud. Il me faudrait l’accrocher
dans un coin noir, l’embrasser, le déshabiller, le sucer. Sinon je ferme le
Chapitre Renaud.
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Je parle
très peu de Sébastien. Pourtant il occupe toute ma vie. Tellement qu’il ne me
laisse plus le temps de rien faire. Il veut toujours sortir le soir, parce qu’il n’a plus rien à faire. Résultat, on dépense
comme des malades et il mate les hommes dans les bars gais du Marais.
Hier c’était au Duplexe. Avant-hier c’était à l’Amnésia. Je ne compte pas ses
matages dans le métro, au resto U, à l’épicerie. Il n’est vraiment pas discret,
il fait vraiment chier. Je l’endure parce que je sais que ça ne va pas plus
loin ; mais aussitôt qu’il se retrouve seul, qu’est-ce qui se passe ? Il
est sur le point de réussir dans la musique, il deviendra peut-être riche. Ce
n’est pas suffisant pour me convaincre de rester avec lui. D’un autre côté, je
ne peux pas le laisser sur des frivolités, pour le reste, je l’aime et la rupture serait très difficile.
Peut-être en serais-je incapable ? C’est grâce à moi s’il sera annoncé dans Pariscope et l’Officiel des
spectacles pour son concert à
15
Monde de
tapettes pourri ! Toutes des estis de tapettes,
grandes folles, qui ne pensent qu’au sexe, qu’à sortir, danser, flirter,
s’arranger, et puis quoi encore. Inutile de vouloir prouver le contraire, c’est
ça et c’est rien d’autre. Et moi j’en suis à l’écœurement le plus complet.
J’aime encore mieux les p’tites histoires pédophiles
de Gide dans des contrées lointaines que l’esti de
vie gaie de Paris. Sébastien vient de décrisser à un Gai-T-Dance au Palace, une boîte qui charge 70 francs
l’entrée, 40 francs si tu arrives avant 17 heures. Ça continue jusqu’à 2 heures
du matin. Et là je suis en christ parce qu’on passe notre vie à sortir dans
tous les estis de bars tapettes de Paris, et pendant
ce temps je ne fous plus rien et je m’inquiète inutilement de Sébastien.
Tellement que maintenant j’en suis au bout du rouleau et que j’aimerais mieux
lui rendre sa liberté et m’en balancer complètement. Le crisser là, lui, le
classer grosse tapette incapable de se contrôler et qui veut des amis avec qui
coucher, go for it ! Je ne veux pas passer ma vie à
m’imaginer le pire, je ne veux plus rien savoir. C’est drôle que toutes mes
aventures foirent, et que les siennes doivent déboucher. Je vais être incapable
de faire quoi que ce soit, je vais crever à me lamenter sur ce qui pourrait
arriver. En plus je ne serai pas parlable lorsqu’il
va revenir, s’il revient. Comment m’en sortir ? On vit ensemble, et si on se
laissait, il trouverait quelqu’un d’autre dans la semaine qui suit. C’est moi
qui souffrirais, je ne suis même pas certain qu’il s’en rendrait compte que je
ne suis plus là. Il est à deux doigts de réussir dans la musique et moi à deux
doigts de lui dire que je voudrais que ce soit fini, sans trop savoir comment
on peut finir cela sans trop me faire mal. Et de toute façon je n’ai pas un
sou.
