Les Éléments
Urbains
Londoniens
Roland Michel Tremblay
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Résumé
Les Éléments Urbains Londoniens aborde la vie sociale hiérarchique dans
l'univers des conférences européennes. Le thème principal concerne ce que devient
la vie de l'humain enfermé à jamais sous la terre à voyager vers le centre de
Londres, une ville faite de ciment, à travailler dans une tour à bureau où la
verdure n'existe plus. Le livre raconte également les aventures de l'auteur
lors de ses nombreux voyages à travers l'Europe : Cannes, Prague,
Amsterdam, Paris et Barcelone.
Préface
Voici le plus simple de mes livres. Le vrai et l'accessible, un seul
niveau de compréhension. À moins de se mettre à l'étudier dans un cours
universitaire. Mais voilà, son intention est d'être d'une certaine humilité,
sagesse, à observer la vie londonienne à son rythme le plus élevé. Car n'y
ai-je pas souffert un enfer que je ne puis me débarrasser qu'au prix de grandes
souffrances ? C'est là l'ironie, le paradoxe. Souffrir de cet enfer, mais
ne pas pouvoir vivre sans lui. Si à la fin de ce livre vous ne connaissez pas
tous les rats qui gisent sur les rails de l'Underground, comme on a encore
subit des délais considérables ce matin parce qu'une femme y a été poussée par
mégarde, j'aurai manqué mon coup. Mais là n'est pas l'important.
J'avais perdu ce livre, quelque part dans un pub de Soho au centre ville.
Je l'ai retrouvé par miracle. Ainsi vous souffrirez les quelques pages écrites
sur mes heures de lunch alors qu'il m'est interdit de boire ma pinte de bière
traditionnelle. Mais je déroge à la règle, bien entendu. Je bois et j'écris,
c'est là la vie. J'ai remarqué que l'on aimait surtout de mes écrits ce qui
parle de ma vie londonienne, en oubliant ma philosophie de malade dérivant de
mon imagination. Ainsi ce livre sera bien terre à terre, à travers les briques
des bâtiments londoniens.
Je provoquerai l'envie de venir ici à celui qui vit à la campagne, mais
je l'aurai prévenu de cet enfer dont on ne peut se passer. S'il apprend bien sa
leçon, il viendra, y travaillera et lira le Daily Mail dans le métro. Il jouira
de ces petits détails qui font souffrir des millions de Londoniens qui chaque
jour se rendent à Oxford Circus pour travailler à Dieu seul sait quoi.
La vie pourrait être si simple pourtant, mais on adore se la compliquer à
l'extrême. On arrive tout de même à trouver la plénitude, je l'espère, sans en
être convaincu. On imagine des flocons de neige s'écraser sur le pavé où les
autobus à deux étages et les taxis noirs les écrasent net. Puis on survit, là
l'important, je suppose.
Les Éléments Urbains Londoniens
Il existe de ces endroits où je me suis retrouvé dans ma vie et dont je
me demande pourquoi j'y étais. Ils me ramènent des cauchemars, et la pensée que
je pourrais m'y retrouver un jour me tue. Par exemple, tous les coins de rue où,
au Québec, j'attendais les autobus scolaires pour m'emporter à l'école me
traumatisent encore. Les autobus de ville à Hull et à Aylmer aux limites
d'Ottawa, jamais rien vue de plus misérable dans ma vie. Où je travaillais à
Bruxelles, un quartier mort de Montgomery, ça non plus ne m'apporte pas de bons
souvenirs. Par contre il y a des endroits à Bruxelles qui me hantent et m'enchantent.
Comme au Québec, en dehors de la capitale. Et même dans les environs d'Ottawa,
une petite maison d'ex-prostituées que l'on projetait acheter au bord de la
rivière me fascine encore. Qu'est-ce qui fait d'un endroit un paradis, et un
autre un enfer ? Toujours les constructions humaines, puis les événements
qui font que nous y sommes comme prisonniers. Était-ce mon choix d'y
être ? Oui et non, dépendant du pourquoi je me devais d'y souffrir. Un
hôtel du boulevard Hamel à l'Ancienne Lorette dans la ville de Québec est d'un
terrifiant, et le restaurant Marie-Antoinette juste à côté, un calvaire. Mais
un petit hôtel sur le fleuve Saint-Laurent tout à côté du Vieux Pont de Québec
fait toute la différence. Même dans la forêt profonde j'arrive à distinguer des
lieux enchanteurs et d'autres infernaux. Pourtant c'est la nature, des arbres
et des rivières. Je suis à Cannes en ce moment, hélas c’est pour un congrès sur
les téléphones mobiles et non pas à cause du festival de films. C’est mon
dernier jour avant le fameux retour à Londres. Cannes est une ville que je
trouve charmante, voilà sans doute pourquoi je réfléchis à tout ceci.
James m'a encore fait subir bien des émotions. Hier, parce qu'incapable
de trouver des billets pour la soirée de Motorola avec Tom Jones, et ignorant
que Siemens avait une soirée également, nous nous sommes retrouvés sous la
tente Nokia. La foule, environ 3000 personnes, était à 100 % blanche et
sans doute la majorité Finlandaise. Pas un Noir, pas un Asiatique. Nous sommes
arrivés là, moi, Antonio et James, juste le temps de voir Tom Jones arriver par
bateau sous une musique de James Bond et deux hélicoptères, et nous
rencontrions déjà nos autres collègues. James s'est mis à marcher en long et en
large dans tout le bâtiment, il était le seul à ne point être habillé en habit,
et certes, il semblait être le plus jeune de tous. Moi le suivant partout, nous
avions l'air des deux plus jeunes personnes de tout le congrès, pourtant nous
sommes les recherchistes et producteurs. Je me demandais si nous avions l'air
sérieux. Bref, il avait les yeux rivés sur cette blonde qui travaille pour
Nokia et qui dansait comme une folle alors que nous savions qu'elle n'avait
rien bu. Je l'ai reconnue de Genève où là également, voilà quelques mois, elle
dansait de même, en plus de courtiser un vieux porc à côté d'elle. Hier elle
dansait encore avec un croûton et je me demandais si ce n'était pas une putain
professionnelle dont on a mis un badge Nokia dessus. Tous les hommes de la salle
(97 %) à Cannes comme à Genève, n'en avaient que pour elle, oubliant la
scène où un groupe finlandais nous chantait des chansons populaires, dont des
chansons de Tom Jones. Si ce dernier pouvait entendre de l'autre tente, il
devait bien se demander qui pouvait chanter ses chansons aussi bien que lui,
peut-être même mieux ! Enfin, c'était un charmant tableau que ce jeune
mince éphèbe qui regardait cette blonde pouffiasse correspondant à la « corporate
image » de Nokia, et c'est vrai qu'elle est remarquable, mais moi je ne
pouvais plus le suivre. J'ignore ce qu'il faisait également, il marchait près
d'elle puis retournait dans le fond de la salle, puis refaisait ce même chemin
sans cesse.
Dans la première heure Antonio a disparu. Ma dernière conversation avec James,
avant qu'il ne disparaisse lui aussi, avait quelque chose à voir avec comment
atteindre cette femme. Ses beaux yeux bleus charmants la regardaient et je
pouvais distinguer dans le luisant de ses yeux son imagination au-delà de rêves
impossibles. Faire l'amour à cette femme qui dansait sur une table (avec toute
une rangée d'autre monde, y compris toutes les hôtesses de ma compagnie qui se
mettaient bien en évidence) et je les voyais dans le lit, son sourire alors
qu'ils se déshabilleraient. Et puis je ne l'ai plus revu pour au moins 45
minutes. Tout ce temps, coincé avec mes autres collègues qui dansaient
davantage et cherchaient à m'entraîner. Trois ou quatre filles qui me
tournaient autour sans savoir que j'étais marié, divorcé et gai. Je suis parti.
Ah mon Dieu ! La blonde de Nokia vient juste d'entrer dans la
salle ! Je suis maintenant à la conférence dans la tente D. Elle a donc un
intérêt aux conférences, elle est arrivée avec une délégation de Nokia qui est
venue juste pour entendre Nortel Networks, un compétiteur. Les préjugés…
Vers 3 heures du matin environ ça sonne à ma chambre. Je croyais que
c'était Axel, quelqu'un que j'avais rencontré la veille (j'en reparlerai tout à
l'heure), mais c'était James. Comme l'autre jour il est entré en grandes pompes
et s'est écrasé dans la chaise. Cette fois il était bien déterminé à quitter la
compagnie. Il n'en pouvait plus, ce n'est pas lui, il est malheureux, il ne
veut pas produire des conférences. Il dit que c'est insignifiant et que cela
n'a pas de but. Qu'il se sent comme un plouc avec sa petite cravate à pois à ne
rien savoir et à indiquer aux délégués où aller. Dans les salles de congrès, il
n'apprend rien, c'est juste de la merde. Tous radotent la même chose et c'est
complètement sans intérêt. Mmh, c'est exactement la raison pour laquelle je
veux m'en sortir, mais dans huit mois pour entrer à l'Université en Physique.
Lui il aurait rendu sa démission la nuit dernière à 5 heures, complètement
saoul, alors que nous avons travaillé tous les jours depuis 12 jours, à commencer
à 7h le matin et à terminer à entre 6 et 8 tous les soirs. Et lui a bu tous les
soirs jusqu'à au moins 3 heures du matin. À ce rythme, je suis surpris qu'il ne
se soit pas encore suicidé. Tous les jours de nouveaux problèmes et conflits
l'attendaient et je me reconnaissais dans ses actions, à insulter les mauvaises
personnes et à me retrouver le lendemain comme sujet de conversation numéro un
de toute la compagnie ! Mais trois ans d'erreurs de plus que lui, mon
voyage à Cannes, du moins en ce qui concerne la compagnie, est sans histoire.
Enfin, je lui ai fait comprendre de tenir le coup, d'attendre jusqu'à au moins
mardi prochain, qu'il ne trouverait pas un emploi qui paie davantage et que son
travail n'était point d'aller à des conférences, mais bien d'arriver le matin,
envoyer quelques invitations et sacrer son camp ensuite. Je crois qu'il a
reconnu cette sagesse, mais ce matin c'était moi qui étais la source de ses
problèmes, qu'il disait. Parce que je suis parti sans lui dire au revoir hier,
et que j'ai fait cela plusieurs fois auparavant. Mais, il disparaît pendant une
heure à courir et rêver après des blondes de Nokia, et moi je le suis comme une
toupie dans toute la tente, alors que nos autres collègues nous regardent. Il
fallait bien que je parte. Et puis lui est resté jusqu'à 3 heures, ils sont
allés dans un autre bar ensuite, il a trouvé le moyen de se chamailler avec la
directrice du Marketing à propos qu'il voulait acheter une bière, qu'elle avait
l'argent, mais elle ne lui faisait pas confiance parce qu'il était saoul. Moi
au moins quand j'insulte la grande directrice de la compagnie, comme celui de mon
dernier emploi, vendeur de whisky en Écosse, je le fais avec style, et au moins
je puis dire que j'avais raison et que j'étais justifié ! Lui c'est des
histoires de saoulons, j'étais saoul et je ne me comprenais plus… ouh, ça me
donne des frissons.
Hier c'était qu'il était en retard, que le directeur lui a téléphoné pour
le réveiller alors qu'il dormait dans sa chambre, cela devant la grande directrice.
Ainsi lorsqu'il est revenu, ils ont joué avec lui le jeu du sentiment de
culpabilité. Jaz est venu le voir pour lui dire que il ne fallait pas que cela
se reproduise. La directrice l'a regardé de travers (deux jours avant elle
avait fait une crise et l'avait déjà fait paniqué, comme avec Antonio). Et
comble de tout, Nathalie est venue lui faire une morale comme de quoi qu'il
devrait arrêter de boire, il ne devrait plus rien faire de "slightly
bad" et devrait aller s'excuser auprès de Sonja, la grande directrice, ce
qu'il a fait aussitôt. Je suppose que du point de vue des directeurs, cette
psychologie est efficace, mais ce qu'ils ne comprennent pas est que nous ne
sommes point des esclaves vendus à leurs stupides produits, nous sommes
capables de les laisser tomber n'importe quand. Et c'est difficile à survivre
cette petite psychologie de directeur, tellement que James va lâcher. Je serais
curieux de voir leur tête lorsque cela arrivera.
Bref, ce jeune crétin apprend maintenant à ne pas boire en groupe et je
souffre pour lui davantage que moi-même je souffrais lorsque je faisais la même
chose, car quand c'est moi qui suis en cause, je n'ai qu'à changer d'emploi et
je ne souffre point de me voir moi-même m'autodétruire. Si seulement je n'avais
pas eu le temps de me demander s'il était gai et de développer disons une
sympathie mal placée et des sentiments défaillants chaque fois qu'il entre ou
sort de la salle. À peine si je l'ai regardé pourtant au travail ces derniers
trois mois, car je n'avais pas envie d'espérer alors qu'il n'y avait point
d'espoir. Cela me tue. Bien qu'avant je me disais que ce serait une motivation
supplémentaire d'aller travailler, le voir, mais lui se fout de moi, il fait
tout pour se faire mettre à la porte. Enfin, il est prêt à se mettre dehors
lui-même. Triste que l'autre nouveau, lui, fatigant au possible, Daniel, tout
semble lui glisser sur le dos et va directement jusqu'au plancher. Tout va
bien, il s'est trop bien intégré. Il me parle maintenant comme s'il avait 20
conférences de produites et que moi j'étais un nouveau qui n'y connais rien. Je
le laisse faire, car lui aussi il s'agit ici d'une sorte de défense de jeune
sans expérience qui tente de se mettre à niveau. Il doit bien souffrir, et ce
pauvre James lui, comme moi, n'en veut pas de cette hypocrisie, de ces petits
jeux psychologiques et confrontations avec les hiérarchies. Et James en parlait
de cela, Nathalie qui dit sans cesse : Dan, lui, a déjà fait ça ! Il
est comparé à Dan en tout temps et pour Dan ça semble facile. Moi, j'ai eu la
vie difficile car j'étais comparé à ceux qui avaient 15 ans d'expérience et ma
vie alors a été un enfer. Maintenant je suis comparé à ces nouveaux et ma vie
est facile, on me laisse tranquille.
Enfin, bien que James m'a reproché ce matin d'avoir disparu, j'ignore ce
qu'il a décidé de faire, partir ou rester. De toute manière, ce n'est qu'une
question de temps. D'autant plus que comme moi il n'a aucune ambition et
l'argent est secondaire. J'imagine que la goutte qui fera déborder le vase sera
sa facture d'hôtel, puisque le minibar dans la chambre, et surtout toute
l'alcool qu'il a consommé au bar de l'hôtel, apparaît sur l'addition de notre
chambre. Par exemple, moi qui dois avoir une des factures les plus basses, sur
les 875 livres à payer, j'ai 210 livres en déjeuners et alcool (et téléphone,
dont une fois il s'agissait de l'appel de James qui voulait voir ses messages
électroniques). J'ose à peine imaginer quel sera la montant de son addition,
j'espère qu'il a utilisé l'offre des autres lorsqu'ils offraient une tournée.
Hier justement il disait que, lorsque l'alcool est gratuit, il va toujours en
profiter. Voilà sans doute pourquoi il boit jusqu'à en perdre connaissance.
C'est une mentalité assez British, et Stephen mon copain est comme ça aussi.
Quand Sonja va voir cette facture, elle va lui parler et user de sa petite
psychologie mesquine, et si jamais il avait décidé de continuer malgré ses
impressions, c'est sans doute à ce moment qu'il donnera sa démission.
Je ne sais plus quoi penser, je souffre de le voir s'enfoncer et je
souffre de le voir. Je souffre également en ce moment car je ne le vois pas.
Son regard illuminé sur cette femme Nokia me tue, malgré le charme du tableau.
Il me tue.
Voilà également pourquoi j'ai décidé de sortir par moi-même dans les bars
gais de Cannes deux jours avant, et que j'ai rencontré quelqu'un lorsque je
suis retourné une deuxième fois au Zanzibar. Cette fois il y avait davantage de
gens, et le plus beau de tous, celui qui était le plus bruyant, sans même
m'avoir parlé, déjà m'insultait à voix haute, parlant des Québécois et Londres.
Son copain est un des serveurs, mais celui avec qui je n'ai pas parlé. Eh bien,
j'ai décidé de confronter le monstre et d'aller lui parler. La conversation a
dû être à la hauteur de ses standards car il a arrêté de m'insulter. Au
contraire, nous sommes entrés dans une grande conversation et nous sommes allés
Au Divan un peu plus loin, où nous avons rencontré un artiste déchu, du Théâtre
je crois. Il y avait un temps, qu'il disait, où sa popularité en tant
qu'artiste lui permettait d'habiter Le Majestic Hôtel, et voilà que moi,
n'ayant jamais rien fait de grand dans ma vie, j'habitais une des plus belles
chambres du Majestic pendant 8 jours. Pour eux ça semblait signifier le monde,
sans doute car ils s'y sont bien plu dans le passé en des fêtes qui n'en
finissaient plus. Ainsi je les ai emmenés dans ma chambre (trois en tout) et
toute la nuit nous avons lu ma poésie avec cette voix extraordinaire de Gérard.
Et puis il s'est lancé dans la récital de poésie et chansons, et franchement,
après Prévert, Hugo, etc., j'en ai pleuré… je ne l'aurais jamais cru. La poésie
française a toujours été, à mon avis, d'une platitude assez impressionnante, à
part quelques Prévert et Rimbaud. Je ne m'étais jamais rendu compte que lu
(alors que je suis saoul) par une belle voix, cela pouvait avoir un tel impact.
J'avais avec moi trois Français quelconques, rencontrés dans un bar, et voilà
que tous lisaient ma poésie avec un intérêt ardent, à la vanter au possible. Et tout cela est
bien extraordinaire, une telle culture, également cet intérêt ardent et
spontané pour la littérature. C'était une soirée magique et spéciale, qui m'a
fait comprendre combien le système français a réussi à développer des standards
très élevés chez ses enfants, et en a fait des virtuoses de tout, et des êtres sensibles
à la culture et à la littérature. Pourtant, elle a fabriqué des êtres de
prétention également, mais que voulez-vous, encore qu'il vaut mieux au moins
avoir une opinion que de ne pas en avoir du tout. Ainsi je n'ai point dormi de
la nuit, et après qu'ils soient partis, le plus beau de Cannes, Axel, est
revenu. Nous avons fait l'amour comme des déchaînés le reste de la nuit et nous
nous sommes quittés lorsqu'il était temps pour moi de retourner au congrès.
C'était vraiment passionné, et les sentiments que j'éprouve pour James étaient
absents. Malheureusement je ne pouvais pas me dire qu'il s'agissait de lui
plutôt qu'Axel, parce que James a des qualités uniques (British je dirais) que
j'apprécie et que je ne retrouve pas chez les autres, et l'embrasser dans le
cou serait déjà une expérience susceptible de me faire perdre connaissance.
Mais comme chaque fois que je me permets du plaisir, un prix est à payer, et mon
Palm Pilot a disparu : £ 300 chez le diable, avec tous les livres
électroniques de Sherlock Holmes que je lisais ardemment dans l'Underground de
Londres. Il est clair qu'un des trois l'a pris, et j'ai bien cru qu'il
s'agissait d'Axel, car lorsque je cherchais mon Palm Pilot le matin même, il me
pressait de sortir. Et j'en ai conclu qu'il ne me téléphonerait pas le soir
même comme il avait lui-même prévu. Eh bien Gérard m'a téléphoné durant la
journée (alors que j'étais revenu pour dormir un peu) et Axel m'a téléphoné
également bien plus tard après minuit lorsque j'étais revenu de Nokia. Il
voulait me voir, et après ce téléphone j'ai bien eu du mal à comprendre
pourquoi il me téléphonerait, à moins bien sûr de décider de venir voler le
reste, comme mon ordinateur portatif peut-être. Mais lorsque j'ai mentionné ma
calculatrice qui avait disparu, il s'est moqué de moi en disant, une
calculatrice ? Bien sûr il aurait compris à ce moment qu'il s'agissait de
bien plus qu'une calculatrice. Et son romantisme m'a emmené ailleurs. Toute la
journée il avait pensé à moi ! Et moi, pas une seule pensée pour lui,
enfin, si peu à cause de James. Puis il disait que cela avait été chaud et
notre nuit d'amour franchement bien. Cela m'a redonné courage, car il est sans
doute un des plus beaux de Cannes. Il voulait me revoir, mais je n'avais pas
dormi la veille, et je devais dormir. Il sera à Londres lundi et mardi
prochains avec son copain (qui sait très bien que nous avons fait l'amour, mais
il s'en fout). Une histoire abracadabrante. Alors le troisième a volé mon Palm
Pilot. Bien que j'aime mieux croire que je l'ai perdu et que cette belle soirée
de poésie s'est terminée en une explosion romantique. Ah ces Cannois…
Me revoilà maintenant à Londres. Un samedi seul comme à l'habitude, je
viens de dormir un long douze heures. Stephen déjà planifie le reste de ma
journée, il désir m'emmener au Treaty Centre d'Hounslow, le gros centre d'achat
du coin. Il s'est acheté une antenne de téléphone mobile qui flash bleu et
rouge, et maintenant son téléphone ne fonctionne plus. Il retourne au magasin
donc, l'histoire de sa vie, combien terre à terre ! Oh God ! Revenir
du plus cher hôtel de Cannes et du plus grand congrès des téléphones mobiles du
monde, pour aller s'écraser dans un centre d'achats miniature de Hounslow pour
échanger une petite antenne lumineuse défaillante ! Où est ma nouvelle
fantaisie, James !? Où est cette belle soirée romantique à Cannes avec
Axel ? Ou Gérard, le seul être capable de me faire pleurer à me réciter de
la poésie ? Où est cette vie grandiose que l'on m'a montrée l'instant d'un
moment pour me la reprendre ensuite ? Comme ce lundi sera fade, ce retour
aux réalités sera fatal. J'ai deux conférences à finir, pardon, une à finir et
l'autre à commencer, et j'ai ces deux échéances qui m'écrasent le cerveau. Et
puis je vais retrouver ce bon Dieu de James juste à côté de moi, j'aurai
maintenant le temps de souffrir toute la journée à loisir, juste à le regarder
là à côté de moi. Avant je me fichais bien de voir qu'il ne faisait rien, je me
disais que les résultats de son travail ne tarderaient pas à éclairer ce fait
et qu'ils s'en débarrasseraient bien assez tôt. Maintenant je vais paniquer à
l'idée qu'il ne fait rien. Ce serait bien plus simple s'il quittait, mais encore
là, j'aimerais mieux l'avoir sous mes yeux et souffrir que de ne plus le voir
et de n'avoir rien d'excitant dans ce bureau. C'est déjà suffisamment coincé
comme ça là-dedans.
Ce lundi je vais revoir cet Axel, je me demande bien à quoi il ressemble,
s'il est aussi beau que mes souvenirs, car j'étais saoul tout le temps que
j'étais avec lui. Mais j'ai l'impression qu'il est encore plus beau que dans
mes souvenirs, à peine si j'ai eu le temps de le regarder. Pourtant je n'étais
que saoul, semble-t-il, j'étais drogué ou quoi ? La fatigue sans doute.
Cannes me vient à moi ici à Londres, dirait-on. Bien. Cet épisode n'est
peut-être point terminé, mais il ne continuera pas à New York la semaine
prochaine, car James est un nouveau et n'a pas ce droit à la récompense pour
tout ce travail à Cannes, il ne peut venir à New York. Au moins Dan, le petit
prétentieux, n'y sera pas non plus. Mais ceux qui me détestent y seront tous.
Et Lucy, ma troisième amie (des trois seuls que j'ai dans ce bureau) est
nouvelle également, ne viendra pas non plus. Antonio, mon deuxième ami, s'en va
à Barcelone je crois pour une conférence ce lundi et mardi, et compte bien ne
pas venir à New York. Avec qui donc vais-je parler ? Il n'y a que les
nouveaux qui me parlent, et ces nouveaux ne viennent pas ! On verra bien
ce que cet épisode de quatre jours donnera, pour l'instant cela ne m'inspire
pas. En plus j'ai bien compris que je suis le seul stupide gai de toute cette
compagnie de broche à foin. Un record ! Ou alors il y en a quelques-uns
qui ont des secrets bien gardés. À moins qu'ils se soient bien assurés, comme
dans ces pays d'Europe de l'Est, que j'étais bien marié et susceptible d'avoir
des enfants très bientôt avant de m'engager. Pas ma faute si mon directeur
s'est mis à lire mon site Internet de long et en large avant de comprendre
l'erreur du siècle : un gai a réussi à se faufiler dans les affres de la
production de conférences européennes de haut niveau ! Sous de fausses
prétentions ! Horreur ! Sa femme est punk aux cheveux rouges et porte
une robe de caoutchouc rouge avec une craque à l'arrière qui montre son
fessier ! Tout ça c'est de la vielle histoire, on en parlait déjà chez
leur plus grand concurrent voilà trois ans, alors que j'avais les six étages à
Victoria qui pointaient du doigt moi et ma femme punk, lesbienne droguée et
enceinte, avec de larges sourires ! Je devrai quitter le domaine des
conférences complètement pour me débarrasser de ce passé extravagant.
Après tout ce que je viens de traverser, comme j'oublie vite l'enfer, qui
voilà encore cinq jours, m'assaillait. Semblerait que rien ne s'est produit,
mes conférences sont toutes en retard. Avant je pouvais me justifier,
aujourd'hui je ne le fais plus. Et lorsque j'y suis obligé, les problèmes se
règlent rapidement car alors je me sens obligé de travailler. Communication est
donc mon problème. Mais je déteste cette communication. Elle implique que je
doive travailler plus fort, toujours avoir quelque chose à montrer, des comptes
à rendre, des justifications. Je déteste me justifier, je déteste communiquer,
je déteste travailler à produire des conférences ! Et pourtant c'est ce
que j'ai fait de mieux jusqu'à maintenant comme emploi. Encore que, traduire
des nouvelles de radio et de télévision pour le gouvernement canadien m'a
semblé assez intéressant lorsque j’étais à Ottawa, bien que misérable. Comme je
regrettais mes cheveux longs qui m'empêchaient de travailler alors, il me
fallait une casquette. Aujourd'hui j'admire cette attitude, comme si
franchement il s'agissait là de mon dernier cri de désespoir. Le dernier signe
de combat avant de m'éteindre complètement à tout jamais et de venir travailler
dans ce bureau à Londres pour les quinze prochaines années.
Je comprends maintenant ma femme qui arrivait avec ses cheveux rouges
punks au bureau à Victoria, juste devant les jardins de la Reine. Et qui
inventait des histoires à n’en plus finir afin de rendre la vie plus
attrayante, car la vie est d'une platitude extravagante. Je crois qu'elle et
moi nous nous ressemblions, tous d'eux nous voulions de l'attention en
inventant les plus sordides histoires qui parcouraient les six étages chaque
matin. Heureusement, où je travaille maintenant, bien que les rumeurs continuent
de circuler, le tout ne franchit que deux étages. Et tout de même, cela prend
des semaines avant que tous sachent ce qui se passe dans ma vie.
Mon Dieu, dans la dernière semaine j'ai été accusé d'incompétence et
d'être tant en retard qu'ils allaient annuler ma dernière conférence. Et voilà
qu'ils voulaient canceller également ma conférence à Prague à cause de nombre
sans cesse très bas de délégués. Et la conférence d'avant, c'était la pire de
toute l'année 1999. Et le pire de toute l'histoire est que je n'ai jamais
arrêté de m'améliorer, sans cesse mes conférences sont meilleures que celles
d'avant, et les conférenciers sont les plus élevés, les plus recherchés, etc. Pourtant,
parce que l'on me refile les pires sujets, les résultats en livres sterling
vont en descendant alors que la qualité va en montant. Pourtant cette qualité
s'évanouit à travers l'échec. Pour une raison que je ne m'explique pas, la
qualité ne paie pas. La merde attire l'argent, et je ne comprends pas cela,
sinon que le bon peuple adore la merde. Nos pires conférences attirent 150
délégués chacune, mais je crois que seul le sujet fait la différence, et il
faut avoir travaillé là longtemps pour finalement produire les sujets les plus courus.
Alors je m'imagine toute cette histoire à propos de la qualité, et dans le fond
j'ignore de quoi je parle. Mais étrangement, j'ai tout de même ce sentiment que
ce qui est jugé de qualité n'attire pas le monde. Alors la qualité à mon avis,
c'est la facilité. Pourquoi se casser la tête à avoir 15 opérateurs alors que
15 manufacturiers attireront le reste des manufacturiers de l'industrie ?
15 opérateurs n'attirent point tant les délégués, sinon que l'argent des
publicitaires, ça oui. Enfin, je pourrais m'asseoir ici à tenter de soulever le
secret du succès des conférences, et justifier mes échecs lamentables, plutôt
que de me concentrer sur les lois de la physique qui régissent l'univers, et
c'est cela sans doute qui m'inquiète. Pourtant j'irais peut-être perdre mon
temps en physique et j'avoue qu'il s'agissait là d'une décision très difficile
à prendre, retourner aux études pour prouver des théories qui ne font aucun
sens, sans queue ni tête. Je suis fou, aucun doute. Tout le monde était contre
cette idée, on ne saute pas de la littérature française à la physique, me
disent-ils, pas à 27 ans, pas lorsque l'on a un emploi dans les conférences qui
paie bien, pas lorsque l'on risque de demander de l'argent à sa famille et ses
amis. Eh bien, je m'y aventure seul dans cette aventure, et si je crève de
faim, ce sera une bonne chose, car ma diète est bien difficile à suivre.
Ceux qui crèvent de faim ne se rendent pas compte de la chance qu'ils
ont, ils n'auront jamais à s'inquiéter de devenir trop gros, laid et rejeté
d'autrui. Je me suis fait couper les cheveux assez court hier, aujourd'hui au
travail j'ai eu au moins quatre personnes qui m'ont regardé avec un grand
sourire et m'ont dit que cela m'allait très bien. Soudainement on me considère
bien davantage, on m'aime bien davantage, je suis un être humain alors qu'avant
j'ignore ce que j'étais. Un gros laid sans importance. Pourtant je n'étais pas
si gros, mais cela n'en prend pas beaucoup pour que la magie parte. Je tiens
cette magie dans ma main pour l'instant, mais je suis encore à la frontière. Il
serait bien facile de sombrer de l'autre côté, autant me faire frapper encore
et que je ne remonte plus en surface. Qui eut cru qu'il était si difficile de
ne pas acheter un christ de bagel le matin en allant au travail ? Je crois
que l'on devrait élever les anorexiques au rang d'héros nationaux, car ils
accomplissent là quelque chose d'impossible.
Six jours avant mon départ pour Prague. Quelle chance ! Je vais
tenter de faire allonger mon séjour de deux jours. Pourtant je sens que cela
sera un désastre. Mais je ne voudrais pas regretter de ne pas l'avoir fait. Et
si cela ne fonctionne pas, au moins j'aurai essayé. Et je pourrai m'acheter un
billet de retour moi-même sur place si jamais je rencontrais là quelque chose
d'extraordinaire qui mériterait que je passe là deux jours de plus. Mais
l'image de la Tchécoslovaquie que j'ai, c'est celle de Milan Kundera durant je
ne sais plus trop quelle guerre avec la Russie, un État totalitaire qui m'a
rendu malade. Est-ce bien ce livre où l'homme se sent surveillé dans son
appartement et doit se rendre aux frontières, à traverser une ville morte… ça
me donne la chair de poule… tous ces préjugés. Heureusement que je vais pouvoir
me rendre compte sur place de ces préjugés. Je voulais acheter ce livre de
Kundera avant d'aller à Prague, mais franchement, c'est un peu cliché. Ça fait
Américain à Paris qui se met à écouter Édith Piaf. Pourquoi pas Anna Karénine,
si je me souviens bien, c'est le livre que la femme tenait dans ses mains, ce
livre qu'elle ne lisait pas mais qui fabriquait l'image moderne qu'elle
désirait avoir pour attirer l'attention de ce jeune intellectuel. Ouf, Anna
Karénine pour image de la modernité. Je vais vomir. Ah non, ce sera Kundera
avant d'être Tolstoï.
Enfin, je suis à Londres maintenant,
que cela m'ennuie. Ce matin je me disais : ah, si j'étais à Paris… cela en
sortant du train à Waterloo. Voilà cinq ans je me serais suicidé si je n'étais
pas revenu à Londres. Je me noyais dans mon verre de whisky tous les soirs dans
le nord du Québec, avec la plus noire des dépressions. Tout me rappelait à
Londres. New York et Toronto n'ont pas suffit à me le faire oublier… ah, l'idée
d'être demeuré à Toronto aujourd'hui me bouleverse. Comment aurais-je
survécu ? Alors que Londres ne suffit même plus. On finit toujours par
attraper le mal de la cité dans laquelle on vit… attraper le mal d'une cité
comme Toronto, c'est le désespoir absolu. C'est être misérable au possible.
C'est comme cette série télévisée tournée à Manchester, et lorsque les deux
héros décident de partir pour la grande cité, Londres, ils comprennent que ce n'est
pas suffisant. On ne part pas de Manchester pour aller à Londres, on part de
Manchester pour aller à Phœnix, Arizona, USA. Et je suppose que pour les perdus
de l'État de l'Arizona, ce qui signifie vraiment sortir de leur trou, c’est de
partir pour Londres, UK. La vie est complexe.
À nous deux Prague, car tu es certes
l'inatteignable en ce qui me concerne. Jamais je ne pourrais aller vivre et
travailler à Prague. C'est comme un rêve si impossible qu'il n'a jamais été
considéré. Car si Londres ne suffit plus, Paris non plus ne serait pas à la
taille. La Chine et le Japon c'est commun, tout le monde finit par s'y
retrouver aujourd'hui. Prague, c'est différent. C'est effrayant, c'est l'Europe
de l'Est, c'est la fascination de Staline, l'État de terreur, la Russie.
L'enfer et la misère. Je suppose qu'aujourd'hui ils ont exactement les mêmes
magasins que j'ai vus à New York et à Cannes ces derniers mois. Là aussi je
pourrais acheter un petit ordinateur portatif, bien que j'ai crié partout dans
le bureau la semaine dernière que probablement qu'à Prague, ils venaient juste
de découvrir la télévision. Et est-elle seulement en couleur ? J'en saurai
davantage la semaine prochaine. Il est si bien d'être si politiquement
incorrect.
Bonjour ! Comment allez-vous ? Je vais manger avec Antonio !
Chez Heaven Burger à
Enfin le voyage à New York tire à sa fin et il était temps, car je n'en
peux plus. Si j'en revois un seul de ceux là avec qui je travaille dans le
prochain 48 heures, je ferai un meurtre. Maintenant je sais très bien que tous
savent que je suis gai, je l'ai moi-même crié partout. Mais cela m'a appris que
tous le savaient déjà, qu'ils prétendaient ne pas savoir et que Charlene a
effectivement alerté tout le monde dès le premier jour que j'ai commencé à
travailler pour cette compagnie. Charlene travaillait avec moi chez le
compétiteur. Je suppose qu'elle a également raconté la sorte de scandale dont
je suis la source, une journée où j'étais saoul j'ai dragué un de nos collègues.
Bien que je ne me souviens plus qui, je savais qu'il était gai mais qu'il n'était
pas intéressé. Elle en a fait tout un plat le lendemain cette Charlene, elle en
a parlé toute la journée, très fort, à tout le monde.
À New York, lorsque je suis arrivé dans ma chambre au quatrième étage du
Fitzpatrick, sur Lexington Avenue au coin de la 57ième rue, Ken était en
bedaine. Ken s’occupe du marketing. En moins de 5 minutes je lui ai dit :
merci de t'être sacrifié et de partager la chambre avec moi, personne d'autre
ne le voulait. Je suis gai. La seule personne qui risquera de passer un commentaire
c'est George l’homophobe, à part cela tout devrait être correct. Eh bien, en
moins de 10 secondes il avait remis sa chemise. Mais après cela, rien d'autre a
rapporter à propos de mon co-locataire de Wales, il est bien gentil avec ses
cheveux blonds et ses yeux bleus.
Le premier soir nous nous sommes retrouves dans le bar de l'hôtel et j'ai
bien vu combien j'étais rejeté. Seul assis à une table avec deux autres rejetés
qui travaillent dans un autre département, à l'Internet marketing. Mais j'étais
bien content de ne pas être avec les autres. Cependant ils sont venus nous
chercher. Il n'y avait rien de végétarien et je me suis retrouvé à manger trois
bâtonnets de mozzarella, rien de pire pour une diète. Nous avons parlé, j'ai
beaucoup discuté avec la directrice du marketing, qui je crois m'aime bien,
pourtant c'est elle qui est responsable de la crise avec James. Je dois dire également
que j'ai menti. J'ai pris la défense de Sylvia la directrice lorsque je lui
parlais, alors que mon cœur me disait de l’envoyer promener celle-là. Je
n’avais pas le choix, trois mots à ce propos et elle était bouleversée, elle
voulait remonter à sa chambre. J’ai raconté à James ensuite qu'elle ne l'avait
pas attaqué ce soir-là, mais se sentait coupable, responsable et se justifiait.
Ainsi James a repris confiance, il a arrêté de croire qu'elle voulait qu'il
quitte son emploi. Pour une fois j'ai bien manipulé tout le monde à l'avantage
de tout le monde. Et j'ai eu la chance d'en reparler avec Sylvia, de cet
incident. Indirectement, alors que je parlais de ma propre expérience chez les
vendeurs de whisky, ce grand directeur que j'aurais apparemment insulté.
Enfin, après deux bières nous étions libres, alors j'ai téléphoné mon Ed,
ce fameux Ed que je n'avais plus revu depuis 1995 (cinq ans) et qui était
l’amour de ma vie. Cette histoire surréelle continuait. J'ai sauté dans un taxi
et je me suis retrouvé à manger au restaurant La Forêt tout près de la 88ième
rue où Ed habitait à l'époque. À la table j'étais servi, Ed et son copain de
grande classe, Christopher, et deux de ses amis qui ont une troupe de théâtre,
rien que ça. J'ai fait mon spectacle, j'ai charmé tout le monde. Le lendemain
Ed était bien impressionné de ma performance, car il s'agissait bien de cela,
être capable de divertir au point où les autres le disent, et Christopher
m'aime bien, apparemment, j'ai une très bonne personnalité. C'est drôle que
chaque fois que je rencontre du nouveau monde, je fais une impression
impressionnante et tous veulent me revoir. Mais au travail c'est le contraire.
On me tolère plutôt, et parfois même on ne me tolère pas et on me le dit. J'étais
bien heureux de les quitter ce soir-là, ces monstres du travail qui ne
cherchent qu'à détruire ce qui reste d'humanité chez autrui. Après les avoir
regardés manger, moi, Ed et Christopher sommes retournés à leur nouvel
appartement. C'était très beau à l'intérieur, malgré qu'ils disaient que c'était
très sale. Christopher étant malade, et cela se voyait, il est allé se coucher
et je me suis retrouvé avec Ed. Il m'a montré des photos et j'ai eu
l'impression d'être un fantôme vivant hors du temps, qui chaque 5 ans avait la
chance de revenir dans le monde des vivants pour regarder des photos et ainsi
voir ce qu'il avait manqué pendant son absence. Ed m'a pris dans ses bras à
plusieurs reprises, mon bedon ne semble point l'avoir affecté. Il a vraiment
autant été en amour avec moi que moi je l'ai été avec lui, et même je dirais
que nous sommes encore en amour, et que cet amour ne vaut aucun autre que nous
avons vécu ailleurs. Il était très près de moi, assis juste à côté, il me
prenait dans ses bras, mais la fidélité était de mise. Je l'ai compris et
d'ailleurs je ne voulais pas détruire son couple. Cela a duré un an et demi
avec Christopher, et je ne voulais pas être un élément destructeur. Au
contraire, l'amour est mieux sans sexe. Et j'ai vu combien j'aime Ed et que
j'aimerais me retrouver dans ses bras. Le lendemain il m'a invité à aller à une
soirée chez un ami qui habite la 21ième rue dans le quartier Chelsea, le coin gai,
et j'étais bien heureux de m'y rendre après ma journée complète avec le monde
du travail.
Le matin de notre première journée je suis allé déjeuner en bas de notre
hôtel. Je me suis retrouvé à la table avec Antonio, et pour ce malheur j'ai
passé la journée avec lui à faire les magasins autour de l'hôtel. Qui eut cru
que j'étais le gai ? Il a acheté une quantité faramineuse de vêtements
qu'il a essayés pendant des heures pendant que j'attendais et n'avais aucun intérêt
à rien. Je déteste magasiner. Lorsque nous sommes entrés au Banana Republic,
j'ai bien cru qu'il voudrait ressortir tout aussitôt, car je l'ai entraîné là
mais je n'avais pas prévu que tous les vendeurs seraient aussi gais et que
toute l'atmosphère du magasin criait : ici, nous sommes fiers d’être gais !
Mais au contraire il était enchanté et a dépensé plus de 200 dollars en vêtements.
Juste avant nous étions dans un magasin d'ordinateurs où j'ai acheté cet
ordinateur portable miniature et il a acheté un ordinateur portatif pour son frère.
Nous avions l'air de riches Américains qui débarquaient dans un pays pauvre pour
acheter tout ce qu'ils voyaient, parce que les prix exorbitants du pays pauvre
sont des prix dérisoires pour celui du pays riche. Nous achetions des ordinateurs
comme on achète des croissants, car la livre est tellement forte ces temps-ci...
Après notre journée de lèche vitrine et notre burger au Burger Heaven, où Antonio
est tombé en amour avec une jeune femme du Maroc qui parlait français, nous sommes
retournés à l'hôtel. George avait lui aussi découvert le Banana Republic et
avait acheté des pantalons tellement tapette que j'ai voulu rire qu'il puisse à
la fois être si homophobe mais vanter les mérites d'un magasin évidemment gai et
qui vend des vêtements que je n'oserais même pas porter moi-même. Enfin, nous
sommes allés au sommet de la tour numéro un du World Trade Center, dans un bar
appelé Windows on the World. Vue superbe de tout New York au 107ième étage et atmosphère
très chic. Sans doute l’endroit idéal pour les rendez-vous d’affaires. Le
client, impressionné par la vue sur New York du haut d’une des tours du World
Trade Center, signe les contrats instantanément. J'y ai discuté avec Roberto
qui m'a expliqué comment, à investir 1000 livres à la bourse, il a fait 20,000
livres de profits en moins de six mois. Je ne crois pas qu'il soit gai, mais il
est un peu comme James. Ils ont longtemps été rejetés, semblent un peu déplacés
en société et se sont construits leur propre petit univers. Ainsi ils m'aiment
bien car moi aussi je suis rejet et je leur prête une oreille attentive. Je ne
les ai pas jugés comme les autres ont fait, et bizarrement j'ai avec eux des
conversations profondes et intelligentes que je n'aurais jamais avec aucun des
autres. En plus, Roberto et James sont très intelligents.
Je suis dans le train qui m'emporte à Londres. Je vais enfin revoir James,
après tout ce temps. J'espère qu'il sera encore là. Je me souviens maintenant
de New York et je me sens mieux que ce soit terminé. Pourtant j'en garde un bon
souvenir, ces taxis jaunes dans New York afin d'aller retrouver Ed sont une
passion. 21ième rue entre la 5ième et la 6ième s'il vous plait. Ed a gardé sa fraîcheur
et certes sa façon de flirter avec le peuple. Il dit que cela l'a apporté loin,
dans les meilleures soirées en ville, avec les gens les plus connus de New York,
mais que finalement cela n'avait pas de but et il a arrête de sortir. Après
avoir mangé au New Jersey de l'autre côté de la rivière, nous sommes allés dans
un bar assez plat avec des vieilles new-yorkaises, entre autres, qui se
prenaient pour le nombril du monde. Je suis parti dans les cinq premières
minutes pour aller rejoindre ED à Chelsea. Lorsque je suis entré j'ai bien
compris que j'allais encore voir la qualité new-yorkaise en action. La
trentaine de personnes présentes étaient tous très bien habillées, dernier cri
de New York, dont plusieurs avec des gilets moulants montrant leurs gros
muscles. Il fallait à mon avis faire de l'exercice et être présentable pour
être accepté dans ce cercle d'amis. Comme d'habitude, à New York ou Ottawa,
tous se tenaient dans la cuisine et quelques-uns m'ont parlé. Un super de beau
jeune homme qui adorait le Québec et qui aimait mon accent. Pourtant il est
vite parti, et malgré notre longue conversation, est parti sans dire au revoir.
C'était la première fois que je me retrouvais avec plus d'une trentaine de gais
tous très beaux, n'importe lequel aurait fait l'affaire, et peut-être même
j'aurais développé des sentiments pour plusieurs d'entre eux, avant qu'ils ne
me rejettent à la rue. Heureusement nous n'avions pas le temps. Je suis allé
prendre un verre avec Ed ailleurs où nous nous sommes répété combien nous étions
spéciaux l'un pour l'autre et que nous nous aimions encore, avant que je ne disparaisse
dans les rues de New York dans un taxi jaune : Lexington Avenue, coin
57ième Avenue.
J'en aurais encore long à dire sur mon voyage à New York mais je manque même
le temps de l'écrire et j'aime mieux parler de ce qui m'occupe maintenant. James
que je verrai dans quelques minutes. Mais cette fois il faut que je travaille.
Je n'ai plus rien mangé depuis deux jours. Je me suis couché à 4 heures
du matin deux nuits de suite pour terminer cette conférence qui pourtant n'est
pas encore terminée, et qui sans doute ne le sera jamais. Hier, saoul, j'ai
envoyé des photos à James, dont celle que j'ai pris hier dans le pub, mais avec
des couleurs transformées, il est maintenant vert... aujourd'hui je regrette
cette folie et j'espère qu'il ne va pas m'en vouloir. Mais j'ai encore plus honte
de ce que je lui ai envoyé, deux photos de moi, et pourquoi l'aurais-je
fait ? La logique est simple pourtant, celle du pub n’était pas assez
bonne, alors j'ai envoyé ma meilleure photo de moi, puis la deuxième fois j'ai
envoyé celle du pub. Mais voilà, aujourd'hui ça ne semble pas correct... enfin,
je verrai. Je suis trop zombi pour continuer, voilà Oxford Circus.
Le jeune con, c'est une cause perdue, je ne crois pas qu'il soit gai.
Parfois je le regarde et je me dis, heurk, il perd ses cheveux, on dirait qu'il va mourir bientôt. Et puis d'autres
fois je le regarde et je me dis, quel visage, quelle sagesse, quel corps !
Lorsqu'il me pose des questions comme, est-ce que Léonardo di Caprio m'intéresse,
je me demande si lui ne s'intéresserait pas par hasard à Léonardo. Lorsque je
lui demande, il me demande pourquoi il s'intéresserait à Léonardo. Puis je lui
ai posé d'autres questions, comme si j'assumais qu'il était gai, et chaque fois
il a répondu avec une question : pourquoi écouterais-je « Queer as
Folk » à la télé ? C'est une façon de ne pas répondre. Et mes
questions à propos de quelles femmes l'intéressent ne sont pas plus
fructueuses, il évite les réponses. Pourtant, tout le reste m'indique qu'il est
hétéro à en mourir et que je n'ai aucune chance. Et j'en ai assez de perdre mon
temps, mais c’est vrai que je suis très fatigué pour l'instant.
Je suis en état de choc en rapport à la réaction de James. Il ne supporte
plus aucune blague et tout est de ma faute. Il était violemment à me raconter
quel enfer je semblais lui faire subir avant que l'on ne commence à se parler.
Je ne m'étais point rendu compte jusqu'à quel point mon orgueil pouvait me jouer
un mauvais tour. Il m'a lancé en pleine face que je ne lui ai jamais parlé
avant, que chaque fois que nous avons parlé au bureau, j'ai contredit tout ce
qu'il disait, que j'étais vraiment « unfriendly » et arrogant. Ça m'a
fait chier, et son ton en plus. Que cherche-t-il donc à accomplir avec ses
crises ? Non seulement c'est hétéro à mourir, mais en plus ça nous court après
comme jamais un gai ne le ferait à cause de sa dignité, et ça vient nous
accuser des pires atrocités. C'est lui qui s'est assis à côté de moi dans
l'avion qui nous emmenait à Nice. Je me souviens, il m'a fait lire un article
ou un sidéen se lamentait que son amie de fille racontait à tous qu'il allait
bientôt mourir. Ensuite il m'a demandé plusieurs fois si j'avais l'impression
que j'allais vivre très longtemps. Quelle belle façon de commencer une amitié,
me disais-je ! Ensuite il s'est assis à côté de moi dans l'autobus de Nice
jusqu'a Cannes, puis m'a couru après lorsque nous sortions du Caffé Roma pour
aller vers la plage. Moi-même je ne m'abaisse plus à poursuivre ainsi les gens,
ce qui explique que je l'ai complètement ignoré au travail les trois premiers
mois, alors qu'il s'asseyait juste à côté de moi. Pourtant, j'ai bien vu sa
jeunesse, sa beauté, j'aurais bien voulu lui parler, et même, l'embrasser, mais
de quoi aurais-je eu l'air ? Du gai qui va s'imaginer des espoirs, qui
drague tout ce qui bouge dans le bureau sans arrêt ? J'aurais eu l'air
d'un pervers, c'est cela les préjugés d'autrui, ça fait que je ne parle plus a
personne. Je m'enferme dans mon petit univers et je m'enfonce dans l'ordinateur
davantage chaque jour. Des extraterrestres qui nous regarderaient du ciel sans
comprendre que l'on regarde quelque chose sur le moniteur, pourrait penser que
les humains sont bien bizarres de passer leurs journées ainsi : regarder
un bloc an frappant sur une planche toute la journée. Sans doute seraient-ils
davantage surpris de comprendre que c'est ainsi que l'on a un toit, un réfrigérateur
et une automobile. Encore que ces choses ne font peut-être aucun sens pour eux.
Enfin, si je suis si monstrueux dans mon arrogance, pourquoi donc me courir après ?
Pourquoi toute cette histoire ? Pourquoi moi ? Il est vrai que je m'assois
à côté de lui, mais enfin, Antonio aurait pu faire l'affaire. Jaz ou Dan également.
Mais lui et Dan c'est la compétition. George est un monstre, et Marvin et Jaz vivent
dans leur propre univers, à se satisfaire de conférences jusqu'a ce que ça leur
sorte par les oreilles. Aussi, ils sont tous deux directeurs et donc peuvent
nous bouffer à tout moment. Leur job est de nous tomber dessus, nous prendre en
défaut, nous reprocher d'exister et de prouver qu'ils sont meilleurs que nous,
sinon ils ne mériteraient pas leur poste. Ainsi donc, s'il me parle à moi,
c'est que tous les autres sont trop pleins de bugs psychologiques intenses et
que moi, étant gai, j'avais l'air inoffensif. C'est par processus d'élimination,
après avoir rejeté tous les autres, qu'il a décidé de me poursuivre. Encore que
je pourrais me tromper. Bref, si je suis si monstrueux, il n'a qu'à me laisser
tranquille. Je ne lui ai rien demandé et il m'apporte davantage de soucis que
de bonheur. Encore des histoires impossibles... s'il est gai, qu'il le dise au
lieu de tourner autour du pot. Et s'il est hétéro, il n'a qu'à se trouver une
blonde et la fourrer au plus sacrant.
Aujourd'hui il a installé la photo d'un homme sur son moniteur. Pendant
un instant je suis demeuré bien perplexe. Je puis bien comprendre qu'il adore
le football, mais j'ignorais qu'il aimait tel joueur au point d'avoir sa photo
presque encadrée au bureau. Or, les hétéros ne font pas cela, et les gais ne le
font pas dans un milieu de travail à moins d'être très flamboyants. En fait,
les seules personnes que j'ai vues faire de la sorte sont les gais encore dans
le placard. Ils n'avouent pas être gais, ne s'avouent pas être gais, mais voilà
que des indices imperceptibles ou flagrants ne cachent point la vérité. Toutes
ces choses qu'il semble vivre, il me semble que j'ai passé à travers cela voilà
dix ans, et lui n'en est encore qu'à ce point. Pourtant, avec toute sa
jeunesse, il n'a que trois ans de moins que moi. Alors il doit être un vrai
retardé s'il est gai et encore dans le placard. Et le pourra être encore
longtemps. Enfin, il m'avouait aujourd'hui, entre deux discours moraux sur le
fait qu'il ne me dira rien de sa vie, que sexuellement il était assez passionné
et excité. Je ne crois pas qu'un gai dans le placard puisse être une bête au
lit avec des filles. À moins que ce ne soit des mensonges. Je suis tout à fait
confus. S'il me ment en plus, je ne m'en sortirai jamais. Je vois des
contradictions, mais je ne peux que m'inventer des histoires.
Peut être ne devrais-je pas le juger si sévèrement, comme lui m'a jugé. Ça
a été une journée particulièrement stressante aujourd’hui, car à Cannes nous
n'avons rien fait alors que nous devions prendre des notes et rencontrer des
gens de l’industrie. Et voilà que nous devons écrire des pages et des pages de
comptes rendus et que nous devons montrer la centaine de cartes d'affaires que
nous devions ramasser et communiquer les résultats de notre épuisante recherche
à travers les centaines de kiosques du congrès. Alors toute la journée c'était :
comment s'inventer des rencontres, produire des cartes d'affaires sur demande, écrire
une cinquantaine de pages sur des événements fictifs ? Avoir su, nous
aurions écouté les conférences et nous aurions rencontré quelques personnes,
cela aurait été plus facile. Mais nous étions tellement mort que l'idée de
traverser le Palais des festivals était suffisante pour nous faire vomir. James
a fait énormément de stress toute la journée et moi je m'amusais à l'accuser de
choses qui ne sont pas vraies. Alors il a pris le temps d'exploser pour me reprocher
de lui reprocher des mensonges alors que moi j'en ai beaucoup de choses à me
faire reprocher. Et là il m'a lancé une liste. Le pauvre, il ira mieux demain
sans doute.
Hourra ! En ce vendredi matin assez déprimant sur Londres, alors que
je n'ai ni dormi ni mangé de la semaine et que je suis dans un état lamentable,
voilà que ma toute dernière paire de pantalons hier me semblait trop grande et
que ce matin mes trois plus petites paires me vont mieux que jamais ! Même
lorsque j'ai commencé à travailler voilà 9 mois, ces trois paires étaient trop
petites... ce matin est cause pour célébration ! Maigrir lorsque l'on est gros
est une des choses les plus difficiles à accomplir. C'est tellement chiant et
impossible qu'il faut presque un miracle pour nous convaincre qu'il est temps
de prendre cela au sérieux. Pourtant, si l'on comprenait vraiment les conséquences,
jamais nous ne deviendrions gros. Soudainement je suis tellement plus
beau ! En plus, on me parle bien davantage, multipliant mes chances de déboucher
quelque part plus rapidement. Je me sens bien mieux aussi, je puis monter les
trois étages au travail sans même y repenser (je n'arrive pas a croire que j'en
étais à prendre l'ascenseur. Malgré la grosse lasagne dégueulasse et les frites
que j'ai mangées hier, parce qu'avec le nombre d'heures que j'ai dormi je
pensais perdre connaissance si je ne mangeais pas, aujourd'hui je n'ai jamais
été aussi mince que depuis mes premiers mois sur Cavendish Square voilà deux
ans.
Bon, maintenant j'en reviens. Quel matin déprimant aujourd'hui à Londres.
J'espère que James sera de bonne humeur et qu'il ne me chantera pas des bêtises.
Je vais l'inviter à prendre un verre après le travail, je pense qu'il s'invente
maintenant des raisons pour ne pas me voir en dehors du travail. Il évite de
venir pour une demie pinte sur l'heure du midi maintenant. Enfin, on verra.
Bon, comme je pensais, il a évité une rencontre en dehors du travail.
Mais il a de bonnes raisons, il va à une conférence puis s'en va à Manchester
or whatever chez ses parents. Le cordon ombilical n'est pas encore coupé, il a
ce besoin peut-être croissant de retourner au nid où sa mère le couve comme un
œuf informe. Ce matin nous étions ensemble à l'entraînement du nouveau système email,
et pour la première fois je l'avais très près de moi, je pouvais aussi le
regarder de proche. Aucun doute, il est vraiment beau. Le voir nu serait déjà
quelque chose d'impressionnant. Je pense qu'il doit en avoir une grosse, car il
est grand et mince. Juste à imaginer qu'il prend plaisir à faire l'amour avec
une femme et jouit comme un malade m'achève. Je crois qu'il tente de prendre
ses distances, sans doute, comme d'habitude lorsque je me fais de nouveaux
amis, je suis allé trop loin. Je l'ai aliéné. Mais ce n'est pas si grave. Je ne
suis plus à l'âge de vouloir me faire des amis, au contraire, je suis tellement
écœuré de tout que je veux juste la paix. En plus je n'ai plus aucune patience
pour rien. Je snap très rapidement et j'envoie chier tout le monde. Redevenir
beau à perdre du poids semble avoir un effet dévastateur sur moi, car
maintenant j'ai une prétention supplémentaire à mon actif, je ne suis plus un
gros laid que l'on ignore, j'ai droit à toute l'attention de tout le monde.
Alors je suis encore plus monstrueux que jamais. J'espère encore cependant que
redevenir beau va avoir l'effet contraire et m'arrêter d'être constamment
frustré. Cela me redonne goût à la vie et je vois enfin qu'il y autre chose que
le travail, bien que je passe le clair de mon temps à travailler. Je me tenais très
près de lui, trop près de lui, mais il ne semblait pas embarrassé, ou prêt à me
repousser. Je le regardais, il me regardait, nous nous regardions, et c'est
bien. Sauf qu'à un moment donné il devenait un peu trop à l'aise et indécent et
qu'il mimait fumer son stylo comme s'il humait un joint, et je me suis distancé
car dans la salle nous avions le directeur général des télécoms et le président
directeur général de toute la compagnie. Nous n'étions que six dans cette salle
et nous devions nous envoyer des emails et attendre les réponses de tous à une
question prise au hasard. La question que j'ai posée était : devrions-nous
prendre le reste de la journée off ? Question à laquelle je n'ai reçu que
des réponses positives, sauf du directeur général des télécoms. Mais au moins
j'ai reçu une réponse positive du président directeur général de la compagnie.
Pourtant je suis au travail cet après-midi. Je n'ai aucun respect pour l'autorité.
Je m'en fous.
Christ de tabarnack de christ de calice d'hostie ! Ce n'est pas tant
que leur christ de système de métro est pourri à mort à Londres, non plus que
pendant 30 minutes je me suis gelé le cul à Oxford Circus, mais plutôt que l'on
m'a fermé cette stupide grille au visage et que pour 5 secondes de retard j'ai
dû endurer 30 minutes de froid et d'attente ! J'ai envie de tous les
tuer ! Ça termine une christ de semaine d'enfer pourrie au maximum, preuve
que la vie fait vraiment chier.
Enfin, ils ont rouvert les portes, j'ai manqué le train par 4 minutes et
j'ai pris le premier train direct pour Richmond une minute plus tard. Souvent
lorsque je suis coincé ainsi, je fais autrement que de rentrer directement chez
moi. Comme s'il s'agissait d'un signe qui m'indiquerait que la destinée
m'appelle et que je ne doive pas rentrer à la maison immédiatement. Sait-on
jamais, je rencontrerais peut-être l'amour de ma vie, encore plus beau que James,
et qui demeurerait tout près de chez moi. Bien que parfois je pense également
que la destinée n'a rien à voir avec ça et qu'essentiellement je ne fais que
profiter de l'occasion pour dériver encore plus, une fois que l'on m'a lancé
hors voie. C'est une bonne chose, car alors il m'arrive des événements
inconnus, des choses distrayantes et il s'agit là d'une motivation à exister.
Mais voilà, à Richmond je me suis aventuré au pub gai, mais ils ont pris plus
de trois minutes pour me servir, j'ai eu le temps de me rendre compte que le
beau monde avait l'air un peu trop prétentieux et je suis parti. Tous les
magasins venaient juste de fermer, comme d'habitude. Je me demande bien comment
ils espèrent vendre quoi que ce soit alors qu'ils ne sont ouverts que lorsque
l'on travaille. Enfin, j'ai repris ce bus piteux entre Richmond et Hounslow, je
retourne à Isleworth, et rien ne s'est produit. Rien de distrayant ou motivant.
Au contraire, je n'ai fait que perdre un temps fou et m'épuiser dans les trains
et autobus. Alors question destinée, à quoi aurait-il donc servi que l'on me
bloque l'entrée à Oxford Circus et que cela me prenne deux heures pour
retourner à la maison ? À rien. La vie fait vraiment chier...
J'ai passe le week-end à télécharger des choses sur le net pour mon
nouvel ordinateur, et je me rends compte ce matin, en me rendant au travail,
que j'aurais peut-être dû vivre et respirer au lieu de perdre autant de temps
inutilement. Aussi je suis content d'aller retrouver mon nouvel ami au travail,
celui qui m'a redonné l'espoir que l'on peut toujours rencontrer quelqu'un
n'importe quand, mais un bilan de notre relation de ces derniers jours
m'indique que ça ne va nulle part. C'est clair qu'il a un problème, mais ne
m'en parlera pas car l'occasion ne s'y prête plus. Nous étions amis à Cannes,
mais de retour à Londres nous sommes collègues. Il existe cette chance qu'il
soit gai, mais il est bien trop coincé si c'est le cas. Il est plus probable
qu'il ne soit pas gai et qu'en plus il évite de venir avec moi sur l'heure du midi.
Aussi je doute que nous irons prendre un verre après le travail. Pourtant la fréquence
de ses messages emails me laisse songeur. Je doute qu'il m'en écrira autant
cette semaine, mais nous verrons. Enfin, j'avais hâte de retourner, mais plus
maintenant. Je souffre parce qu'il n'a pas un intérêt aussi marqué envers notre
amitié et que je ne puis plus me contenter de messages électroniques alors que
nous n'osons même pas nous regarder.
Stephen, mon copain, a encore passé un week-end infernal parce qu'il
avait une entrevue ce matin avec une compagnie qui fait partie du groupe de sa
maison mère. Le stress l'a presque mangé vivant. Plusieurs fois il a tenté de
commencer des crises, heureusement il s'est calmé rapidement chaque fois. Il
n'a pas dormi cette nuit. Il ne se doute pas que si je suis au régime c'est que
j'ai bien l'intention de faire du changement. Je veux être avec quelqu'un que
j'aime, dont je ressente quelque chose lorsque je pose ma tête sur sa poitrine.
C'est lui maintenant qui vient à moi pour le sexe, une fois par semaine, car
moi-même y ait perdu tout intérêt. Une transition ne sera pas facile, quant à
mon avenir en Angleterre, il était une sûreté, cela fait cinq ans que nous
sommes ensemble et les lois auront eu le temps de changer d'ici deux ans. Sans
doute il serait facile de demeurer au pays en disant que nous sommes un couple.
Mais cela ne sont pas des raisons suffisantes pour ne pas être avec la bonne
personne. Sil me faut partir, je partirai. Même si c'est en plein milieu de mes
études. J'irai les terminer au Canada. Mais il serait difficile d'emporter mon
nouveau copain avec moi, David qui retourne au Canada en fait l'expérience avec
son Enrico. Comme David dit : Canada, l'État totalitaire, quand on en
vient à parler immigration. Les amours internationaux, chez les gais, sont des
amours impossibles.
Hier James s'est beaucoup questionné sur ces filles qui s'étaient intéressées
à moi à Cannes, d'autant plus qu'aucune ne s'est intéressée à lui. Pourtant je
suis bien convaincu qu'il n'a aucun problème à trouver une blonde, mais à mon
avis il cherche fort et en plus je pense qu'il a un blocage psychologique, mais
peut-être pas. Enfin, je ne me surprendrais pas si, même en étant hétéro, il
finisse dans mon lit, mais cela je veux l'éviter à tous prix. Je ne veux pas de
lui s'il n'est pas gai. Quelle sorte de monstre peut aller avec un gai quand il
est hétéro ? Je finirais par en souffrir un méchant coup. S'il est pour
trouver une blonde, j'espère qu'il la trouvera au plus vite et me laissera
tranquille. Il a dit ne pas venir au pub, mais il est venu. Il est vite reparti
par contre et s'est assuré que je n'allais pas partir avec lui. Je crois qu'il
commence à s'inquiéter avec son image. Encore une fois aujourd’hui quelqu'un de
la compagnie est venu, cela ne lui a pas fait plaisir. Demain il ne viendra pas
au pub, ça je le sais, car il n'aurait pas dû venir aujourd'hui. C’est assez
bizarre et je ne suis pas sur d'aimer trop cela. Il m'a demandé si les filles
du Canada aimaient le « Dry Sex », c'est à dire faire l'amour sans enlever
leurs vêtements. Où va-t-il chercher cela ? Il a dit qu'il a couché avec
deux canadiennes et que son ami aussi, et que chaque fois c'est la même
histoire. Finalement je lui ai dit que je n'en savais rien, que je ne m'intéressais
pas aux femmes canadiennes (je m'en fous-tu tu penses ?). Cette histoire
n'a vraiment pas d'avenir.
Bon, j'ai maintenant la certitude qu'il ne soit pas gai, cependant, et
c'est la l'intérêt, les filles ne le trouvent pas suffisamment beau et par
conséquent il semble incapable de trouver une nouvelle blonde. Je me demande
bien pourquoi, parce que il est très beau, malgré qu'il soit vrai qu'il semble
perdre ses cheveux et que cela ne se voit que lorsque je transforme sa photo en
vert. Il ne m'en a pas reparlé, de cette photo que je lui ai envoyée. Je me
demande jusqu'à quel point sa situation est désespérée, suffisamment pour qu'il
se dise très seul et misérable à Londres. Pourtant il n'a aucune attache, il
peut sortir tous les soirs n'importe où, il y a plus de 14 millions de
personnes à Londres. Moi je suis attaché et ça complique les choses. Donc, sans
doute pourrais-je poursuivre et peut-être qu'éventuellement je coucherais avec,
mais je crois que je vais plutôt oublier ça. C'est une perte de temps et je ne
crois pas qu'il aimerait trop cela, se contenter de moi parce qu'il ne peut se
trouver de blonde. Il va falloir que lui-même fasse toutes les démarches à
partir de maintenant s'il veut me voir ou aller au pub. Car moi je retourne à
mon anonymat que je n'aurais jamais dû quitter. Merde, s'il n'était pas venu me
parler aussi, je continuerais ma vie normale, et en plus j'aurais terminé ma conférence
et mes rapports sur d'autres conférences bien plus tôt. Et je n'aurais pas ce désir
immense de rencontrer quelqu'un de nouveau que j'aimerais. Rencontrer quelqu'un
de nouveau avec qui partager quelques mois, sinon des années, est impossible.
Je ferais peut-être mieux d'oublier cette idée et de recommencer à manger comme
un porc.
Mon Dieu, qu'ai-je fait ?
J'ai trop bu hier et j'ai envoyé un de ces messages à James qui disait des
choses assez effrayantes. Je me souviens
de lui avoir dit que je l'aimais et j'ai répété au moins cinq fois que je
voudrais le prendre dans mes bras, oh merde, aussi que je voudrais me retrouver
nu avec lui ! Aujourd'hui il est tout paniqué, il comprend à moitié car
j'ai écrit en français, et il voulait rompre les ponts entre lui et moi parce
qu'il s'imagine que j'ai perdu la tête et il affirme ne pas être gai.
Je ne crois pas qu'il viendra au pub ce midi, je crois qu'il va prendre
ses distances. Pourtant il a passe l'avant-midi à m'écrire des emails. Je crois
que l'intérêt que je lui porte l'intéresse, même s'il ne peut aller plus loin.