Franklin
vient de téléphoner. Je l’ai pratiquement envoyé chier. Je regrette, mais que
voulez-vous ? J’en ai assez de la vie à Paris, maintenant que j’y pense. J’ai
vraiment envie de partir. Heureusement que je n’ai pas d’argent, je décrisserais immédiatement. Départ autour de la planète,
n’importe où. Je n’en veux plus de
Se
peut-il que je sois resté ici et que rien ne va
arriver dans ma vie ? Ce n’est pas pour rien que je suis demeuré ici ce soir,
plutôt que de sortir. Il se pourrait que ce ne soit que pour Sébastien en fait,
il va lui arriver quelque chose et je ne veux pas savoir quoi. Se pourrait-il
que cela ne marcherait que dans un sens ? C’est-à-dire que nous serions
laissés chacun à soi pour que seulement lui puisse en retirer quelque chose de
bénéfique ? Pourquoi me l’avoir parachuté du Canada si c’était pour me faire
comprendre que c’était terminé et qu’il a besoin de respirer sans m’avoir tout
le temps sur son dos ? Christ ! N’ai-je pas suffisamment prouvé à la face de la
planète que je m’en foutais qu’il soit quatre mois tout seul au Canada sans
moi, libre de faire ce qu’il veut ? Je dois apprendre peut-être à être moins
possessif ? Franklin et Maurice sont prompts à me dire que je dois laisser
Sébastien sortir sans moi. C’est quoi leurs expériences que je n’ai pas ? Ils
se sont fait tromper combien de fois, eux, tellement qu’ils s’en balancent.
C’est normal, pour eux. Pourquoi ? Parce qu’eux-mêmes ne sont pas fidèles. Je
me rends compte aujourd’hui que je ne connais rien de la vie de Franklin et de
Maurice. Maurice, c’est encore pire. Il a couché avec quantité de gars depuis
qu’il est à Paris, à l’écouter, on dirait qu’il est pur. Combien de fois
m’a-t-il dit de me mêler de mes affaires quand on arrivait à parler de ses
relations amoureuses à Paris et ailleurs ? Moi, pendant ce temps, je leur dis
tout, je leur fais lire mes écrits, ils ont l’impression de devenir mes vieux
potes. Il n’y a que de la superficialité là-dedans. Et combien de fois, chaque
fois que je m’approche de Sébastien, il me repousse. Bon Dieu ! Il n’en veut
pas d’affection, lui ? M’aime-t-il ? On fait l’amour à peine une fois par
semaine, je voudrais le faire à chaque jour. On a deux lits simples séparés, on
dirait que ça lui fait plaisir, comme ça on n’a plus besoin de se prendre dans
les bras. J’en ai ma claque ! Et si tout ce qui existe à Paris ressemble à
Renaud, vaut mieux laisser faire. J’aurais peut-être envie de l’appeler, lui,
aujourd’hui. Mais j’ai comme l’impression que Sébastien trouverait ça bizarre,
et qu’en plus Renaud ne voudrait rien faire. De toute façon, c’est vrai que je
ne puis plus le sentir. Il me fatigue énormément. J’ai téléphoné à André, le
genre de petit-fils à Anne Hébert. Il ne m’a jamais rappelé, malgré mes messages
sur son répondeur. C’est clair qu’il ne veut rien savoir. Peut-être me
rappellera-t-il ? J’en doute, son message change à chaque fois, aujourd’hui ça
dit qu’il ne couchera pas chez lui, qu’on devrait rappeler demain. Or, ce
message date-t-il d’aujourd’hui ? Un autre crétin, je suppose, hétéro
peut-être. Et j’avoue que ça ferait changement de rencontrer un hétéro pour une
fois. Les gais ne tiennent plus à terre.
Life sucks. Aujourd’hui, j’ai repassé en revue les différentes
façons de se suicider. Pilules, fusil, rails d’un métro ou RER,
J’attends,
patiemment, que Sébastien arrive. Incapable de faire quoi que ce soit d’autre.
Ensuite, il ira directement jouer au piano pour deux heures. J’attendrai
patiemment qu’il revienne, comme d’habitude, incapable de faire quoi que ce
soit d’autre. Lorsqu’il reviendra, je vais m’enfuir à la cuisine avec mon
ordinateur, il ne dormira pas de la nuit et il me le reprochera amèrement. On
se lèvera à une heure de l’après-midi, il me le reprochera la journée durant.
La vie de couple, rien de pire.