Je suppose que, parce qu'il dit que peu de femmes s'intéressent a lui,
quiconque s'intéresse à lui est une bonne nouvelle. Tient, il vient d'entrer au
pub... sans doute il veut sa traduction. Mais aussi, comment interpréter
cela ? Je l'ignore. Enfin, j'ai mis de la vie dans notre amitié. Encore
quelques gaffes et toute notre semaine sera remplie et aura été excitante. Faut
voir ça comme ça. Il vient de me dire que je devrais continuer a écrire, qu'il
n'est pas intéressé à parler, il est venu pour lire son Paul Auster, The Art of
Hunger, moi qui suis à la diète. Peut-être aussi est-il embarrassé ?
Je suis maintenant au pub The Escape à Soho où j'attends David. James est
venu me rejoindre au pub, je crois qu'il voulait savoir le contenu du message.
God, cela a tellement été embarrassant de lui dire que je disais que je
l'aimais et que j'aimerais le prendre dans mes bras et le squeezer. Il a semblé
effrayé à cette idée. Finalement il n'a pas trop réagit, tout est maintenant
revenu à l'ordre. Ce soir il est tout excité parce que England joue contre
Argentine, football-soccer, ça m'a fait débander. J'ignore ce qui m'a passé par
la tête, c'est clair que quand quelqu'un aime le football, il est hétéro ! Enfin, je pense que je vais finir par décrocher...
Certes, je ne suis pas en amour par-dessus la tête, alors ce n'est si pire. Mon
Dieu, je viens de me rendre compte que je lui ai fait lire le résumé de la Révolution
et que cela dit que le personnage principal va mourir bientôt. Il va aller
s'imaginer que j'ai le sida et que je vais bientôt crever. D'autant plus qu'il
avait l'air obsédé par cela dans l'avion qui nous emportait à Cannes.
Devrais-je lui en reparler ? Je verrai.
Enfin, Stephen lui est entré dans une dépression, convaincu que j'ai
rencontré quelqu'un, et m'a à peine parlé ces trois derniers jours. Le tout a
commencé mercredi soir passé où j'ai rencontré mon meilleur ami québécois,
David, et son copain Enrico à l'Escape. Enrico semblait très intéressé à moi et
toute la soirée ne faisait que des allusions à notre possible union après le départ
de David pour la Chine. Avec toute cette histoire que je ressemble à la seule
personne qu'il a aimée, j'ai cru que peut-être il était intéressé. Le lendemain,
par messages électroniques via nos téléphones mobiles, nous avons échangé toute
une conversation assez amoureuse, jusqu'à son dernier message où il m'annonçait
qu'il aimait David. Eh bien j'ai fait une croix instantanée là-dessus et cela
me soulagé, je ne pouvais pas le prendre, il est à David. Mais il est vrai que
d'habitude David n'est pas jaloux, et m'a dans le passé donné son ex-copain Stéphane
le temps d'une nuit, mais semble-t-il, cette fois-ci c'est différent.
Le lendemain j'étais encore dans un pub de Londres avec James, après
avoir cherché un endroit où personne de notre compagnie n'était. J'ai comme
d'habitude raconté des niaiseries toute la soirée, me rapprochant de lui
davantage, au risque de tomber en amour complètement alors que c'est une
histoire impossible, puisqu'il s'intéresse aux femmes. Le lendemain il disait
que cela avait été une soirée où il s'est amusé, ce qui était rare. D'habitude
il va au pub avec ses amis et peu après avoir commencé le rituel de la boisson,
tous deviennent silencieux, ils boivent sérieusement afin d'oublier leur
existence, ils sont comme en transe. Ainsi il s'est amusé. En plus il pense que
je suis un génie. Voilà pourquoi je pourrais l'avoir au pub avec moi tous les
soirs de la semaine, mais cela ne pourrait jamais aller plus loin. Pour preuve,
le lendemain que je lui ai pincé une fesse à la blague, il a bien failli faire
un infarctus.
C'est ce jour où Antonio, notre collègue, nous invitait à découvrir ce
qu'il faisait, lui, dans ses temps libres. Comment des collègues assis un à côté
de l'autre peuvent appartenir à des univers si différents. Moi je suis perdu
dans le monde gai de Londres, un univers bien différent de tout le reste. James
n'a aucune manière et ne fait qu'aller se saouler au pub tous les soirs à
courir les matchs de football. George est un homme marié qui ne sort plus de
chez lui, Marvin est marié à son emploi et ne semble plus sortir du bureau, sa
blonde fait de même donc cela ne détruira pas son mariage. Antonio lui a de la
classe. Premièrement il nous a emmenés au Mezzo, un chic restaurant de la ville
à Soho, où il nous a expliqué comment il attrapait ses blondes : il
suffirait de les emmener dans ce restaurant dont les additions sont de 80
livres en montant. Je veux bien croire qu'il peut se le permettre, ses bonus étant
très élevés dans le moment. Il nous a également expliqué que le problème était
que, lorsqu'il emmenait une fille dans cet endroit, elle voulait toujours
revenir, ce qui était bien sûr hors de question. Moi, James, Antonio et Nick (le
front arrière comme je l'appelle, nous sommes tous assis dans la fenêtre du
fond), nous nous sommes levés à exactement 17h30 pour déguerpir du bureau au
lieu de 18h00. Cela a dû causer un choc dans le bureau. Antonio m'a insulté
plusieurs fois, à raconter les histoires maintenant célèbres de mon mariage
avec une lesbienne punk sadomaso et toutes mes extravagances. Ensuite nous
sommes partis pour The Atlantic Bar à Soho où il avait réservé pour quatre, il était
sur la liste des invités, nous évitant ainsi de faire la file. Oh, à l'intérieur
c'était chic et luxueux. Il disait que c'était l'endroit de rêve afin de
rencontrer les plus belles femmes de grande classe de Londres. Pourtant ces
gens qui se donnaient un air de classe n'en avaient pas. Antonio a sorti des
cigares et nous avons fumé comme si nous étions sur le Titanic et que nous
allions couler d'un moment à l'autre. J'ai bien du dépenser plus de £ 100
dans ma soirée, quel con je suis. Si je ne me sentais pas à ma place, il
fallait voir James, qui lui était même incapable de prétendre s'amuser. Il
s'emmerdait. Jusqu'à ce que l'on rencontre deux belles filles potentiellement intéressantes.
Malheur, l'une d'elle travaille pour notre compagnie et est d'une prétention à
tout casser. L'autre travaillait avec moi chez le compétiteur voilà quelques
années, puis a travaillé pour ma compagnie actuelle avant que je n'arrive.
L'une d'elle a été éliminée d'emblée car trop ridée... cela n'en laissait plus
qu'une, celle qui disait que nous nous étions rencontrés à Cannes, mais j'étais
déjà trop saoul pour m'en souvenir. Enfin, Antonio semble avoir développé des
tactiques assez impressionnantes, car sa première tâche était d'éliminer ses
concurrents. Avec moi cela a été facile. Après 30 secondes, il avait déjà
trouvé le moyen de leur dire j'étais gai. En ce qui concerne James, la bitch prétentieuse
disait qu'il était beau, mais jeune. Quelle insulte ! En plus il était intéressé
à elle, elle est trop poufiasse pour s'en rendre compte et elle ignore ce
qu'elle a manqué. Tant mieux. Enfin, la seule raison pourquoi tous étaient là,
bien sûr, c'était pour ramasser quelqu'un et avoir une aventure d'un soir. Sous
prétexte que les trois hommes près de nous étaient gais et qu'elles voulaient
me les présenter, les deux filles sont parti en coup de vent, et après avoir découvert
que ces hommes n'étaient pas gais (quel hasard !) l'une d'elle s'est
finalement en aller faire l'amour avec un intello à lunettes. L'autre, j'ignore
son sort. Enfin, j'ai parlé avec ses filles modèles toute la soirée, et après tous
les insuccès de James avec les filles, nous avons décidé de partir. À ce moment
il est disparu, mais m'a téléphoné sur mon mobile, j'entendais la musique de
l'Atlantic. Il m'a donc attendu, c'est moi qui suis parti sans l'attendre je
suppose. Je ne croyais pas qu'il voulait m'attendre.
Ce lundi au travail il n'avait que des choses à me reprocher. Lui pincer
une fesse, le courtiser devant tout le monde… comme il dit : j'étais en
dehors de mon arbre. Il ne veut plus me voir le soir pour une bière et ne me
verra que quelques midis par semaine, car c'est trop ! Il n'en peut
plus ! Il pense que tout le monde le sait qu'il m'intéresse, ce à quoi
j'ai répondu que c'était impossible puisque tout le monde ignore que l'on se
voit sur l'heure du midi, ou que l'on s'est vu après le travail un soir. Mon
Dieu qu'il faut être coincé pour s'inquiéter autant avec autrui, pourtant je le
comprends bien, et certes je regrette amèrement. Je ne crois pas qu'il viendra
ce midi au pub (il est déjà 15 minutes en retard) et cela me soulage. Je n'ai
point besoin d'une seconde conscience, la mienne suffit.
Si seulement ce fameux vendredi c'était terminé là, au bar l'Atlantic.
Mais au contraire, c'est là que tous les problèmes ont commencé. J'étais complètement
saoul à Piccadilly Circus et je devais me rendre à l'ouest jusqu'au Parc
Osterley. Eh bien, en marchant dans la rue j'ai téléphoné mon copain Stephen.
Quelqu'un s'est arrêté en voiture à côté de moi et me parlait. Pour une raison
que je ne comprends pas aujourd'hui, je leur ai donné mon téléphone. Comble de
malchance, le con a refermé la fenêtre et a demandé à Stephen s'il fourrait en
faisant l'amour... Stephen a manqué en faire une crise cardiaque. Il se
demandait où j'étais, avec qui j'étais. Hélas, il allait encore avoir des
surprises avant que je n'arrive...
En effet, en descendant le premier escalier roulant à Piccadilly Circus,
une petite fille, dont il m'est impossible de me souvenir si elle paraissait
normale ou anormale, peut-être une handicapée, descendait tranquillement avec
son père. À la vue de cette petite fille de 5 ans peut-être, je me suis tourné
vers le père et j'ai crié : Oh Mon Dieu ! Le vieux s'est mis à me poursuivra
travers la foule en criant : qu'est-ce qu'elle a ma petite fille !?
Alors j'ai pris peur et j'ai poussé tout le monde sur les escaliers roulants, espérant
échapper au vieux qui semblait prêt à me frapper. J'ai couru tant que j'ai pu
sur la plate-forme, mais quelqu'un m'a poursuivi et m'a frappé au visage de son
poing. À ce moment je n'avais qu'une idée, ne pas tomber sur les rails et
sauter dans le premier train. Je me suis faufilé jusqu'au dernier siège, les
deux mains dans le visage, et la rage m'a monté comme jamais elle n'a monté
dans ma vie. J'ignore si c'est le vieux qui m'a frappé ou un autre, parce que j'ai
poussé tout le monde sur l'escalier roulant, craignant justement d'être frappé
par l'autre. Eh bien, je ne m'étais jamais rendu compte combien il était facile
de recevoir un bon coup de poing dans le visage. Il suffit d'insulter une
petite fille ou de pousser quelques touristes, et puis quoi encore. Toute ma
vie on m'a ridiculisé, insulté à l'école, et même au travail dernièrement, et
jamais personne ne semble avoir payé pour toute cette souffrance que j'ai
endurée. Le lendemain je me sentais tellement coupable pour cette petite fille,
mais plus maintenant. Je le referais demain matin. Le peuple est tellement
pourri et c'est définitivement une jungle où le plus fort s'en sort. La morale,
le respect, j'ai toujours, semble-t-il, avoir été le seul à éprouver cela et
mettre cette bonté en pratique, et maintenant c'est terminé. La prochaine fois
je frapperai le père avant qu'il ne puisse réagir. C'est lui le problème, pas
moi. Au diable sa petite fille dont dire au père "oh mon Dieu" a
failli me coûter la vie en dessous d'un train et d'être dévisagé pour le reste
de mon existence. Je suis bien prêt à regretter deux jours durant une
maladresse irrespectueuse, mais il y a une limite à ce que je dois payer. J'étais
tellement enragé, que lorsque je suis enfin sorti du train et que je marchais
vers l'appartement, il y avait encore une femme dans mon champ de vision au
bout de la rue. Et j'étais comme fou, je ne pouvais plus concevoir que toujours
il devait y avoir quelqu'un là devant moi pour pouvoir me juger, qui d'un seul
regard pouvait me rendre inconfortable, m'obliger à me cacher, à ne rien dire,
etc. Je criais comme un défoncé : ôte-toi de ma vue ! Va-t-en !
Out ! La femme s'est mise à courir comme une folle. Rendu à la maison j'étais
dans un piteux état, je me suis mis à pleurer comme un malade. Cela faisait une
heure que j'avais déjà remis toute ma vie en question, j'allais me suicider là
sur le coup, j'allais moi-même me lancer devant les rails du prochain train, et
franchement je ne m'explique pas que je ne l'aie pas fait, car jamais je n'ai eu
une telle conviction qu'il était temps que je meure, que j'en finisse avec les platitudes
de l'existence. Dans le fond, je venais de comprendre que ma vie est d'une nullité
et d'une futilité mornes à mourir. Que la vie n'est que cette stupide
succession de terribles événements qui n'apportent que la souffrance et la misère.
Que j'étais incapable de nommer une seule raison au pourquoi je voudrais vivre,
à endurer cet enfer. Et puis je me suis calmé et je remettais en question mon
emploi et Londres. Je retournerais au Canada le plus tôt possible. Je n'allais
plus retourner au travail, je n'allais plus rien à voir avec cette vie
misérable. J'étais traumatisé, complètement terrorisé, enragé. À ce moment, et
durant la journée suivante, j'aurais pu me refermer sur moi-même, m'enfermer à
l'intérieur et ne plus jamais en sortir. Regretter à l'infini mes actions,
avoir peur du bon peuple de Londres chaque fois que je sors. Mais au contraire,
je suis devenu le pire des monstres. Je ne veux plus de conscience, je ne veux
plus de bonne manière, je veux une guerre et je veux la gagner ! Il n'y a
plus personne qui puisse se tenir devant moi, je m'en vais te les anéantir, les
détruire, tous les tuer. Ma patience, je ne connais plus ce mot. Je suppose que
c'est ainsi que les criminels commencent, après avoir été frappé par la police,
il n'existe qu'une issue, comprendre qu'il n'existe point de justice ou de
morale bonne à suivre. Tout est éclaté et l'on va vivre. You fucking
bastards ! Pour qui tu te prends ? Tu pourrais me frapper pour une
insulte bien subtile ? Ou parce que j'ai un peu poussé ta blonde dans la
rampe de l'escalier ? Pourquoi pas me tuer ? Cela suffira-t-il ?
Faut-il aussi exterminer la station en entier ? Bien, oui, je le pense.
Ce
que j’ai écrit dans le train après m’être fait frapper au visage :
it/ is/ extraordinary, how one thing can change your klife,.... i just/
Been hit in the faceby someone at piccadilly circus wand it s the end of it.../
i am rweadyu olto leave for canad.... crazyk,n i could qasault anyine, ic ould
kill i want to die... i thought of it,i qam readuy to jumo in front of thed
next un dergrtoundrem, ioi dont bgvicven a sgit an7yjmiore.... (Ib coukls kill
niw...
Je me fous bien du petit James aujourd'hui et ses petits tracas parce que
je lui ai pincé une fesse à la blague. Pourtant, un geste si simple et
insignifiant m'aurait emporté dans une cour de justice pour abus sexuel si
j'avais eu le malheur de pincer la fesse d'une femme. Cela m'aurait ruiné pour
la vie au niveau carrière, sociétaire, monétaire et mental. Pas trop de justice
sensée en ce monde. S'il faut mourir pour avoir eu l'audace de vous regarder,
alors que toute sa vie on a subi les plus sordides traitements d'autrui, eh
bien mourrons après vous avoir décapités.
Voilà, j'ai perdu beaucoup de temps à tenter de sauver une âme perdue,
celle de James, et maintenant je fais face à un licenciement immédiat. Il
semble à mon directeur que je n'ai rien fait depuis un mois, et bien que nous soyons
allés à Cannes et à New York, je dois avouer que j'ai fait très peu de choses.
Alors cette nuit je ne dormirai pas, je vais écrire une conférence et faire une
recherche complète. Cela me sauvera peut-être mais je n'en ai pas l'impression.
J'ai plutôt l'impression que demain on va me faire comprendre que peut-être ce
n'est pas le bon emploi pour moi. Il est impossible que ce ne soit pas le cas,
ou alors j'aurai une entrevue de l'enfer où l'on me posera 50 questions
impossibles à répondre. Je suis fatigué de toute manière, je n'en peux plus. Je
crois que je vais remettre ma démission moi-même. Je vais commencer à
travailler à temps partiel pour des agences pour les derniers six mois avant de
commencer mes études. Je crois que c'est le plus sage. Je pourrais également téléphoné
l'autre compagnie de conférences mais je n'en peux plus. Je crois que j'ai besoin
d'un changement radical. De toute manière, je suis acculé au pied du mur. Je
vais travailler toute la nuit, mais cela ne me sauvera pas. Il sera impossible
de terminer cette conférence à temps. Quand bien même je travaillerais pendant
trois semaines tous les jours 24 heures sur 24. Et puis, ma dernière conférence
n'a pas un seul délégué, encore une fois. Ça ne sert à rien de se battre, tout
est contre moi et ce n'est pas entièrement ma faute. Demain, s'ils me
questionnent, je leur dirai tout simplement que je quitte, que j'ai perdu ma
motivation, que je retourne aux études de toute manière et qu'ils me font tous
chier ! Merveilleux ! Je me demande si je vais me sortir de cette
situation ? J'ignore comment je vais payer mes études, je serai obligé de
travailler à temps partiel. Le cœur veut me sortir ! Je suis incapable d'écrire...
Comme prévu j'ai reçu un des emails les plus durs de toute ma vie, une
sorte de préambule pour un réunion où l'on m'annoncera la fin de mon emploi.
Mais j'ai eu le temps de répondre, me défendre, et j'ai dû trouver les bons
arguments, et les convaincre que je terminerais cette conférence à temps coûte
que coûte, car ils n'ont pas trop paniqué à l'entrevue. Au contraire, ils ont
cherché des solutions à mon problème. Maintenant, la question est la
suivante : que ce serait-il produit à ce réunion si je ne m'étais pas défendu
d'abord ? J'ai tout mis sur le dos de la directrice du marketing. Dieu
merci elle a eu le temps de se lamenter à mon sujet, cela m'a donné un avantage
extraordinaire. Je l'ai accusée d'incompétence, et que si j'étais tant en
retard, c'était purement sa faute. Qu'elle fasse son travail sans me demander
de le faire à sa place. Eh bien je crois que cela m'a sauvé. Et puisqu'elle est
directrice, mon directeur et son acolyte ne devraient pas la dénoncer. Cela ne
rebondira donc pas. Maintenant, si je travaille 16 heures pas jour pendant
trois semaines, sans doute cette conférence sera terminée à temps. Misère...
Je suis arrivé en retard au bureau. Une heure et demie est tout ce dont
quelqu'un a besoin pour anéantir le reste d'une carrière déjà pas mal amochée. Premièrement
j'ai envoyé un seul email à trois collègues pour leur donner une voie a suivre,
malheureusement j'ai copié quelqu'un qui ne devait pas l'être. Toute une
histoire ! Voilà que je fais face à une annulation absolue de deux jours
sur cinq de ma conférence à Prague la semaine prochaine. Qui eût cru qu'il était
aussi simple de s'autodétruire et de se précipiter dans les égouts sans l'aide
de personne ? En moins d'une minute tout le bureau était au courant, les
rumeurs se sont promenées plus rapidement que la vitesse de la lumière, ce qui
prouve hors de tout doute que ma théorie sur la relativité universelle est
vraie. Bon Dieu, tout dans cet univers est relatif, sauf notre emploi du temps
au travail et nos collègues. Eux ils sont comme coulés dans le béton armé et
rien ne les ébranlera. J'ai un mal de tête du tonnerre, je m'en retourne à la
maison avant d'exploser, afin de travailler sur ma conférence, enfin la
terminer, au travail cela est impossible. J'ai dû sortir du bureau pour aller respirer
dehors, et puis à mon retour je leur ai annoncé que je travaillerais à la
maison. J'étais à un doigt d'exploser. Et maintenant je me fous bien de mon
sort. J'aimerais mieux retrouver n'importe quelle vie misérable à mendier que
de retourner dans l'enfer de ce bureau et cette pression insoutenable, et ces
erreurs qui te menacent toi, ta vie, ton existence. Deux personnes dormaient
encore sur le bord du trottoir en sortant de la station à Oxford Circus ce
matin, et je me disais en les voyant : quelle chance vous avez ! Car
j'aimerais bien mieux avoir passé la nuit dehors à Oxford Circus dans un sac de
couchage et ne pas avoir de compte à rendre à personne le lendemain, que de
souffrir l'enfer de la dernière heure et demie. Tout cela s'est passé si
rapidement, que c'est effrayant. J'ai eu le temps d'envoyer une dizaine de emails,
surprendre la coordinatrice en train de montrer ces emails à la fille du marketing,
sortir marcher dehors, revenir pour ressortir en un éclair. Et maintenant je
suis complètement mort. J'ignore comment je vais travailler rendu à la maison,
je n'ai plus la force.
Où suis-je ? Au Rétro bar de Charing Cross. J'ai cherché partout mon
ami québécois David, à Soho, à Charing Cross, introuvable. Alors je suis venu
où la musique est bonne. Je suis au premier étage, on a joué Skin Trade de
Duran Duran, version originale, cela m'a accroché. Et je me suis dit, je ne
vais pas au deuxième si la prochaine chanson n'est pas bonne. Or, c'était
A-ha... Hunting High and Low, alors je suis encore assis au premier. La troisième
chanson n'est pas si bonne, je pense aller au deuxième. Un homme me regarde, un
peu vieux. Quelle histoire, un fils de riche, qui n'a rien à faire de sa vie,
et qui encore s'est échappé. Qu'il aille chier, je n'en ai rien a foutre !
J'ai passé la soirée avec James... je ne me souviens plus de quoi nous
avons parlé, mais je sais qu'il voulait me voir juste parce que je le fais
rire. Pourtant, en personne, l'homme se sent attaqué à l'idée que je pourrais
le sucer. Il dit qu'il me tuerait avant de me laisser le sucer. Comment en est
t-on arrivé sur le sujet ? Il répète tout le temps cette stupide expression
française : "suce ma bite", ce à quoi je réponds toujours :
bien sûr, n'importe quand, n'importe où. Alors l'homme ne fait apprécier que ma
compagnie parce que je le fais rire. Il doit s'emmerder pour vrai avec autrui,
pour ainsi supporter ma présence pour un rire, alors qu'il est si évident qu'il
me frapperait si je tentais de le toucher. Il en a une peur terrible. Si je le
touche un peu trop, il se met à paniquer... et je dois avouer que j'adore cela.
Il voulait que j'aille le rejoindre au Garage ce soir, à Islington... ce que je
donnerais pour être libre d'aller le rejoindre. Mais j'ai Stephen, et c'est son
anniversaire... triste, mais pas autant que de savoir que l'autre est hétéro à
mourir et qu'il me faut l'oublier.
Londres, encore aujourd'hui. La vie est déprimante, j'ignore pourquoi
c'est si déprimant. Je ne peux qu'assumer que le Canada l'est encore plus à
cette époque de l'année. Le travail est ennuyant, mais je pars pour Prague
dimanche prochain jusqu'à vendredi, ce qui n'est pas pour me déplaire,
finalement. Tout pour ne pas voir leur visage au bureau. Je suis tellement à
bout de nerfs que si ma directrice vient me voir pour me dire bonjour, je crois
que je me lèverai, briserai mon ordinateur et crierai : that's it, I'm
out ! La nouvelle Indienne parle beaucoup, woman talk, une vraie chipie.
C'est drôle de voir la directrice et la directrice générale se mettre à parler
comme des connes, elles s'adaptent selon les circonstances et d'habitude les circonstances
ne permettent pas ce genre de langage. Je m'en fous.
Me voilà au Ryan's Bar près du bureau. Voilà que je vais prendre un verre
avec James qui a presque explosé aujourd'hui au travail et que Stephen, lui,
vient de recevoir une sorte de mise à pied subtile qui dit qu'il doit postuler à
nouveau s'il reveut son emploi. Cela semble légal. James lui m'avoue que rien
dans cette existence ne le motive à demeurer en vie et qu'aussitôt que ses
parents meurent (je soupçonne que c'est plutôt aussitôt que son père meure), il
se suicidera. Et j'ai Stephen qui m'a téléphoné plusieurs fois alors que je
n'ai point entendu la sonnerie, et qui veut sans doute lui aussi se suicider.
Charmante journée en perspective, alors que moi-même je me bats comme un défoncé
contre les échéances et les problèmes au travail. On me surveille tant
qu'aujourd'hui j'ai presque explosé et quitté mon emploi. Je n'en peux plus,
cela me tue. C'est le mois de mars, et je le comprends mieux que quiconque, car
depuis 10 ans je souffre ce calvaire chaque année et je sais qu'à chaque fois c'est
une survie et bien des remises en question. Et cela ne se fait jamais
facilement.
Je comprends ce soir pourquoi j'ai
insulté cette petite fille l'autre soir. Ou le père plutôt. Après deux pintes
de bières seulement je comprends tout. C'est que lorsque je suis un peu en
boisson, je développe un mépris marqué pour tout et pour tout le monde. Je suis
prêt à les tuer autant qu'à me suicider. Je n'ai plus aucun respect pour rien,
sans doute parce que je ne puis voir qui que ce soit me respecter. En fait,
autrui me fait chier comme ce n'est pas possible. Qu'ils voudraient bien juste
ma mort que je le comprendrais très bien. James m'imitait aujourd'hui, comment
ridicule était notre emploi, mimant un appel téléphonique à Dieu sait qui, que
l'on tente d'avoir sur notre programme de conférence. Cela m'a tout à fait
convaincu que je faisais la job la plus insipide et insignifiante de la planète.
Plus inutile que les conférences, cela ne se fait pas. Pourtant l'on endure la
prétention, l'enfer, le calvaire. Dans le train ce soir, j'ai deux Finlandais
en vacances devant moi. Swedish, pardon, je viens d'entendre Sweden. Eh bien,
j'ai juste envie de me lever et de les frapper. Sans doute le vieux travaille
pour Ericsson (alors qu'il travaillerait pour Nokia s'ils venaient de la
Finlande). Or, cela je ne puis plus le supporter. En plus il est gros et laid
alors qu'elle est jeune et belle. L'aime-t-elle ou aime-t-elle autre
chose ? Les voyages à Londres par exemple, le rythme de vie. Sans doute
elle s'amuse davantage lorsqu'il est aux conférences. Peut-être également
s'emmerde-t-elle dans ce temps là... la pauvre, c'est alors qu'elle ne sait pas
ce qu'elle manque.
Alors que James semble vraiment savoir
ce qu'il manque, pourtant ce n'est pas là un argument. Il veut mourir, il n'a
jamais trouvé le bonheur, pas même avec une femme, et il est prêt. Pourtant ce
soir il a répété qu'il avait besoin d'une femme (de la sauter sans doute).
Pourtant il sait que cela ne le rendrait pas heureux. Misère...
Tellement de rêves, de choses à voir et à comprendre. Tellement de choses
extraordinaires, loin de cette réalité quotidienne et infernale, je pourrais
voir et accomplir aujourd'hui, que je me morfonds plutôt dans l'amertume et le
désespoir. Entouré cette fois de gens encore plus misérables que je ne le suis,
alors que trop souvent ces dernières années je me retrouvais seul au monde à
mourir dans ma peine.
Christ que j'en ai ma claque. Une journée de plus et j'exploserai, c'est
certain. En ce moment il me faut toute la volonté du monde pour ne pas sauter
au visage du premier étranger venu et lui démolir la face. Je suis tellement
rempli de rage que je pourrais facilement tuer quelqu'un. Comment un crétin qui
revient de 6 jours de vacances en ski vient me faire chier comme ce n’est pas
possible. Christ, pourtant je travaille du 16 heures par jour depuis deux
semaines, je continue de m'enfoncer, il m'accuse d'incompétence, me prend à
défaut sans cesse, je lui ai lancé bêtement que je devais partir, j'allais
manquer mon train. Si demain il m'attaque encore, je vais lui annoncer que
c'est terminé, je quitte la compagnie dans un mois. Et j'ajouterai que pendant
le prochain mois il va me ficher la paix ou je ne reviens plus du tout. Je ne
me ferai pas marcher dessus comme ça... J'aimerais pouvoir oublier ma journée,
la semaine, ma vie, car franchement cela n'en vaut pas la peine.
Je suis à Syon Lane, j'ai décidé de prendre moi-même les décisions, il ne
me semble pas que le tout me tombera du ciel. Trop longtemps j'ai attendu après
le ciel et si parfois une seule petite chose insignifiante et passionnante
survient, c'est probablement par erreur. Je m'en vais passer à l'action malgré Stephen
qui vient de perdre son emploi. Malgré que j'avais tant besoin d'argent pour
survivre l'an prochain à l'université de Londres, et une sécurité jusque là.
Malgré tout, je n'en peux plus. Je m'en vais me garantir les finances et leur
annoncer ensuite que je quitte dans un mois. Je crois qu'ils seront heureux, je
pense que c'est ce qu'ils veulent de toute manière. Je m'en vais faire la
demande de deux cartes de crédit de plus et je vais me sécuriser un prêt à la
Banque Royale de l'Écosse, ma banque à Londres. Et je vais m'inscrire à ces
agences et prendre des emplois temporaires un peu partout. Aussi, il me faut
développer ces contacts avec ces agences maintenant, ainsi elles pourront me
faire confiance et me respecter même si je ne pourrai plus tellement travailler
en septembre. Ainsi je pourrai avoir du temps libre si je le souhaite...
l'argent de toute manière est inutile, je la dépense entièrement en trois
jours. Je me sens déjà mieux depuis que j'ai pris certaines décisions.
Maintenant je dois mettre en action ce prêt. Le plus tôt possible. Je vais téléphoner
ce midi. Disons que je souhaite £ 6000, empruntées sur une longue période.
Cela règlerait bien des problèmes.
Je vois que je suis au bord de la
dépression. Je n'ai plus aucune patience. Si une seule personne a le malheur de
me dire quoi que ce soit aujourd'hui, je vais exploser, c'est certain. Je ne me
ferai plus marcher sur les pieds, c'est terminé. Mon seul regret est que je ne
pourrai jamais le frapper, lui, la cause de mon malheur, ce directeur.
Je viens de faire les démarches pour
un prêt de £ 7500, afin de garantir ma sécurité pour cette année et l'an
prochain. Je viens de radoter une série de mensonges à ma banque afin de
recevoir cet argent, et après sans doute je serai plus libre. Et je pourrai
agir.
Je suis maintenant au Ryan's Bar au 52
Wells Street, j'attends que James arrive, il est encore coincé au Jamies où
tout le bureau est, en ce moment. Moi je suis parti très tôt, c'est plus
prudent. Si je bois trop je commence à faire des folies et je me suis rendu
compte dernièrement que je n'ai même plus besoin de faire de folies, les autres
se chargent d'en inventer et de les porter à mon compte. Ce damné Antonio qui
n'en finit plus d'en inventer sur mon cas... je me demande bien pourquoi.
Encore quelqu'un qui manque d'originalité et qui a besoin de l'originalité même
inventée d'un autre afin de paraître dire quelque chose d'intéressant. Déjà
qu'il ne lui suffisait pas d'emmener tous les jeunes à l'Atlantic Bar, il se
devait de leur prouver qu'il pouvait se payer le luxe, parce que lui a tellement
reçu de bonus. Il n'arrête point de répéter que sa dernière conférence va lui
remporter Tching Tching, ce qui signifie le bruit d'une machine à sou.... au
moins £ 20,000... alors oui, l'enfant s'amuse à impressionner les femmes
et cela fonctionne, lui il a l'argent. Et tous les jeunes devront avoir
travaillé là pendant plus d'un an avant de produire ces grosses conférences.
Pourtant il a le même titre que nous et j'ai quatre ans d'expérience de plus
que lui.
James vient de me téléphoner, il ne vient
plus me rejoindre au Ryan's, il est coincé au Jamies... très dangereux qu'il
boive trop et qu'il parle trop, et surtout à mon sujet. Ce qui est bien
inquiétant, car je lui ai tout raconté, que je n'en pouvais plus et que je
préparais ma sortie. Un DJ fera la musique dans quelques minutes, c'est le
moment où je partirai. De toute manière, mon copain Stephen est en crise,
encore trop de choses se sont produites dans sa vie aujourd'hui. Pour quelqu'un
qui a travaillé dix ans au même endroit sans trop d'histoire, en une stabilité
presque absolue depuis 5 ans, chaque jour une planète lui tombe sur la tête. Et
il veut me raconter tout cela tout à l'heure. Cela me donne envie de ne pas
rentrer, aller partout ailleurs, plutôt. Déjà que je n'en pouvais plus de le
voir en train de mourir sur le sofa tous les soirs, il dort toute la soirée sur
le divan, il dit qu'il récupère d'avoir arrêté ses drogues. Tabarnack, ça fait
deux ans qu'il récupère d'avoir arrêté. Le con récupère sans cesse parce qu'il
arrête puis recommence sans cesse. Une fois il m'a dit que cela pouvait prendre
six mois avant qu'il redevienne normal. La semaine dernière il m'a dit au moins
un mois, ainsi donc voilà un mois il en prenait encore. Et sans doute ces planètes
qui lui tombent sur la tête au travail, le dirigeront directement encore
là-dedans, ses drogues. Alors il n'existe point d'espoir et moi-même il me faut
faire un ménage complet dans ma vie. J'ai bien choisi, vivre avec un malade qui
a un problème d'héroïne.
Encore six minutes et je pars... je
retourne à Isleworth... à reculons. Mon Dieu, aujourd'hui le directeur est venu
près de moi, je croyais qu'il allait me parler, la panique s'est emparée de
moi, une véritable panique. Le gars m'a complètement traumatisé. Je croyais que
j'allais m'évanouir, alors même qu'il n'était pas venu me parler. Je crois que
cela démontre l'étendu de mon calvaire, de son pouvoir sur moi, et ce désir de
me libérer de cette emprise. Personne n'a le droit d'avoir un tel impact sur ma
personne, car alors il vaut mieux mourir. Et certes, j'ai bien d'autres choses
à vivre ailleurs.
Je suis dans l'Underground. J'ai
retéléphoné James dans l'autre pub, il semble incapable de sortir. L'argument
principal étant que l'alcool est gratuit et qu'il n'a pas d'argent. Merveilleux,
et c'est justement la raison pour laquelle il faut partir, parce que l'alcool
est gratuit. Sans doute il paiera cette stupidité, demain il me racontera les
pires histoires, ce qu'il a fait et qu'il n'aurait point du faire, et moi je
m'en fous. Ce n'est pas vrai, mais j'en ai assez de tenter de sauver l'univers
alors que je ne pense qu'à me suicider. Je devrais penser à moi d'abord, mais
cela est bien difficile. Et demain le con veut aller prendre un verre, alors
que je lui ai déjà dit que je ne pouvais pas. C'est con un homme, comme c'est
pas possible. Qu'il s'étouffe dans sa bière et je lui souhaite bonne chance au
travail. Moi je serai déjà loin.
Je ne sais plus quoi faire pour faire
passer le temps, je suis dans le train à Waterloo et je m'ennuie pour mourir,
je souhaite être à la maison. Mais cela est bien stupide, que vais-je donc y
faire ? Qu'est-ce qui m'attend là-bas ? Sinon que les histoires de Stephen
et ma dépression. Car je regrette déjà ne pas être allé rejoindre James, mais
trop souvent je me suis fait avoir : être avec les collègues et faire les
plus grandes erreurs. Tout cela parce que je voulais n'en voir qu'un seul qui
en plus n'en valait pas la peine, car jamais il ne sera intéressé en moi.
Pourquoi il insiste autant pour que j'aille le rejoindre est un mystère pour
moi, jamais je n'insisterais pour qu'une fille revienne à une soirée de bureau,
je ne comprends pas.
Je viens de rentrer, j'ai écouté tous
les problèmes de Stephen, et quand c'était finalement à mon tour de raconter la
journée que j'ai eue, il n'a rien voulu entendre. Même qu'il me reprochait de
vouloir quitter mon emploi. Il ne comprend pas, et je n'ai pas même la force de
me justifier. C'est d'ailleurs devenu un grand problème, je ne justifie plus
rien, je m'enferme dans ma bulle, je prends mes propres décisions, enfin je
reprends le contrôle. Je n'ai pas eu la chance de lui dire que j'ai fait un
prêt de £ 7500, je m'en fous. Le monde me fait chier comme c'est pas
possible et j'en ai ma claque. Lui, c'est vraiment le temps que je m'en
débarrasse. Mais le problème est qu'aussitôt que je pars d'ici, je dois payer
un logement. Or, à Londres cela est impossible. Il me faudrait plutôt retourner
au Canada, je ne pourrais tout simplement pas retourner aux études à Londres si
je dois payer un loyer. Je lui ai lancé ma bière par la tête et comme par
hasard il frottait encore le téléviseur une demi-heure plus tard. Il voulait
sans doute que je me sente coupable, puisque la bière s'est ramassée sur la
télé, eh bien non. Je ne me sens pas coupable du tout. Au contraire, j'ai une
rage en dedans de moi si grande que je pourrais détruire n'importe quoi sur le
champ, et jamais je ne le regretterais. J'en ai assez de tout. Il est 21h08,
comme hier je m'en vais me coucher si tôt.
Ah mon Dieu ! Les émotions ce matin ! Deux messages sur mon
téléphone portable, le premier que j'ai eu bien du mal à déchiffrer semblait
être une déclaration d'amour de la part de James. Il disait : « For posterity I am saying this : I am on
Mon Dieu, Embankment, je suis presque
arrivé au travail... misère... vais-je survivre cette journée ? Mon Dieu,
faites que oui ! (La survivre en gardant mon sourire toute la journée,
disons...). Heureusement bientôt je serai à Prague.
Je suis enfin à Prague, au Hilton. Charmante ville d'environ 1,200,000
personnes. J'ai été malade comme un chien ces trois derniers jours, je n'ai
plus dormi depuis tout ce temps. Aussitôt que je tente de dormir, je commence à
tousser, à avoir chaud et froid, je fais de la grosse fièvre. Je suis un
véritable zombi. Et ce matin c'est le premier workshop et je suis bien mal à
l'aise, parce qu'il y a très peu de délégués et que les organisateurs ont
beaucoup dépensé en publicité. Finalement j'ai fait plusieurs erreurs, dont un email
que j'ai copié à l'un d'entre eux et qu'il ne devait pas voir, en rapport à
toutes les manigances que l'on use pour leur cacher la vérité à propos du
nombre de délégués. Ainsi ce matin j'étais bien embarrassé de les voir, et je
ne suis pas allé me présenter. Aussi, ce qu'ils n'ont pas compris, est que je
suis tant malade que je suis en train de souffrir un cauchemar. Vers onze
heures je suis allé me coucher pour le reste de la journée, et je suis retourné
en bas alors que c'était terminé. Le regard de celui qui a organisé le workshop
m'a tout dit, je ne serais pas surpris que cela revienne contre moi, ils vont
aller se lamenter à mon directeur. Pourtant, j'ai la meilleure des raisons, je
suis très malade. Une fièvre qui n'en finit plus. Tout de même, je me sens
coupable. Je n'ai pas agit très professionnellement. C'est moi le producteur,
il me faut être là, il me faut aller les rencontrer... ce que je m'en fous
maintenant. Ce voyage en République Tchèque tourne au cauchemar, je suis trop
malade, personne n'est content parce qu'il n'y a pas suffisamment de délégués
(comme si cela était ma faute), et comble de malchance je dois terminer une
autre conférence cette semaine et j'ignore comment je vais accomplir cela.
Premièrement il me faut accès à l'Internet, ce qui n'est pas une chose facile
dans un hôtel, alors que les coups de fil coûtent une fortune. Et puis ce soir
les publicitaires construisent leur kiosque et bannière, et je devais être là
mais je n'y suis pas. Je ne puis supporter ces gens d'aujourd'hui qui semblent
enragés contre moi, comme si j'étais responsable de tous leurs maux.
Heureusement ma coordinatrice est efficace, et avec son large sourire et ses
grosses lèvres pulpeuses, elle les a tous gagnés en leur cœur. Tant mieux pour
elle. Tant mieux pour eux. Peut-être repartiront-ils satisfaits, après tout.
Demain j'ai bien l'intention de reprendre le contrôle sur ma conférence, et ces
crétins je les ignorerai encore, ils ne m'influenceront pas. Qu'ils aillent au
diable.
Je suis littéralement dans un cas de
panique, j'ignore pourquoi. Sans doute ces cons d'aujourd'hui, et ma
culpabilité d'être si malade. C'est typique, comme lorsque je suis allé en
France sur la Canal du Midi, je suis malade comme un chien et incapable de
dormir. Et cet emploi me tue, il me tue complètement. Il me reste moins de six
mois avant de commencer mes études en physique, mais je ne pourrai pas tenir
jusque là, je vais me faire sauter la cervelle bien avant. Il me faudra un
miracle pour terminer cette conférence à temps, ils pourront me détruire à
nouveau même si je termine à temps. Car c'est la troisième fois que je suis en
retard, et cette fois-ci, même si je réussissais à terminer à temps, toutes ces
réunions à propos de ce qu'il fallait faire avec cette conférence en retard ne
les a guère amusés.
Je viens de voir cette pauvre fille nettoyer ma chambre, elle ne parle
pas un mot anglais ni français. Elle est habillée avec un uniforme rose à jupe
très courte, ce qui lui donne un air de petite fille de 6 ans. Elle tentait de
m'expliquer qu'elle n'avait pas terminé le nettoyage, jamais je n'ai eu tant de
misère à comprendre quelqu'un de ma vie. Son langage est tellement éloigné du
français et de l'anglais qu'il m'était impossible de tenter de deviner. Bref,
je suis sorti. Dans son chariot elle avait un petit toutou rose tout sale, comme
elle, et j'en ai presque pleuré. Je me demandais qui de nous deux était le plus
misérable.
Eh bien, James aurait été fier de lui.
Lorsque nous arrivés à Prague hier, nous sommes directement allés manger au
restaurant. La première rumeur qui est sorti de la bouche de Doreen, ma
coordinatrice, concernait James et Vicky : leur embrassade de la veille ou
ils s'étaient mangés devant tout le monde. Ils n'ont certes pas été discrets,
et voilà que ces stupides rumeurs se promènent même jusqu'en République Tchèque.
Eh bien, si notre homme a un problème avec l'homosexualité et qu'il soit
important à ses yeux que personne ne doute de son orientation, il a certes
réussit. Lorsqu'il m'a invité au Garage à Islington l'autre soir, et au pub The
Embassy où apparemment il drague une des serveuses, il m'a clairement spécifié
de ne point mentionner que j'étais gai. Charmant.
Je m'ennuie terriblement, je me sens
tellement perdu et abandonné, seul ici à Prague, malade comme un chien, à faire
face sous tous les fronts à des monstres qui m'en veulent comme ce n'est pas
possible sans que je comprenne vraiment pourquoi. Stephen me manque. Drôle à
dire, c'est de lui et non de James que je m'ennuie. Je regrette de l'avoir
trompé. J'aimerais pouvoir être dans ces bras et ne pas avoir à confronter les monstres
demain. J'aimerais mieux mourir que de retourner au bureau un jour et de
confronter mon directeur. Je relisais le email qu'il m'a envoyé l'autre jour,
m'accusant des pires choses et m'ordonnant une réunion où l'avenir de ma
conférence et le mien seraient discutés. Et moi qui suis malade, je sens cette
fièvre qui revient comme chaque nuit, je sais que je ne dormirai pas. Et demain, le nez bloqué et le cerveau en
fusion, je devrai présenter le monde et prendre des notes pendant trois jours.
Il vient de m'arriver une expérience
bizarre. Écœuré de devoir penser que ma compagnie paiera une fortune pour toute
l'eau que j'ai besoin, je suis allé à un garage pour acheter les quatre petites
bouteilles que j'ai déjà bues et en acheter deux grosses comme réservoir. J'ai
vu qu'il y avait beaucoup de Mercedes sur la rue, comme en Allemagne. À
l'intérieur je devais me taire afin que l'homme à la caisse ne comprenne pas que
je venais d'ailleurs et quadruple son prix. Alors il m'a posé une question que
je n'ai pas répondue, et lorsqu'il a dit le prix, je n'ai rien compris. Je lui
ai filé un billet de 500 korunas. Ça m'a coûté 262 korunas, environ 5 livres.
Un DVD (The Matrix) coûtait £ 10 au lieu de £ 20 à Londres. Je ne
crois pas qu'ils peuvent voir, avant que je ne parle, que je ne suis pas un
Tchèque. Je trouve cette idée enchantante, qu'à Cannes, Londres, New York et
même à Prague, personne ne sait qui je suis avant que je ne parle. Enfin, je
dois être paranoïaque encore, je ne crois pas qu'il m'aurait chargé davantage,
mais j'ai lu sur le net que c'était courant ici de charger davantage les
étrangers, et je n'aime pas cette idée, la pire des discriminations.
J'ai téléphoné Stephen et James. Stephen
était tout mielleux et gentil, il s'ennuyait de moi et en a profité pour
paniquer parce que, selon lui, si je n'étais pas sorti vendredi soir, je ne
serais pas malade. James lui était d'une indifférence frappante, il ne s'était
pas ennuyé et ne prévoyait pas s'ennuyer non plus. Il n'avait pas grand-chose à
me dire sauf que notre nouveau collègue au travail, selon lui, est
définitivement gai (à voir sa démarche), et qu'il a l'air d'un malade mental.
Un peu plus vieux et australien. Soudainement je me demandais si le fait que ce
gai soit plus vieux, ferait encore plus l'affaire que moi pour James, car il
ressemble bien davantage à son ex-ami gai de Manchester. Eh bien, on va voir
combien de temps James prendra à lui parler, le problème est que lorsqu'il me
voit en dehors du travail, c'est toujours en secret. Personne ne doit savoir.
Donc, s'il parle à l'autre, ce sera dans le plus grand des secrets, puisque
justement chez l'autre c'est évident, alors que chez moi cela ne l'est pas. Par
contre, tout le monde le sait pour moi, alors que personne ne le sait pour
l'autre... eh bien cela m'encourage, le deuxième gai de la compagnie, enfin je
ne serai plus une bête à part. Depuis que la folle du personnel a enfin pris sa
retraite, je crois que l'on verra finalement autre chose que des jeunes mariés
tout frais sortis du trou du cul d'une poule, et qui viennent de s'acheter une
maison et une automobile. Enfin, on en verra des difformes comme moi, pour qui
toutes ces choses sont effrayantes. Bon, je vais me coucher, demain c'est le
grand jour, le zombi sort de sa caverne.
Ce matin je suis arrivé en grandes pompes au
Congress Hall du Hilton Prague. Tout a bien commencé, tout le
monde sait que j'étais malade, personne ne peut me reprocher quoi que ce soit.
Le ministre des télécommunications de la République Tchèque parle en ce moment.
La bitch de Doreen m'oblige à demeurer dans cette salle jusqu'à ce que mort
s'ensuive. Pour qui se prennent-elles ces coordinatrices, pour croire qu'elles ont tant de contrôle sur
moi ? Si je n'étais pas déjà dans le pétrin au travail, je te la
détruirais. Et tout cela provient de cette conne de Beverley, la reine des
coordinatrices, qui a crié partout que je m'impliquais trop dans mes
conférences. Alors il y a eu, encore une fois, des réunions où l'on m'a dit de
me mêler de mes affaires. Merveilleux ! Et maintenant je dois être sage et
faire ce que ma coordinatrice me dit, au lieu de faire comme Antonio et de
revenir au bureau enragé contre sa coordinatrice et la blâmer pour sa propre
faillite personnelle. Cet Antonio, mon idole, lui il va aller loin dans la
vie !
Enfin, tout le monde est parti au
lunch. Je suis seul à tout surveiller et c'est ma première, sinon ma seule,
heure tranquille. D'autant plus que ce soir nous allons tous au Château
Jemniste pour le Dîner Gala des Vampires, et j'espère que ce sera bien.
D'habitude mon seul obstacle lorsque nous allons dans de tels endroits et que
nous devons faire 40 minutes en autocar (sans compter le retour) est que je ne
puis endurer mes collègues, ils sont tous comme des vampires près à nous sucer
le sang. Ils s'inventent des raisons pour nous embarrasser, nous faire chier.
Ce soir, cependant, j'ai quatre collègues qui sont très bien. Ce qui m'inquiète
bien plus, est de me retrouver par exemple à côté de ce conférencier de la Hongrie,
qui me radote des choses que je ne comprends pas et qui ne sait plus s'arrêter.
Dieu merci je ne travaille pas toute la journée avec de pareils cons, je
deviendrais fou. On se demande comment ces gens sont capables d'accomplir quoi
que ce soit dans leur compagnie respective. Je me demande si on ne les envoie
pas à mes conférences à l'autre bout du monde juste pour se débarrasser d'eux
pendant une semaine.
Ici les gens parlent ou bien le tchèque
ou bien l'allemand. Et moi je ne parle que l'anglais et le français. Chaque
personne que je rencontre, c'est une barrière infranchissable. Et ce n'est que
ma première journée.
Oh, le méchant d'hier vient de passer.
Je n'ose pas relever la tête. Mes collègues ne sont pas allés manger avec eux
malgré leur invitation, et maintenant ils ne sont pas contents. Et mon autre
collègue, Charles, lui a été invité à manger au restaurant par un autre
publicitaire. Mon Dieu, vais-je être capable de survivre la semaine sans être
courtisé par tout et chacun et invité moi aussi quelque part ? Je
l'espère, car je devrai m'inventer une bonne raison pour ne pas y aller. De
toute manière, ces publicitaires ont déjà tout ce qu'ils veulent parce qu'ils
paient de gros montants d'argent. Que veulent-ils de plus de moi ? Ils
feraient bien mieux de courtiser les compagnies de téléphone qui eux risquent
de leur donner de l'argent plutôt que de leur en demander, comme moi.
Enfin le Dîner Gala Vampire au château est terminé. Mon dieu, je crois
que je n'avais jamais compris les responsabilités qui pesaient sur moi, et
quelle sorte d'emploi très haut placé et bien en vue j'ai. Aussi impressionnant
que cela puisse paraître, j'ai une salle remplie d'ingénieurs, de directeurs
généraux, qui tous semblent m'admirer juste parce que je suis le producteur-recherchiste
de cette conférence à Prague. Je sais bien que cette idée est ridicule, pourtant
je suis le roi de ces cinq jours, bien que le premier je me sois effacé
complètement. Mais tous savent que j'étais très malade, donc je suis sauvé. Le
dîner des vampires dans ce château était d'un exquis incroyable. J'étais
tellement fier de ma conférence à ce moment, j'aurais pu mourir sur place. Il y
avait 70 personnes qui se sont donnés la peine de venir, nous avons fait face à
une mise en scène très professionnelle de vampires et choses d'horreur. Et le
repas dans les écuries rénovées, un charme indescriptible. La soirée, et la
journée, ont été un tel succès, qu'à mon avis cela ne se reproduira plus de ma
carrière de conférencier. Ah Prague, je t'adore pour m'avoir donné cette
journée de répit et de gloire. Jamais auparavant dans ma vie je ne me suis
senti aussi fort et puissant, comme quelqu'un de très important. Pourtant, de
retour à l'hôtel, alors que je chiais sur les toilettes et qu'un miroir en face
de moi reflétait mon image, je me disais : you fat bastard, tu es devenu
un monstre. Et j'ai compris que cette vie de puissance et de glorioles est
vaine et inutile si je ne me sens pas bien dans ma peau. Et que j'abandonnerais
tout, l'argent et le succès, si c'était pour voir cette image dans le miroir.
Et demain j'ai de quoi être fier, les
quatre premières présentations sont tous des opérateurs ! Slovaquie, Bulgarie,
République Tchèque et Royaume-Uni. Et plus tard dans la journée j'ai la Pologne
et la Roumanie. Personne n'est assez fou sur cette planète pour manquer une
telle journée, rarement sur une conférence dans un coin aussi reculé on peut
assister en une journée à six présentations de compagnies de téléphone.
Malheureusement la troisième journée est plutôt pourrie. J'aurais peut-être dû balancer
un peu. Bof... ils me louangeront encore le deuxième jour, et comme dans la
Bible, le troisième jour ils me crucifieront.
J'ai même eu le temps et la chance de
lancer le beau Toni, un de mes conférenciers, dans les bras de la belle Charlene.
Charlene est celle qui m'a fait chier lorsque je travaillais pour le
compétiteur et qui, lorsque j'ai commencé avec cette compagnie, a tout de suite
décrié mon orientation sexuelle à tout le monde. Pourtant je m'entends bien
avec elle et je lui ai donné son Toni qu'elle aimait tant. Comment j'ai
fait ? Après avoir cassé les oreilles de Toni avec combien épatante sa
présentation pourrie était, et combien tous les délégués l'avaient adorée
(alors qu'un seul perdu est venu me dire que c'était intéressant), je l'ai
invité à parler à ma prochaine conférence à Londres. Après cela, j'ai dû me
pincer à plusieurs reprises et me dire qu'il n'en avait pas après mon cul, mais
plutôt après sa carrière, tant il ne me lâchait plus. Et que de m'aventurer
davantage détruirait tout. Alors je lui ai demandé s'il avait été présenté à Charlene,
celle qui avait fait le marketing de cette conférence. Demain sans doute elle
me remerciera, mais elle a déjà un copain à Londres. Pourtant cela ne l'a pas
arrêté de le draguer toute la journée sans oser faire quoi que ce soit. Elle a
même envoyé Charles lui poser des questions assez personnelles comme, es-tu
marié et quel âge as-tu ? Ce que d'ailleurs Charles a bien fait, car il
devait, comme si de rien était, apporter le sujet sur la conversation. Bon,
cela est sans intérêt, cette journée, bien qu'elle était bien, était
exténuante. Et je ne la répéterais pas pour tout l'or du monde. Mais voilà,
demain c'est la même chose, et le jour d'après. Aussi bien se tirer une balle.
Je suis dans un club assez vide, ils
ne semblent pas avoir de patience pour les étrangers à Prague. Au bar, il m'a
traité comme de la merde, et l'autre du vestiaire, même chose. Bon Dieu, ça ne
fait même pas dix ans que ça a découvert que dehors existait, et déjà ils ont
adopté l'attitude gaie à 100 % « Oh Darling ! ». Parce que
je n'imagine pas que cette musique directement importée de Londres et ces
hommes à moitié nus agissaient ainsi avant leur révolution de 1989 où ils se
sont débarrassés de leur communisme. Stupide mondialisation, je suis en
république Tchèque, je pourrais aussi bien être n'importe où ailleurs dans le
monde. Dans le fond, le communisme a cela de bon, qu'il est différent. Je suis
venu bien trop tard. Je voulais les voir en train de crever de faim, sans
emplois, pauvres comme Georges, et regarder la différence lorsque je marche
dans la rue. Eh bien non seulement ils sont britannisés, mais en plus, ils ont
plus de style que moi. Aujourd'hui en habit cravate, j'étais le seul jeune
habillé ainsi, en fait, la seule personne habillée ainsi. Ce soir je suis en
jeans noires, mais des souliers assez quétaines. Ils m'auraient fallu mettre
mes souliers noirs. Je ne pense pas qu'une seule personne ne m'ait encore
regardé, au club Privat L. Tiens, c'est pas Tchèque ce nom. Et bande de chiens,
la musique que vous jouez, c'est pas Tchèque ! Qu'avez-vous donc contre
les touristes ? Je crois que je vais les aborder en français à l'avenir
plutôt qu'en anglais. Ils ne comprennent ni l'un ni l'autre de toute manière et
l'exercice sert plutôt à leur signifier que je ne comprends pas leur charabia.
La première chanson que j'ai entendue à Prague était la première chanson que
j'ai entendue à New York : New York City Boy de Pet Shop Boys. Le gars à
côté ressemble comme deux gouttes d'eau à celui que j'ai rencontré dans un café
à Cannes.
Eh bien, je ne suis pas impressionné. Ils ont deux personnes qui dansent,
une fille et un gars, et j'ai l'impression qu'ils sont payés pour danser. Ils
dansent tous deux pareillement et un peu trop bien. À moins que ce ne soit
comme ça qu'ils dansent ici ? Il y a un jeune si jeune dans la place, et
si beau et prétentieux, que j'ai l'impression que c'est un prostitué. Mmh, je ne
suis pas encore aussi désespéré. Un autre s'est mis à danser, barbu mais tout
de même mince, et il n'est certes pas un danseur professionnel. Et il danse un
peu comme les autres. Une sorte de Mimouchka russe... Enfin un m'a regardé, le
deuxième plus beau de la place après le jeune. Le jeune aussi me regarde, mais
cela m'inquiète. Aussi, nu je ne suis pas si beau, peut-être je devrais faire
comme Charlene au travail qui a flirté toute la soirée avec Toni, et le pauvre
le lendemain était enragé parce qu'il n'avait pas couché avec elle. La musique
dégénère, ça fait six chansons assez espagnoles, La Margarita, lalalalala, de
la musique de plage et de mariage. Ah non, je ne peux pas coucher avec l'un ou
l'autre, je suis bien trop décevant au lit. Ils doivent être habitué à ce qu'il
y a de mieux. Pourquoi n'y a t-il que les plus beaux qui s'intéressent à
moi ? C'est que ma graisse ne transparaît pas... j'ai l'air beau dans ce
chandail, alors c'est certainement ma parano. Ils ont tous l'air de se
connaître, mais la ville a bien un million deux cent mille personnes, ils ne
devraient pas se connaître. À moins que les gais ici s'acceptent moins et par
conséquent sont tous encore dans le placard. Avec pareille musique, ils ne
manquent rien. Avec si peu de monde sur la scène, sans doute ils se connaissent
tous. Arrêtez cette musique espagnole pourrie ! Vive la musique britannique !
La première chose que j'ai faite après
avoir recouvré ma liberté, je suis allé faire mon lavage. Le mythe dira :
« Faire son lavage en République Tchèque ! » Wow, j'y ai
rencontré un super de beau gars, juste pour cela ça en valait la peine. Un peu
magané, on aurait dit qu'il a eu la vie dure. Très gentil. Je lui ai demandé
s'il connaissait Milan Kundera, il m'a alors sorti de sa table
L'Immortalité ! C'est ce qu'il lisait ! Et moi qui croyais que l'on
tombait en amour à Prague après avoir rencontré quelqu'un lisant Anna Karénine.
Nous avons parlé, entre les nouvelles de CNN, car c'était ce qui jouait. Au
club ce soir, c'est MTV. Ces Tchèques, on dirait qu'ils n'ont aucune
personnalité, ils n'ont fait qu'adopter tout ce qui vient d'ailleurs. Cela me
rappelle ce conférencier qui disait à ma conférence que son fils voulait
désespérément être connecté à l'Internet. Et lorsque son père impuissant
(l'Internet était inaccessible dans son pays perdu) lui a demandé pourquoi, le
fils a répondu qu'il voulait être un citoyen du monde. Eh bien, si cela
signifie juste d'adopter l'extérieur pour sien, c'est triste. Et il n'y a rien
de plus impersonnel que l'Internet. En plus, c'est d'une platitude
extraordinaire. On s'en lasse tellement vite que l'on ne l'utilise plus que
comme outil de recherche et la pornographie. Car il s'agit là d'une base de données,
rien d'autre. Un autre beau c'est celui qui m'a arraché mon manteau des mains
et qui exigeait 10 korunas. Les voilà tes 10 korunas... tu sais ce que ça vaut
10 korunas à Londres ? Ça ne vaut plus rien parce qu'il n'existe rien,
même chez le marchand de bonbons, qui coûte moins de 10 korunas. De toute
manière, je sais bien que cette bière m'a été trop chargée, car elle est
exactement le prix de celle que j'achète à Londres. Or, on sait bien que tout
coûte moitié prix sinon un tiers du prix à Prague. Voleur ! En plus il a
le culot de paniquer parce que je n'ai pas laissé de pourboire la première
fois. Va donc voir si les Anglais et les Français en laissent du pourboire
eux ? D'autant plus que ses bières sont surchargées ! Gardez-les vos
clubs et pubs pourris ! Je suis bien trop content de vous chier dessus par
écrit. Quelque chose va survenir, sinon je commence vraiment à croire que j'ai
perdu mon temps à demeurer ici deux jours de plus. Le jeune définitivement me
regarde sans cesse, et moi j'écris plutôt que de le regarder. Je pense qu'il
revient d'une back room... qu'y faisait-il donc ? Eh bien, je ne vais pas dans
ces endroits-là, bien que c'est ridicule, je fais tout le reste, mais j'ai des
principes qui me viennent j'ignore d'où. Pas de sauna, pas de back room... et
probablement qu'un jour j'irai et je me demanderai pourquoi j'ai attendu aussi
longtemps. Mystère. N'ont-ils pas de littérature gaie ici ? Et j'ai besoin
des toilettes, et d'une nouvelle bière. Tout vient en même temps. Ici ils ont
trois types de toilettes. Pour les femmes (alors que seuls les hommes ont le
droit d'entrer), pour les hommes, et pour les hommes back rooms. Le jeune me
regarde toujours, je me demande quel âge il a, l'âge légal ici pour avoir du
sexe est 15 ans et je ne suis pas certain s'il les a.
Oh mon Dieu, dans quel pétrin je me trouve. Je suis tellement con, il
devrait y avoir une loi contre les cons. Bien sûr qu'il y avait bientôt une
dizaine de jeunes super beaux qui me regardaient ! Tous sont des
prostitués et je porte un chandail anglais ! Comment j'ai pu me flatter à
croire qu'ils s'intéressaient à moi ! Un vieux croûton de 40 ans avec un
jeune de 19 ans sont apparu et le vieux était bien heureux de me parler car il
vient de la Suisse. Il a tenté de m'embarquer dans une histoire de prostitution
à long terme ! Toute notre conversation avait un double sens, et il m'en a
fallu du temps pour comprendre ce qui se passait. Selon lui, je ne trouverai
jamais ce que je cherche à Prague, seule la prostitution existe, m'attend. Et
lui ne pouvait me comprendre, puisque cela fait 4 ans qu'il a son prostitué
personnel. J'ignore même si ces jeunes sont vraiment gais ! Cela m'a
tellement écœuré que je suis sorti en courant ! Puis je cherchais le
premier taxi qui me ramènerait à l'hôtel, car véritablement, j'ai peur !
Une société où la prostitution et la maffia règnent, est quelque chose
d'effrayant. Et ces gens se croient libérés ? Je suis dans une panique
absolue. Le vieux croûton m'a demandé si j'étais allé en Thaïlande, car là on n'y
va que pour la prostitution. Eh bien, je viens de rayer ce pays de ma liste.
J'aime mieux demeurer avec les miens, ceux qui sont comme moi. Pourtant il était
Suisse. La peur soudain me prend. Juste pour être conscientisé sur cette
question valait tout l'argent que j'ai jeté au feu pour rester ici deux jours
de plus. Prague, ville pourrie jusqu'à l'os, tu ne me reverras plus jamais de
ta sainte vie.
Bon, je me suis remis de mes émotions
d'hier. 12 % d'alcool dans leur Pilsner, je crois que ça explique bien des
choses. J'étais comme un peu devenu fou. Tout ce que j'ai vu hier à Prague
existe à Londres et même à Toronto. Je me suis tout simplement retrouvé dans
les deux pires clubs de la place. Et je suis mal tombé sur ce gros porc de la Suisse
qui se paie des prostitués à long terme. Je me fous qu'il me dise que c'est
partout la même chose en ce qui concerne les touristes, apparemment plusieurs
viennent ici avec cette intention, mais j'ai aussi vu hier qu'entre eux les
Tchèques sont bien normaux, comme on peut l'être au Canada. Comme d'habitude on
traite les touristes différemment. J'ai tellement de préjugés envers la
République Tchèque, j'ignore comment m'en débarrasser. Je les vois comme des
arriérés et tout devient un prétexte pour prouver mon point de vue. Je suis
entré chez McDonald's par exemple, et deux femmes achetaient un Big Mac et un coke.
Et les frites, elles ? Dans ma tête je me disais qu'elles n'en avaient pas
les moyens ! Mais quelle prétention j'ai ! Il me faudra plus d'une
semaine et éviter les trappes à touristes avant de juger la République Tchèque.
Aujourd'hui je dirais que je ne vois pas vraiment de différence entre Prague et
Paris, niveau de vie. Pourtant, je sais bien que ce n'est pas tout à fait la même
chose, et aussi, je sais que ça n'a pas toujours été ainsi. Bien, je ferai
quelques cafés aujourd'hui, mais je ne sortirai certes pas. Et je ne crois pas
non plus que je coucherais avec qui que ce soit, l'idée que cela pourrait être
de la prostitution me tue. (Et ce gros Suisse laid qui me répétait de toujours
discuter prix avant ! Gros écœurant !) Bon, midi trente, c'est le temps
d'aller visiter le château.
Belle visite, belle histoire, je
savais bien qu'il y avait des influences françaises voilà longtemps, bien que
ces traces aient été un peu effacées avec le temps. Je suis maintenant assis
dans un café non gai mais invitant, CocoLoco. Invitant parce que c'est grand,
c'est vide et je suis complètement isolé. La femme est en train de me faire
deux sandwiches toastées et j'ai une Pilsner à 12 %. Je dois être à l'aéroport
demain matin à 8h et c'est parfait, je ne voudrais pas rester plus longtemps,
c'est un peu triste lorsque l'on est seul. Et je suis mort, et encore malade.
Leur métro est fait en Russie (les wagons). Détail. J'en suis maintenant à
analyser où dans le monde ont été fabriqués les objets qui m'entourent. Très triste
en effet.
C'est bien beau l'isolement, mais ça
n'inspire pas beaucoup. Drôle comment un coup de poing dans le front m'inspire
une dizaine de pages. Une mise a pied, au moins une quarantaine de pages. Et je
suis encore à la recherche de quelques événements qui frappent et marquent tant
qu'ils puissent inspirer au-delà d'une centaine de page. C'est peut-être ce que
j'ai écrit depuis Cannes jusqu'à Prague via New York, mais aussi je suis tombé
en amour entre-temps, et maintenant je ne crois pas retourner quelque part de sitôt.
Eh puis je suis bien heureux de demeurer à Londres. Vaut mieux que je travaille
sur mes conférences, autrement je serai en retard et cela est inacceptable.
Avant la fin de la semaine prochaine, il me faudra avoir écrit un nouveau programme
et j'espère bien avoir déjà commencé à inviter les conférenciers. Je suis
devenu une véritable machine à produire des conférences. Et là j'ai atteint le
summum. Je n'aurai pas le courage de sortir du monde des conférences si tout se
stabilise, mais il le faudra. Et eux ont manqué leur chance de me mettre à la
porte, car j'ai encore accompli un miracle en terminant cette conférence cette
semaine. Est-ce que ce sera l'université qui me sauvera de cet enfer ? La
physique ? Et les maths... je pense que je vais être malade ! Je m'en
vais sortir au Kirmafa, quelque chose du genre, sur Kozi, et je me demande si
cela changera quoi que ce soit, si je parlerai à qui que ce soit. Comme j'ignore
la réponse à ces questions, j'ai décidé de quitter ma chambre et de continuer
mon exploration de Prague. Eh bien, allons-y, et laissons cette bière trop
forte...