Sébastien
vient d’appeler, je passe pour le gros paranoïaque, depuis que Maurice le crie
un peu partout. Ils ont dû discuter toute la soirée
de mon cas, de ma paranoïa. J’aurais dû décrisser de
l’appartement, ne pas répondre au téléphone. Je croyais que c’était le
salut extérieur, Renaud ou André. Mais c’est bien connu, il n’y a jamais de salut extérieur. Les soirées tristes seront
toujours des soirées tristes. La vie est d’une platitude à laquelle on
ne nous prépare pas suffisamment. On devrait parler de la platitude de la vie
aux enfants en bas âge. Leur dire qu’ils n’ont absolument rien à attendre de la
vie, et que la mort risque fort d’être leur seul bon moment. Tant mieux si ça
se passe dans la solitude la plus complète. Il n’y aura personne pour faire la marionnette autour de soi, personne qui souffrira
en silence en se faisant croire que tout va bien et que la vie est
agréable et extravagamment intéressante, alors que tout le monde le sait que la
vie est plate à mourir, ce pourquoi je meurs.
Sébastien
vient d’appeler pour me dire que c’était plate la vie, que les gars étaient
tous laids au bar, que ça lui rappelle Montréal et que Montréal c’est plat. Il dit que les gens avaient l’air de trouver la vie
plate, ce pourquoi ils semblent sortir là sans cesse. Christ ! Il me prend pour
un con ou quoi ? Je le sais bien qu’il a trouvé la vie passionnante
l’instant de ces quelques heures, manquant de temps pour bien se remplir les
yeux de tous ces beaux jeunes hommes, en en matant une série, ramassant
peut-être un numéro de téléphone, jasant avec un autre. Dansé, il a dansé.
C’est vrai que la vie est plate pour les habitués des lieux, mais pour les non-habitués, la vie peut sembler passionnante l’instant
d’un moment. Moi parti, quel fardeau vient de prendre le bord. Libre de draguer
enfin, d’avoir du fun, d’espérer un peu de sexe facile avec autrui. Ahhhh ! On dirait que je ne le contente pas. Pourtant,
c’est de sa faute si on ne fait plus rien dans le lit. Christ ! On dirait que
je l’attache avec une laisse, l’empêche de respirer par ma seule présence. On
sort ensemble, alors le fun est coupé. Quelle drôle
d’idée se fait-il de la vie d’un couple. Je ne crois pas qu’on va finir nos
jours ensemble. Éventuellement je crois qu’il va me dire qu’il faut se séparer
pendant quelques mois, lui et moi. Alors il ne me faudra pas manquer ma chance,
coucher avec le plus de monde possible. Pour le faire chier, parce que ce sera
la seule raison de sa pause. Mais moi la pause sera longue. En fait, on ne
reviendrait pas ensemble. En fait, j’aimerais bien me sortir de cette relation.
Je suis de mauvaise humeur en permanence, ça déteint partout, tout le monde le
sait. Lui, Sébastien, se complaît dans l’innocence. On dirait que ce n’est que
moi le problème alors que c’est tout lui le problème. C’est moi le paranoïaque.
Pauvre Sébastien, on te comprend, un copain comme ça, ça étouffe. Ces gens-là
n’ont jamais compris ce qu’était une relation durable, on le voit, on l’entend,
ils n’ont jamais pu rester avec quelqu’un plus d’un an ou deux. Et ils en sont
fiers de leurs deux ans ! Mais de quels deux ans parlent-ils, lorsque tous les
jours ils vont faire du sport, matent quelques beaux gars, se font sucer vite-vite, repartent ni vu ni connu auprès de leur belle
relation ? Et ils viennent me traiter de paranoïaque. Trois ans et demi avec
Sébastien, c’est vrai qu’il faut parler de miracle dans le monde gai. Faut
s’accrocher, je vous jure, lorsque tes amis te disent que tu as un problème si
tu ne partages pas ton copain avec
Fin de l'extrait.
* * *
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Note de Roland Michel Tremblay : Mind The
Gap/Un Québécois à New York est la deuxième partie d'une trilogie. Vous pouvez
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