Eh bien, le Firmana, c'était assez
terrible. C'était un petit carré plein de monde et pas une seule place de
libre. En refermant la porte ils ont vu que j'ai vu le signe "Gay Prague
Recommended" et je me suis rendu compte que je ne pourrais m'asseoir,
alors je suis ressorti tout aussitôt sous leurs regards amusés. Ils ont dû
croire que je ne savais pas où j'étais. Dernière chance, je suis maintenant au
pub appelé "Friends Prague" où ils se targuent d'être bien gentils,
et je dois avouer qu'il est vrai qu'ils sont tous gentils. La place est belle
en plus, et le monde, enfin, a l'air normal. Ce qui me laisse penser que très peu
sont peut-être gais. Certes le couple dans le fond ne l'est pas. En entrant
j'ai transféré mon petit ordinateur portatif de poche, ils ont cru que c'était
peut-être quelque chose de dangereux et ils étaient bien sûrpris de voir un tel
ordinateur. Mais il faut comprendre que même à Londres ils ne l'ont pas encore.
Or, ce qui m'a surpris, c'est leur connaissance de ce genre de gadgets, et leur
connaissance du taux de change britannique. Finalement ils ne sont pas plus arriérés
que nulle part ailleurs. Et leur histoire, ce Charles 4, voilà 600 ans, tentait
déjà de faire de la Tchécoslovaquie un centre impérial européen important, et a
demeuré en France et en Italie pour planifier son royaume.
Mmh, bien que ce soit assez gentil, et
les gens ont l'air bien et normal, ça rassemble bien trop à un restaurant
ordinaire, personne n'osera me parler, et je serais bien déplacé de leur
parler. Je n'avais qu'une idée en tête aujourd'hui en visitant le château, je
me demandais pourquoi ils ne nous foutaient pas toute cette visite éprouvante,
où il faut marcher des kilomètres, sur un DVD. Alors on pourrait faire la
visite en virtuel. Aussi extraordinaire que cela puisse paraître, j'aime mieux
la réalité virtuelle que la réalité. Aussi je me demandais si les photos que je
prenais pouvaient être téléchargées sur un CD plutôt que sur papier, au Canada
ils font cela depuis au moins 6 ans. Finalement je me demandais si les holodeck
de Star Trek pourraient être jamais inventés. Puis soudainement, dans toute ma sagesse,
je me suis rendu compte qu'une fois que tout sera sur un ordinateur, tout
digitalisé, qui dira quelle réalité est la vraie ? Et déjà je m'étais
lancé dans un grand débat philosophique sur l'univers et la place de l'homme
sur cette boulette dans l'espace lorsque... lorsque... justement j'ai perdu le
fil de mes pensées. Il est 22h00, je crois que je prendrai peut-être une deuxième
bière et je partirai. C'est Céline Dion qui chante dans le bar, elle doit bien
jouer dans le monde entier, elle doit être riche à craquer. Triste que son mari
soit mort, mais elle en trouvera un autre. Je ne crois pas qu'elle ait jamais
fait l'amour à un autre homme dans sa vie. Je me demande si elle pourra. Quand
elle comprendra l'impact de ses nouvelles rencontres dans les médias, je me
demande comment elle va réagir. (J'ai lu sur la couverture d'un magazine à
Cannes que son mari était mort, mais David me disait que j'étais fou, qu'il
vivait encore, alors je ne comprends plus.) Mon Dieu que je suis capable de
radoter. Aussi bien connecter l'ordinateur dans mon cerveau et laisser écrire
tout ce que je pense. Ce serait peut-être la même chose. Je suppose que cela ne
sera jamais d'aucun intérêt pour personne, m'entendre penser. Je pense que les
quatre à côté de moi, qui semblaient si normaux, sont tous quatre sourds et
genre muets. Seraient-ils gais par-dessus le marche ? J'en doute. À moins
qu'il n'existe dans cette ville une organisation pour les gais, les sourds et
les muets. Je crois qu'ils sont d'Allemagne. Celui avec la chemise bleue semble
me regarder assez régulièrement, l'un d'eux doit être gai... mais qui sait. Il
fera pas de mouvement... un seul est sourd et parle comme un métèque, et un
autre a une petite machine amplificatrice. Les deux autres ont l'air normaux.
Semblent tous gais, ou l'un des sourds ne l'est pas. Ils s'en vont maintenant.
C'est fini. Il y a deux Tchèques en arrière, le premier m'a donné un coup d'œil
tout à l'heure, mais je ne pouvais pas le regarder, je regardais l'autre.
Maintenant que l'autre est parti, je pourrais le regarder, mais il regarde un autre,
celui habillé en hôpital qui pourrait vaguement être un prostitué, car il est
trop beau. Je vais l'ignorer, je ne me sens pas d'humeur à discuter les prix ce
soir. Le bar est un peu trop international pour qu'il n'y ait pas de prostitués,
du moins si je puis en croire mon Suisse d'hier. Apparemment tous les bars ont
leur gigolo. Et celui-la semble avoir constaté que, dans tout le bar, je suis
le seul qui est seul, il sait que je ne parle pas Czech et je ne me
surprendrais donc que je sois une cible rêvée. Il semble qu'il soit l'employé
du bar, je crois que l'on vient de lui donner un verre de vin rouge et un sac
de croustilles gratuitement. Qui a dit que ma paranoïa ne fonctionnait pas
bien ? Hier je pense que les deux cons, maître et esclave, le Suisse et le
Czech, croyaient que j'étais la nouvelle compétition, un nouveau prostitué, et
je pense qu'ils étaient la pour en ramasser un de plus à la fin de la dure
semaine de travail de notre ami. Et lorsque j'ai sorti mon ordinateur portatif,
ils se sont mis à rire aux éclats et tout de suite sont venus me parler. Je
venais de leur montrer que je n'étais pas un prostitué. Ils ont dit que cela était
plutôt rare ici de voir quelqu'un sortir un ordinateur miniature et de commencer
à écrire un livre. Eh bien, ce sera courant dans trois ans, deux si vous êtes
chanceux, 2000 ans si le communisme refait surface. En tout cas, mon gigolo
tout habillé de blanc a la grippe, il a un sac de kleenex en face de lui. Des papiers
mouchoirs si vous aimez mieux. Mais quelqu'un va-t-il me parler ? Le seul
qui semble vouloir, c'est ce prostitué. Je ne pense plus que je sois si beau
que les plus beaux cèdent sous mon charme. Peut-être que je suis laid maintenant
et je ne m'en suis même pas rendu compte. Cette stupide bière à 12 %, tu ne
t'en rends pas compte, et soudainement, ça tourne et tu ne veux que dormir. Je
lutte pour ne pas m'endormir, c'est ma troisième. Trois pintes à 12 %
n'offre pas le même effet que douze pintes a 4%. Jamais je n'aurais pu boire
douze pintes, ainsi je suis complètement saoul bien avant. En ce moment, trois
pintes à 12 % ne provoquent qu'un effet. Je n'ai pas le temps d'être saoul
avant de tomber de ma chaise endormi sur le plancher. Et ça cogne fort. Mon
prostitué est parti. J'espère que je ne me trompe pas, car si je me trompe, je
viens de perdre là quelque chose de très beau. Et le pire est que je n'ose plus
regarder les beaux car ils sont peut-être prostitués, et je n'ose plus regarder
les vieux laids, de peur qu'ils croient que je suis un prostitué. Je ne
voudrais pas commencer à discuter combien je coûte avec des Allemands. Encore
que cette idée est plus intéressante et moins scandalisante que de me voir moi
payer pour la chose. Somme toute, je coucherais avec n'importe qui par plaisir,
s'ils veulent me payer en plus, pourquoi pas ? Je blague bien sûr, je ne
pourrais jamais accepter de l'argent. Je ne puis même pas accepter l'idée que
du monde puisse penser que moi et Stephen pourraient avoir une relation de la
sorte, c'est-à-dire que je serais avec lui juste pour l'argent et son
appartement. Mais je ne crois pas qu'ils puissent penser cela. Et même Stephen,
jamais il pourrait avoir vu cela ainsi. Il ne voulait même pas coucher avec moi
au départ, je l'ai forcé, il avait perdu son chat. Ensuite, il a toujours été clair
que je payais l'épicerie et autres choses, et mon salaire qui est bien plus élevé
que le sien... impossible. Mais il est vrai que lorsque l'on s'est rencontré je
venais juste d'être jeté à la rue et je n'avais plus d'emploi. Et il a souvent
répété à outrance comment il m'a donné tous les vêtements Dunhill que je porte,
et comment il m'a aidé à me remettre sur pied jusqu'à ce que je trouve un
emploi. Oh God, et ces Bean Burgers qu'il me payait alors que je ne mangeais
plus quand j'habitais ma chambre d'hôtel à Victoria. On pourrait bien voir cela
ainsi. Mais il m'a toujours aimé. Je ne lui ai jamais demandé de venir à
Bruxelles me rejoindre. Trois fois il est venu, nous avons visité la Belgique
en entier ensemble. Et cela s'est terminé avec Paris, où avec moi il a marché
chez tous les éditeurs des 18 arrondissements de Paris. Il m'aime tant, qu'il
sait que je l'ai trompé l'autre vendredi mais ne dit rien. Il sait aussi que
nous ne faisons plus jamais l'amour et c'est sa faute, je le ferais tous les
jours et il le sait. Pourtant, en quatre ans, jamais il n'a suggéré quoi que ce
soit d'autre que le fait qu'il m'a beaucoup aidé au début. Et cela m'a toujours
écœuré, car sans cesse il répétait que je n'aurais jamais réussi à me hisser au
niveau où je suis sans son aide. Ce qu'il ne comprend pas est que je me serais
rendu à ce niveau avec ou sans son aide. Mais c'est peut-être tout ce qui lui
reste, se contenter de dire qu'il est responsable de mon succès. Et moi je le
repousse en lui disant que tout le potentiel était en moi, et qu'à Londres
comme au Canada, en quelques années, je me serais rendu haut dans la hiérarchie
sociale. Wow, j'ai un très grand super beau qui vient de s'asseoir à côté de
moi, mais il me tourne le dos. J'ai toujours eu un faible pour les très grands
qui pourraient me squeezer dans leurs bras. J'ai eu des très grands dans ma vie,
mais toujours très minces. Ils doivent être grands, hors proportions, et en Tchécoslovaquie,
pardon, en République Tchèque, ils ne doivent être pas Allemands, ou Czech, et
ne pas être prostitués. Aucun des cinq ne me parlera. J'achève ma deuxième
pinte. Je me tiens à peine debout. Je vais partir dans moins de cinq minutes.
Probablement mieux ainsi, il est 23h07, heure de Prague. Il est 22h07 à Londres
et 17h07 au Québec. Le temps est relatif, c'est bien connu. Triste, ils avaient
l'air d'être des gais normaux. Sans personnalité peut-être, mais je les aime
mieux ainsi.
Je suis à la station de métro
Staromestska, je prends le métro illégalement, je n'ai pas acheté de billet. Mon
excuse sera que je parle français, vaguement l'anglais, et pas le czech. Et
franchement, ma vraie excuse n'est pas que je refuse de leur donner 10 pennies
pour me rendre à l'hôtel, c'est que je ne comprenais rien de ce qui était écrit
sur les distributrices. Bonne excuse... au moins je sauverai la face avec une
telle histoire s'ils me surprennent. Ils sont très beaux les Tchèques, triste
que je n'en aurai pas tenu un dans mes bras. Ce n'est pas que je n'aurai pas
essayé.
Encore dix jours de mars, puis c'est
le mois d'avril. Le mois de mars est toujours un mois horrible, et aujourd'hui
est mon premier jour de retour au bureau depuis Prague. J'ignore à quoi
m'attendre, mais je doute que ce soit positif. Quand bien même j'ai accompli un
miracle et terminé cette conférence dans les délais, ils ont trop eu peur que
je ne réussisse pas, aussi, ils ont déjà été trop méchant. Quand on est aussi méchant,
c'est qu'un déclic s'est produit quelque part et maintenant j'attends la suite.
Je sais aussi que le mois d'avril, du 1er au 4, est là où les pires choses
surviennent. J'ai l'air de croire en l'astrologie ici, mais pas du tout. Ce
n'est que de l'expérience empirique. Depuis 1991, chaque mois de mars, ma vie entière
a été remise en question, je me suis retrouvé dans le pire des enfers, et en
plus je l'ai partagé avec tout et chacun. Sans doute la fin de l'hiver qui pèse
trop lourd sur le peuple. C'est certainement animal, sexuel, bien bas. Le
printemps agit sur les humains comme il agit sur les fleurs, les humains ont
envie de sortir, tomber en amour, d'avoir du sexe, et comme ils sont pris dans
leur relation insignifiante, ils se rallient tous pour nous faire subir l'enfer
qu'ils vivent : un simple manque de cul. Personne ne l'admettra, ils sont
bien trop ternes et coincés. Au Canada ce genre de crise du mois de mars se
fait bien plus sentir, car la l'hiver est tellement rigoureux que le réveil est
sans limite : on va aller conquérir une planète ! Mais certes n'en avons
pas la chance. Alors notre rogne est infinie.
Enfin, je ne crois pas retourner dans
ce bureau en roi (le roi Charles 4 en l'occurrence), mais plutôt en petit vermicelle
qui attend son sort. J'aime bien mieux les gens qui sont directs, comme la
bitch du Seven Dials au The Box. Elle m'a annoncé ça un matin, que je ne
faisais pas l'affaire. Deux minutes plus tard j'étais dans la rue, deux heures
plus tard l'autre m'avait jeté dehors de son appartement. C'est ça la vie...
Je divague, je parle de tout et de
rien, je parle au passé, sans doute parce que je ne sais pas voir le futur.
C'est peut-être qu'il n'y en a pas ? Ce matin j'ai envie de lire Sherlock
Holmes, et surtout Arthur C. Clarke. Mais ce matin je m'en vais travailler.
J'aimerais plutôt mourir. Un accident de train avant d'arriver à Waterloo peut-être,
un avion qui s'écraserait sur mon wagon, un fou avec un fusil qui tire dans le
tas ? Inondation ? Astéroïde ? Merde, toutes ces choses ne
surviennent jamais au bon moment.
Enfin, première journée terminée. Même
si je vois et sais que mon directeur voudrait bien se débarrasser de moi et
qu'il a les mains liées parce que j'ai terminé mon programme, je me sentais
mieux aujourd'hui. Une semaine loin des monstres change quelque chose. Je vois
qu'il ne m'offre aucune aide et même tente de saboter ma dernière conférence.
Mais je l'ignore. James lui est à bout de nerfs, il est prêt à disjoncter pour
n'importe quelle raison, tout comme j'étais avant de partir pour Prague. À mon
avis, ni lui ni moi ne travailleront encore dans trois mois. J'en suis
maintenant à tout envoyer chez l'imprimeur sans l'avis de mes conférenciers,
car il faut bien que ça parte un jour ! Je me donne trois jours avant d'en
revenir au point où j'en étais avant Prague. Le directeur va trouver un moyen
de me faire chier au-delà de tout, et moi je ne tiendrai plus. Encore ce soir
je vais travailler toute la soirée sur cette foutue conférence, il y a de quoi
se tirer la tête première dans un mur.
Je suis dans l'Underground à Boston Manor, je m'en vais travailler. J'écoute
Tori Amos, une musique tellement inspirée qu'elle m'emporte loin dans les
champs du Nord (la prochaine station est Northfields, voyez combien terre à
terre je suis devenu). Quelle soirée,
hier ! J'aimerais bien savoir ce qui est arrivé, mais cela est
bien difficile à cerner. Disons que c'était assez intense et que j'en ai été changé.
J'ai compris des choses, sans doute, mais puis-je les identifier ? James
m'a confronté hier au travail, me disant franchement et assez bêtement qu'il n'était
point satisfait de nos deux dernières rencontres car je tentais toujours d'en
savoir plus sur ses problèmes, pourquoi il est malheureux. Il m'a pratiquement envoyé
promener en disant que nous étions tous deux trop absorbés par nous-mêmes pour
être des amis. Nous avons eu une sorte de chicane par email où je lui ai lancé
que je ne pouvais pas m'asseoir et parler de température et de football alors
que mon ami me lance l'idée du suicide. Il s'est senti coupable et m'a emmené
au Wagamama après, et il a payé car c'est moi qui ai payé les deux dernières
fois. Puis au pub ensuite, au Cocq Tavern, il m'a encore confronté. Il
cherchait cette confrontation. Il disait que j'étais faux, que j'avais écrit
tous ces livres sur le suicide et que jamais je ne le ferais. Il m'a proposé
que nous allions tout de suite nous tuer. J'ai bien sûr refusé, affirmant que
chaque fois que j'avais vraiment atteint le fond du baril et vraiment considéré
le suicide, j'étais saoul avec des circonstances intenables. Et que je ne considérerais
jamais le suicide à froid, sans être au fond du baril, et que j'étais certes
bien heureux le lendemain de ne pas l'avoir fait ! Aussi que je n'avais
certes rien à prouver à qui que ce soit et surtout pas à lui. Libre à lui de
m'appeler faux, en faire toute une histoire et me quitter ensuite comme on
abandonne un chien dégueulasse que l'on ne veut plus. Eh bien, ça m'a donné un
choc ! Qu'il puisse me tester ainsi avec presque un fusil sur ma tempe,
m'accuser d'être faux et me proposer un suicide collectif ! Et puis quoi
encore, un chausson aux pommes avec ça ? J'ignore comment il se sent ce
matin, s'il regrette quoi que ce soit ou si au contraire il s'est convaincu
davantage que je suis faux et ne désire plus me parler. Il m'a laissé là au pub
sans me dire qu'il partait, il s'est connecté à sa musique et je l'ai rejoint
dans la rue. Comme il ne m'avait pas entendu venir, il s'est retourné terrorisé,
comme s'il ne me reconnaissait pas et croyait sans doute que j'allais le
frapper. Je n'avais plus eu de telles confrontations depuis mon adolescence et
jamais elles n'ont eu un tel impact sur moi. Mais cette fois ça a eu un grand
effet, et dans le train ensuite, j'étais comme en état de choc. Je lui ai envoyé des messages par téléphone :
Testing me like that, you should feel ashamed. I have
nothing to prove to you and you have nothing to prove to anyone. What
are you playing at ? Et j'ai envoyé au moins trois fois les deux premiers
messages. Je viens de lui en envoyer un autre, mais ça ne fonctionne pas. Je dis : How do you feel this morning ?
Still speaking to me even if you think I am a fake ? Serait-il
capable de m'empêcher de lui envoyer des messages ? S'il en est rendu là,
aussi bien dire que c'est bien terminé. Je m'en vais visiter l'université Queen
Mary and Westfield ce matin, pour voir comment seront mes quatre prochaines années
à étudier la physique et les maths en supposant que je pourrai demeurer au pays
aussi longtemps.
Premièrement je ne suis pas
impressionné par le transport. Un train jusqu'à Waterloo, puis Waterloo and
City Line jusqu'à Bank, et Central line jusqu'à Bethnal Green. Le tout me prend
exactement une heure. J'aurais bien aimé que cela prenne plus de temps, car
alors cela aurait été inacceptable. Mais en dans d'une heure, pas sur heure de
pointe, c'est bien. Mais là le train vient de nous arrêter à Liverpool Street
et je n'ai pas l'impression que le prochain sera là de sitôt. Je puis encore
aller étudier à Royal Holloway plus près de chez moi, mais ils veulent absolument
me rencontrer. Leurs stupides rencontres ne se font que les mercredis et je ne
peux justifier prendre un jour de congé pour cela. Or, ils sont tant désespérés
qu'ils ont organisé une journée le samedi, mais j'étais à Prague. Tout me
pousse vers Queen Mary, même cet Indien que j'ai rencontré un soir à Q-Dos. Il
me confirmait que QM&W était bien mieux. Certes ils ont l'air plus fous...
ou illuminés. Et puis, ils ont un vrai département de théorie de la physique,
Holloway n'a pas cela.
Bon, enfin terminé. Quel calvaire, je déteste
ces journées ouvertes. Je ne suis pourtant pas découragé par cette visite. Mais
parfois je me demande si les physicistes n'ont pas perdu le nord. Ils m'ont
semblé plutôt ingénieurs passionnés à construire des détecteurs capables de
voir plus loin dans l'espace et l'infiniment petit. Or, tout ce travail de
laboratoire ne m'intéresse pas. Heureusement seuls les étudiants de plus haut
niveau travail sur ces projets. Moi, tout ce que je veux, c'est bouffer des
maths et de la physique jusqu'à ce que ça me sorte par les oreilles, que ça pète
et que je comprenne l'image globale de ce qui se passe en ce tournant du second
millénaire. Aussi, je suis tant habitué de voir de la haute technologie, que
leurs petits laboratoires m'ont semblés bien peu futuristes, plutôt arriérés.
Tout est en décomposition et d'une simplicité enfantine. Je n'aime pas l'idée
que tout ce qu'ils font, je pourrais le faire dans ma chambre. Je veux des
machines tellement compliquées, et des expériences très dispendieuses qui
risquent d'apporter des résultats. À moins que c'est un fait que l'histoire de
la science est plutôt simple et que ce n'est pas par la complexité que l'on
atteint des résultats. Dans mon cas, je ne voudrais même pas voir un
laboratoire, le côté pratique me tue, car ça bouffe ton temps, c'est répétitif,
et je n'ai aucun intérêt à reproduire ce que d'autres ont déjà prouvé. Si un
jour mes propres théories m'apportent des raisons de croire que le laboratoire
pourrait m'aider à prouver quelque chose, alors, oui, peut-être. Alors les
laboratoires m'ont effrayé plus qu'autre chose. Je ne pourrais m'imaginer
perdre mon temps à construire un appareil photo qui se retrouvera dans une fusée.
Je suis vraiment pour la théorie, rien d'autre. Je crois que j'irai étudier là.
Holloway sera encore plus terrible. Comment savoir ? Assez de tout cela,
je suis mort.
Aujourd'hui James m'a parlé pour me dire qu'il avait enfin avoué à son
ami Chris de Newcastle ce qu'était son problème, apparemment Chris is shocked.
Ce à quoi j'ai répondu que rien n'était vraiment surprenant aujourd'hui et que
j'étais bien heureux qu'il ait parlé à quelqu'un. Je lui ai demandé s'il se
sentait mieux, mais il n'a pas répondu. Il semble me faire la gueule, et m'a
seulement avoué qu'il a tout dit à Chris parce qu'il pense que c'était
important pour moi de le savoir, et que je devrais sans doute me sentir bizarre
parce que ce n'est pas à moi qu'il l'a dit, mais à Chris. Son message est le
suivant : comment aurais-je pu t'avouer quelque chose que je n'ai jamais
dit à personne alors que je ne l'ai même pas avoué à mon meilleur ami qui n'est
pas toi ? Ainsi j'accepte cette façon, je comprends aussi. Je lui ai dit
que sans doute, si nous n'avions pas poussé les choses à leurs limites ce
lundi, sans doute il ne l'aurait jamais dit à personne. Ce midi il n'est pas
venu au pub. Je ne m'aventurerai pas à l'inviter prendre une bière, après ce
qui s'est passé et sa réaction actuelle. Pourtant il a vraiment besoin de moi
et je dois subir tous ses caprices. Je dois sans cesse être là s'il me demande
quoi que ce soit, et je ne dois pas le pousser à aller prendre un verre, je
dois suggérer peut-être. De toute manière il ne se gêne pas pour m'envoyer promener
si cela ne l'intéresse pas. Je dois être un bon psychologue car il me déteste
pour mourir et a finalement craché le morceau, à un autre. Pourtant je ne
voulais pas jouer ce rôle. Je n'ai posé que de petites questions bien simples
et ça l'a bien marqué, car il en a fait tout un plat. Je me demande bien ce qui
peut vraiment surprendre son ami, à mon avis c'est de l'abus sexuel. Ce ne peut
tout de même pas juste être son père qui est sourd et le manque de
communication, son ami n'aurait pas été en état de choc alors. Enfin, je ne le
saurais sans doute jamais et je n'ai plus le droit d'insister, de demander quoi
que ce soit. Je m'en fous, je suis bien content qu'il ait parlé à son ami, car
maintenant je crois que ce sera plus facile. Il devra changer, les choses vont
changer, parce que maintenant sa configuration de la réalité a changé. Quelqu'un
sait, le monde sait son secret. Il n'y a plus de secret, plus de raison de
souffrir en silence, incompris et seul au monde. Maintenant c'est le temps
d'agir. Je me demande si un jour il me remerciera ou si au contraire je suis
tout à fait brûlé à ses yeux pour toujours.
La semaine prochaine je pars en Espagne avec Stephen, Tenerife, pour une
dizaine de jours. Et croyez-le ou non, la journée d'avant je m'en vais à
Amsterdam pour une journée éclair avec Charles, pour discuter affaires avec une
des compagnies qui exposaient à Prague. Moi qui voulais demeurer bien
tranquille à la maison, au chaud, la période des voyages ne semble plus vouloir
se terminer, se multiplie à une vitesse effrayante, et moi qui pensais que
Prague c'était la fin.
Les deux personnes que je pourrais
potentiellement aimer à l'heure actuelle sont deux mystères complets. Je ne connais
rien de ce qui leur passe à travers le cerveau. J'en ai un, James, qui pourrait
être gai mais est trop coincé pour l'avouer, mais il pourrait plutôt avoir un
autre problème psychologique intense, et c'est cela mon problème. Ensuite j'ai Enrico,
le copain de David, qui m'a toujours un peu dragué sous prétexte que je
ressemblais comme deux gouttes d'eau à la seule personne qu'il a jadis aimée,
et maintenant que David est parti en Chine, qu'il se promène à Shanghai avec
Caroline la Parisienne, Enrico veut me voir. Mais nos horaires ne fonctionnent
pas, et c'est maintenant à deux heures de l'après-midi ce samedi (demain) que
nous nous sommes donnes rendez-vous au National Gallery à Trafalgar Square. Bien,
il a certes du style, jamais personne ne m'a donné rendez-vous au National
Gallery auparavant. Pourtant, malgré tout ce romantisme et ses messages électroniques
par téléphone qui me disent « baby » et « I love you » (et
je me demande si ce n'est pas la barrière du langage espagnol d'avec
l'anglais), il me dit aimer David et qu'il va aller le rejoindre au Canada
cette année. C'est que le visa de David tire à sa fin et il ne lui est plus
possible de demeurer au pays. Il n'est pas content et l'idée de retourner au
Canada est infernale. Mais la réaction de son copain est plutôt louche et
bizarre. Est-il seulement intéressé à moi par amitié ? Pourquoi ces
messages d'amour alors que c'est de l'amitié ? Peut-être dit-il la vérité,
il m'aime, mais aime David avant tout ? Et James, pourquoi me donner tant
d'attention si vraiment il en avait mare de mes interrogatoires ? Ne
serait-il pas plus simple de me jeter par la fenêtre ? Pourquoi m'inviter
au restaurant après m'avoir envoyé promener ? Pourquoi m'avoir tant couru après,
avoir tant désiré mon amitié que je ne voulais pas donner, pourquoi tourner
autour du pot à propos de ce grand secret alors qu'il l'a maintenant avoué à
Chris ? Si son secret était d'être gai, ce que je doute, me l'avouer
changerait notre relation, je serais prêt à lui sauter dessus. Je ne le laisserais
pas une minute tranquille. Je le courtiserais jour et nuit, d'autant plus que
maintenant je n'ai plus de complexe, je suis tout à fait mince, enfin, je n'ai
pas été plus beau depuis longtemps. Malheureusement pour Enrico, cela lui
complique les choses alors qu'il doit choisir entre attendre son David de
Chine, ou décider de me sauter dans les bras. C'est qu'il pourrait décider que
David s'en va au Canada, qu'il ne pourra pas le suivre à cause des lois
d'immigration trop compliquées, et que finalement il est libre de se trouver
quelqu'un d'autre.
Peu importe leurs secrets, ce qu'ils pensent, ce qu'ils veulent, s'ils
m'aiment ou non, je n'ai qu'à continuer à avancer, les voir, attendre. J'ai
fait tout ce que j'ai pu, je leur ai tout deux annoncé que je les aimais (alors
que j'étais saoul) et cela ne les a pas effrayés. Alors soyons patient, de
toute manière, je ne peux rien pousser, je suis avec Stephen, et en plus, le
sexe détruirait des situations intéressantes. J'aime bien cette zone grise où nous
ignorons ce qui se passe, où l'amour a le temps de prendre forme, le lit détruirait
ce beau rêve romantique. Pour la première fois je puis dire que je suis heureux
d'être avec deux hommes pour une rencontre, et cela est plus intéressant que de
me retrouver avec eux dans un lit. Pour l'instant du moins. Peut-être parce que
j'ai peur qu'ils ne me trouvent pas si attirant, mais je ne crois pas. J'ai
perdu confiance en moi, je suis tout de même enfin beau et il faut que je me
reconditionne au fait que je ne suis plus gros. Peut-être aussi que j'ai peur
des conséquences, ou alors c'est que j'ai trop expérimenté ces sessions de sexe
sans lendemain et que cela ne m'encourage pas. Si jamais je couche avec l'un
d'eux, ce sera une relation à long terme que je commencerai. Ça voudrait dire
laisser Stephen, tenter de demeurer en Angleterre le plus longtemps possible.
Mais cela, même avec Stephen, c'est un problème.
Eh bien, James ce matin a terminé
notre amitié sous prétexte qu'elle ne va nulle part et qu'elle est mauvaise
pour lui et moi. Aussi, après les événements de lundi, il ne peut plus être mon
ami. J'en suis encore à me demander quels sont ces événements qui sont survenus
ce lundi qui ont tout détruit. Sans doute je l'ai encore trop pressé de
questions. Pourtant il m'a avoué ce matin que j'étais de la meilleure sorte
d'amis, mais qu'il ne fallait point continuer. Rien de nouveau, comme
d'habitude je finis toujours par détruire mes amitiés, car je suis trop
exigeant, surtout si j'ai une chance de tomber en amour. Mais ces choses ne
surviennent pas. Je me demande comment cela a pu m'arriver dans le passé.
Enfin, c'est vendredi, la semaine prochaine je n'ai qu'une semaine de trois
jours, c'est confirmé, je m'en vais à Amsterdam jeudi et le lendemain je pars
pour l'Espagne pour une semaine. Merveilleux, et je pars la conscience
tranquille, car je ne suis point en retard sur ma conférence. Comment ai-je pu
être si bas dans cette compagnie pour revenir autant en surface ? Et
vais-je replonger dans les enfers ? Cela ne dépendrait-il que de
moi ? À savoir, s'agit de travailler fort et tout ira bien ? Le gros problème
de James en ce moment, c'est son interminable conférence qu'il doit finir...
Well, well, well... qui est venu me
rejoindre sur l'heure du midi ? James. De quoi avons-nous parlé ? De
la pluie et du beau temps. Qui voulait aller prendre une bière au Ryans après
le travail ? James. Cela, avant d'attraper son train à Euston une heure
plus tard. Comment interpréter cela ? Je ne sais plus. Il s'amuse sans
doute, sans le savoir. Enfin, cela m'a permis de le voir et de lui parler deux
fois plutôt qu'une, alors qu'il avait mis un terme à notre amitié. Je crois que
si j'évite de parler de ses problèmes, tout va bien. Ainsi je n'ai qu'à me
taire. Ma relation avec James semble loin d'être terminée, mais elle n'est
point sans rebondissements. Je ne le comprends pas. Ce n'est pas la première
fois qu'il tente de terminer notre amitié, mais chaque fois il revient en force
pour une amitié durable. Puis il m'a fait lire ce passage de ce livre bizarre,
impossible de me souvenir, ou c'est mentionné que la personne aimée n'est pas
toujours la bonne personne, mais c'est une des raisons pourquoi on l'aime. Elle
existe pour nous punir et nous faire souffrir et c'est peut-être cela l'amour.
Or, de cela je suis parti en trombe, enfin il me parlait, tentait de me faire comprendre
quelque chose ! Arrivé au Ryan, avec le livre comme il m'avait demandé, il
m'a lancé qu'il n'y avait la aucune signification autre que le fait que
j'aimerais ce passage. Maintenant je me demande si ce n'était pas juste une façon
d'éviter de parler du sujet. Est-il intelligent ou juste con ? Incapable
de me parler, de communiquer, comme son père qui est sourd ? Tenterait-il
de me faire comprendre des choses ? Nul doute. Donc il m'aimerait car je
le confronte avec sa vie, avec ses problèmes... bien que cela n'impliquerait
pas qu'il soit gai, mais plutôt que je le pousse à agir, à confronter son
destin. Oui, je l'ai aidé aujourd'hui au travail, je l'ai encouragé, je lui ai
fait comprendre que rien n'était perdu, qu'il s'en sortirait, que le tout
semblait merveilleux ! Que tout était moins pire qu'il ne le croyait, du
moins. Je lui ai botté le cul, sacré un bon coup de pied au cul pour qu'il se
reprenne en main et termine sa conférence. Il semble être reconnaissant. Je
crois qu'il a besoin de moi pour survivre au travail, sinon c'est un enfer
impossible. Mais je crois qu'il voudrait se distancer de moi, pourtant il est
venu me rejoindre au Cock Tavern et m'a invité au Ryan's Bar. Incompréhensible.
J'aimerais bien qu'il se branche. Que veut-il au juste ? En sortant de la
taverne, je lui ai dit qu'encore une fois il n'était venu au pub que parce
qu'il se sentait coupable de ses messages. Mais cela va bien, sinon il ne
m'aurait jamais invité au Ryan. Et ce n'est pas juste pour passer le temps
avant d'aller prendre son train, car il avait la chance d'aller avec les autres
au Mortimer Pub. Il voulait définitivement être avec moi seul au Ryan's. Peut-être
aussi est-ce qu'il ne peut sentir personne d'autre que moi au travail. Certes,
je ne puis sentir personne d'autre que lui. Et cela devient inquiétant, car
aujourd'hui je ne faisais que penser à lui, je ne puis le regarder sans que
tout le monde me voit, alors je pense à lui et il demeure juste à côté de moi
sans que je ne puisse le regarder. Mais lui est situé de sorte qu'il peut me
voir en tout temps. Heureusement ce n'est pas le contraire. Car je suis
vraiment attaché à lui, franchement j'éprouve des sentiments. J'aimerais bien
juste le prendre dans mes bras, l'embrasser, lui avouer mon amour et combien je
voudrais mourir dans ses bras. Quelle gaffe cela serait... et demain je vais voir
mon Enrico ! Merveilleux ! Ma vie est remplie ! De désirs et d'émotions,
qui demande mieux ? James n'est pas fou, au contraire, il est très intelligent.
À mon avis il savait ce qu'il me faisait lire, je comprends donc qu'il m'aime,
ne peut l'avouer et que je le pousse à bout et c'est pourquoi il m'aime.
Merveilleuse traduction des événements, j'aime bien croire cette version. Je me
souviens cependant de quelque chose que James a dit, c'était qu'il devrait
déménager en Allemagne, qu'il aurait un taux de succès plus élevé. Car là-bas
ils aiment les grands blonds aux yeux bleus, mais pas à Londres. Ça résonne
comme si franchement son problème est qu'il n'a pas encore de relation stable
avec une fille. Il pense qu'en Allemagne il aurait plus de chance.
Je m'en vais au café de la crypte en
dessous de St Martins in the Field Church. Et je m'en vais écouter la petite
histoire d'Enrico. C'est la première fois que nous serons seuls, et après tout
nos messages, je me demande bien s'il a quelque chose à me dire, ou si cela
sera tout simplement une rencontre de plaisir entre amis. L'un ou l'autre est
possible, David revient de Chine dans moins d'un mois pour une dizaine de jours
avant de repartir pour le Canada. Je doute qu'Enrico me saute dans les bras. Je
ne comprends pas pourquoi je ne me sens pas mal à l'aise face à cette rencontre
avec le copain de David, alors que David s'inquiétait justement que nous
pourrions nous voir, il m'a dit de ne pas le lui voler. Mais David m'a littéralement
lancé dans les bras son ex-copain alors que jamais je n'aurais considéré
coucher avec le copain en titre d'un ami, et je sais également que David n'a
jamais été fidèle et ne sera jamais fidèle. Après ses back rooms à Paris et
partout dans le monde, et ses saunas chaque semaine, je suis désolé, mais tout
cela ne me donne guère l'envie de posséder une morale à toute épreuve.
J'aimerais mieux pourtant que rien ne se produise entre moi et Enrico, à cause
de David, aussi je ne ferai rien moi-même et attendrai de voir si Enrico a des
intentions. Des sentiments aussi peut-être... mais des sentiments pour David,
il en a, il l'a dit plusieurs fois. Alors je ne m'inquiète pas, ce n'est sans
doute qu'une rencontre amicale.
Touristes, le dimanche on penserait
avoir la paix, mais non, c'est encore plein de touristes dans les trains et les
métros. Et ils sont pires que les Londoniens de durant la semaine sur heure de
pointe, car les touristes avancent comme des tortues. La seule façon d'arriver
quelque part c'est de les pousser par terre et de leur marcher dessus.
Enfin, j'ai passé une journée merveilleuse au dôme du millénium avec Enrico,
et bien que j'ai été insistant, il n'a pas semblé importuné. Mais pour lui, la fidélité
représente tout. Si David, qui est à Beijing en ce moment, l'a trompé, c'est
clair que c'est terminé. Or je sais que David est incapable d'être fidèle.
Alors c'est une question de temps et peut-être que j'aurai ma chance. Mais mon
Dieu, que ferais-je de Stephen ? Enfin, je n'en suis pas encore là.
Je suis à Chiswick, nous arrivons à la
fin du mois de mars. Comme d'habitude, et comme je le disais auparavant, je
crois toujours que c'est la fin de mon calvaire, mais aussitôt que le mois
d'avril commence, je comprends que le pire s'en vient. Or, cette fois-ci je
pars pour l'Espagne pendant 8 à 10 jours, aussi je me demande si je serai
frappé par un autobus à deux étages avant mon départ ou peut-être à mon
retour ?
James hier m'a encore raccroché au nez, après m'avoir demandé à nouveau
si je désirais le rencontrer pour aller me lancer devant un train. La chanson
devient assez stupide et même risible, et lorsque je lui ai dit que non, je
n'allais pas aller me lancer devant un train avec lui, il avait encore
raccroché. Mais il faut noter qu'il venait juste d'arriver à la station Euston
et qu'il s'en allait dans l'Underground. Enfin, je me suis retrouvé béat après
qu'il m'ait dit qu'il lui faudrait trouver quelqu'un d'autre (a-t-il donc
besoin de quelqu'un afin de se suicider ?). Je me suis retrouvé à discuter
du problème avec Stephen. La jalousie de Stephen ne lui faisait dire qu'une
chose : oublie-le, ignore-le, il joue avec toi. Sans doute cela est vrai,
et Stephen me disait qu'il a eu des amis qui lui disaient que s'il ne venait
pas tout de suite, ils seraient morts avant le lever du jour. Et certains ont même
pris des overdoses de drogues... et malgré tout cela il me disait d'ignorer
James et sa détresse. Or, je ne pouvais pas faire cela. Peut-être s'amuse-t-il,
peut-être pas. Peut-être s'amuse-t-il mais que si je ne joue pas le jeu il
passera à l'action et se suicidera ? Enfin, c'est un cri cette histoire,
un appel à l'aide, et sa façon d'attirer l'attention sur le sujet, alors qu'il
est incapable de m'avouer quel est le problème. Et finalement, il existe une
autre signification à tout ce qu'il dit. Quand il dit : vient on va se
tirer en face d'un train, en fait il me demande si je suis aussi déprimé que
lui. Il veut parler de cette déprime, il veut du réconfort, que je lui dise que
tout va bien aller, que cette conférence il la terminera cette semaine, et
qu'une stupide bitch de girlfriend, il en rencontrera une éventuellement. Enfin,
cela je ne lui ai pas dit, car je commence à me douter que c'est là tout le problème.
Je ne m'étais pas imaginé que pour un hétéro cela pouvait être tout aussi déprimant
et suicidaire de n'être point capable de trouver quelqu'un pour partager sa vie
que chez un gai. C'est qu'un gai a vraiment l'impression qu'il va mourir seul
tant qu'il ne s'est pas accepté et qu'il n'a pas commencé à sortir pour rencontrer
du monde. Mais je ne pensais pas qu'un si beau jeune homme hétérosexuel, qui
peut pratiquement rencontrer la femme de sa vie à n'importe quel moment de son
existence (en allant pisser dans un buisson par exemple) puisse actuellement
souffrir autant d'être seul. Encore que, il y a peut-être autre chose que
j'ignore. Peut-être la séparation de ses parents, qui a laissé son père sourd et
seul, une chose qu'il aurait pu ne pas pardonner à sa mère. Lorsque je lui ai
demandé s'il aimait sa mère l'autre jour, la réponse n'était pas très claire.
Enfin, puisqu'il est incapable de m'avouer quoi que ce soit, il utilise des stratagèmes
afin de communiquer avec moi, mais il semble s'y prendre mal et il serait bien
simple pour moi de tout interpréter de travers et de l'envoyer promener, car
enfin, je n'ai pas besoin de cela dans ma vie en ce moment. J'ai assez de problèmes
comme ça sans avoir à vivre avec un suicidaire qui ne veut rien me dire. Mais
je m'accroche, je joue le jeu, je suis déjà trop avancé pour reculer, et puis
il a besoin de mon aide et cela me fait plaisir de pouvoir aider quelqu'un.
Bref, je ne serais pas très surpris s'il me disait encore aujourd'hui qu'il ne
veut plus jamais me parler. Peut-être est-ce la honte et les regrets qui
parlent ? Mais alors il me dit que c'est parce que nous n'avons plus rien à
nous dire, que notre amitié ne s'en va nulle part. Je commence à me demander
comment son autre ami gai à Manchester a survécu à l'affaire. Peut-être même
s'est-il finalement suicidé, après tant de bêtises. Enfin, encore trois jours
et je suis parti ! Les Pays-Bas, puis l'Espagne !
Il a réitéré son invitation par email
au travail pour que l'on se rencontre. Il est très persistant. Peut-être est-il
sérieux avec son idée de double suicide et tente de me convaincre ? Peut-être
devrais-je lui demander comment il désir procéder avec le suicide collectif, à
part se lancer en face d'un train, ce qui est peu original. Je voudrais bien
savoir comment sérieux il est. Enfin, je lui ai dit qu'il se sentirait bien
mieux aussitôt qu'il aurait terminé sa conférence et qu'un jour il serait
heureux, lorsqu'il aura trouvé une blonde et peut-être quitté son emploi. Il
n'a pas répondu, peut-être ai-je touché dans le mille, peut-être que je suis à
des kilomètres de la cible. Alors il doit bien s'amuser à me voir me débattre à
tenter de comprendre pourquoi l'homme est obsédé par le suicide et aussi que je
me suicide avec lui. S'il s'agissait de romantisme au moins, s'il m'aimait à
mourir et qu'il voudrait que nous mourrions ensemble pour être ensemble de
l'autre côté ou dans la mort, je dirais peut-être oui, allons-y ! Mais je
sais qu'il ne m'aime pas (le sais-je vraiment ?) et que la seule façon de
voir cela est qu'il a peur de mourir seul ou alors il a quelque chose à
communiquer, un cri d'alarme, ou alors il me teste, ou alors il s'amuse. Tout
cela n'est pas très encourageant. Déprimant, oui. J'aimerais qu'il m'en dise
davantage, mais le pousser à me parler ne fait que l'éloigner davantage. Je
dois prétendre être malheureux et cela l'aide, je crois. Alors il n'est pas
seul au monde dans sa misère, il la partage avec le monde au travail. Mystère.
Je suis maintenant à Barnes Bridge. Je
commence à être très fatigué de James, je ne croyais pas qu'il serait possible
pour moi de flancher avant lui. Eh bien, après lui peut-être, m'enfin. Il est
insupportable, méchant, et agit tel un enfant. Pourtant, tous ces défauts, il
les a en qualité également, il est attachant, gentil, sensible et intelligent.
Il semblerait qu'il cumule et est très hypocrite. Il semble se retenir pour ne
pas exploser ou tous nous envoyer promener, et parfois il n'en peut plus et ça sort.
Et cette constante attention qu'il désire, et parfois il devient fou, maniaque,
dans ces temps-là je pense qu'il pourrait faire des choses imprévisibles. Je
n'aime pas tellement ça, bien que je me reconnaisse beaucoup en lui. En fait,
je ne sais plus quoi penser de lui. Mes vacances me seront très utiles, j'ai
vraiment besoin de m'éloigner de tout.
Je suis à Kew Bridge en ce moment. Hier
le bel Enrico était saoul et m'a téléphoné. Il m'a dit être assez direct parce
qu'il était sous l'influence de l'alcool. Il me demandait si mes plans se résumaient
bien a ceci : on attend que David revienne, on lui demande s'il a été fidèle
en Chine, sinon, c'est terminé entre lui et Enrico, et moi et Enrico commençons
une nouvelle relation à long terme. Je me suis retrouvé bien embarrassé, et Stephen
qui dormait depuis 5 minutes déjà pouvait entendre, alors ma réponse fut vague.
Ensuite il m'a lancé que mes messages et le son de ma voix lui manquaient et
que c'était la raison qui l'avait poussé à m'appeler. Il veut me voir samedi
avant que David ne revienne, mais moi j'aurai Stephen dans les pattes et
impossible de le planter là ou de l'inviter non plus. Ce serait une indélicatesse.
La veille je lui avais envoyé des messages comme quoi on ne pourrait se voir ce
samedi-là juste après mon retour d'Espagne. Et que l'on se verrait lorsque David
serait revenu. Que cela était bien, car David était son copain en titre jusqu'a
ce qu'il commette un péché. Hier les messages que je lui ai envoyés se résument
ainsi :
-Tu
devrais être direct (saoul) plus souvent.
-J'admire
ta fidélité envers David... et j'adore entendre que mes messages t'ont manqué
et que tu désirais entendre ma voix.
-J'aimerais
que l'on puisse parler davantage en apprenant à se connaître. Je ne veux pas détruire
ta relation avec David bien que je sais que je pourrais facilement tomber en
amour avec toi.
-Ma
seule qualité est peut-être qu'il est très facile pour moi d'être fidèle, c'est
également essentiel pour moi. Et j'adore être tout le temps avec la personne
que j'aime.
-Bonne
nuit bebesito
Lui il m'a répondu un message, mais je dormais déjà :
-Je
suis encore debout !
Et
ce matin je lui ai envoyé mon premier vrai message en espagnol (il vient du Venezuela) :
-Buenos
Dias ! Como dormistes amigo ? Muy bien ? (Bonjour ! Comment
as-tu dormi mon ami ? Très bien ?)
Et tout cet espagnol provient des messages qu'il m'a envoyés, alors il sera
surpris... et je l'ai envoyé à James aussi. Je m'amuse comme un petit fou. Et
demain matin je m'envole pour Amsterdam ! Et le lendemain pour l'Espagne.
Mais aujourd'hui je vais travailler bien des heures supplémentaires, et je me
suis couché à 1h du matin hier. Ce sera difficile de faire des heures supplémentaires
si James veut aller prendre une bière, ce sera notre dernière chance.
Enfin, un 5 avril pris à Tenerife en Espagne, pour des vacances non désirées,
dans le club de l'hôtel Adeje Palace, seul, avec un paquets de couples de plus
de 130 ans. Je tente de comprendre comment des chanteurs incapables de parler
l'anglais entre les chansons, sont capables d'imiter Elvis Presley trop bien.
Le tout est enregistré et ils prétendent jouer. C'est encore pire que je ne le
croyais. Enfin, c'est le moindre de mes soucis, après tout ce qui vient de
m'arriver. J'ai passé un merveilleux mercredi soir avec James au Ryans. Il a
été d'un gentil extraordinaire, et ouvert, et a la fin de la soirée il m'a
remercié pour cette soirée, et moi j'ai pris un visage rigide, car je ne
voulais pas laisser supposer que j'avais de quelconques intérêts. Et c'était
parfait. Mais alors à mon arrivée à la maison, j'avais Enrico qui m'avait téléphoné
et qui voulait que je le rappelle. Il s'est vraiment préparé à me prendre sous
son aile si David le trompait ou que le Canada s'avérait une impossibilité. Et
moi, croyant que la fin de mon calvaire avec Stephen tirait à sa fin, je lui
lancé en plein visage que je le laisserais là si jamais Enrico était intéressé
à moi. C'est que Stephen avait entendu notre conversation au téléphone et qu'il
savait maintenant que quelque chose se passait. En effet, c'était très romantique
et amoureux, et le sujet de la conversation était comment se voir le samedi
lorsque je serais de retour d'Espagne, sans que Stephen ne soit là et avant que
David ne revienne de Chine ? Et nous ne parlons même pas de sexe, il
s'agit ici d'une rencontre amoureuse et romantique, comme lorsque nous sommes allés
au merveilleux dôme du millénium au Docklands. Il sera fidèle à David tant et
aussi longtemps qu'il n'aura pas la preuve ou un aveu que David n'a pas été fidèle.
Merveilleux n'est-ce pas ? Qui pourrait rêver d'un copain qui agirait
autrement ? Mais aussi que pour moi il serait bien simple d'être fidèle,
il est le plus bel homme que j'aie jamais rencontré dans le monde gai dans
n'importe quel pays. Pauvre David, attraper un tel poisson cinq mois avant d'être
jeté en dehors du Royaume-Uni. Enfin, je ne pouvais pas faire croire à Stephen
que rien ne s'était dit. J'ai dû lui avouer que je flirtais, mais qu'il n'y
avait pas d'avenir parce qu'Enrico était fidèle à David. Et je lui ai avoué que
j'en avais assez de lui, de ses problèmes de drogues, d'emploi, que nous ne
faisions plus jamais l'amour et ses lamentations, ses interminables sautes d'humeur.
Que je le laisserais là sans pitié si Enrico me voulait, parce que j'en avais
assez. En fait, je venais juste de terminer une soirée inoubliable avec James
et voilà maintenant que j'avais Enrico qui tentait de me voir, je n'étais plus
sur terre. Et voilà que je revenais à une terrible réalité, Stephen qui vient
de se faire mettre dehors de son emploi et n'est plus parlable depuis des jours.
Oh bien sûr, je devrais le supporter dans la détresse, mais il ne rend pas les
choses faciles, il ne cesse de me cracher dessus et de me faire sentir coupable
pour mille et une choses, et moi je n'en
peux plus. Aussi, le lendemain alors que j'étais aux Pays-Bas, je ne
pensais qu'à lui. Il faut dire que la nuit même nous partions pour les Îles
Canaries, alors que moins de 24 heures avant je lui avais avoué que je ne
voulais plus de lui, que j'en avais assez. Pourtant nous avons en ce moment les
meilleures vacances du monde. Nous rions tellement, que plusieurs fois j'ai
manqué vomir de rire. Maintenant que le stress de nos emplois n'est plus, nous
nous entendons à merveille, nous rions sans cesse, nous faisons l'amour tous
les jours. En six jours à Tenerife, nous avons fait l'amour au moins 8 fois. À
Londres, faire l'amour 8 fois = 8 semaines = 2 mois, if I am lucky. Drogues,
stress au travail... tous ses problèmes se résument à cela.
Ainsi le lendemain, après n'avoir
point du tout dormi, je me retrouvais à Amsterdam pour le plus ennuyant et embarrassant
jour d'affaires. Je m'y suis ennuyé pour mourir, et au lieu de m'avoir
rapproché du client, je ferais maintenant tout en mon pouvoir pour ne plus
jamais les revoir, en commençant par ne plus jamais les inviter sur aucune de
mes conférences. Même s'ils investissent £ 30,000 en publicité. Ils
n'auront rien sur ma prochaine conférence à Paris, que je ne verrai jamais car
je ne travaillerai plus là en septembre.
Ce n'était tout rose en Espagne, j'ai
même passé une dernière soirée infernale et mouvementée avec le monstre. Lui ne
me propose pas un suicide collectif, mais me proposait d'aller voler le contenu
de chambres d'hôtels, de faire des choses dangereuses et illégales, parce que
c'était notre dernière soirée à Tenerife. Ensuite il s'est saoulé comme un déchaîné
et est allé dire au cuisinier du restaurant où nous mangions que son copain
(moi) voulait coucher avec lui ! Et il lui a demandé s'il était hétéro.
Revenu dans la chambre, il n'en avait pas encore assez bu et il voulait
retourner au bar de l'hôtel. J'ai tout fait pour l'arrêter car il est clair
qu'il aurait fini en prison. Il n'est plus sorti mais m'a lancé qu'il avait
appelé ses amis de drogues à propos de moi, une clique prête à tuer ou envoyer
à l'hôpital n'importe quel indésirable. Soudainement j'ai bien compris que de
sortir de cette relation sera une chose impossible. Ça ressemblait drôlement à
du chantage son histoire, et j'ai bien passé près de lui dire que si jamais je
me ramassais à l'hôpital à cause de ses amis, j'irais directement à la police
pour dénoncer tous ses crimes. Mais cela aurait été signer mon arrêt de mort.
Je lui ai plutôt dit que je ne m'empêcherais pas de faire ce que je veux faire
et que si ses amis me tuaient, je les remercierais, et s'ils m'envoyaient à
l'hôpital, je m'en balancerais, et que j'espérais que lui-même s'en sentirait
mieux, mais que j'en doutais. C'est alors qu'il m'a pris dans ses bras, m'a écrasé
trop fort en me disant qu'il m'aimait tant qu'il en avait peur.
Je suis à South Kensington en ce moment.
Je me rappelle la soirée d'hier. Paul. Et je le disais comme s'il s'agissait de
Paul Atreïdes dans le film Dunes, version française. Paul. Que faisait-il là ?
En arrière du comptoir du Old Compton Bar sur Old Compton Street de Soho ?
Il s'est vite justifié pour me dire qu'il s'agissait là d'un emploi à temps
partiel, qu'en fait il était un « Customer Service Manager » de 9 à 5
ou 8 à 4 chaque jour… I DON'T GIVE A FUCK !!! Que j'aie pu laisser Stephen
pour ce con voilà cinq ans, cela est incompréhensible. Il était beau lorsque
l'on travaillait ensemble à Victoria, aujourd'hui il me méprise. Pourtant, j'ai
50,000 raisons de plus que lui de le mépriser. Qu'il meurt, là mon souhait.
Est-ce que je méritais tant de mépris, après tout ce que nous avons traversé
ensemble ? Aucun regret, qu'il meurt. Je ne reviendrai plus au Old Compton
Bar de sitôt.
Cela fait quatre jours que je suis sur le Canal du Midi avec Stephen,
nous sommes maintenant à Portiragnes. J'ai emporté une vingtaine de CD, six
livres sur la relativité, mécanique quantique et super cordes, puis j'ai tenté
d'écrire, malheureusement je n'ai pas eu la chance de faire quoi que ce soit.
Il s'agit ici de journées horribles qui commencent à 8h le matin et se
terminent à 8h le soir. Stephen ne veut pas prendre le temps d'arrêter nulle
part, de respirer, d'observer le paysage malgré toutes la préparation psychologique
d'avant notre arrivée. Je lui avais fait promettre qu'il se calmerait cette
fois, mais au contraire. Voilà deux ans il avait un remplacement de sa drogue,
mais pas cette année. Il n'a rien pour deux semaines. Alors après le quatrième
jour il n'en peut plus, il ne se comprend plus, il ne fait que gueuler,
paniquer, promener le bateau à très haute vitesse, enrageant tous les vieux croûtons
Français de Trèbes jusqu'à Portiragnes. Même pas une minute il ne peut arrêter.
Il se lève, saute dans la douche et part le bateau. Il dit qu'il ne lui faut
pas le temps de penser et c'est moi qui en souffre les conséquences. Moi, qui
venais ici pour penser, me retrouve complètement mort à 21h et je dois aller
dormir. Je gracie mon mal de dent de voilà 2 ans qui m'a permis toutes ces
nuits blanches qui m'ont permis de penser et d'écrire. Cette fois-ci cela ne
fonctionnera pas. Et j'ai compris également que mon mal de dent de voilà deux
ans à été causé par les pains baguettes qui sont bien trop durs. Je me souviens
seulement aujourd'hui que non seulement mes lèvres étaient toutes coupées, mais
il a fallut m'arracher trois dents à mon retour en Angleterre. Cela peut
sembler drôle, mais c'est un fait et je me fous bien de la mauvaise publicité
faite aux pains baguettes français. Ils sont horriblement tranchants, ce qui me
laisse penser que les Français doivent avoir de bonnes lèvres et de bonnes
dents. Voilà, il est 23h30 et je suis mort. Je ne saurais pas surpris si ce
paragraphe est tout ce que j'écrirai dans mes onze jours dans le sud de la
France.
Nous sommes à Agde (je n'ai jamais su comment prononcer le nom de cette
ville). Je viens d'envoyer chier mon premier vieux tabarnack de Français. Stephen
m'a poussé à bout car il n'a plus aucune patience pour rien et m'a dit de me la
fermer plusieurs fois, et maintenant que j'ai explosé il me fait une morale
infernale. Alors devant tout le monde je l'ai envoyé promener et je lui ai crié
plusieurs fois to shut up. Je me suis connecté à ma musique pour éviter de
l'entendre et j'espère qu'il va maintenant décrisser pour aller visiter le
terrain de camping. Je jure qu'il reviendra dans moins de 5 minutes prêt à
repartir sans respirer. D'habitude je suis tellement poli, moi l'ambassadeur
des Québécois à l'étranger, je ne voudrais pas que l'on se fasse une mauvaise
opinion de nous en France, mais là j'en ai ma claque de les voir paniquer
outrageusement lorsque l'on passe en bateau à 10 RPM seulement. Et leur curiosité
qui n'en finit plus, tellement que d'attacher un bateau est suffisant pour
qu'ils arrêtent tout ce qu'ils font pour nous regarder se démerder avec les
cordes. Je plains le prochain qui se mettra à gesticuler parce que Stephen va
trop vite, car Stephen a dit que celui-là, il débarquerait du bateau pour lui
flanquer un coup de pied au cul. Le problème est que eux ne savent pas que nous
sommes au seuil de l'intolérance. La merde que j'écris au lieu de ce que je devrais
écrire sur ce canal... misère.
Voilà, nous sommes à Trèbes, fin de notre second voyage sur le Canal du
Midi qui est en fait dans le sud de la France. Quelque chose me dit que ce
n'est pas la dernière fois que je ferai ce voyage, et pourtant je connais
maintenant toutes les villes et villages par cœur. Stephen est en train de lire
The Moving Accident de Sheila MacLeod, et moi je n'ai même pas lu de tout le
voyage !
Enfin de retour à Londres. Je ne sais plus trop ce qui se passe dans ma
vie à l'heure actuelle. C'est l'heure des changements je crois, de bouger, de
changer de place. Pourtant ma porte de sortie est dans quelques mois seulement,
mais c'est déjà très près. Je suis bien heureux que ce ne soit pas trop près de
moi, mais tout de même dans des délais qui m'empêchent de trop souffrir au
travail. Antonio vient de doubler son salaire, comme la plupart des autres producteurs.
Moi je suis encore en attente, sans doute parce que l'on m'a donné les pires conférences
à produire. Pourtant je dois m'assurer un bon salaire avant mon départ, car je
vais tenter de travailler à temps partiel. La physique devient ma raison
majeure d'exister, je ne sais plus quoi d'autre je pourrais ou voudrais faire
sur cette planète, sinon écrire de la philosophie, mais je ne vois pas ce jour très
rapproché où j'aurai le temps d'écrire de la philosophie. Une étincelle
pourrait changer ma vie, pourtant cette étincelle ne vient pas, comme une
vieille voiture tôt le matin, l'étincelle n'allume pas le moteur. C'est sans
doute mieux ainsi, car je ne crois pas que j'aurais commencé la physique à l'Université
de Londres si je ne devais pas travailler à faire des conférences qui me tuent.
En fait, le plus difficile serait de ne point dévier de mes cours de physique
si jamais quelque chose survient dans les prochains mois. Le soleil est apparu
sur Londres, l'été sera chaud. Aurai-je le courage de réviser toutes mes maths
et ma physique avant de commencer l'université ? Il le faudra, je n'aurai
pas le choix. Je vais m'enfermer quelque part et y passer des journées entières.
J'ai retrouvé ma vieille calculatrice, elle fonctionne toujours après 10 ans. Pourtant je n'ai jamais changé la batterie. C'est
phénomenal. J'aimerais en être au stade où j'aurais terminé ma première année
d'université avec la garantie que j'aurais suffisamment d'argent pour survivre
la deuxième année. Oh Dieu, quel enfer cela est, je me
demande si cela sera possible. Rien n'est plus important pour moi que de découvrir
les limites de la science, pourtant personne ne peut cracher sur un salaire de
£ 40,000 par année. Vaut mieux ne pas dire à mes parents combien élevé
sera mon salaire lorsque je quitterai mon emploi, ils ne me le pardonneront
jamais. De toute manière mon père m'a déjà indiqué qu'il ne m'aiderait pas financièrement,
alors... who cares anyway ?
J'ai un gros fatty à côté de moi en ce
moment... fatty !!!
Je crois qu'il a vu cela sur l'écran de mon ordinateur portatif et finalement
il est sorti du train. Et maintenant la fille à côté s'imagine devenir une grande
actrice à cause d'une lettre qui dit rechercher des gens de talent... bull
shit, bull shit, bull shit... elle n'a aucune chance de déboucher nulle part.
Triste monde, j'espère qu'elle se suicidera ce soir. Je n'en ai rien à
foutre... En plus je suis saoul en ce moment et je suis écœuré de vivre, autant
que James qui n'arrête pas de me dire qu'il va se suicider. Eh bien j'espère
qu'il va se suicider et me laisser tranquille, car j'en ai marre.
Hostie de calice de christ de tabarnack ! Je n'ai bu que deux pintes
de bières et déjà je suis en maudit, prêt à tuer tout le monde et à me tirer
une balle dans la tête par la même occasion. J'ai écrasé le pied d'un vieux
christ dans le train et il s'est mis à paniquer et voilà que je suis enragé également.
Ce que je me retiens de lui lancer par la tête : "Ma journée a été infernale,
ma vie est un enfer, et je me fous de toi et de tes caprices. Si tu cherches la
bagarre, je vais te sacrer un coup de poing parce que je n'en ai plus rien à foutre,
de toi, de moi, de ma vie ! Je suis écœuré de tout, je n'ai plus la chance
de respirer, et de retourner en physique ne me semble pas une solution ce soir,
au contraire, c'est une excuse pour lâcher un bon emploi. Or, je vais
m'emmerder tout autant dans cette excuse. J'ai besoin d'une autre solution, une
solution qui m'isolera de tout le monde, peu importe s'il me faut continuer à
travailler comme un déchaîné. Je veux juste ne plus rien avoir a faire avec
autrui. C'est la mon seul idéal de vie a atteindre, ne plus avoir affaire avec
personne.
Je viens de passer la soirée la plus ennuyante depuis très longtemps. Non
pas que Sheila était ennuyante, mais que Tony l'était. Que j'aie pu avoir les mêmes
soirées une à deux fois par semaine depuis deux ans après mes cours de maîtrise
en français à l'Université de Londres me surprend, mais alors j'étais saoul et
ce soir je ne l'étais pas. Alors quand Tony s'est mis a parler de son discours
de Baudrillard et de la modernité, et que nous étions tous des matérialistes
victimes des grandes corporations et bladibla, j'ai explosé et je lui ai dit
que c'était a whole lot of bollocks et que c'était shit. Je crois que je l'ai
traumatisé complètement, mais christ, qui donc en l'an 2000 est encore coincé
sur le Marxisme et les années 70 ? Bon Dieu, ça m'a donné envie de prendre
un fusil et de l'exterminer. Je n'ai plus aucune patience pour rien et
j'aimerais tant m'isoler loin du peuple. Mais voilà, comment faire ? Si je
ne réussis pas cela bientôt, je crois qu'ils vont devoir m'enfermer. Tout le
monde me déteste et je me sens mal dans ma peau, et je travaille trop pour rien
alors que me reste-t-il ? L'isolement ou le suicide. Je serai de retour à
minuit passé, demain sera encore une journée infernale où je dormirai debout.
Pas étonnant que je n'aie plus de patience. Et je suis tellement en manque de
sexe, je coucherais avec n'importe quoi. Pourtant j'avais la chance à l'instant
d'aller dans Russell Park, mais je n'y suis pas allé. Je suis content de ne pas
y être allé, mais je suis en manque. Quelque chose devra bientôt survenir dans
ma vie car à l'heure actuelle elle ne va nulle part. Je dois laisser mon emploi
dans trois mois, et leur annoncer cela dans deux mois. Je crois que je vais
leur annoncer le mois prochain et terminer toute cette merde à la fin juillet.
Il me resterait deux mois pour réviser mes maths et ma physique avant de
commencer. Un mois ne sera peut-être pas suffisant et un mois de plus à venir à
Londres tous les jours pourrait me coûter la liberté, car j'en tuerais bien
quelques-uns.
J'allais écrire ce matin, et puis je me suis mis à lire ce qui précède.
Eh bien, j'allais écrire la même chose. La preuve que je suis dans une
stagnation des plus effrayantes malgré que je sois à Londres. J'ai besoin de ce
changement et je l'aurai dans deux mois, pourtant cela est trop loin. Je me
languis comme si c'était là une libération absolue de l'enfer de ma vie,
pourtant je serai loin de cette liberté, je vais remplacer un enfer par un
autre tout aussi pire.
Une journée avant l'été, tu aurais cru que quelque chose d'intéressant
allait se produire, mais non, à part la chaleur insoutenable qui fait perdre
connaissance à bien des passagers dans les trains de Londres, rien ne survient.
Demain une conférence, Corporate Access to Mobile Intranet. Le nom seul me fait
vomir, et j'ai moins de 60 délégués. Rien d'épatant ne surviendra. Et le pire
est que si un génie sortait de sa bouteille et me demandait ce que je voudrais
qui se passe, je ne crois pas que je saurais quoi répondre. Peut être que la vie
manque de piquant, de surprises agréables, ce genre de chose. L'imprévu, le
changement de la routine. Hier j'ai enfin élaboré une idée scientifique à
poursuivre, mais c'est trop vague, je suis trop ignorant, et les moyens pour
prouver mes choses sont plutôt maigres. J'aurais besoin de penser davantage,
mais voilà, je ne pense que dans le train qui m'emporte au travail, car je déprime
tellement qu'il me faut une évasion. Et je découvrirais une nouvelle équation révolutionnaire
comme E=mc2 que cela ne me rendrait pas plus heureux.
Aujourd'hui c'est la fête du Québec et je suis dans un bar de Richmond
pour fêter cela, ou plutôt fêter la fin de ce qui pourrait être ma dernière conférence.
En effet, je ne serai peut-être pas à Paris pour ma conférence de septembre
prochain. Stephen travaille ce soir et il revient tard. Les deux prochains
jours également. Je devrai travailler sur ma conférence de toute manière, toute
la nuit.
J'ai commencé à travailler à temps partiel dans les conférences à partir
de la maison, en préparation de mon retour aux études. Je suis en ce moment
assis dans le restaurant Wagamama sur Wignmore Street et Duke Street, j'attends
que mon ordinateur soit réparé. Ma première semaine de travail à la maison a
été un échec lamentable, je n'ai absolument rien fait d'autre que de tenter de
réorganiser mon ordinateur alors qu'il était brisé. En plus, même si
l'ordinateur avait fonctionné, le téléphone lui ne fonctionne toujours pas, ni
ma connexion à l'Internet. Maintenant c'est un cauchemar, je ne sais pas ce que
je vais dire à mon employeur lorsqu'il me téléphonera pour me demander comment
ça va. Et la semaine prochaine je ne pourrai pas travailler non plus, je suis à
Paris pour ma conférence. Ma première conférence à Paris. Bref, une semaine que
j'attends avec impatience...
Voilà, je suis en route pour Paris. Je viens de rencontrer mes collègues Charles
et Doreen, ils semblent heureux et sont gentils. Nous étions ensemble à Prague,
alors nous avons comme fait un « bonding » comme disent les British.
Je crois que nous n'aurons pas de problème, d'autant plus que la grande
directrice ne vient plus, bien que mon autre directeur sera là. Je vais tenter
d'oublier que je suis en retard sur ma prochaine conférence, et aussi oublier
cette conférence qui m'amène à Paris. En fait, je m'en vais refaire mon bonding
avec Paris. Ce que Paris doit être dans une chambre d'hôtel à 5 étoiles sur le
Champ de Mars, avec vue sur la Tour Eiffel, au lieu de ma misérable chambre
d'étudiant pauvre de lorsque j'y étudiais. Aussi je m'en vais officiellement
travailler à Paris, ce qui est une première. Mais je ne reviens pas en
vainqueur, malgré mon salaire, je retourne aux études moins de 3 jours après
mon retour. Retourner en vainqueur serait de revenir non pas en auteur à
succès, mais en auteur publié qui aurait vendu au moins 300 copies d'un de ses
livres. Mais attendre après cela est également ridicule. En fait, je ne fais
que retourner à Paris, voilà tout, et je m'en vais prendre au moins un millier
de photos.
Je suis au
Punto BCN (Barcelone) sur Muntaner. Ma conférence est enfin terminée, et après
avoir fini ma boîte d'aspirines, je me suis enfin levé pour aller visiter la
ville. C'est une chance que j'aie eu le temps de visiter un peu avec James qui
m'a accompagné, car j'allais repartir avec tous les préjugés du monde et rayer
Barcelone de ma liste pour toujours. Maintenant j'ai une opinion différente.
J'ai sué toute la journée, j'ai des feux sauvages sur les lèvres (comme
d'habitude cela ne survient que lorsque j'ai une importante conférence comme
celle-ci, WASP Forum à l'Inter-Continental de Barcelone). Je n'ai comme pas
l'envie de sortir et rencontrer du monde, je suppose que je veux juste voir à
quoi ressemblent les bars de Barcelone. C'est la ville préférée de David alors
qu'il a voyagé partout, même en Chine. Il doit bien y avoir quelque chose
d'extraordinaire, car enfin, comment peut-on préférer une ville à Paris,
Londres ou New York? Eh bien, c'est simple, Barcelone est comme un deuxième
Paris, c'est propre, haut en standards, les gens y sont bien habillés et
distingués, et en plus ils sont gentils et non prétentieux. Après cela, on
voudrait presque dire que c'est mieux que Paris, mais ils ne parlent que l'espagnol.
C'est la première fois en Europe à part l'Italie que je me confronte à un pays
en entier qui ne parle que leur langue. Or, David parle l'espagnol, donc pour
lui c'est le paradis. Je pense que je me plairais ici, à apprendre l'espagnol.
Il y a plusieurs couples qui s'embrassent, pas un ne m'a
encore regardé. J'attends plus tard pour me rendre à l'Alternativ sur
Villarroel, puis Frivolité et Médusa sur Casanova. Je ne ferai rien d'autre et
je repars demain vers 14h. J'ai payé ma compagnie £ 128 pour garder la
chambre jusqu'à vendredi matin, je pense qu'ils se sont rendus compte que j'ai
pris une journée de plus à Paris lors de ma conférence. Un message s'est
promené cette semaine de la grande directrice à propos des journées
supplémentaires. J'ai appris une leçon, ne jamais tenter de voler sa compagnie,
ils savent tout, ils voient tout, le seul risque est de perdre son emploi. Cela
n'en vaut pas la peine. Pourtant au lieu de venir me voir et me demander de
payer, ils ont lancé un message général. Ils ne s'en sont peut-être pas rendus
compte, mais je ne prendrais pas de chance la prochaine fois.
Ma prochaine conférence est deux semaines en retard, elle
devrait déjà être imprimée. Tout va mal, l'association principale a décidé de
ne plus avoir sa réunion en même temps que la conférence qui aura lieu à Amsterdam
en février, juste avant le congrès des téléphones mobiles à Cannes. Ce mois-là
je ne serai jamais à Londres, nous allons à Chamonix ensuite pour skier, tous
frais payés par la compagnie. Et moi qui n'ai jamais skié de ma vie.
Je suis mort, complètement mort. J'avais les deux plus
fatigants délégués à ma table la dernière journée, celui qui a détesté la
conférence complètement et s'est lamenté à tout le monde, puis l'autre con qui
ne parle que sa propre langue (il vient d'Uruguay), qui est tout mêlé et ne
parle que de conneries. Eh bien celui-là je l'ai rencontré aujourd'hui lorsque
je visitais cette affreuseté de cathédrale non terminée. Bon dieu, je ne puis
même pas visiter la ville sans rencontrer mes délégués. Et puis ce bar gai me
fait chier, tout le monde est beau, et moi je suis laid, j'ai envie de tous les
achever. Je pense que je vais rentrer très bientôt.
Hier j'ai eu ma soirée Scottish, avec ma coordinatrice et
son chum qui sont tous deux de Glasgow. Ils étaient le couple parfait, tous les
deux en amour, tous les deux beaux. Moi les Écossais, je les trouve
irrésistibles. Ils sont tous très beaux. Un autre Écossais s'est assis à notre
table lors du Dîner Gala à l'Opéra de Barcelone, et Dieu qu'il était beau. Mais
il a insisté pour être pris en photo avec cette fille à robe rouge que James
avait déjà repéré auparavant. Tous deux se sont fait prendre en photo avec elle
et en plus elle s'intéressait à James. Quand je repenserai à Barcelone, je
reverrai en ma mémoire le beau James et les endroits que nous avons visités
ensemble (surtout le stupide plus grand stade de football d'Europe juste en
arrière de l'Inter-Continental). Il avait sa chambre juste en face de la mienne
au 14ième étage et j'ai dormi dans sa chambre la première nuit. Je l'ai vu à
moitié nu mais je ne pouvais pas le toucher, et le lendemain il est venu dans
ma chambre en robe de chambre. Il savait quel effet il causait et il aimait
cela. Mais il est hétéro, et maintenant je n'en ai aucun doute. Toute cette
romance juste bonne à jeter à la poubelle, c'est triste comme jamais. Et puis
il n'a aucune manière ou d'amour propre. Il s'écrasait à l'arrière de la salle
de conférence et ignorait qu'ils s'aliénait tous les délégués. Pendant mon
discours d'ouverture, il sautait à l'arrière et je me demandais si certains des
160 délégués l'apercevaient. Et puis quand l'ordinateur s'est mis à flancher et
que les bannières décollaient (le décor tombait en pièce pendant que les
conférenciers parlaient), lui il riait, il répétait sans cesse comme un cinglé
que bientôt l'écran principal s'écraserait sur le sol et que les caisses de
sons assommeraient les délégués. Et il riait pratiquement haut et fort à propos
de tous les problèmes de la conférence, « dans » la salle de
conférence. Ah, j'ai manqué le renvoyer à Londres par le prochain avion et lui
dire que son incompétence était flagrante et qu'il était incapable de quoi que
ce soit. Je lui ai demandé de recoller les bannières alors que je devais courir
dans ma chambre au 14ième chercher mon ordinateur, car aucun des trois ordinateurs
de la compagnie ne fonctionnait (!) et lorsque je suis revenu 10 minutes plus
tard, il en était encore à tenter de figurer quoi faire. Et ce gars-là produit
des conférences ? Et je suis en amour avec lui ? God !!! Le seul
moment mémorable de sa présence à Barcelone est lorsque je suis remonté dans ma
chambre juste avant son départ, que j'ai vu ses vêtements qu'il avait laissés
là parce qu'il n'avait plus sa chambre, et que je me suis masturbé à sentir une
de ses chemises sales. Quelle honte ! Bref, mon moment le plus mémorable
avec lui, a été celui où il n'y était pas. Je pense que quelque chose de grave
s'est produit, suffisamment pour que mon amour pour lui se termine. Comment
peut-il raconter au déjeuner que je regardais cet Écossais qui parlait français
et vivait en Irlande avec des yeux attendris, devant une collègue qui ne me
connaît même pas ? J'aurais voulu le tuer ! Enfin... il est vrai que
cet Écossais à la chemise rose m'a fait perdre la tête.
Merde, m'asseoir dans un pub avec mon ordinateur de poche
et écrire toute la soirée sans attirer l'attention de personne n'est pas ma
première expérience. La dernière fois c'était à Prague, car à Paris j'avais
Fabrice et ses amis, je ne me suis jamais retrouvé seul, sans compter que mon collègue
gai australien sortait avec moi dans la ville. C'est toujours très triste et
désespéré, je ne fais aucun effort pour rencontrer du monde, mais personne n'en
fait non plus. J'imagine que David ne s'emmerderait pas d'un ordinateur, il
boirait en regardant tout le monde jusqu'au moment où finalement il pourrait
passer à l'attaque. Sans doute il aurait choisi un bar avec une back room et
aurait fait cela sur place comme la dernière fois que nous étions à Paris
ensemble. Et puis j'ai trouvé une liste de saunas bien que je n'ai pas
l'intention de m'y rendre. David y serait en ce moment, encore qu'il pourrait
aussi déjà être à Sitges, la plage gaie. Je ne suis plus aussi extravagant
qu'avant, aurais-je perdu l'intérêt ou confiance ? Ma motivation cette
fois c'était que je me retrouverais à Barcelone avec James, et qu'il voulait
partager une chambre avec moi. Eh bien, il m'a avoué que cela était une blague,
le con ! Mais était-ce vraiment une blague ? C'est facile à dire
après coup...
Enfin, il y en a un qui me regarde. En plus il semble beau,
et pour une fois, il n'est pas seul avec son copain en train de se manger. Il a
deux amis avec lui. C'est presque gênant s'il vient me parler, je pue le
touriste qui vient de redescendre du Montjuic après avoir grimpé la Pedrera
Espal Gaudi, non je veux dire la Sagrada Familia. Il est un peu gros et à l'air
tapette. Enfin, il me convient dans les circonstances. Mais il a besoin de bouger
dans les 5 minutes, car moi je m'en vais à l'Alternativ. L'histoire de ma vie.
21h26. Je pense qu'il a du crayon noir dans les yeux. Il est vrai que je ne me
suis jamais plein lorsque Robert Smith des Cures en portait, mais je suis
incertain lorsqu'il s'agit de quelqu'un avec qui je coucherais. 21h27. Il
ressemble à ce André que j'ai connu avant de resacrer le camp de ma ville
natale voilà 5 ans. Ça me donne envie de vomir. 21h28. Un nez de cochon aussi.
21h29. Il parle maintenant au téléphone... 21h30. Voilà, j'ai fini ma bière.
21h31. Je décrisse d'icitte hostie !
Je suis maintenant au Dietrich, je me suis remis à
l'écriture. À l'Alternativ c'était trop vide et j'étais incapable de trouver
les deux autres que j'avais vus au Casanova. Ainsi je suis allé au Oui Café, et
Star Trek Generations jouait sur deux télévisions à la fois. Alors je me suis
mis à regarder la télé, et le monde, et j'ai parlé avec un Catalan qui m'a
raconté l'histoire des Catalans. Environ 8 millions le parlent, 4.5 millions le
parlent comme langue maternelle, et depuis toujours, même aujourd'hui, les
Espagnols tentent de les assimiler. Je dirais qu'ils ont réussis puisque tous
les Catalans parlent très bien l'espagnol. Or, bien qu'il m'ait laissé au Dietrich
car il ne m'a pas tout dit sur sa vie et je crois que c'est un homme marié, il
m'a éclairé sur certaines choses. Je pensais que les Catalans ressemblaient
énormément aux Canadiens-Français et que même leur accent était bien similaire
aux Québécois, c'est-à-dire l'ancien français. Je me sens pratiquement chez moi
à Barcelone tellement je trouve que le monde ressemble aux Québécois. Et
lorsque je marche dans la rue, je crois entendre du québécois jusqu'à ce que je
réalise que c'est espagnol ou catalan. Or, les Catalans sont des descendants
Français et je pense que la rupture date du temps où justement les Français se
rendaient au Québec. Je n'arrive pas à comprendre pourquoi je n'avais jamais
entendu parler de ces Catalans jusqu'à hier... suis-je responsable d'un tel
manque à mon éducation? Aurais-je dû moi-même, par curiosité sur les Espagnols,
faire une recherche sur les choses les plus basiques les concernant ? Ou
au contraire devais-je attendre d'être enfin ici pour apprendre le tout à leur
sujet ? Bref, la situation catalane est très similaire à la situation
québécoise, et partout où je vais je pense que les Catalans, les Écossais, les
Irlandais, les quatre colonies de l'Empire comme l'Algérie peut-être, ont
raison de se révolter. Mais je trouve bizarre qu'au Québec je ne sois pas
d'accord avec cela. La vie est complexe.
Peut-être que je ne suis pas aussi laid que j'ai
l'impression de l'être, beaucoup de monde me regarde. Mais c'est une place
bizarre ce Dietrich... les bars sont beaux, modernes, chics et propres, j'aime
bien. Mais ils n'ont certes jamais vu de petits ordinateurs portatifs avant, du
moins celui que j'ai, car comme à Prague ils semblent bien impressionnés par ce
gadget qui coûte une fortune. Ah, je m'emmerde, je pensais avoir trouvé la
personne que j'allais ramener à l'hôtel, Juan, mais voilà, il devait repartir
pour Dieu sait qui... le con, lorsque l'on est pas intéressé à coucher avec
quelqu'un, on ne le regarde pas pendant 30 minutes, car moi avant de me décider
à parler avec quelqu'un, il me faut bien qu'il m'ait regardé pendant 30 minutes
sans arrêt sans s'être intéressé à quelqu'un d'autre. Ils sont tous en
admiration devant mon ordinateur, ils sont vraiment cons. Même à Prague ils
feignaient avoir déjà tout vu, de peur que l'on pense qu'ils n'étaient pas si
développés que les journaux Européens le laissent entendre. Ici ils n'ont aucun
complexe ou de honte, un peu comme les Britanniques du Nord, un peu comme James.
I
could shoot the guy. So pensons à autre chose. Bon, 12h26, mon club est ouvert,
Arena. Juan m'a donné un billet d'entrée gratuit. Si je m'emmerde, je saute au
Metro. 1,500 pesatas au Metro comparé à 600 pesatas pour l'Arena, j'aurais
tendance à croire que le Metro est mieux. Mais le Metro a ce labyrinthe back
room de sexe où l'on te vole ton argent pendant que l'on te fait un blow job,
comme dans Russell Park à Londres, aussi cela m'intéresse moins.
Voilà, je suis au Médusa, un endroit supposément très
populaire. C'est intéressant, très moderne, des ballons lumières pourpres,
verts et rouges. Les barmans sont en bedaine et musclés, j'ai un super de beau
gars à ma droite, je ferais n'importe quoi pour lui sauter dans les bras. Mais
il me semble trop niaiseux pour comprendre autre chose que l'espagnol. Je devrais
vraiment rentrer, mais je reste...
Je suis à l'Arena.... lorsque je suis entré c'était Final
Countdown d'Europe. Cette chanson était populaire voilà 15 ans ! Et puis
toutes les chansons suivantes sont toutes aussi quétaines, passées date.
Plusieurs m'ont regardé lorsque je suis entré, mais j'ai tant perdu confiance
en moi, je n'ai retourné aucun regard. De toute manière la musique est si
horrible, je vais quitter dans les 5 minutes pour ma dernière destination. Un
autre club appelé Metro. Je ne crois pas rechercher quelqu'un pour la nuit,
mais j'ai certes fait un tour complet des bars et clubs pour un jeudi soir.
Je vois toutes ces tapettes ce soir, programmées comme des androïdes,
ils dansent à la Star Trek. Ce qui me rappelle que durant ma conférence, James
avait décidé de se décrotter le nez dans les profondeurs inatteignables, et
j'ai dû lui dire d'arrêter, cela n'avait pas de bon sens, durant la
conférence ! Mais maintenant que je suis à travers tous ces robots, je
pense que je ne ferais confiance à personne d'autre que quelqu'un qui ose se
décrotter le nez à deux mains en public. Une telle personne n'a, à mon avis,
rien à cacher.
Je suis entre
Barcelone et Londres (en France ?). Enfin,
je suis rentré seul à l'hôtel et cela m'a ravi. Je n'aurais pas voulu
m'encombrer de quelqu'un, ne pas dormir de la nuit et être en état de panique
le lendemain alors que je devais faire mes bagages. Je suis également bien heureux
de retourner à la maison à Londres. Ces voyages deviennent de plus en plus
compliqués et longs, et stressants. J'ai tellement de travail en retard, enfin
j'aurai le temps de m'y mettre. Quelle belle rencontre j'ai faite avec ce
Catalan, et si je regrette une seule chose, c'est bien de l'avoir invité à
venir à l'hôtel... ça a détruit la romance. Il me rappelait beaucoup Ed, mon
amour new-yorkais, car ils ont tous deux le même accent. Et j'ai hâte de
retrouver Stephen.
Je suis
maintenant au-dessus de l'océan Atlantique. La planète a fait beaucoup de bruit
l'an dernier car c'était l'an 2000. Maintenant nous arrivons à la fin de cette
année 2000 et rien n'a changé. Rien ? Je ne dirais pas cela. En ce qui me
concerne, tout a changé. J'ai perdu de ma vigueur, ma jeunesse, ma face
d'enfant. Pratiquement du jour au lendemain. J'écris dans l'avion et j'ai au
moins trois lecteurs qui regardent mon écran et potentiellement ce que j'écris.
Nous ne serons jamais tranquilles. Enfin, je retourne chez moi après deux ans
et demie d'absence, et je n'ai aucune idée de la réception que l'on me prépare.
Si je me souviens bien, la dernière fois ça a mal tourné et cette fois nous
verrons. Je commence à écrire maintenant, car je sais que j'en aurai long à
dire. Enfin, oui l'an 2000 a changé des choses, j'ai une dizaine de gadgets
électroniques qui font à peu près tout et une connexion rapide à l'Internet qui
a changé bien des choses. L'ère futuriste que nous attendions s'opère lentement
mais certainement. Ma grand-mère est morte, mais je me demande si cela aura
changé bien des choses. Ce sera drôle de ne plus la voir, mais elle était
devenue tant silencieuse, si enfermée dans sa bulle, que nos seuls échanges
étaient les quelques questions qu'elles me posaient, surtout sur mes études.
J'imagine qu'ils m'emmèneront voir son urne, cela sans doute m'affectera, de
comprendre qu'on a brûlé ma grand-mère et qu'on a mis les cendres de son
tombeau et de sa personne dans des oiseaux de verre. J'ai une conférence à
faire pendant les fêtes, vous vous rendez compte ? Quel enfer. Je l'ai
voulu, j'ai tellement perdu de temps depuis que j'ai commencé à travailler à
partir de la maison. Encore trois heures d'avion avant Montréal, ensuite un
autre avion jusqu'à Bagotville. Je n'arrive pas à comprendre comment je pouvais
prendre un autobus dans le passé pour faire un autre sept heures jusqu'au
Saguenay, juste pour épargner deux cent dollars alors que le bus devait bien me
coûter un autre cent dollars en tout. Je suppose que je voulais bien comprendre
comment loin dans le nord ma famille habite, et combien loin j'habite d'eux.
Je crois que
j'ai accepté l'existence maintenant. J'ai dû abandonner mes études à cause de
mes conférences en retard, mon employeur n'a jamais voulu comprendre que je ne
devais travailler qu'à temps partiel. Je crois que j'ai, après 28 ans, accepté
que je n'étudierai plus, que j'aurai un emploi stable dans les conférences et
que je ne ferai plus que faire passer le temps parce que rien d'intéressant ne
se produit dans ma vie à l'heure actuelle. J'accepte tout cela avec
l'impression enfin qu'un jour je mourrai et que l'attente ne sera pas si
longue. J'ai survécu 28 ans et cela ne m'a pas semblé si long. Un autre 28 ans
est endurable, si jamais j'atteignais les 70. Mais c'est drôle que j'aie pu
accepter ces choses. Enfin, je ne crois pas que cela va durer. Sans doute je ne
pourrai pas demeurer à Londres toute ma vie, j'aurai un désir de trouver un
nouvel emploi, changer de ville peut-être. Avec mon emploi actuel je crois que
je pourrais être transféré n'importe où. J'ai l'impression que je n'ai plus
vraiment de raison de continuer sinon que de faire passer le temps. Enfin,
peut-être que la famille et les amis me changeront les idées. M'insuffleront
quelque chose de motivant. J'ai presque peur de revenir, après tant de temps.
Peur de voir que tout a changé et que je ne fais plus du tout partie de la
famille, peur de voir que rien n'a changé et que leur vie est d'une stagnation
encore pire que la mienne. Qui sait, ils m'auront peut-être remplacé par un
robot ? Encore une fois il me faudrait qualifier la dernière année comme
ma meilleure jusqu'à date. Sur quoi je base une telle affirmation ?
Davantage d'argent et de dettes, une position plus stable que je n'ai jamais eu
dans un emploi, et un emploi plaisant et facile à faire à partir de la maison. Ensuite,
'ai habité à Londres plus longtemps que n'importe quelle autre ville sauf
Jonquière, j'ai acquis plein de gadgets et de jeux d'ordinateurs, tant que j'en
ai perdu l'intérêt, les DVD ont fait leur entrée complète dans notre existence,
cela a changé bien des choses. Enfin, j'ignore pourquoi, mais je pense que
c'est mieux que c'était. Plus de confiance en moi, un meilleur anglais, je confirmerai
le tout lorsque l'année sera effectivement terminée.
Je viens d'arriver à l'aéroport
de Montréal et comme prévu j'ai manqué mon transfert. Heureusement il y a un
autre avion dans trois heures et Air Canada m'a donné 20 dollars pour manger au
restaurant. Une serveuse très sympathique, comme on en voit seulement au Québec,
m'a donné un accueil chaleureux et m'a servi pratiquement un pichet de Molson comme
entrée. Mes parents et mes amis m'attendront longtemps à Bagotville, j'espère
qu'ils comprendront que je serai dans le prochain vol. J'ai tenté d'appeler
tout le monde, avec une vieille carte de Bell Canada qui marche encore, après
trois ans. Mais ils sont tous déjà partis à l'aéroport. Je me demande quelle
réception ils me réservent, mais cette attente construira une panique et les
retrouvailles causeront une explosion tellement nous serons heureux de nous
revoir. Ce qui est bien avec la famille et les vieux amis, c'est que l'on
s'aime sans condition, et ils m'accepteront peu importe mes défauts et peu
importe tout le blabla que je lancerai durant mes périodes d'ébriété avancées.
Eh bien, je suis assis en plein milieu de la place dans un restaurant, seul,
pourtant je me sens à l'aise, je suis chez moi.
Un con s'est
assis à côté de moi avec une humeur massacrante et a rendu ma serveuse d'une
humeur massacrante également. Son steak, qui m'a semblé parfait, ne l'était pas
suffisamment à son goût, et maintenant nous avons tous perdus le sourire. Non
seulement j'ai manqué le vol qui est parti selon moi avant l'heure, mais
maintenant une tempête de neige effrayante s'est levée et tous les avions sont détournés
à Toronto et à Québec. Tous les vols d'ici vont partir dans quatre heures
seulement et moi, on m'annonce que les avions sont arrosés avec un liquide
antigel spécial et que ce sera au moins une heure de retard. J'ai l'impression
que je ne quitterai jamais cet aéroport déprimant. Et je suis crevé, et je me
sens mal, et ce stupide dessert que j'ai pris parce que je voulais dépenser les
20 dollars d'Air Canada m'a coûté 12 dollars, le tout a sauté amplement les 20
dollars. Ou bien c'est des prix d'aéroports ou alors l'inflation au Canada n'a
pas perdu son temps depuis quelques années. Ça ne me surprendrait pas que
l'avion s'écrase, mais qu'au lieu de mourir nous soyons perdus dans le parc des
Laurentides pour quelques jours, à marcher dans la tempête. On revient dans son
pays de pôle nord, ou on ne revient pas. Mère nature ne manque jamais son coup.
Chaque fois que je retourne chez moi, c'est la même histoire, une tempête se
lève et je suis incapable d'atteindre ma région. De tous les aéroports que j'ai
vus dans le monde, Dorval est le plus laid, vieux, non pratique, et des douanes
infernales qui n'en finissent pas. Et les Québécois commencent à me tomber sur
le système, et je me demande ce que je fous ici et j'ai bien juste envie de
reprendre le premier avion pour Heathrow, ma vraie demeure. C'est sans doute
que je suis fatigué et que je ne sais pas à quoi m'attendre, mais je méprise le
Canada et les Canadiens, qu'ils soient anglophones ou francophones. Pourtant
nous sommes riches, c'est propre, nous sommes classés comme meilleur pays au
monde où habiter. Peut-être que c'est cela qui m'énerve, cette perfection. Et
le tout ne fait pas sérieux. Cette gentillesse, cette parure que nous sommes
mieux, que nous sommes beaux, que nous sommes fiers d'être Canadiens ou
Québécois. Et je le suis, fier, lorsque je suis à Londres. Mais je cesse d'être
fier aussitôt que je suis de retour. Toutes leurs histoires ne m'ont jamais
concerné, et ne me concernent certainement pas davantage aujourd'hui. Mon
avenir au Canada aurait été noir, je n'aurais pas eu d'avenir au Québec. Ni en
littérature, ni dans les conférences. Encore que, qui sait ce qui serait
survenu si j'étais demeuré ici... ce ne sont certes pas mes anciens copains de
classe qui m'auraient aidé ou encouragé. À part mes quatre ou cinq bons amis,
on m'a toujours méprisé, attaqué, ridiculisé. Qu'ils aillent tous se faire
foutre. Où est ce tabarnack d'avion christ ! Si je parle encore avec une
vache qui s'impressionne que je vis à Londres parce qu'elle n'est jamais sortie
de son trou, je pense que je vais oublier mon titre de Québécois téteux qui est
hyper gentil et je vais royalement l'envoyer chier. Je vais lui dire que je
suis un ti-gars de Baie-Comeau ou de Shawinigan, et cela sera tellement sans
intérêt qu'elle me laissera tranquille.
Un groupe de personnes vient de sortir d'un avion qui,
apparemment, attendait là depuis trois heures. C'est l'avion que j'ai manqué !
Il n'est jamais parti et vient d'être annulé. Je savais bien aussi que la
destinée s'organisait toujours pour m'épargner le calvaire, ou du moins
s'organisait pour le mieux. Au lieu d'attendre dans l'avion à me geler les
couilles, je bouffais comme un malade aux frais d'Air Canada.
Merveilleux ! Mais maintenant je me pose la question, cet avion
décollera-t-il ? Les avions pour Wabush, Sept-Îles, Rouyn-Val d'Or,
Moncton, Fredericton ont tous décollés, mais c'est le mien, le dernier de la
soirée, qui sera annulé. Et cela serait un grand problème, car la dernière fois
qu'Air Canada a cancellé mon avion, lors de mon départ de Bagotville voilà deux
ans, ils ne m'ont pas offert l'hôtel, ils m'ont offert 200 dollars de rabais
sur un futur vol. Et comme j'ai dû acheter un billet en Angleterre, je me suis
retrouvé avec un rabais de 75 livres sur un billet de 700 livres. C'était le
double d'un billet normal d'avion. Donc c'était de la fausse économie. Je sens
que je vais finir dans un coin noir de l'aéroport de Dorval à travailler sur ma
conférence toute la nuit.
Nous sommes le
23 Décembre, 1h29 du matin. Je suppose que cela est normal, mais ce soir, notre
souper de noël s'est terminé en désastre. Mon père aurait couché avec ma
grand-mère morte et aurait cru bon l'annoncer à ma soeur ce soir, alors qu'elle
était saoule. Vous avez compris ? Ah les histoires de famille !
Nous sommes le
24 décembre 13h29. Il dit que c'était une blague. Ah les histoires de
famille !
Bien des choses se sont passées depuis mon
dernier voyage à Cannes l'an passé. Encore une fois cette année nous voilà tous
réunis ici pour le Congrès des téléphones mobiles. Tous mes collègues sont dans
le bar irlandais du coin appelé Morrison. Toujours ils trouvent LE pub irlandais
de la ville où nous sommes, même à New York l'an passé où nous dormions dans un
hôtel irlandais. Alors ils se mettent à boire leur Guinness comme des malades
jusqu'à ce que quelques-uns commencent à faire des choses qu'ils regretteront,
mais qui alimenteront les rumeurs pendant tout le congrès. Nous étions tous
coincés au deuxième étage du Morrison où le plafond est très bas, et là j'avais
mon hôtesse préférée avec qui j'ai passé tout mon temps à Prague l'an dernier. Je
pense qu'elle a dû me trouver ordinaire, j'ai sacré le camp de cet endroit une
minute plus tard. J'ai même laissé ma pinte pleine sur le bord du comptoir en
espérant que personne de la compagnie ne me verrait. Je m'excuserai demain, lui
disant que ma vision de l'enfer ressemble beaucoup à ce pub irlandais de
Cannes. Surtout lorsque tous tes directeurs et grands directeurs sont présents,
à faire semblant d'avoir du plaisir alors qu'aucun d'eux ne souhaite y être.
Ce matin je me suis assis avec mon chat Myrmicat,
je l'ai pris dans mes bras pour cinq minutes en lui expliquant que je ne
voulais pas y aller, que l'an dernier ça a été infernal et que j'en suis encore
traumatisé. Mais elle n'a rien compris et j'ai dû partir. Et cette hôtesse me
disait que l'an dernier à Prague j'étais tant malheureux qu'elle s'était
inquiétée à mon sujet. Je lui ai dit qu'en ce moment je n'ai jamais été aussi
heureux et ça lui a fait bien plaisir, mais je pense que je suis encore plus
déprimé que l'an dernier. Et cette fois-ci, je sais que ce congrès est un
enfer, alors que l'an dernier je ne soupçonnais pas l'étendu de ce calvaire.
Maintenant je souhaite me faire renverser par une automobile et me rendre à
l'hôpital pour le reste du congrès. Mais alors il me faudrait souffrir tous les
employés qui viendraient me voir… ce serait encore pire. Ma grande directrice
générale m'a fait un grand sourire, ça m'a bien embarrassé, je ne savais plus
quoi faire ou quoi dire, et je l'ai ignorée pour parler à quelqu'un d'autre.
Ils doivent tous être convaincus que je suis « rude », mais en fait
c'est juste que je suis incapable de jongler avec ces directeurs. L'an dernier
Tom Jones chantait au congrès, cette année je crois que ce sera Elton John,
cela donne une idée de l'argent investi dans ce congrès où 20,000 personnes
viendront dans les prochains jours. Nous aurons à remplir 8000 sacs et nos
doigts seront tous en sang avant même d'en avoir terminé 10 %. Alors je me
suis acheté deux boîtes de pansements.
James, celui que j'aime
encore, qui m'a parlé pour la première fois de sa vie voilà exactement un an à
Cannes, est ici lui aussi. Mais cette fois il partage sa chambre avec trois autres
de nos collègues. Moi, ancienneté oblige, je suis seul dans mon appartement. Au
lieu de nous payer l'hôtel Majestic, comme l'an dernier, ils ont pris la décision
de louer des appartements dans toute la ville. Sans doute cette pratique à Cannes
s'est développée à cause du festival de films et du manque de chambres d'hôtel.
Alors moi je jouis de ce bel appartement sur la rue Hoche et j'ai donné mon
deuxième set de clés à James. Nous sommes devenus très bons amis, et il viendra
travailler sur sa conférence dans ma chambre. Je l'ai évité dans la dernière
année, bien qu'il était avec moi à Barcelone et que nous avons visité cette
ville ensemble. Apparemment il va prendre de la cocaïne, car une autre employée
lui a dit qu'elle en emporterait, oubliant les conséquences de transporter une
telle substance via les frontières, et maintenant James est tout heureux d'en
avoir. Et j'ai cru entendre qu'un autre de nos collègues allait en prendre. Eh
bien, moi je suis vraiment hors du jeu. James tremblait à l'aéroport de Luton,
il dit qu'il tremble sans cesse et je comprends bien. Il était incapable de me
verser un verre d'eau à Barcelone à l'hôtel Sofia. Il dit que pour arrêter de
trembler il doit ou boire, ou fumer des joins, ou n'importe quelle drogue fera
l'affaire. Au moins mon copain Stephen ne tremble pas ainsi, mais sans doute il
mourra de son problème d'héroïne. Mes deux meilleurs amis sont dépendants aux
drogues, et moi je suis trop aveugle pour m'en rendre compte, il leur faut me
le dire pour que j'avale de tels concepts. Je suis bien heureux de ne pas
appartenir à cet univers. Ce pauvre James, 24 ans, si beau, bon emploi qu'il a
finalement accepté sans doute grâce à moi, mais maintenant pris d'un problème
de drogues et d'alcool à cause du stress relié à son emploi. Même chose pour
mon copain. Nous vivons dans une société terrifiante, où le stress nous tuera
tous. J'ai beaucoup cru ces derniers temps que le seul moyen de régler mes
problèmes avec mes conférences en retard serait le suicide. J'ai longuement
contemplé cette solution, mais j'ai toujours rejeté cette option à la dernière
minute, car j'ai certaines choses non reliées au travail qui me motivent
encore. Certainement pas le sexe en tout cas, ni l'amour. Ah, si seulement James
était gai, mais il est non seulement hétéro, mais en plus je ne crois pas qu'il
ait fait l'amour une fois depuis l'an dernier. Je plains de toute manière la
fille qui ramassera ce déchet humain qui tremble comme une feuille et qui est
incapable de se contrôler, comme jadis j'étais. Demain sans doute il sera le
sujet de discussion de tout le monde puisqu'il a commencé à boire à l'aéroport
de Luton, a continué dans l'avion, puis n'a pas arrêté de la soirée. En plus il
est vraiment con et égoïste, ça prend un fou comme moi pour aimer de tels
énergumènes. Au moins je ne suis pas un cas désespéré. Si l'on s'est perdu de
vue depuis que je ne travaille plus au bureau, c'est bien ma décision et non la
sienne. Quel est son intérêt d'avoir un ami gai comme moi ? Je l'ignore,
je ne me l'explique pas. N'aime-t-il pas mieux parler football avec mes
collègues qui sont tous maniaques du sujet et qui, même, ont organisé des
équipes dernièrement au bureau pour jouer ? Je l'aurais cru, et oui il
s'amuse beaucoup en ce moment avec eux, il partage leur appartement.
Heureusement je n'y suis pas, et heureusement je ne suis pas jaloux s'il passe
du temps avec eux. J'apprécie ma solitude, mon univers, ma bulle. Je vis bien
plus dans ma tête, dans mes idées, même lorsque je suis assis à leur table à
parler « bollocks ».
Je souffre, je souffre en
collectivité. Je voudrais bien juste ne plus jamais regarder un seul autre être
humain de ma vie. Je ne puis plus souffrir leurs histoires, leur calvaire. Même
James disait qu'il a dû se conditionner pendant deux jours avant de venir ici,
et qu'il ne peut passer au travers qu'en étant saoul pendant tout le congrès.
Et moi aussi j'ai cru la même chose aujourd'hui à Luton alors que j'avais déjà
deux bières dans le corps. Je me suis entendu dire que si je filais ainsi, un
peu saoul, pendant tout le congrès, alors je le survivrais. Mais rien n'y fera,
nous y mourrons tous. Et le pire est que la semaine prochaine nous allons tous
faire du ski alpin à Chamonix, et cette fois je partagerai ma chambre avec 5
collègues. James n'y sera même pas et déjà je cherche des raisons, je souhaite
que quelque chose survienne pour justifier mon absence.
J'espère que personne ne
m'a vu sortir du pub. Enfin, j'ai vraiment sorti avec style, trois personnes me
parlaient, je me suis retourné pendant qu'ils parlaient, j'ai descendu
l'escalier comme un zombi devant leur air ahuris et embarrassé, j'ai
pratiquement jeté ma pinte de bière sur le comptoir et je suis sorti sans
demander mon reste. Il est 1 heure du matin, on se lève à 7h30 demain. J'ai
l'intention d'écrire tous les jours de mon séjour à Cannes. Cela servira au
moins à quelque chose.
La semaine dernière
j'étais à Amsterdam pour la deuxième fois de ma vie. J'ai bien aimé, mais cela
ne m'a pas impressionné outre mesure. J'ai toujours évité d'y aller parce que
d'habitude on y va que pour le sexe et la drogue. Or, comme je suis un peu gros
ces temps-ci, je suis tout à fait fidèle. Et la drogue ne m'intéresse pas.
Étant gai, même les vitrines à lumières rouges où l'on voit ces femmes presque
nues ne m'impressionnent pas. Et toute la ville a comme été décorée par des
étudiants en arts plastiques incapables de peindre ou de produire quoi que ce
soit de beau. Résultat, on dirait une ville pleine de coffee shops mal décorés
où une senteur épouvantable en sort. À mon avis la Hollande reçoit 50 millions
de touristes de plus que ses pays voisins à cause de la drogue et du sexe
légalisés, et cela, oui je le qualifie de coup de génie. Mais il faut voir ces
gens drogués vers 23h le soir dans les rues, ils ne sont pas saouls, mais ils
sont incapables de marcher et j'ignore s'ils sont davantage dangereux. Ils sont
différents qu'ailleurs. Mais une chose est certaine, ils finissent tous par
tomber en bas d'un escalier et se foule les chevilles, souvent sans même s'en
rendre compte. Cela est arrivé à ma collègue qui y est demeuré le week-end comme
moi, mais je suis demeuré éloigné d'elle et de sa meilleure amie venue de
Londres. L'univers des drogues est un univers bizarre et malsain, et tous mes
amis s'autodétruisent en ce moment à cause de ces drogues. Et moi je ne suis
pas mieux, l'alcool me tue, je n'ai aucun contrôle. Je bois jusqu'à ce que je
tombe, et je raconte tellement de niaiseries, j'insulte tout le monde. Souvent
je souhaite que ni l'alcool ni la drogue existe, comme ma vie serait meilleure.
Mais malheureusement tout cela existe, et l'on est à deux mains là-dedans et il
n'y a plus de salut.
Je tente de comprendre
c'est quoi l'an dernier qui nous a tous tués lors de ce congrès, et je n'arrive
pas à me souvenir. Chose certaine, j'ai bien l'intention de disparaître
complètement des journées entières. Et si l'on me demande où j'étais, je dirai
que j'avais du travail à faire sur ma conférence.
Quand je pense que d'ici
un mois ou deux je leur dirai que c'est fini, je quitte le boulot, je n'en reviens
pas. Mon ex-copain Sébastien de Toronto m'a contacté voilà deux jours, et après
que je lui ai décrit en long et en large tout ce que je pourrais faire en
Europe au niveau marketing afin de promouvoir sa nouvelle compagnie dont il est
le directeur général, il était prêt à débarquer à Londres la semaine prochaine
pour ouvrir son bureau. Ainsi moi et Stephen risquons soudainement de nous
retrouver à la tête de la branche Européenne qui est en train de faire de mon
Sébastien un nouveau millionnaire. Apparemment, les commissions que nous allons
recevoir seront tellement grandes que nous aussi pourrions être millionnaires dans
le temps de le dire. Mon nouveau titre sera celui de vice président du développement
Europe, mais je lui ai dit que l'on ne pouvait pas être des présidents et des
VP en Europe. Qu'il me faudrait être directeur général ou directeur général
Europe. Et Stephen serait directeur du développement. Et voilà comment on
devient un directeur général. C'est tout à fait ridicule. Voilà même pas 5 ans
je me morfondais à WHSmith à l'aéroport d'Heathrow comme caissier sous payé, et
maintenant je pourrais bien être un directeur général dans moins de deux mois.
Ça m'a comme pris hier dans mon lit, ce paradoxe. Comment moi, un poète, un
littéraire, pourrait-il être un directeur général d'une compagnie capitaliste à
souhait ? C'est impensable. Quelque chose va survenir à temps pour
empêcher cette folie, je n'aurai jamais atteint un tel bas-fond de toute ma
vie, la plus grande misère jamais connue. J'en aurai des choses à dire si
jamais cela survient. Le pire est qu'en ce moment, à tort, je vois cela comme
une délivrance du monde des conférences que je ne puis plus supporter. Je pense
que ce sera facile de faire un tel emploi pour mon ex-copain qui n'en finit pas
de me demander pardon pour toutes ces choses de mal qu'il m'a fait dans le
passé, surtout à Toronto avant mon retour à Londres où il refusait de me voir.
Comment pourrais-je lui en vouloir? Je lui dois tout. Mon départ pour Paris en
premier lieu, car sans son argent pour m'aider à l'époque (que je lui ai
d'ailleurs remboursé), je n'aurais pu partir. Ensuite c'est grâce à son emploi
à Maidenhead en Angleterre que j'ai atterri à Londres. Et s'il ne m'avait pas
tant rejeté à Toronto, je ne serais jamais reparti pour Londres. Je suis bien
heureux de l'entendre me dire que je suis la seule personne qui lui a appris
des choses, que j'ai vraiment marqué sa vie, cela m'a vraiment fait chaud au
cœur. Et lui aussi a marqué ma vie complètement, je l'ai toujours aimé et je
l'aime encore. Il me dit qu'il a changé, qu'il est fidèle maintenant, qu'il a
compris ce que c'était avec son ex qui avait lui aussi un grave problème de
drogue et qui ne rentrait plus à la maison. Comme je serais heureux de le
reprendre dans ma vie, mais il a un copain maintenant, depuis plus d'un an. Il
est de la Suède, grand et fort, blond, 26 ans. Moi, malgré mes 28 ans, je suis
devenu un monstre, conséquences du stress des conférences. De toute manière
j'ai mon copain à Londres, Stephen, et je l'aime vraiment et je suis fidèle
maintenant. Mais comment seront nos relations alors que nous travaillerons
ensemble ? J'ai l'impression que Sébastien est nostalgique de ce que nous
avions, il a toujours été un nostalgique de ce qu'il avait. Peut-être aussi que
son Suédois manque de personnalité, et cela ne me surprendrait point. J'ai de
la difficulté à comprendre toute sa nostalgie qu'il me déballait en
conversation électronique avant-hier. Je n'ai plus rien à attendre de lui au
niveau affectif, c'est mort définitif. Pour que cela puisse reprendre il faudrait
que nous vivions dans la même ville, ou du moins sur le même continent, et que
nous marchions sur nos mauvais souvenirs. Il m'a tant fait souffrir, mais
aujourd'hui il s'en ronge de remords. La vie serait tellement plus simple sans
conscience. J'admire ceux capables de l'oublier dans le fond des égouts. Il me
dit qu'il veut faire profiter ses meilleurs amis de son succès actuel. Je me
demande si toute l'idée du bureau à Londres ne serait pas justement pour
racheter ses fautes, sa culpabilité. Et si c'est le cas, le tout sera voué à la
faillite, c'est certain. Que restera-t-il de notre relation ensuite, à quoi
ressemblera ce nouveau chapitre dans nos vies ? Suis-je donc voué à passer
ma vie avec lui, sinon en amour, au moins en affaires ? Maintenant que
j'ai 28 ans, je vois davantage ma vie se dérouler devant mes yeux, enfin j'ai
un passé et je construis ou vois mieux mon avenir. Je suis dans le feu de
l'action, ce qui se passe maintenant risque d'être jusqu'à la fin de mes jours.
Or, ce Sébastien ne disparaît pas de ma vie, mieux, il redeviendra bien plus
prêt de moi que nous ne l'avons jamais été alors que nous vivions sous le même
toit. Il y a des acteurs dans nos vies qui seront là du début jusqu'à la fin,
comme mes parents et ma sœur, et ma meilleure amie Christiane avec qui j'ai
partagé de très bons moments à Noël à Jonquière. Pendant un instant alors que
j'étais saoul le jour de l'an, j'ai bien cru que j'allais faire l'amour avec
elle. Nous étions couchés dans le même lit, et si elle avait osé me le demander
ou me toucher, ou se coller contre moi, s'en était fini, nous l'aurions fait.
Elle aussi je l'aime vraiment.
Il est tellement bien de se découvrir de vrais
amis, des amis qui ne sont plus des amis de jeunesse, mais bien des amis pour
la vie. Je comprends Sébastien maintenant, qui se voit millionnaire d'ici six
mois, et qui doit employer tant de nouvelles personnes, il veut aider ceux
qu'il aime. Cela dénote vraiment d'une vraie philosophie de vie, quelqu'un
capable de transcender l'existence quotidienne, de prendre un recul et de
constater : voici ma vie à l'heure actuelle et voici mes priorités, mes
amis, mes relations avec autrui. Et non pas l'ambition, l'argent. C'est vrai
qu'il a changé mon Sébastien, il semble avoir bien souffert après notre
rupture, et il a compris certaines choses. Je pense que tout cela était bien
essentiel à son développement personnel et je n'ai plus aucun doute
qu'aujourd'hui il pourrait m'aimer et être fidèle, jusqu'à un certain point du
moins. Mais nous devons accepter ces choses. Je faisais une obsession de la
fidélité et j'ai eu pendant 5 ans un copain infidèle. Alors les 5 années suivantes
je les ai passées avec quelqu'un complètement fidèle, mais désintéressé du sexe
à cause des drogues. Je suis allé d'un extrême à un autre. Maintenant je
cherche une relation qui est dans la fidélité en apparences et la plupart du
temps, sauf qu'à l'occasion quelque chose pourra se produire si les
circonstances le permettent. Mais je ne veux pas que cela soit discuté, ouvert,
ou le savoir. Un bon compromis, je suppose, pour une relation durable en ce
nouveau millénaire.
J'ignore à quoi joue cette
existence. C'est plein d'ironie, de paradoxes, cela ne fait aucun sens. Ou
plutôt je commence à voir l'ensemble, un sens, et je juge cela acceptable. Ce
n'est ni mauvais ni bien. Je suis satisfait. Et je suis convaincu que moi et Sébastien
construisons tous d'eux un avenir et une destinée assez grands, mais que nous
mourrons peu longtemps après, après s'être battus si longtemps pour construire
cet empire. Et alors nous ne saurons l'apprécier autant que lorsque nous étions
jeunes et que nous aurions tant voulu le construire, cet univers.
Je relisais voilà deux jours une ancienne pièce
de théâtre que j'ai écrite lorsque l'on s'est connu et qui est notre histoire
au début de notre relation. Déjà Sébastien ne semblait pas m'aimer, tout était
tellement simple dans ma tête à cette époque. La pièce semble tellement
ridicule et naïve, mais tout cela m'est sorti du cœur, c'était tous mes
sentiments d'alors et comment je me sentais. Je me sentais mort, alors que toute
la vie me tournait autour et m'ignorait. Ça m'a déprimé, mais je suis bien
heureux d'avoir pris le temps d'écrire cette pièce de théâtre. Sébastien m'a d'ailleurs
aidé au niveau des idées, car je n'avais pas le temps alors et je n'avais
aucune raison vraiment d'écrire une pièce de théâtre à cette époque. En
avais-je vraiment besoin ? J'ai suivi trois cours de théâtre et cela a
suffit à me motiver à écrire une pièce. Je l'ai relue deux fois, la première
fois ça m'a semblé bien léger, la deuxième fois, au contraire, bien profond. On
dirait qu'aujourd'hui encore ma relation avec Sébastien n'a pas changé, nous en
sommes au même point qu'alors. Y a-t-il quelque chose que nous n'avons pas
appris que nous aurions dû apprendre ? Qui fait que la vie doive nous réunir
à nouveau pour que l'on puisse enfin comprendre ? Et je comprends bien
qu'il faut que la vie y jette des milliers de dollars de potentiel, car autrement
je ne m'associerais jamais à Sébastien à nouveau, et nous manquerions cette
chance de comprendre quelque chose, d'apprendre. C'est vrai en fait, c'est un
grand point de sa nostalgie, il apprend rien de son copain actuel, il a
beaucoup appris de moi. Je suis dans la même situation moi-même, je n'apprends
rien de Stephen, mais j'ai beaucoup à apprendre de Sébastien. Peut-être qu'il
ne s'agit pas d'une chose concrète qu'il s'agit de comprendre, mais d'une
multitude de petites choses qui nous fera évoluer un cran de plus. Qui
sait ? Et moi qui ne voulais bien juste que m'isoler quelque part autour
de Cannes sur une montagne seul… et voilà qu'il est 2 heures du matin, que je
dormirai à peine, et que je serai mort demain. Jamais je n'aurais cru que Sébastien
puisse être mon sauveur extérieur qui m'enlèvera de cet infernal monde des
conférences. Et cela serait déjà un résultat concret, même si nos projets ne
débouchent pas. Aussi j'espère que je ne serai pas déçu encore une fois.
Il est maintenant minuit.
Aussitôt que je suis revenu de cette journée de fou où nous avons rempli 9000
sacs avec la documentation des délégués, je me suis couché et j'ai attendu James
qui m'a dit vouloir venir pour utiliser l'ordinateur. Mais il n'est pas venu.
Ou alors il s'est perdu et n'a pas trouvé la rue Hoche, ou alors il ne savait
pas à quel appartement cogner. Je pense cependant qu'après avoir été manger au
Caffé di Roma, là où on mange tout le temps, il était déjà saoul. Alors, lorsque
les autres ont proposé d'aller au Morrison, notre fameux bar irlandais, il n'a
pas hésité. Un Anglais ne refusera jamais une bière gratuite. Ça tombait bien,
il me fallait dormir. Cette folle journée m'a détruit physiquement et
moralement. Il y avait au moins sept millionnaires qui empaquetaient des sacs
aujourd'hui, il est toujours bien difficile de travailler si fort à surveiller
ses dires, il y a toujours le grand directeur général de la compagnie autour
qui risque de t'entendre. Et ils te font des sourires, et tu te demandes, après
de tels exploits physiques, si le sourire que tu crois leur rendre est bien un
sourire ou si ta mauvaise humeur se lit très bien sûr ta face de bœuf.
Ah oui, je suis allé chez Monoprix pour une
petite épicerie qui m'a presque tué, car je devais ramener mes sacs pesants à
l'appartement ! Qui j'ai rencontré sur place ? Trois collègues qui,
elles aussi, avaient décidé de ne pas aller au Caffé di Roma et de se faire à
manger elles-mêmes. Partout où je vais, je les rencontre. Même si j'allais dans
les bars gais, je rencontrerais sans doute John, mon collègue australien qui ne
cache pas son côté « Bear-Leather » (sur certains sites pornos gais,
des photos de lui seraient classées dans la section ours en cuir (qui aime la
senteur naturelle de l'homme (mais pas de la femme) et qui pue lui-même parce
qu'il n'utilise plus de savon ni d'anti-sudorifique)). À Paris, à ma dernière
conférence, John m'a traîné dans ces endroits avec des back rooms, et j'ai dû
attendre au comptoir que monsieur finisse de faire éjaculer un vieux porc dans
la back room. Bref, je me surprends que John ne m'ait pas encore invité à le
suivre dans le calvaire de Cannes. Je suis bien certain qu'il y est et que,
contrairement à moi, il invite de beaux jeunes hommes dans son appartement. En
tout cas, c'est le gros luxe cet appartement à Cannes, la compagnie me
surprendra toujours. Je ne m'attendais pas à un tel endroit romantique. Triste
que je n'y ramènerai personne sauf James, et celui-là je sais bien qu'il ne me
prendra pas dans ses bras. D'ailleurs j'ai cru comprendre aujourd'hui que James
et Dan sont devenus très bons amis et que tous deux sont tellement stressés par
leurs conférences en retard qu'ils se sont tous d'eux mis à fumer et à prendre
des drogues. Or cela ne semble pas avoir enlevé leur stress, bien au contraire,
ils sont maintenant davantage dans le trouble. C'est certainement le salaire
élevé qui les garde à cet endroit alors que ça les tue. Comme Stephen à
l'aéroport d'Heathrow. Mais est-ce que cela en vaut vraiment la peine ? John
n'a jamais caché qu'il prend bien des drogues lui aussi, et l'autre
australienne en coordination non plus. Tout ce monde est sur la drogue ou
quoi ? Plus de la moitié peut-être ? Est-ce que je manque le bateau
ici ? Ne serais-je pas type grand-mère, et de ce fait, hors de ma
génération ? Devrais-je moi aussi consommer des drogues ? Quand je
vois l'état de Stephen sur l'héroïne, et que je l'ai déjà retrouvé mort une
fois, et qu'il m'a dit avoir failli mourir plusieurs fois ensuite, c'est clair
que non. Quand je vois James qui tremble tellement qu'il lui faut être saoul en
permanence afin de calmer son état, c'est clair que non. James me dit qu'il en
achète parfois, mais que fort souvent ses amis en ont. Or, ses amis doivent
être au bureau ? John peut-être ? Je l'ai trouvé bien près de mon
petit James aujourd'hui, bien que cela ne m'affecte point car James est hétéro.
Et aussi que si John réussi à coucher avec James, James découvrira qu'il est gai
et donc il couchera avec moi aussi. Ou alors il découvrira qu'il est un hétéro
qui, à défaut d'avoir une fille avec qui coucher, peut coucher avec des hommes.
Alors John travaillerait pour moi, à moins que James en tombe amoureux. Alors
là ce serait hors de mon champ d'action, et je m'en fiche. Je n'attends pas
après James pour vivre. Je suis encore convaincu qu'il n'a pas fait l'amour
avec une fille depuis notre voyage à Cannes de l'an passé. En parlant de
vierge, il y en a définitivement un nouveau dans la compagnie qui vient de
Wales et qui est gai. Mais lorsque je l'ai confronté directement un soir que
j'étais saoul après ma conférence à Londres en décembre dernier, il s'est senti
attaqué et m'a dit non. Mais John m'a dit que lui aussi était convaincu au
départ qu'il était gai, et suppose que le gars l'ignore peut-être encore. Il
est d'ailleurs très beau avec une belle personnalité. Et demain je me retrouve
à travailler avec lui et deux autres collègues un peu en retrait de tout le
monde, nous devons prendre un taxi à 9h45 pour nous rendre au Casino Royal ou
quelque chose du genre, je pense que nous avons un séminaire là-bas. Je vais
tenter d'en apprendre davantage, comme par exemple s'il fera partie de cette
équipe de football qui a instantanément révélé tous les hétéros de la
compagnie. S'ils jouent au foot, c'est que ce sont de vrais hommes, car il n'y
a qu'eux pour apprécier ce genre de sport sans intérêt. Mais je soupçonne que
c'est bien moins l'envie de jouer qui les pousse, que cette urgence de prouver
qu'ils sont de vrais hommes. Pour cette stupide idée de prouver ma masculinité,
je me suis défoncé comme un malade aujourd'hui à ouvrir des boîtes et à
déplacer des tonnes de documentations. Je ne voulais certes pas que l'on puisse
croire une seconde que je faisais tout pour en faire le moins possible, ou que
surtout, parce que je suis gai, je valais moins que n'importe qui d'autre au
niveau physique. Pendant ce temps, James,
lui, s'en balançait. Chaque fois que je me suis retourné pour le regarder, il
ne faisait rien. Je ne l'ai pas vu travailler une seule fois. Mais il joue au
foot, sans doute parce qu'il aime ça. Il avoue même ne pas être très bon. Ma
sœur est comme moi, elle me disait que parce qu'elle était une femme qui
travaillait dans un endroit rempli d'ingénieurs, elle devait se prouver et
déplaçait des tonnes de boîtes pour marquer des points je suppose, des points qui
n'intéressent personne d'autre que notre propre moi intérieur. Or, si moi qui
suis gai par définition a le droit de ne pas jouer au foot, et que je me sens
coupable de ne pas le faire car je voudrais leur prouver ma masculinité et ma
valeur, je comprends bien que ce besoin animal est encore plus fort chez mes
collègues hétéros qui ont tous quelque chose à prouver. Et cela me fait rire,
et pleurer à la fois, car moi aussi je m'y suis laissé prendre. En tout cas,
j'ai passé la journée avec une collègue allemande qui est bien bizarre, mais
bien gentille. Et demain, j'attaque Ryan, mon petit Ryan de Wales qui est
peut-être gai ou non. Et s'il ne fait pas partie de l'équipe de foot, alors que
tous les autres en font partie, alors c'est qu'il y a de l'espoir. Quel
misérable je fais si chaque fois que je me retrouve à Cannes, je ramasse un
perdu de la société qui a tous les problèmes psychologiques du monde et qui
vient me vider ça sur moi ! Mais les malheureux sont hétéros et moi j'en
tombe amoureux. Qu'ils aillent donc se vider les entrailles chez leurs blondes,
et qu'ils s'en trouvent donc des blondes, les incapables ! Comment peut-on
être si beau, si jeune, mais si idiot au point d'être incapable de rencontrer
une fille ? Ce sont tous des rejets de la société, les employés de la
compagnie. Ça se lit sur leur visage, ce sont des gens que l'on ignorerait bien
volontiers si on les rencontrait sur l'étage de la faculté. Des monstres d'intellectualité
dont leur misère est écrite sur leur visage. Ah, ça me fait vomir de penser que
l'on ne leur parlerait pas si on les rencontrait dans les bars, mais voilà que
l'on m'a obligé à partager tout mon temps avec eux, alors que je voudrais bien
juste m'isoler seul bien loin de Cannes et de Londres.
Je
m'inquiète moins avec cette histoire aujourd'hui, mais hier soir tard durant la
nuit je ne pouvais m'enlever de la tête cette pauvre femme qui est propriétaire
d'un club appelé Club 7, ou quelque chose du genre, à Cannes. Nous sommes
entrés moi et John et avons bien apprécié les drag queens qui faisaient leur
spectacle à la Michael Jackson. Puis une femme à l'arrière, qui avait l'air assez
importante, m'intriguait et je suis allé lui demander qui elle était. Un homme
avec un appareil photo à côté d'elle me suggérait qu'elle était encore plus
importante que je ne le pensais. Alors j'ai passé 10 minutes à la harceler, à
lui demander qui elle était. Et comme elle ne voulait pas me le dire, je lui ai
dit que dans le fond je m'en balançais. « Allez chier ! », voilà
ce que je lui ai dit, deux fois plutôt qu'une. Alors je retourne apprécier le
spectacle de ma place, en plein milieu en avant, et je m'en vais aux toilettes.
Qui était là aux toilettes, à côté du gars qui vendait de la gomme (comme c'est
la mode en France d'avoir un con qui vend de la gomme dans les
toilettes !) elle, cette femme mystérieuse que je venais d'envoyer chier.
Que faisait-elle ? Elle prenait des boites de gommes qu'elle plaçait sur
les étagères, et quoi d'autres, elle s'affairait à rendre les toilettes plus
acceptables. C'est à ce moment que j'ai compris qu'elle était la propriétaire,
et je lui ai demandé, et elle m'a dit qu'effectivement elle était la
propriétaire. Le cœur m'a levé de terre, moi qui venais juste de l'envoyer
chier. Voilà que je m'excusais, que je lui disais que je regrettais, que
j'étais un québécois à Cannes avec le festival du téléphone mobile, que je ne
savais pas trop ce qui se passait ici. Mon Dieu, sa réaction me montrait
qu'elle avait été bien affectée par ma réaction, et qu'elle semblait vouloir me
prouver quelque chose, ou m'indiquer qui elle était, et moi j'ai tout à fait
tombé dans le panneau, je me suis excusé et j'avais tellement honte que je suis
parti à l'instant même. Et tout le retour je me suis lamenté à John à propos du
comment je pouvais être con et que j'allais sans doute être banni de tous les
bars gais de Cannes. J'étais tellement saoul, j'ai reconduit John jusqu'à son
appartement. Il m'a offert d'entrer pour un thé, en me signifiant que s'il m'avait
invité pour faire l'amour, il me l'aurait clairement dit. Et comme il ne me l'avait
pas clairement dit, il m'invitait effectivement juste pour le thé. Ainsi je ne
suis pas entré, et heureusement, car j'aurais couché avec lui alors que sans
être saoul, je n'aurais jamais osé faire quoi que ce soit avec lui. Tout le
chemin du retour je me suis lamenté de ma stupidité, et cela à dû tomber sur
les nerfs de John, mais aujourd'hui il me remerciait d'une excellente soirée,
alors que la veille il se lamentait que je lui avais fait perdre cette personne
qui s'intéressait à lui.
Ce matin j'étais tellement saoul de
boisson, que je n'ai pas été capable de me lever avant 11h30, alors qu'à 7h on
m'attendait dans une des tentes pour l'enregistrement des exposants. Je crois
que j'ai réussi à leur faire croire que j'étais occupé ailleurs, à ceux de
l'enregistrement je leur ai dit que j'étais dans la salle du séminaire, et à
ceux du séminaire je leur ai dit que j'étais à l'enregistrement. J'ai ensuite
passé le reste de l'après-midi à parler avec James dans une des salles de
conférence.
Christ, y'a pu
rien qui fonctionne, ils nous disent absolument rien, ils nous installent sur
ces kiosques d'information dans le Palais des Festivals, mais on en sait moins
que les délégués à propos d'où est quoi. Alors j'ai bien dû envoyer 6000
personnes aux mauvais endroits toute la journée, et là je suis dans la salle de
conférence B et je suis stressé au maximum. On m'a donné un microphone, on m'a
envoyé sur le balcon, et on ne m'a rien dit à propos que les microphones sont
ouverts seulement lorsque le chairman a identifié qui peut poser une question. De
plus, le chairman ne voit pas la galerie du haut. J'ai manqué me lancer en bas
du balcon pour apporter à un délégué un microphone qui ne fonctionnait pas, c'est
qu'il n'y a pas d'allées bien définies afin d'atteindre les poseurs de
questions. Résultat, j'ai écrasé les pieds d'au moins 10 personnes. Et puis
j'ai couru partout pour leur signifier que ça ne marchait pas. Et je suis mort
car il fait une chaleur effrayante dans ces salons. C'est tellement grand,
c'est tellement mêlant, les suites hospitalité, les tentes à l'extérieur où les
délégués mangent et s'enregistrent, ou ils vont dans le troisième pavillon
d'exposants, ou les suites sur les bateaux gigantesques loués par différentes
compagnies. Il y a quatre conférences qui roulent en même temps et il y a 480
exposants. Et nous devons tout savoir, nous ne savons rien, et c'est très peu
professionnel. Je suis tellement fatigué, en plus j'ai trouvé le moyen de ne
venir qu'à midi ce lundi et 9h du matin hier, alors que les deux jours je
devais être sur place à 6h45. Je pense qu'ils ne s'en sont pas rendus compte,
mais ils n'ont rien dit. Aussi j'ai trouvé le moyen de ne pas me retrouver en
arrière d'un ordinateur une seule fois dans la tente d'enregistrement. Et ce
matin je n'ai aidé nulle part, au contraire je suis allé entendre Richard
Branson, le Chairman de Virgin, et son éclatante présentation publicitaire avec
des films, de la musique, un vrai spectacle fait pour la télévision. On ne se
demande pas pourquoi il a tant réussit dans la vie, avec de telles entrées et
sorties théâtrales.
Ce soir il y a
des célébrations partout, dans toutes les tentes et au Planet Hollywood.
J'ignore encore où l'on va, alors que je voudrais bien juste aller dormir et
manquer le fameux feu d'artifice à 19h30 en face de l'hôtel Carlton. Ces
pauvres Cannois doivent en voir de toutes les couleurs, le congrès est beaucoup
plus grand que le festival du film, et nous avons construit au-delà de 10
tentes gigantesques sur les plages. Et hier, Cannes TV voulait m'interviewer,
moi, parce que je suis le seul sur les 120 personnes de ma compagnie
londonienne, qui parle français. Hier ils n'ont pas pu venir, alors peut-être
aujourd'hui ou demain je vais m'adresser au tout Cannes au complet pour leur dire
c'est quoi ce monstrueux congrès qui a pris d'assaut leur ville. Comme vous
pouvez voir, j'ai très peu de pression sur les épaules.
Je suis en ce
moment au Rétro bar à Charing Cross, on dirait qu'il n'y a que des hétéros dans
ce bar gai. La musique est bonne. Je dois être à l'aéroport d'Heathrow demain
pour aller faire du ski à Chamonix. Aussi bien me tirer une balle. Je n'ai que
des mauvais souvenirs de ce bar. Mon ex-copain y travaillait, mais il était
trop parti, et ça ne fonctionnait pas. Et toutes ces soirées où je suis venu
ici mais personne ne m'a même regardé, quel cauchemar. Et ces soirées où je
suis venu avec David et son copain d'alors, et je finissais chez Popstarz seul,
à m'emmerder. Ce n'est pas tant vieillir qui tue, mais de devenir moins beau
avec le temps alors que nous étions si beau. Mais cela m'a toujours été
secondaire d'une manière ou d'une autre. Je vis dans ma bulle avant tout, dans
mon propre univers. Si ceux avec qui je sortais alors sortent encore dans les
bars et les clubs londoniens aujourd'hui, à mon avis ils n'ont pas évolués.
Encore que ce concept ne signifie pas grand-chose. Tant de choses dans ma vie
semblent survenir en ce moment, mais cela ne suffit pas. C'est que les seules
choses qui comptent sont l'amour, aimer et être aimé. Et cela, je ne l'ai pas
trouvé, et ça ne se trouve pas. Je suppose que je venais à Charing Cross ce
soir en espérant, mais ça ferme dans 8 minutes, et je ne crois pas aux
miracles.
Deux gars sont
en train de se manger dans le fond du bar, c'est beau, et c'est triste aussi,
car je n'en suis pas. Mais voilà 5 ans c'était moi dans ce coin qui embrassait
le peuple londonien, et même alors cela me passait 50 pieds au-dessus de la
tête. Pourquoi alors aujourd'hui devrais-je souffrir du fait que cela m'est
hors de portée ? Nous ne vivons que de nostalgies, de souvenirs qui nous importaient
guère alors, mais qui signifient le monde aujourd'hui. Quel triste monde. Vaut
mieux s'isoler et mourir seul dans son coin noir. C'est là ou j'en suis à 28
ans, je pense qu'il ne me reste plus qu'à mourir, je suis pourri de toute
manière. Pourtant, je n'ai même pas encore commencé à vivre. Et quand je
commencerai, ou bien j'écraserai tout le monde, ou alors je m'isolerai
complètement, car je serai bien au-delà de toutes ces choses. Monde affreux. Je
déteste mes semblables, je les détesterai toujours. On souhaite souvent que les
hommes hétéros finissent par coucher avec nous parce qu'ils sont incapables de trouver
des filles. Eh bien moi je suis prêt à me trouver une blonde, car mon copain ne
me donne même pas l'affection minimum que j'ai besoin. J'ai passé près faire
l'amour avec une fille à Noël et je regrette presque de ne pas l'avoir fait
aujourd'hui. La barmaid du Rétro bar est une noire encore plus intéressante qu'Yvonne
qui travaillait à l'aéroport d'Heathrow avec moi voilà longtemps. Je pense que
je serais capable de faire l'amour avec elle. Elle a deux petites couettes de
chaque côté. God, ma vie ne va nulle part. I am fed up, fed up, fed up.
Semblerait que je vais aller faire du ski demain matin à
Chamonix en France. Je n'ai pas réussi à m'en sortir, je dois y aller. Au moins
je partage ma chambre avec John et Nick, un choix parfait. Ce sont les deux
seules personnes après James avec qui j'aimerais partager une chambre.
Maintenant je suis motivé à y aller. Mais encore une fois je dormirai à peine,
en commençant par la première nuit, je veux dire la veille du départ. Cela ne
pardonne pas, mais au moins ce n'est pas comme à Cannes ou cela dure 8 jours...
trois jours plus tard je serai à la maison.
Voilà, aujourd'hui j'ai démissionné. J'en ai enfin fini avec les conférences !
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